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Bulletin SAF 1918


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Élie Fréron

F. Cornou

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1918 tome 45 - Pages 3 à 32

171S - 1776

MESSIEURS,

L'écrivain dont le nom nous réunit aujourd'hui n'occupe
qu'une place médiocre dans nos manuels d'histoi:e littéraire.
Un mot, quelques lignes, c'est tout ce qui sauve de l'oubli
la mémoire de Fréron. Encore cette immortalité mesurée ne
lui assure-t-elle ni sympathie ni respect. Doué, dit-on en
substance, d'un certain goût et de quelque talent, il ne sut ,
pas défendre sa plume des excès du parti pris et de la 'mau­
vaise foi, surtout contre Voltaire, et entourer sa vie de la
considération due à l'honnêteté des mœurs et à la noblesse
des grands desseins. Triste personnage, en somme, et dont
la célébrité serait à rapprocher de celle d'un Zoïle et d'un
Erostrate. ~ ,
Quimper pourtant, sur la proposition de M. Louis Hémon,
député et membre éminent de notre Société Archéologique,
a fait à cet écrivain si décrié une place dans son petit Pan­
th~on local~ et le QOl-p de fréroll désignedésQrIllais l'aO,-

cienne rue Obscure, hier encore rue Royale, qui le vit naître,
il y a presque exactement deux cents ans, le 20 Janvier 1718,
« environ les 7 à 8 heures du soir ».
Etait-ce indulgence maternelle pour un fils peu recom~
mandable et que sa ville natale se refusait à renier? N/était~
ce pas, aù contraire, une protestation publique, inspirée par
les travaux de nos archéologues, contre une disgrâce immé-

ritée et un déni de justice trop prolongé?

Messieurs, les légendes n'ont pas à la fois d'amis plus
sincères et d'ennemis plus décidés que ces chercheurs obsti­
nés, remueurs de vieilles pierres et de vieilles liasses de
manuscrits. Ils aiment le parfum des antiques légendes, ils
les recherchent et les cueillent comme on fait des fleurs
qu'on destine à un herbier. Mais si la légende, au lieu d'être
un ornement de l'Histoire, s'insère dans sa trame pour la
déformer, telles ces plantes parasitaires qui menacent ' la
solidité des vieilles murailles historiques, ou en masquent
les sculptures sous la luxuriance de leur végétation, alors,

tant pis pour la légende: l'archéologue, la truelle et le racloir
en main, arrache, gratte, rejointoie, jusqu'à ce que le monu­
ment dégradé réapparaisse dans toute la beauté de ses lignes
et l'harmonie de son dessin.
Or, Messieurs, il y a une légende 'de Fréron, et elle fait

gravement tort à son histoire. Un jour, rencontrant quel-

ques lettres privées de l'écrivain, échappées, comme pa~
miracle, à la destruction, M. du Chatellier, l'un des fonda­
teurs de la Société ' dont nous sommes les hôtes, constata
que, dans les circonstances mêmes où on l'avait dépeint
sous les traits d'une brute cynique, sans conscience et sans
mœurs, Fréron se révélait comme un parent sensible et déli­
cat, comme un ami généreux, charmant de bonhomie, de
serviabilité et d'abandon. Il ne manqua pas d'en faire la

confidence au public, qui en fut plus surpris que convaincu.
La physionomie de Fréron

si elle s'éclairajt d'un rayon sym-

. ' e dans les ombres
n'en restait pas moms noye .
sur elle par une hostilité centenaIre. ,
érification minutieuse les éléments de la

critique que notre histoire locale pouvaIt
Les registres des anciennes paroisses de
et de Loctudy, les greffes des regaires de Cor­
les papiers de la famille Royou, lui livrèrent une
moisson de détails d'où jaillit une vive lumière sur
origines de l'écrivain, sur ses amis, son double mariage,
ses relations quimpéroises. Précieux butin, qui permit à
M. Trévédy de faire exacte justice de la plupart des calom­
nies accumulées par Voltaire dans son odieux pamphlet
les Anecdotes sur Fréron.
C'était plus qu'il n'en fallait pour que notre compatriote
prit un rang distingué parmi les célébrités dont Quimper se
fait gloire d'entretenir le souvenir, pas assez néanmoins pour
dispenser de pousser plus loin, en explorant des veines nou-

les fouilles si heureusement commencées.
Aujourd'hui, le temps est définitivement passé où il était
permis à Sainte-Beuve d'accueillir avec un sourire sceptique
les premiers essais de réhabilitation de Fréron: « Une cou­
rageuse entreprise, » raillait - il. Courageuse, sans doute,
puisqu'il s'agit de balayer tout un monceau d'accusations et
d'injures, mais réalisable tout de même, comme on se flatte
que cette conférence en laissera l'impression.

te père de notre critique n'était pas Breton. Venu d'Agen
en 1693, Daniel Fréron était entré comme ouvrier chez Un
maître orfèvre de la rue Kéréon. L'orfèvre mourant peu
après, le jeune artisan héritait de sa maîtrise en épousant
sa veuve. Foyer bientôt éprouvé par la mort de la mère, et
que Daniel reconstituait, trois mois après, en y introduisant
une jeune Quimpéroise, Marie - Anne Pérudel. Quelques
années s'écoulent, et de nouveau la mort lui enlève sa com-

pagne. Resté seul avec plusieurs enfants -de ses deux ma-
riages (1), J'orfèvre se hâta de leur chercher un appui. Il
convolait en troisièmes noces en ,1715, avec Marie - Anne

Campion, de Pont-l'Abbé, qui lui donnait, le 20 Janvier 1718,
le grqs garçon qui devait ' être notre critique.

Cet ' animal se nommait Jean Fréron,
a dit Voltaire. L'enfant reçut en réalité au baptême les
prénoms d'Elie -Catherine (2).
Mais quelle était cette courageuse Pont-l'Abbiste dont le
cœur se croyait assez débordant d'affection pour remplacer
deux mères défuntes et suffire encore aux exigences de sa

propre maternité?
Marie-Anne Campion était de condition, modeste, mais

elle descendait, par 'un aïeul établi à Quimper dès le XVI,l

cle, de la famille de Malherbe, le grand poètenormand~

Toutes bornées que fussent ses ambitions de femme du
peuple, compagne d'un obscur artisan, elle ne manquera
pas de se complaire à évoquer devant son fils Elie, tout fier
de cette illustre parenté, la noblesse de ces origines loin­
taines. L'enfant, d'ailleurs, l'entendait à merveille' . A cinq
ans, un 'recueiJ poudreux de Malherbe, don du poète lui-

(1) Deux enfants de son premier mariage et neuf du second. Plusieurs
etaient morts en bas âge. "
(2) Ses parrain et marraine furent « noble homme Elie Maryas, mar­
chand de Bordeaux, et demoiselle Catherine Le Roy, épouse du sîeur Déan,
marchand drapier à Quimper ». .

à ses parents de Ulmpe, .' .
, , d leur . devant une
armante de naïvete et e cou .

de communiquer à ces humbles, deux
La mère, toute à l'admiration, encourageait. Le
probablement, hochait la tête, et 'se demandait si pour
un jour sa succession d'orfèvre, il était utile de
savoir tant de beaux vers à cinq ans.
On le mit à l'école au Collège, chez les Jésuites. On a
prétendu, d'après lui·même, qu'il fut, en dépit de cette pré­
cocité, mauvais écolier, et c'est bien possible après tout,
l'étude de l'orthographe et de la grammaire ne se faisant
d'ordinaire dans les recueils de stances et d'odes; Le
critique, dit-on, aimait à rapporter en souriant qu'un jour
son père, n'en pouvant rien tirer, l'aurait relégué dans la
, et, le faisant trôner sur un petit fauteuil, une
badine à la main en guise de sceptre, l'aurait préposé au

gouvernement de ses dindons.
Acceptons, si l'on veut, l'anecdote, mais défions-nous de
la conclusion qu'on en a tirée. Fréron plaisantait volontiers,
et finement, et, s'il a réellement raconté ce trait, j'incline à
croire q.u'il faut y voir, moins un aveu de sa paresse pre~
mière qu'une humoristique explication de sa vocation et 'de,
ses occupations de critique. Ce petit tableau de basse-cour,
c'est, en effet, tout Fréron, mais un Fréron assis au fauteuil
directorial de l'Année lit{éraire, dans un décor à la Chante-
d auteurs métamorphosés en dindons. . .

"Gardeur de dindons donc, si l'on y tient, mais qu'on n'en

rende pas responsable un accès de mauvaise humeur de
son père : l'honnête artisan rêvait bien plutôt de ravoir
comme successeur à la tête d'un atelier agrandi et réputé.
Les Jésujtes, ses maîtres, y contribuèrent davantage lors­
que, frappés de la précocité et des qualités de l'enfant, ils

se chargèrent d'achever son instruction en l'adoptant.Encore,
en en faisant un novice, quand, à seize ans, il eut achevé
ses études au collège Louis-le-Grand, à Paris, ne voyaient-

ils en lui qu'une recrue qui pouvait, un jour, faire honneur
à la Compagnie.
Ils purent se flatter pour un temps d'avoir eu la main
heureuse. En effet, à 18 ans, le jeune jésuite enseignait au

Collège royal de Caen, avec assez de distinction pour être
jugé digne d'occuper, l'année suivante, une chaire de gram­
maire à Paris même, dans le célèbre collège qu'illustraient
les PP. Porée, Brumoy et Bougeant (1), cet autre Quimpé­
rois trop oublié. . .
Il arriva malheureusement que le petit neveu de Mal-
herbe n'avait pas perdu entièrement ses enthousiasmes
d'enfant. Par surcroît, l'imprudent P. Brumoy, en soumet­
tant à ses corrections une ode manuscrite de J.-B. Rousseau,
en avait fait un admirateur et un disciple du lyrique que
, l'on appelait alors, un peu abusivement, « le grand Rous-

seau ». On ne fut pas sans s'apercevoir que le professeur,
sa classe finie, consacrait plus de temps à la poésie qu'à
l'oraison. On dut même consta~er, un jour,. que le mouve­
ment littéraire de l'époque l'intéressait plus que Fobserva­
tion des r~gles de son Ordre: il venait d'être reconnu au

théâtre, mal camouflé en laïque, sous un habit emprunté à
un ami. Le délinquant fut prié de descendre de sa chaire et

ft ; _ , s n = "-w '.,' zr' 7 , . , , ' H " 777 ': z S j '-P ' " ",
(1) Historien réputé du Traité de Westphalie
ment philosophique SUl' le langage des bêtes. ·

7 t . 7
et auteur de l'Amuse-

d la silencieuse ré si-
faire oublier son escapade anS
d'Alençon. .
'11' . elle lm fit compren-
L'épreuve lui fut b nne consel ere. "
. es maltres

.' Il deman a
. dant à ses blCn-
ses vœux, et se retIra, gar
reconnaissance qu'il ne manquera aucune occa-
oigner publiquement (1).
plus douloureux de cette séparation était qu'elle
ant le jeune Breton déraciné le problème de ses
d'existence. Il avait 21 ans et ne songeait guère à
à l'atelier paternel. Pourtant, il fallait-vivre. Il offrit
plume à l'abbé Desfontaines, qui détenait alors le" sceptre "
de la critique, à la tête de sa revue les Observations sur les
écrits modernes. Trois années de collaboration assidue, et
bientôt appr~ciée, sous la direction de ce maître avisé,
e cellent humaniste et souvent juge clairvoyant des auteurs
contemporains, furent pour le jeune écrivain un apprenti"s­
des plus fructueux.
En 1743, la revue de Desfontaines fut supprimée. Impa­
tient de sortir de la pénombre où il végétait, contraint et
effacé, Fréron crut le moment venu d'affronter à son tour
le verdict du public. Le démon des vers reprit son homme. Il
faillit en faire tout simplement un précurseur de Malfilatre :
La Cairn mit au tombeau Malfilatre ignoré.
Cependant, ses premiers es" sais, lyriques évidemment,
eurent un succès dont on se souvint longtemps; l'on déclara
même que son Ode Sllr la bataille de Fontenoy l'emportait
sur celle de Voltaire, mais Piron raconte que, lui ayant un
jour offert en présent une tabatière de prix, le premier soin
, , (1). Il ~arda. quel~lle temps le costume ecclésiastique et se fit appeler
J abbe Freron Jusqu au début de 1745.

du poète fut de s'en défaire et d'en tirer quelque argent
pour s'acheter un habit. Malgré sa notoriété grandissante,
il manquait du nécessaire.
Il brisa sa lyre, se résigna à n'être jamais le rival de gloire
de Malherbe et de Rousseau, et entra résolument dans la
voié ·où l'appelaient ses trois années d'apprentissage, les
conseils de son maître Desfontaines et ses propres disposi~
tions. « Je suis appelé à faire de la critique, dira-t-il un jour
à Malesherbes, comme d'autres à faire de mauvaises tragé­
dies . .» Une vraie vocation, cette fois, avec tout le don de
soi, toute l'adaptation des moyens au but, toute la volonté
de persévérance, toute la conscience des difficultés à sur­
monter, que la vocation comporte. Il y apportait, au sur­
plus, toutes les qualités -nécessaires au succès: un goût fin

et sûr, une connaissance approfondie des classiques, une
langue harmonieuse et élégante, un don de railler avec grâce
et d'ironiser avec saveur. .
Tout gueux qu'il se connaissait, il commença par s'attri-
buer des titres de noblesse. Son premier pér~odique fut la
série des Lettres de Mme la Comtesse de *** à une correspon­
dante de province. Alertes et vives, débordantes d'humour
et de malice, ces Lettres attirèrent immédiatement l'atten­
tion. Trop même, car en Janvier 1746, il vint à la connais­
sance de Mme de Pompadour que la pseudo-comtesse avait
eu l'au~ace de faire sourire aux dépens de son protégé,
l'abbé de Bernis. Une lettre de cachet, portée à bonne adresse
par quelques policiers, invita Fréron à se décharger sur le
geôlier du donjon de Vincennes du soin de se loger. Il fut
mort d'ennui, dit-on, dans sa somptueuse résidence si son
pitoyable gardien n'eût consenti à lui apporter, chaque ma­
tin, une bouteille de ·bon vin qu'il buvait à son déjeuner.
Il n'en sortait que deux mois après, sa détention commuée en
exil, avec défense d'entreprendre aucune publication nouvelle . .
Sa disgrâce dura trois ans. Il put enfin reprendre sa .

e Journa Iste en ~
, 't d ce temps, translor-
les Lettres sur quelques ecrl se. .
mort Ult vo urnes par an.
d une fine du premier lit de Damel Freron.

1 ami de Stanislas, son père, ancien roi de pologne,
Lorraine, qui lui fait l'honneur, en 1754, de servir
parrain à son fils Stanislas. Entraînés par ce haut exem-
. pie, le duc d'Orléans donne son nom à sa fille Louise-
Philippine, et Christian de Bavière nomme au baptême son
fils Christian-Maurice. Choiseul en fait parfois son collabo- .
rateur dans la rédaction de ses documents diplomatiques.
Le duc de Deux-Ponts l'invite à sa cour et l'électeur palatin
l'accueille à Mannheim. Il est des académies de Montauban,
de Nancy, de Caen, d'Angers, d'Arras, de Marseille; ses
feuilles font les délices de Mme du Deffant, au grand déses­
poir de d'Alembert et de Voltaire. Elles sont lues jusque
dans Berlin, à La Haye, à Amsterdam, à Turin, à Rome. '
C'est la période des grands succès, c'est aussi celle des
épreuves.

Deux grands obstacles se dressaient alors devant le cri­
tique: les règlements de la Librairie et la susceptibilité des
auteurs. .
lIons des ecnvams. Armée d'un pouvoir discrétionnaire sur
prImait, faIsait rechercher par sa police les auteurs et les

Impnmeurs qui se passaient de son visa. Elle dépendait du

garde des sceaux qui, avec cette impartialité et ce bonheur
ordinaires aux gens en place, en nommait les fonctionnaires.
C'est ainsi qu'en 1754, la dissection des articles littéraires
de Fréron était confiée à un chirurgien, d'ailleurs recherché
pour les amputations difficiles: on avait eu égard, probahle-

ment, à l'analogie des deux genres d'opérations.
On comprend que ce n'était pas toujours la bonne tenue
des Lettres et le souci des bonnes mœurs' qui dictaient
le choix du ministre. Les intérêts particuliers ne s'y mon-
. traient pas indifférents. La censure en était arrivée, grâce à
eux, à servir surtout de protection aux hommes du jour .
contre les journalistes assez téméraires pour discuter leur
administration ou leurs écrits .
Entre 1750 et 1763, sous la direction de Malesherbes,

elle ne rendit guère' d'autres services, et, créée pour la
défense de l'Etat, elle montra qu'elle pouvait aussi, comme
le fameux sabre de M.Prudhomme, travailler efficacement

à sa perte. A Fréron,. partisan fidèle et défenseur convaincu
du régime, mais assez clairvoyant pour 'en apercevoir les

faiblesses, assez hardi pour en dénoncer les abus ' et pour
'appuyer les projets de réforme, assez moderne même pour
souhaiter aux gouvernants le courage de laisser se créer

une opinion publique, à Fréron toutes ses rigueurs; à ses
adversaires qui préparaient la chute du trône, toute sa

tolérance sinon toute sa protection. Même s'il lui faut se

défendre contre des pamphlétaires qui le diffament, ou bien

. les censeurs lui imposent le silence, ou bien ils ne lui ren-

dent ses a.rticles qu'affadis par leurs corrections. Fréron les
comparait il ces sages - femmes d'Egypte, préposées aux

accouchements des mères jùives, à qui Pharaon a vait,donné
ce mot d'ordre: « Quand l'enfant naîtra, si c'est un mâle,
tuez-le; si c'est un~ fille, laissez-la vivre. »
Non seulement, ils compromettent la régularité et le suc-

çès de sa publication, mais ils ~ttentent à sa liperté ~ Sop

, ' , OU des risons d'Etat
. 's un « manOIr octo-
comme il l'appelait; passe meme pour a, '
'1 f' 't séjour en
demeure aristocratique, où 1 alsal un ,
: un jour, pour avoir qualifié d' « excentrlcrte »

d'un marquis à se laisser brûler dans sa maIson
flammes, et, trois ans après, pour avoir signalé un trait
de bienCaisance que Thomas présenta comme une critique
de l'administration de Choiseul.
Plus encore, la censure entre dans le complot de ceux
qui trouvaient que le vrai moyen de se débarrasser de ce
gêneur était de ruiner son œuvre et, comme le voulait Vol­
taire, « de réduire le coquin à la mendicité», Pendant quatre
de 1766 à 1770, un censeur occulte, aux gages de ses
, réussit, en le désespérant, à supprimer tous les
articles saillants de son périodique et à en écarter de nom- '
breux lecteurs désenchantés.
C'est que derrière la censure, l'inspirant et lui dictant des

ordres, à l'insu et quelqueCois avec la complicité du direc-
teur de la librairie, il y avait les auteurs critiqués. Il est
sans péril à un critique, Messieurs, d'être impartial et juste,
sévère au besoin, pour les productions des auteurs disparus.
Les morts n'ont pas d'amour-propre, et la destinée de leurs

œuvres littéraires ne trouble pas leur repos. Mais les vivants?
Surtout lorsque ces vivants s'appellent Voltaire, Diderot,
d'Alembert, J.-J. Rousseau, Marmontel Duclos étc? Si

encore 'ilsavaient été isolés, chacun préoccupé de sa pro­
pre gloire et indifférent aux mécomptes des autres t Mais
ils Corment un corps puissant, ils ont un même programme

celui de l'Encyclopédie, ils constituent entre eux une ligué
défensive et offensive, et, ce qui avive encore leursuscepti­
bilité, ils sont, comme le disait Fréron, « associés pour Un
commerce d'encens», se donnant très couramment, à charge

de réciprocité, du grand homme et de l'homme de génie.
Chacun à part, suivant la piquante remarque du ' journa-

liste, applaudit en secret à la justesse de sa critique: « Ma
censure tombe-t-ellesur un de leurs amis même, ils la trou-

vent juste, impartiale, plaisante : ils en rient en cachette
avec quelques confidents discrets. Ce n'est . que lorsque je
m'avise d'attaquer leurs propres ouvrages que je suis un
sot, un cuistre, un scélérat, un monstre, etc.» Il faut voir
alors, dans les manuscrits de l'époque, . de quelle plume
hautaine ils réclament du directeur de la librairie le châti­
ment du sacrilège!
Les exécutioJ)s de police qu'ils obtiennent ne leur suffi­
sent même pas. Ils sont à l'affût de toutes les occasions de
lui nuire. D'Alembert tout le premier donne l'exemple. C'est

une vraie sommation qu'il adresse à Frédéric qe Prusse
d'avoir à déchirer le brevet de membre de son Académie de
Berlin qu'il se proposait d'expédier à Fréron. Par le comte
de Tressan, il intrigue sournoisement à la Cour de Luné­
ville pour essayer d'enlever au critique l'amitié et la pro­
tection de Stanislas. De concert avec quelques comparses,
il réussit à l'évincer de la direction du Journal étrangër,
qu'il cumulait avec celle de l'Année littéraire et qui lui valait
huit mille francs par an.
Quels crimes lui faisait-on expier de la sorte? Son admi­
rable campagne, aux côtés de Rameau, pour la défense de

notre musique nationale anathématisée par J ean-J acques et
ses ami~, engoués de m~sique italienne; son peu de sympa­
thie pour les doctrines antireligieuses de l'Encyclopédie, où
d'ailleurs il est copieusement injurié; son audace surtout
d'avoir' dit du discours de réception de d'Alembert à l'Aca-

, . ais contesté, qu'il
française ce que personne n a Jarn
l'intolérance n'a été poussée à ce pomt. 1 reron
pour leurs intimes, tel Collé; ou Ils CrI­
pour l'exportation, à l'usage des étrangers, tel .
; ou ils se résignaient à n'être que les louangeurs
des maîtres du pouvoir et de l'opinion.
Fréron, seul, affrontait publiquement, en plein Paris,
son nom, dès qu'il le put, les inconvénients et les ris­
ques du métier, et, malgré tous les déboires, affirmait, avec
une haute conscience de ses responsabilités et de sa valeur,
droit à la liberté de penser et d'écrire. Il expose un jour

bes les persécutions dont l'accablent les encyclo-
les justes sujets que j'ai de ne pas les aimer, lui écrit-il,
mon éleignement pour eux n'entre point dans le compte purement
IitUraire que je rends de leurs ouvrages; je tâche de n'écouter que
les intérats de la vérité et du goût ... Je crois que je m'y connais un
peu, je sais ce qu'ils valent et je sens ce que je vaux; qu'ils écri­
vent contre moi tout ce qu'ils voudront, je suis bien sûr qu'avec
un seul trait je ferai plus de tort â leur petite existence littéraire
qu'ils ne pourront me nuire avec des pages entières de l'Encyclo­
pédie; ils le sentent eux-mêmes, et c'est parce que leur plume ne
sert pas bien leur haine qu'ils ont recours à d'autres moyens pour
se venger. A cet égard, ils auront toujours l'avantage sur moi...

Triste avantage dont nul n'abusa plus que Voltaire.

Fréron n'aimait pas Voltaire. Tout jeune encore, il avait

été le témoin peu édifié des excès du poète ' contre Desfon,
taines et contre J.-B. Rousseau, ses maîtres. Rien, depuis'

n'était venu dissiper ces fâcheuses impressions. Voltaire,
d'ailleurs, chacun le sait, n'était pas sympathique. Beau,
coup de ses contemporains étaient de l'avis de Malesherbes
écrivant à Mme Denis : « Le public serait bien prévenu en
faveur de votre oncle si tout le monde désirait autant que
moi d'estimer la personne de ceux dont on estime les ouvra­
ges». On le savait vindicatif et âpre dans ses vengeances,
menteur intrépide, pratiquant avec le même entrain et ~ou,
vent avec la même maladresse le mensonge nuisible et le
mensonge utile, souple avec les grands et dur avec ses
égaux et ses inférieurs, susceptible et vaniteux jusqu'à en
avoir, devant la contradiction, de véritables accès de jalou-

sie et de fureur, au surplus, homme d'argent et, en matière
de librairie et de finance, n'emharrassant son chemin d'au,
cun scrupule.
Ajoutez à ces traits peu attirants l'opposition des doctri­
nes et des caractères, la volonté d'indépendance du fier
Breton et les tendances accapareuses du poète, et l'on com­
prendra sans peine qu'en'tre Voltaire et Fréron aucun lien
durable ne pouvait se créer. A plusieurs reprises, cepen-

dant, le. poète essaya de capter le critique en l'attirant dans
son orbite. Fréron, ne voulant être le satellite de personne,

garda ses distances : c'en fut assez pour que Voltaire qui,
en fait d'amitié ou de haine, ne connaissait guère de nuances,
le traitât résolument en ennemi.
Fréron pourtant ne le hait pas. Surtout ne méconnaît-il
pas les beautés de ses ouvrages. Ille déclare sans hésiter le

plus grand poète de son temps; il admire la· touche colorée
de son pinceau et le pathétique de Z aïl'e et de M érope, et il
se laisse aller, sans s.'en défendre, au charme des vers har­
monieux dont l'auteur de la Henl'iade, dit-il, « sait flatter si

es orel es». - ..
. 'té contre les lIbellIstes trop
avec VlvaCI ,
la saine critique, proteste-t-il, de prononcer
de M. de Voltaire » ; et il souhaite à Clément
ses justes remarques sur l'œuvre du poète
de satire qui n'ajoute rien à leur intérêt: « Tout
s'accorde à penser qu'il ne faut pas imiter M. de
oltaire dans son goût pour les invectives ».
Lui-même prêche d'exemple dans les études qu'il consa­
cre aux ouvrages de l'écrivain et si, cédant à son penchant
pour la raillerie, ou répondant à quelque provocation, il se
permet d'égayer les lecteurs aux dépens de ses faiblesses et
de ses travers, c'est à la façon des Grecs qui, disait - il,
se donnaient la liberté de plaisanter sur les plus puissants
dieux qu'ils adoraient », et il y apporte « ce choix de
et de termes, cette modération de ton, cette cour­
toisie de polémique» qu'a fort bien remarqués Brunetière.
En 1750, Voltaire a 56 ans, Fréron en a 32. Le poète est _
à l'apogée de sa gloire. Déjà cependant, à certains indices,
le déclin s'annonce. Il a essayé de tous les genres, applaudi
sur la scène tragique, encore que Sémiramis et -Oreste aient
lamentablement échoué, heureux dans l'Histoire, amusant
dans le genre badin, discuté dans l'épopée, médiocre dans
la comédie, mauvais dans l'ode. Le moment est bon pour
porter un jugement d'ensemble sur son talent. Ecoutons le
journaliste : on croirait entendre un de nos maîtres de la
critique contemporaine:
M. de Voltaire est assurément un des plus beaux esprits de
France et le versificateur dont le coloris est le plus brillant. Il a
toutes les grâces, toute la vivacité de nos femmes aimables mais
on lui refuse absolument la beauté romaine. C'est réellem:nt un

auteur français; c'est-à-dire, qu'il appartient à la Nation et à son
siècle, au lieu que les vrais poètes sont de tous les pays et de tous
les temps. Souvent esclave du goût dominant, il a préféré l'avan­
tage d'être connu de ses contemporains à la gloire d'être admiré
de nos derniers neveux. Ce n'est pas que je prétende que ·ses écrits
ne parviennent à la postérité; mais je doute qu'elle le place au

même rang que les beaux génies du siècle dernier. Il sera lu comme
un écrivain de beaucoup d'esprit à qui il manquait les parties les
plus essentielles. L'invention et le jugement font les grands poètes.

Messieurs, ces vérités qui seraient aujourd'hui banales,
n'était leur forme, ne s'écrivaient pas impunément du vivant
de Voltaire. Fréron n'éditait encore, en ce moment, ses
Lettres sur quelques écrits de ce temps qu'avec la tolérance
verbale du lieutenant de police et sans nom d'auteur. Il ne
pouvait prétendre à aucune indulgence si son ouvrage pro­
voquait quelque plainte. Voltaire lé savait; il écrivit au
lieutenant de police, livra l'adresse de l'auteur, pour qu'on
ne prétextât pas l'anonymat de l'article pour se dispenser

d'une exécution odieuse, et fit supprimer pendant six mois
les feuilles du critique, son unique gagne-pain. Ce succès

ri'apaisa pas son désir de vengeance. Apprenant que Frédé-
ric, son royal ami, songeait à charger Fréron de sa corres-

pondance littéraire de Paris, ce qui lui aurait donné quelque
moyen d'existence, il intervint à Berlin, insista et parvint
à faire écarter la candidature du .malheureux publiciste.
A partir de ce moment, cette haine ne connaît plus le repos.
Voltaire l'emporté avec lui à Postdam, et Fréron la sent
agissante, à distance, à Paris même. Rien d'étonnant si, un
jour, la patience de la victime étant à bout, quelque répli-

que acérée vient décharger sur le persécuteur toute la ran-
cœur des mécomptes accumulés. En Mars 1752, le criti~
que recevait communication d'une lettre, datée de Berlin,

où Voltaipe annonçait à Thiriot de nouveaux projets de ven-
geaI)ce. Il ne s'agissait rien moins que de préparer l'expul-

sion du journaliste de la Capitale: « Il sera chassé, si mieux

.' d r 're taIre ce dogue ».
oaveral au moms le secret e laI .
cru reconnaître « une des meilleures pages
au XVIIIe siècle », et qui con'stituent assu­
le plus cinglant et le plus juste qui ait
un homme de lettres:
y avait parmi nous un auteur qui aimât passionnémellt la
et qui se trompât souvent sur les moyens de l'acquérir;
dans quelques-uns de ses écrits, rampant dans toutes ses
; quelquefois heureux à peindre les grandes passions,
. J toujours occupé de petites; qui sans cesse recommandât l'union et
entre les gens de lettres, et qui, ambitionnant la souverai-
neté du Parnasse, ne souffrît pas plus que le Turc quO aucun de ses
t'rires partageât son trône; dont la plume ne respirât que la can­
et la probité, et qui sans cesse tendît des pièges à la bonne
qui changeât de dogme selon les temps et selon les lieux, indé­
Londres, catholique à Paris, dévot en Austrasie (1), tolé­
en Allemagne; si, dis-je, la Patrie avait produit un écrivain
d. ce caractère, je suis persuadé quO en faveur de ses talents on
ferait grlce aux travers de son esprit et aux vices de son cœur.
La correction, pour sévère qu'elle était, restait dans les
bornes de la légitime défense. Elle n'en valut pas moins à
l'Année littéraire, sur l'intervention de Mme Denis, une nou~
velle suppression. Fréron pourtant s'était défendu : « Si
vous saviez, avait-il écrit à Malesherbes, tout le mal que
Voltaire m'a fait, tout celui qu'il a voulu me faire ... Si v· ous
le souhaitez, je vous apporterai les leUres infâmes qu'il a
écrites contre moi ... » Rien n'y fit, et le malheureux ne put
reprendre la plume qu'en Septembre, grâce à l'amitié du
Roi de Pologne, Stanislas .

'3 m ' , , 7 7 , 7

(1) En LOl'l'aine, à la com de Stanislas, Voltaire assistait à la messe.

Six années se passent pendant lesquelles une sorte de
trêve paraît s'établir entre les deux hommes. Voltaire est

aux Délices, loin de la Capitale, et Fréron, oubliant ses
. griefs, apporte à l'examen de ses œuvres une impartialité

respectueuse qu'on ~ pu trouver parfois, comme dans son
extrait de Rome sauvée, trop indulgente. Voltaire va-t:-il de
son côté déposer ses rancunes? Candide, paru en Janvier
1759, fixa le · public sur ses dispositions .. On y put lire, au
chapitre xxn

ce court dialogue, au sortir du théâtre, entre
le héros du conte et l'abbé qui lui sert de guide dans la
Capitale:
Quel est, dit Candide, ce gros cochon qui me disait tant de mal
de la pièce où j'ai tant pleuré .et des acteurs qui m'ont fait tant de
plaisir? . C'est un mal-vivant, répondit l'abbé, qui gagne sa vie
à dire du mal de toutes les pièces et de tous les livres; il hait qui­
conque réussit, comme les eunuques haïssent les jouissants; c'est

un de ces serpents de la littérature qui se nourrissent de fange et
de venin; c'est un folliculaire. Qu'appelez-vous un folliculaire?
dit Candide. ' C'est, dit l'abbé, un faiseur de feuilles, un Fréron .
C'étai-tune nouvelle déclaration de guerre: La grande
bataille allait se livrer. ' Si l'on veut voir quelle passion

Voltaire y apporta, il faut lire sa correspondance de cette

époque. Elle est plus significative encore que ses pamphlets,

son Pauvre Diable, son Ecossaise, ses Anecdotes même. Un
flot ininterrompu de sarcasmes, d'outrages, de mensonges,

de calomnies coule de sa ' plume enivrée de haine; le tout
retentit d'appels forcenés à la violence et de cris de rage,
tantôt odieux, comme lorsqu'il écrit à d'Argental en 1761 :
« Ce n'est pas assez· de rendre Fréron ridicule, l'écraser est
le plaisir », tantôt grotesques, comme lorsqu'il se réjouit

d'-entendre le même d'Argental lui promettre une suppres- ·
sion prochaine des feuilles abhorrées : « !Si mon cher ange

ttres Ul evron une
. . etez e la e ans
. Déployez vos alles, mes anges, J .

ent entraînée aux jeux de l'esprit le plus e te e

le plus caustique. Son arme souveraine, c'est son Irome.
Il la manie comme un roi de l'escrime son fleuret. Face à
son adversaire qui s'emporte, qui écume, qui recherche les
passes déloyales, il sourit, il s'amuse, il marque le ridicule
de ses poses, la maladresse de ses coups et la perversité de '
intentions. le touchant juste autant qu'il le veut, à l'en­
droit qu'il choisit, le plus souvent se contentant d'une égra­
tignure à sa vanité, mais parfois aussi, quand la déloyauté
des procédés le révolte, fouillant de sa pointe le vif des
chairs jusqu'à mettre à nu les ressorts qui le font mouvoir.
De ce duel dramatique et passionnant, l'épisode le plus
connu est celui de l'Ecossaise. En 1760, un drame médiocr~, '

attribué à l'auteur anglais Hume, et traduit, lisait-on dans
la préface, par Jérôme Carré. arrivait en ballots dans la
Capitale. Il mettait en scène, sous le nom de ,Frélon, un
personnage odieux, journaliste taré, vénal, espion, débau­
ché, et, par dessus le marché, fripon. Aucun doute pour le
public sur l'intention polémique du rôle de Prélon. Aucune'
hésitation non plus sur la personne du dramaturge, trop
reconnaissable à sa façon de prodiguer le sarcasme ordurier
ct injurieux. Cédant à ce besoin, inné che~ lui, d'attribuer à
autrui ses propres excès, Voltaire se dérobait, mais il eût
été bien faché que l'opinion, le prenant au mot, se méprît
sur la main qui se vengeait.
Connaissant son homme, Fréron retourna contre lui son

réellement e'n attribuant la pièce à son adversaire, et il
apporta à l'appui de son opinion des arguments qui firent
sourire ses lecteurs, mais ne durent pas flatter outre mesure
le père de l'Ecossaise. Il débuta, du ton le plus indifférent
du monde, par une étude attentive de la pièce, de son intri­
gue, de ses personnages, et, après avoir jugé l'œuvre à son
exacte valeur, « c'est un canevas, concluait-il, qui dans une
main habile produirait peut-être une pièce passable». Com­
ment dès lors reconnaître dans ce drame la main de Vol­
taire? « Quelle apparence, raillait le critique, qu'une aussi
médiocre production soit sortie d'une aussi bell~ plume? »

De plus, VoltaIre n'a jamais manqué l'occasion de flétrir
chez les autres le recours aux injures: n'était-ce pas le mé­
connaître que de le supposer capable d'avoir fait un drame
qui en était si rempli? « Il m'est revenu, continuait le polé­
miste, accentuant sa riposte, que quelques petits écrivail­
leurs prétendaient que c'était moi qu'on avait voulu désigner
sous le nom de Frélon. A la bonne heure, qu'ils le croient
~ ou qu'ils feignent de le croire ... mais si c'est moi que l'au-

teur de la comédie a en vue, j'en conclus que ce n'est pas
M. de Voltaire qui a fait ce drame. » Et il s'expliquait en
jetant à son agresseur ce mot sévère, volontairement équi-

voque, où l'on pouvait voir, à son gré, un rappel des nom-
breux plagiats du poète ou une allusion cuisante aux sources

troubles de son immense fortune: « M. de Voltaire aurait-il
jamais osé traiter quelqu'un de fripon? Il connaît les égards;
il sait ce qu'il se doit à lui-même et ce qu'il doit aux autres. »

La représentation eut lieu le 26 Juillet (1). Le rideau allait
se lever dans le brouhaha d'un parterre recruté avec soin et
impatient de donner la mesure de son zèle pour la cause

(1) Le nom de Frélon avait été remplacé par celui de Wasp, son
équivalent anglais. Fréron avait demandé aux comédiens de maintenir
le premier nom, et même, si cela pouvait aider au succès de la pièce, de
ne rien changer à l'orthographe du sien .

ce fut un silence: la salle
lorsque tout à coup ".
regardait passer euX spe
ravement, comme
'h . Fréron et sa emme,
à une place donneur .

· )' de l'autre par leur courage,
Ignes un .
braver ensemble toutes les haIlles cos-
déchaînées en tempête. On a dit que, .
Fréron se trouva mal et qu'il fallut l'emporter.
rreur: elle soutint jusqu'au bout la bourrasque,
mari, tous deux gardant assez de liberté d'esprit
calme pour sourire aux passages les plus ineptes et
applaudir à quelques rares scènes moins médiocres.
La. cabale l'emportait, mais elle eut le triomphe court.
out Paris s'amusa, le lendemain, aux dépens des organi­
de la scandaleuse séance, quand il lut dans l'Année
li téraire le compte rendu de la Grande Bataille, « un des
articles de journaux, a dit M. Soury, qui se puisse
notre langue ». Quelques pages débordantes d'hu-
, d'esprit et" d'ironie, d'une modération de ton et de
fOl"me irréprochable, encore que chaque membre de phrase

et presque chaque mot lançait le trait finement aiguisé qui
brille comme un dard de guêpe, telle était la réponse de
Fréron. La censure lui avait interdit l'emploi des noms pro­
pres : il trouva dans cette défense même un moyen de
ridiculiser plus sûrement ses ennemis. Il imagina, dans un
cadre de bataille, une série de dessins à la Daumier où
chacun, sans être nommé; se reconnaissait à l'évocation
d'une attitude, d'un détail physionomique, d'un tit~e d'ou­
vrage dédaigné, d'un insuccès de théâtre, ou d'une mésa­
venture connue; le même personnage ramené deux ou trois
fois sur l'écran sous des aspects toujours plus amusants et
plus mortifiants, et, pour finir, tous ensemble se donnant
rendez-vous aux Tuileries pour célébrer leur victoire au
chant d'-un Te Voltarium. .

Voltaire, malgré ses airs de triomphateur, se sentit si peu

vainqueur, qu'il crut devoir se remettre aussitôt en campa-
gne. Aidé de Thiriot, il mit sur pied ses Anecdotes sqr Fréron,
un ramas infâme de potins scandaleux, . de faits déformés,
envenimés à plaisir, ou même inventés de toutes pièces,

dont la fange s'étalait non seulement sur toute la vie du criti-
que, mais jusque sur sa femme et sur son père (1). La lâcheté
de l'auteur égala la bassesse de ses procédés. Il mit les
Anecdotes au compte de la Harpe et, plus tard, devant les
protestations de l'écrivain, rejeta toute la faute sur Thiriot,
qui était mort et qui, sûrement, lui, ne protesterait pas .

Fréron ne s'abaissa pas à réfuter la méprisable attaque,
mais Voltaire n'attendit pas longtemps son châtiment. Le
journaliste le hissa tout .simplement au pilori et l'exposa aux
regards du public sous tous les aspects ridicules ou odieux
de sa repoussante pe~sonnalité. Le seigneur de village, avide
d'honneurs, qui s'étaifacheté un titre de comte (2); l'historien
qui après avoir exalté Charles XII l'immolait à son rival
Pierre le Grand, par besoin de flatter sa « Sémiramis du
Nord », Catherine de Russie; l'auteur de hint de pamphlets
calomnieux qui s'élevait vertueusement coq,tre les libelles;
le poète enfin de la hideuse Pucelle, essuyait tour à tour ses
'railleries, ses épigrammes et ses coups d'étrivières .

A propos de la Pucelle . surtout, Fréron fut impitoyable.
Déjà, au nom du goût et de la dignité des belles-fettres, il
avait, à deux reprises, protesté contre cette œuvre écœu­
rante. Il exécuta, cette fois, le mauvais Français qui s'était

égayé à souillerl'à sa source même, le plus pur jaillissement
des qualités ' et des vertus de notre race. Voltaire, à son habi­
tude et inutilement comme toujours, ayant tenté, en se cou-

(1) Daniel Fréron était mort à la fin de 1756, 'âgé de 84 ans. Il s'était
retiré à Loc-Maria. .
(2) Comte de Tourney, titre acheté au président de Brosses,

un nom emprun, '1
. . ' ron fut d autant p us
croira-t-elle que toute la France ait pu
soule ée d'indignation, un poème dont le but est de
et de déshonorer une femme à qui nouS devons
de n être pas les esclaves de nos ennemis? Croira-t-o~
eu un Français assez lâche pour composer un ' pareIl
et qne des Françai~, encore plus égarés, ont p~ l'admirer?
que Jeanne d'Arc ait été une Sainte, ou un instrument pro­
mis en jeu par l'habileté de Dunois, rien ne peut la priver du
tribut de notre éternelle reconnaissance. Que penser donc d'un amas
de vaises plaisanteries répandues sur sa réputation, et qui
d'autre mérite que d'être souvent une grossière imitation de
l'Arioste? Je ne parle pas de la fange des ordures et des blasphèmes
contre la religion qui sont entassés dans ce poème monstrueux ...
Ainsi publiquement corrigé, Voltaire crut répondre par
u trait de génie. Le 6 Janvier 1761, il écrivait à d'Alem':
bert: « Dieu m'a fait la grâce de comprendre que quand on
veut rendre les gens ridicules et méprisables à la postérité,
il faut les nicher dans quelque ouvrage qui aille à la posté­
rité ». Il avait rimé un nouveau chant de la Pucelle, le XVIIIe,
et y avait placé Fréron, costumé en galérien, dans la forêt­
d'Orléans, sur le chemin de l'Héroïne, dont il avait fait une
façon de ribaude. « Le sujet de .Jeanne étant cher à la Nation{
ricanait-il devant le même d'Alembert, et l'auteur, inspiré
de Dieu, ayant retouché et achevé ce aint ouvrage avec
un zèle pur, il se flatte que nos derniers neveux siffleront
les Frérons ... et tous les fripons ennemis des frères. » Il se
trompait bien, et c'était lui qui se déshonorait lui-'même.
Iront chercher dans cette « polissonnerie étirée en' vingt.:..
deux chants », comme l'a appelée Lanson, les échos ordu-
riers des injures et des scurrilités voltairiennes.

Au contraire : je ne connais rien de plus symbolique et
de plus honorable que la rencontre de ces · deux victimes,
Jeanne d'Arc et Fréron, sous le ricanement impur de Vol­
taire' , lorsque je me souviens que, de tous les hommes de
lettres de son temps, notre compatriote fut le seul qui · fît

éclater publiquement son indignation devant l'affront fait à

la Sainte de la Patrie~ sauvant ainsi les Lettres contempo-
raines du reproche de complicité que le silence des uns et
les approbations des autres leur eussent, sans cette protes-

tahon, trop Justement.mente .

Interrompons-là le récit de ces batailles auxquelles s'in-

téressa tout une époque. Si noble qu'elle y soit apparue, la

physionomie de notre compatriote ne s'y révèle que ,sous un
aspect sévère. On serait t'enté de se le représenter sous des
traits un peu contractés par la continuité de l'effort, le re-

gard dur sous un front soucieux, et les lèvres serrées sur

un sourire amer et parfois méchant, tout le portrait d'un
être de volonté et de force chez qui l'esprit flurait paralysé
oU du moins asservi le sentiment .

Rien n'est moins près de la réalité. Ce lutteur indompta­
ble est tout cœur' et tout sensibilité. Ses relations, son in,.
fluence, son argent, lorsque la fortune s'est enfin décidée à
favoriser son talent, sont au service des détresses qu'il lui .
arrive de découvrir ou dont il surprend la confidence. C'est
l'homme qui, ayant connu les jours difficiles, s'applique il
les adoucir aux autres, et à eh bannir loin de lui-même le

·souv~n}r .. Généreux pour autrui, il ne se refuse à lui-même
'aucun confo'rtable. Il a maison de campagne à Montrouge '
-~t carro~se ' pour .s'y rendre. Sa table s'ouvre largement et,
éritre 1755 et 1760, qt;Land Palissot, le commensal assidu, y

. , , endaire on ne s 00'"
. h' 'as que des ennemIS.
de la secte phiiosop lque n a p
de lettres, d'artistes et de savants sont

Et qui voudra jamais souper avec Fréron?
soupait avec lui et l'on se félicitait de l'avoir comme
vive. Sa bonhomie, sa gaieté, son esprit, faisaient le
as~isonnement des repas auxquels il prenait part.
hostile, on se laissait désarmer et bientôt conquérir
le charme de sa conversation. Plusieurs de ces soupers
restés célèbres. On l'entraîna un soir, incognito, à, une
réception de la présidente d'Aligre, très prévenue contre lui{
sans le connaître. Le souper fut plein d'entrain; on parla de
réron, et le nouveau venu, avec une verve qui divertit fort
malmena le critique plus que tout autre, à la grande

instigateurs de ce petit complot. Au sortir de table,
la présidente se fit présenter ce convive si spirituel et Si
amusant. On lui nomme Fréron. « Ma foi, s'excIama-t-elle,
fussiez-vous le diable ou Fréron, j~ ne puis m'empêcher de
vous rendre justice et de vous aimer beaucoup. »
En 1762, la mort de sa femme lui fut une épreuve dont
devait se ressentir tout le reste de sa carrière (2). Déjà peu
ménager de ses deniers, il en devint prodigue. Supportant
mal la solitude, il multiplia les réceptions et les visites. Le
7 7 7 7

(1) Palissot, ~ublieux des services de Fréron, se tourna, après 1760,
du ~ôté ~e V?ltalre et, dans sa Dunciade, n'épargna pas l'injure à son
ancien blenfmteur. Cepe~dant, après la mort du critique, il rendit à sei
mœurs cet h~mmage ~U1 condamnait se~ propres excès : « Ceux qui ont
conn~ M .. F~'eron (et 1 auteur de cet artIcle a eu longtemps avec lui des
relatIons lUt.unes) sa;ent. que les od~euses couleurs sous lesquelles on a .
cru le representer n avalent pas meme de réalité aux yeux de la ven­
geance qui se permettait de les employer ».

(2) Fréron en avait eu huit enf'l11ts.

vide qui s'était fait en lui n'en était pas comblé. Trois ans
se passèrent. Il constata que ses enfants, ses affaires, son
cœur appelaient au foyer la présence d'une autre mère, d'une
ménagère et d'une compagne. Il avait 47 ans. Il chercha,
mais ce fut parmi ses souvenirs; non dans son voisinage où
tout respirait la frivolité et le luxe, mais dans les 19intains
brumeux de la Cornouaille, dont l'image sérieuse et fidèle
lui était restée familière .
C'est qu'en effet, ce Parisien, qui avait quitté la rue
Obscure à 15 ans, était demeuré profondément et passion­
nément quimpérois. Pas un de ses COrripatriotes ne venait à
Paris à son insu, et n'en partait sans avoir apprécié la cor­
diale ampleur de son hospitalité. Il avait suivi de loin tous
ses amis d'enfance et de collège; il savait leurs occupations,

leur dispersion, leurs loies et leurs chagrins. Quel Quimpé-
rois n' OCCUp€ pas une place dans ses sympathies? Le 12 J uil-

let 1766, il prend ainsi congé de son ami Kerliézec : « Mes
compliments à M. de Silguy, à messieurs du Coll~ge, aux
Jésuites, à tout Quimper noble, ouvrier, laïque, ecclésias­
tique, etc ... » En cet automne de 1765, un peu de nostalgie
reportait vers tous ces amis lointains sa pensée lasse et
douloureuse. C'est là, pl:!-rmi eux, qu'il irait . se libérer du
poids de sa solitude et" de son veuvage.
Il y avait au château seigneurial de Pont-l'Abbé, autour

de son ami Royou-Pennanrun, le frère de Kerliézec, trois

jeunes filles charmantes dont, sans doute, il avait été main-

tes fois questior entre le père et lui, dans les lettres, aujour-
d'hui perdues, qu'ils échangeaient. Fréron prit le coche en
Septembre 1765, et cinq jours après, il descendait au châ­
teau. Quand il en partit, au bout de cinq semaines, l'Antée
breton, retrempé au contact de la terre natale, emportait

avec lui le çœur de la second'e des filles de Pennanrun, la

douce Annetic (1) .
e . _ z"'" " , fo ' = , !- . ,, ' . € r " .. "" ..

(1) Anne-Françoise Royou. Annetic est le diminutif breton d'Anne

. .. 1 3 Septembre suivant, dans la
mariage se celébralt e .'

'Abb' dansa plusIeurs Jours aux
le du château. Pont- e t t

'h eur de 1 heureux
fut dans Quimper, cn onn
les professeurs du collège, M. de Bonnemal­
te., faisaient les frais. L'idylle finissait le 17 Septem-
et Annetic prenait bientôt le chemin de Paris. Hélas t .
au Calvaire, où son propre frère devait lui dresser .

crOlX.
ingulière famille que celle de ce bon Royou-Pennanrun!
ses quatre fils, l'un, Jacques -Coretltin, historien de ta­
lent, épousera, en 1773, la fille de Fréron, Louise -Philip­
pine; un second, Thomas, prêtre, prendra avec Stanislas,
la .mort du critique, la direction de l'Année littéraire; le
jeune, Claude, le futur Guermeur, devait se rendre tris­
célèbre par ses excès terroristes en compagnie du
de Fréron lui-même, Stanislas; l'aîné enfin, Guillaume,
avocat à Rennes, allait se faire, en 1770, le bourreau de sa
sœur et de son beau-frère.
Buveur incorrigible, perdu de dettes et de vices, Guil-
laume Royou faisait le désespoir de son père. Une lettre de
cachet que Fréron, à la demande de Pennanrun, avait aidé
à obtenir, l'avait forcé de se retirer en Angleterre. Il crut
qu'une intervention de Voltaire pourrait mettre un terme à
son exil. Décidé d'ailleurs à la payer d'un bon prix, et sa­
chant à quelle monnaie Voltaire était sensible, il adressa à
Ferney, le 6 Mars 1770, un mémoire atrocement accusateur
contre son beau-frère. La pauvre Annetic y était représentée
comme une malheureuse victime des brutalités de son mari
~ui l'aurait abandonnée, dès le quatrième jour de son ma­
rIage, pour courir à Brest dépenser sa dot avec des bate-
leuses. .

Fable odieuse et ridicule que dément absolument l'his~
toire connue du mariage de Pont-l'Abbé, que Guillaume
Royou d'ailleurs rétracta plus tard, en une lettre émouvante
et sincère, adressée à la veuve de l'écrivain, et dont l'invrai­
semblance frappa tellement Voltaire lui-même qu'il crut de­
voir, avant de s'engager en faveur du solliciteur, prendre
des renseignements sur son compte. « Homme de beaucoup
d'esprit, mais très mauvais sujet », lui fut-il répondu de
partout. C'en était assez pour que Voltaire se dispensât de
toute démarche. Il répondit cependant à Royou, lui expli­
quant que les informations qu'il avait prises démentaient

tout ce qu'il lui avait écrit sur le compte de Fréron et au
sujet de sa femme qu'il chérissait. Ainsi renseigné, Voltaire
allait-il jeter au feu le factum calomniateur ? Il publia le
mémoire et mit une rage diabolique à le répandre : « Quand
on a des armes pour tuer une bête puante, écrivait-il à
d'Alembert, il ne faut pas les laisser rouiller. » Il tenait, en
effet, contre son adversaire, l'armtf empoisonnée, qui tuait
d'autant plus sûrement que la délicatesse du sujet et le nom
du calomniateur rendaient presque impossible tout essai de
défense.
Le coup fut dur: l'Année littéraire, déjà mise à l'index
du groupe philosophique qui l'interdisait à ses adeptes, vit

s'écarter d'elle beaucoup de lecteurs scandalisés et mal ren-
seignés. Le lutteur pourtant n'en fut pas abattu. Il fit vail­
lamment face à la meute de ses ennemis, et la censure, à

l'arrivée de d'Aiguillon au pouvoir, lui devenant plus tolé-
rante, jamais sa plume, toujours correcte, ne fut plus rail­
leuse ni sa verve plus incisive. En des pages étincelantes
d'esprit et de malice, il voua au ridicule, l'un après l'autre,
les chefs de la cabale. A Ferney même, le . sagittaire de
l'Ecossaise et des Anecdotes attendait fiévreusement l'artivée

de ses feuilles : « Quand il en recevait une, a raconté un
témoin, et qu'il la prenait pour la parcourir~ on a remarqué

sa sentence. »
ce qw sental! e esom . . t de
. ent smIS re
dans ses bases, se serraIt autour u
qui s'était assise à son foyer au temps
épreuves. Il était trop tard. Avec Turgot,
Malesherbes, les Philosophes s'installaient au
Les prêcheurs de tolérance respirèrent : ils
pouvoir faire taire la voix redoutée du publiciste.
temps, il me semble, écrivait cyniquement d'Alem-
à Voltaire, qu'on fît justice de pareils marauds. A quoi
1._' d'avoir tant d'honnêtes gens dans le ministère si
gredins triomphaient encore? »
« honnêtes gens », sollicités quelqne temps après,
pas leurs services. Fréron, en proie à une
forte attaque de goutte, était alité à Fantaisie, sa maison de
campagne, lorsque, le 10 Mars 1776, la nouvelle lui parvint
que le privilège de l'Année littéraire était retiré et le journal
supprimé. Pris en traître, au moment où il ne pouvait oppo­
ser ses démarches aux menées de ses ennemis, Fréron en
fut atterré. Il vit sa carrière brisée, et l'avenir de sa famille,
déjà compromis par la crise de l'Année littéraire, irrémédia­
blementvoué à la détresse. Sur son ordre, sa femme partit \
pour Versailles. Elle implora, elle pleura, elle tomba aux
pieds des jeunes souverains. Elle en obtint la promesse que
l'arrêt serait rapporté. Elle vola vers Fantaisie. Quand elle

arriva, Fréron n'était plus qu'un cadavre. Sous le coup de
l'émotion, la goutte était remontée au cœur et l'avait étouffé.
Il avait 58 ans.
Voltaire et ses amis étaient enfin vainqueurs: Il ne leur

restait plus qu'à souiller la tombe où il~ avaient prématuré_
ment précipité leur victime. Ils n'y manquèrent pas, mais
leurs souillures sont de celles que le temps efface et que l'his-
tQire, tôt ou tard, venge durement. '.

Tel fut notre compatriote, Messieurs. Il ne m'appartient
pas de juger ici son œuvre critique et littéraire. On lui ren-

dra probablement complète justice quelque jour. Mais quant
à l'homme, il domine son époque, il s'y dresse comme la
vivante et fière protestation de la liberté de penser et d'é­
crire contre la plus hypocrite et la moins scrupuleuse des
formes de l'intolérance ; il est unique dans l'histoire deI;
leUres par sa fermeté d'âme et sa constance. Trente années
de luttei et d'épreuves sans une défaillance, sans un cri' de
colère, sans même une injure, ce mérite est rare, et si, quel-

que jour, on érige une statue au Courage, il conviendrait
qu'à la noblesse des traits, au port assuré de la tête, à la
sérénité du visage, on pût reconnaître le portrait gravé en
1770 par Cochin, et qu'on fût tenté de chercher sur le pié­
destal ce nom: Elie Fréron.

F. CORNOU,

Chan. hOl1. de Quimper .

Du MÊME AUTEUR :

En préparation : Trente années de luttes contre Voltaire et les

Encyclopédistes," ELIE FRERON, 1718-1776.
Un volume de 500 pages environ .

235
DEUXI E PARTIE

Table des Mémoires et Documents publiés en 1918

Élie Fréron, par F. CORNOU ................... .
[Églises et chapelles du Finistère J. Archiprêtré de
Saint~Pol-de-Léon. Doyenné de Saint-Pol (suite).
Doyenné de Landivisiau par le chanoine
Pages

1 P. PEyRON ................ . ....... '. . . . . . . . . . . 33

III Le Recrutement écclésiastique et les écoles sec on-.

daires dans le Léon après la RévO'lution, par
l'abbé G. PONDAVEN . . .... : ...... " ..... , . . . . . . 46
Notes sur les fabriques ' de toiles de Locronan au
xvm

siècle par Daniel BERNARD............ 116
Excursion archéologique dans la commune de
Guimaëc par L. Le GUENNEd (carle). . . . . . . . . . 131
VI Notice sur le fonds Prosper Hémon des archives
du Finistère par H. W AQUET. . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
VII Notes ' sur quelques bornes routières du temps
du duc d'Aiguillon par J. SAVINA.. ..... .. ..... 209
VIII Discours de fin d'année prononcé par M.
LE PRÉSIDENT.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215