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Bulletin SAF 1917


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Respect et Conservation des oeuvres du passé. Lettre ouverte à M. Le chanoine Abgrall.

Chanoine Abgrall, Charles Chaussepied

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1917 tome 44 - Pages 147 à 151

Respect et

onservation

des uvres. du as.Se.

--..,.-, --017'-/ --

1,ETTlfE our E7J..TE

. à Monsieur Je chanoine Agrall

Rrésidenf de la Société ,Archéologique du Finistère

Mon - cher Président,

Nous · a.vons tous, artistes ou archéologues, le culte
des vieilles choses, c'est notre raison d"être, comme

membres de notr; e Société, mais ici, comme ailleurs,
l'on fait abandon de s, es amours dès que son intérêt , est
en jeu, et c'est pourquoi je m, e permets ,de revenir au-

jourà'hui sur une question que j'ai eu l'honneur · de,

.poser plus d'une fois devant nos collègues.

A notre dernière réunion j'attirai votr- e attention s'ur
la disparition probable d'un des jolis petits manoir de

Kérity, . en p.enmarc'l~, ses pierres dev, a.nt être ,em-
ployées à la construction d'une usine non loin de là.

Ceci constitue deux faits bi, en distincts malS qui · con-
courent à un même résultat pour nous : la transforma-

tion malheureuse d\m des endroits les plus curieux de

notre région. _
Notr,e collègue, mon excellent · confrère Bertot a pris
dans son journal Le Finistère, la défense de ce vieux
souv, enir du passé ce qui m'a valu une belle lettre d'un

148 ' '

soldat breton du front, justement"indigné de cette dé- ,

molition. ,
Si je reviens sur ce sujet., , c'est pour essayer de l'é­
tendre d'une façon plus génér, ale car il n'y ,a pas qu'à
P, enmarc'h que le fait se produü et c'est notr, e devoir"
à nous, -de conserv, er ,ce que les siècles nous ont laissé.
En France on a le don des beallx disoours et l'on en

l.1;use parfois, l'nais par contre on agit peu; il a fallu c~ ,
spectacle de destruction et de mort donné par les Teu-

tons dans nos malheureuses provinces envahies pour
nous f.aire comprendre l'int~rêt qu'il y avait à ,garder

intacts nos vieux arts régionaux et' nos anciennes tra-
dihons, puisque l'on songe à faire renaître sur ces rui-
néS fumantes ce qui était autrefois. . '
Ce n'est pas seulement dans nos, Régions de l'Est et

du Nordque nous avons à déplôrer la disparition d'œu-
vr, es anciennes; si elle a été moins violente et moins

rapide, eHe s'est faite graduellement, en toute liberté

et connaissance de cause et sans possibilité de répara-

tion. '

. Dans 'nos vilies, a la plaoe de nos vieilles maisons on
'en édifie d'autres qui ne les valent point, ou bien on
les dénature ·en les transformant ; dans nos landes et
sur nos grèves on élève des chalets ou des villas qui

n'ont ri· en de commun avec nos anciennes habitations

et qui font de . bien vilaines taches dans nos paysages.
nepuis bientôt vingt ans combien en ai-je vu descendre

de ces vieI11es bâtisses frappées d"alîgnement par des
règlem. ents de voirie ' stupides qui ne respectent rien ou

qui, trav.esties pour se mettr'e à la mode du jour ne

sont plus reconnaissables sous leur manteau d'em-
,prunt. On couvrira d'un enduit une façade en pan de

bois' sur laquelle un peintre viendra exécuter un faux
, appar, eil ' de pierr, e, ' on défoncera 1e's' rez-de--chaussées '

, .' '149 - -

POUf 'y plaquer une devanture mod'ern- style au-dessous
.ct' une, or, donnance Renaissance et l'on , croira être dans
le progrès. Certes il n'est pas donné à tout le monde

d'avoir 'desconnaissanc.es étendues en architecture ou

eI). archéologie, mais il 111e semble qu'il serait possible
de, faire coÏnprendr, e aux personnes qui possèdent de
vieilles maisons et qui ont des projets de r:emaniement

ou de démolition, l'intérêt qu'eUes auraient à l,es üon-

server dans leur état primitif tout en les .consolidant
ouen les transformant pour les besoins du moment ~
ces malheur, euses maisons ont déjà tant subi de rema­
niements, . que si l'on continue il ne leur restera ' plus

aucun membre de leur jeunesse. . '

n y a quelques années j'avais l'honneur de m'entre- .

t, enir sur ce sujet , avec l'amiral Motté, r.eprésentant, ·
dans le Finistère, la colnmission des sites et monuments

pittoresques instituée par le Touring-· Club, et nous

étions tombés d'àccord, pour étudier les moy, ens qu'il

y aurait à prendr: e pour 'eviter ce vandalisme d'un autre
genre, qua'nd la guerre , est v, enue arrêter tous nos pro-
Jets. ' . ,

Ne devons-nous pas les reprendre et travailler à la

cônseryation de nos richesses br: etonnes. Il me semble

, que si on i~lstituait dans chaque centre important un

comité consultatif à qui l'on devrait soumettre tout pro-
jet de démolition >ou de trarisformation on éviterait , ainsi

bien des destructions ; ces comités composés d'artistes,
d'archéologues, de notabilités compétentes. offrant · tou-

te garantie d'indépendance et 'de capacité, obtiendraient .
. peu à peu la confiÇl.l1ce de leurs concitoyens qui vien:'

draient' les consulter.

, Ceux qui ont voyagé ' .en Suisse, en Belgique, ont pli
remarquer quel charme possèdent , encor,e les villes de
Gand, de Bruges, de Berne qui se sont pourtant cons.i-

---.- 150 . .
dérablem'ent agrandies. C'est que les constructeurs de
ces pays ont su allier le passé au présent, adaptant aux
nécessités modernes les p'rincipes sinon les formes des
œuvres de leurs devanciers,c' est qu'ils ont , continué
les anneaux de la chaîne des vieilles tr.aditions.

On ne crée pas un style de toute pièce , et du jour au
lendemain. 'Les styles anciens n'ont été qu'une suilB
de transformations sucüessives basées sur l'étude de ce
qui s'était fait et sur ce qui se devait faire au ri1oment.
De là sont nés surtout ües caractères régionaux qui nous
. font · distinguer l'art d'une époque dans chaque Pro-

VInüe.
Notre Br, etagne a eu son style piopr, e à tous les âges; ­ et ce n'e~t pas seulement dans ses vieux monuments
que nous le retrouvons, mais dans ses demeures les
plus humbles, au seuil de la maison de ville comme sous

le ,chaume du paysan; aux vieux manoirs comme aux

châteaux féodaux üeints de tours et de murailles, dans
l'objet d'orfèvrerie ou dans l'objet populaire, l'art au­
trefois se répandait partout. N'est-ce pas à nous de' dé- ' ,
fendre tous ces trésors, d', empêcher qu'ils ne soient

détruifs ou qu'ils ne quittent le pays. La, j,eune Société

des Amis de Kerjean pourra faire beaucoup pour nos
vieux arts du Léon, notre .Musée archéologique de ,

Quimper' ne demande qu'à 's'enrichir de ce qui ne
pourra plus servir dans nos habitations modernes ; à
nous de recueillir tous ües débris du passé.

Que de vieux saints de bois ou de pierres ont été déjà
, ~auvés par notr;e vénéré vice-président 'le chanoine Pey­
ron' dans son Paradis de l' évêché. Que chacùn de nous .
y mette un peu du sien et nous aurons bien mérité de
ceux qui viendront après nous et qui voudront étudier

nos anôensmétjers d'art régionaux. '
Au lend, emain de la guerr, e notre Bretagne sera da-

vantag.e visitee par l' étr· ang.er, nos allies y viendront eIi .
foule jouir du repos bien mérité et de la douceur de la

paix glorieuse ; tâchons qu'ils .'emportent dB leur séjour

parmi nous un bon souvenir, non seulement de ce qu'ils .
auront vu mais aussi de notre mtmtalité, ne leur lais- . .
sons pa.s le regr· et de n'avoir vu chez nous que des hor-
reurs ou des banalités. .

Je m', excuse mon cher Président de la longueur de

cette lettre, je connais vos sentiments sur tout ce qui
r· egarde nO'tre art breton et c'est pourquoi j'ai voulu

en parler un peu av· ec vous.
. Votre hien dévoué, ..

Charles CHAUSSEPIED,

Architecte des Monum, ents histor'lqu/~P.

. Monsieur,

La lecture du Finistère~ que nous recevons régulière·
ment depuis le début de la campagne presque, hOUS a au-

jourd 'hui for tement et tristement 'émus. En communauté
de sentiments avec une pléïade de bretons et Firiistériens
aimant et comprenant à fond les beautés de leur sol natal,
je me permets de vous. écrire très franchement. Vous même
avez signalé la démolition d'une gentilhommière des envi~
rons de Penmarch en faisant remarquer le danger qu'il en
résultait pour les caractères de beauté spéciale de: cette
région. Et ces vieilles pierres serviraient à la construction
d'une usine! Plusieurs autres plans d'usines devant s'éta·
blir là, seraient même en projet. (N ous vous sommes recon­
naissants ,de vous être inquité de ce sacrilège possible.
Nous, c'est un droit pour ainsi dire que nous voudrions

réclamer : depuis trois ans, nous tenons en 'ligne avec
obstination et courage, pour défendre non seulement le
nom français, la vie générale de la nation, mais surtout
pour préserver de l'atteinte ennemie nos familles, notre

. _ .. 152··
t01n de patrIe spécial, celui avec lequd on . se sent des

affinités plus que fortes, si .profondément naturelles qu'elles
sont souvent inconscientes. On aime les caractères de sa

campagne natak autant qu'on aime la physionomie de sa
mere . ;on sent. bien cela quand . on y réfléchit. Et alors J
après. la guerre, quand on reviendrait voir notre terre avec
bonheur, est-ce possible qu'on y trouve, bêtement étalées,
tachant de ·leur gris noir les couleurs vigoureuses de ces
terrains, des bâtiments l EP usines et des cheminées ! Est-ce '
que le fameux et stupide progrès mécanique (dont on voit

les résultat$ possibles) vont venir mordre et écraser ce qui
est resté beau et pur chez nous ? Est-ce que la côte de
Penmarch donnera désormais l'impression d'une succur­
sale de quelque région métallurgiste boche? Il n'est pour-

ta"ntpas nécessaire que des usines s'installent la .juste où
notre nature est la plus . belle dans sa force! ' .
. « On ferait des constructions discrètes )) diront les en-

trepreneurs, des cheminées peu hautes.. Mais le.ur fumée
noire montera quand même et. le grand vent de mer aura
beau la ' chasser, elle salira les ciels superbes de la-bas. Le

Touring-Club organise en ce moment· une belle œuvre :
attirer, amener chez nous dt;nombre,ux touristes améri·· .

cains; la première nécessité serait au .moins de ' sauve- .
garder les régions qui pourraient ~tre ainsi pour la France
entière une source de richesse, dont on aura rudement be­
.soin. Le temps nous' manque pour vous dire tout au long
les pensées que nous tenions a vous expr.imer au sujet de
cette violation déjà préparée peut-être, de ·la terre bigou­
de'nne. Tous les artistes bretons ônt certainement .les mê-

mes ardents . désir.;s, tous les vrais finistériens l qevraient
énoncer leurs vœux et surtout agir, exiger de l'action.
Nous vous prions, Monsieur, de ' faire tout yotre possi-

ble, de èorhmuniquer, si 'vous le jugez bon, notre mot à
M. Bertot ,par exemple, ,dont la plume est convaincante .

MM. Le Bail, Bouilloux-Laf.6nt, s'intéres?ent ,sûrement a
cette question. Ici, on serait très heureux qu'ils en parlent.
. Nous avons bon espoir et toute confiance en l'action de
la Société· Archéologique:

Veuillez agréer, Monsi'eur ~

. respectueuse.

notre reconnaissance, très

DU flNISTERE
Hôtel de Vitte
B.P.531
29107 QU1MPER

É PARTIE

'Table des mémoires pu.bliés en 1917 .

1. Note sur' la, stèl, e gravèe du Téven de K, e:i'IDorva;n

(commune' de' PIQùmogu,er-Finistère), ' par [A ~f.
DEVOIR} (planches) '." ......... ' .......... ... .... '~ .. '

II. Notice pa.roissial, e. : Landudec, par CONEN DE ' SAINT-
Luc (ca1'te) .. " ............. : .................... . . " .......................... ..

III. Note VI su.r une récente communkaüon de M. le

docteur Baudouin" relative à « l'existence d'une
glacia.tion néolithique dàns le c,entre d(~ la Bre-

tagne ", par [AH. DEVOIR] ......... ............. .

IV. Les ArchIves de LesauHfiou et, ~'archiv;ste JéEm-

François L.e · Cl,ech, par L. LE GUENNEC ......... .
V. Glanes archéolog,iques : Plouédern. Plo.unéven- ·
ter. -- Lanhouarneau. Ploue/ scat. Land,er-'

nea,u, paT le chanoine ABGRALL ................. ;
VI. RappOlrt' sur la. se.ssion normale des Comités régio­
naux des ar; ts appliqués à Par'is les 6, 7, 10, 11,
12 avril 1917> par Charles CHAUSSEPIED . . : .... ;
VII. Quimpe.r au XVIIIe 'siède. Notes et Docum,ents,
I. La COlnédi'eet les JeuX: à Quimper en 17~5,
par Daniel BERNARD ...................... : ... .. .
VIII . Comment étaient tra.ités les Pris.onnlerl s d, e guerre
en Bl~etagneà ,~'époque d·e la Guerr: e dl el Trente
ans, par Henri \VAQUET ..................... : ..
IX. Respe, ct et Conservation d.es œuvres du pa,ssé. Le/ t­
. tre o'live;y't,e à M. le cha'noine Abgra.ll, par Char-
l, es. CHA USSEPIED ............................... .

X. EXClus~on d'étud, e à Pont-l'Abbé le je'udi 2 août

1:l1
147
1917, p,ar le chan6ine ABGRALL .................. 15:l
XI. Une orise à l'abbaye du Relec, 1458-1462" par Henri
XII.
XIII.

"'\i\' AQUET " ................................................... ................ .o ..... .o ..
[Les Eglis.es et Chapelle1 s du diocès, e de, Quimper
(suite)] : Archiprêtré , de .lVlorlaix (suit1 e), d'oyen­ nés de Saint-Thégonec, de Sizun, de T.au~é.
Archinrêtré de SRint-Pol-de-Léon, doyenné de

Saint-Pol-d, e-Léon, paT le chanoine PEYRON.: ..
Discours de M. le PRÉSIDENT ................... .

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