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Bulletin SAF 1917


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Comment étaient traités les prisonniers de guerre en Bretagne à l’époque de la Guerre de Trente ans

Henri Waquet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1917 tome 44 - Pages 133 à 146

«.omment étaient tvaités

les

sonn e· rs 8 guerre en reta ne

à l'époque de la Guerre de Trente Ans

De nos jours, c'est l'Etat, représenté par l'autorité
" - militaire, qui garde à sa charge les prisonniérs. Il
. \ n'en ' a pas été toujours ainsi. ' Au -XVIIe siècle notam­
ment, à l'époque de la guerre de Trente Ans, le roi

les · confi· ait à des villes qui devaient les loger, les nour-
Fil" et les surveüler. Il ne faut pas que ces procédés
nous étonnent; on sait, en effet, que les' attributions

. des municipalités étaient, sous l'Ancien Régime,' sensi-
blement plus. nombreuses et variées qu'à · présent. Les

magistrats et f.onctionnaires munièipauxconüouraient '

régulièrement avec les agents du pouvoir central · à la ' .

marche de divers services auxquels ils sont devenus
depuis tout à faÏt étrangers. C'est ainsi qu'ils se trou­
vaient:emplüyés · comme auxiliaires pour la ' répartition
. et le recouvrement des impôts directs, l'exécution de la
corvée sur les grands chemins, le recrutement de la
milice, la fournitur'e des lits aux casernes, des chevaux
_ 8t voi~ures aux troupes de passage (1),
Qu'il passât et séjournât dès troupes dans une ville,

la chose certes n'étaif pas rare : il suffit pour s'en ren-
dre compte d'ouvrir le premier venu des registres de

(1) Ant. Dupuy, Etudes sur l'AdrYJ:inistration mumcipute
en Bretagne au XVIIIe siècle, p. 143.

134 --_..:

délibérations cl' une communauté. Mais' qu'il survînt des

prisonniers de guerre, cet ' embarras ne . se présentait
évidemment pas tous les jours. Il se ,présenta cepen-

dant à plusieurs reprises pour la Bretagne .(te 1636 ft
1650 · et les bourgeois durent accepter sans murmure ces

nouveaux hôtes peu ' désirables. Nous avons conservé
les traces .deceux qui furent envoyés à Quimper, Lan-

dcrneau, Saült-Poi de Léon, Auray (1) et Hennebont (2) .
D'après les documents relatifs à Quimper (3) et Lan·
d·erneàu (4), à p,artir de J 646, on pourra juger de la vie .
qui leur fut faite. L'attitude des populations a pu va·
rier suivant les villes; partout les prescriptions royales

demeura~ent à très peu près les mêmes: .
La France se trouvait alors au plus fort de la, lutte
contre l'Empire et l'Espagne. Trois ' ans auparavant,
à Rocroi, Condé avait arrêté net l'invàsion mais non

la , guérre et, tandis qU~Qni à' Tur,enne, il se couvrait de

. glo ir~ , sur les bords' du Rhin,)' armée (le Flandre, pas-

sée sous)e commandeiu, ent de Gaston, duc d'Orléans (5),

(1) Rosenzweig, InventaiTe sommaire des Archives dépar­
tementales du Morbihan, série E supplément, p. 2. Dans sa
lettte au gouverneur de Quimper. (VOir infra la pièce' jus­
tificati.ve), ~e roi fait allusion aux « autres prisonniers de

guerre qui ont esté en la dite province )) .. La ville de Nan.
tes en avait reçu, le 25 . j uin 1643, 129 pris à Rocroi. (Arch.
r,omm. de Na. ntes, BB 40), En1637; au mois. de septembre,
il y ava~t déjà des e'spagncils détenus au château de Brest
-et n ous voyons la communauté de Saint-Pol de Léon char­
ger son syndic d'aller po-rter à Brest 252 livres pour leur
entretien de d, eux mois, (Arch. communa~es de Sa'int-Pol ,

l'eg:stre des délibérations, fol. 132 et 134). '
(2), Ros.enzweig, op. cit .. p. 30. .
(3) Bibl. Nat. ms. français 22344, fol. 236,. pièce publiéü

~n,; ra .
. (4) . Arch. communales d.e Landerneau, registres de déli­
bérations 'de 1648 à 1663 .

, (5) Monsieur, frère du feu roi Louis XIII, né ~e 25 avr, il
1608, mort le 2 février 1660. Riche1i~u a paTté sur lui ce
jugement. peu ·:flatteur : « Il entra dans toutes les affaires
pa.rce qu'il n'avait pas la force de rési.ster à ceux qui l'y en­
, traînaient et il en sortit . toujours avec honte, parce qu'i~
n'avait pas le courage de le, s· soutenir )).

-135 -

contenait les Espagnols. Monsieur avait plus de préteu-

tion que de génie militaire; En 1645, les plaees de Mar-

dick et Cassel furent successiv· ement prises et perdues .

Enfin, l'année suivante, Condé, revenu d'Allem,agne,
fixa la victoire dans notre camp. Gaston d'Orléans,
conservant le commandement en chef, prit Courtrai _
au mois de juin, reprit Mardick au mois d'août (1). .

La garnison de Mardick comprenait 3.000 hommes;
C'était pour l'époque un beau coup de filet. Le gou-

vOl'llemeht de la Régente Anne d'Autriche décida que
. les prisonniers seraient répartis entre plusieurs villes

du royalune, pr,incipalem, ent en Normandie et en Bre-
tagne (2): Le 1

' s,eptembre '1646, le roi écrivait au

gouverneur de Quimper pour lui annoncer qu'il en

dirigeait 43 sur sa ville, sous la surveillance des sieurs
de Richemont, La Mure et La Brévalaye. La lettre four­
nissait en même temps toutes les indications nécessajres

sur la conduite à tenir dans cette circonstance. Les
prisonniers · devaient être installés en lieu dos d'où ils
ne pussent s'évader. Les offi, ciers promettraient par écr lt
de ne pas chercher à s'enfuir. Pour plus de sûreté, Je.

corps de ville reeevait l'ordre de désigner un üertaln
nombre d'habitants qui, armés de mousquets, s'acquit-

teraient de la garde à tour de rôle. Quant au couèhage
et à la nourriture, le ' roi faisait connaître dans les ùé­
tails sa v.olonté. Les officiers recevraient des lits avec

(1) E: Lavisse, Histoire de Ft'fance, t. VII, 1

vol., p. 11.
Gaston d'Orléans regagna ensuite la Cour .

(2) Les prisonniers faits en Catalogne étaient envoyé~
dans les vires du midi, Montpellier, Nîmes, Sommières~
Beaucaire, Le Vigan. Voir à ce sujet le· curieux 'article de
M. le chanoine Albert Durand, Les prisonniers" de gu. e'lve
_ d"au,tretois dans les Mémoires de l'Académie d, e Nîmes,
VIle série, tome XXXVII, pp. 61-68. Les documents ûtili­
sés par M. Durand sont p:us précis que les nôtres sur les
m· esures prises envers les prisonniers. Us conduisent d'ail­
leurs tous à la même conclusion.

. - ' 136 . -,--

des draps, les soldats de la paille. La valeur de la quan-

tité de nourriture à leur donner était fixée, avec le plus

grand respect de la hiérarchie, à quatre sous par jour

et par homme pour ' les soldats, c'est-à-dire environ
o fI'. 85 de notre monnaie, cinq sous pour les · caporaux,

six pour les sergents, dix pour les alfiers, quinze , pour
les lieutenants ,vingt pour les capitaines (1). A un pa­
. reil régime, personne ne pouvait mourir de faim. Les
officiers se trouvaient même en mesure de f.aire presque

bombance. Ce qu'il y a de plus remarquable peut-être,
oe sont le~ recommandations faites pour le cas ' où l'un'
de ces étrangers tomberait malade. Il devra ê'tre traité
le mieux pÛ'ssible « selon que la charité y oblige » et,
s'il vient à müurir, la munièipalité se procurera un ce1'- .

tificat de décharge signé de deux magistrats et du curé
ùe la . paroisse Û'Ù le défunt aura été , enterré. .
J] y avait un point délicat: Comment pourvoir à tant
de frais? Le trésor royal n'y pouvant suffire, douze
habitants seront chÛ'isis parmi « les principaux » pOUf
faire l'avance. Chaque prisonni.er recevra directement
l',argent de son entr, etien tous les huit jours pour la se­
maine à venir, à mÛ'ins que les douze habitants ne pré­
fèrènt passer un ~marèhé pour les fournitures avec un

entrepreneur qui se charge~a de tout. L'avance sera

remboursée avec intérêt aux prêteurs par la commu-
nauté de Quimper, sur le produit d'une imposition à
établir slJ,ivant les traditions de la provinoe, puis la
communauté elle-même se verra dédommagée intégrale-

(1) En 1646, la livre tournüis valait 1 fr. 86. (A. Blanchet .
· et A. Dieudonné, M anua de Numismatique française, t.
II, p . .350) , ce- qui donne an son la. valeur. de 0 fr. 093· . L'ar­
gent ayant alPJ:s un pouvoir d'achat supérieur d'un peu
pIns du doub~e à son pouvoir actuel. (Ibidem, p. 98; écrit
avant la gU8-rre de 1914), 1 son de' 1646 cürrespond pratj­
quement à 0 fr. 21 ou {) fr . . 22 d'à présent. On trouv,e les
mêmes sommes fixées dans la. lettre rela.tive, aux prisuü
niers de Rocroi envoyés à Nantes. (Cf. supra) .

137 ·-

rri'ent, après le départ des 'prisonniers, par les soins de
l'intsndant de lajusüce et finances (1) . .
. Les Quimpérois trouvèrent la charge très pesante.
En six mois ils dépensèrent 7000 livres (2). Aussi, sans
attendre le départ des prisonniers; résolurent-ils de se

rembourser au détriment -des pèr: es jésuites, qu'ils
avaient appelés pour établir un collège et devaient aider
pécuniairement à cet effet. Les deniers d'octroi accor­
dés par Louis XIII pour la construction des bâtiments
furent détournés de leur emploi 'lég, al et affectés à l'en­
tretien des prisonniers. Les ·bons 'religieux, frustrés et

mécontents, se plaignirent au roi qui, au mois d'avril

1651, faisant droit à leurs supplications, 'Ûlrdonna fi!la-
lement le transfèrement 'des espagnols à Locronan (3) .

Les Etats de Bretagne devaient verser au procur- eur-
. syndic de la'ville, qui à son tour la remettrait aux jésui-

tes, une somme égale à ceUe qui avait · été employée à
l'entretien des espagnols. Enfin, pour éviter le retour de
pareils inejdents, 1e roi cessa d'envoyer des prisonniers
à Quimper (4). . '
. Il n'existait à Landerneau ni jésuites ni collège. C'est
la raison sans doute pourquoi les landernéens furent

moins favorisés de la fortune que leurs voisins. Il leur

. fallut porter leur f.ardeau jusqu'au bout. Le 1

août
1..648 ils virent - arriver dans leurs murs, sous la con-

duite dé MM. Chambly,- Montalanet Mouchet, 21 sol-

dats dont 1 c.aporal « du régiment de Boniface ». Une

lettre du roi , le 18 juin précédent, les avait av- ertis de
cet envoi. Ces prisonniers se trouvaient depuis assez

. longtèmps déjà en France - et leur échange avait été pro-

Cl) Voir infra, la pièce justificative. · .
(2) Ch. Fje'fville, Histoire du. Collège de Quimp'er, p. 2K
(3) Ibidem, 'pièce j ustifi. c. ative- no 10, p. 142. Nous ne sa-
vons ce qu'ils devinrent -ensuite. .
(4·) Ibidem; no 11, p. 143.

138

posé à r bspagne. Mais « après» disait le roi « que les
principales {'onditions du traité d'échange ont été ajus-
tées avec beaucoup' de peirieet de contestation, les es­
pagnols y ont formé de nouveUes difficultés et ont rom-

pu la négociation conune s'ils tenaient quelque avan-

tage de faire souffrir ceux de notre part - quI sont en

leurs . mains, n'y ayant point de mauvais traitement
qu'ils n'exf.r, eent contre eux, si bien que nous sommes ,

(}bligés~ 'pour garder les leurs en sûreté et 'en la même
manière qu:ils font les nôtres, de renvoyer ceux que
nous avions tirés de Normandie 'et de Bretagne en pIu-
, 3ieurs villes des dites provinces pour' y t~riir prison jus~ .
[[U' à nouvel ordre » (1).

En raison de l'attitude de leur gouvernement, ües pri-

30nIÏiers devaient donc être traités avec une rigueur

exceptionnelle, mais, par un scrupule très chevaleres-
que, le roi désirait qu'on leur donnât à , cet égard des
explications, .leur « faisant entendre que ce qui nous

oblige à donner ordre de les traiter de cette sorte est
la manière du tout extraordinaire avec laquelle on a

usé · envers ceux de notre parti qui sont détenus en
Flandre ». En l'occurrence, la rigueur n'avait rien de
bien terrible, comme ,on peut le voir à, la lecture des li­
gnes où les intentioris royales s'exprimtmt av, ec précL-

'sion: « Nous vous mandons que vous vous , chargiez de
la garde 'd'iceux , et que, pour leur subsistance; vous ne
bur fournissiez que ce qui sera absolument nécessaire
pour vivre, soit en argent ou en espèce, savoir un pain'
de munition de vingt et quatre onces, cuit et rassis,
fmtre bis et blanc, que~que quantité de bière' ou cidre et
du from, age, que vous les reteniez le plus étroitement
qu'il se pourra, soit dans les prisons dé la ville ou dans

. (1) Arch. communales, de Landerneau, registre des déli­
bérations de 1648 à 1650, fol. 2 à 6. Au folio 4 ~e trouve une
liste nom:.naUve de c, es prisonniers. -

139 -

des tours s'il y en a et en d'autres lieux bien fermés
d'où ils ne se puissent évader, voul.ant que vous ne

donni· ez liberté à aucun · cl' eux, soit o.fficier ou soldat,
de sortir ni d'avüir communication avec qui que -ce soit .

de vive voix ou par é-cri t) mais seulement d'écrire en

Flandre à leurs amis ou proches des lettres ouvertes
que vous verrez avant que de les envoyer, afin qu'ils ne
puissent rien entreprendr·e, soit pour leur évas!ort ou_
autrement, que vous leur fassl: ez fournir la p.aille né­
r,essair:e pour se 'coucher et avancer- la dépense qu'il
conviendra pour leur nourriture et pour tout ce qui les

concerne par des' entrepreneurs ou par un certain nom-
bre d'habitants de la dite ville que vous nommerez, et
il sera' pourvu à leur remboursement par le moyen de ·

l'imposition que nous -entendons être faite à cette fin,

et que vous envoyez',aux lieux où ils seront mis un nom- .

bre .,d'habitants de la dit.e ville, armés comme pour

f.aire la garde aux portes d'icelle en cas ' de besoin »
rieS cas de maladie et de décès étaient prévus comme

. dans la leUre adressée au gouverneur de Quimper. Une

lettre du prés~,clent de Chalain, datée de Rennes, le 16

juillet 1648, et répétant presque textuellement la précé-

dente, co-mmandait avec insistance de ne rien négliger
pour les malades (1). ' . .
Sür la décision du corps de ville; les prisonniers fu­
rent logés d'abord dans un , cellier appartenant au sieur
de KereUec, situé sur le quai de Léon, «. joignant la
rive de la mer )), sous une maison où demeurait un
certain Pierre Boruel.. Ce dernier, trouvant un ·tel voi-
sinage fort peu de son goùt, ne tarda pas à se plain-

elfe « des incommodités qu'il dut recevoir des dits pri-
sonniers ». D' ajlleurs le cellier paraissait réellement

mal adapté à l'usage qu'on lui imposait. Il touchait de

(1) - Ibidem, fol. 7.

140 ., c

trop près à la rivière, manquait de cheminée et surtout

de certaines annexes tout à fait indispensables (1),
Hans ces conditions, dès le 5 août, on pensa un instant
. à transférer . les' espagnols au dernier étage de la pri­
sori de la ville, mais, 'devant l'opposition des geôliers,

· on finit par choisir une maison inoccupée de la rue de

Plougast.el où dix soldats et habitapts feraient la f.~c-
· tion jour ' et nuit (2) .
Cette maison de la rp.e de Plougastel passait pour '
être « plus commode qu'aucune autre ». Ce ne fut peur­
tant pas l'avis ' de toùt le monde. Il .ne fallut p,aslong-

temps aux occupants pour reconnaître l'état déplorable
de la toiture; de plus, l'eau entrait par les murailles .

De leur côté, les bourgeois désignés pour la garde ne
. remplissaient leurs obligations qu'à contre-cœur. A 11
bout de six ~eIllaines, Hs · en eurent assez; la . n)unici-
· palité dut se résigner à préposer un seul homme à · ln .

surveillance de la porte, afin .de l'ouvrir le matin et la .
fermer le soir, car les détenus, . r· ecevant leur subsis-

t.ance non · en ,espèc~, mais en argent, trouvaient là un "
excellent prétexte pour sortir et personne ne pouvait
les en empê· cher (3). Le 27 juin 1650 le syndic consta­
tait qu'au mépris des commandemepts du roi, certains
particuliers leur donhaient toute sorte de liberté, les

retiraient de leur prison, s'en servaient comme dom. es-
tiques. Le sieur Launay Coraü retenait ain$i le nommé
Alberto Gartia depuis quatorze mois à son service, de
jour et de nuit, tant en ville qu'à la campagne; pour
comble. d'audace, il réclamait un dédommag~ment pour
son entretien (4). Cet état d~ , choses ne devait pas, i.l
est vrai, déplair, e trop aux prisonniers car, dans leur '

(1) Ibidem, fo~, 7 Vn.
(2) IbIdem, fol. 9.
:3) Ih:deri1. f, ol. 11 vo,
(4) Ibiden1, fol. 41 vo,

141 _ 0 ,

maîson~ ils se regardaient comme destinés à mourir
« de pauvreté et d'indigence », victimes d'un désaccord
survenu entr, e les syndics de la ville. Le 20 juillet 1650,
leur caporal se plaignait au sénéchal de la principauté
de Léon de ce que, depuis le 1

jour du 'mois, il n'eût
pas reçu un seul denier pour lui , et ses compagnons nj
de l'un ni de l'autre des syndics; ils se voyaient doré­
navant obligés de s'évader pOUr mendier .En attendant

la solution du procès pendant entre les syndics Tanguy

, et de Lestaridec, le sieur de Kerravel fut nommé pour

. veiller aux intérêts de la ville 0 et à 0 la subsistance des

ptisonniers. Les taverniers et cabart~tiers furent som-

Illés 0 de pay.er oe qu'iJ.s devaient du dernier quartier de~
deniers d'octroi, et, 0 comme les ressources de la ville
demeuraient faibles, le ro.i lui accorda un sou de plus
par pot (1). 0
Une tentative pour , évacuer sur Morlaix les encorn-

brants espagnols avait eu lieu au mois de juin 1649,
mais, en dépit du oopsentBlnent du roi, avait échouê à

cause de l'opposition du maréchal de La Meüleraye,
gouverneur de Bretagne. Landerneau n'était pas près
, de-s-e voir soulagée. Les hahitantsapprirent au mois de

janvier 1651 la venue imminente de 43 allemands, dont
'2 lieutenant 0 et 1 enseigne, pris à la b~Ùaille de Re­
thel (2). Il fallait les faire garder aveG soin par un riom- '
bre suffisant de gens en armes, procurer des lits aux
officiers et de la paine aux soldats. Il en arriva 20 le 8
février. « Pour obéir aux ordres de Sa Majesté », la mu­
,nicipalité s'inclinaei chargea le syndic de-les installer
dans l, a prison des espagnols. Le lendemain, le sénéchal
de Léon, Hervé de' Kersulguen, présidant à l'interne-

ment de's allemands dans la maison e Ùe· la rue de PIou-

(1) Ibidem, fol. 43 VO et 44:
'(2) Remportée le 15 décembr€ 1650 par les troupes fran­
çaises sur l'archiduc Léopold. gouv€rneur des Pays-Bas
qu'assistait Turenne.

- '142

gastel où. il ne trouva plus que 18 espagnols, ordonna
de faire fournir aux nouveaux venus de la nourriture
pour un mois, en attendant l'arrêt du Parlem·ent et la

conférenüe des autres communautés « surchargées de
pareils gens de guerre» (1) .. Le syndic. s'était en effet
adressé au Parlement, üriant bien haut la détresse de la

ville et réclamant que les paroisses qui relevaient de la
juridiction de Landerneau prissent leur part des frais .
Le Parlement refusa d'intervenir. Le syndic dut se sa-

crifier) faire personnellement des avances. Enfin la

communauté prit le parti de se pourvoir dev, ant le Con-

seil du roi (12 mars 1651). Le 30 avril 1651, elle ob-

tint l'autorisation de' continuer pour l'entretien de ses

prisonniers la levée d'un sou par pot ,de vin vendu et
débité au détail; remède encOore très insuffisant. Les

. difficultés, du reste, se résolur, ent d'elles-mêm. es, peu à
peu, par 1.a disparition des prisonniers. Espagnols el '

Allemai1{lsoccupaientdevieillesmaisoIls, ruinées, mal

gardées. Se trOouvant presque toujours libres, ils prirent

la clef des champs. C"est ce que le syndic dut constater

le 25 septembre 1651. Nous pouvons penser que cette

constatation ne lui inspira pas de regret trop amer (2).
Quelqu~s prisonniers de · guerr· e, au nombre de \ 19,

pris à ROocroi, avaient été envoyés de Tréguier à Saült-
Pol de Léon au mois olle mars 1645. Il serait fasticheuÀ

d'insister sur leur sort. Les délibérations de la commll-

nauté de Saint-Pol ne nous apprennent rien d'intéres-

rant après ce que nous avons· vu à Q~jmper et Lander-
neau. Une sel,lle différence ,apparaît: ils n'avaient · pas

(1) . Registre ode 1650 à 1663, fol. 11 vo-et 12. Dès le moj~
de juillet ;645, les -habitants de Saint-Pol de Léon, qui
avaient reçu quatre moi.s auparavant 19 prisonniers, sup­
pliaient l'évêque d'écri.re au g.ouverneur de la province
pour obtenir, ·en raison ode leur pauvreté, d'être . débarrassés
de cette charge. (Arch .. communales de Saint-Pol, 1

r·egis-
tre des délibérations, fol. 222). .
(2) Ibidem, fo~. 29 VO.

143 -

l'ecu la liberté d'écrire. Elle leur fut vraisemblablement

concédée -quand on la donna à ceux de Landerneau. Au
mois de janvier 1646, .des vaisseaux dunkerquois jetè-

rent l'ancr, e dans le chenal de Penpoul et les gens de
Saint-Pol craignirent que les équipages n'eussent quel-

que intelligence avec les esp. agnols, mais il he se passa

rien de fàcheux (1) . .
Les généreux sentiments qui se manifestent dans'
tous ces documents du XVIIe siècle se -conservèrent aU
XVIIIe (2) . Ils sont dans les tr,aditions de notre pays
et nous ne les avons heureusement pas abandonnés.
Certes la surveillanc-e exercée par les bourgeois des
villes sur les prisonniers qu'on leur confiait laissait
beaucoup à désirer. De telles' pratiques étaient fort dan-

ger s , et nous n'en voudrions plus. Mais l.a vigilance
. n'exclut pas l'humanit~. Fidèles aux leçons de la vieille

France, laquelle fit assez belle figure dans le monde, ne
craignons jamais de paraître dupes en demeurant con­
vaincus que « l.a guerre ne saurait être faite trop hon-

nêtement ».Celui qui parlait ainsi était Louis XIV, un
grand roi ·qui,. si l'on , en croit ' Sainte-Beuv, e; « n'avait
que du bon sens », mais qui, c'est Sainte-Beuve lui-

mêm, e qui l'ajout· e, « ·en avait beaucoup » '. .
. Henri WAQUET .

(1) G. Pon~aven. Quelq'ues extraits des déL'ibérations de
la maison cleville de S. Paul cle Léon dans le Bulletin dio .

césain d'histoire et d'archéo-l6gie, 1915, pp. 195 et 197. Le:.,
prisonni·ers furent, au mOlS d'octobre suivant .'t:i:'ansf.érés a

. Morlaix, puis à Péronne. Mais, le 11 décembre, un c-onvoi
. de 40 soldats espagnols , conduits à Roscoff trave-rsait ~a
ville de Saint-P.oI qui, le 30 juillet 1648. reçut eee-même
encore nn s.ergent, un ca, poral et 14 soldats. (D'après des .
notes ob~igeamm'ent communiquées par M. Pondaven).
(2) Et. Dupont. Les prrisonniers de guerre anglais en
F'1"Œnce au XVIIIe siècle, Paris, 1915, in-8°, 7 pages. Etude
sur les Anglais détenus à Sa,!nt-Malo de 1. 702 à 1708. Il Y
eut également des Anglais (1200 horpmes) au' château de·
Josselin après la bataille de Saint~Cast en 1758. (Rosenz­
weig, op. cit. p. 140). .

Ieee

. Lettre missive de Louis Xl V au gouverneur de Quim­
per concernant )' envoi dans sa ville de 43 prisonniers de
guerre espagnols . J 646, J el' septembre, Fontainebleau.

Copie, BIbliothèque Nationale, manuscrit français
fol. 236. "· . . 1

A Monsieur (1), gouverneur de ma ville de Kimper-Coran-
tin et, en son, absence, à celuy qui commande en la ~te
place. .
Monsieur. Désirant pourvoir à la garde et seüreté des
prisonniers de guerre espagnols et d'autre nation faictz en
la prise de Mardik en Flandres jusques au nombre de tru is
mil par mon oncle le duc d'Orléans commandant mes "r­
IUées de Flandresen personne

j'ay résolu par l'advisde
la Royne régente, Madame ma mère, de les 'faire disu-i­
buer en plusieurs villes de mon royaume et en envoyant le
flombre de deux alfiers, trois sergents, officiers, et de
trente et. huit soldatz en ma ville de Kimper-Corentin souh7.
la conduicte des sieurs de Richemont, La Mure et La
Brévelaye.Je vous faictz cette lettre pour vous dire que vous
ayez à les y faire recevoir à logis et à les faire garder le plus
soigneusement qu'il se . pourra, les faisant mettre en des
lieux cloz et fermez d'où ilz ne puissent esvader et· obli­
geant les maire, eschevins et habitants d'icelle, conformé­
ment à ce que je leur en escriz, à envoyer to\ir . à tour ·le
nombre d'habitans armez de mousquetz qui sera néces-

saire pour la dite garde, ainsi qu'ilz feroyent pour celle
des portes de la dite ville en cas de besoin et à fournir
des lits garni de linceulz quant aux officiers et de la paille

(1) Le nom du gouverne·ur n'est pas donné. C'était alors
Charles de ~a Porte, duc de La Mei1leraye, depuis 1648.

145 _.: '

pour les soldatz pour se coucher, et, parce que je ne puis
subvenir des deniers' de mon espargne à la despense que
' ieront les dits pris'onniers, jJordonne, du mes me advis de
la Royne ma dite dame et mère, aus dits habitants de la

faire advancer par douze des principaux d'entre eux qui
'seront nommez par le corps de la dite ville ,tant 'pour ce
qu'il faudra p()ur la fourniture des litz, renouv~l1ement de

linceul en iceux et pout la paille pour ,coucher les soldatz,
que po.ur leur nourriture à raison de quatre solz pOlir chaco
que soldat, cinq solz pour caporal, six sol~ pour sergent,

dix s01z pour a1fier, cornette ou maréchal des logis, q~inze .
sols pour lieutenant et vingt solz pour capitaine, tant de
cavalerie que d'infanteri~, et ce, en tout et par chacun joUJ ,
pour la dite nouriture, et j'entendz que cet argent soi~ des­
livré manuell -::ment à chaèque prisonnier, de hUlct jours en

huict jours par ~dvance, ausquelz, en ce faisant, les habi-
tans feron't aussy fourni· r les vivres nécessaires jusques à
la concurrence ·du dit argent, si mieux les dits habitants
n 'aymentfaire marché et de la dite. fourniture de litz et de

vivres avec un entrepreneur qui se contente d'en estre payé
à la raison' susdite par les d its douze principaux habitants
qui en seront remboursez ensemble de l'intérest de ce
qu'ils advanceront par tous les habitans de la 'dite ville et
, fauxbourgs d'icelle, par le moyen de l'imposition qui sera

faitte à cette fin sur eux en la mesme , forme et manière

que se font les cottisations accoustumées pour les charges
publicques et les impositions ordinaires en la province, en
suitte dequoy, surl'estat qui serà arresté de touff e la dite

despense, ' après le départ des dits prisonniers, par l'inten-
dant ' de la justice et finances de ma , province de Bretagne,
je feray pourvoir à leur remboursement, ainsy' qu'il a esté
faict pour les ' autres prlsonniers de guerre qui ont este

en la ,dite province. Je vous recommande aussy, comme je
faictz aux habitants , de la dite ville, qu'en cas qu'aucun

des prisonniers vinst à toniber malade, vous àyez à le faire
traitter le mieux qu'il se pourra, selon que la charité y
oblige, et, s'il en arrivait faute par mort, que les dits habi
tans ayent à en retirer le certifficat en bonne forme, signé
de deux des premiers officiers de la justice de la dite ville
et du curé de la paroisse où il aura esté enterré, sans quoy
i1z n'en seront point deschargez, et vous aurez à tenir la

_ BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. TOME XLIV (M~moi re 10)

_. 1.46

main à l'·exécution des choses susdites, surtout à ce qu ' lI .
ne manque rien à ce qu'il faudra faire pour la seüreté des
dits prisonniers, en sorte qu"il n'en puisse arriver faute,
et, pour plus grande précaution, j' entendz que vous fassiez
que lès ditseschevins tirent promesse par escript de cha­
cun des officiers qui seront dans la: ville de ne se point es­
vader pour quelque cause · et soubz quelque prétexte que
ce puisse estre, que mesme vous les engagiez, s'il se peut,
à respondre les uns pour les autres, et, en ouÙe, à respon­
cire tous pour .les soldats qui seront avec eux. En me re-

. mettant à ce que les dits commissaires vous pourront dire

encore plus particulièrement de ma part de la qualité des
dits prisonniers et de l'importance de cette affaire, je ne
vous. feray la présente lettre plus longue que pour prier
Dieu qu'il yous ayt, Monsieur,. en sa sainte garde. Escrit
à Fontainebleau, le premier septembre r646 .

Signé : LOUIS .

DU flNISTERE
Hôtel de Vitte
B.P.531
29107 QU1MPER

É PARTIE

'Table des mémoires pu.bliés en 1917 .

1. Note sur' la, stèl, e gravèe du Téven de K, e:i'IDorva;n

(commune' de' PIQùmogu,er-Finistère), ' par [A ~f.
DEVOIR} (planches) '." ......... ' .......... ... .... '~ .. '

II. Notice pa.roissial, e. : Landudec, par CONEN DE ' SAINT-
Luc (ca1'te) .. " ............. : .................... . . " .......................... ..

III. Note VI su.r une récente communkaüon de M. le

docteur Baudouin" relative à « l'existence d'une
glacia.tion néolithique dàns le c,entre d(~ la Bre-

tagne ", par [AH. DEVOIR] ......... ............. .

IV. Les ArchIves de LesauHfiou et, ~'archiv;ste JéEm-

François L.e · Cl,ech, par L. LE GUENNEC ......... .
V. Glanes archéolog,iques : Plouédern. Plo.unéven- ·
ter. -- Lanhouarneau. Ploue/ scat. Land,er-'

nea,u, paT le chanoine ABGRALL ................. ;
VI. RappOlrt' sur la. se.ssion normale des Comités régio­
naux des ar; ts appliqués à Par'is les 6, 7, 10, 11,
12 avril 1917> par Charles CHAUSSEPIED . . : .... ;
VII. Quimpe.r au XVIIIe 'siède. Notes et Docum,ents,
I. La COlnédi'eet les JeuX: à Quimper en 17~5,
par Daniel BERNARD ...................... : ... .. .
VIII . Comment étaient tra.ités les Pris.onnlerl s d, e guerre
en Bl~etagneà ,~'époque d·e la Guerr: e dl el Trente
ans, par Henri \VAQUET ..................... : ..
IX. Respe, ct et Conservation d.es œuvres du pa,ssé. Le/ t­
. tre o'live;y't,e à M. le cha'noine Abgra.ll, par Char-
l, es. CHA USSEPIED ............................... .

X. EXClus~on d'étud, e à Pont-l'Abbé le je'udi 2 août

1:l1
147
1917, p,ar le chan6ine ABGRALL .................. 15:l
XI. Une orise à l'abbaye du Relec, 1458-1462" par Henri
XII.
XIII.

"'\i\' AQUET " ................................................... ................ .o ..... .o ..
[Les Eglis.es et Chapelle1 s du diocès, e de, Quimper
(suite)] : Archiprêtré , de .lVlorlaix (suit1 e), d'oyen­ nés de Saint-Thégonec, de Sizun, de T.au~é.
Archinrêtré de SRint-Pol-de-Léon, doyenné de

Saint-Pol-d, e-Léon, paT le chanoine PEYRON.: ..
Discours de M. le PRÉSIDENT ................... .

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