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Bulletin SAF 1916


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Autour du Moulin-Blanc

L. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1916 tome 43 - Pages 263 à 289

Autour du Moulin-Blanc

Les brèves notes qui suivent n'ont pas, j'en conviens
tout le premier, un grand intérêt archéologique. Elles
résument simplement l.es observations d'un mobilisé
qui, appelé par les événements à travailler dans l'UIJ
de ces établissements nationaux dont la production de

plus en plus intense assure à nos armées le matériel et

les munitions nécessaires, a employé les très rares

loisirs que lui laisse sa tâche journahère à regarder
quelque peu autour de lui, à interroger ses comp. a"
gnons de labeur, à parcourir le coin de terre bretonne
où .les hasards . de {( la grande ' guerre )) ont fixé sun
existenoe depuis plusieurs mois. Il n'a rien découvert
d'important dans cette banlieue brestoise déjà bien
des fois explorée, et d'ailleurs assez pauvre en monu­
ments du passé, mais il sait par e:({périence combien
l'antique physionomie de nos çampagnes s'est grave­ ment altérée en ces dernières années, et combien il' de­
vient .urgent, avant que l'œuvre de destructi.on soit

complète, de dresser une sorte « d'état des lieux ))
. a.ccompagné de croquis. qui conservera du moins, dans

la Bretagne tristement banalisée de l'avenir, le sou"
venir et la vision des choses disparues .

La poudrerie dù Moulin-Blanc s'élève, sur les terri"
toires de Gui.pavas et du Relecq-Kerhuon, au creux
d'une large anse peu profonde, qu'abrite des vents du
large une jolie pointe .ombragée et fleurie, toute peu­
plée de villas, embaumée de jardins. Jadis s'y dressait
un v.ieux moulin à vent blanchi pour servir d'amer aux

- 264 -
navires. Le moulin a disparu, mais le nom en est de­
meuré à l'endroit. A ga,uche s'ouvre l'estuaire de rE­
lorn, bordé par la longue côte de Plougastel que do­
mine, comme un vi, eux castel ruineux, l'oppidum gau­
lois de Roch-Nivele]), enclos de ses bastions naturels
aux fantastiques dentelures. Puis c'est la rade de
Brest, napye d'eau glauqu~ et brumeuse sous les nuées
basses qui accourent de l'Atlantique, les riv, ages bleuis­
sants du Fret et de Roscanvel, l'abrupte Pointe Espa­
gnole, le goulet, « cette porte ouverte sur l'infini, don t
le seuil, a dit Emile Souvestre, est formé par la mer et
le linteau par le cieL.. »
Dans la baie du M oulin-manc, on constate, paraît-

il, un affaissement considérable du sol. Autrefois, ht
route de Brest au passage de Plougastel, cet ancien
Treiz-Guinel où l'abbaye de Daoulas entretenait un hô­
pital au moyen-âge, coupait l'anse en diagonale; ac-

tuellement, elle se trouve submergée sur cette partie
du parcours et ne réapparaît, sous forme d' un étroit
chemin enserré entre des murs de parcs, qu'à la pointe

elle-même, en face du hameau de Kerangal.

L'enceinte de la poudrerie renferme un vieux ma-

noi r, Coatanguy, bien campé sur un éperon boisé, all
débouché d'une vallée verte et fraiche qui déverse li
la mer l'eau des marais de Kervern, en Guipavas. Ce
vieux logis possède encore une toureUe, mais son affec­
tation à l'usage de magasin lui a été funeste . On "
maçonné ses fenêtres, abaissé sa toiture, abattu ses
dépendances. Il subsiste aussi un' jardin enclos, où
les espaliers étaient singulièrement soutenus par des
rangées d'ossements plantés dans la muraille : débris
humains,assurent les. amateurs de drames; os de pour­
ceaux, rétorquent les gens prosaïques. En creusant
dans ce jardin, on a découvert deux boulets en fer,

- 265

. de 13 centimétres de diamètre. Pourtant, Coatanguy
n'a guère l'allure d'une maison forte pourvue d'artille­
rie. Peut-être · ces boulets proviennent-ils de quelque

batterie voisine établie pour couvrir l'entrée de la ri-
vière de Landerneau. .En 1674, d ' après un rôle des
terres nobles de Guipavas ùont j'ai l'original sous les
yeux, le manoir de Coatanguy appartenait au sieur de
Keraret ·Taillart.
Outre le ruisseau de COâtanguy, la poudrerie ali­
mente encore ses cuves et ses piles à l'eau de Mesgalon,
riante coulée agreste et feuillue qui dévale au rivage
. entre la pointe du Moulin-Blanc et l'établissement. La
promenade du (( Vallon » est chère aux Brestois, com- '
me en témoignent les papiers graisseux, les flacons
brisés et les déchets divers qui déshonoFent un peu se"
pentes ombreuses. Au-dessus d'un moulin restauré, le

vieux manoir de. Mesgalon se . cache à mi-versant, par-
mi les arbres. C'est un édifice d li seizième siècle assez

bien conservé, malgré quelques remaniements posté-

rieurs . Sa façade en pienes de taille, provenant de ces
carrières de granit jaune de Logonna d'où sont sortis
tant dé monuments religieux eu · civiis, est percée de
deux portes ogivales sobrement moulurées, et de . cinq
fenêtres barrées de meneaux en croix . Le portail exté-

rieur a été détruit, ainsi que le colombier. La dame de
Beaurepos était, en 1674, propriétaire du manoir de

Mesgalon. .
Une terre seigneuriale plus . importante était Ker­
meur, située à un kilomètre au Nord de la halte du
Rody, au milieu d'un plateau fertile. Une vaste mai·
son a été reconstruite des pierres de l'ancien manoir,
dont on a gardé quelques débris : grande arcade du
portail · flanquée d'une jolie porte à voussoirs gothi-

ques, écusson fruste, console sculptée, etc. Au Petit-

266 -

Kermeur subsiste un logis à porte et fenêtres ogivales.
Du manoir descendait vers. le moulin une large rabine.
Prigent du Val, seigneur de Kermeur, comparaît en
archer à deux chevaux à la montre de l'évêché de Léon

en 1534. Sa postérité se fondit dans les Lesco2t, et le

ll1ànOlr de Kermeur, avec chapeHe, était possédé en
1674 par les héritiers du sieur de Kergo Lescoët, puis
au XVIIIe siècle par la famille de Coataudon. '.
Le manoir du Rody, propriété en 1674 du sieur de
Traoumeur Lesguern, n'est plus qu'une toute inoderne

maison de campagne, ainsi que son voisin de Lanaë-
rec (la lande serpenteuse). Près de .ce dernier existait
une vieille chapelle, jadis dédi ée, par une coïncidence
curieuse, à Sainte Barbe, patronne des artilleurs et

des poudriets. De longue date, l'endroit fut donc pré-
destiné à la création d'une poudrerie. La ' notice sur

la paroisse de Guipavas, publiée dans le Bulletin de .la

Commission diocésaine, et que je ne puis citer id que
de mérnoire, relate les -circonstances dans lesquelles se
célébr,ait,au temps de Louis XV, le f( pardon » de

Sainte-Barbe, avec ' l'arrivée des bannières de Guipa-

vas et de Gouesnou, 'la procession à laquelle prenaient
part des officiers de marine venus de Brest, et le repas
servi pour l, e clergé et pour eux, qui clôturait la céré­ monie. Je n'ai pu savoir si les ouvriers du Moulin­
Blanc ont continué la tradition tant que subsista la

chapelle. Il y a une douzaine d'années, ils fêtaient

encore leur sainte protectrice de la façon suivante :
Au matin du 4 décembre, le personnel se ressemblait
dans la cour de la poudrerie, puis se formait. tn cor­
tège, musique en tête, et, précédé de la bannière de
Sainte Barbe; prenait le chemin du Relecq, pour as­
sister à une grand'messe dans l'église paroissiale du
lieu. A midi, l'on banquetait, et le soir, un bal avait

267
lieu dans le réfectoire de l'établis.sement, où l'image

de Sainte-Barbe, encadrée de lampes électriques, .trô-
nait à la place d'honneur. Tout cela a été supprimé en
1904. On vénère encore la fontaine de Sainte-Barbe,
qui a survécu à la chapelle, et on y allume des cierges
devant la slatue en pierre de sa patronne. ' .

Un peu plus haut, sur la vieille rou[.e de Gouesnou,
~e voit la croix de penanstréat. Sa longue gàule de

gra, nit , est plantée dans un dé cubique reposant s ur un
soubassement de deux marches ; à ce dé est a:dQssée,

au Nord, une table de pierr, e formant autel. Les sta-
tues posées sur les consoles latérales ont disparu ; il
ne r, este que le Christ, et, au revers, une sainte Cathe­
rine à l'abondante chevelure, appuyée sur son .épée eL

sa roue brisée. Sur. la console de gauche, ,iate de 1661;
au pied du Christ, et sur la console de droite; . cette
inscription : SIT : NOEN : DONIINI :BENEDICTON (sic)
CRUX :FÀCTA -: ORDINE: JAN: RO UAL : KATERINE. BH .

Rejoignons le rivage, et suivons, vers l'Est; la route

de Br, est au passage de Plougastel. Entre de blanches
maisons fl euries, de très nombreux cabarets, des villas
regardant le golfe parmi leurs verdures, eUe gravit la

montée . de Baradozic et côtoie bientôt les futaies du

«château du prince 'russe '»jJalais de lég, ende qui date,
assure-t-on, de l'époque où les ,rois épousaient des ber­
gères èt où dB trop grandes féEcités portaient mal­ heur .. . Une ancienne croix . pattée, haute d 'environ 2
mètres, et plantée au carrefour de Toul-ar-GaigIIou,
est seule à signaler jusque-là, mais plus loin, en quit­
tant. le chemin actuel pour suivre .à gauche le tronçon

déclassé qui va dévaler vers Camfrout, on rencontre
l'avenue du manoir de Lossulien, autœfcis la plus con- .
sidérable terre noble de Guipavas .. Les possesseurs dU
lieu jouissaient des premières prééminenües en l' église

" ·268

paroissiale, et l'un d'eux, .au retour de la croisade,

fonda, diton ,la chapelle du RelecQ pour comméllio-
rer la fin glorieuse de tous les soldats chrétiens qui

1JJ,

jJl

semèrent leurs ossements dans les déserts brùlés de
Palestine. Le seigneur de Lossuhen était l'un des qua-
tre chevaliers de l'évêché de Léon qui portaient sur

- 269 -

leurs épaules la chaise de l'évêque diocésain, lorsqu'il
faisait sa «joyeuse entrée» à Saint-Pol. L' édifice prin­
cipal du manoir est toujours debout, grande et belle
. maison du seizième siècle, à deux étages, solidement
construite en pierres de taille, et décorée d'une porte
ogivale à arcade, crossettes frisées, et fleuron , armorié.
Quelques fenêtres du rez-de-chaussée ont gardé leurs

meneaux: A côté s'élèvent une chapelle à clocheton
gothique, et, au creux du vallon, un moulin féodal
. dont le pignon , aigu, accosté d'un massif éperon, for­ me un pittoresque premier plan' au vieux manoir qui
détache sur les frondaisons des grarids châtaigniers sa
grise façade enguirlandée de " roses.
Losstilien I Jourrait avoir succédé, comme presque tous
les chefs-lieux d'importants fiefs bretons, à un vieux
château ceint de retranchements, car on voit encore, .
en bordure de l' enclos des jardins, une levée de terre
épaisse · de 5J11ètres sur 3 mètres d'élév, ation, et bordée
d'un fossé où coule un ruisseau . .

Cette terre a appartenu aux familles de Cornouaille,
.de Guengat et de Kergorlay. En 1674, le manoir, avec
colombier, était à la dame du Cludon, ainsi que les
lieux nobles voisins de Kerscau, de Kervaziou, de I{er­ dein cuff, des Sall es et de Camfrout. Au XVIIIe siècle,
ce domaine fut acquis par le riche armateur lander­ néen Fleury, dont la fille héritière épousa le marquis
"de Kerouartz. Aujourd'hui, Lossulien est possédé par
Mme FréviUe .

Un raidillon caillouteux et raviné nous mène à Cam-

frout, hameau blotti dans une petite anse où vient tom-
ber un rninüecours d'eau. Toutes ses maisons ont fait
peau neuve , sauf un vétuste logis à porte gothique du
quinzième siècle. Sur la rive opposée s'érigent les fa­ meux « R be' hier Plougastel », et leurs bizarres silhouettes .

- 270
. émergeant des taillis évoquent la légende, si joliment ~~
narrée par du Cleuziou dans son Pays cle Léon, du dia-.
ble jonglant avec les rü:ehers au-dessus de la rivièno
pour châtjer les Plou· gastelliz au cœur dur. Le passage
est là, à l'extrémité de l'. anse, mais de l'hôpital qu'y

entretenaient jadis les moines de Daoulas à l'intention
. des voyag· eurs et aussi des pèlerins qui arrivaient de
Cornouaille par le Faou, Daoulas et Loperhet pour
visiter les sanctuaires de Gouesnou, de N.-D. du Reun
et du Fûlgoat, il ne subsiste. plus pierre sur pierre. On
voit encore,. au carrefour du chemin clu Relecq, le socle
d'une croix enfoncé dans un talus et surmonté d'un
débris de croisillon où se d:evine la forme du Christ.
Plus près de la cale du passage, il y a une autre très
vieille croix pattée, haute de 1 m. 35, ~vec des bras en
saillie de 0 111. 20 sur une épaisseur égale.
A quelque cinq O8nts mètres en amont, l'anse de
Kerhuon ouvre parmi les bois et les labours sa filtrée
de belle eau brillante, qui reflète dans son calme fniroir
le ciel changeant , les masses étagées du feuillage et les
blanches m aisons de K · erhor1'e . Devant la pyrotechnie
de Saint-Nicolas, murs jaunes et toits rOug·es sur une
palue b3.sse, la vieille Melpomène dort au murmure du
fl ot qu i vient clapoter contre sa coque sonore: La cha~

pelle de Saint-N ;colas, abandonnée et vide, cache non
loin , dan s un bouquet d'arbres moussus , sa façade :i ..
baies gothiques et son chevet ajouré d'une fenêtre clônt\

le tympan a des lobes à redents du xv· siècle. Au revers '
de la croix du placître, un saint Nicolas mutilé tient ft

. deux mains, contre sa poitrine, le'saloir légendaire d'où
émergent les trois petits enfants .
Gagnons le ·bourg du Relecq, dominé par une église
moderne qui n'est pas sans prétentions arQhitecturales,
et dont on peut au moim: louer les dimensions. Elle a

2'71
remplacé d'aiUeurs un édifice du XVIIIe siècle dé·
pourvu de , caractère. Nous n'avons à y not~r que deux
objets anciens ; ' à l'intéri, eur, la statue vénérée de
Notre-Dame du Relecq, Vierge-Mère de l'époque
Louis XIV entourée d'ex-voto attestant que son inter­
c-ession demeure toujours efficace, et devant laquelle
brùlent des cierges,offrand~s pour des êtres chers en
péril... ; à l'extérieur, une croix de granit datée de
1621. Aux pieds du Christ, accompagné de la Sainte
Vierge et de saint Jean, un écusson porte les tr(Y[s
mains appaumées des Guengat, seigneurs de Lossulien.
Sur le socle est sculpté un calice, avec les quatre let­
tres M. S. B. P.

Le Relecq se trouve sur une très ancienne voie abou­
tissant au Passage, et qu 'on peut suivre, dans la direc­
tion du Nord, jusqu'au bourg de Guipavas. A la sortIe
mêil1e du Relecq, au carrefour de cette voie et d'un
autre chemin allant vers Gouesnou, il y a un lec'h sur- .
monté d' Ull-e petite croix et mesurant , y compris ladite

croix, environ 3 mètres. Son plan est octogonal, mais
à faces très irrégulières . Après une montée d'un kilo­
mètre, en fû:üe d' une ca~rière abandonnée, on rencon­
tre un second le0'h planté sur un tertre rond formé de
grosses pierres, duquel la vue s'étend . très ample sur
la région. Ce lech est aussi octogonal, ' à quatre grands

p.ans séparés par quatre autres plus . petits, le tout ir·
régulier. Il mesure 2 m. 05 de hauteur; à son sommet
est percé un trou, dans lequel devait êtl\e sreellée la
base d'une croix disparue.

A 200 mètres plus loin, notre vieille voie coupe' un

chemin 'creux tout aussi antique, qui n'est rien :moins
que la voie romaine de Modaix à Brest, jalonnée de­
puis Landerneau par B-euzit-C6nogan~ les ruines de

Joyeuse-Garde, le Cloître, où M. du Châtellier signale

_ 0:j. J!._

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272

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( { on.Ju~ul' 0 "!'6S )

- 273-
des tuiles et des poteries, et enfin, au prés· ent carre­
four, par la ferme de Kerromen, groupe de bâtisses
neuves et de masures croulantes, au nom significatif.
L'inventaire de M. du Châtellier ne mentionne pas le

lech voisin, ni un autre lech que nous allons rencon-
trer tout près, mais .en fBvanche il localise à Kerromen
une trouvaille de petits bronzes du Ille siècle et un
tumulus qui, fouillé en 1873, donna dés ossements et
des épées déposées au Musée de Brest. J'ai ramassé

deux ou trois fragments de tuiles parmi les call1'OUX
ôtés des champs , et jetés sur le chemin pour l'em­
pierrer . Le tumulus existe encore, dans un champ de
hlé, à 400 mètres à l'Ouest du carrefour, au Nord de la
voie de Brest. On dit qu'un souterrain relie Kerromen
au hameau de Feunteun-Aon, situé à 3 kilomètres au
Sud, , au bad de la mer.

Le dernier lech (le troisième sur un parc,:mI's d'à
peine 15QO ntètres) est planté à même le sol, tout au
bord de la voie. Il offre neuf pans inégaux ; sur le plus
large, aspecté à l'Est, se· détache en relief une sort€
de hampe qui pourrait être un angon ou une épée.
Une croix l'a surmonté dont il reste encore un Christ
très fruste gisant à côté.
J'ai suivi l'ancienne voie au-delà de Kerromen, jus­
qu'à une c ;roix barbare, au Christ tout vêtu d'un lichen
broussailleux, qui, dressée au· sommet d'une forte des­ cent, e,domine deux jolis vallons agrestes, En face, sur
la , colline, le gros bourg de Guipavas s'étale avec son
lourd beffroi paroissial: et la flèche gothique de Notre­
Dame du Reun. Pressé par l'heure, j'ai dû me conten­
ter de suivre 'de l'œil le vieux chemin d: ans sa dégringo­
lade et son ascension, et regagner le Relecq avec le

regret de ne pouvoir accomplir en entier O8tte première

- 274 - ,
étape. Où allait-il après Guipavas ? Vers Lesneven,
vers Tolente la mystérieuse ? ..
A Guipavas, l'église a été rebâtie vers 1850 . avec les
' magnifiques matériaux de l'ancien édifice, incendié et
ruiné sous la Révolution, et dont on n'a conservé que
le porche Nord, de ,l' école des beaux pOl'ches lander­ néens antérieurs à la Ligue. Une souple guirlande cl€
vigne taillée et ajourée dans le kersariton, encadre la
baie d'entrée et son linteau en anse de panier, au mi­
l i eu duquel resplendit un soleil ailé et hilare. Ce soleil
se retrouve sur llla:nls monuments de la région, et l'on
prétend qu'il constitua jadis le blason particulier de la

principauté de Landerneau jusqu'à ce qu'un duc .de
Rohan, pal' déférence pour Louis XIV, le Roi-Soleil, lui
eCü substitué une lune bientôt fameuse. Au tympan,
la corniche pürtait Ull groupe de la Nativité, dont il n'a
survécu que les plus humbles comparses, l'âne et l e
bœuf. D es anges musiciens ou thuriféraires planent.
clans l, es voussures de l'arcade, et sur les sodes des sta­
lues des douze Apôtres rangées dans le porche, sous
{] 'élégants clais gotl1iques, se lisent les noms des braves
paysans du seizième siècle qui en furent les .
donateurs. H. TOULLEC offrit saint Pierre; Y. Bl­
Z!AN, saint André; A. THOMAS BrzIAN, saint Th o­
mas ; C. KERTANN, saint Barthélemy; '" AN :
E SC OP, F. G. KERO UANTON ; B. DIVERSÈS ; F. G. AN
nous, d'aùtres Apôtres: Saint Jean fut donné par un
prêtre qui l'a signé d'un calice et de ses initiales, J. K.
Pour offrir la dixième statue se cotisèrent J. H. ISAc et
F. SEGALLEN. La onzième est marquée d'un nom d'une

ledture difficile, LANOALV (?), et l'inscription de la
dernière est fruste . .
Les retables à colonnes des deux autels latéraux som
du XVIIIe s.i ècle , ainsi que les statues de saint Jean et

- 275

de saint Michel qui décorent .celui de droite. Près de ce
dernier, il y a un Ange Gardien, taillé en force, proba­
bl· ement par quelque sculpteur du port de Brest plus
accoutumé à ciseler des Neptunes athlétiques et des
Amphitrites mafflues que de séraphiques esprits. Du
même , atelier .doil sortir aussi une sainte Marguerite
vigoureusement charpentée, qui foule aux pieds un dra­
gon minuscule, à la gueule bâillant de piteus· e façon.
Le retable de gauche encadre au tableau de la Sainte
Famille, et trois autres toiles du XVIIIe siècle, aux tons

verdâtres et fumeux, mais seri1blant de bonne facture,
s'étalent sùr les murailles. L'une figure une belle Vierge­
Mère flottant , entre terre et ciel, sur le croissant ; la
seconde le, s Pèlerins d~Emmaüs, m'a-t-il semblé. Je n'ai
pu reconnaître le sujet de la troisième. Remarqué aussi,
près d'une porte latérale, un bén iti· er chargé d'un écus­
son carré offrant un sau(oir cantonné de quatre anne­ lets, et flanqu é de deux instruments étrangement plé­
béiens, une pelte et une pioche.

La vas.te chapelle de Notre-Dame du Reun s'élève au
Nord du bourg, derrière le chemp de foire et sa haie de
lristes arbres ébranchés. Bâtie au XVIe siècle, elle por-

te sur son pignon Ouest un clocher flanqué de deux tou-
relles polygonales. De la plate-forme, entourée d'une
galerie golhique en encorbellement, se dégage un bef­
froi en kersanton presque noir, formé d'abord d'une
double chambre de cloches appuyée par des ar, cebou­
tants sur des pinacles d'angle à amortissements bosse­
lés, puis d'une chambre supérieure sommée d'une flè:
che asez courre . La façél!de Sud, la plus ornée, pré-

sente cinq fenêtr, es à deux panneaux et tympan tl'eflé,
dont la dernière est surmontée d'un gâble à crossettes,

et deux portes, l'une ogivale, l'autre de la RenaissaiJ.Ce.
Une large maîtresse vitte à meneaux flamboyants, ac-

276 -

costée de deux baies plus petites, est pratiquée dans le
pignon du , chevet, ga.rni de crochets sur ses rampants.
L'intérieur a nef et bas-côtés, et les quatre piliers
les plus voisins du chœur sont munis à leur base de
bancs circulaires en pierre. Dans les murs latéraux se
vo:ent pratiqués six enfeus gothiques, mais leurs armoi-
. ries .ont été martelées, et les iconoclastes n'-ont épargné
que le calice sculpté sur l'un d'eux pour indiquer la

sépulture d'un prêtre. La statue de Notre-Dame du

Reun est une bene Vierge-Mère du XVIIe siècle ; plus
anciennes paraissent .celles de saillt Gouesnou et de
saint Primel. Quant à l'image de sainte Jeanne de

Chantal, c'est un saint Jean auquel un adroit barbouil-
Jew a tait changer de sexe et d'habit, tout comme la

sainte Madeleine qui l'accompagnait jadis sur le tret
du .chœur, aux pieds du Christ, s'est vue transformer
en sainte Catherine de Sienne. Un ancien tableau de
celte même sainte, d'une jolie expression, existe dans
J ·e coUa téral Nord, , ainsi que les débris d'une croix dont
tous les personnages sont taillés dans un même bloc de

granit ; on y distingue le Christ, une Pitié, un saint

Evêque et un saint Abbé .

La route nationale nous ramène vers Brest sans nou~
offrir, l'espace de trois kilomètres, rien qui soit . digne
d'intérêt. A gauche, sur la hauteur, les hameaux de
Questel (les châteaux) et de Torallan (la tour de la
Lanile) signalent-ils un de ces groupements d'ouvrages
fortifiés qui, selon une théorie chère au regretté
M. Jourdan de la Passardière, jalonnaient les voies mi­
litaires des Gallo-Romains? En tout cas, la voie de Mor­
laix à Brest devait passer un peu plus au Sud pour se
confondre avec le chemin . actuel dans les parages du
manoir de Froutven. Ge manoir, dont nous apercevons
l.a fa,çade blanche à travers les fe'uillages d'lin jardin,

_ . 271-

au milieu de dépendances délabrées, ne paraît pas, ete
prime abord, antérieur au XVIIIe siècle. Il faut. s'ap­ procher pour reconnaître que ses fenêtres ont des mou­
lures gothiques, et y. pénétrer pour y trouver une jolie
porte ogivale à colonnettes. La chapelle domestique,
ja,dis dédiée à sàint Isidore, tourne vers la grand'route
son clocheton à coupole et sa f.enêtre à meneaux prati­
quée presque au ras du sol. Un pavé y conduisait du
manoir, permettant d'y aœéder en hiver sans s'enli­
ser dans le chemin devenu un marécage. En face, il y 3.
le socle octogonal d'une croix démolie, où reste planté
un tron~on de fût. Dans le jardin, d'un agréable aspect
d'autrefois avec ses charmilles et ses ronds-points, on
montre un vieux bust, e de terre cuite déterré il y a quel­
ques années ; c~est, semble-t-il, le portrait d'un géné­
r, al ou d'un officier supérieur du Premier Empire ou
de la Restauration, en épaulettes, catogan et haute
cravate.

Froutven appartenait au XVIe siècle aux Rivoalen
de Mesléan. Jérôme Rivoalen, sieur de Froutven, fait
prisonnier par Sourdéac sous la Ligue, dut emprunter
de 1'argent, pour payer sa rançon, à Louis Barbier . .
sieur de Kerjean, son oncle . L'obligation existe aux ar­
, chives de Lesquiffiou. En 1674, le manoir de Froutven,

avec colombier et chapelle, était à Me~sire François
de Rollon ét dame Claude de Gouzillon, sieur et dame

de Grandmalson. On le trouve ensuite aux mains des

Le Chossec de Froutven, puis des Coataudon par
alliance . J'ignore ses possesseurs après la Révolution.
La famille de Coataudon, que je viens de nommer,
avait son berceau tout voisin de Froutven, un peu en
amont dans la même vallée. Coataudon est indiqué
comme château sur d'assez récentes cartes du minis,
tère de la guerre. Cependant, il doit être détruit dépuis

BULLETIN DE L~ SOCIéTÉ ARCHÉO . - TOME XLIII (Mémoire 19)

11 11 1 '

- 279 _ .

bien des al1l}ées, et seul, le portail de la cour a échapliù
aux démolissp.urs . . Ce portail est du reste curieux, et
offre un bon type d'entrée de manoir breton du sei­ zième siècle. Il est à portes cavalière ~t piétonne déco- .
rées d'arcatures saillantes et d'écussons martelés ;
celui qui surmonte le portillon est timbré d'un heaume.
-A ga uche est pratiquée une arbalétrière en forme de
croix, munie intérieurement d'une logette de guetteur
av, ec banc de pierre et petits regards latéraux. Au­
dessus, deux corbelets encore existants supportaient
un campanile qui contenait une cloche. De cette façon,
le gardien posté dans sa niche pouvait observer les
alentours et donner l'alarme à la première alerte. Une
petite .ln aison adjacente au portail . et datant de 1 1
même époque, offre, à l'angle de son pignon, la staL.le
d' une personnage étendu sur I· e ventre, la main !jf,unhe
posée sur la poitrine. Elle a été déterrée à l'emplace­
ment du manoir, dont il ne subsiste plus que quelques
pans de ùlLlrS-en l1lauvais moëllons, se r~liant aux dô­
tures de l'ancien jardin. Une autre meurtrière est pra­
tiquée à l'angle Sud de l'enceinte, , et une large rabine
. aujourd'hui transformée en champ, joignait l'habita­
tion à la chapell e détruite de Saint Adrien . Au fond du

vallon, un étang pavé, aux extrémités arrondies, achève
de s'· enliser sous les herbes 'aquatiques, à l' ombre d'un
bouquet d'arbres qui demeure l'ultime reste des futai es
. se i.gneuriales abattues. En 1674-, le mano;r de. Coatall-

don, avec chapelle et colombier, .et les manoirs de Ke-
rarnou et Kervern, apparteriaient à Messir, e Henry oe
Coataudon, chevalier, seigneur dudit lieu, prêtre.
Le vieil et noble estoc des Coataudon. issu des
barons de Pont-l'Abbé, n'est pas complètement
. éteint ; sa dernière branche, celle de Kerdu, est repré­
sentée à la poudrerie par M. Gabriel de ~oataudon,

- 280 _.-

homme sympathique, aux allures cordiales, ' à la belle

prestance, ei1 qui revivent toutes les traditions.je
loyauté et d'honneur de ses puissants ancêtres .
Un archéologue ne peut guère s'av. ancer jUSQ11'à
Coataudon, sans se sentir attiré par les ruines du châ­
teau de Mesléan, à trois kilomètres au Nord, en la com­ murie de Gouesnou. Pourtant la route est exécrable,
j'en appelle au témoignage de M. le chanoine Abgrall,
qui l', a suivie avec moi. Mais on se distrait chemin fai­
sant par des réminiscences du BaTZaz-Breiz, de l'élé-

giaque Azénor la Pâle et son ( ( doux clerc de Mesléan »,
. et par \me visite au manoir de Cosribin, froide habita­
tion du XVIIIe siècle au bout d'une non moins froide
rabine. L' avenue de Mesléan débouche sur une an­
cienne voie qui semble être un embranchement vers
le Conquet de la grande artère de Morlaixà Lesneven et
Tolente ; elle s'en séparait dans les parages de Saint-
. Vougay, passait à Saint-Derrien, Plounéventer, Ploué­
dern, à' la chapelle de Saint-Eloi, à Pen-ar-forest e1l
Saint-Divy, à Penfr'at et Saint-Udon en Guipav,as, puis,

par Keraudren. et !{eruscun, gagnait Lambézellec et
Brest.
Une large allée raboteuse, jadis pavée, et v, euve natu­
rellement de sa quadrupl~ rangée d'arbres, mène donc
de cette , antique route aux restes du château de Mes­
léan, dont la situation, dans un bas-fond humide, cou­
vert et dépourvu de tout horizon, n'apparaît pas etes
mieux choisies. On débouche sur un placître ombragé,
devant la façade en granit jaune, dorée par le soleil,
du vieux castel détruit. A Mesléan comme à Coatai.!­ don, il n'a survécu que le portail, mais celui-ci est

bien plus monumental, et offr, e l'aspect d'une entrée
de plac~ de guerre . Ses deux baies inégales, garnies
de pieds-droits moulurés et d'archivoltes en anse de

281 ._-

panier, s'ouvrent dans une robuste courtine en pierres
de grand appareil. Au-dessus de la principale un écus-

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- 282

son encadré du collier de l'Ordre offre un mi-parti
d'un chevron âccompagné de trois quintefeuilles, qui
est Rivoalen de l\'lesléan et de deux fasc es , qui est 13ar- '
bier de Kerjean. Des deux côtés, le rempart se ter­
mine par une tour trapue, ·et une rangée de mâClu\: ,)li-
' lis à triple ressaut, soutenant une galerie de déf.ens '; ,

règne sur toute sa longueur, ,
Les deux portes sont pratiquées dans l'épaisseur
d'un bâtiment à deux étages, ruiné en partie, On aper­
çoit, au-dessus de la plus grande une belle cheminée
à moulures goth:ques fineme:nt ciselées ; la plus petite
donnait dans un corps de garde muni , de bancs en
. pierre et contigu à la tour de droite. Le rez~de-chaus­
sée de chaque tour , constitue· une sorte de . casemate
triangulairé, percée sur ses trois ' faces de meurtrières
rondes s'évasant au dehors en baies carré· es. Au-des­
sus, des arcades biaises très ingénieusement agencées . .

supportent l'escalier, au premier palier duquel s'ou- .

vre encore une petite logette de guetteur, avec meur-
trière, banc de pierre et crédence pour une lampe ou
des aliments. On monte jusqu'au palier supérieur,
abrité sous un plafond dallé que soutiént une colon­
nette, et on circule dans le chemin de r!)nde, où des
embrasures et: une meurtrière cruciforme permettaient
de surveiller l'. accès du château . Des corridors dissi­
mulés dans l'épaisseur des murs mettaient le sommet
des tours en communication avec le reste de l'édifice.
En pénétrant dans la cour, on peut examiner l'ar­
rière-façade, avec sa grande arcade, d'une portée de
5 m. 20, correspondant aux deux portes extérieures,
ses portes et fenêtres gothjques, l'ouverture d'un four
en pierre. Du château proprement dit,il ne subsiste qu e
des débris noyés sous une épaisse végétation, où l'on

ne démêle aucune trace du plan ancien. Il y a, vers l?-

283

gauche, des restes de dQuves bordant de vieilles mu-
railles. Les p.aysans qui occupent la f· erme actuelle se
fournissent de pierres dans ces ruines, et ont, assez
récemment, abattu les derniers restes de la chapelle. Il .
est à croire que Mesléan, abandonné au XVIIe siècle,

après l'extinction de ses possesseurs primitifs, les Ri-
voalen, dans la maison de Penmarch, a dù être exploité,
comme le furent d'autres châteaux du Bas-Léon, Tré­
lllazan, Carman, etc., pour pl'ocurer des matériaux
a ux 'constructions de Brest. .
La cbaussée du moulin seigneurial, démoli aussi,

nous , conduit sur la route voisine, vieille voie venan t
devers Guipavas et courant, soit sur Saint-Henan, soit
sur l'Aber-nclut et la côte . Au proc]lain carrefour cl
. gauche, devant le manoir de Bourgneuf, habitation du
XVIIIe siècle parée d'un caelre somptueux de verdure,

s'élève un lec'11 quadrangulaire avec , cannelure aux an-

gles ; sa hauteur est de 2 m. 15, non compris celle dt;

Ja croix qui le domine. A 1500 mètres plus au Nord,
au-delà de ],a route de Guipavas à Gouesnou, le manoir
du Bois, contemporain de celui du Bourgneuf, mais
d'une plus pittoresque vétusté, nous offre l'ombrage
de ses beaux vieux arbr, es jusqu'au carrefour de P· en­
hoat, l'une des étapes de « la Troménie » qui s'accom­
plit chaque anné, e en l'honneur du sain t patron de la
paroisse. Il y a là les ruines d'un calvaire gothique,
dont la 11amp. e, portée sur un socle à banc de pierre

tout disjoint, a vu tomber la.croix à personnages qu'ellt
porlait. Quelques débris des personnages gisent sur tes
marches, un Christ, une Pitié, un saint François d' As­
sise montrant ses stigrnat.es. Le large « chemin vert »
qui s'allonge vers l'Est, à travers les g8.rennes dé olée~
·:!e Lanrus, est un nouvel embranchement de la vieille
voie signalée tout à l'heure près MBsléan. Celle-ci 1118-

284 -

nait, semble-l-il, à saint Renan et au Conquet.
La route de Plabennec, bientôt rejointe, nous per-

Illet d'atteindre, , en le contournant, le bourg de GoU{~s.-
nou . Admirons, sans la décrire, sa belle église déjà
bien des fois étudiée, par notre président (Livre d' 0/') .
par MM. Delorme et Toscer, et reIevons seulement uu
détail amusant sur l'un des panneaux de la porte sc ulp­
tée du porche. L'oreille du pauvre Malchus est demeu­
rée c.ollée au glaive de saint Pierre que tient l'un de.:;

anges porteurs des Instruments de la Passion. Vis;wns
la fontaine, le plus remarquable type de 00 'genre de
construction en Bretagne, et remarquons, près du cirne~
tière, des mouvements de terrain formant terrasses de
jardins, qui pourraient avoir servi d'assiette à cette
bœstille de Lan-Goueznou devant laquelle se sont sou­ vent tenues les montres de la noblesse léonaise. Le
vieux manoir du Vieuxbourg, jadis aux Le Pape, n'a
rien qui puisse attirer l'attention, mais la grande place
de Gouesnou, malgré. la perte de son hôtel des Trois­
Piliers, garde encor, e une physionomie honnête et digne
de bourgade d'autrefois. Plusieurs logis ont des bouti-

ques à baies cintrées, aveç saillie formant étal, et l'OII
voit, aux portes de presque tous, le montoir de.:;, cava­
liers ainsi que l'auge de pierre où se désaltér, aient leurs
bêtes, attachées par la bride à l'anneau de f.er encore

scellé dans la muraille. A l'angle de la route de Brest,
une grosse pierr, e creusée d'une sorte de canal 8St-

elle ce quartier de rocher au moyen duquel se morti-
fiait saint Gouesnou, en y laissant son bras s'engourdir
durant plusieurs heures par jour?
En retournant vers Brest par la route de Pontané­ zen, on trouve la vieille petite chapelle de Notœ-Dame
de Bon-Voyage, dépendant du manoir de Kergroas .
C'est un édifice solidement bâti en pierres de taille, et

-- 285 --
surmonté d 'un mince et long clocheton quelque peu
clisportionné. Dans le pignon ouest est percée une jolie
porte R enaissance, avec une élég, ante clef feuillagée
portant la date de 1599, I Juis, , au-dessus est un éCUSS Oll
aux armes presque frusies des Gouzillon . une fas ce
accompagnée de trois merlettes, dans un cartouclle
déchiqueté . Plus haut s'ouvre un œil-de-bœuf. Deux
autres baies ovalés ajourent la façade sud et le chevet.
A l'intérieur, vide . et délabré, se voit une seule statue
de Vi-erge-Mère. Près. d'eUe, sur le crépi du mur, un
soLdat territorial de Beauvais cantonné en 1915 à
Gouesnou a tracé un-e longue inscription au crayon

qu'il faut lire avec respect, car une âme de croyant, .
de patriote et d'exilé y exprime noblement ses fiertés,

ses tristesses et ses espérances. Le manoir de Kergroas

ùoit être ancien, mais une enceinte de murailles l'en-
serre si . étroiten1ent, selon les usages de la banlieue
. brestoise, qu'on peut à p.eine entrevoir la toiture élevée
d' un pavillon: Messire François de Gouzillon, seigneur
de Kergroas, était en 1636 capitaine de la paroisse de
Güuesnou. En 1674, cette terre appartenait par alliance

aux Pinart de Cadoallan.

Terminons notre trop long vagabondage en suivant
la route de Saint-Marc, qui nous ramènera vers la pOD-

drerie. Du büurg de Saint-Marc même, rien à dire, sauf
pour louer la nef de l'église, d'une très jolie justesse
de propor tions . Un peu plus bas, avant la des, c-ente du
~'rüulin-Blanc, on laisse à gauche une vieille grande
ferme, Kerisbihan, qui paraît avoir été un manoir. Au­
dessus de la porte, simplement moulurée dans la note
Louis XIII, se voit l'emplacement vide d'un écusson
. arraché, puis quatre corbelets destinés à soutenir un
large auvent. Les fenêtr-es sont inégales et hautes, en-

cadrées de bandeaux ; l'une d'.elles a un meneau trans-

286

CloC!ur ,,~ 14-
cha,!'''

_. 287 --

versaI et une autre est en œil-de-bœuf. Malgré son ap­ parence rustiqüe et solide de petite gentilhommière,
Kerisbillan n'es t pas cité COlllme terre 1 ;oble ! ).ar les lllal'-
'guilliers de LambézeUec, en 1674 .

Après avoir franchi les deux voies ferrées de Brest- .
ville et du port de commerce, nous traverserons le ha­
meau de Kerangal pour atteindre le village du Vieux-

Saint-Marc, . auquel se terminera notre rapid: e explora.­
tion. Dans la cour de la ferme Kernéis, où il y a. une

maison du seizième siècle à portes rondes et fenêtres

à meneaux,

gît un monolithe renversé qui m'a semblé
être un lech . De forme tronconique il mesure 0 m. 66
'. de longueur sur un diamètre de 0 m. 49 à la base et de
o m. 45 au sommet. Les fermiers ont toujours vu là
celte pierre et ne s'en soucient guère, mais en revanche

ils tirent vanité d'un beau lit-clos aux panneaux char-
gésde motifs, fleurons et arabesques assez corrects.

L'auteur, un - ancêtre direct, l'a signé en termes archaï-
ques. F (ini ) LE : 5 DU : MOI: AOUST ' : LANNÉE 1796.

A Kerangal p, asse l'ancienne route de Brest, devenue
là chemin vicina~. Sur le placître du hameau, une mai­
son rebâtie a gardé une porté gothique' en anse de ' pa­ nier, et dans une cour voisine gît un fragment d'arcade
à triple gorge, accostée d'une volute formant console
renversée, qui doit provenir du portail de quelque ma­
!loir. Plus à l'ouest, une haute et vieille construction
est singulièrement adossée à un , énorme pignon pres­ que aveugle, tourné vers la mer en . manière d'écran .
Avec son portail rébarbatif et ses clôtures élevées, ce
logis réalise bien le type de ces « campagnes» brestQi:­
ses du XVIIIe siècle conçues en « style fortifi.cation »,
et dont les créateurs s'emmuraient farouchement chez

288 .-
eux. Pareille précaution n'est d'ailleurs pas toujours
inutile, même aujourd'hui... .
La route actuelle du port de commerce, tôt rejointe,
nous fait longer le manoir de Kerjœn, grande habita­
tion bâtie peut-être sous Loui s XV, mais assurément
transformée depuis. Il s'y trouve une chapelle, à l'ex- ·
trémité de l'aile gauche, et la procession des Rogations
y desoendait de Saint-Mar, c. Une soeur du grand Du­ pleix, mariée à Ploujean, près Morlaix, à écuyer Jac~
ques Desnos, commissaire de la marine au port de '
Brest, habita K erj ean ; elle fut mère d'un maréchal de

camp, gouverneur de Pondichéry sous son illustte Olt·
cle o Le général de Trentinian a vécu à Kerjean en ces
dernières années .

Nous sommes au vieux Saint-Marc, Sant-Mare-am­ Trévinez , com)lle on le nommait jadis, quand oe n'était

qu 'une trève de Lambézellec. Le chef-lieu communal
s'est installé sur le plateau, au bord de la route de

Brest au Faou, et le vieux bourg, demeuré dans son
ravin, comprimé entre la grève et la colline, ne se com-

pose plus que de quelques restaurants ou guinguettes

hantés par les promeneurs du dimanche. La chapelle,
blottie derrière les remblais du chemin de fer , dans un
enclos herbeux, conserve une bonne vieille apparence

bretonne, quoique refaite, dit-on, sous la Restaura-
tion. Elle est bâtie en taille de Logonna et dessine une
croix latine, avec une sacristie appuyée au chevet. Le

clocher, sommé d'une petite flèche, porte des pina-
Cles bosselés aux angles de son étage supérieur ; le se­ cond a -deux bai· es inégales, aux moulures gothiques. La
porte au-dessous est décorée. de claveaux saillants ù
triglyphes ; les deux portes latérales, en kersanton,

sont modernes et d'un got.hique un peu trmcbad)our et
romantique. Un boulet de fer, lancé, assure la tradi-

tion, par les Espagnols, surmonte l'une · d'elles . Une
fenêtre en ogive, à tympan formant mouchette, 'ajoure
le pignon du chevet. A l'intérieur, on voit la statue de
Notre-Dame de Bon-Port, celles de Saint Marc et de
Saint Ignace; accompagnés de leurs lions et un Saint
yv, es, ces trois dernières anciennes. Dans le mur de
. gauche est encastré un bénitier gothique, orné d'un
ange trèschévelu, tenant à deux mains sur sa poitrine
un écusson non blasonné. En f, ace est suspendu un

vieux tableau sur toile, figurant la scène du Crucifie-
ment ; sa composition, traitée nerveusement d'une fa­ çon mouvementée et vivante, bit l' éloge du pèjntre qui
l'a conçue, mais son œuvre, au coloris éteint et fumeux,
gagnera it à être mise en valeur par un nettoyage et une
exposition meilleUre. Le. fût octogonal d'une croix brisée
gît dans le gazon, près de la barrière d'entrée, et une
autre petite croix de pierre très simple se dresse der-
r: ère la chapelle, sur un socle carré. .
Louis LE GUENNEC .

363

DEUXIEME PARTIE

Table des mémoiTes pub liés en 1916
1 Argud Absrwrac' h, Le Combat de l'Aberwracî1,
, çomposé par M. l'aBbé Goulven Morvan, tra­
duit par :\1. le chanoine Abgrall . ... ,....... 3,

2 Inscl"ptions gravées et sCLllptées sur les églis·es .

~ et (tlonuments, recueillies par M. !e chanoine
Abg rall ........ . .... .. .. .. ... . . .. ............. .
3 :\1ottes :éodales, par :\1. l'abbé Méve' et M, Yves
Le F'eb\'re .......... . ... . ... .. ... . .. . . . . .. ... .

4 · Le vra i texte de l'histoire rniracu'euse de N.D.
du Folgoët, par M. Lécureux .. . . . .. .. ... , . ... ,
5 Le P·rieuré de Lochrist-an-Izelvet, . par M. Ogés ..
6 L'hymne alphabétique et l·es vies de saint Gué­
nolé et de saint Idunet,' dans le cartu:ai·re . de
. Landévenn ec, par le P. de Bruyne .. , .. .. .. . .
7 Petite- chrenique· de l\1onsi,eur sainct Tugen, par
M. Le Carguet. . . .. . . ... ,. . ... . . . . . . 184, 213,
8 Notes sur l'établissement du Télégraphe Chappe,
par Daniel Bernard ............... , . , . ... . . , .
,9 Lettres d'un Tambour de la 1

Répub'ique r. e­ cueillie et publiées pal' M, Marzin... .. . 249,

10 Autour du Moulin-Blanc, 'avec planch'es, par
M. Le Gtiennec .. . ..... ......... .. . . .. . .... .. .
11 Que'qu,es bornes routières, du temps du duc
d'Aiguillon, paT M. le chan oine Abgrall . .. .. ,.
12 Ex· cufsiQn archéologique aux r uines romaines du
Pérenno u, par : -"'1. le chanoine Abgra' J .

13 Guilers, notic. e paroissiale, par M. le comte Co-
nen de Saint-Luc .......... . .. : . . .. . . ... . .... . .

14 Discours de fin d'année, par M. le Président. . ....

Pages

111

201
261