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Bulletin SAF 1916


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Petite chronique de Monsieur sainct Tugen

M. Le Carguet

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1916 tome 43 - Pages 184 à 200

PETITE eHRONIQUE

Monsieur Sainct Tugen
PHEMIÈRE PAtTIE

ORIGINE IRLANDAISE DU SAINT

En '1873, à la session de Quimper, l'Association bre­ L onne avait inscrit , à son programme cette question:
- Quelles sont, parmi les piëuses pratiques gardées
par les populations bretonnes, celles qui se ratta chent
à l'histoire soit civile, soit ecclésiastique ? .
Etudier, à ce point de vue, celles de porter, comme
préservativ es de la rage, les clés dites de St Ugen,
(sic) )) (1).
Cette ques lion vînl à l'ordre du jour du 19 Sep-

tembre. Les conclusions présentées par le président,
M. de Blois, disent que l'on ne sait rien de précis sur
la vie de St. Ugen, si ce n'est: .

---- Qu ' il devaiL être l'abbé de qu elque monastère
o(J u pays .

2° Que les clés (le St Ugen se sont introduites à
['irnitafon de celles de St Hubert.
Pour un saint si vénéré, titul.aire de l'une des plus
grandioses . chapelles de la Bretagne, et dont le culte
est si répandu, c'était peu .

(1) Association bretonne 1873. - Comptes-rendus, p. 65.

185

La lég(mde des clés (1.) est plus expljcite:
Recueillie, au jour le jour, au miheu de toute la
population du Cap-Sizun, elle affirme:
. 1° Que St. Ugen est venu d'Angleterre;

2° Que sa sœur et lui. habitaient le même monas-
tère (2). .
La légende indiquait ainsi une voie à de nouvelles
recherches.

La plupart des légendes ont, pour point de. lépan"
des faits réels, aux quels l'imagination populaire s'est
plu ù donner la forme poétique . Cette forme, à travers
les temps, après maintes amplifications, transforma­
tions, ou adaptations, est souvent devenue fabuleuse.
Mais, toujours, les légendes, qu'il ne faut pas con­
fondre avec les .contes, ont un fond dE' \T~rlté histori­
que, qu'il est, parfois, possible de dégager. Les légen-
. des des ' saillts Bretons-Insulaires ont, principalement,
ce caractère ;et c'est, sous une forme dorée, qu'elle

nous ont transmis l'histoire du passé .
Deux faits ressortent cl.airement de la légende des
clés de St Tpgen :
1 ° l'origine bretonne-insulair, e du saint, venu de
fJro-soz . ,
2,° l'époque à laquelle il vivait.
A propos du mot Bro-soz, noüs signalons ce fait sur

lequel M. cle la Villemarqué (3) a bien voulu attirer

(1) Bulletin de la Société Archéologique, 1891.
. (2) M. de Montalembert. Les Moines d'occident. T. V.
V. 262. .
(3) Nous donnons un respectueux souvenir à la mémoire
de M. de la Villemarqué, dont l'accueil était toujours si
affable .

' . :l86 ~

notre attention: « Sous ce nom, les légendes n'in­
« diquent pas seulement l 'Angleterre, mais toutes tes

« îles de la Grande Bretagne, y compris et surtout 1'11'-
« lande, le pays des Saints. » .
Cette autre circonstance, révélée par la légende, de
7- « l'habitation de St Tugen et de sa sœur dans un ,

« même monastère,» , est, aussi, très caractéristi-,'

que. Elle rappelle les doubles monastères qui aPPél-
furent, en Irlande, dès les premiers temps de l.a con­
version, et contre lesquels St Patrice, l'Apôtre de l' Ir­
lande, fut obligé de prendre de sages précautions pour
prév, en ir les désordres et les scandales.
M. de Montalembert (1) mentionne les précautlOn::-

prisei, à cet effet, par saint Patrice... Monachu-s et
ViTgO ... nec in uno Ct/TTU, ri villâ in vi-llam, discU1'~
rant. . . ,
De même, la légende de saint Tugen fait connaître le
procédé employé par notre saint, pour voyager, avec

sa sœur, au dehors de leur monastère cO~lfnun, sans
enfreindre les prescriptions de ce canon ,du deuxième
concile attribué à saint P, atrice.,
La légende, commentée chronologiquement, ferait
aussi, de saint Tugen, le contemporain, peut-êtr, e même
le disciple de saint Patri ce . Saint Tugen serait alors un
abbé régio-nnaire, (comme Rumonus abbas, d'Audierne,
assimilé à saint Ronan, Goazec ou Goad, e, c, de Poulgoa- '

zee, Kiéran , Primel, etc., envoyé, par le fondateur
de la famille monastique d'Occident, pour évangéliser
le continent armoricain.
Telle devait être l'opinion de M. de laVillemarqu e,
lorsqu' en 1891, il nous affirmait que, dans toute l'ha­ giographie bretonne insulaire, la légende de saint Pa-

(1) Les Moin es d'occident. - T. IV, p. 754 ; T. V., p, 314.

187 -

trice, seule, mentionnait un l}ersonnage, Eugen, ou Eu-
genius, dont le nom rappelait celui de notre saint.
. Gette opinion se trouve justifiée par la topographie
de l'ancienne trève de saint Tugen, où les noms de .
lieux indiquent un centre d'émigration, d'origine Hi-

bernoise, aussi bien que par les légendes, qui ont un
rapport sensible avee la « légenrle Celtique )J
III

Cependant la légende cl' Eugen (1), de M. de la Ville­
marqué,ù' a aucune analogie avec celle de saint Tugen.
Rien d'étonnant à cela ! La légende celtique se passe en '
irlande et a trait à la · conversion d'Eugen . Gelle de
notre saint se rapporte, au contraire, à sa vi-é monas­
tique, à sa mission apostplique sur le conlinent. Mais
les environs de la .chapelle de saillt Tugen rappellent
les noms et -les fa its de plusieurs personnages de la
« légende celtique » . Ge sont là, très probablement, des
souvenirs apportés par l'émigration.
1 0 C'est, d'abord, la vieille chapelle de St-Ochou,
rrinsi mentionnée dans une déclaration du 24 octc~Jre
1592. Avec le C' h aspiré, qui est · conforme à la pronon- .
ciation actuelle, Oc'hou (OhOll), ce nom serait un qua­
lificatif · et signifierait le Saint cles pourceaux, le por­ cher. Or, saint Patrice, vers l'âge de dix-sept ans, de­
venu l'esclave de lVIilhu, petit chef de l'Ulster. r e(,l' .lt

pour emploi la garde des - pourceaux et ne fut plus con-
- nu que sous un sobriquet celtique qui signifie Por­ cher (2). Con1lue saint Tugen, saint Patrice est invo-
qué contre la rage. _

(1) La Légende celtiqu e, p. 45.
. (2) La Légende celtiqQe p. 10.

188 -
Cette chapelle, dispa rue depuis trois siècles, était

autrefois importante : les nombreuses terres qui por-
tent encore le nom de saint Oc'hou en sont la pn~uve.
Ses dl!pendances (section C. du Cadastre), au levant de
la chapelle. récente de saint Théodoray, et aux issue:;
du village de Kervrant, formaient un vaste triangle en-

touré de vieux chemins.

C'est encore Liors-Ilis, en Kervéoc, à 1 kil o-
mètre au nord de S, ai nt-Tug'en. La tradition y place

une chapelle sous le vocable de Sainte-Hélène.
La consonnance .de ce mot ne rappelle-t-elle pas les
noms de Fethléna, la rose, et A .:tlméa,la blanche, les
deux filles du roi Loegaïr, ' rencontrées, par saint P, a­
trice, près de la fontaine Iüebah,aux bords du Sha­ non (1). L. es deux sœurs adressèrent la parole au saint:
- « Qui es-tu et d'où viens-tu? Qui est ton Dieu ? »,
, etc .

Entre Kervéoc et Gorréguer, se trouve Feunteun-
Goad, près de laquelle, aussi, apparaissent d EUX de­ moiselles blanches Cl ni iriterrogent les passants: .
« Etes-vous malades? Trempez, 'dans cette eau, vos
membres souffrants,. et vous serez .guéI'i ::i ! »
. Dans la légende .celtique, au contraire de la légende
bretonne, ce fut le p, assant, saint Patrice, qui guérit
les deux sœurs, par l'eau du baptême. .

Puis le moL Artil, commun dans le Cap-Sizun

(an Arfil, parc an Arfil), et qui a le sens d' incantation, .
de divination (2). C'est presque lè nom et lesens de l'Ir-

. (1) La légende celtique , p. 64.
(2) Omen M "fiL est augurij species quœ, ex homine et
ej us operation e, regulariter sumitur, et prœsertim ex voci­
bus f.ortuito et prœter intentionem prolatis.. . ad futuros
casus et eventus prœdivinandos. (Torreblanca , de Ma-

189 ~
l.a.ndais i\1akfil. Un brigand fameux de l'Ulster s'hono-

rait 'de porter oe nom, parce qu'il signifiait fils des bar-
des, fils des devins. Ge personnage, oonverti par 'saint
Patrice, devjnt plus tard évêque, et l'église d'Irlande
l'honore aujourd'hui sous le nom de saint Makfil (1).
4, 0 Nous citerons encore Kermohou, dont le nom

rappelle celui de Moc'hoemog, donné par saint Patrice,
à un j'eune berger d'une beauté merveilleuse (2).

Plus tard, un ,disciple de Moc'hoemog, se rappelant
les anciennes superstitions de l'Irlande, s'en servit
pour composer des chants chrétiens, avec les mêmes
formules et sur le même rythme que les chants païens :
Tel le poëme de la, Ceinture monastique qui est une imi­
lation de la Ceinture magique des Finn (3).
Un · conte de Kermohou , donnerait le thème païen de
ce dernier chant.
Vo~·ci, d'abord ,un résumé du charit chrétien, c om­
posé par le -discjple de Moc'hoemog :
- « La èeinture des Finn m'entoure ; eUe m'entoure
« d'un triple tour . Qu'ils ne me t€lltent point, ces
« biens qui circonviennent dans le monde !
c c Elle est en osi, er, ma ceinture ; contre... la
(c grâce séduisante des femmes, , elle me protège com-

cc me un cordon d'épines.
.. cc Ma ceinture est en plumes d', aigle ; elle me pro-
cc met un siège au ciel, au dessus... des fascinations
c c des femmes. ' '

- cc Ma ceinture,c'est un serpent ; un serpent qui
(c m'entoure d, e peur que les hommes ne me blessent et
cc que les femmes ne me perdent... »
(1) La légend. e celtique p. 58.

(2) La légende celtique, p. 52.

(3) La légende celtique, p. 107.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ AnCHÉO . - TOME XLIII (Mémoire' 13)

190 -
Voici, maintenant, le conte de Prat-Rermohou :
Un jour, un jeune homme se promenait au bord de
la mare de Prat-Kermohou. Tout à coup, devant lui, .
s'éleva, . au milieu de la mare; avec un 1ruit de pièc.es
d'or, ime barrique, à fleur d'eau. Sur la barrique était
enroulée une · couleuvre qui parla ainsi, de la voix douce

d'une jeune fille :
- « Laisse-mOoi faire trOois tours autOour de ton cOorps
« nu et t'embrasser, sans que tu dises mot, et le tré­
« sOor, dont je suis la gardienne, sera à toi. »
Le jeune homme séduit par une voix si dOouce, et ten­ té par l'Ooffre du tr'ésor, accepte et se met nu.
Aussitôt la cOouleuvre se détend, saute à l'eau, nage

et va s'enrouler autour de la jambe droite du jeune
homme.
Au premier tour, elle frôlait à peine la peau, et suu
contact étaü doux comme celui de la plume. Mais à

mesur8 qu'elle montait, la , couleuvre resserrait ses an-
neaux, et la barrique s'élevait , de plus en plus, au­
dessus de l'eau, en s'approchant de la rive.
A u second tour, eUe faisait. autour des reins, tille
ceinture rude et piquante comme un cordon de ronces .

Au troisième tour, la couleuvre encerclait la poitrine
qu'elle serrait, comme par pn car'can de fer.
Le jeune homme, voyant la barrique au-dessus de
" eau et près de la riv, e, hâletait et ne disait mot. Mais il'

ouvrait, grande, la bOouche, pour respirer.
Alors, la couleuvre, .déployant le haut de son corps,
lève la tête eL darde sa langue foure.Me, vers la bou- .
che du j eune homme, pour l'embr.asser. .
Celui-ci, de dégoût, lâche un cri: .

- Pas dans ma bouche, du moins ! »
Aussitôt la couleuvre desserre ses anneaux, saute

1.91. - '
dans la mare, et, disparaissant av, ec la barrique, s'é-

- CrIe :
. « Ah ! si tu n'avais rien (lit, tu m'aurais délivrée

« du sorcier qui me tient enchantée, et le trésor t'au~
« rait appartenu. Trouverai-je encore, à la prochaine
« centième année, un autre jeune homme, plus vaillant .
« que toi ? »
A chaque centenaire, tous les trésors cachés viennent

s'étaller au sol, ei1. Au d.ernier centenaire (1900) des uns
ont rôdé autour de la mare de Pr, at-I{ermohou, dans
l'espoir de voir la . cou leuvre , et gagner le trésor. Au
fon~ du cœur de beaucoup de Capistes, existe encore
aujottrd' hui un germe de croyance aux antiques supers­ titions.
Avant la Révolution, Kermohou appartenait à l.a fa-

brique de Saint-Tugen.

Cetl-e or·iging hibernoise de la trève de saint Tugen,

que la légende - et la topographie laissent supposer , se
trouve - confirmée par deux documents écrits.
L'un est de M. ·de Montalembert, et est général à

toutes les émigrations irlandaises.
L'autre se rattache à la liturgi, e même de la chapelle.
Dans son ouvrage, les « Moines d'Occident », M. de
Montalembert a.ssure que tout vocable ancien de sainte
Brigitte est une indication certaine d'une émignation
hibernoise établie au même lieu .

Or, aux abords de la trève de saint Tugen, se trouve
la chapelle de Sa.inte-Brigitte, de Lannuguentel (1.) .
Actuellement oette - chapelle est dédiée à Saintè-Bri­
gitte de Suède . . Mais le vocable primitif- appartenait à _
Ste Brigitf.e d'Irlande .

(1) Les chapelles du Cap-Sizun. (Bulletin S. Arch. 1899) .

- '- 192

Le changement de voc.able a été fait au milieu
duXVIIa siècle, lors du transfert de la chapelle de La- .
nuign, en Beuzec, à Lannuguentel d'Esquibien.
Ce méfait de lèse-histoire bretonne insulaire a été
commis par Vénérable et -ctiscrette personne Messire Jan
Le Bis, recteur d'Esquibi en, l'an 1651. En cela, il n'a
f, ait qu'obéir à la mode de son temps, qui tendait à rem­ placer par des saints de canonisation romaine, les
vieux saints dotés de la seule · canonisation populaire.
Il ne faut pas trop lui en vouloir, car, avant d'avoir
détrôné Sainte-Brigitte d'Irlande, il restaurait, en 1648,
la fontaine de saint Ono, du Trez-Goazrin, et assurait
la conservation de l'édicule qui I.a. surmontait, vestige
du plus ancien monument breton insulaire de la région .

Le second écr it concerne des lettres patentes, datées,
sur parchemin , du 18" février 1530, signées par le Roy
et soeUées du grand sceau .
D'après ces lettres-patentes, le pardon principal de

saint Tugen avait lieu le 1

février, jour de la fête du
saint. Ce pardon, d'après les anciens comptes de la
fabrique, s'intitulait le pardon de saind Tugen et Bri­
gitte. Cette association des deux personnes,. dans la
liturgie tréviale, donne une forte présomption d' u. ne

orlgme commune .

Ce pardon coïncidait avec la foire de Pont-Croix, qui
se tenait l, e même jour. Cette foire était très suivie, car
ell e fai sait le cours du blé pour l'échéance des rentes
eL fermages de la Chandeleur. Tous les labour, eurs de
terre de la régi'Û'n, tous les seigneurs domaniaux s'y
rendai, ent, au heu d', ass.isler aux offices du pardon de
saint Tugen et d'apporter leurs offrandes à la chapelle.
La foire, d'après 'l'expression populair· e, faisait du
tort à Saint-Tugen .

La fabrique, émue de üette situation, port.a plainte ;

193
et le Roy François 1

, par ses lettres-patentes,. donna
commission aux juges de Quimper-Corentin de faire
remettre la foire de Pont-Croix « pour estre tenue
« à ung auhre jour du dict moys, obstant la veille de
« la feste de la Chaùdeleur et p.ardon principal de
« Sainct Tugan (sic). ))

L'origine hibernoise de toute la partie sud-est du
Cap-Sizun, où est située' la trève de saint Tugen, est
encore confirmée par les vocables et . les découv, ertes

archéologiques.
Pendant que la partie nord du Cap-Sizun rappelle
. consLamment le souvenir de Gradlon et de Guénolé, la
partie sud-est possède les noms de Brigitte et de Sé­
nan (1), avec ceux de plusieurs évêques et abbés région­
naires, disciples de saint Patrice, cités par l'abbé Tres­
vaux . Elle contient , aussi deux vocables de saintes, par-

ticularité qui n'existe pas dans la partie nord, soumise
à l'influence de l'abbaye de Landévennec.

Sur cette part ie du Cap, donnant sur la baie. d'Au-
dierne, plusieurs centres d'émigration se distinguent.
Ils sont indiqués par de gros galets ovoïdes, qui mar­
quaient les limites territoriales de chaque îlot de popu­
lahon. Ces galets, souv, ent du volume d'une demi-tonne,
se rencontrent souv· ent dans les clôtures des champs .
Chaque territoire, limité pa.r ces galets, contient ces
trois élén1:ents d'origine bretonne-insulaire :

Le Lez (aula), cour seigneuriale du chef s~uverain ;
. Le Ker (oastrum), camp.fortifié du chef militaire;
Le Lann, t, erre . d'églis€ et résidence du chef religieux.

(1) Les ~Ioines d'o ccident. - T. V., p. 517 .

194 -'
Aux mots Lez, [(er et Lann, sont touj ours accolés
des noms de personnages.
La tradition, formelle et explicite reconnaît aussi,
dans les PeT(Jen, Pergenno'u, des, emplacements de mai­
sons avec leurs courtils. « Ce sont des biens libres,
« de temps anciens, qui n'ont jamais payé ni dixmè,
« ni taille, ni impôt. » . Autrefois sans propriétaires,
on trouve les Pergennou groupées, comme des villages,'
au milieu des terres labourées. Leurs dimensions sont

de quelques mètres carrés, à un et deux ares . La plu-
part contiennent des poteries onctueuses qui sont spé­
ciales , a LlX .occupations bretonnes-insulaires de la ré-

glOn .

Ainsi, la lopographie, les légendes, les vocables et
l'archéologie concordent pour donner,à la, trève de
saint Tugen, une origine hibernoise. Bien mieux: toute
la eontréebordant la baie d'Audierne, depuis le Goayen

jusqu'à l'anse du Loch, et limitée au nord par le ruis-
seau qui sépare cette parhe du versant nord du .cap, a
été, à part les deux occupations de Landrévette et de

Roz ar Voarlès, également peuplée rar de:; i~migra-

tions de souche irlandaise. .

L'émigration principale de cette région sud du Cap­ Sizun, et probablement la plus anôenne, a dû prendre
terre dans l'anse du Cab· estan. A cette époque, en face de
la mer, se trouvait une plaine de près de trois cents jour-

naux de terre fertile, exposée au soleil oouchant et por-

tant des traces d', ancieîines cultures. Un mamelon ro-

cheux, isolé, circonscrit par deux ruisseaux, coulant à sa
base, le Stiry au sud et le Dourray au nord (ce dernier
aujour:d'hui ensablé), dominait la pl.aine d'une hauteur

de 32 mètres. Au sommet de ce mamelon, les murs

- 195 -

d'une villa gallo--roma,ine, les ruines . de nombreuses
habitations, et, à côté, des pierres levées, des buttes,
l'estes d'occupations plus anciennes, attiraient les re-
gards. . .
C'était là une situation exceptionnelle pour un
caJUp de défense et pour le fundus cherché. ·
Aussi, l'émigration, sous l'autorité de son chef mili­
taire, prenant la place d'une ancienne et autrefois fi'o­
l'issante station gallo-romaine, installa son Plou, sur ie
sommet du Kannaëc même, et s'étendi. t, peu après sur
toute la plaine, aujourd'hui Palue de Trez-Goazrin,
Goarem, ou Goalarn.
Cette occupation, qui ùevint paroissi, ale, dura j us­
qu 'aux premières années du XIIe siècle, époque où les
sables envahirent la palue, obligeant la population à
abandonner ses villages et ses cultures et à transporter .
son Plou et son Eglise, là où se trouve actuellement le
bourg ct' Esquibi.en .
De cette occupation bretonne inslüaire, nous aVOl1~

trouvé, sous le sables: les [([e1Cennou, retranchements
en terre entourant le sommet du Kanaëc ; un lec'h ; la

fontaine de saint Ono et son édicule en cintre surbaissé
et peLit appareil allongé ; des terres labourées avec
leurs sillons ; des travaux importants contre l'enva­
hissement général des sables, du côté du Stiry ; quan­
tité de matériaux gallo-romains employés pour. ces tra­
vaux ; et d u côté du Dourray, des muretins entourant
la base des turons de dunes .

VII
Après avoir pris, peut-être par la force, possession
du Kanaëc, et pourvu aux premiers besoins d e- la cülo-

- , 196
Iiie naissante, la mission du chef militaire, conducteur
de l'émigration, était terminée.

Celle du chef. religieux, plus délicate, plus impor-
tante,commençait alors . C'était une mission de paix.

EUe avait pour but d'écm;ter, de la colonie, tout dan-
ger présent, et surtout de lui assurer l'existence dans
l'avenir. Comme moyen d'action, il devait gagner la
bienveillance des indigènes, s'il s'en rencontrait dans
la régiün, ou organiser immédiatement les défrîche­
lIlent 'et la culture, si la région était déserte .
Les chefs religieux, conducteurs d'Bmigrations, n'ont
jamais failli à cette mission. Partout, dans chaque éta­
blissement ,cette rnission s'est montrée prépondéran te .
Si bien que la nation bretoune-armorique s'est consti-

tuée, presque exclusivement, de par l'action des reli-
gieux bretons insulaires . La preuve se trouve,dans la
désignation de la plupart des paroisses qui portent en­
core, après quatorze siècles, leurs noms. L'iconogra­
phie des vieux saints a, elle-même, implicitemenL COll­
sacré œtte prépondérance,en donnant, à beaucoup de
chefs militaires d'émigrations, titulaires de chapelles
ou de paroisses, l'habit religieux .

Or, à l'époque de -notre émigration, le Cap-Sizun,
par son isolement et ses moyens naturels de défense,
était devenu, après la disparition violente de la civili­
sation gallo-romaine, le refuge d'un ramassis de popu­
lations païennes, d'origines diverses, errant, sans chefs, '
sans lois. .
Des bandes s'opposèrent-elles à l'établissement des
émigrants, hibernois ? Il est permis de lé supposer ; la
légende encore le dit. D'après elle, saint Tugen aurait
le. ponvo, ir de ( ( modérer la rage des combats. On '
( ( l'aurait vu, plusieurs fois, appar'aître ,au milieu des

197
« combattants; · étendant sa crosse entre les deux al'­
« mées ennemies » t 1).

Quoiqu'il' en soit, aussitô t l'atterrissage de ses COIll-
pagnons, le chef religieux de l'émigratiqn dût s'avan­
cer le long de la grève du Trez-Goarem, au nord, ver::;
l'intérieur du pays. Au-delà d'un marais, limite de la
palue, il troUva un vallon abrité, où, près d'une fOD-

taine, il érigea, à la mode des Scots, un oratoire en
branches d'arbres, qü'il surmonta d'une croix et OrIlél.

de plantes grilllpant, es (2). Là, aussi, il bâtit sC). , cabane
et il ne tarda pas à gagner l'amitié des habitants ft
moitié sauvages de la région, dont les uns se fixèrent
près { le lui ~ Du nombre, fut un groupe de Gallo-Ro­
mains, nOlllades, au lieu encore dit : J( astel Romanis,
dans lequel se sont trouvés des objets exclLlsivement
bretons-i os ulaires.
Une partie des él1ligrés dLl Trez-Goazrin dût aussi se
mêler à ces ÏJHl igènes pacifiés et convertis par le saint
religieux. Il se forma ainsi, autour de son oratoire, un
groupe de population plus imp ortant que l'occupation
du Tr, ez-Goarem, et le plus considérable de tous les éta­
blissements bretons-insulaires qui se sont créés dans
le Cap-Sizun.
Ce groupe s'étendait sur toute la trève actuelle de

Saint-Tugen et la partie nord-ouest de la paroisse d'Es-
quibien. N ulle part, on trouve, SUI' un espace de un à
deux kilomètres carrés, un aussi grand nombre de Per­
gennmt, , restes d~anciens villages, aux noms oubliés,
abandonnés ou détruits, sans doute, lors des incursions
normandes. Mais" après l'ensablement, une partie des
habitants du Trez Goarem, au XIIo siècle, se retira

(1) Bulletin de la Société Archéologique 1S91.
(2) Les Moines d 'Occident.T. 4, p. 53, '

198 -

parmi la population de Saint-Tugen, reconstituant de

nouveau, ]' ancienne importance' de la trève. La preuve
de ce transfert de population se trouve donnée par Cl'
fait : que, de tous temps, la trève de 8.aint-Tugen a
revendiqué, indivisément avec les villages riverains
échappés de l'ensablement, la propriété de toute la
palue de Trez-Goazrin et du Kanaëc. Après une série
de procès qui ont commencé avec le XVIIe siècle, un
jugement, tout récent, vient de donner gain de cause
aux Tréviens de Saint -Tugen .
Vin
Quels ont été les deux chefs conducteurs de cette
émigration ?
Cette questi on touche el e près à l'hagiographie. A ce
point de vue, nous n', avons pas qualité pour lp. résou- ,

elre.
Sous cett.e réserve, nous donnons lés conclusions qui ./
ressortent de notre étude.
Le titulaire de la paroisse d'Esquibien est saint Ono.

Cel ui de la trève de Primelin est saint Tugen. Ces deux
saInts personnages sont les deux tituLaires les plus
cODsidérés du territoire occupé par l'émigration hiber-

no:se. Il est donc probable qu'ils appartiennent à cette
émigration, et que leur influence y a été des plus mar ·,
quantes.

Un village comprend le nom de saint Ono, pour suf-
fixe du mot Ker (Castrum). C'est là une indication de
chef militaire.
, Au préfixe Lann (terre ecclésiastique) est aussi ajouté '
le nom de saint Tugen, qui serait alors le chef· reli­
gieux de l'émigration .

La propriété indivise et immémorialè du Trez-Goa-

199 --
reIll, entre la trèv, e de Saint-Tugen et les derniers v jj­
lages de cette palue, est aussi la preuve de l ''Ü-rig ine
comlllune des deux groupes de population, ainsi que
de leurs chefs.
Les deux saints personnages ont, encore, leurs bla­ -sons populaires, qui caractérisent leurs missions.
Saint Ono est surnommé le têtu: « Ono Pennek,

« qui fait des miracles quand ça lui tourne en tête.
« Encore lé faut-il beaucoüp prier pour le décider à en
faire. »
La ténacité est l'une des plus ha utes qualilés d'un
chef mili laire devant des forces supérieures. C'était, .
probablemen t, la qualité dominante d'Ona. Pennek .

C'est grâce à elle qu 'il a pu, sans doute, en atterris-
sant , au Trez-G oarem, se maintenir au sommet du I\a­
na" c, grignotant et usant peu à peu les hordes bartm-

l'es qui devaient en masses, se succéder pour le cerner
et l'assaillir de tous côtés.

Saint Tugen, au conlraire, en souvenir de sa mis­
sion de paix et des bienfaits de la civilisation Hablie,
par lui, à l'ombre de la croix de son oratoire, uété sur~

nO llllllé le Béni.
C'esl là un double témoignage de l'econnaissanc~ :
des Bretons-insulaires qu'il a soutenus pendant les
épreuv, es de l'émigration ; puis des Armoricains nOlll è.\­
d- es, à qui il a donné, au lieu des menaces constantes
de la famine 'et de l'ennemi, le : confort dans le pré"ent
et la confiance dans l', avenir.
Les habitants de la trè~e de Sainl-Tugen sont les
~escendants de oes émigrés et de ces Armoricains. De
tous temps, ils ont été les témoins des miracles opérés
par l'intercession du saint, et dans leur reconnais-

sance, lui , ont construit sa grande et imposante cha­
pelle.

-'-' 200
Les tréviens actuels jouissent encore de l'organisa­ tion civile (1) créée par le saint et continuent à le nom-
mer saint Tugen le béni . ,
H. LE CARGUET.
Aud ierne, le 18 juin 1916.

:1) " Les moines furent les créateurs ' d'une Eglise et
d'un e nation.» (in Moines . d'Occident. T. V. p. 152.)

363

DEUXIEME PARTIE

Table des mémoiTes pub liés en 1916
1 Argud Absrwrac' h, Le Combat de l'Aberwracî1,
, çomposé par M. l'aBbé Goulven Morvan, tra­
duit par :\1. le chanoine Abgrall . ... ,....... 3,

2 Inscl"ptions gravées et sCLllptées sur les églis·es .

~ et (tlonuments, recueillies par M. !e chanoine
Abg rall ........ . .... .. .. .. ... . . .. ............. .
3 :\1ottes :éodales, par :\1. l'abbé Méve' et M, Yves
Le F'eb\'re .......... . ... . ... .. ... . .. . . . . .. ... .

4 · Le vra i texte de l'histoire rniracu'euse de N.D.
du Folgoët, par M. Lécureux .. . . . .. .. ... , . ... ,
5 Le P·rieuré de Lochrist-an-Izelvet, . par M. Ogés ..
6 L'hymne alphabétique et l·es vies de saint Gué­
nolé et de saint Idunet,' dans le cartu:ai·re . de
. Landévenn ec, par le P. de Bruyne .. , .. .. .. . .
7 Petite- chrenique· de l\1onsi,eur sainct Tugen, par
M. Le Carguet. . . .. . . ... ,. . ... . . . . . . 184, 213,
8 Notes sur l'établissement du Télégraphe Chappe,
par Daniel Bernard ............... , . , . ... . . , .
,9 Lettres d'un Tambour de la 1

Répub'ique r. e­ cueillie et publiées pal' M, Marzin... .. . 249,

10 Autour du Moulin-Blanc, 'avec planch'es, par
M. Le Gtiennec .. . ..... ......... .. . . .. . .... .. .
11 Que'qu,es bornes routières, du temps du duc
d'Aiguillon, paT M. le chan oine Abgrall . .. .. ,.
12 Ex· cufsiQn archéologique aux r uines romaines du
Pérenno u, par : -"'1. le chanoine Abgra' J .

13 Guilers, notic. e paroissiale, par M. le comte Co-
nen de Saint-Luc .......... . .. : . . .. . . ... . .... . .

14 Discours de fin d'année, par M. le Président. . ....

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