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Société Archéologique du Finistère - SAF 1915 tome 42 - Pages 157 à 188
(N otes et documents)
LES DERNIERS
ONTAGNARDS
1795
(Suite)
CHAPITRE XII
« Les Derniers ontagnards » de M .. Jules Claretie .
Les pages enflammées de Quinet, son apothéose de ceux
qu'il avait appelés 1. les derniers Romains de la Révolution.,
rappelèrent l'attention sur ces conventiqnnels déjà presque
oubliés. En 1867, un jeune et audacieux journaliste déve
loppait le même thème, et lançait un volume,' qui, si l'on
excepte quelques documents inédits, tirés des archives,
n'était, en somme qu'une suite de variations plus ou moins
habiles, .sur les écrits de Jourdan et de Tissot. Nous vou
lons parler des Derniers Montagnards, histoire de l'insur
rection de prairial an III (1795) (1), par M. Jules Claretie.
Quelt{ues passages de la préface, datée du 8 août 1867,
donneront le ton général de l'ouvrage, qui eut, dès son
apparition, un grand retentissement:
1. .... J'ai voulu apporter ma pierre au monument à venir
(l'histoire de la Révolution), en retraçant le tableau sinis
» tre de l'Insurrection de praÏ't'ial an 111. ... Il s'agissait
de raconter, dans tous ses élo. quents détails, un terrible
(t) La 2· édition porte par erreur, t793. (V. page t).
» drame, navrant chapitre de l'histoire de la détestable
» réaction thermidorienne. Je l'ai fait, non sans passion,
» mais en toute justice, et du moins sans haine, sinon sans
» indignation. Mais était-il possible de ne point s'indigner
Il au spectacle du vice triomphant, du droit de jouir substi
Il tué au droit d'être libre, et de la force étouffant la cons
" cience? Les hommes dont j'ai entrepris de raconter la
Il vie, furent la protestation la plus ferme contl'e les excès
Il tyraniques. des thermidoriens. Honnêtes dans un temps où
» l'immoralité était remise à l'ordre du jour, convaincus à
» ces heures d'abjurations et de défaillances, dévoués à la
» cause de tous quand personne ne s'occupait plus que de
"Il ses intérêts privés, ils sont tomb'és à leur poste, soldats
» du droit, mourant sans ' phrases, èt vraiment sublimes
» dans leur héroïsme bourgeois.
« Je ne sais rien dans l'histoire de plus tragique et de
» plus grand que le suicide de ces hommes, Ils se frappè-
» rent, non par faiblesse. mais par énp.rgie, nOIl ell déSt~s- .
Il. pérés, mais en politiques Leur mort terminait lugique
JI ment leur vie. Elle n'était pas une désertion, mais une
"'. affil'mation. Accusés, ils pouvaient fuir, comme on le
Tl verra: ils s'y refusèrent. Ils voulurent prouver, ef? bl>a- .
Il ,, vant une condamnation qu'ils pressentaient, qu'ils jugaient
Il certaine, que la tyrannie était maîtresse, et lorsqu'ils
J) eurent montré dans leur défense, que ce jugement qui
1) les frappait était un assassinat, rien autre chose, ils vou-
)) lurent encore entraîner le peuple par la majesté de leur
)) mort. Mais le peuple, désintéressé de la lQtte, replié sur
Il lui-même, regarda passer sans bouger, s'ans gémir, les
. cadavres qu'on empol'tait au cimetière de la Madeleine, et
» les condamnés qu'on emmenait place de la Révolution.
« Le peuple était maintenant sans force parce qu'il était .
». sans foi. L'idée en lui s'éteignait. On pouvait, après
» prairial, lui arracher, les uns après les autres, ses défen-
» seurs ' les' plus fermes, il ne faisait pas un geste ' et ne
)} poussait pas un soupIr ... .
« Ainsi bientôt la Hévolution se trouva privée de ses
» chefs, sans tête pour penser et sans bras pour agir ...
J) Tout est fauché. L'échafaud ou la proscription ont eu
» raison des plus dévoués et des plus indomptables. La Gi-
» ronde, qui 'pouvait être utile par ses lumières. a commencé
11 l'œuvre d'attaque; le Marais, l'immense majorité des
» gens faibles et tremblants, les lâches après les aveu-
, gles,. ont continué le système de vengeances en obéissant
» sourdement au plus fort et en votant comme un troupeau.
» Pauvre France, ainsi livrée à une poignée d'intrigants
» qui n'ont même pas pour eux l'excuse de l'intelligence, et
" qu'un officier de fortune chassera bientôt du plat de son
1 sabre L ..
« A défaut du génie de Danton, les Derniers Montagnards
» avaient le coup d'œil clair et le zèle profond. Ils ont
» -porté un moment, une heure,la Hépublique et sa fortune. Ils
, étaient, comment elirai-je? médiocres, mais l'on n'est
YI point médiocre avec cette élévation d'âme, cette science
» 'profonde, cette indomptable vertu, ils étaient sobres,
» convaincus, austères, sans affectation: enthousiastes sans
») .délire, sing'ulièrement instruits d'ailleurs, et trempés
11 par les tristesses des années qu'ils vènaient de traver
» ser (1) .
Après avoir, une dernière fuis, déploré la disparition de
(J. ce groupe suprême, qui suffisait pour le salut de la Fran
ce », et constaté l'ingratitude de la population en vers CI. ces
vaincus, ces martyrs, ces héroïques mandataires du peuple",
dont « les noms glorieux figurent à peine dans les histoires
(1) Toutes proportions gardées, on pourrait dire d~ certains récita des
Derniers Montagnards ce que Taine a dit de quelques-uns des plus beaux
morceaux de l'Histoire de la Révolution, de Michelet: « Ce sont des
œuvres d'imagination, des broderi~s admirables tissées ur un canevas
maigre et sec. » (Lettre à M. G. Paris, 1.7 mai 1.881.). . .
160
générales, eux qui méritent une histoire particulière »,
M. Claretie continue:
" J'ai voulu leur rendre l'hommage qui leur était dû, et
.. l'on verra que la meilleure façon de les glorifier était de les
1) étudier dans leurs écrits et dans leurs actes. Je l'ai
1) fait... -
« Je crois avoir fait sur ce tumultueux épisode le travail
» le plus complet. Désormais les députés de prairial auront
.. leur histoire. On pourra ensuite faire mieux, je suis pres-
que assuré qu'on ne détruira point les faits que je raconte
et les preuves que je donne à l'appui. l) .
Et l'auteur conclut.
« Je tiens à déclarer qu'une seule pensée m'a guidé dans
.. le cours de cet ouvrage, la Vérité. C'est encore la meil-
.. leure des conseillères. Il suffit de regarder en face les
» hommes et les choses pour deviner leur moralité. Qui
» déchiffre prouve. Qui détruit une erreur affirme un prin
n cipe. J'écris donc pour dire le vrai. « Scribitur ad nœrran- ·
)) dam veritatem. ))
La recherche de la vérité n'est pas chose aisée, car nous
voyons des écrivains de grande valeur, avec la même inten-
tion, arriver à des buts diamétralement opposés.
" Nos livres, a dit Taine, servent à l'histoire, à la science,
" mais notre influence sur la pratique est infiniment petite.
J) Nous sommes payés par le plaisir d'avoir cherché la vérité
.. pour elle-même, de l'avoir dite nettement, avec preuves à
1) l'appui, sans arrière pensée. Nous sommes payés aussi
.. par l'estime des hommes honorableR e,t compétents, qui
peuvent vérifier directement nos assertiOns .. (1)~ »
Or veut-on savoir ce q'ue pèsent, au regard de Taine, les
héros de M. Claretie, ces Derniers Montagnards, « superbe
assemblage d'âmes hautes et de fiers esprits 1), ces « vrais
(1) Lettres de H. Taine SUI' la Révolution. (Revue des Deux-Mondes, 1.5 avril
tV(7). .
161
graads hommes, 1) qui CI. se font ressortir les uns les auires et
ne se ressemblent que par leurs vertus» ? (1).
Le grand historien de la Révolution écrit familièrement à
un de ses amis: 0
« Je suis dans les misères de la mise en train. Il s'agit de
J) Caire la psychologie du Jacobin. Par quel mécanisme
J d'idées et de sentiments, des gens qui étaient faits pour
.. être des avocats de province, des employés à 3.000 francs,
J bref des bourgeois paisibles et des fonctionnaires dociles,
» sont-ils devenus des terroristes' convaincus?
:(. .. J'ai pu voir, en étudiant les Puritains de 1649 l'aliéna-
." tion mentale, mais accompagnée d'images et avec troubles
.. de conscience. Ici la folie est sèche, abstraite, scholasti-
.. que ; on dirait de purs pédants infatués de théologie
." verbale. Les bêtes de proie qui se servent de ce jargon se
comprennent sans difficulté, mais les SOUBRANY, les
1) ROMME, les GOUJON, même les LEBAS et les GRÉGOIRE sont
1i les plus étonnants spécimens du délire lucide et de manie
1) raisonnante (2) »
Tout en reconnaissant l'abîme qui sépare ici M o . Taine de
M. Claretie, nous croyons toutefois que l'enthousiasme de
ce dernier pour les hommes de prairial a pu se refroidir
depuis la lointaine publication de son livre, une œuvre d, e
jeunesse. Ils sont nombreux effectivement les homm~s de
bonne foi, dont les idées sur certains points de l'histoire se
sont modifiées avec le temps, éclairés qu'ils furent par tant
de documents sur l'époque révolutionnaire, qui étaient abso
lument ignorés, il y a moins d'un demi-siècle.
Le volume Les Derniers Montagnards fut un succès de
librairie. Les journaux, les revues s'en emparèrent ; son
(i) Les Derniers Montagnards, p. 134, 135 èt 274.
(2) Lettres, etc. (Rév. des Deux-Mondes; 15 avril 1907.)
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ AaCHÉO. TOME XLI (Mémoires 11) .
auteur fut portraicturé un peu partout, et, vraie marque
d'une célébrité 'naissante, sa charge figura aux premières
pages des publications illustrées en vogue (1). Pour certains
critiques, il avait en quelque sorte révélé des demi-dieux,
un moment oubliés.
La légende des Montagnards subsistait donc et même plus
que jamais, ils étaient remontés au pinacle. Cette fois encore,
cela n'eut pas eu une grande importance, si à ce livre de
M. Claretie, (devenu rare et par suite un peu oublié aujour
d'hui), les nombreux recueils biographiques et les diction
naires historiques les plus consultés ne s'étaient avisés d'em
prunter une foule de renseignements, et de les donner
comme indiscutables et absolument historiques (2).
Prenez un de ces ouvrages! Les « Martyrs de prairial YI
vous y apparaîtront d'ordinaire avec l'auréole de toutes les
vertus.
Ceux qui auront été envoyés aux armées seront tout sim- '
plement des héros. On redira (( les assauts où chevauchèrent
dans la fumée les représentants de la Convention, politiciens
(i) V. notamment Le Bouffon (i9 janvier 1868), l'Eclipse. {NO' des 7 et
et 27 septembre 1868).
(2) C'est encore le cas de la revue La Révolution.
On lit dans le ne du i4 juin 1906 (p. 538) :
1 Tous ceux qui 's'intéressent quelque peu à l'11istoire de la Révolution
française ont lu, je pense, le beau livre, dans lequel M. J. Clal'etie a écrit,
d'une inain ferme, le drame dé prairial an III et buriné les types tragiques
des Derniers Montagnards. ces hommes stoïques, dont l'histoire et la Répu
blique gardent le souvenir ». (Notes SUI' deux condamnés de prairial, Peyssard
et Brutus-Magnier, par G. Hermann).
La même revue (no du 1.4 mai 1908, p. 466), sous la signature de M. Au
lard, publie encore les lignes suivantes, à propos , du livre de MM. Thé-
nard et Guyot sur le conventionnel Goujon: .
... « C'est la vie du plus sympathique, peut-être, de ces ({ Derniers Monta
gnards », à qui Jules Claretie a consacré le beau livre que tout le monde a
lu. C'est avec beaucoup de soins que M. Guyot a étudié la mission de Goujon,
les jOllrnées de germinal et de prairial an III, le procès des Derniers Monta
gnards, et il a pu ajouter quelques traits au livre, toujours solide et vivant
de M. Jules Claretie ».
M. Claretie, de 1'Académie française, est aujourd'hui directeur du Théa
tre français et président d'honneur de la Société d'Histoire de la Révolution
frança.,ïse, sous les auspices de laquelle se publie la revue La Révolution.
-' 163 - '
parfois haineux, féroces, tout ce qu'on voudra, mais souvent
héroïques, vrais apôtres de patriotisme, soumant la con
fiance au cœur des grenadiers, devenant pour les bleus ce
que les prêtres étaient pour les blancs (1).) Il Y a certaine
ment du vrai dans ces affirmations, mais il ne faudrait pas
généraliser, et croire que leur mission fut toujours aussi éle
vée, leur conduite à tous aussi épique. Nous avons déjà vu
qu'il y a lieu de se défier un peu des couronnes de laurier
tressées à Le Carpentier. Voyons les autres!
De tous, Soubrany est le plus vanté au point de vue mili-
taIre :
.: Soubrany, toujours en avant, couchant au bivac, se
nourrissant comme le soldat, énergique et point dur, d'une
t justice républicaine, électrisait les trqupes et les eût ma-
niées à son gré .... Soubrany allait marquer ses dernière~
journées de séjour à l'armée des Pyrénées par autant de
" triomphes. Saint-Elme, ,Port-Vendre, Collioure tombent
~ entre nos mains. A l'escalade du fort Saint-Elme; il
monta un des premiers à l'àssaut, le sabre à la main,
1) selon son habitude. Arrivés au bas du fort, sous une
, . grêle de balles, nos soldats posent les échelles qui doi
" vent servir à l'escalade. Elles sont trop courtes. Les Es
» pagnols, par un feu plongeant, bien nourri, déciment nos
" bataillons, et Soubrany, calme, donnant du cœur au plus
Il intrépide (sic) va chercher lui-même, sous les canons de
» la place, les volontaires blessés. »
C'est réellement superbe. Seulement, qui se porte garant
de ce~ hauts faits? M. Tissot, M. Tissot seul (2). Cela ne
suffit pas. Cela suffit d'autant moins, que le Moniteur, muet
sur les actions J'éclat de Soubrany, nous prouve au con
tl'aire que sa conduite militaire fut parfois blâmable ~u
point 'de vue de la défense nationale. C'est ainsi que, lui
,(1) G. DESCHA~IPS : Chronique (Le Temptf. 26 septembre 1897).
(2) V. Les Derniers Montagnards, p,. H8;H9. TlSSOT, p. 15. :
. titré, lui ex-officier au Royal-Dragons, il abusa de son man- ,
d·at de représentant aux armées pour en exclure tous les
officiers nobles. On peùt rappeler ici également que Cavai-
gnac et Pinet, (deux montagnards pourtant), se plaignirent
vivement de la conduite de Soubrany et Milhaud,« qui con
trecarraient leurs opérations relatives à l'approvisionnement
de l'armée». On ne doit pas oublier surtout que Soubrany
poursuivit de sa haine l'infortuné Custine, général en chef
de l'armée du Nord, et qu'il le fit traduire au tribunal révo
lutionnaire, où on ne l'épargna pas (1) .
D'après le Moniteur, et même d'après des correspondan
ces officielles, Bourbotte aussi aurait été un guerrier extra-
ordinaire .
Lors de la prise de Saumur par les Vendéens, pendant
que son armée était en déroute, « il avait eu son cheval tlié
sous lui d'un coup de canon ». Le Moniteur nous cite encore
cette action d'éclat dans un combat près d'Aubigné:
Du champ de bataille, 15 juillet 1793, an II, à 7 h. du soir.
e . Bourbotte s'est trouvé assailli par un des brigands,
Jt qui, après l'avoir manqué d'un coup de fusil, s'est avancé
» et lui a porté un coup de crosse à la tête. Bourbotte,
lt quoique blessé, lui a fait payer de sa vie sa téméraire
.. audace. l)
Ces certificats de bravoure, inspireraient peut-être plus
de 'confiance s'ils portaient une autre signature que celle de
Bourbotte lui-même (2). Ils suffirent néanmoins au général
Davoust, ami d'enfance de Bourbotte, à qui il écrivait un
jour, qu'il n'ignorait pas qu'il s'est battu , dans la Vendée
comme un brave soldat et qu'il a eu des chevaux (sic) tués
sous lui (3). :» Ils suffirent également à Dulaure, qui affirmera
(1) Moniteur (i4 mai 1793). " Réimpression, t. XVI, p. 375. ;\-[oniteur,
(30 germinal an Il 19 avril 1794). Réimpression, t. XX, p. 248. Arch.
nat. ; AF. Il, 210. ' AULARD : Recueil, t. XI, p. 600
(2) Moniteur (15 juin et 20 juillet (793) Réimpression, t. XVI, p. 63!,
t. XVII, p .. ,.i68.
(li) Les Derniers Montagnards, p. U6.
plus tard, t que Soubrany et Bourbotte, dans les armées 01.\
ils furent envoyés en mission, avaient à la tête des colonnes
républicaines versé leur sang comme de braves militai-
res (1). » . '
L'auteur des Derniers Montagnards, lui, ne se contentera
pas des récits de Bourbotte ; il les agrémentera encore :
iL Bourbotte envoyé en Vendée, devint bientôt un héros
" que les soldats se mettent à adorer. Il poursuit, avec une
» vigueur indomptable et avec cette science de la guerre
) que quelques-uns, à cette heure volcanique, possédèrent
)) d'intuition, les rebelles effrayés. A Saumur, dirigeant
l'assaut (s'Ïc), au premier rang, son cheval est tué sous
J) lui. Il se débat, et, entouré d'ennemis, se défend seul, de '
JI ses pistolets et de son sabre, mais il est perdu, lorsque
» Moreau, simple lieutenant alors, accourt avec sa compa-
" gnie et ]e dégage. Peu de jours après, dans une rencon
JI trej Bourbotte reçoit sur la tête un terrible coup de crosse
i) dont il ne guérira jamais, mais il se précipite sur 'l'homme
JI qui l'ajuste, relève de la main gauche le canon du fusil,
JI et, de la main droite, fend le crâne au chouan d'un coup
J) de sabre. Il écrasait les Vendéens à toute rencontre ... (2) J).
Remarquons en passant que ces deux épisodes de la vie
militaire· de Bourbotte se placent précisément à une époque
où les armées républicaines étaient en mauvaise postur'e,
après h'!s victoires des catholiques-royalistes à Doué, Mon-
treuil-Bellay, Saurriur et Machecoul (3).
M. Chassin nous paraît av'oir mis les 'choses au point à
propos du siège de Saumur:
« Bourbotte, qui faisait des efforts surhumains pour ral-
1) lier les bataillons saisis de panique, se trouva un moment,
" par la chute de son cheval, livré aux assaillants (4) J).
(i) Esquisses, etc, .. , t. III, p. 509.
(2) Les Derniers Montagnards, p. H3.
(3) CHASSIN: La Vendée patriote. II, chapitre XVIII.
~4) C~A881N : La Vendée patriote. II, p. i52.
1 ' 66
, Mettons que tout ce qu'a écrit Bourbotte soit vrai. De
terribles responsabilités n'en pèseront pas moins sur lui
comme représentant aux armées. Ce fut en somme, un
désorgani'sateur, et les jugenients successifs portés depuis
longtemps par les écrivains de tous les partis, sont una
nimes sur son compte. Bourbotte, à la séance de la Conven~
tion du 28 août 1793, prit chaleureusement la défense du
général Rossignol et le fit réintégrer dans son grade, uni
quement parce qu'il était un bon sans~culotte, alors que les
représentants en mission l'avaient suspendu, à cause de sa
nullité, de ses cruautés et de ses pillages (1).
Ce furent Bourbotte et Prieur (de la Marne) qui commi-
rent cette lâcheté sans nom, d'attribuer à deux vaillants
soldats, au chef d'Etat-major Vergnes et au commandant de
la cavalerie d'avant-garde, Boüin-Mal'igny, le désastre
d'Antrain, alors qu'ils savaient pertinemment qu'il était la
conséquence des plans ridicules du jeune Marc-Antoine
Jullien et de son digne protégé, le général Tribout~Libre (2).
Ce furent encore Bourbotte et Prieur (de la Marne), qui
donnèrent ordre au général Sepher, « sous sa respollsabilité
capitale, de continuer sa route sur Rennes avec son armée »,
et qui, le surlendemain, quand il leur eût obéi, le désa ..
vouèrent cyniquement, et le suspendirent de ses fonc-
tions (3).
(i) Séance de la Convention du 28 août f793. Moniteur (30 août). -
Réimpression, t. XVII, p. Si 7.
(2) LÉvy: Le Conventiollllel Jeanbon Saint-André, p. 59i-592. P. BLIARD:
Le Conventionnel Prieur (de la Marne), p. 25i et suivantes, etc.
Vergnes, officier rép" ublicain de grande valeur, fut disgracié ct resta trois
mois emprisonné. Quant à Boüin, la suspension dont il fut victime fut
prononcée, mais, avant d'en être inlormé, il fut tué, en sabrant héroïque-
men t des canonniers ennemis près d'Angers, à Durtal. (LEVY. 592) «. Il
prévint ainsi, dit Kléber, par une mort glorieuse, l'injustice des gouver-
nants. » .
Quant à ce fantoche, le général Tribout-Libre, voir plus haut.
(3) LÉvy: p. 598. CHASSIN: La Vendée patriote, Ill, 3i6, etc.
N'oublions pas que l'affirmation mensongère de Bourbotte au Comité
de Salut public que Duchâtel avait pactisé avec les Vendéens, fut une
1 167
D'après certains de ses biographes, l'ancien moine « Du-
quesnoy fut un courageux et farouche chef d'armée, qui
donnait l'exemple de l'intl'épidité républicaine aux soldats,
à la tête desquels il combattait constamment (1). »
Ce n'était pas d'abord l'avis d'Hébert, le rédacteur du Père
Duchesne, qui le dénonça publiquement, au club des Jaco
bins) à la séance du 18 brumaire an II (8 novembre 1793) :
Ct HÉBERT: Jourdan (le général en chef de l'armée du
» Nord) jusqu'ici s'est conduit vaillamment, ses ennemis
» mêmes lui rendent cet hommage, et quoique jeune, il est
» à mon sens un grand homme, puisqu'il a déjoué, battu
» les généraux les plus consommés de l'Autriche. Un repré
JI sentant du peuple, sans connaissance et sans talent,
Duquesnoy a entravé see opérations. J'avais jusqu'à ce
» jour regardé Duquesnoy comme un bon patriote: c'est un
JI cultivateur, c'est un assez pauvre citoyen, il n'a pas les
Il qualités d'un général et n'en a pas sans doute les préten
» tIons. Pourtant il est certain qu'il a voulu mettre un sien
JI frère à la tête des armées, qu'il s'est constamment opposé
» aux vues de Jourdan, pour pouvoÏl' l'entourer du soupçon.
« Je ne veux contre le frère de Duquesnoy que le témoi
JI gnage de Duquesnoy lui·même. Un jour, en ma présence,
» le Ministre de la guerre, qui s'occupait alors de régénérer
l'armée, sachant que Duquesnoy avait un frère dans les ar
» mées, lui demanda à quoi il pouvait l'employer. Duques
JI noy répondit: I( Je vous pTie de le laisser à sa place; il
)) n'est pas bon pour commander une arrmee, pas même une
)) di1,ision; il est tOTt bien à sa place. ) ) C'était alors son
» sentiment; je regardai cet aveu comme admirable; cepen
dant il paraît qu'il a bien changé; il en veut faire un
» général. Il tient maintenant sous le despotisme le plus
des causes de la mise en accusation et de la condamnation à mo\'t du
député girondin. (V. Moniteur du 17 juin 1793. Séance de la Convention
du 15. Réimpression, XVI, 654.)
(i) Dictionnaire . de Rabbe e t l30isjelin Les Derniers Montagnards, p. i28
168
'Il cruel et le général Jourdan et l'armée entière; personne
.. n'oserait écrire au Comité de Salut public, la lettre serait
» interceptée, l'auteur arrêté, traîné Jans les cachots .. _.
» C'est ainsi qu'on traite l'armée dans le Nord. Je demande
. qu'on consulte sur ces faits Cellier, patriote connu, qui
.. est arrivé de l'armée, et qui d'ailleurs en a d'autres à vous
» dire. Je n'ai d'autre intérêt que celui de la patrie; mais je
» déclare que si Duquesnoy reste encore à l'armée du Nord,
» elle est perdue sans ressource ...
» CELLIER : J'atteste ce que vient de dire Hébert. Un
Il officier, connu pour un bon patriote, m'a assuré que, sans
lui, Jourdan aurait déjà donné sa démission, parce qu'il
J) était tracassé par Duquesnoy et contrarié dans ses plans
JI qu'il ne pouvait mettre à exécution .
« HÉBERT: J'ai oublié un fait qu'hi6lr Cellier m'a dénoncé.
Il Après]a bataille de Wattignies, Duquesnoy' s'empara de
Il la correspondance de l'armée, en fit une mensongère,
.. puisqu'il dit que son frère s'y était distingué, ce qui est
» faux, et ne parla pas du nombre d'officiers et soldats, qui
» avaient montré le plus grand courage, parce qu'ils
» n'avaient point de frères représentants du peuple dans
» armee ... »
Duquesnoy n'était pas homme à se laisser égorger sans
protester. Le lendemain, il était aux Jacobins, et il les atta
quait par leur point sensible, en prônant son inflexibilité. Il
est vrai qu'il sut mettre dans SDn jeu Robespierre, qui le dé-
fendit à outrance et fit ainsi l'éloge des frères Duquesnoy :
. « Je n'ai rien vu de plus admirable dans toute la Révolu-
» tion que cet amour qui unit deux .frères à la tête d'une
Il armêe, dont l'un la guida aux combats par le chemin de
» la victoire, et l'autre, combattant dans les rangs, fait passer
» dans l'âme des soldats son amour, son enthousiasme, son
» dévouement pour la patrie. »
Hébert, submergé par ces flots d'éloquence, reconnut
169 3 3
s'être trompé et, spectacle attendrissant, au milieu des plus
vifs applaudissements, Duquesnoy et lui se donnèrent à la
tribune le baiser fraternel. .
Entre temps, Duquesnoy avait éprouvé le besoin de se
disculper devant la Convention. Que devait-il faire à l'ar-
mée, y dit-il en substance? Surveiller les traîtres. C'est
pour cela qu'il a dénoncé le général Houchard et son état
maior, qu'il a destitué les généraux Mereneau, Beauregard,
Davesne, Gratien, Cordelier et nombre d'officiers supérieurs,
ainsi qu'une grande quantité d'officiers muscadins (1).
L'approbation de la conduite de Duquesnoy ayant été
décrétée, il continua de plus belle à épurer l'armée, et, le
18 ventôse suivant (8 mars 1794), nous voyons la Société des
Jacobins sur sa proposition, arrêter qu' « une députation se
rendra à la Convention pour lui demander l'arrestation de
tous les ex-nobles tant aux armées que dans l'intérieur».
La dernière dénonciation de Duquesnoy devait être celle
du général terroriste Turreau, mais c'était après le 9 ther
midor (2).
On se rappelle avec quelle désinvolture, en pleine Con
vention, Duquesnoy, cet homme tout d'une pièce, reriia
ensuite Robespierre, ct dont la conduite fut toujours en oppo
sition avec la sienne ». « Robespierre, s'écria-t-il, mais
.. celui-ci ne voulait pas gagner de batailles, et moi, j'ai
) toujours annoncé des succès (3) »
(i) Moniteur (2-1, 22, 2~ brumaire H, i2, i~ novembre t793) Réimpres-
SiOI!, t. XVIII, p. 382, 388, 390, 39i, ~H. Séance des Jacobins des tS, t9 et
2i brumaire et de la Convention dU' 20 brumaire. Voir aussi Moniteur
(22 ventôse i2 mars -179~) Réimpression, t. XIX, p. 670.
(2) La conduite de Tureau fut des plus singulières. Bien que convaincu
« d'excès commis en Vendée » il refusa de bénéficier de l'amnistie du ~
brumaire an IV et t'ut acquitté par un Conseil militaire. Il est mort en tlH6
lieutenant général des armées du roi, grand officier de la Légion d'hon
neur et chevalier de Saint-Louis. (V. Moniteur, 21 décembre i8t6. Les
Chouans dans les Côtes-du-Nord, p. 30.) ,
(3) Moniteur (t4 ventôse an III . 4 mars i795). Réimpression, XXIII,
586. .
t70
'u Duquesnoy, dit M. Claretie, à qui nous laissons la res-
ponsabilité de cette assel,tion, Duquesnoy, qui sortait en
germinal (an Ill) d'une maladie grave, causée par les fati-
gues de la guerre, s'était senti comme adouci, non pas
amolli, et prêt à laisser là ses anciennes rigueurs (t). »
Goujon aussi, d'après Tissot et quelques autres,
marchait de victoire en victoire:
u Dans une retraite de l'armée de la Moselle, Goujon
» resté sur les derrières de la colonne pour s'assurer jus
» qu'au bout de l'état des choses, aperçut un volontaire
» blessé qu'on ne pouvait emmener; il lui donna son cheval
11 et revint à pied exposé au feu de l'ennemi et à la pour-
suite de sa nombreuse cavalerie (2). . .
« Desaix, Vachot, ,Saint-Cyr, qui agissaient sous ses
" ordres, se seraient faits tuer sur un signe de l'intrépide
" jeune homme (3). »
Duroy, qui s'était montré si rigoureux contre les fédéra
listes, se refusa au contraire à traquer les officiers nobles,
comme l'avaient fait Soubrany et Duquesnoy.
Le 24 septembre 1793, il prit la parole à la Convention
en · faveur du général Landremont et de plusieuvs autres
officiers dont il voyait la destitution avec peine. CI. Etait-ce
un acte de justice, ou l'effet de la prévention? » disait-il.
Et il ajoutait:
CI: Commissaire à l'armée du Rhin, je puis affirmer à la
» Convention que le général Landremont a rendu de grands
services à la République et qu'il a la confiance de tous
les soldats de son armée. Il n'est point noble. J'ignore le
.. motif de sa destitution, je l'ai vu se conduire en excellent
(i)'Les Derniers Montagnards, p. i30.
(2) Biographie nouvelle des Contemporains. (Art. GOUJON).
(3) Les Derniers Montagnards, p. to7 .
171
» patriote et en bon républica' ... Je demande que la lettre
J) du Ministre de la guerre soit renvoyée au Comité de Salut
1) public, avec charge d'en faire un rapport, séance te ...
» nante ...
« Si vous voulez anéantir vos ennemis, ne confiez le corn-
Il mandement de vos armées qu'à des généraux instruits. Il
» faut leur laisser des officiers qui, pour avoir le malheur
)) . d'êt.re nés nobles, n'en sont pas moins sans-culottes .
(M'lfrmures) (1).
. Des déclarations semblables sont peut~être la cause que
Duroy a été moins loué que les autres Montagnards au sujet
de sa conduite auprès des armées (2).
Les autres représentants, inculpés dans l'émeute du
1 er prairial, excepté Forestier, remplirent également des
missions aux armées. Seulement, leur fin ayant été moins
théâtrale, on n'en a guère parlé. Nous savons que Peys
sard, à l'armée du Nord, (où nous avons compté jusqu'à
soixante-deux députés . expédiés en mission), fit proc~der à
de nombreuses arrestations, qu'Albitte, presque toujours
absent de la Convention, exerça. avec la dernière rigueur ses
pouvoirs illimités, qu'il fit notamment décréter l'arrestation
des généraux Estournel et Ligneville, condamner à mort ·
par le tribunal révolutionnaire le général Brunet, etc ... (3).
CHAPITRE XIII
. Prieur (de
M ne) et Marc-Antoine .Jullien flls
Prieur (de la Marne), dont nous avons déjà pu apprécier,
par d'aures côtés, la conduite en Bretagne, avait été, dès
(t) J!plliteur (26 septembre i793). . Rf impression, XVII, p. 741.
(2) Ce qui est certain, c'est que, quelques jours avant, Duroy avait été
dénoncé comme faux montagnard par Couppé (de l'Oise), qui présidait la
séance du !8 septembre 1793 de la Société des Jacobins. (V. MOlliteur
(29 septembre). Réimpression, XVIII, 763.
(3) Voir les noms de Peyssard et d'Albitte l'aîné aux Tables du Moniteur
172 - ·1
son entrée à la Convention, délégué à l'armée de Dumou
riez, où il n'avait guère fait parler de lui. Il prit part toute-
fois à la disgl'âce du général Hédouville, qui fut acquitté
par le tribunal révolutionnaire (1). A près un court séjour
à l'armée du Nord, une visite dans le Loiret, où il se trouva
avec Bourbotte, Prieur y reçut de la Convention l'ordre
de se rendre dans les départements de l'Ouest. Nous avons
vu déjà son œuvre d'épuration de dix-sept ·mois, nous
l'avons déjà surpris en flagrant délit d'inexactitude, lors
de l'exécution des vingt-six administrateurs du Finis
tère (2). Nous n'y reviendrons pas. De son rôle auprès des
armées de terre et de mer, nous ne dirons même que quel
ques mots, ce qui suffira pour prouver la franchise de ses
correspondances et de ses rapports (3).
.Lui aussi, dit-il, s'est parfois battu comme un lion. A la
débâcle de Pontorson CI. il a épuisé toutes ses forces physiques
. et morales pour faire à (sic) ses troupes revenir à la
charge; son cheval a reçu une balle à la tête... » etc.
Toutefois, « une seule consolation lui reste, c'est qu'il a
fait son devoir en bravant les boulets et les balles et qu'il
emporte la satisfaction d'avoir rallié trois fois l'armée et
conservé l'estime des so\dats de la République, malgré
(sic) les coups de sabre qu'il a distribué à tous les offi
ciers qu'il a rencontrés comme fuyards » (4).
C'est du moins ce qu'il raconte à son compère Marc-
(i) Arch. nat. : A. F. Il, 277. P. BLIARD: p. 266. (Lettre à M. A. Jullien,
du 4 frimaire an Il. 24 novembre i 793.)
(2) Séance de la Convention du 25 septembre i793. Moniteur (27 sep-
tembre). Réimpression, t. XVII, p. 748. .
(3) Voir plus haut, Chap. 11. Prieur ne resta à l'aJ:mée du Nord que du
4 au 23 août LÉvy: Jeanbon Saint-André, p. 37i et 380.
(4) V. l'étude de P. Bliard sur Prieur de la Mal'lle (passim). ,,' .
« Homme de plaisir, de débauche même, Prieur aimait le faste, la. repré
lIentation et n'était jamais plus content que quand il pouvait parader en
public, brillamment empanaché et dOllner carrière à son inépuisable
faconde: « Je suis le romancier de la Révolution )) disait-il. Il se flattait,
il n'en était que l'histrion. .
LEVOT: Histoire de la ville et du port de Brest pendant la Terreur, p.246
Antoine Jullien
fils, dont nous allons dire un mot.
Dans un livre dont M. Claretie a fait l'éloge, M. Eugène
Bonnemère a dit, à propos de la bataille du Mans (12 dé
cembre 1793) :
.. Ce fut sans contl'edit une des plus ' effroyables bouche
. -, ries dont l'histoire fasse mention; mais les représentants
. du peuple en outrèrent encore, comme à plaisir, les
» scènes horribles. Turreau, Prieur de la Marne et Bour
» botte, écrivirent, dès le 13, à la Commission de Salut
'II public un rapport rempli d'exagérations impossibles, ridi-
cules, qui fut lu le 15 à la Convention ....
« A la chute de Robespierre, quand pour les besoins du
moment, on crut de bonne politique d'outrer les cruautés
de 1793, afin d'exploiter l'horreur qu'inspirait le pouvoir
» déchu, on se plut à tout voir couleur de sang, on ajouta
» encore à toutes ces exagérations extravagantes, et l'oh
'II. sembla prendre plaisir à fournir par avance aux royalistes
~ des armes contre la liberté: (( Sous les yeux de Bourbotte
)) et de Prieur, heureux spectateu.rs de cette scène de barbarie,
)) on viole avant d'égorger, on viole même après la mort 1 ))
1) Ainsi parle M. Crétineau-Joly, qui se plait à flétrir toutes
les victoires de la République, sans songer que les vain
" queurs étaient encore des Français ... (1) »
Prieur et ses collègues ne prévoyaient évideinment pas
que leurs exagérations produiraient de tels résultats :
Le 23 prairial an II (10 juin 1794), Prieur rendant compte
au Comité de Salut public du terrible combat naval qui a eu
lieu dix jours avant, s'exprimait ainsi sur le compte de
Jeanbon ' Saint-André: « Notre collègue a été quitte pour
'II une contusion qu'un éclat de bois lui a fait à la main j il
,. était sur la galerie, lors de la première bordée de l'amiral
(i) E. BONNEMÈRE : La Vendée en 1793. i v. in-i2, Paris"i866, p, . 310. Les
Derniers Montagnards, p. 38. Crétineau-Joly : Hist. de la Vendée militaire,
, t. l, 'p. 4t2. E. VEUILLOT : Les guerres de la Vendée , et de la Bretagn.,
p. 214 .
» anglais, c'est un miracle qu'il n'ai~_pas été criblé. (1). »
Un écrivain, peu suspect de partialîté pour les représen
tants montagnards, et qui prend carrément la défense de
Jeanbon contre les accusations de lâcheté portées contre lui,
M. Léon Lévy se croit obligé de répéter absolument ce
témoignage et dit: (( Prieur n'avait pas assisté à la batail/t,
et sa crédulité, son imagination enthousiaste, sa sY'l!lpathie
pour Jeanbon, ne permettent pas de se fier à lui. )j M. Lévy,
(on peut s'en assu~er en lisant son intéressant ouvrage),
avait d'excellentes raisons pour se méfier, au moins de
« l'imagination ,, ' et des « messages hyperboliques » du
grand metteur en scène» qu'était Prieur (de la Marrie) (2) .
Dans la plus grande partie de sa mission dans l'Ouest,
Prieur fut constamment acc()mpagné par le fils d'un de ses
collègues de la Convention, le jeune Marc-Antoine Jullien,
. qui avait réussi à dix-huit ans! à obtenir une mission
du Comité de Salut public. Il était chargé u d'apr~s le · -texte
de sa. commission, « de prendre des renseignements sur
l"esp'rit public, au Hâvre, à Cherbourg, à Saint-Malo, à'
Brest, à Nantes, à Rochefort, àLa Hochelle, à Bordeaux,
à Bayonne, à Avignon, à Toulon, à Marseille et à Lyon . » Il
n'y était pas question de la ville de Lorient, à laquelle il
(1) Arch. nat·. A. F. Il, Recueil AULARD, t. XIV, p. 266.
(2) L. LÉvY: Le Conventionnel Jeanbon Saint-André, p. 849, 856, 868, 870.
M. Lévy, qui discute d'une façon intéressante les divers témoignage!!
pour ou contre Jeanbon, conclut à l'inanité de l'accusation de lâcheté
portée contre lui.
En tout cas, le représentant ne parait pas avoir montré beaucoup
d'empressement à cueillil' les lauriers que lui accorde si généreusement
Prieur. C'est ce qui résulte d'une lettre du Comit. é de Salut public du
Il floréal an Il (10 mai 1794): Le Comité s'étonne que Jeanbon Saint-André
ne lui pat'le plus de partir sur la flotte, après en avoir toujours témoigné le
plus vif désir. Il faut qu'il parte, etc. (Coll. M. LOlH. AULAIW: Recueil,
t. XIII, 416. L. LÉvy: p. 787.)
Le futur préfet ~e l'Empire. alors pOUl'voyeur des tribunaux révolution
naires et dès commissions militaires, montrait, peu après, plus d'empres
sement" à renier le tribunal révolutionnaire de Brest et ses amis f:ompro
mis: «'Les événements de prairial, écrira-t-il? ' J'en ai gemi comme vous,'
ils m'ont fait horreur comme à vous ... » Rép'onse à la dénonciation de la
allait pourtant co deux mois sur les quatre que
devait durer cette première mission. Le Comité avait fait
les choses gt'andement. Il accordait à son commissaire
12.000 livres, comme entrée en campagne, et lui assurait un
crédit illimité près des représentants en fonction dans les
localités où il passerait (1).
On a beaucoup vanté, et non sans raison, J'activité dévo
rante, la ténacité indomptablé de ce Comité qui eut tant de
part à la création, à l'organisation, à l'entretien, au l'avi
taillement des armées destinées à la défense des frontières,
mais ce que l'on a pas encore signalé chez lui, croyons-nous,
(et on pourrait en dire autant de ]a Convention elle-même),
c'est l'absence de toute méthode dans le travail, le gaspil-
la~e permanent de force et d'énergie qui en furent la consé
quence. Cela s'explique. Le Comité prétend tout diriger,
tout ordonner. Il veut que tout lui passe sous les yeux, par
les mains, ce qui est matériellement et humainement im
possible. C'est le désordr~ ; c'est la confusion dans les attri
butions de chacun de ses membres. Au lieu de se réserver
l'étude, la discussion et la dir~ction des ' affaires impor- ·
tantes vitales, et d'y consacrer exclusivement tous ses mo-'
ments, le Comité, au contraire, s'égare et se perd dans les
détails insignifiants d'affaires parfois minuscules. Aujour
d'hui, il décidera l'achat d'un cheval à un gendarme qui a '
(i) La commission de Jullien lui fut donnée par un arrêté du Comité de
Salut public du iO septembre i 793,' signé de Robespierre, B. Barrère, .
Prieur (de la Marne), Jeanbon Saint-André, Thuriot, C.-A. Prieur et Carnot.
Jullien était alors commissaire des guerres, et avait été, . àdix-sept ans et
sept mois! « chargé de hiter dans les provinces méridionales la levée.
des volontaires». Jullien avait en outre des appointements comme rédac
teur du journall'Antifédéralisle, grassement subventionné par le Ministre ,
de l'Intérieur, autorisé par un arrêté du Comité de Salut public daté du ·
même jour que sa commission, et signé de Hérault de Séchelles et deL
P~ieur (de la Marne). . .
Arch. nat., A. F. II, 26f, 295. ' Recueil AULARD, t. VI. p. 396, 397. -
GUILLAUME J. : Procès-verbaux du Comité de l'Instruction publique de . la
Convention; t. III, p. XCVIII. . Biographie des Hommes du jour, t. VI. tu
partie, p. 33!. .,. .'
eu le sien tué, demain il votera la fourniture d'une paire de
pistolets à un représentant qui se rend aux armées. Conti
nuellement, il s'occupera de permis de séjour pour le soldat
un tel ou untel; il accordera des congés d'une décade au
volontaire national X ou Y. Dans ces conditions, rien d'ex-
traordinaire que le Comité ne commît des erreurs plus ou
moins excusables.
On voudrait croire qu'en prenant le jeune Jullien pour
agent, le Comité de Salut public tomba dans une de ces
erreurs. Il n'en est rien.
Le Comité, ou tout au moins une partie de ~es membres,
Robespierre, '(un intime de la famille Julli. en), Bertrand
Barère et Hérault-Séchelles, notamment, firent ce choix en
pleine connaissance de cause.
Ils savaient d'abord que, malgré son jeune âge, Jullien
avait déjà des états de service assez sérieux dans l'avant-
garde montagnarde. . ,
Délégué des Cordeliers, c'est , lui qui, le 26 juillet 1793,
avait pris la parole à la barre de la Convention pour l'aviser
que ce club venait de décider l'érection, dans la salle de ses
séances~ d'un autel au Cœur de Marat (1).
« Des têtes !EI100re des têtes ». Ainsi se 'résumaient
alors les aspirations de J uUien. Le 9 septembre suivant, on
le trouvait en effet aux Jacobins, appuyé par Hébert, le
sinistre rédacteur du Père Duchesne, s'indignant II. des lon-
gueurs que l'on met à juger les conspirateurs », s'élevant, à
la tribune, contre l'insouciance criminelle avec . la- quelle on
laisse Brissot, Vergniaud se reposer et j.ouir presque du
fruit de leurs crimes, tandis que le peuple demande leur
tête à grands cris» : « Lebrun' s'est sauvé déjà. Attend-t-ou
que Vergniaud, Marie-Antoinette se soient sauvés aussi
» pour qu'on se ressouvienne qu'ils sont encore au mon-
(t) Moniteur (28 juillet i793). Réimpression, .t. XVII, , p. 2/.3. - , CHASSIN;
La Vendée patriote, t. Ill, p. !72.
f71 -, '
» de? .. » Il se plaint ensuite « de l'inutilité de la pétition
qu'a faite, à ce sujet, la Société des Jacobins à la Convention.
Sans plus tarder, il faut que ses membres y retournent en
masse (1»).
Un si beau zèle ne fut pas perdu. Le mois suivant n'était
pas terminé que Vergniaud et Marie-Antoinette avaient
porté leur tête à l'échafaud. Quant à Lebrun, ancien minis
tre des Affaires étrangères de la Révolution, il fut arrêté, à
trois mois de là, et eut le même sort.
r Je crime de Lebrun vis-à-vis de J ullien était surtout de
n'avoir pas tenu compte d'un plan qu'il avait conçu en 1792,
pour révolutionner l'Angleterre. Il avait dédaigné de suivre
les conseils d'un jeune homme de dix-sept ans, qui, pour
tant s'ils avaient été écoutés, . auraient évité la guerre!
C'est du moins ce que nous apprend Mme Jullien, sa
mère (2).
Nous venons d'assister aux débuts de ce monstre précoce,
chez qui, dès son enfance, une mère dénaturée, s'était ingé-
niée à étouffer tout sentiment de pitié généreuse .
Le . père, lui, homme plutôt faible, de goûts modestes,
avait été précepteur du petit prince de Léon avant les évé
nements de la Révolution. Il se lança alors, ou plutôt il fut
lancé un peu malgré lui par sa femme, dans le nouveau
mouvement. Après diverses étapes politiques, il fut élu à la
Convention, où tout de suite il s'allia aux patriotes lés plus
« prononcés» : « J'habite, s'écria-t-il un jour, les hauteurs
)) que l'on désigne sous le nom de Montagne. C'est à ces Ther
)) mopyles que les Spartiates sauront mourir pour détendre
)) la liberté (3). » .
La phrase, qui eut un grand succès, fut, à tort ou à raison,
attribuée à Mme J ullien, l'Egérie ordinaire du représentant .
(1.) Moniteùl' (14 septembre t793). Réimpression, t. XVII, p.638.
(2) Journal d'une bourgeoise p. 343. (V. ci.après).
(3) Moniteur (28 décembre i792). Réimpression, t. XIV, p. 85i.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. TOME XLI (Mémoires 12).
, 178 '
telle-ci avait alors passé la quarantaine. ' Instruite, mais
pédante à _ l'excès, elle avait la mémoire farcie des écrits de
Jean-Jacques et des discours de Robespierre, et, à propos
et même hors de propos, elle citait pompeusement les Grecs
et les Romains. D'un caractère aussi exalté que mobile, une
fois pourtant, elle avait su suivre une idée et la mener à
bonne fin. C'était de faire de son mari un personnage poli
tique, afin de vivre constamment à Paris. Paris était son
rêve. Croirait-on que Mme Jullien, avant que son mari ne fît
. partie de la Convention, habitait déjà Paris, ave.ç le plus
jeune de ses fils, un enfant d'une douzaine d'années qu'elle
traînait partout . à sa suite, du matil). au soir, fi travers les
manifestations populaires, qu'elle menait au club, qu'elle
présentait à la barre de l'Assemblée Nationale pour cs. faire
son don patriotique et son petit discours? (1) »
Pour rester à Paris où elle se disait exilée, elle avait em
ployé les ruses, les prétextes, même les plus ridicules, la
santé de son ·fils, les affaires de sa sœur, par exemple, et
quand, à bout d'imagination elle n'avait plus su que répon- .
dre aux appels dé son mari, resté dans la Drôple avec le
jeune Marc-Antoine, elle avait fini par avouer: ({ Paris m'est
indispensable» .
Notez qu'éloignée d'eux, elle n'avait garde de les oublier
et, fréquemment, elle leur écrivait des lettres, qui, étant
donné ' ses habitudes et ses relations, devaient former un
véritable journal politique (2). Elle s'adressait surtout à son
fils Marc-Antoine, prodiguant ses conseils, (quels conseils!)
à « cet ami que la nature avait formé dans son sein des élé-
(t) Journal d'une bourgeoise p. iD7, (v. ci-après) .
(2) Quatre-vingt-neuf lettres de cette correspondance ont été imprimées à
Paris, en -1.88-1., chez Caiman-Lévy, sous ce titre: Journal d'une bourgeoise
pendant la Révolution, publié par son petit-fils, M. Edouard Lockroy. Dans
l'Avertissement qui précède, Mm. Jullien n'est pas nommée. On y lit seu
lement « Mne D .... , avait épousé vers 4774 M. J ... , etc. M. Lockroy ne s'est
décidé à donner SOIl nom que dans Une mission en Vendée. (Note prélimi
naire)
179
ments les plus précieux de son être, la sensibilité et ·la
vertu (1) ». .
Cette femme, qui, à ehaque page de sa correspondance
fait étalage « de sa sensibilité, d'une sensibilité, qui l'empê
che de vivre et la martyrise, en lui coûtant des torrents de
larmes d'attendrissement, voire même de sang », cette ,femme
joue une indigne comédie.
Sans aller, commp, M. Drumont l'a fait, jusqu'à la traiter
d' « horrible furie », de « lécheuse de guillotine» (2), nous
constaterons seulement qu'elle manque totalement de cœur.
Elle encensera « le bon roi Louis, le héros La Fayette,'
le brave Pétion, le plus vert-q,eux des hommes n tant qu'ils
seront au pouvoir. Dès qu'ils seront déchus, elle n'aura pas
assez de sarcasmes, assez d'injures à leur jeter à la face, et
ce n'est pas sa sensibilité non plus qui l'empêchera de para
der à une fenêtre pour repaître ses yeux du spectacle an.,.
goissant de l'Autrichienne, passant, cahotée dans la char-
r-ette qui la traîne au supplice (3).
Après les massacres de septembre, qui, pour elle, « ont'
sauvé les jatriotes d'une nouvelle Saint-Barthélémy», elle
s'écrie: (( Des têtes coupées 1 Des prêtres massacrés 1 Atroce
nécessité, ouvrage funeste de nos ennemis 1 ... )) Mais rien de
celari'est fait pour l'effrayer; c'est bon pour « des . petits
hommes». « 11 faut être barbare par ver ru, par humanité »,
dit-elle ailleurs, et elle conclut ainsi:
( Notre commune, si astucieusement- ca-lomniée" ;vient'-d-e
rendre les comptes les plus satisfaisants », et « elle jette un
voile funèbre arrosé de ses larmes sur la journée du 2 sep-
tembre (4).» . ,
(i) Jou1'l1al, p. 215.
(2) La France Juive. Bobèche (Article du journal La Libre parole du
2 novembre 1895). .
(3) DAUBAN : La D~magogie en 1793, à Paris. (Paris, Plon, i868) , p. 467. 00 '
A. DA YOT : La Révolution /i'ançaise, etc., p. 235. .
(4) Joul'l1al, p. 236, 289,308, 322. ,
fSO
fi( Attache-toi, écrit-elle encore à son fils, à bien connattre
,. les hommes, à les apprécier avec une juste sévérité et à
J) ne pas céder trop facilement aux sentiments de compas
J) sion et de générosité que t'inspirent leurs malheurs
» quand ils se les sont attirés souvent eux-mêmes par leurs
.- défauts ou par leurs vices (6). »
Elle lui recommande aussi {( de se méfier de sa sensibilité,
comme d'un de ses plus grands ennemis ... » « de ne pas
écouter son cœur trop sensible (1) 'J).
Jullien fils saura, avant qu'il soit longtemps, se souvenir
de ces conseils, par exemple, lorsqu'à Bordeaux il maintien
dra la guillotine en permanence, et qu'il y enverra les
victimes par fournées, par exemple, . lorsqu'à Saint-Emilion
il fera donner la chasse à quelques malheureux proscrits à
bout de force, et qu'il les. fera traquer par une armée de
5.000 hommes, et une meute de dogues dressés au com-
bat (2) ..
La mission de Jullien dans l'Ouest, cela ressort nette-
ment de sa correspondance, était moins de « prendre des
renseignements sur l'esprit public, » que desurveiller certains
généraux et surtout certains représentants ou agents des
Comités de la Convention en mission. La surveillance étant
à l'ordre du jour, Robespierre et' Barère, bien que puissants
au Comité du Salut public, n'étaient pas fâchés, pour leur
police personnelle, de s'attacher quelques individus peu
5 ' 5 7' 7 3 E' - ,
(t) Id., p. 55.
(2) Sur les excès de Jullien à Bordeaux, voir les ouvrages suivants:
VATEL: Charlotte de Corday et les Girondins, p. 4H-428 et 608-637. A. VIVIE :
Histoire de la Terreur à Bordeaux, (t877). E. BmÉ : llistoire et littérature,
(t895). Jullien de Paris, p. t52-200. .'
Le jeune âge de Jullien, les influences pernicieuses qui avaient agi sur
lui, la persuasion surtout qu'il avait arraché Nantes aux fureurs de
Carrier, ont porté plusieurs écrivains à le traiter avec indulgence. Ceux-là
ont oublié qu'après les crimes de sa jeunesse, il y avait aussi le crime de
toute sa vie. Pour tâcher d'effacer la tache de sang qui reparaissait
toujours, Jullien en effet a persisté à nier l'évidence. Il est revenu sur
.es propres aveux et, chose plus grave, ila voulu rejeter toute la respon
.abilité du sang versé par lui sur des personnaget) disparus" .
. - i8i _ ''''7,
scrupuleux, capables de toutes les besogne's, ' qui lèur servi
raient en quelque sorte d'espions.
. C'est bien le cas de Jullien. A première vue, rien de plus
drôlatique, mais à l'examen, rien de plus triste ,que le spec
tacle ' de ce jeune homme de dix-huit ans visitant les arse
naux, les forts, les escadres, avec des airs de compétence,
dressant des plans de campagne, passant les troupes en
revue et parlant avec morgue ;:mx vieux généraux, aux in
génieurs, aux comités militaires. En maints endroits dè sa
c'orrespondance, il annonce qu'il se trouve (( dans une loca
lité menacée )). Il entend gronder le canon. 11 va revoir « ses
compagnons d'armes JI. En avant ,! Il brigue ['honneur de
voler au milieu des troupes ... Il ne sera pas le dernier à voir
l'ennemi ... il va se porter où le péril est le plus imminent (1).»
Poudre aux yeux que tout cela! et l'on reste stupéfait, en
arrivant à la dernière ligne de cette correspondance belli
queuse, de· constater que ce foudre de guerre n'a même pas
assisté' à une petite escarmouche.
Plus tard, il est vrai, quand le contrôle sera moins facile',
Jullien se rattrapera dans des autobiographies, 'ou dans
des notices, visiblement inspirées par lui. Par exemple; il
écrira, ou fera écrire: .
II. Il (Jullien) avait organisé à Saint-Malo, pour'repousser
» l'armée vendéenne, une levée de volontaires; à la tête
i desquels il avait sauvé la ville, menacée d'être prise
1 d'assaut et pillée. Avant de marcher à l'ennemi, il avait dit
» aux habitants réunis sur la place publique: « Citoyens, le
(1) Une mission en Vendée, 1793. Notes recueillies par Edouard Lockroy,
1893. Pourquoi en Vendée? puisque la plus grande partie de cette mission
se passe en Bretagne. Pourquoi 1793 ? On n'est pas à la moitié du volume
que les notes sont datées de i794. .
Ces notes sont en somme un recueil de lettres plus ou moins choisies,
plus ou moins châtiées du jeune M.-A. Jullien. Nous préférons y ren
voyer le lecteur plutôt que de commenter cette phrase de la préface:
« On s'étonnera sans doute, de trouver, chez un si jeune homme, tant d'esprit
politique, d'énergie, de fermeté, de raison, et en même temps, si l'on se report~
d l'époque où il vivait, de modération véritable. » ,
. , . 1:82 7 ,_' -
; nom de Saint-Malo semble d'un augure favorable pour
J) l'armée catholique
je vous baptise Commune-la- Victoire,
l) et vous justifierez un si beau nom. ' l)
CI. Il n'en fallait pas davantage alors pour exciter un héroï-
., que enthousiasme. Les Vendéens furent mis en déroute,
» La Commune-la- Victoire avait gagné son nom (1). »
'. Ce serait superbe; mais malheureusement il n'y a pas un
~mot de vrai dans cette affaire. En consultant tous les écrits
qui se rapportent aux guerres des Vendéens et des Chouans,
. en feuilletant les .. registres de Saint-Malo, en rapprochant
même les lettres de M.-A. Jullien, ce lieutenant de Prieur,
qui surpassait son capitaine dans l'art de la mise en scène,
·On pourra se rendre compte qu'à aucun moment cette ville
ne.fut menacée par les Vendéens ou les Chouan· s.. . '
._ , Maintenant, veut-on savoir ce que fut' « la levée de volon
~taires.» .de Sai_ nt-Malo ? Ecoutez! Elle consista uniquement
·dans:la: .création par Jl,ll1ien, ' sous le . nom d'ESPOIR DE . LA
PATRIE, d'un bataillon d'enf'ants de. neuf Ci . seize ans,ayant
,pour tou: t uni/orme" (nous citons. son arrêté), . lêbonnet
rouge, signe de la liberté, et les cheveux plats, signe de. la' sim
. plicité,. sa . compagne ordinaire, ayant pour tout armement,
(nous continuons à citer l'arrêté de Jullien), des bâtons
'pointus en .attendan· t des piques ou des fusils, proport~onnes à
la .faiblesse de. leur âge ... (2). . .
_ :P9rt-Malo pouvait dormir tranquille sous la garde vigi-
lante de ce vaillant bataillon .scolaire !
. i ,Mais, dira-t-on, il fut un jour au moins, où Jullien, indi-
'gné par les atrocités de Carrier, sut, au péril de sa vie, le
:braver en face, puis dénoncer sa conduite au Comité de
. Salut public, qui le rappela immédiatement (3). Vingt au-
. (1) Biographie des Hommes du jour. Biographie de Rabbe. Biographie
.. univ. erse Ile. .
.. (2). Une mission eIl Velldée, p. 70-88. .
. . : _(3)' Cette"eIitrev,ue :a été racontée avec des variantes assez notables .par
les amis de J ullien ou par · ..lui-même- .Dans sa correspondance, . iI.y fait : à
3 ,. 1S3 " '3
teurs l'ont "' affirmé. Il nous serait facile, mais cela nous
entraînerait un peu loin, de démontrer combien on se trompe
en attribuant à Jullien le mérite du rappel de Carrier, et
combien aussi l'entrevue du jeune commissaire avec le repré ..
sentant a été dramatisée par l'intéressé principaL Les choses
se passèrent moins héroïquement, et la vraie scène peut se
reconstituer en quelques mots. Carrier sait que Jullien l'a
dénoncé au Comité de Salut · public, pour avoir maltraité le
le représentant Tréhouart (1). Apprenant que le jeune im
prudent est à . Nantes, se permettant de pérorer dans la '
Société populaire, il le ' mande, flaire en lui l'espion, et le
met en demeure de déguerpir au plus vite. Jullien, arrivé
depuis trois, ou quatre jours au plus, dans la ville de Nantes,
gagne précipitamment Angers au galop de chevaux de
pO$te, et dès qu'il se sent hors du territoire, où s'exerçait la
toute puissance de Carrier, il retrouve suffisamment d'au
dace 'pour dénoncer à son père, à Barère et aux Jacobins
certains actes du redoutable proconsul (2). Toutefois, dans
cette correspondance, s'il l'accuse d'être «un deRpote, un
assassin de l'esprit public ... » etc., il se garde bien de lui
reprocher les exécutions sommaires et le sang versé. Dans
la lettre qu'il adresse le lendemain à .Robespierre, (il est à
Tours), c'est à peu près la même note. Il critiquera, par
exemple Carrier~ bien portant, de se donner comme malade
« et de vivre dans un sérail, entouré d'insolentes sultanes et
peine allusion. « Ma conférence avec lui (Carrier) serait trop longue à détail
ler », et c'est tout. (Une mission, p. 228).
(1) Lettres de Jullien des 12 et 17 nivôse (1
et 6 janvier 1794) au Comité
de ~alut public. Une mission, p. 168, 169 et 170). Carrier, ni plus ni moins,
voulait faire arrêter Tréhouart « ce crapaud qui ne gravit jamais la Mon
tagne, sur laquelle il était toujours juché» (Ordre au général Tribout
du 4 nivôse aIl II 24 décembre 1793. Arch.nat., A FIl, :1.72. (Une mission,
p.298). Le curieux de l'affaire, c'est que Jullien lui-même avait aupara
vant dénoncé maintes fois au Comité « le faible et vacillant Tréhouart.
auquel le séjour de la Montagne était plus que nécessaire ... » (V. Une mis
sion, p. 156, 167, etc.
(2) Une mission, etc ... , p. 224 et sui vantes. Lettre:;
pluviôse (3 et 4 février 1794).
de Jullien des i5 et fI)
-" 184· ,
,d'épaulettiers lui servant d'eunuques». Cette fois, il parle,
il est vrai, ' en passant, de fusillades et de noyades, mais
sans qu'il lui échappe, à ce sujet, un seul mot de blâme ou
.de pitié (1). De pareils massacres pouvaient-ils l'émou voir ?
. Quant à Carrier, il avait lui-même demandé son rappel
bien avant l'arrivée de Jullien à Nantes. Cela résulte d'un
arrêté général du Comité de Salut public du 18 pluviô,se
an II (6 février 1794), où il est dit:
« Il sera proposé à la Convention de faire remplacer
Carrier, qui demande son rappel, par un autre représen
» tant; Prieur (de la Marne) sera chargé de le remplacer. J)
CARNOT.
Deux jours après, Barère, au nom du même Comité, écri- '
vait encore à Carrier: .
« Tu as désiré être rappelé. Tes travaux multipliés dans
» une ville peu patriote et voisine de la Vendée, méritent que
» ' tu te reposes quelques instants, ct tes collègues te rever-
J) ront avec plaisir dans le sein de la Convention Nationale.
J) Ta santé a été altérée par tes occupations constantes.
J) L'intention du Comité est de te donner une autre mission
» et il est nécessaire que tu viennes en conférer avec lui (2). »
Carrier ne quitta Nantes que le 28 pluviôse (16 février) et
vint tranquillement reprendre sa plaCé à la Convention, où
il siégea eneore plus de neuf mois, jusqu'au 4 frimaire an III
(24 novembre 1794).
« Il faudra le cri public pour l'arracher aux bancs de la
» Convention, il faudra une triple, une quadruple épreuve,
J) l'avis de trois comités, le rapport d'une commission de
" vingt et un membres et deux débats contradictoires au
" sein de l'Assemblée pour l'envoyer prendre place sur les
(>1) Une mission, (p. 225. 229).
(2) Arch. nat., A F II, 278 et 37. AULARD : Recueil, t. X, p. 724,778.-
CJlASl>llS ; La Vcndée patriote, t. IV, 231,.
{Sri
. » gradins auprès · de ceux qui avaient été ses instruments au
» moins autant que ses complices (1). J)
On peut en conclure que si Carrier avait pu prolonger de~ .
quelques mois son séjour à la Convention, c'est-à-dire
jusqu'au 1
prairial, il est fort probable que, comme les
autres terroristes, il aurait été appelé à profiter de l'amnistie
du 4 brumaire an IV (26 octobre 1795).
Si nous avons évoqué le souvenir de ce triste fantoche
que fut Jrillien, et si nous nous y sommes arrêtés aussi long
temps, c'est parce que sa première mission n'est guère
connue que par les fariboles qu'il a racontées lui-même et que,
mieux qu'en Le Carpentier, mieux même qu'en Prieur (de la
Marne), nous trouvons chez lui le type parfait de ces mis-
sionnaires vantards de la Montagne, qui s'en firent d'abord
beaucoup accroire à eux-mêmes, et qui, ce qui est plus mal
heureux, réussirent à convaincre de leur importance et de
leurs hauts faits d'armes les gens assez naïfs pour prendre
à la lettre leurs dires et leurs écrits.
Il n'a pas suffi aux écrivains qui ont célébré les derniers
montaghards de leur attribuer toutes les qualités morales,
(nous allons y revenir), ils ont voul u aussi les parer de tous
les avantages physiques.
(( Romme, dit Michelet, avec la figure de Socrate, avait son
sens profond, t'austère douceur d'un sage, d'un héros, d'Url:
martyr. )) (( Romme, dit M. Claretie, dont la belle tête cha'l!t
ressemblait à · un marbre antique. ))
Or, voici que M. Dayot, inspecteur général des Beaux
Arts, et qui, en cette qualité, a ses grandes et petites en
trées au Département des Estampes de la Bibliothèque
Nationale, s'est avisé, un jour, d'y rechercher les portraits
(1) WALLON : Les Représentants du peuple en mission, t. 1, p. 438. LE
MÊME: Histoire du Tribunall'évolutionnaire de Paris, t. V, p. 345 et VI, p. t.
tS6
des derniers montagnards. Dans son livre-album de La
Révolution !rançaisp, il raconte ainsi la déconvenue qu'il
éprouva à ce sujet:
« Nous eussions voulu pouvoir reproduire ici les portraits
» de ces six hommes héroïques, les plus nobles victimes
. >t peut-être de la Révolution, mais, malgré nos plus patien
») tes recherches, nous n'avons réussi à découvrir que les
images de deux d'entre eux, (Romme et Goujon), et encore
~ celle de Romme, exécutée bien après les événements
» révolutionnaires, doit être d'une ressemblance discutable,
» s'il faut en croire Michelet ... (1). »
Faut-il en croire Michelet? Il est difficile de se prononcer
sur la ressemblance, mais il est aisé de conclure que, ni
Michelet, ni M. Claretie, ni David d'Angers, qui a fait
entrer Romme dans sa célèbre collection de médailles, aucun
d'eux n'a pu décrire ou reproduire ses traits que d'après ;,e
seul et unique portrait, ou plutôt chacun d'après son imagi
nation.
Nous avons sous les yeux ce portrait anonyme de Romme,
(qui, suivant M. Dayot, fut un des plus austères patriotes,
une des plus nobles figures de la Révolution, une des plus
glorieuses victimes du 29 prairial). Eh bien? malgré toute
la. bonne volonté qu'on peut y mettre, on n'y trouvera rien,
rien d'un marbre antique, tête de Socrate ou d'un aùtre
philosophe. Chose bizarre! Ce portrait reproduit, au con- .
traire, trait pour trait, le type d'un personnage populaire,
cr. éé plus tard, par Henri Monnier, celui de « M. Joseph
Prudhomme, élève de Brard et de Saint-Omer j)
A vrai dire, - il est encore un portrait, Ott plutôt une cari-
cature de Romme, esquissée par Jourdan dans son compte
rendu des séances de la Commission militaire. Il écrit (et
c'est pour nous le seul passage de ce compte rendu, qui
manque l'éellement de mesure) :
(1) DAYOT : La Révolution française: Les derniers Romains, p. 465.
- .187 - -
« Homme n'osait lever les yeux. Il était pâ.le, défa H, la
» crainte était peinte sur sa figure, il se concentrait, il s~
» serrait contre lui-même comme s'il eût peur d'être appro
J) ché. Naturellement plus laid que Marat, ses traits inspi-
» raient l'aversion et le dégoût. Il n'avait pas comme le
» prétendu « Ami du peuple » cet air grotesque qui excitait
» .le rire ... (1). »
Le portrait de Goujon, par M .. Claretie, est encore plus
. flatté que celui qu'il a fait de Romme : . .
« La belle tête de Goujon, fine, féminine, sans barbe,
» un nez droit, aquilin, sur une bouche petite et sérieuse, le
» menton nettement accusé, encadrant ce calme visage
» d'une résolution si charmante, des cheveux longs, qu'on
» devine soyeux, tels qu'ils pouvaient s'échapper du casque
» d'une Herminie,. s'élève au-dessus du groupe. Ce Spar
» '; ;tiate ferme et doux marche au premier rang. Sur les
» bancs de l'assemblée se dressait sa taille haute de six
» pieds ... "
Et plus loin:
Cl Goujon, à qui ses longs cheveux tombant des deux
» côtés de son mélancolique et fier visage, donnaient l'as-
» pect d'un apôtre (2). »
(( Goujon, dira plus tard Réal, l'ex-accusateur du tri-
bunal révolutionnaire, Goujon ressemblait à un Caton
jeune ... (3) »
C'est possible, et nous n'avons pas pour contrôler ce dire
de portrait authentique de Caton jeune. Nous avons, par
exemple, un portl'ait de Goujon, un seul, dessiné par Isabey,
gravé paT' Bonneville, pour la collection Dejabin, et repro
duit dans l'album de M. Dayot.
Faut-il l'avouer ? Dans ce portrait, qui paraît d'excellente
('1.) Moniteur. N° du 4 messidor 22 juin. Réimpression, 1. XXV, p. 26.
(2) Les Derniers Montagnards, p. 101 et 286.
(3) Id., p. 24.
t88 _a
facture, la tête, aux traits fins et enjoués, est une vraie tête
de femme, avec une chevelure partagée très régulièrement et
de "longues boucles qui tombent en cascades' sur les épaules .
. Goujon,' 'quand fut fait ce portrait, devait avoir vingt-sept
ou vingt-huit ans. Il en porte quinze au plus (1).
(A suivre.)
(t) La Révolution {rançaise,p. 465.
231 _.
DEUXIEME PARTIE
TabLe tles memoires pnb/.iés en 1915
Barbares d'autrefois, Barbares d'aujourd'hui,
par Frédéric LE GUYADER .................. .
Notes sur deux monuments de la fin de la Re
naissance en Rret.l'lf.me.'l 0 Porche de l'Eg'l ise
de Sainl.-Houal'don. 2°0ssuaiI'e de Sa inL-
Pagea
Tbégonnec, pal' Charles CHAUSSEPIED ........ 15,20
III. La RévoluLion en BreLagne. Les Derniers Mon-
VIL
lag:naeds, 1795, (suiLe), pal' Pl'. HÉMON ..... 26, ' 157
. NoLes SUt: la fonLaine de Gouesnou, par Charles '
CHAOSSEPIEn (planche).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 L
MoLLes féodales, par le chanoine ABGRALL
(7 plane hes). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .....
Les MoLLes féodales du pays de Morlaix, par
Louis LE GUENNEC (planche).. . . . . . . . . . . .. . ..
NoUces paroissiales. Mahalon, par le com te
Conen de Saint-Luc (5 planches)............. 106
VIII. L'Église de Pencran et ses annexes, par L. LÉ-
CU [{EUX . . . . . . . . .. . ..... -. . . . . . . . . . . . . 139
IX. luscl'ipLions gravées eL sculplées sur les p.glises
et monumenLs ' du IriIlisLèl'e, recueillies par
le ehanoine ABGHALL.. . . .. ................ 189
X. Discours dè M. le Président. ... . " ........... , 217
ARCHEOlOG
DU FI N1STERE
B.P.531