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Société Archéologique du Finistère - SAF 1915 tome 42 - Pages 139 à 156
L'ÉGLISE DE PENCRAN
ET SES ANNEXES
------ -- > ex.. 0>-------
L'église de Pencran (1) s'élève au sommet d'urie croupe
rocheuse et boisée qui domine Landerneau et la pittoresque
vallée de l'Elorn .
Notre-Dame de Pencran était avec Loc-Eguiner, La Mar
tyre, La Roche-Maurice et Saint-Julien de Landerneau une
des « trêves ) ou succursales de Ploudiry. En l619 seulement '
Pencran obtint des fonts baptismaux. Nous avons le procès-
verbal de bénédiction des fonts le 18 mai 1619 par Christophe
de Lesguen, archidiacre, vicaire-général de Léon et recteur
de Ploudiry. C'est par la transcription de cet acte que débute
le registre des baptêmes de 1619 à 1668 que possèdent les
archives communales de Pencran. .
L'église est probablement datée par une inscription gothi-
que en relief SUt' un cube de pierre qui remplace une statue
à gauche de l'entrée du porche sud. En voici la transcription
tout à fait exacte:
« LE ~5 JOUR DE MARS L'AN i553 FUT FONDE (sic) CESTE CHA-
PELLE AU NO[M] DE DIEU ET DE SA MÈRE ET MADAME SAI[N]CTE
APPOLINE DE PAR HERVE K[ER]AHES ET GUILL(AUM]E BRAS,
FABRIQUES DE LAD. CHAPEL. .. » (21.
Nous avons relevé dans un acte une mention de ces deux
personnages remplissant déjà les mêmes fonctions trois ans
plus tôt. Les archives du Finistère(3),-conservent en effet une
(1) La prononciation Paincran se trouve attestée dès i619 par un acte
dont nous reparleron~ et qui a trait à la réparation des orgues.
(2) Archives du Finistère, G, paroisses, Pencran.
Il est probable que par chapelle on veut entendre l'éditice entier et non
une portion de l'édifice .
(3) Ibidem .
-' 140 -
donation reçue « le vignt (sic) septiesme jour de Juillet l'an
mil cinq cent . cinquante « par )) Hervé Kerahès et Guillaume
Bras, fabricq'ues de l'église et chappelle Notre~Dame de Pen-
cran ·ll. .
Le même carton renferme deux actes encore plus anciens
relatifs à Pencran:
1° Un contrat du 6 février HH6 dans leque.l figurent « Oli
vier Le Cann et Guillaume Diverrès ... procureurs et syndic-
ques de la chappelle Notre Dame de Pencran )).
2° Une fondation du 2 avril H548 où il est question d'un
lieu de sépulture situé « en lad. église, en l'arch (sic) d'entre
le cueur et la chappelle mons
Sainct-Eutrope)).
Entre, ces deux actEls il faudrait placer dans' l'ordre des
dates une inscription de H521 que nous avons pu déchiffrer
au moyen d'un estampage SUl' la base de l'une des croix du
calvaire. Cette inscl'iption est très fruste. Nous en donnons
pour la première fois une lecture complète: '. .
AU lVIOYS DE MAY MIL Vc VIGNT (sic)
UNG FURENT CESTES CROIX ET MASSOlN]
FOUNDEES (sic) PAR JEHAN LE CAM, YVVES
LE JEUNE ET YVON CRAS, PROCUREURS
DE LA CHAPPELLE DE CEANS. E. R.
Nous ne ferons pas état de la date HH7 que porte une
sculpture sur bois à l'intérieur de l'église. Cet objet pourrait
venir d'ailleurs. Les autres documents suffisent pour attester
l'existence à Pencran d'une église antérieure à '15tia et rem-
placée alors par celle que nous voyons actuellement. -
Une tête, de sculpture assez barbare, que nous voyons
. encastrée dans le mur nord en dehors de l'église pourrait être
un morceau réemployé. Il y a des têtes un péu du même genre
faisant office de chapiteaux sur les colonnettes du porche
ouvert sous le clocher de La Martyre, clocher qui paraît
être du XIVe siècle.
On a souvent signalé que la cloche de Pencran. portait la
141 .
date de 1365. Mais nous verrons que celte cloche 'n'a pas été
faite -pour l'église: c'est une cloche flamande.
Il reste que l'église actuelle de Pencran a dû être commen~
cée en 1553. Nous verrons plus loiu qu'une statue de la
patronne, sainte Appolline, y fut placée en 1550, ce qui semble
indiquer que l'édifice était dès lors livré au culte.
Nous allons ' maintenant étudier j'église et voir les addi-
tions qu'elle a reçues à , diverses époques. Les documents
nous fourniront encore plusieurs dates précises. ,
Intérieur. La disposition de l'édifjce est celle de la plu-
part des églises' rurales 'bretonnes : nef et bas-côté compris
sous une toÎlure unique et éclairés seulement par les fenêtres
des collatéraux; chevet plat ajouré par deux grandes baies et
deux ouvertures secondaires .
La nef; suivant une disposition fréquente en Bretagne, est
partagée par un arc-diaphragme en deux parties symétriques .
De chaque côté, deux arcades en tiers-point pénètrent dans
des piliers ronds, le pilier extrême étant engag~ dans un pan
de mur qui correspond à la moitié de la longueur' de la nef.
Cette di~position avait pOllr objet de permettre l'établissement
d'u n jubé. ,.
A gauche du chœur, une porte gothique en accolade, sans
doute réemployée, surmontée d'une statue' de sàint Pierre,
donne entrée dans la sacristie.
Clocher. - . Le clocher, placé sur le pignon occidental, pos-,
sède deux galeries: la première est bordée de, quatrefeuilles ;
la seconde de pilastres. Une pierre carrée e'ncastrée (lans .la
face méridionale porte l'inscription suivante: , , ,
JAN LE ROUX
YVES LE BESCO
NT i696
Des documents heureusement conservés nous apprennent
que cette inscription se réfère à une reconstrUction qui ne fut
pas la dernière: il fallut de nouveau en 1718 reprendre le
clocher frappé par la foudre; c'est alors que l'on établit la
seconde galerie.
, Jean Le Roux et Yves Le Bescond étaient fabl'iques pour
les années 1695 et 1696. Leur compte, que nous a communi
qué obligeamment M. l'abbé Guézennec, recteur de Pencran,
porte qu'ils ont payé « pour le rétablissement et construction
de la tour depuis la première voûte qui est plus bas que le toit
de l'église jusque au choc (sic) qui est SUt' la tour inclusivé
(sic), la ,somme de '1'185 livres 18 solz ».
Les archives du Finistère (série et fonds déjà indiqués),
possèdent toute une série de pièces relatives à cette recons-
truction : '
Le 8 mai 1696, marché conclu 'avec PierrA Tréguier et
Gabriel Berthelé qui s'engagent à démonter et remonter le
clocher avant la Saint-Michel, pour la somme de deux cent-
trente livres. , ,
2° Le 12 juin 1696, sentence de la Cour de Landerneau
condamnant Tréguier et Berthelé à remplir leurs obligations
sous peine de nullité du marché.
- 30 Le 30 juin '1696, nouveau marché conclu avec Michel et
_ Olivier Callac, père et fils, et Jean Le Moign pour la somme
de trois cent-dix livres.
4,0 Le 9 octobre 1697, quittance notariée d'Olivier Callac à
Jean Le Roux et Yves Le B.escond de la somme de cinq cent-
vingt-cinq livres (( comme pour l'advis du général de la dite
trève on auroit fait des augmentations sur la dite tour pour la
somme de 150 livres ... et en outre par le mesme advis dudit
général on auroit pareillement accordé avec ledit Callac pour
et en faveur de la somme de soixante et cinq livres pour le
dédommager pareillement des autres augmentations par lui
dû depuis faites et qui estoient requises et nécessaires pour
faire lad. tour renable ».
Il semble que cet Olivier Callac ait été un habile homme
- 14:3 _.
qui sut amener peu à peu les « tl'éviens » à dépen' ser plus
qu'ils n'avaient d'abord projeté. Notons d'aiHeurs que la
même année, il n'eut pas autant de succès auprès des gens de
La Martyre et ne put obtenir l'adjudication de la · nouvelle
sacristie dont la construction fut · confiée aux Kerrandel,
père et fils.
Le dossier que nous venons de citer n'est pas sans intérêt
pour l'histoire de l'administration des paroisses rurales de
Basse-Bretagne. On y voit quelle est l'importance du goût et
de la volonté du « général des habitants» dans les questions
de construction et d'arrangement des églises. Les gens de ce .
pays peuvent se vanter d'avoir des églises bien faites par eux
et pour eux. Ce groupe de vieux actes en apporte une fois de
plus la preuve.
Le clocher de Pencran reconstruit en 1696 fut frappé par
la foudre vingt-deux ans plus tard.
Les archives du Finistère conservent le marché passé
le 24 juillet '1718 avec François Gourvez de Plounéventer :
« On fera quatre lanternes (sic) ou flambeau (sic) sur les
quatre écoinnures (sic) des garde-corps ainsi qu'il est marqué
sur le dessein (sic), on fera une seconde platte-forme pour
recevoir la seconde chambre de cloches ... on fera un garde
corps avec quattre lanternes sur les encoignures de la dite
seconde chambre des cloches ... »
. Le « dessein » ne paraît pas avoir été réalisé. point par
point, mais il semble bien que la seconde galerie, telle que
nous la voyons aujourd'hui avec ses balustres, date de la
seconde reconstruction. .
Nous ne citerons que pour mémoire un marché du 2 juin
1737, conclu en vue de menus travaux comme de « chicter »,
c'est-à-dire rejointoyer le clocher.
Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1833 la foudre tomba
encore sur le clocher de Pencran. M.le chanoine Peyron a bien
voulu nous communiquer la lettre que le desservant, l'abbé
144
Calvez, écrivait le lendemain à son évêque. Les dégâts faits
au clocher et à l'église étaient sérieux:
« La pointea été emportée ... et une large brèche faite à un
des côtés jusqu'aux secondes galeries . Toute l'église a souf-
fert du coup. Tous les vitrages des croisées ont été empor-
La lettre se termine par cette réflexion:
« On ne meurt pas de peur, puisque je ne suis pas mort la
nuit ,dernière ».
Nous' voyons par le même dossier qu'il y eut quelques
difficultés , administratives, Le curé, pressé par les habitants,
voulait rétablir l'intérieur d'abord; le préfet s'y opposait par
crainte d'écroulement du clocher. Les bretons du XIX
siècle se "
montrent ici non moins jaloux d'arranger leul's églises à leur
id.ée que ne l'étaient leurs pr.édécesseurs.
Sacristie. La sacristie est un grand édifice formant
équerre avec Féglise, dont il prolollge au \Jord le pignon orien-
tal. Il ya aux angles des lanternons. . .
Il se peut que' les gens de Pencran, lorsqu'ils construisirent
ceHe sacristie, aient 'voulu rivaliser avec leurs voisins de La
Martyre qui venaient, quelques 'années auparavant, de se
faire bâtir une sacristie monumentale . .
Ce qui devait servir primitivement de ' sacristie, c'est la
partie occidentale du bas':'côté nord qui forme un reduit com-
plèlemenL : séparé du reste de l'église par des murs . ..
, La porte de la sacristie ' se trouve' du côlé ouest: On a mis
au-dessus 'la moÙié supédeùre d'une grande 'statue en' piérre
de saint Jean l'évangéliste que l'on a sciée' en deùx : l'autre '
m oHié- gît da'ns le cÎme'tÏère d li côté:'sHd de l''églüm.' ' " , ,
A d't;oite de la: porte; : à' I"exLétièur, il faut' r'emarqlier,' en-
castré dans le mur, un bénitier gothique en granit noir.
Porche. La dépendance la plus in téressan te de l'église
est le,porche méridional orné de nombreuses sclllptures et qui ..
ILl PENCRAN (Finistère), Le Clocher
i4~ _0'
tient une place importante dans la série des porches scupltes
de la Basse-Bretagne.
L'ouverture d'entrée, en anse de panier, est bordé d'un
feston de feuilles de vignes et de grappes finement sculptées.
Trois larges gorges parallèles, l~enfermant des motifs
sculptés, suivent les pieds-droits et, formant plein-cintre,
délimitent au-dessus de l'entrée un vaste tympan. Celui-ci a
dll êtr,e autrefois complètement garni de statues que suppor-
tait une corniche munie de cinq ressauts reposant sur des
culs-de-lampe. Tout le dessous de la corniche est sculpté de
feuillages qui varient pour chaque cul-de-lampe.
De chaque côté des pieds-droits, trois colonnettes torses,
snrmonLées de pinacles, servent de point de départ à des
moulures appliquées contre le pignon: la première en plein
cintre, la seconde en accolade, la troisième , et dernière en
mitre. L'écoi'nçon compris entre le plein-cintre et le sommet
de l'accolade est occupé par une statuette de la Vierge cou
ronnée tenant l'Enfant.
Enfin le pignon est accoté de part et d'autre par un contre
fort cre-usé de trois niches destinées à recevoir des statues.
A l'intérieur du porche, nous voyons, comme c'est la règle
pour les porches bretons, les statues des douze apôtres. Les
dais qui les abritent sont très riches. Tout cet ensemble inté-
'rieur a été peint au XVIIe siècle. On disLingue encore sous les
voûtains des restes de grandes figures.
A l'extérieur, la décoration sculptée du tympan et des niches
creusées dans les contreforts latéraux n'est plus complète.
Peut-être y avait-il sur le tympan une Annonciation et une
Nati vité. Actuellement les deux ressauts de gauche ne por
tent plus de statues. Sur l'avant-dernier ressaut à droite
subsiste le berceau de l'Enfant. C'est oien sa place primitive,
car au-dessus sortent d'une pierre enca~Lrée daus le mur, '
comme à La Martyre, les têtes de l'âne et du bœuf uuies par
un joug. La statuette de l'Eufant a disparu. Sur les ressauts,
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. TOME XLI (Mémoire:; 10).
- f46-
de part et d'autre, se voyaient les statues agenouillées de la
Vierge et de saint Joseph. Elles sont maintenant décapitées
et mal remises en place, présentant Je côté grossièremen t
équarri qui devrait toucher Je mur.
Dans les niches des contreforts nous tro)Jvons actuellement,
de chaque côté, deux statues. Dans une niche de droite, une
jolie statuette de femme à longs voiles. Il y reste des traces
de peinture et de dorure. L'inscription en lettres gothiques
porte:
S : SUSSANNA : ORA
La niche de la face extérieure abrite une statue de sainte
Anne faisant lire la sainte Vierge.
La niche extérieure de gauche est occupée par une statue
décapitée de Vierge hanchée tenant l'Enfant. Ce n'est évidem- ·
ment pas la place qui revient à une image de la sainte Vierge .
Cette statue a peut-être sUl'mon~ autrefois la porte ouest au
dessus de laquelle on voit aujourd'hui un saint Pierre.
Dans la niche du milieu, on voit une sainte en longue robe
et voile dans le genre de la sainte Suzanne de J'autre côté,
puis · dans la niche du côté intérieur, au lieu d'une statue, le
cube de pierre qui porte rinscription de 1553 dont nous
avons déjà donné la transcription.
Les gorges qui encadrent l'entrée ont heureusement con
servé toutes leurs sculptures. Celle du milieu n'en a jamais
eu que da' ns le· bas, mais les deux autres en sont complè
tement garnies . .
Dans la partie droite c'est une série de scènes bibliques
et au-dessus les statues de quatre évangélistes. Dans la
partie en plein cintre il y a des anges. Le premier ange dans
chaque gorge est un ange encensant, dans la gorge intérieure
tous les autres sont des anges musiciens, dans la gorge exté
rieure des anges priant. Les scènes bibliques sont au nombre
de neuf distribuées de façon assez capricieuse:
Dans les trois compartiments du bas à gauche: la Ten-
, 147-
tation d'Adam et d'Eve; Eve à gauche, Adam à droite, au
milieu l'arbre, ·aut- our duquel s'enroule le corps du serpent
dont la tête et le buste féminins se voient dans le comparti
ment de gauche. Par une inadvertance du sculpteur Adam et
Eve ont déjà des feuilles de vigne.
20 Symétriquement, de l'autre côté de la porte ' Adam et
Eve chassés du Paradis Terrestre: à gauche A'dam, au ini
lieu Eve près de l'arbre, à droite l'ange l'épée à la main, Les
statuettes d'Adam et de l'ange sont décapitées.
30 A gauche de la porte, au-dessus d'Eve écoutant le ser
pent, Eve mère de famille, tenant dans ses bras un enfant
emmailloté et remuant avec son pied un autre enfant posé
par terre dans un berceau. Elle a comme pendant Adam
la, boureur, vêtu d'une souquenille serrée à la taille par une
ceinture; il porte ulle longue bal'be et s'appuie sur une bêche.
4:' Du même CÔlé, au-dessus d'Eve mère de famille, le sacri
fice de Caïn: Caïn à genoux, coiffé d'une toque, fait brûler
des gerbes de blé. La fumée revient l'aveugler. De sa main
gauche il se frotle les yeux.
5° Dl) même côté, au même niveau, dans la gorge de droite,
la scène correspondante du sacrifice d'Abel: Abel pieusement
agenouillé, mains jointes et tête nue, fait brûler des agneaux j
on distingue une petite tête sortant du feu; la flamme mOllte
droite et aiguë.
6° De l'autre côté de, la porte, gorge de gauche et gorge du
milieu: Caïn meurtrier dé son ,frère; à gauche Caïn, la bêche
à la main, cha ussé de housea ux de paysan et de sabots, écoute
le Père Eternel dont le buste apparaît dans une nuée, Ce der
nier motif est mutilé. Dans la gorge du milieu, Abel vêtu de
même que Caïn est étendu à terre, le front largement ouvert.
7° Au même niveau, dans la gorge de droite: l'arche de
Noé, d'où sortent, au milieu, des têtes d'hommes, et, de part
et d'autre, des têtes d'animaux.
8° Ali-dessus, gorge de gauche: Noé cueillant le raisin,
1 1 1
148 -
- 90 Faisant pendant à cette scène, dans la gorge de droite, la
scène de l'impiété de Cham.
Au-dessus de chaque scène il y a un dais. Le dais qui se
trouve entre Adam chassé du paradis et Caïn répondant au
Seigneur a une sorte de chapeau servant · de base à la scène
supérieure et que semblent soutenir deux minl;lscules person-
nages. Le dais qui est sous l'arche de Noé a une disposition
analogue, mais les deux parties enserrent un petit personnage
qui, allongé sur le sommet plat du dais proprement dit, s'arc
boute pour ne pas être écrasé par la base soutenant l'arche
de Noé. Au-dessus de la figurine qui représente Abel mort
couché par terre, il y a, au lieu d'un véritable dais, une sim
ple bandelette tenue à plat par deux bêtes dont les queues
s'enlacent et dont les museaux, au-dessus de la bandelette,
entrent dans un objet aujourd'hui mutilé, peut-être un nid.
Avec un réel sens de l'équilibre, le sculpteur s'étant décidé à
mettre deux sujets dans la gorge centrale de droite alors qu'il
n'yen avait qu'un seul dans la gorge correspondante de gau
che, a du moins voulu faire en sorte que le sujet ajouté à
droite n'occupât, avec ses accessoires, qu'une place restreinte.
Nous trouvons ici les traditions de l'art du Moyen âge qui
réprouve également le manque d'équilibre et la symétrie trop
rigide. D'ailleurs tous les détails de ce porche témoignent
de beaucoup de soin et de goût. Ainsi, dans le feston de feuil-
lage qui borde l'ouverture d'entrée, quelques petits motifs
accusent les principales divisions des lignes: au milieu de
la ligne horizontale un masque; en haut de chaque pied
droit, à côté d'une grappe de raisin, une minuscule figurine
de même hauteur que la grappe: à droite, c'est un petit per-
sonnage en longue robe qui serre la' grappe dans ses bras; le
personnage de gauche, court-vêtu, souffle dans une trompe .
Au bas de chaque pied-droit, le point de départ du feston
sculpté est marqué par une sorte de crapaud qui s'efforce de
grimper. Quant au style des figurines, tout en étant plus
= . t49
correct qu'au porche de La Martyre, il Il presque autant de
saveur naïve. La série des scènes bibliques parait d'ailleurs
avoir été fort admirée dans la région. Au siècle suivant, les
sculpteurs qui ornèrent le porche de Guimiliau copiaient des
scènes entières du porche de Pencra n.
Nous voudrions pouvoir dater de façon précise cette œuvre
vraiment capitale, mais les éléments nous manquent. Tout
ce que nous pouvons dire, c'est que ce porche est de la seconde
moitié du XVIe siècle, par conséquent postérieur de plus d'un
siècle au porche de La Martyre.
Un détail important à noter au sujet de ra technique, c'est
que l'on relève sur les claveaux des marques d'appareilleurs.
Il est donc bien probable que les motifs ont été taillés en car
rière, pratique constante chez les sculpteurs bretons et qui
explique bien des caprices et des anomalies dans l'ordre de
leurs séries iconographiques.
lJIobilier. On remarque en entrant dans l'église le rem-
plage élégant de la grande fenêtre, mais il n'y a pas de vitraux .
anciens. Nous ne savons s'il y en avait avant l'ouragan de
décembre 1833.
Il Y a eu de bonne heure des orgues. Nous trouvons aux
Archives du Finistère (1), un marché passé le 18 mars 1619
avec deux facteurs d'orgues de Dinan qui s'engagent à
({ réparer les hogres (sic) estantz dans la dicte chappelle et
iceulx faire soner tout aynsy comme sy les dictz hogres soint
neutI (sic) ».
Inutile de dire que nous ne trouvons plus trace de ces
orgues.
L'objet mobilier le plus intéressant est une belle sculpture
sur bois qui se trouve placée aujourd'hui dans le chœur à
gauche de l'autel. C'est une sorte de retable représentant en
plein relief la descente de croix. Les personnages sont assez
(t) Série et fonds déjà indiqués .
- 150
h-abilem~nt groupés. Au bas se déroule sur une seule ligne
l'inscription suivante dont la fin est difficile à interpréter:
La première partie n'a rien qui puisse embarrasser:
EN LA[NJ MIL Va XVII CEST HISTOIRE FUT COMPLET (sic) : DIOU-
GUEL.
Diouguel est un nom de famillé breton dont il y a bien des
exemples.
Ensuite viennpnt sur deux lignes occupant au total la même
hauteur que le reste de l'inscription la syllabe moy et la syl
labe ist, Après cette dernière un pelit ruban suivant à peu
près la sinuosité d'un oméga .
Nous serions portés à yoir dans ces deux syllables et dans
ce signe uue marque d'ouvrier. Les exemples que nous avons
recueillis nous donnent à pens{'r qu'en Bretagne, aux xv
XVIe siècles, les noms que l'on trouve en toules lettres sur les
œuvres d'art sont des noms de donateurs ou de fabriques
tandis que les ouvriers ne mettaient que des initiales ou de~
marques. - _
Dans le bas-côté sud se troLlve la statue de sainte Appolline
dont nous avons déjà eu l'ocça~ion de parler à cause de la
date qu'elle por,te. Celte statue est en pierre, de facture mala
droite. Elle a été grossièrement repeinte. Sur le socle se
lit l'inscription suivante en relief d'une écriture cursive assez
ga uche :
CEST YMAIGE FUT F AICTE
ET CESTE CHAPELE NICHE AN
P[AH] O. LE MERCIER ET R. SCAN
LAN 1555.
L'inscription est évidemment fautive. La première ligne
contient déjà une de ces libertés syntaxiques fréquentes à
cette époque dans les illscriptions françaises de Bretagne, où
nous trouvons constamment le ma~culin pour le féminin.
Déjà deux illscl'Îptiolls de Pencran, celle de '11'>53 sur un cube
de pierre et celle de '1517 au bas du groupe de la descente de
" , 1tH ' "
croix, nous ont fourni des exemples de ce genre de faute: fut .
fondé ceste ch tpele cest histoire fut complet.
La fin de la seconde ligne est incompréhensible. On lit très
nettement: niche an. Peut-être le premier mot doit-il être
interprété: niché. A cette époque on ne peut s'attendre à
trouver un accent sur la finale. Quant à la syllabe an c'est
une graphie très répandue en Bretagne à cette époque et
encore au XVIIe siècle pour la préposi tion française: en. On
lit sur le calvaire de Plougastel .: A[N] LA[N] 1602, sur une
sablière de La Roche : A[N] LA[N] M: V LXVII.
Maintenant faut-il joindre an au mot l'an qui commence la
quatrième ligne. Faut-il supposer une autre transposition et
comprendre ainsi les deux premières lignes:
CESTE YMAIGE FU T FAICTE
ET EN CESTE CHAPE LE NICHEE
(niché au lieu de nichée étant un exemple de plus de manque
d'accord) ?
En tout cas l'inscription est fautive, et d'ailleurs il ne faut
pas trop s'étonner de trouver des fautes dans les inscriptions
françaises de Basse-Bretagne, exécutées par des ouvriers bre
tonnants .qui devaient souvent reproduire sans les comprendre
des modèles déjà incorrects.
Quant aux deux noms qui occupent la troisième ligne, ce
sont des noms de fabriques. Nous avons trouvé un autre
O. le Mercier dans l'acte de 1619 relatif à la réparation des
orgues. C'est un des deux notaires de Landerneau devant
lesquels est passé l'acte. Il se peu t que le (abri que O. le Mer
cier habitât déjà Landerneau puisqu'en umo Hervé Kerahès
avait sa demeure dans cette ville.
L'inscription de la statue de sainte Appoline, malgré les
difficultés qu'elle offre, nous fournit donc des renseignements
intéressants.
Outre cette importante statue, l'église de Pencran renferme
-, ' 152
un certain nombre de sculptures sur bois dont il est difficile
de préciser l'époque. Dans la nef: une Piét.à assez expressive
et une Annoncialion composée de deux statues séparées qui .
ont été misp.s ell pelldaut, l'ange à gauche, près de la chaire,
la ViNge à droite; dans le bas-côté sud, une statue de saint
Yves, dans Je bas-côté nord, celles de saint Tugdual, évêque.
et de saint Maudez, diacre.
Pour compléter notre étude du mobilier nous devons parler
de la cloche qui passe pour la plus ancienne cloche du
Finistère.
L'inscription n'a encore jamais été reproduitp de façon tout
à fait correcte. En voici la teneur;
MARIA + DANIEL + ET + 'HOGERUS + FHA TER + EJUS + DE
CURTRACO + P'ECERUNT + NOS + ANNO + DNI + Mo+CCC-+LXVo +
Cette inscription, en champlevé. fait tout le tour de la
cloche.
D'après des renseignements qu'a bien voulu nOl1s commu
niquer M.le Président du Cercle archéologique de Courtrai,
le nom de Daniel a été répandu au XIV' siècle dans la famille
des chatelains de Courtrai. Daniel et Roger semblent bien en
tout cas être des donateurs, Ifff.'fllut signifiant comme très
souvent: ont Ia.it laire. Maria pourrait être le nom de la
cloche. Toutpfois sur ce point notre savant. confrère M. Joseph
Berthelé - si compétent dans les questions de campanographie
n'a pas voulu se prononcer;
Ce qui ressort du moins bien nettement de l'inscription,
c'est. que la cloche est d'origine flamande. Serait-ce un tro
phée rapporté par quelque breton pendant les guerres de
Louis XIV ou de Louis XV au cours desquelles nos troupes
ont pris quatre fois Courtrai'? Ne serait-ce pas plutôt, comme
nous Je suggéra M. Berthelé, une cloche ayant fait. partie
d'un butin de guerre pendant la Révolution et vendue ensuite
d'occasion à la paroisse au moment du rétablissement du
i53
culte? Il parait que plusieurs cloches belges actuellement da ns
des clochers de France y sont arrivées de cette manière.
Le :2 août 19'14 la cloche flamande de Pencran appelait aux
armes des bretons dont plusieurs devaient verser lenr sang sur
les champs de bataille de Belgique.
Cimetière et calvaire. · Le cimetière de Pencra n n'a pas, à
proprement parler, de porte monumentale. Il y a seulement
de plirt et d'autre de l'elltrép des piliers à pinacles qui, d'après .
leur style, pourraient. être contemporains de la sacristie bâtie
ell 170H ..
Le calvaire est très simple; placé sur la clôture du cime- .
tière il est constitué par trois cubes de pierre dont chacun sup
porte une croix.
A côté des deux larrons nous voyons "comme d'ordinaire
l'ange et le diable emportant leurs âmes. Ils sont ici perchés
sur un bras de croix. Au sommet du montant de la croix du
Christ est un petit personnage en longue robe les mains levées.
Ce détail un peu étonnant est le résultat d'une restauration.
Sur la lithographie du recueil de Taylor et Nodier la croix du
Christ et celle du bon larron apparaissent mutilées. On a rétabli
l'ange et ajouté ce personnage. A chaque bout de la traverse
de la croix du Christ se tient un ange, celui de droite restitué.
Au revers du Christ crucifié un Ecce homo. Plus bas une tra
verse supporte deux cavaliers, puis au-dessous se trouve en
core une autre traverse sur laquelle sont placées au centre la
Pietà, au revers une Vierge tenant l'Enfant, aux extrémités
quatre statuettes: saint Jean, sainte Madeleine, saint Pierre
et saint Yves.
Sur le piédestal de la croix centrale une Madeleine à genoux
ne semble pas être de même époque.
L'inscription qui date le calvaire et que nous avons trans
crite plus haut est sculptée sur la face intérieure du massif '
qui porte la croix du mauvais larron.
- ' f54-
Grâce à la date que nous donne cette inscription le calvaire
de Pencran nous apparaît comme un des plus anciens du Finis
tère.
Plusieurs détails de rédaction sont à noter. Signalons deux
particularités d'orthographe :
1° La graphie: Vignt, que nous avons aussi relevée dans
l'acte de Hmo où figurent Hervé Kerahè' s et Guillaume Bras.
2° La graphie: foundées, vieille orthogÎ'aphe normande qu'il
est intéressant de trouver encore usitée en Bretagne au XVIe '
siècle.
Il y a aussi une particularité de vocabulaire, le mot: masson,
pour désigner l'œuvre de maçonnerie qui soutient les croix
d'un calvaire. Nous avons vu dans l'inscription du calvaire
de Plougastel le mot mace employé avec le même sens.
Au ' point de vue des institutions nous remarquerons la men
tion de trois gouverneurs.
Quant aux initiales 1. R. qui terminent l'inscription, nous
serions portés à y voir une signature d'artiste et nous expri,·
merionsencore à ce propos l'idée que nous avons émise déjà: à
savoir que l'on trouve sur les œuvres d'art bretonnes des xv :l
et XVIe siècles les noms en toutes lettres des donateurs ou '
administrateurs et seulement les initiales des artistes (quel
quefois accompagnées d'une marque, ce qui n'est pas le cas
ici) .
L'inscription de Pencran est donc une des plus importantes
inscriptions de calvaire existant en Basse-Bretagne. Son état
d'usure avait jusqu'à présent empêché de la lire.
Le cimetière de Pencran possède, outre ce calvaire, une autre
croix probablement de date assez récente. Elle porte, au revers
du Christ, la Vierge couronnée; sous le Christ, un écu mainte-
nant rasé, puis deux anges debout tenant un calice. Au-dessous
de la Vierge couronnée se trouve représentée la Sainte
Face.
Aux extrémités de la traverse on voit d'un côté les statues
USa
de saint Jean et de la Vierge, de l'a utre celles de saint Pierre
et de saint Paul.
Sur la base de cette croix, comme sur celle de la principale
croix du calvaire, est placée une statue de Madeleine à genoux.
Ossuaire. Pencran possède un bel exemple d'une âes an-
nexes caractéristiques de l'église bretonne: un ossuaire.
Cet ossuaire se tl'ouve placé contre la clôture du cimetière '
au nord-ouest de l'église. La façade présente une série de fenê
tres en plein-cintre, aujourd'hui bouchées, séparées par des
colonnes qui supportent un entablement. Au-dessus de l'enta-
blement, une série de nichAS, séparées elles aussi par des colon:.
nes, qui portent la corniche supérieure. Le toit est à double
ram'pant. Sous le pignon Est on voit la trace d'une grande
fenêtre en tiers-point bouchée. La porte se trouve au milieu
de la façade. Elle est abritée par un petit fronton. Le linteau
placé sous le fronton porte l'inscription suivante:
1594.. CHA PEL DA SA. ITROP HA KARNEL DA LAKAT ESKERN
AN POBL
c'est-à-dire : chapelle de saint Eutrope et charnier pOUl'
mettre les os du peuple.
On voit par cette inscription que l'édifice avait une desti
nation double; il servait non seulement d'ossuaire ou, comme
disent les actes, de reliquaire, mais aussi de chapelle. 1... Nous
avons vu par un document cité plus haut qu'une chapelle
de saint Eutrope existait à l'intérieur de l'église de
Pencran en 1548. Ce culte se trouve en 1594 transporté dans
un édifice annexe. Il est intéressant de posséder, grâce à l'ins
cription, la dale exacte de cette élégante petite chapelle.
L'intérieur a été a ménagé pout servir d'habitation; on a
établi à mi-hauteur un plancher. Cette addition regrettable
permet tou tefois d'examiner de près les sablières sculptées
qui sont Je plus curieux ornement de cet ossuaire.
On remarque également à La Martyre et à La Roche des
sablières historiées, celles de La Roche datées de 15;)9 et de
1567. Nous trouvons ici, sur la partie occidentale de la sa
blière nord, une scène qui figure aussi à La Martyre: c'est
la représentation d'un enterrement. Le reste de la décoration
des sablières consiste en animaux mythologiques disposés
symétriquement deux par deu· x. Il y aurait intérêt à étudier
l'ensemble des sablières sculptées de la région. Pencran pos
sède dans son ossuaire un bel exemple de cet élément déco
ratif.
yoilà encore un des aspects de l'art breton représenté dans
cette petite enceinte où se trouvent réunis tant d'œuvres si
caractéristiques de l'art religieux breton au XVIe siècle.
L. LÉCUREUX.
231 _.
DEUXIEME PARTIE
TabLe tles memoires pnb/.iés en 1915
Barbares d'autrefois, Barbares d'aujourd'hui,
par Frédéric LE GUYADER .................. .
Notes sur deux monuments de la fin de la Re
naissance en Rret.l'lf.me.'l 0 Porche de l'Eg'l ise
de Sainl.-Houal'don. 2°0ssuaiI'e de Sa inL-
Pagea
Tbégonnec, pal' Charles CHAUSSEPIED ........ 15,20
III. La RévoluLion en BreLagne. Les Derniers Mon-
VIL
lag:naeds, 1795, (suiLe), pal' Pl'. HÉMON ..... 26, ' 157
. NoLes SUt: la fonLaine de Gouesnou, par Charles '
CHAOSSEPIEn (planche).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 L
MoLLes féodales, par le chanoine ABGRALL
(7 plane hes). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .....
Les MoLLes féodales du pays de Morlaix, par
Louis LE GUENNEC (planche).. . . . . . . . . . . .. . ..
NoUces paroissiales. Mahalon, par le com te
Conen de Saint-Luc (5 planches)............. 106
VIII. L'Église de Pencran et ses annexes, par L. LÉ-
CU [{EUX . . . . . . . . .. . ..... -. . . . . . . . . . . . . 139
IX. luscl'ipLions gravées eL sculplées sur les p.glises
et monumenLs ' du IriIlisLèl'e, recueillies par
le ehanoine ABGHALL.. . . .. ................ 189
X. Discours dè M. le Président. ... . " ........... , 217
ARCHEOlOG
DU FI N1STERE
B.P.531