Responsive image
 

Bulletin SAF 1915


Télécharger le bulletin 1915

La Révolution en Bretagne. Les derniers Montagnards, 1795, (suite)

Pr. Hémon

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes

Société Archéologique du Finistère - SAF 1915 tome 42 - Pages 26 à 50

~ (Notes et documents)
LES DERNIERS MONTAGNARDS
1795
( Suite)

CHAPITRE X

La mort des Derniers Montagnards.

La naissance et le développement d'une lége~de

Jourdan, dans ses comptes rendus, rapporte que Romme,
Duquesnoy, Goujon et Peyssard nièrent . la plupart des

, motions et des propos qui leur étaient attribués, tandis que
Duroy aurait tout reconnu et proclamé même la véracité du
Moniteur. Soubrany se serait défendu, en invoquant la
loyauté de ses intentions ; BourboUe aurait fait des demi-
. aveux, en alléguant l'incohérence de ses idées, aux heures
les plus mouvementées de la séance. Enfin Forestier « n'au­
rait répondu sur toutes les dépositions, qu'en se référant à sa

défense écrite et à son interrogatoire. » .

L'attitude aux audiences de Romme, Duquesnoy, Goujon
et Forestier, (toujours d'après le Moniteur), fut celle d'hom-

mes désespérés, alors que Bourbotte, Soubrany et Duroy
gardèrent au contraire du sang-froid. De tous, Peyssard fut
de beaucoup le plus résolu. '
On sait le reste.

.&. 27 .$S _
. Sur les huit accusés, un' seul, Forestier fut acquitté, mais

le tribunal décida qu'il resterait provisoirement détenu, «.à

rai~on de faits antérieurs . Peyssard, fut condamné à la

déportation (1). Quant aux six autres, .ils furent condamnés
à mort.. Tous les six, dès qu'ils surent que l'échafaud les
attendait, se frappèrent avec des armes qu'ils avaient tenues
cachées (2). Goujon, Romme et Duquesnoy tombèrent morts,
et les trois derniers, Duroy, BOUl'botte et Soubrany, furent
livrés sanglants à l'exécuteur.
« Ils avaient juré de mourir, dit l'auteur des Derniers
Montagnards, ils avaient tenu leur serment. »
Et Peyssard, et Forestier, qui avaient réussi à sauver
leur tête: et Albitte, et ~rieur de la Marne, qui avaient pu
prendre la fuite; et Le Carpentier, qui attendait au château
~u Taureau la prochaine amnistie, avaient-ils aussi juré de

mourir, ces derniers montagnards-là ? (3) .

(t) Peyssard ne tarda pas à être libéré par l'amnistie du 4 brumaire
an IV (26 octobre 4.795).
(2) Ce fut Bourbotte qui se frappa le premier, et non Goujon, comme le
disent la plupart de ses notices. Elles ont ians doute tiré cette conséquence
de l'entrevue de Goujon avec sa famille, entrevue racontée si invraisem­
semblablement par Tissot ; sa mère lui remettant des ciseaux, sa sœur
un canif, sa femme du poison, Tissot un couteau, et le gendarme de
garde assistant à cette distribution, en feignant de ne point voir» (V.
Les Derniers Montagnards, p. 323, 33!~ et 380.)
Ce suicide a donné naissance à une autre légende, qui repa.raît
encore. " Romme, Goujon, ROUI'hotte, SQuhrany, Duq uesnoy et Duroy se
suicidèrent en pleine Convention, lors de l'envahissement de l'Assemblée, le
1" prairial an III». Voilà ce qu'écrit, en 1908, M. Jacques d{' Nouvion dans
La cité du Passé (Archives national~s). V. Monde illustré du 25 janvier HlO8.
En réalité, ils se frappèrent en descendant l'escalier qui conduit au
rez-de-chaussée. (THÉNARD et GUYOT: Le co!wentionnel Goujon, p. 2i9). Et
cependant, les mêmes auteurs; dans le même ouvrage, (p. IX), écrivent,
qu'ils se poignardèrent tous ensemble au pied du tribunal ».
Il y aurait bien d'autres inexactitudes à relever chez ces mêmes
au leurs ; le titre même de leur volume, par exemple. Ils ont laissé
imprimer : Le conventionnel Goujon, (1766-1793) (sic ). 'C'est la même erreur
de date que chez M. Claretie, qui place prairial an III en 1793.
(3) M. Claretie écrit encore à la page 132 : .
. ~(. J'ai oublié quelques noms parmi ceux des Montagnards qui se tenaient à
leur poste inflexihles. Prieur (de la Marne ), Forestier, A lbitte, Peyssard. Prieur,
violent, fougueux, opiniâtre, toujours prêt pour les mesures vigoureuses, et

qui pourtant humain et modéré, s'était fait tmUer par Carrier, qui nt com-

&l8 il

Non! lei encore, et toujours, c'est de la pure déclamation.
Combien de ces hommes de la Révolution, qu'ou nous repré­
sente comme tout d'une pièce, comme dédaigneux de la vie,
s'y accrochèrent au contraire et ne la quittèrent que con­
traints et forcés! Presque tous, quel que fût leur parti, ne

songèl'ent guère au suicide tant qu'ils conservèrent une

lueur d'espoir, et cette idée ne surgira dans leurs cerveaux
enfiévrés, que quand la mort sur l'échafaud leur apparaîtra

. hideuse et inévitable. Chose étrange! Alors que tant de têtes

illustres venaient de tombel' sous le couperet, on eût dit
qu'il y avait, même pour les martyrs, une sorte de déshon­
neur à finir de la sorte. Ce ne sont certes pas les exemples
qui font défaut. , '

Prenons les Girondins, ' .
, OiIfl'iche- Valazé, Roland, Clavière, à toute " extrémité,

eurent recours au poignard; Condorcet ,aux abois, prit le
poison (1) ; Buzot, Pétion,' Lidon, ne pouvant plus disputer

prenait pas que III pitié s'unît à la rigueur, « d'imbécile en fait de Révolu-
tion .... » Forestier, déjà âgé de 56 ans, pacifiqlle, forl occupé au comité des
finances, calolllnié dans le temps par des brochures de son pays ... Forestier
que Engerl'an, son collèglle appelail « un misérable instrument des chefs de
la Montagne », se sentait souvent attristé pal' le spectacle de la réaction, Aussi
les thermidoriens le craignaient-ils, quoiqu'il ne fût point des plus redoutables .. '
Peyssard figurait aussi parmi les derniers de la Montagne ... »
Est-il nécessaire de rappeler ici la tin de ces inflexibles '?
(i) Clavière était ancien ministre, comme Roland, mais ne faisait pas
partie de la Con ven tion. '
En voyant en tête de la liste dès témoins cités contre lui le nom du
citoyen Arthur, membre de la Commune, son mOl'tel ennemi, le même
qui passait pour avoir, au tG août, art'aché le cœur d'un Suisse mOt't, et
l'avoit· dévoré: « Ce sont çles assassins, dit-il à son co-détenu RioulTe,
je me déroberai à leut' fut'eut'. » Ses compag'noms d'infortune devant
lesquels il avait marq ué la place ou il devait se frapper, dirent qu'ils
avaient entendu Clavière, quelques moments avant sa mort, prononcer
ces deux vers de l'Orphelin de la Chine, de Voltaire: '
« Les crim inels tremblants sont traînés au supplice
Les mortels généreux disposent de leur sort. »
La femme de Clavière ne voulut pas lui survivre et s'empoisonna dès
qu'elle apprit sa mort. (V. Dict. des Parlementaires Biographie nouvelle
des Contemporains, etc.)
« Chassé d'asile en asile, Condorcet se tlla, aimant mieux mourir volontai­
rement qlle d'alli'onler la justice (sic) de la Révolution qu'il avait offfmsée. »
(HAMEL: Précis de l'hist. de la Rév. française, p. 366.) -

. _ 29 L ._
leur vie à leürs bourreaux, se firent sauter la cervelle,àlors
que Barbaroux ne réussissait qu~à se fracasser la mâchoire.
A Guadet, à Duchâtol, surpris dalls leur retraite, on arrache
des mains avant quïls aient pu s'en servir, leurs pistolets,
« ce préservatif de l'échafaud. » .

l.ouvet, Oelahaye et d'autr8s pro$cl'its encore nOllS assu- ,

rent qu'à certains mornent5 de désespoir, eux aussi appro-

chèl'ent l'arme libératrice de leurs tempes (1).

Acculés comme eux; les derniers Montagnards agirent
comme eux. « La dernière liberté que l'homme ,de cœur se

rés,igno à perdt'e est celle de décider 1 ui-même de sa mort }).
Là serait l'explication du cri de joie que l'on attribue à une

sœUl' de Goujon: « Que je suis heureuse ! Mon frèr'e s'est

tué lui-même ! Le bourI'eau ne mettra pas_ la m~in sur
lui (2) » . Ils se frappèrent donc pour éviter'le contact des
guillotineurs ; ils se frappèrent pour ne pas travers.er Par'is
sur les fatales charrettes, au milieu des huées d'une populace, '

qui avait sans doute acclamé plusieurs d'entre eux ; ils se
(t) Mémoires de MEILLAN, député par le département de.~ Basse.~-Pyréllées à

la Convention Nationale. Ba udo li in, 1823, 1 v. in ,8°, p, 146, Me iUan d i t encore
plus loin (p, - 151) : « J'étais préparé il. tout, A force de m 'attendre à périr,
j'étais parvenu au point de ne mettre aucune différence entre la vie et la
mort; je n'ambitionnais plus que cl'éparg'ner il. ma ramille la honte de mon
supplice. C'est dans cette vue que j'étais toujours muni dedeux pistolets ,
Il fallut cependant les laisser à Bordeaux, de crainte d'être visité en
sortant. J'y substituai un flacon d'opium préparé, que mon ami me
procul'a,., La dose était assez forte pour produire son effet dans cinq ou .
six heUl'es ». .

Dans ses Mémoires, (Ed. Baudouin, p.232), Louvel écrit aussi: (( Ce qui
me donnait surtout l'audace de r eg-ardet' a YCC calme les renaissanls périls
de chaque jour et de tl'a verser, la tète levée, la foule ennemie, c'étaient
plusieurs pilules d'un excellent opium., . Au cas d'une attaque imprévue,
de quelque brusque surpl'Ïse, qui ne m'eùt permis, ni de' me faiI'e jour,
ni de terminer mon sort avec mes pistolets, une ressource derni ére mais

assurée me restait encore, Du fond de l'affreux cachot, où ils ne manque-.
raient pas de me jeter d'abord , au moyen de mon in visible narcotique,
j'échappais à leur exé"crable écharaud, .. » .
(2) Les Derniers Montagnards, p. 363. D'après M. Claret.ie, cette exclama­
tion de la sœur de Goujon, aurait été rapporlée par Tissot, son mari à
.M. Yilliaumé qui l'a insérée dans son Histoire de la Révolution française,
t. III, p. 4-25, Un autre Monlag'llat'd, Osselill (Paris) voulut aussi éviter
l'échafaud en se jetant sur un clou fixé au mur de sa cellule. Il ne réussit
pas à se tuer el fut exécuté à Paris. le 26 juin .1794, .

frappèrent, pour ne pas être donnés en spectacle sùr cette
Place de la Révolution, où, a-t-on dit à leur propos, «tant de :
Il1illiers de victimes avaient péri avant leurs bourreaux (1). »

Ce dénouement tragique de l'insurrection de 'prairial n'eut

pas, sur le coup, le retentissement considérable que l'on
pourrait croire. Ali c(:;ntraire, les feuilles du temps racontè: - '
rent ces faits d'une façon bien brève, comme s'il se fut agi
de vulgaires faits divers. Pour elles, après tout, cela ne fai­
sait que six conventionnels « médiocres Il (2) de moins. Seul,

nous l'avons dit, le Moniteur universel donna à ces comptes '

rendus une certaine ampleur (3). Grâce à Jourdan, son

rédacteur, non seulement on eut des détails assez circonstan-'
ciés sur le procès, sur l'attitude, les paroles et la mort des
vaincus de prairial, mais on peut même affirmer que, malgré
le zèle ultra-thermidorien qu'on lui attribue, c'est bien lui

(1) Joumal de PEBLET, n° 996, (30 prairial i8juin) p. i4L ,
Cette feuille ajoute ce curieux commentaire au sujet du suicide: ..
CI L'espèce de force d'âme qu'il y a à hàter de queiques heures le

moment de sa mort, ne doit plus étonner aujourd'hui: tous les partis en "
ont ,successivement donné l'exemple. Ce courage est l'ouvrage des révo­
lutions, qui familial'isent ceux qui sont jettés au milieu de ces tempêtes
politiques, avec l'idée et la chance de tous les dangers , Il est aussi la
suite de l'affaiblissement des opinions religieuses, Nous regardons ce
mépris presque général de la mort, :comme un des symptômes les phis
alarmants qui se manifeste parmi nous, S'il produit les grandes actions,
Il produit aussi les grands crimes. Car dans un état où les lois seront
malheureusement long·temps faibles encore, quelle barrièl'e la Société
peut-elle élever devant des hommes ql.j.i sont parvenus à braver et le
remords et le tombeau'? Voilà pourquoi tous les législateurs ont appel é à
leur secours et donné pour appui à leurs institutions, la relig'ion ; la
religion qui poursuit le coupable jusque dans les plus sombres retraites
et qui ne lui permet pas d'échapper à là crainte d'un juge qui voit tout,
lors même qu'il a su se soustraire au bras des lois humaines, Politiques
insensés! qui sous le nom de fanatisme, voulez proscl'ire le culte de la
divinité et: les hommages que lui rendent des hommes simples! Que
poüvez-Yous contre ceux qui ont appris, 'à ,'otre école, à rire de vos
échafauds? Laissez a u peuple sa relig'ion. Elle le console des calamilés
que nos tyrans et leurs complices ont versées parmi nous, Elle prévient
souvent des forfaits qu'il n'est pas en notre pouvoir de punir ».
(2) Les Derniers Ylolltagllards, p. V.
(3) Moniteur (4 messidor, 22 Juin). Réimpression, t. XXV, p.26. BUCHEZ
,t Roux: Hist. parI. de la Rév., t . XXXVI, p. 394. '

Ho J '

qui a préparé lé terra'in d'une légende des Derniers Mon·

tàgnards. .
Les trépas épiques, les suièides grandioses» (1) de ces
représentants ne devaient pas tarder à être céIebrés par
des ' écdvàins et" des hommes politiques, appartenant aux
pa'rtis les ptus opposés. ' '

Lors de son arrestation (15 floréal an IV4 mai 1796),

Caïus-Gracchus Babeuf, dont les ' théories communistes

devaient devenir célèbres, osa le premier, dans une lettre, ' ,
qu'il adressa au Directoire exécutif, eX, alter (( Ceux' qu'on

révère aujouTd'hui comme d'illustres martyrs

les Robespierre
et , les Goujon )) (2)'. Et mettant, peu après, ses actes d'accord
avec ses paroles, le conspirateur suivit l'exemple des
Derniers Montagnards, en se poignardant en plein tribunal,
poür éviter l'échafaud auquel il était condamné, '
, Un ancien conventionnel, (qui ne devait pas rester monta-
gnard impénitent, puisqu'il mourut sénateur de l'Empire et

grand' croix de la Légion d'honneur), Thibaudeau (VienIle),
a écrit dans ses Mémoires au sujet des suicides de prairial:

« Le courage qu'ils avaient montré dans leur défense '

redoubla en présence de leur sUpplice Par cet héroïsme,

" ils rachetèrent autant qu'il était en eux leur culpabilité poli-
(i) Dictiollnaire de la Conversation,' at'tic1e TISSOT par M. DE SALVANDY,
de l'Académie française.
(2) SCIOUT : Le Directoire, t. l, p. 588.
Il est piquant de rappeler, disent .MM. ' Thénard et Guyot, (p. 98), que
Babeuf, qui avait été chassé des bureaux de la Commission des subsis­
tances, où Goujon régnait en maître, ne lui avait pas gardé rancune.
{( Le rédacteur du Tribun du peuple, dit M. Hamel, s'appelait Babeuf.

Après avoir un instant épousé la cause des hommes de thermidor, il
n'avait pas tardé à divorcet' d'avec eux, dés qu'il avait pu juger leur
œuvre dissolvante, et, de sa plume il les avait marqués du mépris dont
étaient dignes ces tristes héros. Il eut le courage, bien rare alors, .
de glorifier leurs victimes. Pour la première fois, on vit une fel.lille pu­
blique remettre hautement en honneur les Robespierre, les Couthon,
' les Saint-Just, les Romme, les Soubrany, les Goujon, tresser des cou­
ronnes à ces martyrs de la démocratie, et jeter à leurs assassins l'ana- '
thème et la malédiction. »
(HAMEL : Hist. de la' République française, sous le Directoire et le Cùnsulat,
p. jt.) ' .,

1) tique; ils honorèrent leurs derniers instants, apaisèrent

» le parti qui les avait vaincus, et recommandèrent au moins

» leur mémoire à la pitié de leul's contemporains et de l,a

» ,postérité (1). » . , ~ " ,

Cette même idée se retrouve en l'an VI dans la bouche
d'un de ces Ci infâmes fédéralistes », qui, mis hors la loi par

la MORtagne, avait dù naguère se réfugier en Bretagne.
Hiouffe, prononçant l'éloge funèbre du girondin Louvet"

son ancien, compagnon de proscription, arrive, en racontqn,t

sa vie, à parler de son rôle lors d,e l'insurrection de prairial. '
A près avoir traité les représentarits qui la favorisèrent, d' héri­
tiers présomptifs de L'anarchie et d, e prétendants de la Terreur,

après les avoir accusps d'avoir voulu Telever les échafauds,
il ne peut s'empêcher de s'écrier: '

Ci Leur mort est si belle qu'on a presque oublié leUl's cri-
minelles erreurs (2). »)

L'année suivante, ce furent les échos de la salle du Con-
seil des Anciens, (qui eût pu s', en douter ?) qui retentirent de
l'éloge des «( Derniers Montagnards».

A la séance du 26 nivôse, (15 janvier 1798), le président,
Lacombe Saint-Michel, qui appuyait un projet de résolution
at:cordant une indernnité à des citoyens acquittés à Ven­
dôme, mais que, disait-il, 10 royalisme et la malveillance la ,
plus indigne voulaient conduire à l'échafaud» (3), saisit

(i) Mémoires sur la Convention et le Directoire (Coll. Baudoin), 1821", 2 v .
in-8". V. t. l, p. '172.
Tllibaudeau assag'i, ajoute philosophiquement « ... Enfin, si nOlls avions

été vainclis, c'est. nous qui a/lrions été coupables, c'est pOllr nO/ls qu'aurait
été dressé leur échafaud. C'était une pensée bien propre çi inspirer quelques
regrets et à tempérer l'orgueil de ces sortes de victoires. » .C'est là une réédi­
tion, des paroles de Lesage à la Con ven lion : « Je sais que si les traîtres
ellssent réllssi, nos têtes auraient tombé le jour même», ~Iais Lesage se rall­
geait quand même de l'avis de Legpndre qui disait: cc l'arceque IIOUS'
aurions été ég'org'és si nous avions succombé, ce Il'est pas une raison pour
que nous ég'orgions apl'ès que nous avons triomphé» (v. plus haut).
(2) IhouFFE : OJ"CIiSOll {unebre de Lot/vet, p. 39. .
(3) Sur cette afl'air·e, voir aux Tables du MonitellI· à VEi'mô~jE: et à TRIBU-

NAUX (Haute Cour de Justice).

cette occasion pour célébrer ainsi, pêle-mêle, les victimes .
des tribunaux d'exception:
« ... Je donnerai des regrets à votre souvenir, martyrs de

Y> la liberté, vous Vergniaud, vous Ducos, Gp.nsonné, Saint-
» Etienne, GUÇi.det et tant d'autres victimes immolées dans

Y> ces temps malheureux ; je mêlerai à vos noms chers à la

'II patrie, le!? noms des Soubrany, des Goujon, des Bour-
Y> botte j ces vertueux représentants du peuple furent ju­
» gés par une commission militaire, comme vous le fûtes
» par un tribunal révolutionnaire; eh bien! vous fûtes tous

J) poursuivis par la même faction, par la faction anglaise j
oui, par ce repaire de brigands, dont nos braves, conduits
» par le héros italique, vont détruire le foyer infernal jusque
1J dans le dernier retranchement du cabinet de Saint-James.
Y> Vertueux martyrs de la liberté, vos noms ne seront pro-
1 noncés par nous qu'avec respect; ce n'est pas par des pleurs

J) stériles que nous devons honorer votre mémoire j c'est
YI déjà vous consoler des injustices de vos contemporains,
» que de réparer celles commises envers des républicains mal-
11 heureux, que les agents ?e l'étranger voulurent immoler
J) comme vous: peu leur importait, sans doute, la nuance de
JI vos opinions, pourvu qu'on immolât des républicains,
JI pourvu qu'il mourût des Français.
« Français, et nous surtout législateurs, trop longtemps
» nous fûmes les jouets et les dupes des manœuvres de l'é­
» tranger ; les conspirations des prisons, les conspirations
» de floréal, les ' conspirations de Grenelle furent dirigées

II par les mêmes têtes quoique conduites par des mains diffé-
II rentes; elles produisirent les mêmes effets ; l'organisa-

» tion des égorgements judiciaires ; chacun aujollrd'hui
» sait à quoi s'en tenir sur ces conjurations ....

« Quelques voix: L'impression du discours.
(e BAUDIN (Ardennes) : Je m'y oppose. Ce discours con-

BUI,LETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. ' TOME XLI (Mémoires 3.)

» tient des faits inexacts. Notre collègue a parlé des événe-
JI ments de prairial, j'en ai été témoin comme lui. J'ai vu
» notre malheureux collègue Féraud périr victime de son
» zèle, ici sur cette tribune où je parle. Regardez la rampe
Il qui nous sert à y monter, et vous la verrez encore toute
J) tailladée de coups de sabre; regardez ce mur qui avoisine
» le bureau du .président, et vous y découvrirez encore les
» trous que les balles y ont faits. C'est ici, dans cette salle,
J) sur ces bancs, sur les marches même de cette tribune, que

» des furieux redemandèrent l'affreux régime de la terreur .

Il L'appui que leur prêtèrent les représentants égarés était-

» illégitime? Je le déclare, ce fut contre mon avis que la
. Il Convention créa alors une commission militaire; niais peut­
J) on cependant la blâmer de la sévérité qu'elle fut contrainte
1) de déployer alors. Peut-on regarder comme victimes du
J) royalisme ceux qui périrent alors ? »
... (La demande en impTession n'a pas de suite (1) .

(i) Moniteur (2 pluviôse an VI 2{ janvier i798) Réimpression: -(Ana-
lyse), t. XXIX, p. 1.35. Malgré sa répug'nance pour les tribunaux d'excep­
tion, chez Lacombe, comme chez tout bon jacobin, il y avait l'étoffe - 1:..un

cesarIen.
Député du Tarn à l'As~emblée législative, où il avait été nommé étant
capitaine d'artillerie; puis représentant à la Convention, où il appartint
au parti avancé, Lacombe Saint-Michel avait à peine paru dans ces deux
assemblées. Quittant une expédition en Corse pour une mission à l'ûmée
du Nord, etc .... il avait persisté à suivre, presque sans interruption, sa
carrière militaire. Chef de bataillon en 092, il avait passé général de
brigade le 1" prairial an III, le jour même de l'invasion de la Convention .
Ace moment déjà il était admirateur fanatique de Bonaparte: « Gloire
à toi, Bonaparte, s'écriait-il. J'ignore quel nom te donnel'a la postérité;
mais moi, faible individu, je crois accomplir son vœu en te nommant
l'Italique ... »
Le 25 pluviôse an VI (13 février 1798), le Directoire nomma Lacombe

général de di vision d'artillerie. Il devint ensuite g'énéral en chef de l'armée
du Rpin, commandement qu'il quitta en l'an X, pour prendre celui de
l'artillerie de l'armée d'Italie, Il fit encore avec distinction les campagnes
du Hanovre et d'Espagne et lorsqu'il mourut (27 janvier i81.2) il était
grand officiel' de la Légion d'honneur.
On lit dans Les Derniers Montagnards « Au Conseil des Cinq-Ceuts (sic), La­
combe, a célébré leur mémoire, Antonelle la g'lorifia un jour. » (p, V.)
Lacombe siégea à la Législative, à la Convention et aux Anciens, mais
jamais aux Cinq~Cents :
Quant à Antonelle, nous avons vainement. recherché le panégyrique

* :li: :li:

Le 3 thermidor an VII (21 juillet 1799) un citoyen

Marchand, qui n'avait échappé aux suites de la conspiration

d'Hébert que pour se faire incarcérer après le 9 thermidor,
mais à qui l'amnistie, votée par la Convention avant de se

séparer, avait rendu la liberté, évoquait dans un club, les

noms des ( D.erniers Montagnards ». Devenu un membre
marquant de la Société du Manège, il en était aussi l'orateur,
sinon le plus logique, du moins le plus véhément, et l'extrait

suivant d'un comptê rendu de la séance en fournit la preuve:

. IL ... Une foule d'orateurs montent et descendent tour à tour
f) . dela tribune sans être écoutés jusqu'à la fin de leur dis-

'fi cours, la faiblesse de leurs voix empêchant qu'ils ne soient
» entendus. »
« MARCHAND obtient la parole pour une motion d'ordre. Il

JI ne faut pas, dit-il, que les orateurs, peu pénétrés des dan-

» gers de la patrie, viennent s'emparer de la tribune et
» consommer un temps précieux à lire des discours insigni- .

f) fiants. Il faut ici continuer à soulever chaque jour le rideau
» qui cache encore la plus grande partie de~ crimes des '
) triumvirs, 'et proposer au Corps législatif les vues et les
li moyens les plus propres à les réparer. »
« La République réclame notre sollicitude d'une part, et

» de l'autre les mânes des amis, des martyrs de la liberté
» appellent aussi la vengeance nationale. 0 Romme, Gou­
) jon, Soubrany, Darthé et Babœuf 1 Vous serez vengés !
)} Oui, bientôt vengés! Mais par la justice et pas par l'assas­
» sinat. » (Vils applaudissements) (1).
Ces manifestations isolées et si espacées, ne durent guère
produire d'effet. Tout au plus empêchèrent-elles d'oublier
auquel il est fait allusion. En tout cas, il ne saurait surprendre chez un
ancien juré du tribunal ;révolutionnaire, conspirateur perpétuel, qui,
après avoir sauvé sa tête, lors du complot Babeuf, termina sal vie comme
écrivain royaliste. (V. Biograpllie moderne, Tables du Moniteur, etc.)
(1) Moniteur, 6 thermidor. Réimpression (analyse), t. XXIX, p. 749.

tout à fait certains noms, et préparèrent-elles
pour la légende en formation (1).
le terrain
* :II: :II:

Un jeune écrivain n'allait pas tarder en effet à entrepren-
dre, de toutes pièces, cette fois, un véritable panégyrique
des vaincus de prairial. Ce vengeur de leur mémoire, très
enthousiaste, comme on pense, des idées ultra-révolution-

naires, fut François Pierre Tissot, qui signait en l'an VIII
« Tissot fils aîné ).), quand il fit paraître son ouvrage :

Souvenirs de la journée du 1

prairial an III, contenant deux
éc'rits de Goujon, son hymne en musique, suiv!e de sa défense,

de celle de Romme et de Bourbotte, et deux lettres de Sou-

bl'ani (2). . . .
Un des biographes de Tissot, étudiant sa conduite et ses
écrits sous la Révolution, a dit de lui: '
u Il y avait en Tissot 'naturellement, dans les matières où
.. le goût n'était pas intéressé, quelque chose d'excessif dans
» l'expression et pour ainsi dire de déclamatoire dans les
» sentiments, qui tenait à l'époque, et que devait aisément
» séduire, cette sorte de déclamation universelle, composée
J) des programmes de liberté, de philanthropie,. d'égalité

.. indéfinie qui étaient partout (3). "

(t) Le dernier acte de la vie de ces hommes aurait été célébré par les
Anciens .. il fut à peine remarqué en France à cette époque de sang et de
deuil. » (Biographie nouvelle des Contemporains, art. RO~BJE) « Les Anciens,
dont l'histoire offre peu de traits comparables à la mort courageuse de
ces quatre (sic) députés, auraient célébré leur sortie héroïque de la vie. A
peine un événement aussi remarquable fit-il quelque sensation au milieu
des dissensions civiles de la France, en ces temps de ,sang et de carnag'e, »
(Id.) art. DUQuESNOY). .
(2) {( En 1798, Tissot fut un des députés au -Corps législatif, nommés par
la fraction des électeurs de Paris, séante à l'Oratoire, dont le Directoire
fit annuler les élections comme monarchiques. Ayant été fort lié avec les
chefs de l'insurrection de prairial an III, il prit ouvertement leur défense
dans une brochure publiée en :1.799, lorsque ce parti sembla obtenir un
instant le triomphe. M, Tissot était, à cette époque, chef du bureau secret
au Ministère de la police, et l'un des principaux orateurs de la Société
du Manège ... (Biographie des hommes vivants, 1818-t8I9.)
(3) De Salvandy (de l'Académie française). V. article sur TISSOT, son collabo­
rateur au Dict. de la Conversation. Ce Tiesot fut plus tard, on a peine à
le croire, le traducteur en vers des Bucoliques de Virgile, l'élève et l'ami

C'est exact, mais 'ce n'est pas pour nous le prineipa1 dé~

faut de cet opuscule de Tissot que nous venons de citer, et
qui, remarquons-le, ne parut que près de cinq années après
l'émeute de prairial. Il fourmi1le en outre d'erreurs, (nous
en avons déjà relevé un certain nombre), les unes involon ..

taires pflut-être, mais d'autres certainement voulues. C'est
là l'œuvre d'un imaginatif plutôt que d'un historien. L'ex- '
cuse de l'auteur c'est qu'il défend les idées, l'honneur d'une
personne chère, d'un allié. (Goujon était sonbeau:"frère) ;
mais c'est une raison aussi pour que le plus souvent ses
appréciations soient préconçues et, dès lors, pour que son
témoignage soit suspect.
o C'est cependant ce pieux roman, pris au sérieux par les
historiens, et les quelques pages du journaliste Jourdan, qui

ont donné du corps ' à la légende héroïque des Derniers Mon-

tagnards. Dès lors on ne se contenta plus d'oublier « leur cul-
pabilité politique», ou même « leurs criminelles erreurs. »)
Après avoir immédiatement obtenu la pitié, ils arrivèrent
insensiblement à conquérir la sympathie, et, résultat inatten­
du, à forcer l'admiration d'écrivains, leurs adversaires poli-

tiques.

De 1820 à 1825, un groupe d'écrivains libéraux, mais

nullement révolutionnaires, à la tête desquels on remarquait

MM. Arnault, Jay, Jouy et Norvins, fit paraître une œuvre
considérable, La Biographie nouveLLe des Contemporains, ou

de l'abbé Delille, qui le prit comme suppléant, et l'eut bientôt pour suc­
cesseur dans sa chaire de poésie latine au Collège de France.
Tissot, né à Versailles en - 1768, est mort à Paris en :\.854. Il était depuis

i833 de l'Académie française. .
Nous a\'ouo~s ne pas comprendre la seconde partie dela note suivante
du livre de M. Claretie (p. i06) : -
« L'article biographique sur Goujon dans le Dictionnaire d'A. Rabbe et Bois­
jolin a dû être rédigé sur les notes de M. Tissot, qui vivait encore (1839). Tis­
sot, en 1795, n'était pas encore ce qu'il est devenu plus tard, un pauvre sire,
dit la chronique. »

. Cette appréciation est un peu dure si elle ne vise que la très grande
versatilité de M. Tissot en politique. (V. la Biofl. des flommes du jour, t. Ill!

partie).

Diétionnaire historique et raisonné de tous ' les hommes qui,
depuisla Révolution, ont acquis de la célébrité ... )) Contraire­
ment à ce titre, des articles, souvent importants, y furent con­
sacrés aux principaux acteurs de la Révolution même, et les
derniers Montagnards ri'y furent pas oubliés .
. Dans les notices qui les concernen~, Duquesnoy et son
frère, qui s'intitulait le boucher de la Convention, sont assez
malmenés. Soubrany, ' Romme, Bourbotte et -Duroy sont
. appréciés à peu près comme nous l'avons fait nous-même .

Quant à Goujon, ce recueil lui a consacré, en 1822, une
biographie plus importante, absolument dithyrambique et
visiblement inspirée par le livre de Tissot, dont elle n'est
souvent que le résumé (1). En admettant, en effet, que les élo­
ges qu'elle accorde à Goujon ne soient qu'exagérés, il n'en
resterait pas moins une des plus grandes figures de la Révolu­
tion. Malheureusement, non seulement certains détails,
mais le fond même de cette biographie sont absolument
invraisemblables. On y trouve, par exemple, des affirma­
tions de ce genre, au sujet du rôle de Goujon à la Commis­
sion des subsistances et approvisionnements, en 1793 :

, « Une idée de génie (?) qui le frappa comme une inspi=-
» ration soudaine, sauva la capitale, les armées, les places
71 fortes, la France entière d'une famine, encore plus causée
J) par le désordre et les inquiétudes, que par la disette
» réelle. J)
(i) Il nous semble, (sans que nous en ayons la preuve), que c'est Tissot
lui-même· qui a dû rédiger ces n~tices, où, en somme « les Derniers Mon­
tagnards» sont plus ou moins sacrifiés à Goujo'n, et lui servent pour .
ainsi dire de piédestal. On lit, par exemple à l'article « DUQUESNOY»: Ils
n'étaient pas tous dignes d'llll sort aussi funésle. Un surtout était recomman-
dable par ses talents et ses vertus privées. » .
On peut aussi s'étonner de voir l'auteur, qui parle ·,.lusieurs fois de
Tissot, dissimuler, (même dans leur del'l1ière entrevue), la parenté de celui-
ci avec Goujon, et en faire seulement l'ami très dévoué. ' ,
Enfin (et ceci n'est pas pour détruire notre idée), dans la BiogI;apllie
nouvelle, Tissot aussi a une notice, où il est dépeint comme un ' homme
des plus modérés et des plus humains, avec des détails tellement précis
sur les moindres actions de sa vie, que l'on pourrait croire qu'elle a été
rédigée par lui, ou tout au moins par quelqu'un qui le touche de très près·

La même' année, d'après le même recu'eil, on offrit à Gou-

jon le Ministère de l'Intérieur qu'il refusa. i) 'Ce n'est pas
. exact. Goujon, il est vrai, avait été désigné pour remplir
cette place à titre provisoire, mais son appel à la Convention
avait ipso facto annulé cette nomination, et on l'avait rem-

placé par le citoyen Herman, président du tribunal révolu-
tionnaire (1).
Entre temps, (toujours d'après la Bio{J1:aphie Nouvelle),
« Goujon avait été choisi pour aller en ambassade à Cons­
tantinople, et avait accepté cette mission périlleuse ».
Est-ce utile de s'arrêter à de pareilles assertions?
Elles eurent cours néanmoins et contribuèrent, au moins
en ce qu i concerne Goujon, à fortifier la légende des « Der­
niers Montagnards».
En 1824, dans son Histoire de la Révolution française,
M. Mignet, de l'Institut, faisait aussi l'éloge des « six
montagnards démocrates, traduit~ devant une Commission
Militaire ) : .
« Ils y parurent avec une contenance ferme, en hommes

JI fanatiques de leur cause

et presque tous purs d'excès. Ils
» n'avaient contre eux que le mouvement de prairial

mais
» c'était assez en temps de parti (2). ) .
Et Thiers, parlant de leur supplice, déclare que « les Ther­
midoriens en recueillirent une honte méritée (3). »
A la même époque, .un ancien conventionnel, Dulaure, un
modéré, qui avait dû s'expatrier après le 31 mai pour sauver
sa tête, consacrait à ces montagnards, ses proscripteurs,
une page où se rencontrent de singulières appréciations.
La voici:

(1) V. séance de la ç;onvention du 19 germinal an II 8 avril i794. -
Moniteur (20 germinal). Réimpression, t. XX, p. {68. La Révolution fran­
çaise (14 mai 1908, p. 466). Note de M. Aulard à propos du livre de MM.
Thénard et Guyot sur Le Conventionnel Goujon.
(2) Tome Il, p. 143 .

(3) Histoire de la Révolution. 1823-1827. Livre XVlll

« Ces hommes, si l'on considère uniquement. leur conduite
dans les journées de germinal et de prairial, étaient

» certainement coupables de complicité avec les agents

» étrangers qui soulevaient quelques centaines d'habitants

» de Paris contre la Convention )l .

cc Si on les considère, ces députés, dans le cours de leur
J) vie publique, on se convaincra que leurs opinions n'avaient
» aucun rappor~ avec celles de ces agents du royalisme ;
» que leur zèle patriotique était pur, mais excessif; on se
J) convaincra ' qu'ils ont rendu des services éclatants à la
l) république. Homme, profond dans les sciences physiques,
» avait fourni beaucoup de lumières aux plans d'instruction
» publique, et pouvait en fournir encore un ample contingent .

» Soubrani, son disciple docile, ainsi que Bourbotte, dans
l) les armées où ils furent envoyés en mission, avaient, à la
JI tête des colonnes républicaines, versé leur sang comme de

\) braves militaires, et donné des preuves incontestables de

» leur amour pour la patr:ie. Goujon était. distingué par des
écrits où respire un zèle ardent pour le bonheur des
» Français; il l'était aussi par des mœurs pures et une
" probité sévère »

Cl: Ces hommes, fervents amis de la liberté publique,
» n'étaient point les ennemis de leur patrie ; ils furent
l) constamment les fermes soutiens de ses droits; mais leur
) animosité les entraîna dans des er:reurs graves. Ils pri­
n rent, pour le char de triomphe de leur parti, le piège que
)) leur tendaient les agents de l'étranger (1), ils s'y préci­
Tl tèrent aveuglément et s'y perdirent. Ils prirent pour leurs
. » partisans, 'pour de .vrais patriotes, des c0l'!tre-révolution­
» naires déguisés en terroristes; ils ne virent point leurs

(1) « Le piège qui leur fut tendu consistait dans la promesse faite à _

» ceux de ce parti de mettre en arrestation les membres actuels des
» Comités de g'ouvernement, et de nommer à leur place ces crédules et
» passionnés députés. Ils se confièr~nt en ces paroles flatteuses, et se
)l livrèrent à leurs ennemis, » (Nole de Dulaure.)

» intrigues; ils ne virent point qu'ils avaient produit une di·
1) sette pour en accuser la Convention, et soulever une partie
» de la population; ils ne virent rien, si ce n'est ce que
» leur laissaient voir leurs passions et leurs espérances. 1)
Mais fallait-il, sans égard aux droits de leurs fonctions,
» aux services qu'ils avaient rendus, les faire juger par une
» commission militaire, un tribunal de condamnateurs ?

)1 Leurs services passés, leur mort courageuse, ennoblit la
»mémoil'e de ces dépntés, et fait disparaître la tache de
» leur conduite. Il

« En punissant avec rigueur les délits politiques, les
» gouvernements risquent de punil' les talents et les vertus,

» de se déshonorer et d'illustrer leUl's victimes. »
Et, pour donner plus de force encore à ces déclarations,
Dulaure ajoute cette note:
« Je ne fus jamais lié avec ces députés, je ne partageais

1) point leur opinion; mais j'estimais leurs vertus. Mes éloges
ne sont pas suspects; on peut, sur leurs principes, consulter
Il l'ouvrage intitulé: Souvenirs de la journée du 1

prairial
1) an III, etc. (1). 1)

C'est toujours le roman sentimental de Tissot qui repa- _
rait. Et c'est ce panégyrique de Goujon, (qui n'avait siégé
que quelques mois à la Convention en même temps que
Dulaure), qui suffira pourtant à celui-ci pour le décider à

cette réhabilitation, mieux encore à cette glorification des
représentants condamnés à mort par la Commission mili­
taire. Ces six-là représentent les « Derniers Montagnards .».
Qui songe, qui songera désormais à ceux que le redoutable
tribunal aura épargné, ou n'aura pu atteindre, à Peyssard,
à Albitte l'aîné, à Prieur (de la Marne), à Le Carpentier èt à
Forestier? Tous cependant, excepté Forestier sont ' encore

vivants au moment où écrit Dulaure . .

({) DULAUHE : Esquisses historiques des principaux événements de la Révo-
lution française, :1.824, t. III, p. 507-509.

CHAPITRE XI .

Les Derniers Montagnards jugés par L. Blano,
E. Quinet, J. Ferry, etc .

Après Dulaure, il y eut un long temps d'arrêt dans la
marche progressive de la légende des Derniers Monta­
gnards. On les oubliait. L'ouvrage de Tissot, qui n'avait
pas été réimprimé, était devenu si rare, que l'on pouvait se
demander' si son auteur ne l'avait pas lui-fnême retiré de la
vente.

C'est seulement près de vingt ans après, que M. Louis

Blanc, dan~ son Histoil'e de la Révolution française (1), puis
M. Edgar Quinet, dans son livre La Révolution (2), rappe­ lèrent leur souvenir, « en parlant hautement de ces héroïques
man'dataires du peuple (3). »
Sous la plume révolutionnaire de M. L. Bla ne, cet éloge
ne pouvait surprendre personne. Il causa au contraire quel­
que surprise sous celle de M. Quinet, ennemi déclaré des
excès ùes Jacobins.
On nous permettra, (la digression, si c'en est une, ne
sera pas longue), de citer quelques passages d'articles de
journal, écrits à propos de son livre, et lors de son appari-

tion, par un critique, qui devait devenir une des illustrations
de la France.
- ct.' C'est contre la doctrine du Salut public, · dit M. Jules
" Ferry, que M. Quinet a fait son livre. Et, pour en finir
" d'un coup, il marche droit au monstre. Il fai t le procès à la

(1) Les deux premiers volumes de l'ouvrage de M. L. Blanc parurent en
t84-7 ; les dix suivants de 1.852 à 1862. .
La réimpression de cette histoire de la Révolution et de celle de M. Mi­ chelet a occasionné entre les deux écrivains une intéressante polémique,
que l'on trouvera en tête de la nouvelle édition de Michelet {tS68), V.
t. XII, p. t63.
(il) EOGAR QUINET: La Révolution, 2 v. in-8', Bib. Internationale, 1865 .
(3) CLAJ\BTIE : Les Derniers Montagnards, p. VI.

~ dictature révolutionnaire, à la Terreur; iI" en nie la néces·
» sité; il affirme que la Révolution pouvait se sauver par la
, justice. A l'honneur de Robespierre, il préfère l'honneur de
'J) la liberté (1). )

Dans un autre article magistral, M. J. Ferry développe
cette idée:

« Il est dans l'histoire de la Révolution deux dates décisi­
.. . ves, deux coups d'Etat qui se lient l'un à l'autre, comme
» la pl'4lmière et la dernière pierre de l'édifice: le 31 mai et

JI le 18 brumaire. »

« Les premiers Jacobins, les vrais, ne les séparaient pas.
» Il n'y avait pas si loin des bureaux du Comité de Salut pu­
» blic aux antichambres du premier consul: d'illustresexem·
7l pIes l'ont fait voir. Les fauteurs de la dictature conven­
» tionnelle applaudirent tous au coup d'Etat de Bonaparte.
» Un petit nombre seulement s'arrêta sur le seuil du Sénat
» Conservateur. Les Jacobins furent les meilleurs préfets de
» l'Empire. »
«( Les néo·jacobins, qui se'caractérisent surtout par l'incon­
» séquence, ont tenté les premiers de distinguer entre le coup
o d'Etat démagogique et le coup d'Etat militaire, comme si
» l'on pouvait échapper à la souveraine logique des choses,
» comme si le sophisme du Salut public n'était pas toujours
, le même .... La grande portée du livre de M. Quinet, sa
» force et son honneur c'est d'avoir montré, d'une façon vic­
» torieuse, le chemin qui conduit d'un coup d'Etat à l'autre,
» non seulement par l'enchaînement des faits, visibles pour
» tout le monde, mais par l'étroite parenté des doctrines et le
» lien des causes profondes. Aussi, comme aucun livre ne
J) renferme une critique plus haute du 18 brumaire, aucun .

» n'est à la fois plus juste et plus amer pour la Révolution,
» qui porta les terroristes au pouvoit', et jeta la Gironde aux

» gemomes. »

(1.) Journal Le Temps, (no du 6 janvier {866) : Les R€venants,"

:0:,. 44
_ « Les Girondins attendaient cette justice tardive. Voici \
Il bientôt trois quarts de siècle qu'ils portent la peine d'avoir
Il été vaincus. Les Royalistes, les Jacobins, ont jugé tour à
tour ces jours terribles. Jusqu'au livre de M. Quinet, le tes­
tament politique d- es Girondins restait à faire. Entre les
constitutionnels, qui ne leur pardonnent pas et les Monta­
gnards qu'ils exaspèrent, les plus éloqùents, les plus géné­
reux, les plus novateurs des révolutionnaires sont restés
sans défenseurs. De tous les partis de la Révolution, c'est le
seul, dit très bien M. Quinet, qui n'a pas eu de successeurs.
Tous les grands travaux contemporains; depuis Thiers jus­
qu'à Buchez, depuis Michelet jusqu'à Louis Blanc, libéraux
ou démocrates, hommes d'Etat et poètes, pour une raison ou
pour une autre, les sacrifient. Lamartine entreprend d'éle­
ver un monument à leur gloire: à mi-chemin, il les trahit
et passe à Hobespierre. La République était entrée dans
notre histoire sous une triple auréole d'éloquence, de gran­
deur et de génie, entre Brissot el Condorcet~ Barbaroux et

Gensonné, Vergniaud et Mme Roland. Qui eût pu s'atten-

dre à les voir reniés par les républicains d'un autre âge?
u. Rien ne fait mieux voir, à mon sens, combien le culte de
la force, et cette tradition de l'arbitraire, qui est le fond
même de notre histoire, ont parmi nous pénétré les âmes.
Pour tuer les Girondins, on les a accusés de ne pas savoir

agir. Il n'est venu jusqu'à nous qu'une image calomniée et
" travestie, "mélange inconsistant d'incapacité et - d'élo­
li quence, de vanité et d'impuissance. Artistes, on en
o convient, on l'exagère même,' mais rhéteurs et tracas-
71 ::;iers,hésitants et déclamateurs, incapables de sauver la

71 Révolution; leur présence était un embarras, leur sup-

» pression fut une délivrance.
« Robespierre a tracé le premier ce po l'trait de fantaisie;
71 depuis ce temps, on le recopie (1). 1)
'1) FERRY JlJ.les ; Girondins et Jacobins. (Le Temps, 30 janvier i866). Il

serait intéressant de rechercher dans ce journal et de réunir les articles

Arrêtons là ces citations, qui n'ont eu qu'un but; bien
indiquer les tendances de l'ouvrage de M. Quinet, et voyons
comment il a pu se faire qu'un écrivain comme lui, après
avoir blâmé ouvertement la condamnation de Louis XVI,
combattu la tyrannie jacobine, et nettement accusé les dicta­
teurs du comité du Salut public d'avoir systématisé la Ter­
reur, ait ensuite~ dans un de ses derniers chapitres, contri­
bué à magnifier ceux-là même qui furent les pires ennemis
des députés: girondins,

,Il y a là évidemment une contradiction, mais une contra-
diction, qui n'est pas inexplicable. D'abord ce que nous

avons dit au sujet de l'ouvrage de MM. Buchez et Roux peut
se redire ici, car, avant la publication de La Révolution de
M. E. Quinet, aucun historien ne s'était particulièrement
occupé de la vie politique des « Derniers Mon tagnards )), et
surtout de leurs missions dans les départements. Ces repré-

de 1\1. Jules Ferry, publies de novembre i865 à mars 1866, M. A. Peyrat
ancien césarien, devenu très jacobin, (la doctrine est à peu près la
même), y répondit alors dans l'A venir national qu'il d~rigeait, et ses répon­
ses ont paru en brochure à part. M. Nefftzer, directeur du Temps, qui
se mêla aussi à la polémique, eût voulu départager les, ;leux adversaires.
A cette fin, il demanda une consultation à son correspondant d'Angle­
terre, qui n'était autre que M. Louis Blanc, auteur de l'Histoire de la Révo­
lution française. Celui-ci la lui expédia sous forme de longue lettre didac­
tique, datée de Londres, 9 février 1866, et fut insérée dans le Temps, le 22
du même mois. Admirateur passionné de Robespierre, 1\1. L. Blanc,
comme c'était à prévoir, cdtiqua aig'rement MM. Quinet et Ferry et contesta
naturellement leur thèse, qui devait plus tard être celle de Taine, à
savoir que la Terreur avait été un système. M. L. Blanc avait, du reste,
dès le' début de sa lettre, pris la peine de déclarer « qu'il n'avait pas lu
sans une émotion douloureuse les attaques de M. J. Ferry contre des
hommes qu'il reg'ardait comme des soldats de la vérité ' et des martyrs
de la justice. Cette joute littéraire et historique promettait de devenir
d'un intérêt palpitant, mais la polémique en resta là,' brusquement, M.
Nefftzel' ayant décidé « que le débat resterait feriné, à moins que, (ce-qui
n'eut pas lieu), M. Quillet ne jug'eât convenable de prendre lui-même la
parole. »
Ajoutons que M. de Lamartine s'est « repenti» plus tard et « a effacé »
de son livre Les Girondins les passages qui avaient donné lieu à des inter­
prétations favorables à Robespierre, ce « Marius ci vil, proscripteur-bour­
reau de la Révolution. » (Cours familier de littérature, t. XIII, 1862. Entre­
tiens LXXU, p. 421, etc., LXXV, p. 153, ' 155 et 175.)

sentants, de valeur assez médiocre~ vivant à une époque, où
les premiers rôles étaient si vivement disputés, ne s'étaient
guère distingués à la tribune, ou même ailleurs. Leur mort,
avons-nous dit, leur mort seule, véritable coup de théâtre, avait
inopinément appelé l'attention sur eux, m:=tis, pour les étudier
et les connaître, on n'avait comme sources d'information
que les comptes rendus de Jourdan et le livre de Tissot .
Comme tous ses prédécesseurs, qui se sont occupés de la
Révolution, M. E. Quinet a eu recours évidemment à ces
écrits, mais ce n'est pas tout. Pour juger les derniers Mon-

tagnards, il a été visiblement influencé par des mémoires
inédits, dont il était dépositaire, ceux du conventionnel
Baudot (Allier), et il le reconnaît dans la préface de son livre.
Il. Il est difficile aujourd'hui de trouver des mémoires

),) étendus et des documents vraiment authentiques; j'ai eu
) cette bonne fortune. Mon ouvrage, fruit de longues années,
» était achevé, lorsque des mémoires précieux, que j'ai pu
D croire perdus, me sont parvenus d'une manière inespérée .

Il Ils m'ont fourni, ce qu'il y a de plus rare, des faits et des
» témoignages nouveaux. Surtout ils m'ont donné un point
l) vivant, pour me reconnaître au milieu des systèmes
Il abstraits, inveutés après les événements (1). »

Haudot effectivement, comme tant d'hommes politiques de
sùn temps, a éprouvé, avant de disparaître, lfl besoin de
justifier sa conduite à la Convention. Mais Baudot, il est
bon qu'on le sache, avait toujours siégé à la Montagne,
et, après thermidor, avait été décrété d'arrestation comme
terroriste. Or M. Quinet, très sobre de cit~lions, lui en
emprunte deux d'une certaine importance~ et toutes deux
ont rapport aux (( Derniers Montagnards».

(1) E. QUINET: La Révolution, (préface p. Il).
Baudot, en I816, à ' )a suite de la loi contre les rég'icides se retira en
Suisse, puis à Liège. M. Quinet, à la suite du coup d'Étal du Deux­
Décembr'e n'ayant pas voulu prollter des amnisties de 1859 et de 1869,
resta exilé en Suisse jùsqu'.en 1870. .

7 ' 5 ,*J

Voici la première, in-extenso. C'est de beaucoup Îa pius
intéressante :

(c Je suis bien près de la mort; je veux me survivre si je
n puis, non pas tel que les autres m'ont fait dans l.eur pen­
l) sée, mais tel que j'ai toujours été dans la mienne . J'ai été
, proscrit trois ou quatre fois. Si je gardais le silence en
" présence de mes proscripteurs, je paraîtrais accepter la
» proscription, faire des concessions à la fortune, au succès;
je n'en veux faire sur rien; je me réfugie dans le sein de
» la vérité, 'et je laissejuger.»
c( On nous dit que les membres de la Convention Natio-

Il nale doivent rester unis entre eux, qu'ils ont tous subi le
» même sort, qu'ils ont assez d'ennemis de leur cause et de
» leur personne, sans donner le spectacle de leurs divisions
Il particulières. Cela est fort bon pour ceux qui ont pu
» arriver jusqu'à la fin de cette terrible assemblée, sans

11 proscription. Mais nous, dévoués à la République, pros-
» crits pour notre zèle, nos amis envoyés à la mort, notre
)J silence serait un assentiment: les mânes de Romme, de

» Goujon, de SOllbrany l se soulèveraient contre notre faiblesse
» et invoqueraient notre appui auprès de la postérité. Ce n'est
l) pas nous qui nous sommes séparés de la Convention;
» c'est la Convention qui s'est séparée de nous, qui, jusqu'au
)) dernier moment, nous a proscrits, dans sa fureur insensée.
» Notre devoir est au moins de nous défendre, de remettre

» le procès en présence de l'avenir. Ce n'est plus le temps
» où les réacteurs disaient: «Silence aux victimes! » Le
temps prononcera entl'e les persécuteurs et les opprimés.
)J O Je parlerai donc, et, si l'on m'en ôtait la faculté, je ferais

J parler les roseaux. »
A la !:ieconde citation, véritable testament politique .de
Baudot, nous n'emprunterons que ces lignes:
(( Les uns fixent la décadence et la perte de la Hépublique
» au 9 the.rmidor; d'autres pensent qu'elle n'a réellement

1> périciité qu'à la mort de Romme et de Soubrany. Je suis
» de ce nombre; jusque-là, il restàit encore des hommes
» de vertu et de caractère (1). »

Cette opinion de Baudot paraît avoir convaincu M. Qui-
net, qui, en face des victimes de prail'ial, comme en face
de la victim.e du 21 janvier 1793, ne demandait qu'à se
laisser convaincre. Poète, plus que tout autre, il devait être
impressionné par leur dernier geste; philosophe théiste, il a
été empoigné littéralement par l'adieu de Goujon à sa famille,
à qui il donne rendez-vous dans une vie future ; il s'est
enthousiasmé devant ( sa foi dans l'immortalité », complé-

tant ainsi sa pensée:

CJ. Ses dernières paroles sont les plus hautes qui aient été
» prononcées par aucun parti : CJ. Adieu, écrivait-il aux

» siens. Nous nous retrouverons, nous nous reverrons tous.
» La vie ne peut finir ainsi, et la justice éternelle a encore

» quelque chose à accomplir, alors qu'elle me laisse sous le
» coup de l'ignominie. Le triorpphe insolent des méchants ne
" peut être la honteuse fin d'un si bel ouvrage. La nature,
» si belle, si bien ordonnée, ne peut manquer sur ce seul
» point»
Apologiste des Derniers Montagnards, M. Quinet devait
nécessairement être sévère, injuste même pour les Thermi-

. doriens et pour la Commission militaire:
« Il ne restait que sept victimes assurées sous la main de
:0 l'Assemblee (2) .... Lès accusés furent livrés, non à des
l) jurés, mais à un tribunal de soldats, innovation qui devait
)) prendre une si horrible place dans notre histoire. Ils ne

» purent lire les défenses qu'ils a vaient préparées, ni deman-
» der pourquoi ils étaient coupables ... Ces discours parurent
» trop longs à des hommes accoutumés à commander et à

(f) E. QUINET: La Révolutioll, t. II, p. 407.
(2) M. Quinet se trompe: 11 restait « huit victimes ». Chose sing'ulière,
dans SOll énumél'ation, il oublie pt'écisémen t Goujon, dont il [ai tailleurs
un élog'e sans mes ure. .

-!49 O '

» obéir dans les camps ; d'ailleurs ils avaient reçu leurs
» instl'uctions. Pendant que les Thermidoriens laissaient à

» Cauier, à Fouquier-Tinville, des mois entiers pour pro-
» longer leur procès, où la Révolution était déshonorée, il
» ne fut pas permis aux derniers amis de la République,
"'Il Soubrany, Homme, de défendre leur vie et leur mémoire
» pendant plus de vingt-quatre heures. Il
Nous avons répondu par avance à ces allégations inexates .
Nous n'y reviendrons pas.

M. Quinet continue, (on croit lire le testament de Baudot) :
« C'étaient les dernières âmes héroïques qui faisaient à
l) leur cause le sacrifice de leur vie. Leurs morts, acceptées
» sans colère, furent peut-être les plus belles dans un temps
1) si fertile en ce genre de beautés. Des vœux, des prières

l) pour la patrie; point de haines; des entrailles vraiment
» humaines, et l'immortalité qui plane sur eux tous. Ils se
)) souvinrent, devant leurs juges, de leurs parents, de leurs
l? mères, de leurs femmes, mêlant ces adieux à leurs vœux

l) pour la République, comme si c'était là encore leur
» famille »

( Point de haines! Des entrailles vraiment humaines !»

Malheureux Montagnards! Il est donc bien loin de vos
mémoires le souvenir de ces missions qui ont fait couler
tant de larmes!
« Après tant de meurtres, conclut M. Quinet, ceux-
Il ci fUl'ent les plus odieux, car le fanatisme ne les couvrait
J) pas. Deux choses excitèrent un sentiment perdu, la pitié.
» On tuait ces hommes pour q.uelques paroles prononcées

/) dans la mêlée. On les tuait au nom de la modération. On

J) les tuait, après avoir répété cent fois que l'Oh ne voulait
plus de carnage. La Convention n'était-elle donc pas
" rassasiée de meurtres ! ...
CI. Il ne restait pas de plus noble sang à verser. Ces victi-
." mes de prairial furent, dans la Révolution (( les derniers
BUI,LETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO.· TOME XLI (Mémoires 4.)

)j des Romains )). Après eux ne cherchez plus d'âmes de
» cette trempe ... (1). »

Il faut avoir vécu dans les dernières années du Second
Empire pour se douter du retentissement qu'obtinrent des
ouvrages aussi passionnés, pour se faire idée de l'émotion
qu'ils causèrent dans la jeunesse d'alors. Chez les écrivains

libéraux et républicains, il semblait qu'il y eut comme mot
d'ordre: Prendre pour modèles les héros des Républiques
anciennes, exalter les hommes de la Révolution française .

Ç'.était une façon indirecte de bafouer les puissants du jour.
Privés dè la liberté de la presse, les écrivains se vengeaient
comme ils le pouvaient. Tantôt sous des éloges sans mesure,
tantôt sous les critiques les plus acerbes adressés à des per­
sonnages de l'antiquité grecque ou romaine, à travers des
allusions plus ou moins transparentes, ils laissaient volontai­
rement percer l'éloge de tel député de l'opposition, la satire
de tel serviteur de l'Empire, et toujours la condamnation du

régime. On sait quel fut, en 1865, le prodigieux succès de ce

~jmple pamphlet de Rogeard, Les Propos de Labiénus. Cette'
littérature allégorique provoquait des comparaisons cruelles,
et parfois injustes. En combattant la dictature, l'absolutisme,
on eût pu moins oublier que, sous ces Républiques qui

préparèrent l'avènement. de plus de liberté et de justice,
jamais les citoyens n'en furent probablement autant privés .

_ Le livre d'E, Quinet fut uri véritable événement littéraire
et politique, et cependant, en réalité, il ne contentait
personne. On sait déjà comment l'accueillirent les historiens
jacobins, Louis Blanc et Peyrat, qui trou vaient que certains
de leurs héros, certaines de leur théories y: étaient par trop
rabaissés. Les partisans des Girondins, de leur côté, furent

déçus d'y rencontrer, détonant . avec le reste de l'ouvrage,

un éloge presque sans restriction des cs. Derniers Monta-.
gnards ». . (A suivre.)

(i) La Révolution, II, p. 37i-375.

231 _.

DEUXIEME PARTIE

TabLe tles memoires pnb/.iés en 1915
Barbares d'autrefois, Barbares d'aujourd'hui,
par Frédéric LE GUYADER .................. .
Notes sur deux monuments de la fin de la Re­
naissance en Rret.l'lf.me.'l 0 Porche de l'Eg'l ise

de Sainl.-Houal'don. 2°0ssuaiI'e de Sa inL-

Pagea

Tbégonnec, pal' Charles CHAUSSEPIED ........ 15,20
III. La RévoluLion en BreLagne. Les Derniers Mon-

VIL
lag:naeds, 1795, (suiLe), pal' Pl'. HÉMON ..... 26, ' 157
. NoLes SUt: la fonLaine de Gouesnou, par Charles '
CHAOSSEPIEn (planche).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 L
MoLLes féodales, par le chanoine ABGRALL

(7 plane hes). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . .....
Les MoLLes féodales du pays de Morlaix, par
Louis LE GUENNEC (planche).. . . . . . . . . . . .. . ..
NoUces paroissiales. Mahalon, par le com te

Conen de Saint-Luc (5 planches)............. 106
VIII. L'Église de Pencran et ses annexes, par L. LÉ-

CU [{EUX . . . . . . . . .. . ..... -. . . . . . . . . . . . . 139
IX. luscl'ipLions gravées eL sculplées sur les p.glises
et monumenLs ' du IriIlisLèl'e, recueillies par
le ehanoine ABGHALL.. . . .. ................ 189

X. Discours dè M. le Président. ... . " ........... , 217

ARCHEOlOG
DU FI N1STERE

B.P.531