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Bulletin SAF 1914


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La Révolution en Bretagne. Les derniers montagnards, 1795, (suite)

Pr. Hémon

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1914 tome 41 - Pages 62 à 90

(Notes et documents)

LES DERNIERS ONTAGNARDS

1795
(Suite)
Ces envois au tribunal révolutionnaire de Paris auraient
pu durer longtemps, si la nouvelle du brusque revirement
de la Convention n'était venu ouvrir les yeux au monta~
gnard Le Carpentier.
Plutôt que de s'attarder à pleurer ses amis déchus, vite
il écrit a~ président de la Convention:
« Port Malo, 14 thermidor an Iller août 1794.
l( Un courrier que je reçus hier, m'apporta la proclama-
l) tion de la Convention nationale sur la conspiration de Ro­
» bespierre, Couthon, Saint-Just, Le Bas, Hanriot et autres.
" Les autorités civiles et militaires furent aussitôt convo­
)) quées. Le soir, je me rendis à la Société populaire, où je
» ha l'l'an guai les citoyens d'une façon convenable aux cir-
1) constances. Aujourd'hui, je vais passer au camp de Para­
I mé pour faire connaître aux soldats de la patrie la procla­
» mation de la Convention nationale, que j'ai accompagnée
» d'une autre ci-jointe (1). De là j'entrerai da.hs la rade pour
l) lire et distribuer les mêmes proclamations aux états-ma-
l) jors et aux équipages de la marine.
« D'abord, citoyen collègue, la nouvelle d'une conspira-

(i) V. la proclamation de la Convention au Moniteur du 12 thermidor.
(Séance permanente du 9 thermidor) Réimpression, t. XXI, p. 347.
Nous donnons plus loin des extraits de la proclamation de Le Carpentier .

» tion si atroce et si peu attendue, a produit un grand éton­
» nement ; mais cette surprise a bientôt fait place au senti­
)) ment d'une horreur exaspérée contre les monstrueux
)} artisans de l'attentat que vous avez prévenu avec tant
)) d'énergie, et le dévouement dont le peuple vous investit
» dans celte section de la République, comme dans la glo­
Jl rieuse ville centrale, ne peut être comparé qu'à sa recon­
» naissance et à son admiration pour les fondateurs et les
)) sauveurs de la liberté.
« Tel est l'esprit public de cette ville. Telles sont les di~­
)} positions que je suis certain de trouver dans les troupes
)) de terre et de mer. .

« Ainsi l'indépendance de la nation française s'assure de
" plus en plus par les coups mêmes qui avaient été dirigés
)} contre elle. La dernière épreuve a été faite. La trahison de
» Robespierre et de ses complices est une grande époque
): dans la Révolution. Qu'elle soit aussi salutaire pour la
)) République qu'elle devait lui être funeste. Recherchez,
» saisissez, frappez tous les conspirateurs subalternes. La
JI liberté le veut, le peuple le demande, et le peuple vous
» investit de sa force et de son amour.
« Pour moi, mes chers collègues, qui n'ai pas eu le
)} bonheur d'être associé à votre gloire dans cette impor­
J) tante conjecture, je n'en suis que plus autorisé à vous féli-

» citer sur la grandeur de votre caractère, et mon cœur
» franchit la distance qui nous sépare pour aller se serrer
» avec les vôtres autour de la patrie et de la liberté.
Salut et dévouement.
LE CARPENTIER (1).
. Et, à seule fin que le Comité de Salut public n'ignore
pas non plus ses sentiments ... nouveaux, il lui écrit le même

Jour:

(4) AI·ch. nal. : C aH. AULARD: Recueil: t. XV, p. 585, 586.

ct. Gloire, salut et fraternité, mes chers et fidèles collègues.
JJ Encore une fois vous avez sauvé la République, et Ja der­
» nière épreuve a été la plus forte.
« j'ai reçu votre lettre adressée aux représentants du
)) peuple près l'armée des côtes de Cherbourg, avec la pro-
1) clamation y jointe. La municipalité de Caen m'avait ren­
Il voyé le paquet comme au représentant le plus voisin, et
)) sur le champ, j'en ai fait l'usage le plus convenable, ainsi
Il que vous le verrez par la copie de la lettre ci-incluse, que

1) j'écris à la Convention nationale, et par la proclamation
» que j'ai jointe à la sienne pour développer ces principes
» et vos instructions.
ct. Allons, chers collègues, il n'est pas d'événement qui
» puisse trouver votre surveillance en défaut, d'après la dé­
)) cuuverte et la punition des crimes de Robespierre et de
ses complices. Quelle lutte et quelle victoire! Que le gé­
)) nie des conspirations est audacieux ! Que le génie de la
Il liberté est puissant!
Salut et fraternité,
LE CARPENTIER (1).
En même temps, Le Carpentier s'empressa de faire pla­
carder dans tout le district de Saint-Malo la proclamation
de la Convention, qu'il avait accompagnée de ses commen-

talres :
1., Robespierre, Couthon, Saint-Just et autres scélérats
)) conspiraient dans le sein du gouvernement contre les re­
» présentants et la liberté du peuple français. A insi le faux
» éclat de leur renommée n'était qu'un prestige; ainsi la

» confiance qu'ils avaient usurpée était la mesure de leur
JJ scélératesse profonde ; ainsi l'invincible génie de la
» liberté a encore saisi et terrassé l'audacieux génie des
1) conspirateurs. De tous les complots tramés jusqu'à ce

c - 63

fi jour contre l'indépendance de la nation, le plus étonnant,
» le plus abominable est celui qui vient d'être si prompte­
» ment et si heureusement découvert. ... Qu'après l'exemple
)l encore récent de Danton et autres conspirateurs de la

» même époque, on ait voulu bâtir un triumvirat sur les
» débris du trône et sur les ruines de la liberté, c'est un
» attentat qui ne peut s'expliquer que par l'excessive audace,
» la prodigieuse perfidie et la monstrueuse ambition d'un
» Robespierre et de ses compagnons de crime .

« Telle est donc, citoyens, l'expérience des révolutions,
) que celui qui se balançait sur le pinacle usurpé de l'opi­
» nion publique, tombe enfin sous le fer · de la vengeance
» nationale. Tels sont les dangers de la confiance, lorsqu'elle
1) est accordée sans mesure à quelques individus, que ceux
» qui l'ont fallacieusement gagnée, osent tout avec leur

» réputation et leur scélératesse.... Allez, perfides, allez
JI rejoindre les ombres criminelles de vos précurseurs dans
l) le chemin de la tyrannie. Vous n'êtes plus, mais vos
» noms chargés de l'exécration d'un peuple qui vous avait
» cru ses défenseurs, et dont vous étiez les plus atroces
)1 ennemis, iront de siècle en siècle effrayer le crime jusque
Il dans la postérité. »
Ce n'était pas encore assez.
Il est des morts qu'il faut qu'on tue /

Aussi, le lendemain, Le Carpentier éprouve encore le be·
soin de revenir à la charge dans un opuscule qu'il fait
répandre à foison et qu'il intitule: Réflexions du représentant
du peuple Le Carpentier faisant suite à la proclamation sur
la conspiration de Robespierre et de ses complices (1).
cs. Voyez, dit-il, les odieux cadavres des Robespierre,
l) des Saint-Just, des Couthon et de leurs satellites précipi­
» tés des hanteurs du crime dans la fosse de l'infamie!...

(1) Port-Malo, Hovius fils, 4 p. petit in-4° (Arch. nat. A. D. XVIIH, 44
Arc]!. des Côtes-da-Nord sér. L.)
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. TOME XLI (Mémoires 0).

« A qui se fier? » ajoute-t-il plus loin, et il profite de
cette grande leçon pour publier un petit catéchisme des
« principes conservateurs de l'ordre public » : on y lit
notamment cette maxime dont l'auteur eût dû s'inspirer
plus tôt: « Les extrêmes sont dangereux, particulièrement
en politique. »
Le Carpentier prêchant la modération! C'est à ne pas y
croire. Toutefois, deux jours après, il semble s'être remis de
son émotion, (sans doute, il aura reçu des informations
inexactes de Paris), car il écrit au président de la Conven­
tion (Merlin de Douai) dans les mêmes termes que s'il
s'adressait à son prédécesseur (Collot d'Herbois) :
« Port-Malo 17 thermidor an II.· 4 août 1794.

)) Tu peux assurer la Convention que, selon ma dernière
1J lettre, le calme, la joie et la confiance règnent ici plus que
» jamais depuis le grand événement qui a soustrait la repré-
1J sentation nationale au poignard des conjurés et la Répu-
1J blique au joug du triumvirat. Le camp de Paramé et la
» rade de Port-Malo, où j'ai publié la proclamation de la
» Convention avec une autre à la suite, ont offert le specta­
» cIe de soldats et de marins les plus dévoués au maintien
» de la liberté, qui venait d'être si grandement menacée.
)) Le peuple et les autorités constituées sont de plus enser­
» rées (sic) autour de la patrie. Ainsi et toujours les com­
» plots dirigés contre le peuple français n'ont servi qu'à mieux
» développer la grandeur et la fermeté de son caractère.
» Cependant, comme il est partout des trembleurs, des
» alarmistes, et qu'il reste encore des aristo.crates déguisés

» au milieu des patl'iotes, ces ennemis de la Montagne et du
» gouvernement révolutionnaire n'ont pas manqué d'em­
» ployer en secret des suggestions perfides pour provoquer la
» défiance et le discrédit sur l'un et sur l'autre. Quoique
~ ces nouvelles manœuvres ne pussent être aussi dange-

1J reuses que mal intentionnées, j'ai cru devoir les déjouer
1J et, à cet effet j'ai publié à la suit~ de ma proclamation les
» instructions que je joins ici.
1J Vive le gouvernement révolutionnaire jusqu'à l'anéan­
» tissement du dernier ennemi du peuple!
LE CARPENTIER (1).
Cette lettre n'était probablement pas encore parvenue à
son adresse, quand le Comité de Salut public, quelque peu
remanié, prit cette décision :
« Du 19 thermidor 'an Il (6 août .1794).
» Le Comité arrête que le représentant du peuple Le Car~
)) pentier, actuellement à Port-Malo, rentrera sans délai
» dans le sein de la Convention nationale » (2).
Le Carpentier paraît avoir eu quelque peine à se séparer
des Malouins.
De Port-Malo, le 21 thermidor (8 août), il écrit au
Comité de Salut public :
'" c La fête qui se prépare pour l'anniversaire du 10 août
va donner un nouveau degré à l'esprit public et la mé­
» moire de la chute du tyran Capet se mêlera agréablement
» dans les cœurs républicains au souvenir de la chute encore
·Il récente de son successeur Robespierre. »
Le lendemain, il dédie cette variante au président de la
Convention:
. ... « C'est demain que nous célébrons avec toute la répu-

1J blique l'aniversaire de la chute du tyran Capet, dont la
J) mémoire aurait exclusivement recueilli les exécrations du
» peuple, si celle du tyran Robespierre n'eût été là, pour
» les lui disputer, car le peuple français n'a pas juré moins
Il de haine au triumvirat qu'au trône» (3).

(:1.) Arch. nal. : C. 3U. AULARD : Recueil, t. XV, 6tH.
(2) Arch. Hal. A. F. 11 58. ' Au LARD : Recueil, t. XV, 701. L'arrêté est
signé par Collot d'Herbois, Treilhard, Tallien, Carnot, Bréard et P. A.
Laloy.
(3) Arch. nal. : A. F. Il, 58 et {79. AULARO : Recueil, t. XV, 768 et 798 .

Jusqu'ici aucun des biographes de Le Carpentier n'avait
signalé cette volteface, que nous a dévoilé la publication des
Actes du Comité de Salut public. Tous au contraire s'étaient
trouvés d'accord pour dire, qu'après la chute de Robespierre,
Le Carpentier était resté immuablement fidèle à la Montagne
(1). Etrange fidélité que celle qui consiste à brûler ce qu'on
vient d'adorer: à piétiner les cadavres de ses anciens amis,
de ses modèles de la veille !
Il serait plus exact de dire que Le Carpentier rentra à la
Convention le plus tard possible, avec l'intention arrêtée de
faire oublier son passé. De fait, il y évita les questions irri­
tantes (2), et serait probablement resté dans l'ombre, sans

les dénonciations apportées contre lui à la barre de la Con-
venti.oil, . . La première se produisit à la séance du 4 floréal
an III (23 avril 1795). Le Moniteur rapporte ainsi cet inci­
dent:
« Des citoyens de Port-Malo se présentent à la barre. Ils
» dénoncent le représentant du peuple Le Carpentier, et
» l'accusent de s'être montré, pendant sa mission dans cette
» commune,' l'émule des Carrier et des Joseph Lebon. Ils

(1.) V. notamment: Biographie moderne (1.806) ROBERT: Vie politique de
tous les députés à la Convention (1.817). BAUP DE BAPTESTElN DE Mou­
LIÈRES : Petite biograpllie conventionnelle (1.815). Biographie des hommes
vivants (iB1.8). Biographie nouvelle des contemporains (1.823) etc ... Les.recueils
et dictionnaires historiques plus récents ont tous reproduit cette assertion.
(2) Avant les dénonciations qui se produisirent contre lui à la Conven­
tion, Le Carpentier intervint plusieurs fois au cours de discussions plus
calmes. La première fois, (Séance du 25 brumaire an III 15 novem­
bre 1794). Duroy, Romme, lui et plusieurs autres représentants, prés~n­
tèrent des amendements au projet de décret de Lakanal SUl' les écoles
primaires. Trouvant que sa pensée avait été dénaturée par le procès­
verbal, Le Carpentier adressa au Moniteur une lettre rectificative, qui
y parut le surlendemain. A la séance du 9 frimaire (29 novembre), il pro­
nonça aussi quelques paroles pour critiquer un ouvrage sur la constitu­
tion des colonies. A la séance du 1.3 frimaire (3 décembre), avec Duques­
noy etc., il fit quelques observations au sujet des approvisionnements
de bois nationaux. Enfin, le 19 ventôse (9 mars 1795) il parla sur un
projet de loi relatif à la retenue sur les rentes. (V. Moniteur 27, 29 bru­
maire, H, 15 frimaire et 22 ventôse. Réimpression, t. XXII, p. 515, 532,
627 et 658 ; t. XXIII, p. 654.

» présentent le tableau des vexations et des excès commis
» par lui ou par ses agents; ils désignent comme l'un des
») principaux leur ancien maire, qui est maintenant à Paris,
» où il intrigue et joint ses efforts à ceux des màlveillants
» pour exciter le trouble (1).
« Le président . (Sieyès) répond aux pétitionnaires que
)' leur dénonciation sera examinée, et que justice sera ren­
» due à tout le monde. LE CARPENTIER, qui entre en ce
» moment dans la salle, demande le renvoi de la dénoncia­
» tion aux Comités réunis, devant lesquels, dit-il, il prouvera
» que sa conduite a toujours été régulière et conforme
» aux lois. (MurmU/res.)
« Un membre: Je demande que le Comit~ de sûreté géné-

» l'ale soit tenu de faire, sous huitaine, le rapport dont il
» est chargé relativement aux représentants en mission qui
» ont abusé de leurs pouvoirs.
« CLAUZEL: Ce décret a été rapporté.
(( Un membre: Le rapport de ce décret a été surpris à la
» Convention.
« (L'assemblée ferme la discussion et renvoie la déilOncia­
» tion faite contre Le Carpentier aux trois Comités réunis de
» Salut public, de Sûreté générale et de Législation, pour
» faire un rapport sur ce sujet) (2).

Successivement, tous les départements où le Carpentier
avait été en mission, vinrent protester contre sa conduite et
demander vengeance à la Convention. Le Moniteur a encore
enregistré une dénonciation d'habitants de la Manche faite
à la séance du 25 floréal an III (14 mai 1795) :
(1) Il s'agit ici d'un sr Charles Moulin, apothicaire, nommé président du
Comité révolutionnaire, le 5 jan vier 17()3, pu i s maire de la ville de Port-l\'1alo,
pour remplacer le citoyen Perruchet, ancien directeur des Fermes, qui fit
partie d'un des envois de Le Carpentier au tribunal r évolutionnaire de
Paris, et qui y fut condamné à mort avec une trentaine de ses compa­
triotes, le 2 messidor au II 20 juin '1794. (V. Moniteur du 6 messidor. -
Réimpression, t. XXI, p. 47.
Dans cette fournée se trouvait une jeune fille de moins de dix-neuf ans.
(2) Moniteur, (8 Floréal). Réimpression, . t. XXIV, p. 30L

ct Une députation de la commune :de Coutances vient se
» joindre à tous les départements où le représentant Le
» Carpentier a été en mission, pour appeler sur sa tête la
» juste v~ngeance due aux horreur:; dont il s'est rendu cou­
» pable ; elle le peint comme un de ces proconsuls féro­
'} ces qui faisaient leurs délices des maux du peuple ; elle
Il se plaint du luxe insolent qu'il étalait dans les villes dont
1) il était le fléau, lui reproche d'avoir entassé dans les pri­
» sons victimes sur victimes, et d'avoir toujours paru dans
Il ses missions, plutôt le persécuteur de la vertu, le zélé
» défenseur du crime, que le protecteur de l'innocence et le
1) vengeur de l'humanité. »
LE CARPENTIE If' : « Je me vois horriblement calomnié par
» la malveillance, par l'aristocratie; ce sont les gens que
j'ai mis en liberté qui crient contre moi. On m'accuse

) d'avoir fait incarcérer arbitrairement des citoyens; j'ai
» délivré, à Coutances, cent cinquante laboureurs qui

» n'étaient qu'égarés; je n'ai pas fait mettre en prison dix
» individus en tout. Ceux que j'ai fait traduire au tribunal
» révolutionnaire étaient accusés d'aristocratie, d'incivisme,
» de royalisme, d'intelligence avec nos ennemis; ce n'est
» pas moi qui les ai jugés; je croyais le tribunal juste; il
» était institué par la Convention, il était placé près d'elle
» (Murmures). Toutes mes opérations sont au coin de la
» pureté (Bruit). Ce sont les aristocrates et les royalistes
» 'qui m'accusent aujourd'hui. » (Murmures).
CHARLIER : « Il faut qu'on sache que personne ici ne veut

» favoriser le royalisme. » (Bruit). .
LE CAUPEN'fIER : « Sans doute, les lois ont fait des mécon­
» tents : j'ai été très indulgent (Bruit). On ne m'accusait
» pas ici quand je repoussais les brigands de la Vendée.
» (Bruit). Dans le département de la Manche, on a mis en
) place des aristocrates qui m'accusent aujourd'hui. On me
» dénonçait à l'ancien Comité comme un modéré: Que faut-il

)l donc faire? Si vous écoutez l'esprit de vengeance, vous
l) aurez des dénonciations contre tous les députés qui ont

)) éte en mlSSlOn. »
Un membre: « Cela fait l'élogè de leur conduite. »
LE CARPENTIER: « Au surplus je demande le renvoi aux
» Comités, où je ne serai pas embarrassé de me justifier. »
(On rit).
Le renvoi est decrété ... (1).

Quelques points sont à retenir dans cette défense de Le
Carpentier, qui semble un véritable résumé de 'celle de Car­
rier. D'abord il se défend d'avoir été sanguinaire. Il décline
effrontément toute responsabilité dans le supplice des misé­
rables victimes qu'il adressait par charretées au tribunal
révolutionnaire de Paris, et affirme que sa conduite « modé­
rée » lui a valu au contraire une dénonciation près du Co­
mité de Salut public, qui se laissa convaincre par ses
'détracteurs, etc ...

Pour innocenter sa mission, (ce qui ne lui était guère pos-
sible), Le Carpentier paie d'audace. Il va évidemment trop
loin,· mais dans une certaine mesure, il n'a pas tout à fait
tort, non plus.
Pendant la Terreur, c'est-à-dire pendant la période la plus
aigüe de la Révolution, la Convention ne cessa de donner
son approbation sans réserves aux violences les plus inouïes,
aux épurations les plus brutales, aux répressions les plus
monstrueuses faites par ses représentants en mission, et

leurs lettres les pIns cyniques étaient lues en pleine séance,
et toujours frénétiquement applaudies par elle et par le
public entassé dans les tribunes (2).
(1) Moniteur (28 floréal; il mai i795). Réimpressioll, t. XXIV, p. 462.
(2) Pour s'en conyaincre, il suffira de feuilleter les procès-verbaux des
séances de la Convention. Aussi la plupart des terroristes de marque ne
se firent, pas faute d'invoquer ce moyen de défense, par exemple Carrier
devant le tribunal révolulionnaire : « Je conviens qu'on a fusillé cent
» cinquante à deux cents prisonniers par jour; lllais c'était par ordre de

Le Carpentier fut-il, comme il le prétend, dénoncé au Co­
mité de Salut public pour son « modérantisme » ? Cela
n'aurait rien d'impossible, à cette époque de délation à ou-

trance et de surenchère illimitée de civisme révolutionnaire.
Ce qui est certain, c'est qu'un jour, on lui reprocha de man­
quer d'énergie:
« Le Comité de Salut public à Prieur (de la Marne) repré­
» sentant à Brest.

« Paris, 25 brumaire an II (15 novembre 1793).
)) Hien n'est plus urgent que ton départ vers les départe­
» ments où les bandits fugitifs de la Vendée portent la ter-

» reur et obtiennent des succès ...
» Nous nous plaignons qu'on ne poursuit pas les rebelles
)) 'avec assez d'activité .... Nous nous plaignons de ce que
) Pocholle, Le Tourneur, Le Carpentier et Garnier ne mon­
p trent pas assez d'énergie, qu'ils sont toujours tremblants sur
» les mesures, douteux sur les succès, disséminés dans leurs
» forces ... Nous espérons qu'avec ton âme de feu, ton élo­
» quence militaire, et ton patriotisme prononcé, tu vas répa­
» rer tant de fautes ... Aussitôt que tu seras arrivé, tu pour-
» la Commission, et ce fait m'est absolument étranger. J'ai informé la Con­
)) vention qu'on fusillait des brigands par centaines; elle a applaudi à
» cette lettre; elle en a ordonné l'insertion au Bulletin. Que faisaient alors

» ces déplltés, qui maintenant s'acharnent contee moi? Ils applaudis-
» saient. Pourquoi me continuait-on alors ma mission? J'étais alors le
» sauveur de la patrie, et maintenant je suis un homme sanguinaiee ... »
(Moniteur, 7 nivôse an III. Réimpression, t. XXiII, p , 49.)
Brutus Magnier, un jeune homme de vingt-quatre ans, placé par Bour­
botte et Prieur de la Marne 1'1. la tête de la Commission militaire, qui
devait prendre SOli nom, déclare à son tour: « On ne me persuadera
» jamais que Robespierre était le moteur des prétendus, assassinats juri­
» diques que l'on commeLtait dans toute la Feance, cal' il n'était que la
» sept-centième parUe de la Con vention, . _ S'il Y a eu tyrannie, la Con­
» veHUon entière est coupable. (Arcb. Ilat. G. 'V2 548. Tribunal révolution-
» naire. Les Derniers Nlontagnards, p. 262.) »
Un dernier exemple. (On pourrait les multiplier peesque indéfini­
ment) :
Lebon, convaincu d'ayoir commis les aLrociLt"s les plus révoltantes au
cours de sa mission, s'écrie: « Moi coupable! .Je n'ai été qu'un instru­
» ment f'lItre les mains de la Convention, dont je n'ai fail qU'exécuter
» les décrets et qui m'a toujours applaudi! »

J ' ras renvoyer ici ces représentants .. Leur présence a été
» trop peu active, trop peu efficace pour que nous puissions

» espérer quelque chose de leur séjour prolongé dans ce
» pays-là » (1).
Il est un point de la mission de Le Carpentier qui peut

fournir matière à discussion ; c'est sa conduite dans la dé-
fense de Granville. Elle fut lâche, prétendent quelques-uns.
Elle fut sublime, affirment au contraire la plupart de ceux
qui se sont occupés de ce fait de guerre (2). Qui faut-il croire?

« On ne m'accusait pas, quand je repoussais les brigands »
aflirme crânement Le Carpentier au cours de sa défense à la
Convention.
Remarquons que, pour tous ces écrivains, les sources
d'information ont dû être absolument les mêmes. Ce fut
d'abord, et surtout, la longue lettre apologétique adressée
à la Convention par Le Carpentier lui-même (3). Cela ne
peut suffire.
Nous voyons ensuite qu'à la séance de la Convention du
(-1) Arch. nat., A. F. Il, 280 AULAnD : Recueil, t. VIII, p. 436. (L'arrêté
est signé R. Lindet, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Carnot et B. Barère)
- SA V A RY, t. II, p. 327-328. CHASSIN: La Vendée patriote, t. III, p. 285.
(2) Certains écrivains, parmi ceux qui ont le moins ménagé Le Cal'pen­
tier, font de lui, dans cette circonstance, un éloge extraordinaire. C'est
le cas de M. Il. Robidon, par exemple, (p. 389) : (( Le Carpentier, dit-il,
homme d'énergie, communiqua aux habitants sa fureur patriotiqlle. On a vu
rarement improviser une plus habile et plus audacieuse défense. » M. Chas­
sin (id. p. 283 et 303) nons apprend, de son côté, que M. Jules Launay,
commissaire de la marine en retraite, ancien adjoint au maire de Granville,
« a défendu la mémoire de Le Carpentier contre les calomnies de la
Biographie JlIiclwud. dans une brochure qu'il publia en 1893 : Un glorieux
anniversaire. Histoire du siège de Granville. Récit des événements qlli se sont
accomplis dans celte ville les 2/~ et 25 brumaire an Il de la république. (Gran­
ville, br. in-8° de tH p. : « M. Launay, dit-il, a fait jcette étude d'apl'ès les
traditions locales, les archives municipales, les documents officiels et les
historiens dell guerres de la Vendée. Il prouve, d'après les pièces autheu­
tiques, que la conduite de Le Carpentier durant le siège, ne donna lieu
qu'à des éloges de la part des Granvillais, dont la municipalité lui vota
des remerciements, ainsi qU'au g'énéral Peyre. »
(3) Lettre du 26 brumaire (l6 novembre), lue à la séance du 29 brumaire
(:1.9 novembre). V. Monitellr du te, frimaire (2-1 novembre.) Réimpression,
t. XVIII, p. /~70.

4 frimaire (24 novembre), « le seêrétaire du 'représentant dé·
posa sur le bureau un recueil des traits d'héroïsme qui

avaient signalé la journée de Granville ». Cela ne peut suf-
fire encore.

Il Y a aussi la délibération du Conseil général de la com­
mune de Granville, (alors en état de siège), qui vote « des
remerciements » au représentant du peuple envoyé par la
Convention, et au général Peyre, qui commandait la place)
(1). Pouvaient-ils faire moins? .
A la séance de la Convention du 7 frimaire (27 novembre
il fut en outre donné lecture d'une lettre de la Société popu­
laire de Coutances (pourquoi de Coutances ?). Elle est ainsi
conçue:
cc Dans le siège à jamais mémorable de Granville, on peut
» dire que l'activité, l'énergie et le courage du représentant
J) Le Carpentier ont sauvé ce département. Législateur et
» guerrier, joignant le sang-froid de la prudence à la promp­
J) titude de l'exécution, il pourvoyait à tout, se portait à tout,
» présidait à tout ; son âme semblait se mu1tiplier à raison
)} des périls. Le g'énie de la liberté, qui vivifiait ses pensées
» et animait son courage, a triomphé de tous les efforts
)} des brigands, et rendu leur rage impuissante. Si, comme
» nous l'espérons, vous déclarez que la cité de Granville
Il et sa brave garnison ont bien mérité de la patrie, vous
» décernerez sans doute le même honneur à votre collè­
» gue. »
Mention honorable (2).
Bien qu'animée des meilleures intentions, cette brave
société populaire de Coutances, « jacobinisée' » par Le Car­
pentier, arrivait trop tard. La Convention en effet, une

décade environ avant leur démarche, oubliant le représen-
tant, avait, déjà « déclaré que la garnison et les habi-

(t) CHASSIN: La Vendée patriote, t, Ill, 303.
(2) Moniteur (9 frimaire). Réimpression, t. XVIII, p. 534.

tants de Granville avaient bien mérité de la patrie» (1) .
. pour apprécier la conduite de Le Carpentier à Granville,
noUS avons, par la publication des « Etudes documentaires
~ur la Révolution française )) un autre élément d'information,
un témoignage plus désintéressé, celui du général Peyre
lui-même (2). Mais il faut le reconnaître, s'il ne blâme pas
le rôle de Le Carpentier, il ne le présente pas non plus, tant
s'en faut, comme celui d'un héros.
N'est-il pas préférable, en somme, de nous en tenir à la
délibération du Conseil général de la commune de Granville
et au récit très serré du siège que nous a fait M. Chassin?

Tout y semble indiscutable et peut se résumer ainsi:
La garnison (5.535 hommes au total), était composée des

éléments les plus hétérogènes, et, pour les utiliser, Le Car-
pentier déploya uue grande activité. Tous n'étaient pas très
sùrs, mais ils furent rendus inébranlables par l'attitude de
la population très décidée à périr, plutôt que de livrer la
ville. Dans ce siège, qui dura vingt-huit heures, les femmes
même s'employèrent à la défense en portant des munitions'
de l'arsenal aux batteries. On évalue généralement la perte
des assiégeants à 2.000 mort~, celle des assiégés à 150 tués

et autant de blessés (3).

(1) Séance de la Convention du 29 brumaire (19 novembre) j lfoniteur
du 1

frimaire (21 novembre) Réimpression, t. XVIII, p. 47L
Nous ne croyons pas nous tromper en reconnaissant le 'citoyen Le Car­
pentier dans « le représentant du peuple» qui renchérit sur ces éloges
au Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français,
présenté à la Convention nationale au nom de son Comité d'instruction
publique par Léonard BOURDON, député par le département du Loiret, et
imprimé par ordre de la Con vention nationale. N° IV, p. 7 (an II).
1\1. Trulgence Git'ard, dans un article sur Granville, publié dans la
fi-ance marilime, célèbre aussi le courage de Le Carpentier et des habi­
tants dans la défense de cette ville.
(2) Arch. administratives de la Guerre: Dossier ..... L'ex-général de bl"i­
gade Peyre, d'Avignon, en arrestation depllis le 6 frimaire, au Comité de Sû­
reté générale de la Convention nationale. Manuscrit de 27 p. in-S' (cité par
1\1. Chassin dans la lTendée patriote, t. lII, chap. XXXVIII. passim).
(3) CHASSIN: La l'endée patl"iote, t. III, p. 283, 301, 303.
Le 24 brumaire an II (14 novembre 093) le jeune Marc-Antoine Jullien
écrivait: « Si le Carpentier n'était - pas à Granville, j'y serais déjà et j'élec-

En présence des documents que nous venons de citer, on
peut encore se demander si vraiment, dans la défense de
Granville, Le Carpentier eut cette « fureur patriotique » et

s'il y déploya réellement ces qualités stratégiques qu'on lui
a attribuées. Cela n'aurait rien d'impossible, surtout chez
un homme, qui; en même temps qu'une ville, dont il avait
la garde, défendait aussi sa propre existence. Pouvait-il, en

effet, se faire illusion sur le sort qui l'attendait, si les roya-
listes s'étaient emparés de Granville?
Il est même possible qu'en toute autre occasion il eût agi
avec la même décision. Trop de pages de l'histoire prouvent,
hélas! que la bravoure à la guerre n'exclut pas toujours
chez un homme la cruauté à froid. Les atrocités d'un Blaise
de Montluc, les crimes innommables d'un maréchal de Rais,
ont-ils empêché ces grands coupables, de se montrer, à cer­
tains jours, de vaillants soldats sur les champs de bataille?
Autre question. Le Carpentier fut-il sérieusement com­
promis dans la journée du 1

prairial? Cela n'est pas établi,
mais c'est bien probable. Dénoncé par les populations, re­
poussé par les thermidoriens, il n~ pouvait guère compter

que sur une emeute, qUI, en ramenant au pOUVOIr ses anCiens
amis, l'aurait dispensé de rendre ses comptes.
Quoiqu'il en soit, dénoncé « comme bourreau de la Man­
che», décrété d'arrestation, arrêté à la séance du 1

prai­
rial, il avait été le lendemain décrété d'accusation (1).

triserais le courage de nos soldats républicains .... » ... « Dix mille répu­
blicains défendent cette place, écrivait-il le lendemain, niais ils manquent

de munitions ... On se défend vig'oureusement à Granville ... Je viens de faire
partir des munitions .... Je viens d'interroger plusieurs prisonniers. L'ar­
mée des brig'ands paraît sans ressources. La plupart se repentent de leur
erreur et n'attendent, disent-ils, qu'une amnistie pour abandonner leurs
chefs, qui ne chel'chellt eux-mêmes qu'à abandonner leur armée pour se
sau ver. Tel est le résultat de tous les intel'rogatoires. On évalue à deux
mille le nombœ des brig'ands tués devant Granville. Nous avons perdu
peu de monde. » (Une mission en Vendée, p. 74 et 77.)

(2) Moniteur. Réimpression, t. XXIV, p. 513 et 522.

Dans ce lamentable voyage des victimes de prairial, il en fut
donc une, Le Carpentier, dont le sort devait être plus pénible
que celui des autres. C'est lui, en effet, qui était particulière­
ment visé dans les manifestations hostiles qui se produisaient
en cours de route, et c'est en vain qu'on eût essayé dedéfendre
en sa personne celui que naguère on appelait un des héros
de la journée de Granvillè. Les populations ne se souvenaient
plus que du proconsul orgueilleux et impitoyable, qui les
avait tourmflntés pendant une année entière. Son nom était
désormais plus exécré par elles que celui de Carrier. Car­
rier~ qui, la menace à la bouche, avait passé parmi elles
pour établir sa dictature à Nantes, avait du reste déjà expié
ses crimes (1).
Un autre nom, celui de Prieur (de la Marne), qui, lui aussi,
avait tyrannisé ce pays, devait être sur bien des lèvres.
Comme celui de Le Carpentier, ce nom-là eût provoqué bien
des colères, si l'on n'avait s~ par avance que Prieur ne
faisait pas partie du convoi et qu'il avait obtenu la faveur de
rester chez lui, à Paris, en état d'arrestation.
Quant aux autres proscrits, si leurs noms et leurs actes
étaient peu connus, on n'ignorait pas cependant qu'ils s'é­
taient rendus coupables des mêmes méfaits dans d'autres

départements.
CHAPITRE V
La suite du voyage des Montagnards. En Bretagne
Les manifestations hostiles se continuèrent en Bretagne
sur le passage des représentants, et les registres du district
de Dinan nous fournissent ces deux lettres qui rapportent
les mêmes faits avec quelques variantes :
Les administrateurs et procureur syndic du district de
Dinan· (département des Côtes-du-Nord) aux représentants du
peuple à Rennes.

(1) Carrier avait été guillotiné le 26 frimaire an III t6 décembre i794.

Ct Du 7 prairial an UI (26 mai 1795.)
« Nous nous empressons de vous instruire que ,vos collè­
» gues Le Carpentier, Duroy, Goujon, Soubrany, Bourbotte,
)) Peyssard, Romme et Duquesnoy sont passés aujourd'hui

)) par nos murs avec une nombreuse escorte. Le peuple de
)) Dinan est resté calme, quoiqu'il vit dans l'un d'eux le cruel
» auteur de ses maux révolutionnaires, mais les cris de
,) Vive ht République, Vive la Convention, A bas la Montagne,
» et,les buveurs de sang! leur ont prouvé que (si) l'on épar­
) gnait le criminel, on abhorrait le crime. »
« Les mêmes, dudit jour, au, Président de la Convention
» nationale. »

. r Nous nous empressons d'instruire la Conventionnatio­
» nale que les députés Duroy, Le Carpentier, Goujon, Sou-

» brany, Bourbotte, Peyssard, Romme et Duquesnoy vien-
» nent de quitter nos murs pour se rendre, sous bonne .
)) escorte, au lieu de sûreté où ils sont envoyés par la Con­
}) vention nationale. Le peuple de Dinan, qui voyait dans
» Le Carpentier son plus cruel ennemi, a conservé une atti­
» tude ' tranquille: les exclamations mille fois répétées de
» Vive la République! Vive la Convention nationale 1 à bas
)) les factieux! à bas les Montagnards! ont dû porter dans
1) l'âme des détenus une première punition de leurs cri­
» mes. »
« Nous offrons à la Convention nationale l'assurance d'un
» dévouement sans borne: nous l'invitons à marcher d'un
D pas' ferme et sûr dans le chemin que lui a t~àcé son pro­
D pre courage; qu'elle frappe sans pitié tous les factieux, ' et

1) nous ne verrons plus de 31 mai, nous ne verrons plus de

prairial; tous les républicains du district de Dinan
» sont décidés à mourir pour la Convention nationale ;

» mais c'est les armes à la main qu'ils veulent recevoir une

» mort glorieuse, et non se
) un échafaud » (1).
laisser lâchement égorger sur

Un rapprochement historique s'impose ici: .

Dans cette même ville de Dinan, où les montagnards re-
cevaient un si mauvais accueil, d'autres députés, leurs collè­
gues à la Convention, les proscrits Girondins, avaient passé
le 4 aQût de l'année 1793. Ceux~là, les fondateurs de la Ré­
publique, s'appelaient Pétion, Buzot, Barbaroux, Louvet,
Salle, Cussy, Bergoeing, Delahaye, Meillan, . Giroûst, Le­
sage et Guadet (2). Arrachés à leurs sièges de représentants
par le coup de force montagnard du 31 mai (3), ils avaient
dû, après une vaine tentative d'appel au pays, se mêler à un
bataillon de fédérés du Finistère, pour chercher asile dans
ce departement, jusque-là d'opinion girondine, mais que les

(i) Archives. des Côtes-du-Nord, sér. L. District de Dinan. Registre de cor-
respondance ; (n° 437 et 438). La seconde de ces leUres fut 'lue à la séance
de la Convention du 16 prairial 4 juin. (v. Moniteur, n° du 1.9 prairial
an III 7 juin 1795. Réimpressioll, t. XXIV, p. 619. PERLE'!' (Jùurnal de)
n· 984. . TISSOT p. 209. LEMAOU'!' : Annales arlJloricaines, p. 407.
(2) Le bataillon finistérien arriva à Dinan dans la ~uit du 3 au 4 août et y
passa 24 heures. Outre les douze conventionnels que nous venons de
citer, il cachait encore quatre autres proscrits victimes de la Montag'ne :
Hiouffe, Girey-Dupré et Marchena, journalistes, ce dernier, républicain
espagnol, obligé de fuir son pays pour échapper à l'inquisition ; enfin
un nommé Joscph ('l) domestique de Buzot, dont il avait voulu partager
les dangers.

Louvet raconte dans ses mémoires que Guadet ne s'étant pas trouvé au
moment du départ de Dinan, fut obligé de continuer seul le voyage jus­
qu'à Quimper par la grande route.
Le représentant Delahaye abandonna aussi ses collègues à leur passag'e
à Dinan, où il se cacha pendant quelque temps, Il se réfugia ensuite
dans les communes voisines, Taden, Plessis-Balisson, Plumaudan, Plouas­
ne, Yvignac et Saint-Pern. 11 a, du reste, raconté les aventures de sa
vie errante dans un opuscule devenu très rare: Réponse de JACQUES­
CHARLEs -GABRIEL DELAHA YE député par le dépaI~temellt de Seine-Inférieure à
la ConV€ntioll nationale et mü hors la loi, aux calomniés portées contre lui
pal' Lecointre de Versailles et compagnie. (Paris, Maret, an Ill. 30 p. petit
in-8°. .

(3) La Convcntion, une assemblée qui devait se composer de 782 mem·
bres, se trouva tellement décimée et réduite par les proscriptions, les
démissions, les absences et les abstentions que, le iO août i 793 l'appel no·
minaI pour le renouvellement du bureau ne donna plus que 236 votants, .
chiffre qui tomba à 2i7 au 5 septembre suivant. .

o al L

émissaires de la montagne terrorisaient déjà. Mis hors la loi,
déclarés traîtres à la patrie, dénoncés et traqués par les So­
ciétés populaires régénérées, ces malheureux, déguisés en
soldats, munis de faux passeports, étaient réduits à se ca­
cher dans ce bataillon, qui avait été appelé à Paris pour
sauvegarder la représentation nationale, sans cesse mena­
cée par les sections dévouées à la Commune.
Le maire de Dinan, le citoyen Reslou, (Pierre Guy,) avait
daigné donner le logement à cette troupe « l'humanité de la
municipalité ne lui permettant pas de le refuser à des frères
égarés, qui, revenant de leur erreur, rentraient dans leurs
foyers ». .
Toutefois, dans la matinée du 4 août, des dénonciations
lui étant parvenues au sujet des « députés conspirateurs »,
pour ne pas se compromettre, le brave maire avait ceint son
écharpe, et suivi d'une force armée respectable, s'était trans-

porté « chez les aubergistes et logeurs pour y faire les re-
cherches et perquisitions les plus exactes et pour sommer le
chef de c 'e bataillon de déclarer s'il n'avait pas caché parmi
les siens quelques membres proscrits de la Convention ».
(1). Ceux-ci n'y étaient déjà plus.
Qu'étaient-ils devenus?
Partis à l'avance, sous prétexte d'accompagner deux cha­
riots, ils avaient déjà repris le chemin de ce département du
Finistère qu'ils ne devaient atteindre qu'au prix 9.e fatigues
et de dangers inouïs, et où ils ne pouvaient plus désormais
trouver la moindre sécurité.
Loin des départements qui les avaient élus, et hélas! où ils
étaient oubliés pour la plupart, loin des êtres qui leur étaient
chers, ces malheureux allaient être réduits à errer jour et
nuit, cachés dans les bois, dans les carrières, jusque dans les

(i) Arch. mun. de Dinan : Reg. des délibérations du Conseil général de
la commune (5 août i793). Les res·istres du district de Dinan, qui devraient
se trouver aux archives départementales, sont restés à la mairie de cette
ville. L'année 1793 manque.

puits, souffrant la soif, la faim, dévorés dans leurs insom­
nies par la fièvre et par la vermine, recherchés par la force
armée ou chassés à la piste comme des fauves par une meute
de boules-dogues. Ils devaient, suivant les expressions d'un
d'eux, Isnard, « passer quinze mois, presque sans commu­
nication avec les hommes ou la nature, répandant autour
d'eux, la contagion du supplièe, vivant pour ainsi dire dans
la fosse de la mort, comme enchaînés au pied de l'écha­
faud 1) (1). Et cette agonie de toutes les minutes ne devait
cesser qu'à l'heure où ]a guillotine ou le suicide aurait mis un
terme à leurs misérables existences.
C'est ainsi, en effet, a dit Qu«iet,' que devaient finir la plu.
part de ces hommes, qui « avec un juste iristinct de l'ave-

nir », avaient pensé « que les barbaries engendrent la ser-
vitude » et « que les cruautés rendraient la liberté impossi­
ble », ces hommes qui, « même armés du tribunal révolu­
tionnaire, hésitaient à en faire usage, méritant ce reproche
d'écrivains de nos jours, de n'avoir pas su verser ' le
sang» (2). ' .
Telle avait été l'œuvre de ces fiers Montflgnards triom­
phants, de ces Jacobins-sauveurs, qui, comme l'a dit l'illustre
écrivain que nous venons de citer, « avec leur impatience irré­
sistible de supplices, semblaient croire qu'il y a une certaine
vertu dans le sang versé de l'ennemi, et que les choses nou-
velles s'engendrent sur les échafauds» (3). .

(1) Pour avoir des renseig'nements précis sur les derniers jours des
députés girondins, il suffit de rechercher leurs noms à la table analytique
de l'œuvre considérable de 1\1. Vatel, Charlotte de Corday et les Girondins,
ou mieux encore le nom de leur principal bourreau, le jeune Marc­
Antoine Jullien, organisateur des fameuses battues de Saint-Emilion,
faites avec une armée de 5,000 hommes de troupes, aidés d'une meute de
dog'ues, dressés au combat.
(2) QUINET Edgar: La Révolution, p. 460 : « On cherche, disait Vergniaud,
à consommer la Révolution par la terreur, j'aurais voulu la consommer
par l'amour. »
(3) (Id.)

Aujourd'hui ces mêmès Montagnards

sur les malheùrs
desquels on s'apitoie ' si aisément, sont vaincus à leur

tour, et (n'est-ce pas mille fois préférable pour eux, en som"

me ?), leur sort va être décidé dans quelques jours. Proscrits,
Ïls passent, eux aussi, dans cette région, qui a vu la
retraite lamentable de leurs collègues de la Gironde, et, triste
retour des 'choses, ils n'y seraient pas non plus en sûreté,
si leur escorte n'était là pour les défendre contre une popu­
lation, disons si vous voulez une populace, mobile, mais
féroce, qui se montre d'autant plus audacieuse que ceux qui
l'ont opprimée se trouvent plus déchus et surtout dans l'im"';
possibilité absolue de nuire ~sormais. ,.
Le convoi arriva à Port-Brieuc, le 8 germinal (27 niai).
Ni les re'gistl'es de délibérations et de correspondanGe du
département des Côtes-du-Nord, ni ceux du district et de la
municipalité de Port-Brieuc ne renferment la moindre men­
tion de son passage .
. Toutefois, les archives départementales possèdent une let­
tre d'un des membres du Conseil général de la commune de
Port-Brieuc, puis juge au Tribunal de Commerce, le citoyen
Vésuty (Jean-Marie), qui, écrivant à un de ses amis,. Le
Guen, juge de paix du canton de Plédran (1), lui raconte
incidemment qu'il vient d'être témoin de l'arrivée des huit
représentants montagnards. Quand ils sont descendus de
voiture, dit-il, ils étaient étroitement enchaînés deux par
deux, et, il ajoute qu'au moment où il écrit sa lettre, ils

(1) Yves Le Guen, né en -1735, procureur fiscal de Plédran el receveur de
rentes avant la Révolution, avait été nommé juge de paix de ce canton
de Plédran, le 28 bl'Umaire an IV (-1.9 novembre 1795). MM. Geslin de Bour­
gogne et de Barthélémy racontent son assassinat par les chouans le
ter brumaire an VIII (22 octobre :1.799): « c'était, disent-ils, un homme inof­
fensif, étranger aux partis, mais qui avait refusé de livrer les titres de
la terre de Plédran, dont il était régisseur, lorsque les paysans étaient
venus pour les brûler. )) (Les anciens évêchés de Bretagne, t II, p. !~48. .
V. aussi Arch. des C.-d.-N. au dossier concernant l'assàssinat, le Procès­
verbal du lieutenant de Gendarmerie nationale officiel' de police judiciaire.
Quant à Vésuty, né à Lyon en 1742, il s'établit négociant à Saint-Brieuc,
où il est mort le 25 février 1808. . '.

prennent un repas chez le sieur M?ntagne, maître d'hôtel,
place de 'la LibeTté, ci-devant place du Martray (1). .
Ceci, bien que la lettre ne le dise pas, devait se passer
dans la matinée. Les représentants étaient donc à quelqt;les
pas seulement de cette cathédrale de Saint-Brieuc, que l'un
d'eux, Le Carpentier, avait souillée, aux yeux des popula­
tions, en Y établissant la Déesse Raison, et qui" en . ce
moment encore, hors d'état de recevoir.1e culte restauré, ser­
vait de magasin de fourrages et d'étable à bœufs (2).
Une tradition locale veut que Le Carpentier reçut, ce jour~
là, une visite à laquelle il devait être loin de s'attendre; celle
de l'évêque constitutionnel Jacob, dont il avait ordonné l'in­
carcération, et qui venait à peine d'être rendu à la liberté.
Que se passa-t-il dans cette entrevue? Eut-elle même
lieu? Toujours est-il que les représentants et leurs gardes
ne tardèrent pas à remonter dans les voitures, et que, sans
s'attarder en route, ils arrivèrent à Morlaix, le jour même,
vers 8 heures du soir (3). L'un des premiers soins des 'chefs
militaires fut de se présenter au .District munis de la réqui-
sition suivante: .

(i) Cet- hôtel, ou cette auberge se trouvait SUl' l'emplacement occupé
aujourd'hui par l'Hôlel de Ville. (LEMAOUT : Annales armol'Îcaines, p. 407).
Nous aurions bien voulu citer textuellement cette lettre, Malheureuse­
ment elle s'est trouvée ég'arée lors du déménag'ement des archives dé­
partementales, et nous avons dù, en la circonstance, nous en rapporter aux
souvenirs du distingué archiviste, M. D. Tempier.
(2) GESLIN DE BOURGOGNE et de BAH'l'HÉLÉM y : Etudes SUl' la Révolution en
Bretagne, v. p. 78. LAMARE : hist. de Saint-Brieuc (Soc, d'Emulation des CÔ­
tes-du-Nord: Mémoires, t. XXIII, 1884, p.213. La cathédrale rendue au
culte le 24 germinal an III ('13 avril 1795), ne put être réellement utilisée·
qu'en 1802. (V. LElIlAOUT : Annales armoricaines, p. 336.) .
Le 15 floréal an III (4 mai 1795) le citoyen Gautier, officier municipal fut
charg'é par le Conseil « de mettre les ouvriers n écessaires à l'enlèvement
de l'inscription apposée sur la principale porte d'entrée de la cathédrale
de la commune» (Reg'. municipaux).
(3) « Enfin, écrit BOUl'botle à un ami, le 9 prairial, enfin, après huit jours'
d'une marche fatigante nous venons d'arriver à Morlaix. Il est huit heures du
sail' et, dans 6 heures nous allons être jeté dans une barqlle pour être ensuite
l'enfermés au Château du Taureau situé SUl' une roche à 3 lieues de terre. »
(Souvenirs de la journée du 1" pr., p. 208 ».

_0 84
(J. En vertu d'un ARRÊTÉ du 1

pra-irial (20 mai) des trois
)) Comités ' réunis de Salut public, Sûreté générale et Militaire
)) de la Convention nationale qui requièrent toutes les autol'i­
)) tés constituées, civiles et militaires, les maîtrès des postes
)) aux chevaux et enfin tous les citoyens en général de la

)) République d'obéir aux o,t'dres qui leur seront donnés pm'
)) les citoyens MARGARON et BERUELLE relativement à la
)) mission importante dont ils sont chargés et de leur fournir
)) tout ce qui sera nécessaire à cette effet, signé ISABEAU, VAR­
,) LET, TALLIEN, MATHIEU, COURTOIS, DEFERMON, SEVESTRE,
» RABAUT, BERGOEING, GAMON,
« Nous soussignés, nommés par la Convention nationale
,. par l'organe de son Comité de Sûreté générale, adjoints au
1) général Margaron pour le seconder dans l'opération déli­
» cate qui lui est confiée, requérons et invitons les citoyens ad­
» ministrateurs du district de Morlaix de mettre à notre dis­
» position la somme de VINGT MILLE LIVRES pour subvenir aux
» frais de notre mission.
{( Pour le général Margaron, l'adjudant général colonel
« J. CALMET-BEAUVOISIN.
« Pour le général Margaron,
« DEJEAN, capitaine d'hussards (1).
Il fallait en outre pourvoir aux premiers besoins des re-·
présentants emmenés, sans avoir eu le temps de se munir de
linge et de vêtements. Ce fut l'objet d'une seconde réq~isi­
tion, différant peu, comme rédaction, de la première, et'
signée, celle-là, de l'adjudant Calmet-Beauvoisin seul {2}.
Une troisième réquisition leur procura l~ couchage, le

(4) Arch. du Finistère.
Le général Margaron, sa mission terminée, alla rejoindre son poste à
l'armée du Nord. (Arch. nal. F. 7 '~4-i B Arch. nat. F. 7 44 B) Note du lieu­
tenant-colonel Calmet-Beau voisin au Comité de Sûreté g'énérale, sans
date. ' Le Conventionnel Goujon, p. 181.

) Id: On trouvera cette réquisition et l'état qui l'accompagne aux
pièces justificatives. N° V. . .

linge de toilette et de table, ainsi que plusieurs autres
effets (1).
CHAPITRE VI

A u Château du Taureau

Pendant que s'opéraient les réquisitions, les représentants
eurent le loisir de prendre quelques heures de repos et d'é­
crire à leurs familles.
Goujon, en s'empressant de rassurer les siens, pousse , en
même temps un soupir de soulagement:
« Me voilà au bout de ma route ... Quant à moi, n'ayez
» pas d'inquiétude, ma santé est très bonne; tous les dan­
» gers de la route sont passés ... (2). »
Dans la nuit même (9 prairial 28 mai), vers deux heu-
res, les représentants montèrent dans une barque, qui les
attendait à quai, pour descendre la rivière et les transpor­
ter en rade au Château du Taureau.

. Maintes descriptions ont été données de la fameuse forte­
resse et les historiens ne lui ont pas manqué. Au travail
tout récent d'un d'eux, nous empruntons cette comparaison,

qUI nous a paru saISIssante :
« A l'entrée de la rade surgit la masse jaunâtre du Châ­
» teau du Taureau, comparable, lorsque la marée en
» immerge le piédestal rocheux, à quelque monstreux pon­
» ton prêt à voyager et tournant déjà vers le large sa proue
» trouée de menaçantes embrasures. Sur cet écueil, qui
(1) Nous n'avons pu trouver cette troisième réquisition, mais nous
connaissons ce qu'elle contenait par la note des effets réclamés après le
départ des représentants. ( V. pièces justificatives n" V.)
(2) Lettre datée de l\Iorlaix, 9 prairial. TISSOT : Souvenirs de prairial,
p. i3S. TllÉNAlI.D et GUYOT: Le conventionnel Goujon, p. {80,

»' devait son nom aux mugisse'ments de ses brisants aux
» jours de tempête, les bourgeois morlaisiens du seizième
D siècle assirent une lourde construction, ramassée et tra­
» pue, cramponnée au roc, épousant ses contours et faisant
» bloc avec lui. Vers le Nord, elle se termine en hémicycle
1) de manière à n'offrir aucune arête saillante où puisse
D s'acharner la tourmente; l'autre face, tournée vers l'asile

» calme de la baie, s'achève à angles drqits, abritant le
» pont-levis et sa culée. Elevé contre les Anglais, le Tau­
» reau a rarement subi leurs attaques, mais celles qu'il
» endura des éléments, qui pourrait les dénombrer? Il faut
» avoir vu pendant l'un de ces terribles coups de vent de

1) " norouat " qui font rage chaque hiver sur nos côtes, les
» vagues éclater en tonnant contre 'les remparts, l'écume

» bondir sur les plate, s-formes en longues fusées neigeuses,

1) la mer et la rafale se ruer ensemble à l'assaut du vieux

» castel, pour se figurer les pér, ipéties parfois émouvantes de
») cette lutte séculaire (1).

Les nouveaux hôtes du Château, arrivés dans une saison
clémente, ne furEmt pas témoins de pareils ouragans.

La garnison du fort, . qui autrefois sè composait de quel-

ques officiers et d'un détachement d'une compagnie d'inva-
lides, avait été au début de la Révolution remplacée par des

" (1) LE .GUENNEC (Louis) : Excursion dans la commune de Plouézoc'h (datée
de décembre 1905). Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 1906. (V.

notamment p. 34-70.) , ,
Sur le château du Taureau voir encore : GOUIN (François-Auguste):
Notice sur Morlaix. (Annuaire de Brest et du Finistère 1838) Brest Come et
Bonetbeau. DE ,BLOIS: Le Châ.teau du Taureau (v. So.éiété archéologique du
Finistère. Séance du H juillet '1873, p. 26-39. ALEXANDRE, (Ch.) : Morlaix
et ses historiens, 184,2, (cité par M. Le Guellnec, mais pas dans la Biobiblio­
graphie bretonne). LE COAT P. : Monograpbie du château du Taureau,
Morlaix, Haslé, -1867. (LE COAT, d'après la Biobibliographie bretonne est
le pseudonyme de M. Gouin). Dictionnaire d'Ogée : Réimpression. etc.
Les continuateurs d'Ogée (1. Il, p. 70) écrivent: « Ce l'oet a servi de lieu
de déportation à quelques-uns des terroristes qlle la Convention frappa
après les scènes contre-révolutionnail'es (sic) de prairial -17!)5 ; Romme, Bour­

soldats d'artillerie et du génie détachés de Brest. Cela n'a­
vait pas duré, car un Etat de situation des batteries de la côte
du District de Morlaix donne ce renseignement à la date du

mars 1793.

« Le château est gardé par vingt hommes, commandés par
» un officier de volontaires nationaux en garnison à Morlaix,
» et neuf canonniers commandés par un officier de la garde
» nationale de Morlaix (1). »
Depuis une quinzaine d'années le commandant du fort,
préposé aussi à la défense des Sept îles, était un ex-lieutenant
du roi, Toussaint Jean Hersart de la Villemarqué, devenu
capitaine de la 1 ra compagnie des vétérans nationaux. Cette
situation ne pouvait se prolonger indéfiniment, car, en 1793,
il fut déplacé ou destitué, sur la dénonciation d'un de ses

collègues un citoyen Petit, qui avait le même grade à Lan;.

derneau, et qui insinua au Comité de surveillance de Mor-
laix qu'on ne pouvait garder à un poste de confiance un
homme « porteur de parchemins et d'une croix de Saint­
Louis». Hersart de la Villemarqué fut remplacé par un ci­
toyen Allégain, brave soldat peut-être, mais à peu près
illettré (2). Il disparut du reste bientôt, cédant la place à un
(0 Arch. du Finistère, L. 218. Quelques jours après, le 24 mars i793, le
nombre des canonniers avait diminué, si l'on en croit une lettre du sel'·
gent Jea11 Postic, qui se plaint de ce que « ni lui ni ses cinq canonniers n'ont
bois, ni chandelle et qu'avec argent ils ne peuvent se procurer du pain

(2) Comité de sUl'veillance de Morlaix (dossier spécial, pièce 2i),
Le 9 juillet i 793, Allégain écl'it aux administrateurs du Directoire de
Morlaix: « Citoyen, vous avez confiance en moi puisque vous av:ez bien
» voulu me confier le comandement du château. En conséquence je ré­
» clame une augmentation ou un dédomagément d~s dépences que je suis
» obligé de faire tous les jours pour la corespondance. les prèts, le pain.
) Vous n'ignorez pas que tout cela coûte beaucoup ainsi que les vivres.
) Nous vous rappelons aussi que je fus nommé pour instructeur, que
» vous m'avez accol'dé votre sufrage. J'ay exercé cette partie depuis le
» :l3 du mois de mai, et plus je me suis porté plusieurs fois sur ces bat·
» terie de Saint·Samson et Primel pour y exercer les homme qui sont
» sur ces batterie pour leur donller les premier principes de la maneuvre;
» plus plusieurs voyages que j'ai faits avant pour approvisionner ces
» batteries et j'ai tous jours exécuté VQS ordres etc.,. » (Arch. du Finistère,
» L, 226). '

_. 88 id
u commandant temporaire » ie citoyen Rousseau, qui se
trouvait en fonction lors de l'arrivée des représentants (1).
C'étaient là des prisonniers d'importance à garder, et à
bien garder, comme on le lui fit comprendre tout· de suite :

ARMÉE DES COTES BORD.
3· DIVISION.
Morlaix le 9 Prairial, 3

année
républicaine. (28 mai 1795.)
( L'Adjudant général Robinet aux citoyens administra­
)) teurs du district de Morlaix.
« Citoyens administrateurs,
( Les circonstances présentes exigent que la garnison du
)) fort du Taureau soit augmentée de vingt hommes de trou­
)) pe-soldée. Ils s'y rendront demain matin dix du courant.
» Je vous prie en conséquence de donner les ordres conve­
» nables pour qu'ils y soient casernés.
. « Salut et fraternité,

( ROBINET (2). »

(1) Disons ici que Rousseau rut lili-même remplacé comme commandant
du Taureau par l'adjudant général Valory, que l'on trouve en' fonctions
le 3· jour complémentail'e de l'an III 0.9 septembl'e 1795). 1\1. Le Guennee
fait donc erreur en disant, d'après M. Le Coat, (p. 87) que M. de la Ville­
marqué fut cc le dernier commandant du fort» (p. q . O).
(2) Arch. du Finistère.
Les événements de prairial fm'ent bien vite connus dans le Finistère,
et l'incarcérati,s>n des représentants au Taureau y était annoncée avant
que le pont-levis du Château se fut baissé pour les laisser entrer.
La commune de Brest écrit le 9 prairial (28 mai), aux citoyens admi­
nistrateurs du district et de la municipalité de Landerneau, encore chef­
lieu de l'administration du département du Finistère.
Adm in istl'atiolls ci vi les.
cc Nous venons d'apprendre par nos concitoyens que .la Convention na­
tionale avait été attaquée par une partie du faux boùrg Antoine, qu'un
député nommé Ferrand (sic) a~Tait été massacré. La Convention a, par
son courag-e et son énergie, rétabli l'ordre, l'on dit sept députés rendus
au château du Taureau.
RICHARQ fils, officier municipal. FLOCH-MAISONNEUVE,
CARRÉ, officier municipal. procureur de la commune. »
D'après le conventionel Harmand (de la Meuse), alors en mission à
Brest avec Palasne de Champeaux et l'opsent, un mouvement insurrec­
tionnel de même nature que celui qui se produisit à Paris, le ter, prairial,

Des nombreuses réquisitions, 'notes et factures quenons
avons sous les yeux, pour des fournitures d'objets de toutes
sortes aux représentants détenus, il résulte clairement que
les chefs de l'escor'te qui les amena à Morlaix,' aussi bien
que les administrateurs de ce district, furent, dès le premier
jour, absolument convaincus que les prisonniers étaient au
Château à long bail, et que, jusqu'à nouvel ordre, il n'y avait
qu'à user largement du crédit illimité que leur accordaient
les trois comités réunis de la Convention nationale.
Dans ces conditions, et du côté matériel s'entend, -
la captivité des représentants n'avait rien de bien rigoureux.
D'après les instructions données, ils purent demeurer ensem·
ble et prendre leur repas ' à la même table. C'était alors,
pour les détenus politiques, l'usage ordinaire des pri-
sons (1). ' '
Mais, moralement, quelles devaient être leurs préoccupa­
tions, leurs angoisses? Que devenaient ceux qui leur étaient
chers? Qu'allaient-ils devenir eux-mêmes? "
M. Claretie, s'inspirant d'une lettre de Bourbotte et de
l'opuscule de Tissot, a essayé de deviner les pensées intimes
de ces hommes, « jetés, dit·il, dans une barque, transportés
à. trois lieues en mer (sic) dans ce château t'ort, le bout du
monde pour eux, un rocher, des murailles froides, point de
nouvelles de Paris, )) et il continue en ces termes :
. «( Dans ces cachots les heures étaient lourdes. Qu'y avait­
» il pour eux derrière la prison? Que faisait Paris? Que
) devenait la République ? Ils se voyaient condamnés à

se préparait à Brest pour le même jour. Il y avait entente entre les Mon­
tagnards des deux villes et, c'est lui, Harmand», qni devait faire le pen­
dant de Féraud. (V. Anecdotes relatives à quelques personnes et à plusieurs
événements remarquables de la Révolution, par J.-B. Harmand (de la Meuse)
ancien député et ex-préfet du département du Bas-Rhin. Paris, br. in-So
18!4, chez Baudouin, Delaunay et Chaigneau.)
Dans les registres du département du Finistère, nous n'avons trouvé
aucune mention au sujet du séjour des représentants au Château du Tau·
l'eau.
(1) Le conlJentionnel Goujon, p. 1.81

» l'inaction, ils se croyaient, . poUr longtemps sans
»doute, enfermés au château du Taureau comme l'étaient
» au ~hâteau de Ham les vaincus de germinal. Peut-être
» leurs amis, qui s'agitaient à Paris, qui faisaient paraître
» des écrits en leur faveur, réclamaient pour eux les princi­
». pes sacrés de la justice et l'exécution des lois indigne­
Il ment violées, peut-être le peuple avait-il réclamé contre
JI cette arrestation, protesté contre l'arbitraire, peut-être les
1) défenseurs des montagnards tombés auraient-ils le temps
1) de convaincre la Convèntion et de la désarmer .... C'étaient
Il de vagues lueurs d'es'poir, et qui duraient peu. Les pri­
» sonniers savaient bien que leur arrêt était d'avance pro­
Il noncé'. Les journaux ' dépareillés qu'ils avai~~lt pu lire

»' pendant leur voyage, tous gonflés de venin réaètionnaire,
)) les avaient convaincus déjà, et Goujon, « le seul homme
J) de la Révolution, dit Tissot, à qui il a été donné de chanter
i) s'a mort et ses malheurs», composa l'hymne suprême des
» condamnés de prairial. .. » (1). .

P.HÉMON . , ,
(A suivre.)

(i) Tissot se trompe. Le 1

frimaire de l'an II (21 novembre 1793). Girey­
Dupré, (dont le nom est inséparable de ceux des députés de la Gironde),
sachant bien le SOl't que lui réservaient les montagnards triomphants,
comparut devant le tribunal révolutionnaire dans la toilette dt>s con­
damnés: les cheveux coupés .et le col de sa chemise abattu. Sa contenance
fut des plus stoïques, èt il marcha au supplice chantant l'hymne funèbre
qu'il avait composé en vue de l'échafaud, et dont on a fait le chant des
Girondins (V. W ALLO~ : Hist. du trib. rév. de Paris II, 93.) ,

~ Dans la même intention, Louvet avait aussi composé son hymne de
mort, mais plus heureux que Girey, parvint à sauver sa tête (V. Quelques
notices pour l'histoire et le récit de mes périls, par Louvet, Wc éd. p. 91-93).

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DEUXIE E PARTIE

Tables des mémoires publiés en 1914

Abri et sépulture sous roche à Keramengham,
en Lanriec, par le chanoine J.-M. ABGRALL ....
Liste des juridictions exercées au XVII" et au
XVIII" siècles dans le ressort du présidial de
Quimper (suite: Sénéchaussées de Gourin et
de Lesneven), par H. HOURDE DE LA ROGERIE ..
IlL La période révolutionnaire à Gouesnac'h par

Pages

L.OGÈs .... ................ .................. 36
IV. La Révolulion en Bretagne. Les derniers monta-
gnards, 1795, (suite), par PRo HÉMON. ....... 62,156 .

V. Première contribution à l'inventaire des monu-
ments mégalithiques du Finistère (suiLe :
Cantons de Lannilis, de Plabennec et de Plou-
dalmézeau), par A. DEVOIR. . . . ..... . . . .. .. . . . 91
VI. A udierne à la fin de l'ancien régime par J. SAVINA 112
VII. NoUce sur la ohapelle de Saint-Herbot 'en Plo-
névez-du-Faou par CH. CHAUSSEPIED.. . . . . . . . . . 128
VJII. Elude arcbéologique du cadastre par H. LE CAR-
GUET ..... ....... ...... · .... ................. 140
IX. Excursion archéologique du 10 mai 1914. Compte

rendu par le chanoine J.-M. A BGRALL ........ .
Lettre circulaire des membres du bureau . .. .. .
La Cathédrale de Reims par,.le chanoine J.-M.

ABGRALL ......... .

dt " " 7 77 "

211
238
242

DU FIN ISTERE
Hôtel de Ville
B.P. 531
29107 QUIMPER