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Bulletin SAF 1912


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Les Saints Bretons et les Animaux. - Etude hagiographique et iconographique, (suite, voir T. XXXVIII)

Chanoine Abgrall

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1912 tome 39 - Pages 267 à 282

LES SAINTS BR~TONS

LES ANIMAUX ,
Etude hagiologique et iconographique
(Suite)

Saint Gildas

Dans la vie de saint Gildas pour l'abbé Luco nous lisons,
p. 89 :

« Voici le fait qui donna lieu à l'établissement du monas-

ère de Cohet-Lahen ou des Bois. Dans une fosse, qui se voH
encore, au sein d'un monticule couvert alors d'arbres et de

broussailles, un énorme serpent avait établi sa demeure, d'où
il ' faisait fréquemment, .sur le terrain de Saint-Démétrius,

des incursions hostiles, surtout à cause du bétail qu'ildévo-

rait. Les habitants désolés eurent reco.urs à saint Gildas, qui
qui ne s'était pas encore retiré sur le Blavet. Il se rendit sur

les . lieux, se mit en prières, puis, s'approchant du m~:mstre

étendu dans sa fosse, il lui jette une corde au cou et le traîne
en. triomphe à travers le pays, et suivi de la foule qui grossit
toujours, traverse le bourg naissant de Sarzeau, se repose sur

un petit tertre au Couchant du chemin, gagne une pointe de
rocher près de . son abbaye, et, de cette hauteur, précipite dans
les flots le serpent, qui siffle, s'agite, lutte contre la mort et
disparaît englouti et emporté par les vagues. Cette partie de
la forêt de Rhuys était, paraît-il, infestée de reptiles. Le. saint
l'en purgea et y établit son Couvent des Bois, ainsi nommé

parce qu'il était dans la forêt appartenant alors à l'abbaye de ·
Rhuys.» ,M. Luco ajoute en note: Ces miracles relatifs
aux serpents sont mentionnés par le titre de 1001 et la charte
. du duc Jean, comte de Montfort, de 1369. .

- 268

L'église abbatiale de Rhuys ne possède aucune statue an­
cienne cie saint Gildas, mais dans la chapelle qui existe sous
son vocable dans la pa misse de Cast, diocèse cie Quimper,

nous trouvons deux statues en pierre du saint, ayant grand
caractère et présentant le dragon qui 'est sa caractéristique.
La première se trouve à l'entrée du chœur, du côté de
., l'Evangile et mesure 2 mètres ou 2

1t> de hauteur. Le saint

tient un livre ouvert, il asa chape et sa mitre surchargées
d'ornements figurant des perles' et des cabochons. A ses pieds
est un dragon ailé, à quatre pattes armées de griffes acérées.
La seconde statue de saint Gildas a sa place dans le transept
. Sud, plus petite et ne mesurant que om92 de hauteur. , _
. C'est à elle, de préférence, que s'adresse la dévotion des

fidèles et elle semble, du reste, être plus ancienne. Le saint,
ayant la tonsure monacale et vêtu de la chasuble antique,
tient d .e la main gauche un livre fermé et plonge de la droite
le pied de 'sa crosse dans la gueule d'un dragon à grandes

écailles qu'il foule aux pieds. Par son style, cette statue sem-
ble appartenir au xv

siècle ou aux premières années du XVIe.
Peut-être doit-on reconnaître comme représentation d,u
même saint, une statue sans désignation .qui se trouve dans

la chapelle de la Madeleine, en Landrévarzec : évêque ou

abbé en chape, plongeant l'extrémité de son bâton dans la
gueule d'un monstre.
, La paroisse de Carnoët, autrefois du diocèse de Cornouaille,

maintenant de celui de Saint-Brieuc, possède une chapelle

de saint Gildas, et le saint y est représenté avec deux petits

chiens à ses pieds. Quand les gens du pays viennèntle prier
et l'invoquer, ils commencent par caresser et embrasser les
petits chiens. Ce patronage de sain t Gildas, pour protéger ou

guérir de la morsure des chiens enragés, ne correspond à
aucun épisode de sa vie; mais, il se peut qu'il aiL partagé ce
privilège avec saint Bieuzy, son disciple, ' dont nous avons
déjà parlé. "

_. 269 .

Saint Herbaud

. Ce saint très populaire en Bretagne, où il est vénéré comme
patron des vaches, a son église et . son tombeau au lieu
même de son ermitage et de sa mort, terrain dépendant
maintenant de la paroisse de Plonévez-du-Faou, mais dépen­
dant autrefois de la _ paroisse de Berrien. D'après une vie

manuscrite, conservée autrefois à Berrien et maintenant

_ perdue, un abrégé a été publié dans la continuation des Bol-
landistes, supplément de juin. Trévoux donne une vie de ce
saint; on en parle dans l'édition d'Albert le Grand, de 1837,
note de M. de Kerdanet, p. 780, èt dans l'édilion de 1901, p. 663.
De plus, M. l'abbé Guillou, dans son petit volume, Buez Sant
Milliau ha Sant Mœlar, 1883, a donné en annexe quelques.

pages consacrées à notre saint ermite. '. .
Le texte latin cité par M. de Kerdanet dit que les animaux
'lui obéissaient : les brebis, les bœufs, les serpents et les
loups les plus féroces lui étaient soumis, comme aussi les
oiseaux du ciel et ceux de bàsse-couf. Mais on n'indique pas
. ave'C précision son patronage spécial sur les vaches.

En tout cas, dans toute l'étendue du pays . il est invoqué
pour obtenir la santé et prospérité des troupeaux, abondance
de lait et de beurre.

Autrefois, pendant les trois jours du pardon et de la foire,
au mois de mai, les bœufs et vaches étaient cond uits · en
pèlerinage à· la chapelle du saint, comme on le continue

à faire à Saint-Cornèly de Carnac, et, pour ce qui regarde les

chevaux, aux différentes églises, et chapelles de saint Eloi.

Saint Hervé et son loup

Saint Hervé est très populaire dans le Léon et aussi dans
la Cornouaille et même le pays de -8aint- Brieuc. C'est le saint
a veugle, patron des mendia nts et des' chanteurs nomades
- II s'était rendu avec son guide, nommé Guiharan, à l'ermi-

270 -'

lage de son oncle Wlphroëdus ou Urfol, là où l'on voit main­
tenant sa chapelle et son tombeau, dans la paroisse du Bourg­
Blanc, pour annoncer au saint Ermite la maladie et la mort
prochaine de sa mère .
« Saint Wlphroëdus se mit en chemin, ayant recommandé

son petit domicile à son Néveu saint Hervé et à son guide
Guihara!1 de parachever le labourage qui -restait, lui laissant

son Aspe pour ce sujet. Le garçon fit tout comme on lui avait
commandé, puis mena l'Asne paistre en quelques champs, où .
le loup, l'ayant trouvé à son avantage, le .dévora. Guiharan,

voyant cela et n'y pouvant remédier, se prit à crier et forhuer

le Loup. Saint Hervé, qui lors estoit en prières dans l'Ora-
toire, entendant ce cry, sort dehors, et informé comme tout
s'estoit passé, rentre dedans, redouble sa prière, priant Dieu
de ne permettre, à son occasion, ce dommage arrivé à son bon
Oncle et Hoste. Comme il prioit ainsi, voilà venu le Loup à .

grand erre, ce que voyant Guiharan crioit au saint qu'il
fermast la porte de la Chapelle sur soy ; mais le saint lu'y
répondit: Non, non, il ne vient pas pour mal faire, mais ppur
amend~r le tort qu'il nous a fait; amenez-le, et vous en servez

comme vous faisiez de l'Asne, ce qu'il fit ; et estoit chose

admirable de voir ce Loup vivre en mesme estable avec les
M~utons, sans leur mal faire, .. traîner la charruë, porter les
faix et faire tout .autreservice comme une beste domestique.»

( A Lbert Le Grand )

Et en effet toutes les statues de saint Hervé le représentent
accompagné de son Joup, ayant au cou un èollier de harna­
chement, avec une bride ou un licol. Très souvent aussi le
saint donne la main à. son petit guide Guiharan, lequel porte

sur son épaule la besace ou bissac destiné à recevoir les
aumônes qu'ils recueillaient dans leurs tOUrnées. .
Nous trouvons de lui une très belle statue à l'église de

Guimiliau, et dans la même église, un petit groupe où figurent
Guiharan et le loup. Statuette semblable à Lampaul-Guimiliau .

Statues en Kersanton à Sainte-Marie du Ménez-Hom en
Plomodiern et autrefois à l'église de Kerlaz. La dernière est

d'une facture pour ainsi dire bar­
bare, maiscependant remùquable

par son caractère de vérité et de

réalisme: saint Hervé a les yeux
grand ouverts et la démarche
rigide ·à la façon des aveugles ;
Guiharan est armé d'un fouet à

nœuds pour mener le loup, qui

semble en vérité fort docile. .

A Locmélar, l'autel du bas-côté
Midi est surmonté d'un tableau
représentant le saint conduit par
Guiharan et accompagné du loup.
De chaque côté de ce tableau sont

des médaillons dont l'un repré ...
sente le loup attelé à une charette

'Statuette de Saint Hervé et mené par Guiharan, avec cette
à Lampaul-GuÎmiliau inscription: Le loup ayant mangé

l'asne de saint Hervé et mis en place à la charrette .
. On pourrait encore citer la statue qui se trouve à la croix
de la chapelle de Christ en Pleyber-Christ, et celle adossée à

la croix qui se trouvait autrefois à Saint-Donat et est main-
tenant transférée près du bourg. ' .

Saint Jaoua.

. Ce saint avant de mourir, à Brasparts, ordonna que, « quand
il seroit décédé, on mit son corps en un branquart neuf, et
que là, où les bestes qui devoient le porter s'arresteroient;
. ils l'ensevelissent. »

Les bœufs qui furent chargés de conduire son corps, le
. transportèrent depuis Brasparts jusque ' près de la place où

- 272-

est maintenant le bourg de Plouvien, et à l'endroit où ils
s'arrêtèrent on ensevelit le saint. Là 5e trouve une assez vaste
chapelle bâtie en son honneur, et dans cette chapelle au­
dessus du sarcophage où reposèrent ses reliques, un tombeau

monumental en Kersanton, avec sa statue couch; ée et cette

inscription en lettres. gothiques: Sas. Joevin. Epus. Leons.
Fuit. Hic. Sepultus :

Saint Joévin évêque de Léon fut ici enseveli .

Saint Ké ou Kénan, patron de Cléder

Près de son ermitage de Rosené, dans le pays de Galles,
vivait · un Prince nommé Théodoric qui, chassant un jour
dans la forêt poursuivit un cerf jusque dans la cellule du saint
et comme celui-ci refusait de dire ce. qu'était devenu l'animal,
il enl.ra dans une telle colère qu'il fit emmener en son châ-

. Leau sept bœufs et une vache qui avaient été donnés au saint
et à ses compagnons et dont i1·se servait pour tirer à sa char­
rue.; mais le lendemain il se présen ta au sai nt pareil nombre
de üeds qui se laissèrent attacher à la charrue et achevèrent
de charruer son champ, lequel, en mémoire de cette merveil­
le, fut nommé en breton-walois, Guestel (Jueroet, c'est-à-dire

le champ des CC'r/s, et depuis, ces animaux servirent domE's-

tiquement saint Ké et ses confrères en cet ermitage.
. (Albert Le Grand.) .

Saint Lunaire
Parlant du défrichement et de la mise en valeur du sol
breton pour les vieux saints, M. de la Borderie dans son his­
toire de Bretagne, tome l, p. 367-368, retrace la légende de
saint Lunaire (Leonoritts) , d'après sa vie latine et le bré­
yiaire de Saint-Malo, im primé en lQ37.

Un jour, le saint étant à prier et à demander à'Dieu qu'il
lui donnât ainsi qu'à ses compagnons des ressources pour
vivre, il vit s~ poser près de lui un oiseau tenant au bec un

- 27. 3 -

teste d'épi de blé. Plein de joie, Lunaire remercia Dieu et,
appelant un de ses moines, lui ordonna de suivre l'oïseau,

tout en donnant à celui-ci l'ordre de conduire le moine à l'en-
droit où il avait pris cet épi. Il le mène en effet à une clai­
rière de la forêtoù s'était conservé un petit champ de froment.
C'était pour le saint et sa petite troupe une provision pour
servir de semence. Mais il fallait défricher et pour cela

abattre un grand espace de forêt: Tout cela se fit à force
de labeurs mais aussi par une suite de prodiges. Pour faire
le travail de la charrue, douze grands cerfs viennen t s'offrir

d'eux-mêmes, présentent leurs têtes pour qu'on y mette le
joug et travaillent toute la journée comme des animaux
domestiques. ,.
Saint Malo
M. de la Borderie, dans le premier volume de son histoire

de Bretagne, tome 1, p. 467, écrit ces lignes:
, ( " Saint Malo ayant trouvé une vigne en ce pays-là, était

allé un jour lui donner ses soins. Pour travailler plus à l'aise
il ôta son vêtement monastiq~e, sa coule (cucullam), et la
pendit à un chêne qui était proche. Alors un petit oiseau, un

roitelet; vint pondre dans la coule un œuf. Le soir, son tra-
vail achevé, Malo alla à l'arbre pour reprendre son v" êtement.
Il vit l'œuf et dit: « Dieu tout puissant, c'est vous qui avez
inspiré à ce petit oiseau d'user ainsi de ma coule. Si je l'ôte
de là, le pauvre oiseau perdra son œuf.) Il renonça à le
prendre et il le laissa sur l'arbre tant que l'oiseau n'eût élevé
" toute sa nichée. )) (vita 1

S . .+JacLovii. 1, cap. 73.)
Saint Maudez
Albert le Grand, d'après le propre de 'l'ancien bréviaire · de
Léon, raconte que « ce Saint passa en unelsle distante de terre
ferme d'une lieue de Bretagne, la quelle Isle était inaccessible
à tout homme, à cause de la multitude de serpens qui y
avoient le.urrefuge : saint Maudezy estant arrivé, chassa par

BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. TOME XXXIX (Mémoires 18) .

.. 274, ,

sa prière, tous ces serpenspuis bastit un petit Oratoiré, et ùne
cellule auprès, où il demeura le reste de ses jours» Il ajoute:

« Je ne veux obmettre icy le miracle continuel que Dieu
opère en vertu de ce grand Saint encore à présent; c'est que

la terre de cette Isle sert d'Antidote et remède très-souverain
contre les morsures ou piqueures des Serpens et touLes sortes

de bestes venimeuses; l'usage en est, qu'on en verse quelque
, peu 'en la boisson qu'on veut boire, l'expérience de cette mer-

veille se void tous les jours. »,
Ce n'est pas seulement dans son île, à Enez-il/ fadez, que
l'on prend de la terre, pour en faire un remède miraculeux ;
mais partout où se trouve une chapelle ou une statue de saint

Maudez, cet usage existe. Généralement c'est aux pieds de la
statue ou en face de l'image sainte que l'on prend celte terre
ou cette poussière, lorsqu'il n'y a pas de pavé en cet endroit,
comme on peu t le voir à la chapelle de LOC-ltl arzin, à Banna­
lec et à celle de N.-D, de Tronoën en Saint-Jean-Trolimon.
Quand un pavé existait, on y avait ménagé une cavité, ,pour
extraire de la terre d'au dessous, comme cela se voyait il y a
encore deux ans dans l'église de Mahalon .
. Dans la chapelle ruinée de Saint-Maudez, en Edern, c'est
sous le maître-autel en pierre que l'on prenait cette provision,

et on en a tant pris que l'autel s'est écroulé. A la chapelle de
Notre-Dame de Châteaulin, lorsqu'on a fait un nouveau pavé,
il y a trente ou quarante ans, on a extrait une bonne quanti-

té de terre d'en face de la statue du saint et on l'a entassée
dans le cimetière; et c'est là que maintenant les dévots fidèles
vont s'approvisionner. A Landeleau, au bas du cimetière
existait autrefois une petite chapelle sous son vocable; la cha­
pelle a depuis lo'ngtemps disparu, mais on continue toujours
à prendre de la terre à cet emplacement.

Sainte Nennok et son cerf .
, Sainte Nennok, dont on trouve une vie détaillée dans le

cartulaire de Quimperlé, avait son monastère au lieu appelé
de son nom: rJan-Nennok, au bord de la mer en Plœmeur

Rrès de Lorient. Un jour que le comte Erekh, étant à la chasse, .
poursuivait vivement un cerf, celui-ci se réfugia dans l'église
du monastère. Le comte y étant entré trouva le cerf réfugié
aux pieds de la sainte abbesse, qui y chantait l'office divin avec
ses religieuses. Il fut pris d'une telle vénération pour elle
qu'il lui fit donation de plusieurs belles terres et revenus. .
Saint Pérec

Ce saint, en latin Petrocus, Pezrec, est patron de notre
paroisse de Lopérec. Il a vécu et s'est sanctifié au monastère
de Gaël, et l'on conserve encore une partie de ses reliques au
trésor de Saint-Méen, au diocèse de Rennes, trésor provenant
de l'ancien monastère. Une vieille statue vénérée dans l'église
deLopérec, représente le saint vêtu en ermite ou en moine, robe,
scapulaire, manteau à capuchon, avec un cerf ou un chevreuil
qui grimpe contre lui de manière à reposer ses pattes de devant
et sa tête sur sa poitrine, et le saint le caresse doucement de
la main droite. On ignore malheureusement les détails de sa
vie, et on ne peut savoir à quel trait particulier il faut attri­
buer cette caractéristique.
Saint Ronan

" La "ie de ce Saint écrite par Albert le Grandet empruntée au
bréviaire de Quimper nous parle d'un prodige qu'il opéra, en

délivrant une brebis qu'un loup emportait dans sa gueule et
qu'il allait dévorer. Une autre vie inédite publiée par Dom
Plaine, (Bulletin de la Sociüé archéologiqne du Finistère,
année 1889, p. 281.) est plus explicite sous ce rapport et nous
dit qu'il accomplit très souveQt pareil prodige par compassion
pour les habitan ts du voisinage.

.. Mais la tradition populaire va plus loin, et l'on répète encore
dans le pays que le bon. saint faisait chaque jour à jeun une
~orte de procession ou de circuit autour de son ermitage pour

- 276

chasser les loups et protéger les troupeaux qu'ils menaçaient,
et que, une fois par semaine, il faisait ce parcours sur un
rayon plus étendu.
C'est ce qui aurait donné naissance aux processions de la
Troménie que l'on fait tous les ans à Locronan, et de la grande
Troménie que l'on fait tous les six ans et qui comprend un

circuit de 10 ou '1 t kilomètres
Saint Ronan, pour fuir les foules qui' venaient le visiter
dans son ermitage, se retira au loin, à Hillion, au Sud de la
baie de Saint-Brieuc, au bord de l'anse d'Yffiniac. Après sa
mort son corps fut mis sur un chariot, attelé de deux bœufs,
lesquels le conduisirent à travers le pays jusqu'à l'endroit de
son ancien ermitage, où s'élève maintenant la belle église de
Locronan et la chapelle du Pénity, construite pour abriter son
tombeau.
Aucune des nombreuses statues de saint Ronan ne présente
de caractéristiques spéciales mais deux des médaillons en bas­
relief qui décorent la chaire, datée de 1707, retracent le mira­
cle de la délivrance de la brebis de la gueule du loup, et le

transport merveilleux. du cadavre du saint, accompagné par

trOIS eveques.
Saint Suliau

C'est le patron de la paroisse de Sizun. Au fond dn porche
Midi de cette église nous trouvons sa statue en bois, drapée de la
chasuble antique, aux plis souples et gracieux, ayant la figure
jeune et imberbe, tenant un livre de lamain gauche. La main
droite a disparu; si elle avait existé, nous y aurions constaté
sans aucun doute le même emblème que l'on voit dans les
trois autres statues du même saint. En effet, la statue en
bois du chœur, celle en .pierre qui se trouve a u -dessus de ]a
porte de l'ossuaire, et une autre plus petite, sur la face Sud
de la sacristie, tiennent dans leur main droite quelque chose
comme une petite botte d'asperges, quatre chevilles ou courtes

" 277 · ,
brochettes. Pour en avoir le sens, il faut recourir à l'histoire
du saint, qui nous en donne l'explication.
Voici ce que nons lisons dans sa vie, par Albert Le Grand,
édition de 1901, p. 484 :

« Ayant obtenu autant de telTe qu'il luy en fallait pour '
» bastir un Hermitage pour lui et pour ses confrères (au

)) bord de la Rance, au. lieu où l'on voit encore l'église de Saint-
» Suliac), il commença à travailler, et, en peu de jours édifia
» une petite Chapelle et quinze petites cellules pour se loger
J) lui et ses religieux; et ayant labouré de ses propres mains
» une pièce de terre qui luy restait dudit don, il y sema du
)) bled, lequel crût fort beau; mais le bétail qui d'ordinaire,
» paisait ès prochains marests, se jetta, une nuit, dans ' ce
1) champ qui n'était pas fermé et en gâta une partie; le matin
» on vint en averlir S. Suliau, lequel ne s'émût pas beaucoup;

1) seulement, il se mit en prière, et pQis prit son bâton, don t
» il traça une ligne tout à l'entour du champ, et, aux quatl'es
» coins d'iceluy, planta quatre petites houssines pour toute

» haye et fossé; priant Dieu de ne permettre que le bétail

» outre -passât ces bornes, pour endommager les semailles
» de ses serviteurs. Dieu exauça son Oraison, et, la nuit
» suivante, les mêmes animaux sortans des marêts et patu-

» rages, se voulurent jetter sur le dit champ ; mais (chose
» merveilleuse si-tost qu'ils touchèrent cette ligne que le

» Saint avait tracée tout à l'entour de son champ, ils devin-
}) rent tous.immobiles, sans se mouvoir, n'y remuer, non plus
» que s'ils eussen t été de marbre ou de bronze. Le ma tin, les
» païsans du voisiné, ne trouvans pas leur bestail dans les
» marêts~ les trouvèrent en cette posture tout à l'entour du

}) champ de S. Suliau ; et le bruit de cette merveille ayant
» couru par le païs circonvoisin, une grande multitude de
) peuple se rendit enl'hermitage pour voir une chose si étran­
Il ge. Le S. Abbé, craignant que celte amuence de monde
» n'interrompit les exercices de ses Heligieux, s'-en allant

--'" .- 278 ' -

» devers le champ, donna sa bénédiction à ces animaux, et .
» leur deffendit désormais de venir ravager son bled, ce
» qu'ils observèrent invariablement et se retirèrent dans les
» marêts.)) .
Ce sont donc ces quatre houssines ou piquets plantés par
saint Suliau aux coins de son champ, que les sculpteurs lui
ont donné comme caractéristique. .
Saint Téleau
Saint Téleau ou Téliau (TéLiœcus\ évêque de Landaff au
pays de Galles est chez nous patron de la paroisse de Lande­
leau et de la jolie chapelle qui porte son nom en Plogonnec.
On le représente toujours chevauchant sur un cerf, vêtu en

évêque, portant chape, mitre et crosse. Voici, tel qu'il est
raconté par les hagiographes anglais et probablement par
le Liber La'Y/,davensis, le fait qui donna lieu à ce genre de repré-
sentation. .
Un soir qu'il n'y avait plus de bois pour préparer le repas
des moines, le Saint avec son disciple Madoc, s'en alla à ·la
forêt voisine pour en prendre une provision; mais comme le
besoin était pressant et qu'ils risquaient fort d'être en retard,
voici que deux gentils cerfs, attelés ensemble, vinrent à eux,
semblant proposer leurs services. Théleau et son compagnon
leur confièrent la charge de bois et retournère!!t au monastère,
suivis des deux dociles animaux.
Le peuple voyant cette merveille s'écria: « 0 pieux frè­
res, combien manifestement VOIl~ avez été illu minés aujourd'hui
de la divine grâce, puisque les animaux sauvages sont devenus
vos serviteurs! Malheureux sommes-nous, puisque nous n'o-

béissons pas aux saints, cependant que l'exemple nous est
donné par ces bêtes. »
Les cerfs restèrent longtemps au monastère et aidèrent les
moines quand ils eurent b8soin de leurs services .
. A Landeleau la légende est différente. Le Saint quand il

- 279 , ..
arriva en- ce pays se bâtir d'abord un ermitage et construisit·
ensuite une église à laquelle il désira joindre un territoire .
pour former une paroisse S'étant abouché avec le seigneur de
Châteaugall, celui ~ci lui dit : je t'abandonne. tout Je territoire .
dont tu pourras faire le tour en une nuit, mais il est bien
entendu qu'au chant du coq, en quelque lieu que tu sois lu
feras halte. Le saint rentrant chez lui conta la chose à sa
sœur qui depuis quelque temps était venue tenir son ménage;
celle-ci feignit un grand contentement, mais conçut une '
violente jalousie. Cependant, saint Téleau se tenant sur le
seuil de sa porte se mit à simer, aussitôt un cerf sortit du
bosquet et vint s'agenouiller aux pieds du Saint; celui-ci, la
nuit tombée, monta sur le cerf et se mit en route, l'animal
galopant de toute la vitesse de ses jambes, mais comme il
traversait la cour de Castel ar Gall, les gens lachèrent sur
eux les chiens, le saint n'eut que le temps de sauter sur un

chêne, tandis que le cerf se réfugiait dans le bois. .
Pendant ce temps sa sœur alla prendre un coq dans le
poulailler et le fourra dans le tuyau de la cheminée, puis elle
mit le feu dans l'âtre à un fagot de bois vert; le coq cherchant
à fuir la fumée, battait ses ailes, chanta désespérément,
réveilla les basses-cours du village, et ce cri se transmettant
de ferme en ferme arrêta saint Téleau, lié par sa promesse,
sans quoi la paroisse de Landeleau se serait étendue jusqu'à
Collorec d'un côté et à Cléden de l'autre. (Chanoine Peyron,
mémoire lu au Congrès de l'Association Bretonne, Concarneau,
1905.)
Dans cette église paroissiale de Landeleau existe une très
belle représentation en chêne sculpté, figurant saint Théleau
sur un cerf; groupe semblable à la chapelle de Kerdévo't, en

Ergué-Gabéric, puis au Musée archéologique de l'Evêché ;
une autre, au rebu t, dans le jardin du presbytère de Pleyben. -
A la chapelle de Saint-Téleau en Plogonnec, au retable du maî-

tre-autel, beau bas-relief en bois doré, le saint chevauche son .

El 280-

cerf qui gravit à toute vitesse une colline couronnée par un châ­
teau féodal; peut-être le Châteaugal de Landelea,.u. A l'église
paroissiale de Plogonnec, panneau de vitrail, provenant de la
même chapelle et figurant le même saint sur la même mon,
ture .
Saint Thégonneo

Il est" patron de la belle paroisse qui porte son nom dans
le Léon, et de la chapelle de Saint-Trégonnec, en Plogonnec.

Nous trouvons sa légende en tête de la Monographie de L'Eglise
de Saint-Thegonnec, paT M. ['abbé f)niniou .

Il aurait vu lA jour à Tréfentec, non loin de Sainte-An ne-Ia-
Palue, en Plonévez-Porzay. Chassé par les habitants du village

qui lancèrent les chiens à ses trousses, il vint fixer son ermi-
tage dans un lieu appelé depuis Plogonnec (peuple de Egon­
nec) ; et en punition de la méchanceté de ses compatriotes il
leur prédit qu'ils seraient toujours pauvres et que tous les '
chiens enragés qui courraient le pays passeraient par chez
eux:
Kement ki klanv a deui er Vl'O
Dre Trefe.ntec a clremeno.
Ce qui, dit-on, s'est vérifié.
Mais comme correctif, l'eau de la fontaine qui coule dans
la chapelle bâtie sur son ermitage, guérit de la morsure de ces

anImaux. .
Plus tard il vint dans le Léon et entreprit de bâtir une
église à saint Thégonnec. Il charroyait lui-même les. pierres
au moyen d'un paU\Te malheureux cheval qui fut un jour
dévoré par un loup. Mais le Saint fait un signe de croix sur
le loup et le prend pour l'atteler à son chariot. Cet étrange
équipage fait son entrée au bourg à l'ébahissement de la popu­
lation et tous alors se mettent de bonne volonté à aider celui
qui voulait leur bien corporel et spirituel et qui devint plus
tard le patron de leur église.

- 281 ' '

Un beau tableau, dans un vitrail moderne, à Plogonnec,
retrace cette scène, d'une façon mouvementée.
A Saint-Thégonnec, au-dessus du petit autel adossé au mas­
sif du calvaire une statuette du Saint est accompagnée d'un
chariot attelé d'un bœuf ou d'un cerf .

Saint Tugean

Il est patron de l'église de Brasparts. Ne serait-ce pas
Tusveanus, Tusvan, Tl1san, Tujean, auquel saint Jaoua rési- .
gna sa paroisse de Brasparts, et son monastère de Daoulas?
Ce Saint a une chapelle monumentale en Primelin, dans le
Cap-Sizun, où on l'invoque contre les chiens enragés et dont
le pardon annuel, en juin, est fréquenté par une foule innom­
brable de pèlerins.
Pourquoi ce patronage spécial qu'il pa rtage avec sain t Hubert
de Maestricht '?

Le peuplen'en donne pas d'autre explication que l'exclama-
tion échappée à saint Tujean lors d'une escapade malheureuse
de sa sœur: « il est plus facile de défendre les gens contre les
chiens enragés que de garder la vertu d'une jeune fille. »
Le bon Dieu le prit au mot et lui dit que désormais il serait
chargé de préserver les gens des chiens enragés et de les gué­
rir de leurs morsures.
Dans sa grande chapelle de Primelin, aux pieds de la belle
statue qui le représente en évêque ou en abbé avec chape, mitre
et crosse, on voit un chien enragé, et à genoux, implorant le
saint, un petit enfant qui vient d'être mordu. On trouve encore
ses statues avec chien, dans une niche extérieure à l'angle
Nord-Ouest de l'enclos du Calvaire à Landerneau, à la cha­
pelle de Saint-Tugdual de Landudal, à la chapelle de Loc­
Mahé ou SLMathieu, en Bannalec, chapelle de Saint-Jean en

Saint-Nic, chapelle de Saint-Gildas en Cast, dans la cour du
presbytère de Cast, là le Saint tient sa clef traditionnelle et

- 282-
et est accosté d'un gros chien qui en mord un petit. La statue
patronale de l'église de Brasparts n'a pas de chien.

La chapelle de Loc-Mahé de Bannalec, outre la statue, a la
représentation du même Saint dans le vitrail de l'abside.
Chanoine ABGRALL '

III.

DEUX·I· E
, E . PARTIE

Table dés Mémo, ires publiés en 1912

L'Histoire de Cornouaille d'après un livre récent
par M. ANDRÉ OHEIX ......................... .
Les fusaïoles en pierres ornementées du dépar-

Pages

tement des Côtes-du-Nord, par M. A. MARTIN . . J 25
Eglises et. Chapelles du Finistère (suite) (Canton

de Morlaix), par M. le Chanoine PEYRON ..... . 38
Les Saints Bretons et les Animaux. Etude
hagiographique et iconographique, (suite, voir
T. XXXVIII) par M. le Chanoine ABGRALL ..... 51-267
V. Notice sur la Chapelle Saint-Jean Balanant, par

M. CHAUSSEPIED.. . . . .. ...................... 60
. VI. . Les Mystères bretons de la Bibliothèque de Les-

quiffiou, par M. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
VII. Le dolmen de l'isthme de Kermorvan, en Plou­
moguer et ses gravures, par M. le Capitaine de

VIII.

frégaLe A. DEVOIR ........................... .
Remarques sur certaines étymologies citées par

M. H. -P. HIRMENECH dans son ELude sur le
Men Letonniec, Monument Celtique de Locma­ riaquer (Morbihan) par M. le Dr PrCQUENARD ..
Le Tombeau de Saint-Ronan à Locronan, par

Conrad Echer, traduction de l'allemand par M .
105

120
l'abbé PHILIPPON. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
X. Le Trésor découvert à Runabat, en Tourch (Fi-
nistère) par M. de VILLIERS DU TERHAGE . . . . . . 155
XI. Vestiges gëUlo-romains de Lansaludou, en Gui-
lers-Plogastel, par M. Le Chanoine ABGRALL. . 161

XII. Rannou Trélever, (légende et histoire) par M.
Louis LE GUEN NEC.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

XIII.

Esquisse biogr~phique de M. Gabriel-Honoré de
Miollis, 1758-1830, Préfet du Fir1jstère\ sous ·le
premier Empire de 1805· à 1812, ' tiré du livre
de raison de M. Francis Saint-Pol-de":Léon de

Miollis, son fils, écrit en 1865., . . .. , , . , , . , ,.' 179
XIV. Les Anciens Seigneurs de la Coudraye, en Tré­
méoc, par M. le Ct

le NEPVOU DE CARFOR'l' ... 201-240
XV. Témoins mégalithiques . des variations des
lignes des rivages armoricains, par M. le

Capitaine de frégate A. DEVOIR, .... , ,', , . . . . . . 220
XVI. La coiffe bretonne, par M. LE CARGUET . . . . . . . . 283

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