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Bulletin SAF 1912


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Rannou Trélever, (légende et histoire)

Louis Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1912 tome 39 - Pages 165 à 178

et re)
c;X aQ

Dans l'étude qu'il a consacrée à Marion du Faouet (troi-
sième série de l'Ame Hretonne), M. Charles Le Goffic fait un

rapprochement entre cette voleuse de grands chemins et la
célèbre ({ brigande» trégorroise Marguerite Charlès, qui, à
l'époque de la Ligue, écumait les parages de la Lieue de

Grève en compagnie des deux frères Rannou, ses dignes

lieutenants et émules. ({ Il y eut . vràisemblablement, ajoute
l'éminent écrivain, un premier Rannou, sorte d'Hercule ou de
Samson bas-breton, avec lequel)ls se confondirent et dont

la force est passée en proverbe. On disait et on dit encore
aux environs de Plestin: ({ Fort comme · Rahnou ». Et l'on

attribue cette vigueur surhumaine aux vertus d'un philtre
que la mère du géant avait reçu d'une sirène, mais qu'elle
n'osa faire prendre à l'enfant qu'après en avoir éprouvé
l'effet sur son chat. Stupide défiance! Il fallait à Rannou, dit
la légende, la potion entière pour être un héros; une caducité
précoce brisa ses membres, et il est resté comme . le symbole
d'une force extraordinaire, mais incomplète ... ».
M. Le Goffic a vu juste. La tradition locale sait fort bien dif­
férencier les deux Rannou, vulgaires sacripants qui finirent
par expier leurs méfaits au bout de six brasses de corde,
d'avec ce Rannou-Ie-Fort, Rannou Tréléver, pour lui
donner son vrai nom, dont la prodigieuse vigueur est demeu­
rée proverbiale. Dans la paroisse . de Guimaëc, au fond de

l'estuaire du Douron, sur un mamelon rocheux qui domine
la rivière d'une douzaine de mètres, on retrouve .encore les '
. ruines du château de Tr~léyer, 01) il est n~. Ces fQines, ctjLe~

166 _00

Castel-ar-SaLlou ou le Château des Salles, se réduisent à pe u
de choses: la base d'un portail accosté de deux tours rondes

et quelques ' pierres éparses. Tout l'intérieur de l'enceinte

est noyé dans un fouué inextricable de ronces, d'ajoncs
et de fougères. Au Moyen-Age, la position de cette place
lui permettait de protéger la bourgade de Ponttnenou '

alors florissante, et la vallée inférieure du Douron, contre les

incursions des pirates anglais~ mais elle 'était déjà ruinée au

seizième siècle. ' , , . ' ,

L'abbé Clech, qui fut recteur de Plougasnou il y a . une
soixantaine d'années, à une épo'que où les so'Uven'irs du passé

étaient autrement vivaces qu'aujourd'hui, ' a recueilli et
publié, dans ,ses curieux et verbeux Rêves d'un glaneur
celtomane, quelques épisQdes légendaires relatifs à Ran­
nou. Peut-être, en cherchant bien dans le pays de Plestin,

pourrait-on encore en glaner des versions. Ils nous mon-
trent le Goliath trégorrois menant sur ses terres' une exis­
ten' ce de bon gentilhomme rural,famîlier avec ses ' vassaux
et besognant aux champs en leur 'compagnie, peu commode
par exemple, répondant , volontiers aux sarcasmes par de
dangereuses brutalités; mais son honnêteté demeure intacte
, et rien ne permet' de croire qu'il exerça le ' même et 'triste
hlétier qui devait conduire à la ' potence ses ' chétifs homony-

mes. "
Un soir, Rannou Tréléve'rse promenait en humant l'air
frais dans la grande avenue du château, fongue, dit~on, d'une
{( demi-lieue n. Un paysan revenant du bourg l'accosta et lui
dit : « Figurez-vous, Messire Rannou, que tou tes les' vieilles
commères de Guimaëc sont assemblées dans la cuisine de

Môn-ar-Pik, la plus mauvaise langue, vous le savez, qui soit
entre Toul-arï-Héi'y et le passage de Saint-Julien. Là, tOut en

vidant fOTce 'écuelles de flip, elles ne savent vraiment 'quèlles

horreurs débiter sur votre compte, 'A les en croire, 'vous
auriez tous les défauts, ' tous les vices et bien d'autres encore.

- ' 167 -"
Je suis parti indigné dè ce que j'à vais' entendu. » « Feu et
tonnerre! hurla Rannou en levant"les poings au'ciel, je m'en
vais apprendre à ces vieilles ribaudes s'il est permis de calom­
nier uri homme tel que moi! ». Bondissant dans une garenne
voisine, où se dressait un m"enhir, il ' arracha celui-ci a'ussi
facilement qu'une ' touffe d'herbes, le ' souleva à bras tendus,
le balança tin long moment au ,dessus de sa tête, et, déten·
dant brusquement ses muscles d'acier comme les ressorts ,

d'une catapulte, il lança à toute volée son gigantesque projectile

dans la direction du village qui apparaissait à l'horizon,
à plus d'une lieue de Tréléver, découpé en silhouette sur
le couchant empourpré. Malgré la distance, peu s'en fallut
qu:il n'atteignît le but, et c'est à un excès d'impulsion qu'ii
dût de le manquer. La pierre renversa en passant la
cheminée de Môn-ar-Pik, aQ grand effroi des bavardes, et
alla se planter dans le mur du cimetière, où elle· est restée
depuis. On la voit encore, couchée au ras du sol et encastrée

" . f 68

dans la maçonnerié, à droite de l'échalier. C'est un ' lec'h

quadrangulaire qui peut mesurer 2 mètres de longueur .

Une autre fois, fêtant le cidre nouveau dans une taverne
de Plouégat-Guerrand, Rannou tint le pari de porter jusqu'à
Morlaix, dans le creux de sa main et à bra:s tendu, un énor­
me rocher qui encombrait la place du bourg. Jusqu'à Lanléia,
il chemina, paraît-il, d'un pas triomphant, mais à.la croix de
Kerlaz, il commença à faiblir. En mettant en jeu toutes les
ressources de sa prodigieuse musculature, il parvint aux
fourches .patibulaires de Kergariou, sur la lande de Langolvas,

__ .:. .or ' - ~ c--: ' 1 -..:.

. 'W'.or;
, n ~I l ,
i ,lY! ,'~

à une demi-lieue de Morlaix; mais là, brisé par cet effort

vraiment surhumain, il dut laisser choir son fardeau et

- 169-

s'avouer vaincu. Cette pierre est la Grande Roche, bloc
mégalithique qui se voit posé - sur un tertre, près d'une allée
couvèrte ruinée, à l'orée des bois de Pratalan, tout contre
le carrefour des routes de Plouégat-Guerrand et de Garlan .. -

Depuis cinq siècles, elle attend un second Rannou qui lui
fasse achever son voyage... .
Deux gentilshommes du Léon, bons compagnons ' et solides

gaillards, ayant entendu parler de Rannou-Ie - Fort, résolurent
de se mesurer avec lui et prirent la . route de Guimaëc. Au
bourg, on leur indiqua la direction à suivre pour arriver au
château de Tréléver, mais ils s'égarèrent bientôt dans un
dédale de petits chemins et s'estimèrent heureux de rencon-

trer, dans un champ, quelques hommes occupés à dételer
une charrette pleine de goëmons.
- « Dites~nous donc, s'il vous plaît))~ demandèrent~ils,
« où est Tréléver, le manoir de Rannou ? ) .

- « pourqu'oi voulez-vous voir Rannou ? )), questionna l'un
des hommes.
- « On nous a dit que c'est un rude gars. Nous autres,

qui ne sommes pas manchots non plus, nous voudrions
le tâter un peu et savoir ce qu'il vaut. C'est pour cela que -
nous le cherchons )). " .
- « Eh bien, Messieurs )), prononça l'homme en introdui- .
sant les pouces de ses . mains dans les anneaux placés aux

extrémités des brancards de la charrette, en soulevant

celle-ci, contenant et contenu, avec la plus parfaite désinvol-
ture, et en s'en servant pour montrer aux Léonards les
poivrières d'un château émergeant du feuillage, « voilà
. Tréléver!)).

-. « C'est vous qui êtes Rannou ! » s'exclamèrent les deux

seigneurs stupéfaits d'un pareil tour de force.
- « Oui, Messieurs, c'est moi. Et maintenant,
cœur vous en dit, bas les pourpoints! »

si le'

-- . _ c( Nous en avons assez vu », confessèrent-Hs, « p.our re~

170 -

connaître que nous sommés culbutés d'avance, et que votre

poing pèse plus lourd que les nôtres. ))

Ils allaient s'en retourner 'sùr leurs" pas, mais" Rannou les
pria il dîner, les conduisit ' à Tréléver et leur offrit Un
plantureux festin au cours duquel les trois nôuveaüx amis,
le verre en main, se narrèrent mutuellement 'leurs exploits

èn y mêlant sans doute, de ci de Hi, une petite pointe de

gasconnàde.

Par une belle matinée, Raill10u marchait sur la grève, au .
bord du Douron, se plaisant à respIrer la brise salinè et. à voir
les barques de Locqüirec remonter avec la marée vers Toul-

an-Héry. Soudain, sa quiétude fut désagréablement troublée
par les vociférations et les injures d'urie bande de vauriens
qui,de la rive opposée, où ils pensaient n'avoir rien à craindre

de Rannou, trouvaient fortdrôle dé provoqüer et railler impu-

nément le redoutable athlète. La patience n'était pas la vertu
dominante de celui-ci; mais comment faire pOUl' châtiet· ses
. insultem;s ? Le temps de courir au gué de l'Ile Blanche, et
. déjà les garnements se seraient éparpillés dans la campagne
comme une vôlée de moineaux. Leur " sécurité était faite de
cette conviction qu'ils étaient absolument hors d'atteinte;
cependant, avec un terrible homme tel que Rannou, il y avait
toujours lieu de se méfier, 'et ils l'apprirent à leurs dépens.
Ecarlate de fureur sous les moqu'eries et les quolibets, Rannou
avisa un énorme bloc de rocher émergeant à ' demi du sable.
L'arracher, l'étreindre si rageusement que ses bras y

creusèrent leur emp" reinte, le lancer sur ses provocateurs

fut l'affaire d'une seconde. Projetée avec la vitesse d'un .

bolide, la pierre vola" par dessus le bras de mer, à la grande
terreur des polissons, arriva droit au plus acharné d'entre

. eux, l'aplatit net et demeura posée sur ses os broyés comme

une dalle funéraire. « De cette façon, disen t les conteurs,
on n'eut même pas la péinede l'enterrer n. Depuis,oncques per-

-"171 - '

sonnè ne s'ayisa plus, de loin comme de p'l~ès, d'interpeJIer san' s
respect Rannou-Ie-Fort. On montre encore, près de la

. . ':'.v i;."""'1-: -

chapelle de Saint-Garan, en Plmüin, le rocher fatal, et, sur sa

surface moussue, les traces des bras formidables de Rannou.
Il existe donc deux monuments commémoratifs des violen-

ces du géant trégorrois; mais, heureusement pour sa mémoire,
on en connaît un troisième qui prouve que Rannou savait
à l'occasion s'humaniser et venir en bon' chrétien rehausser
de sa présence les fêtes religieuses du canton. C'est, entre
Guimaëc et Plouégat-Guerrand, une massive croix de

carrefour en granit, érigeant sur son fût bosselé un groupe

de statues entourant le Christ. Elle passe pour être la croix
processionnelle de Rannou. A tous les grands pardons du
pays, Kernitron, le Christ, Notre-Dame de la Joie, Sainte­
Marguerite, Saint-Quirec, il prenait fièrement place en tête

172 -
du cortège et brandissait sa croix de pierre parmi les
oriflammes étincelantes, les grandes bannières de velours

etde soie, dominant la foule de sa colossale stature, aussi
à l'aise sous ce faix écrasant que s'il eût porté la délicate
croix d'argent de Plougasnou, aux gaies sonnettes tintantes.

Après avoir interrogé, avec l'abbé Clech et Le Jean, la
mémoire populaire, consultons maintenant les archives
êt les vieilles généalogies. Elles nous apprennent que Rannou
Tréléver n'est nullement un mythe, qu'il a bel et bien existé.
C'était le frèrecadetde Messire Prigentde Tréléver, chevalier,

- 173

seigneur dudit lieu, qui fut nommé en ' 1383 gouverneur . du
pays de Rais et épousa demoiselle Thomine de Kerimel,

fille du' maréchal de Bretagne. Personnage d'importance,
comm· e. on' voit, retenu à la cour pal' ses fonctions de
conseiller du duc Jean IV, Prigent de Tt'élever ne résidait
point en Basse-Bretagne, et laissait à Rannou l'entière jouis­ sance, sinon du domaine, du moins du château de Tréléver.
Quant à notre héros, il possédait, à tiLre de partage noble, le
manoir de ' Kervescontou en Plougasnou et les métairies
de Keranflouch, Keranhouch et I(erguéguen, en Trégom, pour
lesquelles (( il fut reçu par ledit Prigent, son frère aisné,
pour un homme ramager à hommage de bouche et de main,

l'an 1370 » .
Nous savons même que Rannou convola deux fois en justes
noces. D'abord il épousa, en ' 1383, Jeann'e de Quilidien, dame
de Locrenan en' Plestin, qui lùi donna deux filles, Isabelle,
· dame de Kervescontou à laquelle il accorda généreusement 40

livres de dot en la mariant, à l'âge de seize. ans, à Thomas
Gicquel, sieur de Rucazré, el Jeanne, mariée à Yvon du

Trévou, seigneur dudit lieu. Notre excellent confrère M. de
Bergevin, q. ui habite, non loin de Tréléver, le vieux et
pittoresque manoir de Kerven, et à l'obligeance . duquel je

dois tous ces détails généalogiques, s'honore de compter
Rannou, en raison de cette alliance, au nombre de ses loin­
tains ancêtres.
Du second mariage de Rannou Tréléver avec Aliette de
Coatanscour naquirent un fils, Yvon, mort sans hoirs', et
deux autres filles, Marquise, femme de Pierre de Tromelin,
seigneur dudit lieu en Plougasnou,et Tiphaine, mariée à
Prigent de BoisgeIin, seigneur de Lanoverte. Comme Messire

Prigent de Tréléver ne laissa non plus qu'une fille,
Marguerite, qui épousa Rolland Péan, chevalier, seigneur

de Grandbois et de la Roche-Jagu, la famille de Tréléver

. disparut avec celte génération. Son berceau a passé depuis, par

- 174~-

voie d'alliance ou d'acquêt, à diverses maisons, les Loyon, les
Bégaignon, les Des Nos, les Kermerchou, etc.. En 1670,
Messire Alexandre Toulcoet se qualifie, ' dans un acte de
baptême à Saint-Melaine de Mor]aix, d'abbé commendataire
de Saint-Maurice de Carnoët, recteur de Quempet'-Guézennec
et sieur de Tréléver. A l'époque de la Révolution, ]e fief de
Tréléver était aux Le Forestier de Kerosven. Il ne subsiste
pllis, je l'ai déjà dit, que les vestiges du vieux château.

Le manoir de Kervescontou en Plougasnou est un autre

souvenir de Rannou. Sa .fille aînée Isabelle l'apporta aux
Gicquel, puis aux Pinart. Acquis vers HHO par ' les GéraulL,
et transmis aux Coroller, il rés ta durant plus de deux
siècles dans cette dernière famille. Aujourd'hui ,il est
converti en ferme et bien dégradé. On a abattu son dou.ble
portail, que défendaient des meurtrières encore visibles. La
porté en ogive du corps de logis indique le quinzième siècle ;
]es.fenêtres ont été aveuglées, ou mutilées de leurs meneaux.

Devant la COUT passe la vieille voie ' romaine de ' Morlaix à
Primel. Dans les plus anciens registres , de la paroisse, on

relève deux ou trois fois le prénom de Rannou, transmis'sans
doute de parrain ' à filleul depuis l'époque où le premier
seigneur de Kervescontoil le portait lui-même .

Il est fâcheux que la tradition locale soit absolument
muette sur les exploits guerriers de Rannou. Un document
historique atteste pourtant qu'il prit part, comme un vaillant
Breton' qu'il était, aux glierres de.son temps et qu'il besogna
de toùt cœur au 'service dU " duc Jean V contre les,Anglais. Un
tel homme valait à lui seul lin escadron, et jI devait être

màgnifique à contempler dans la mêlée, lorsqu'il rpaniait à
tour de bras son , pesant maillet, fracassant les armures,

mettant lès crânes en bouillie, brisant lés ' reins d'un seul

coup aux cavaliers et à leurs montures, ou lorsqu'il fauchait

dei; rangs 'entiers de sa longue épée à de~x mains. , Du moi ns,
grâce à un pas~age des Preuves de dom Morice, nous pouvons

l'entrevoir bataillant sur mer, en juillet 1403, lors du
combat naval que l'amiral de Penhoët, Guillaume de Penhoët
son père, et Guillaume du Chastel, livrèrent dans le raz de

Saint-Mathieu à la flotte anglaise, forte d'une cinquantaine de
vaisseaux. L'escadre bretonne, formée à Roscoff, ne comptait

que trente navires, mais elle remporta, une victoire complète.
Exaspérés des ravages que les en,n~mis venaient Ge commettre
sur nos côtes, les ' Bretons attaquèrent ilvec fureur, et ne
firent pas volontiers quartier à leurs ', adversaires. Quand ils

s'étaient emparés d'un bateau anglais, ils en jetaient '
l'équipage par dessus bord. On peut croire que Rannou, après
avoir pourfendu ou assommé force Saxons, dut beaucoup
s'amuser à cet exercice; pour un secoQd H, ercule comme

lui, accoutumé à jongler avec des rochers, ce n'était qu'qn
jeu d'enfant d'empoigner ' l'un après l'autre l~s soldats
anglais par la ceinture ou le fond de leurs haut-de-chaus~es

.. ' 17d -

et de les envoyer rejoindre dans les flots les armès dont
ils' s'étaient débarrassés lâchement en se voyant battus.
L'amiral de Penhoët rentra triomphant à Brest, avec sa

flotte victorieuse grossie de quarante vaisseaux capturés et
d'une grande caraque chargée de butin. IL envoya aussitôt

Rannou Tréléver porter la nouvelle de son succès aux ducs

de Bretagne et de . Bourgogne et à la cour de France. Le

compte du trésorier ducal contient en effet cet article: « A

Uaoul de ' T1'elevez, par mandement de M. du Bourg, du

XXVIIIe . juillet MCCCCIlI, pour avoir appris a m'ondit

seigneur du Bourg et a M. le duc les premièrès nouveIles de
la desconfiture qu.e l'amiral de Bretaigne et ceux de sa
compaignie avoient eU,sur les Anglois )) (1). L'identité de ce

messager et de nptre héros ne fait pour moi aucun doute.
, La transformation de Rannou, prénom bas-breton inusité

êt barbare, en Naoul, se constate dans la plupart des gé-
néalogies qui mentionnent la famille de Tréléver, et le chan­
gement de l'r final en z est une faute de lecture ou de

copiste. Le choix de Rannou pour annoncer'au duc la déroute
des Anglais prouve qu'il s'était particulièrement distingué
dans la rencontre, et qu'il méritait plus que tout autre la

gratification généreuse que les souverains ne manquaient
jamais, en tel cas, d'accorder aux messagers de victoires.
S'il est vrai, comme l'assure la tradition, que Rannou

, Tréléver succomba aux atteintes d'une sénilité précoce, ce ne
peut être lui, mais son fils yvon, qui fit placer, dans la gran­
de vitre du pignon Ouest de l'église de Saint-Jean du- Doigt,
commencée en 144:0, l'écusson deses armes: bandé d'hc1'mines
et de gueuZes de six pièces, qui s'y remarquait encore e~ 1679.

, On voyait, avant la Révolution, près du porche de l'église de
Saint-Mélar de Lanme'ur, une pierre tombale chargée des
dèux figures couchées d'un chevalier et d'une châtelaine, et les

(i) D'. Morice, Pùu ves, II, 730.

-,.. , 177

paysans l~appelaient: Men bez Rannou Tréléver, 'rnais en
réalité, elle provenait' de la sépulture des de la Forest,

seigneurs du Hellès, comme le prouve le procès -verbal df;ls
prééminences de cette église, dressé en' 1679 'et- publié
dans . notre Bulletin par M. de Rergevin. Il y a environ
soixante ans, Le Jean signalait, dans l'église de Guimaëc, tin
fragment de , dalte tumulairp. chargée d'une inscription
gothique où se lisait le nom de Rannou Tréléver,. mais qu'il
n'a malheureusement point relevée. J'ai plU5 d'une fois cher­
ché en vain cette pierre, qui a dû être détruite, comme le
sont d'ailleurs méthodiquement, chaque fois qu'on refait un
pavage d'église, toutes les dalles présentant quelque
intérêt. '
On raconte que parfois, durant les veillées hivernales, le~
gens du quartier de Tréléver entendent da.ns les landes déser~
tes des ' environs, des roulements tour à tour étouffés et
bruyants, des bonds de bêtes fantastiques, qui font trembler
sol et murailles, des fracas de heurts subits semblables à des

coups de canon. C'est Rannou « qui joue aux boules »
avec les rochers du Cléguer. Actuellement, sa légende

est en passe de sombrer dans l'oubli. Quelques vieilles gens
en parlent encore le soir, au coin de l'âtre, mais nos
éphèbes de village, éclairés par les lumières de l'instruction

gratuite et obligatoire, se gaussent lourdement de tous ces

, « contes de bonnes femmes)l et rougiraient d'y ajouter la moin-
dre foi. N'en déplaise à ces amis du progrès, qui ne savent

plus les lwbles gwerzesdu Clerc de l.aoudour ou du .t1arquis de
auerrand, mais qui, en retour, font leurs délices , de ces

chansons soi-disant parisie.nnes, marquées au sceau de la plus

infâme stupidité, Rannou Tréléver a réellement vécu, et si la
tradition, toujours portée à exagérer et à embellir les souve·
nirs dont elle est restée dépositaire, l'a transformé en une

sorte d'émule de Goliath ou de Gargantua, il n'en demeure pas
moins aC(Iuis que ce fut un homme doué d'une force physique

BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. .. TOME XXXIX (Mémoires 12),

é 178 oP

èxtraordinaire, pouvant réaliser comme en se jouant de
stupéfiantes prouesses athlétiques, digne enfin de servir de

modèle et de patron à toutes ces jeunes associations sportives .
qui fleurissent un peu partout en 'Basse Bretagn.e. « T.es
Enfants de llannou », le beau nom pour l'une d'elles! '

L. LE GUENNEC

' ;$ 5 5 s. n e

III.

DEUX·I· E
, E . PARTIE

Table dés Mémo, ires publiés en 1912

L'Histoire de Cornouaille d'après un livre récent
par M. ANDRÉ OHEIX ......................... .
Les fusaïoles en pierres ornementées du dépar-

Pages

tement des Côtes-du-Nord, par M. A. MARTIN . . J 25
Eglises et. Chapelles du Finistère (suite) (Canton

de Morlaix), par M. le Chanoine PEYRON ..... . 38
Les Saints Bretons et les Animaux. Etude
hagiographique et iconographique, (suite, voir
T. XXXVIII) par M. le Chanoine ABGRALL ..... 51-267
V. Notice sur la Chapelle Saint-Jean Balanant, par

M. CHAUSSEPIED.. . . . .. ...................... 60
. VI. . Les Mystères bretons de la Bibliothèque de Les-

quiffiou, par M. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
VII. Le dolmen de l'isthme de Kermorvan, en Plou­
moguer et ses gravures, par M. le Capitaine de

VIII.

frégaLe A. DEVOIR ........................... .
Remarques sur certaines étymologies citées par

M. H. -P. HIRMENECH dans son ELude sur le
Men Letonniec, Monument Celtique de Locma­ riaquer (Morbihan) par M. le Dr PrCQUENARD ..
Le Tombeau de Saint-Ronan à Locronan, par

Conrad Echer, traduction de l'allemand par M .
105

120
l'abbé PHILIPPON. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
X. Le Trésor découvert à Runabat, en Tourch (Fi-
nistère) par M. de VILLIERS DU TERHAGE . . . . . . 155
XI. Vestiges gëUlo-romains de Lansaludou, en Gui-
lers-Plogastel, par M. Le Chanoine ABGRALL. . 161

XII. Rannou Trélever, (légende et histoire) par M.
Louis LE GUEN NEC.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

XIII.

Esquisse biogr~phique de M. Gabriel-Honoré de
Miollis, 1758-1830, Préfet du Fir1jstère\ sous ·le
premier Empire de 1805· à 1812, ' tiré du livre
de raison de M. Francis Saint-Pol-de":Léon de

Miollis, son fils, écrit en 1865., . . .. , , . , , . , ,.' 179
XIV. Les Anciens Seigneurs de la Coudraye, en Tré­
méoc, par M. le Ct

le NEPVOU DE CARFOR'l' ... 201-240
XV. Témoins mégalithiques . des variations des
lignes des rivages armoricains, par M. le

Capitaine de frégate A. DEVOIR, .... , ,', , . . . . . . 220
XVI. La coiffe bretonne, par M. LE CARGUET . . . . . . . . 283

:'.. . .. . " ott .. " oC