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Société Archéologique du Finistère - SAF 1912 tome 39 - Pages 25 à 37
du Département des Côtes-du-Nord
Au cours des fouilles exécutées en mars 1880 par M. l'abbé
Prigent, vicaire à Bégard (Côtes-du-Nord) dans le grand
tumulus du Tosenn-Kergourognon, commune de Prat (même
département) où il a mis au jour une riche sépulture du
t er âge du bronze dont il a fait paraître la description dans
les mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord,
année 1881, un des curieux qui, en grand nombre, encom
braient le chantier, rendant la surveillance très difficile, avait
dérobé deux grains de collier en même temps que quelques
unes des nombreuses pointes de flèche en silex auxquelles ·
ils étaient mêlés, le tout paraissant avoir été enfermé dans
un étui ou sac de cuir et d'étoffe dont quelques ft'agments ont
pu' être recueil1is. Ce sont de bien petits objets, faciles à
soustraire et à cacher, et le larcin serait resté ignoré si son
auteur, chaque fois qu'il avait trop bu, et cela lui arrivait
souvent, ne s'en était vanté auprès de sa famille, de ses amis
et voisins. Sous l'influence de l'ivresse il se plaisait à faire
le récit très circonstancié de ce qu'il appelait un bon tour
joué à l'abbé, donnant force détails sur l'état des lieux, la '
place des objets et la façon dont il avait opéré, détails qui ne
peuvent laisser planer aucun doute sur la provenance des
dits objets. Puis, avec le temps, les scrupules que pouvail
lui causer, quand il était à jeun, sa blâmable action, se dissi
pèrent peu à peu et il en vint 3 jouir, en toute paix et tran
quillité, du petit trésor qu'elle lui avait procuré et dont les
deux perles constituaient, à ses yeux, la partie importante,
celle à laquelle il attachait le plus de prix. Les croix gravées
sur l'une d'elles avaient-elles attiré son attention, et son es
prit, ignorant et simpliste, a-t-il été frappé de l'analogie que
présentaient les signes tracés sur cette petite pierre travaillée
de main d'homme, trouvée dans un de ces monuments qu'on
lui disait être une sépulture des anciens temps et don t la
masse et l'étrangeté ont toujours impressionné vivement nos
paysans, avec celui de sa propre croyance? De là à attribuer
un caractère symbolique et religieux à cette perle ornementée
il n'y avait qu'un pas, bient6t franchi, et elle devenait alors
un talisman doué de vertus magiques où la superstition se
mêlait à la foi, comme il arrive si souvent dans nos campa
gnes. Toujours est-il que les d' eux disques perforés
furent enfilés et que leur possesseur n'a cessé de les por
ter pendant vingt- neuf ans comme de précieuses amulettes .
C'est à sa mort, arrivée en 1909 qu'un de ses fils, qui plus
qu'aucun autre en connaissait la provenance, ayant remarqué
lui-même, avoue-t-il encore aujourd'hui, le coup de main de
son père, s'empressa de les restituer à . M. l'abbé Prigent qui
a bien voulu me les confier. Il m'en avait parlé souvent, mais
désespérait de les revoir jamais.
Le lieu où ont été recueillis ces objets, qu'on les appelle
grains de collier, fusaïoles, pendeloques, amulettes, dans
l'ignorance où l'on est de leur destination vérifable, c'est-à-
dire leur présence dans une sépulture armoricaine à belles
pointes de flèche en silex (1) les rend particulièrement int"é
ressants. Ils sont les seuls trouvés jusqu'à ce jour dans les
t.umulus de cette période et de tout l'âge du bronze en Armo
rique, et si les pointes de flèche en silex sOQt une survivance
d'une industrie de l'âge antérieur, qui a' été perfectionnée,
nos deux disques semblent bien être un legs intact de ce
même passé. Or, l'un d'eux, celui en pierre, est richement
(1) A. Martin. Anthropologie i900, p. i59 .
décoré de gravures, ce qui ajoute à l'intérêt qu'ils offrent
pOUl' notre préhistoire locale . .
Le premier est en terre cuite. Poids 19 grammes. Sphéroïde
un peu renflé à l'équateur, D 0.030 ; aplati aux pôles,
épaisseur 0.020 ; percé en son milieu d'un trou cylin-
drique D 0.00;5, dont l'une des extrémités aboutit au fond
d'une dépression cupuIiforme de 0.012 de diamètre et de
0.002 à 0.003 de profondeur, tandis que l'autre vient direc
tement affleurer la surface légèrement aplanie du disque.
J'a vais déjà remarqué souvent ce creux, d'un côté seulement,
sur un grand nombre de grains en terre cuite que possèdent
nos musées et collections particulières, et en le retrouvant
sur des fusaïoles modernes, en faïe.nce émaillée, de la région
pyrénéenne, je m'étais demandé si cette disposition ne ré
pondait pas à une nécessité dans l'emploi de l'outil, qui se
serait perpétuée depuis les temps préhistoriques, tant est
durable la survivance des formes appropriées aux besoins
d'une même industrie. Notre sphéroïde aurait alors été une
fusaïole. Mais fusaïole ou grain d'enfilage, c'est un modèle
commun dont la photographie n'apprendrait rien au lec-
teur.
Il n'en est PqS de même du second, en pierre, stéatite ou
serpentine d'un vert foncé presque noir. Poids 14 grammes.
Disque de 0.01iS d'épais/ seur et 0.0268 de diamètre ta.illé en
biseau sur les deux faces de façon à lui donner l'aspect de
deux troncs de cônes accolés par les bases, percé, en son
milieu, d'un trou cylindrique de 0.006 de diamètre dont les
bords sont légèremen t évasés et arrondis par l'usure. Les
deux faces sont décorées d'une rangée circulaire de petites
cupules alternant avec des croix gravées; l'une porte six
croix et sept cupules, un des espaces compris entre les croix
ayant deux cupules au lieu d'une. Cupules et croix sont très
nettes (fig. 1) ; l'autre face montre six cupules plus irrégu-
lièrement espacées et quatre croix plus grossières; une cin-
quième est à moitie effacée et l'usure a complètement fait
disparaître la sixième (fig. 2).' '
La cupule est le signe gravé caractéristique de la période
néolithique et sa présence, en plus ou moins grand nombre,
sur un mégalithe, suffit pour le dater. Quant au signe cruci
forme, quoique beaucoup moins fréquent, on le rencontre
parmi les sculptures variées des dolmens et des rochers,
sous la forme élémentaire de deux traits, généralement de
même longueur, se coupant à angles droits, et quelquefois
sous celle plus parfaite d'une véritable croix, largement gra
vée, aux branches inégales terminées par des cupules,
auquel signe, on ne saurait, je crois, devoir attribuer un
caractère de symbole religieux comme on l'a fait pour les
croix prémycéniennes de la Crète. Même sous sa forme pri·
mitive, la plus simple, c'est un dessin d'aspect assez déco ratif. Il remplit bien ce rôle sur notre disque dont l'origine
néolithique ne me paraît pas douteuse.
Qu'était-il? un grain de colIier, une fusaïole ou une amu-
lette pendeloque.
A l'époque de la pierre polie les grains de collier où d'enfi
lage, objets de parure, sont en os, en terre cuite et, le plus
souvent, en pierre depuis les plus tendres, teste de coquille,
calcaire, schiste ardoisier, jusqu'aux plus dures, le quartz et
tous ses dérivés, affectant les formes les plûs variées, globu
laires, ovoïdes, ' biconiques, cylindriques et irrégulières,
mais ne 'présentant jamais aucun signe décoratif.
Les fusaïoles, généralement en terre cuite, quelquefois en
pierre et rarement en os (t) sous la forme de disques plats ou
bombés, de troncs de cônes et le plus souvent .'de sphéroïdes
plus ou moins aplatis, présentent, au contraire, de nombreux
exemples d'ornementation, principalement sur celles en
('1) Le Musée de Quimper en possède une: disque plat D, ' 0.028.
épaisseur O.Oi, trou central 0.0045, décoré de deux cercles concentriques,
à 0.001. l'un de l'autre, le plus extérieur ayant 0.024 de diamètre. Prove
nance : Parc-douar-du, en Kerguerriec, commune de Goulien (Finistère).
argile et aussi, comme nous le verrons plus loin, sur quelques
rares spécimens en pierre .
Les objets désignés sous le nom d'amulettes, pour la plu-
part en pierres tendres ou dures, se présentent sous des aspects
très différents, de pendeloques piriformes, de haches, de
plaquettes triangulaires, trapézoïdales, toutes trouées à leur
petit bout, de . croissants et arcs de cercle à un ou plusieurs
trouS. Rien qui ressemble à notre disque auquel" je n'ai .pas
cru pouvoir donner cette dernière appellation. Mais si, à
l'origine, il n'a pas eu pareille destination il est bien à pré
sumer que le mort enseveli sousle tumulus du Kergoutognon
la lui avait attribuée et avait voulu que le précieux talisman,
qu'il avait peut-être lui aussi porté sa vie durant, l'accom-
pagnât dans son existence d'outre-tombe. Et l'on pourrait sans
doute en dire autant de la perle en terre cuite, souvenir d'un
même passé. En définitive les deux objets paraissent devoir
être classés comme fusaïoles.
Ali moment où j'achevais cette note, j'ai eu con naissance,
par un de mes amis, de l'existence dans sa collection (1) d'un
disque aussi en pierre et portant des signes gravés. Il me
l'apportait quelques jours après, avec une épreuve photo
graphique qu'il en avait fait faire. Il est en pierre de couleur
gris-jaunâtre, tendre; diamètre 0.0265; épaisseur 0.01'1;
dimension du trou central, 0.009. Sur ses deux faces sont
tracés trois petits cercles à point central disposés en triangle
(fig. 3). C'est un dessin fréquent à l'époque néolithique et on
croit y voir une représentation du soleil. Autant que le dis
que du Kergourognon il est intéressant, et s'il enlève au
premier le privilège que je 1 ui avais tout d'abord attribué
d'être un objet unique en Bretagne et même en France et dans
l'Europe occidentale, à l'exception de la Grande-Bretagne, il
nous apporte un second argument à l'appui d'un fait nou-
(1) Collection de M. R. Le . Bourdellès, Conseiller à la Cour de Rennes .
vèau, à savoir que les néolithiques de l'Armorique auraient
orné des mêmes signes, dont ils étaient prodigues sur leurs
monuments rupestres et leurs poteries, des disques en pierre
à perforation centrale, ayant toute l'apparence de pesons de
fuseau. C'est encore au département des Côtes-du-Nord que
nous dlwons ce rare objet. Il a été trouvé au lieu dit le Feil,
commune de Pommeret, canton de Lamballe. La rencontre
de ces deux petits monuments dans la même région bretonne
m'a donné l'idée d'y faire une enquête auprès des collection-
neurs que j'y connaissais, et bien m'en a pris puisqu'elle m'a
procuré de nouveaux documents tl'ès intéressants sur l~ sujet
qui nous occupe. Je les dois particulièrement à la riche collec
tion ('1) d'un archéologue de Lamballe qui a bien voulu mettre
à mnn entière disposition les très curieuses pièces dont il est
l'heureux possesseur. J'ai donc pu les étudier à loisir et les
faire photographier.
En voici la description:
No t. Evran, arrondissement de Dinan, sphéroïde un peu
aplati, brun noirâtre; diamètre 0.0275 ; épaisseur, 0,022;
trou central conique avec 0.011 et 0.0095 de diamètre. Des
traits gravés suivant ·des méridiens partagent la surface en
six segments alternant comme décoration. Trois sont remplis
de 30 à 4,0 petits trous et les trois autres montrent de légers
traits parallèles disposés des deux côtés d'un trait plus long
que la photographie n'a pu rendre. Ces deux ornementations,
dites au pointillé et en feuilles de fougère ou végétale, sont
très caractéristiques de la période néolithique; elles abondent
principalement sur les vases. Poids, 22 gr. 5 (fig. 5).
No 2. Saint-Glen, canton de Moncon.tour. Disque
bombé des deux côtés, mais inégalement, couleur brun gri
sâtre ; diamètre, 0.0285 ; épaisseur, 0.0075 ; trou central un
peu conique, diamètre, 0.0085 et 0.0075. Sur une des faces
"""", ' p tt"
Ci) Collection Jules Le Moine, à Lamballe.
sont gravés quatre petits cercles avec point central, réguliè-
rement disposés en croix; l'autre face presque plate, montre
quatre cercles pareils, mais placés avec moins d'ordre. C'est
cette dernière que la photographie a reproduite. Nous avons
dé1à vu cette décoration, avec trois cercles seulement, sur le
disque de Pommeret. Poids, 8 gr. (fig. 6).
3. Maroué, canton de Lamballe. Disque tronconi-
que, brun foncé verdâtre, diamètres, 0.02D et 0.020ti ; hau
teur, 0.0155 : trou central conique avec des diamètres de
0.0'12 et 0.010.: Le pourtour est divisé en six compartiments
par des traits,dans le sens d'une génératrice, assez profon
dément gravés, se prolongeant sur les deux bases jusqu'aux
orifices du trou central. Chaque compartiment montre une
série de toutes petites cupules; sur l'un, ' l'usure les a fait
disparaître, sur les cinq autres on en compte 3, 6, 3, 8 et 7 .
On les retrouve, sur les deux bases, une entre chaque trait,
toutes très nettes à la base inférieure, trois effacées à la petite
base. Poids, 13 gr. 5 (fig. 4).
No 4. Hillion, canton S. de Saint-Brieuc. Disque
également bombé des deux côtés, vert foncé ; diamètre,
0' .0305 ; épaisseur, 0.0125 ; trou central cylindrique de 0.009
de diamètre. Sur l'une des faces sont incisés deux cercles
concentriques très nets, l'un assez près du ' bord, l'autre à
deux millimètres en dedans du premier. Sur l'autre face,
plus détériorée, on retrouve quelques traces seulement d'une
pareille ornementation. Les cercles concentriques sont fré
quents sur les mégalithes. Poids, 16 gr. 5 (fig. 7).
No 5. Planguenoual, canton de Pléneuf, arrondissement
de Sa.int-Brieuc. Disque plat. aux arrêtes arrondies, gris
verdâtre; diamètre, 0.021; épaisseur, 0.010; trou central,
0.0085 ; au pourtour dentelé par 13 larges encoches. Poids,
6 gr. (fig. 10).
N° 6. Plestan, canton de Jugon, arrondissement de
Dinan.' Disque plat, aux bords arrondis, brun foncé; dia-
mètre~ Ô.Û27!) ; épaisseur~ 0.009; trou central, 0.010; avec
onze encoches tout autour. Poids, 11 gr. G (fig. 9).
No 7. Saint-Glen, canton de Moneontour. Disque plat,
brun clair rougeâtre; diamètre, 0.02!J ; épaisseur, 0.009 ;
trou central, 0.009. Une trentaine de stries verticales, as"ez
profondément gravées, décorent le pourtour. Poids, 8 gr. !J
(fig. 8). .
No 8. Morieux, canton de Lamballe. Disque plat.,
gris rougeâtre; diamètre, 0.026 ; épaisseur, 0.008; largeur
du trou central, 0.009. Les bords montrent 18 petit.s traits
verticaux très inégalement distribués, que vient couper en
leur milieu, un trait circulaire plus légèrement gravé. En un
point, tout près du bord, se · voit un trou percé à la façon
néolitbique, deux cônes venant se rejoindre par la pointe.
Nul doute que. ce trou a été perforé postérieurement dans le
but de faire une pendeloque de l'ancien ustensile. Le fait est
intéressant car il semble bien préciser le caractère distinctif
de la pendeloque, toujours percée à une extrémité, pour
qu'une fois enfilée et suspendue, elle se présente · dans
tout son développement. C'est une leçon de choses donnée
par les néolithiques eux-mêmes. Les sphéroïdes, disques et
rondelles, percées en leur ·milieu, ne seraient jamais des
pendeloques, pas plus amulettes que de parure, et le champ
de recherche des attributions de tous ces petits objets se
rétrécirait d'autant. Poids, 9 gr. !J (fig. 11).
La collection J. Le Moine renferme aussi quelques disques
ou rondelles en pierre, ne portant aucune ornementation, que
je crois utile de signaler parce qu'ils proviennent de la même
industrie locale. On pourrait dire de la mênie fabpique,
comme matière et technique .
. Cesson, près de Saint-Brieuc. Disque plat ou ron-
delle, brun rougeâtre; diamètre, 0.021 ; épaisseur, 0.0 lO5 ;
largeur du trou central, 0.009. Poids, 6 gr. G (fig. ' 1!J).
Saint-Glen, canton de Moncontour. Même forme,
gris clair jaunâtre ; diamètre, 0.031) ; 0.010 d'épaisseur;
trou central, 0.010. Poids, 18 gr. 1) (fig. 12).
. Penguily, canton de Moncontour. · Disque bombé,
vert foncé; Diamètre, 0.0~91); épaisseur, O.OH ; trou cen-
tral, 0.009. Poids, 12 gr. 1) (fig. 14). ,
Maroué, canton de Lamballe. . Disque plat ou ron-
delle, brun foncé bleuâtre; diamètre, 0.026;5 .; épaisseur,
0.0101) ; trou central, 0.011. Poids, 11 gr. 1) (fig. 13).
Un archéologue de CoUinée, arrondissement de Loudéac, a
aussi recueilli, dans son canton, quelques fusaïoles en pierre
tendre qu'il a bien voulu me confier. Sur les quatre que ren-
ferme sa collection ('1) une pourrait, à la rigueur, être classée
au nombre de celles ornementées. C'est un disque plat aux
bords arrondis, gris bleuté; diamètre, 0.024; épaisseur,
o.omm ; trou central conique, 0.012 et 0.010. Sur une deR
faces seulement, il porte six incisioris ou étroites encoches, dans
le sens des rayons, venant mordre sur le bord. Poids, 1) gr.
Provenance, Saint-Jacut du Méné. Les autres sont des ron
delles cylindriques : La première, jaune rougeâtre tachetée
de points noirs; diamètre, 0.0361); épaisseur, 0.0128; trou
central, 0.011 aux orifices et plus étl'oit au milieu. Poids,
30 gr. Saint-Gilles du Méné. La seconde, brun foncé verdâtre;
diamètre, 0.030. ; épaisseur, 0.0' 142; trou central, irréguliè
rement percé, 0.009 aux orifices; poids, 19 gr. ; Lande des
trois Croix, enLe Gouray. .
Toutes ces pierres, aux couleurs si variées, à l'exception de
cette dernière du Gouray qui est en grès tendre, sont des
silicates magnésiens appartenant aux groupes des stéatites,
talcs et serpentines. Or, la région des Côtes-du-Nord où ils
ont été recueillis, renferme plusieurs gisements de serpen·
tine ; à Sainte-Anne, près de Lamballe; à Yffiniac, sur la
route d'Hillion; à Cesson, près de Saint-Brieuc; dans les
(1) Collection de M. Collcu, de CoUinée.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ An.CHÉO. . TOME XXXIX (Mémoires 3) .
ènvÎrons de Locenvel, canton de BeIre- Isle en Terre "(1) Les
échantillons minéralogiques provenant" de ces gisements pré-
sent.ent toutes les teintes depuis le blanc grisâtre jusqu'au
noir en passant par le jaune,le vert, le bleu, le rouge, c'est
à-dire les tons variés que nous avons notés au cours de la
description des objets que nous n'hésitons pas à appeler des
fusaïoles, bien que le poids de quelques-unes pai'aisse un peu
'faible pour le. rôle de volant qu'elles avaient à remplir: Il
devait y avoir de grands et de petits fuseaux.
Dans tous les musées de la Bretagne et collections parti
culières autres que celles dont il vient d'être question, il"
n'existe aucune fusaïole en pierre ornementée. Il y a donc eu,
dans une région assez restreinte faisant aujourd'hui partie du
dép-artement des Côtes-du-Nord, des populations néoliLiques
qui se sont livrées à un genre d'industrie très spécial, la
fabrication de pesons de fuseaux en · pierre, avec cette parti
cularité qu'elles ont donné à quelques-uns de leurs produits
un cachet artistique par l'apposition de gravures reproduisant
les signes décoratifs qui leurs étaient familiers, qu'elles
voyaient sur les rochers, les mégalithes et les poteries. On
pourrait expliquer cette singulière localisation de production
industrielle par la présence sur leur territoire des gisements
de serpentine dont nous avons parlé et que leur sens très
pratique' de : minéralogistes leur avait fait découvrir et bientôt
exploiter api'ès avoir reconnu dans ce minéral aux riches
couleurs les qualités que n'offraient pas les autres pierres, la
tendreté de la matière alliée à une grande tenacité assurant
la facile exécution ainsi que la durée de leurs œuvres et des
dèssïns qui ies décoraien t. .-
- Ici nous nous trouvons en présènce d'un fait pareil à celui que
j'avais signalé à propos des clous d'or ornant les manches
des poignards de bronze des sépultures armoricaines à belles
(i) Détermination et renseig'nements dus à M. Kerforne, professeur de
géologie et minéralogie à la Faculté des Sciences de Rennes.
décoration he s'était, rencontré qu'en Armorique et en Angle
terre. Il semble en être de même pour les objets dont nbus
nOUS occupons. La Grande-:Bretagne a fourni un grand nom
bre de fusaïoles en pietre ':dorit quelques-unes, très rares il
est vrai; sont ornementées. J. Evaris en reproduit deux dans
son ouvrage des Ages de la pierre (2). La première, . en . ar-'
doise dure, montre, sur une des faces seulement, deux cercles
concentriques; la seconde a trois cercles concentriques englo-· .
bant une décoràtiol) végétale. Le Musée Britannique possède
une série de 30 fusaïoles en pierre de l'Aberdeenshire, Ecosse,
en form' e de disques plats ou bombés, dont sept présentent
de's ornementations · très simples. Sur l'une ayant 0.032 de
diamètre, 0.01~ d'épaisseur ayec trou central large de 0.013,
se voient deux cercles 'concentriquesfaits au pointillé (fig. 16)
(3) ; sur les six autres ce sont des traits rayonnants en nOm
bre variable (fig. 17., 18) ou des encoches (fig. 19). Les poids
de ,toutes ces fusaïoles varient 'entre . 4 et :34 grammes. Plu-.
sieurs de ces pierres seraient.des stéatites. ' ' '
Comme-ceux' de l'Armbrique les néolithiq.ues de la Grande-
Bretagne ont eu la pensée de décorer de signes gravés des ' ,
fusaïoles en pierre, avec le même caractère de rareté dans les
deux pays . . Elles semblent être l'œuvre très . personnelle . de
quelques ouvriers doués d'lin certaIn sentiment d'art décoratif,
dont les · tentatives sont .restées isolées. N'y verrait-on pas
cependantainsi que plus ' tard',à l'époque ~u bronze, l'indice
de relation~ fréquent~s, d'une sorte de parenté industrielle
et artistique entre les habitants des deux côtés'du détroit? .
Pour retrouver des . petits ' mo· numents . semblables il ' fa ut
(I)A:-Martin;· ,·Anthropologie Mars-Juin 1900, p. 174 .
. (2) J. Evans. Les Ages de la pierre, traduction E. Barbier, p. !~34 et 435.
(3) Je dois à l'obligeance de M. Reginald A: Smith, Conservateur
adjoint du British M:useum, les photographies de cesfusaïoles et tous
renseignements les con~ernant. . . . ,
aller jusque 'dans lA bassin Oriental de la Méditerrannée. Là,
parmi la multitude de fusaïoles en pierre recueillies dans les
fouilles d'Hissarlik, de Mycènes, de Tyrinthe, de Crète, de
Chypre et de l'acropole d'Athènes, presque toutes en pierre
tendre, le plus souvent en stéatite et pierre ollaire, celles qui
portaient des signes décoratifs gravés sont encore bien plus
rares que dans ' les deux Bretagnes. A Hissarlik, une seule
est signalée et décrite; elle est en stéalite et porte un décor
de cercles incisés ('1). Parmi les nombreuses fusaïoles en
pierre bleue et en sléa tite recueillies à Tyrinthe, une seule,
tronconique, montre " une riche ornementation gravée (2) où
se voient des croix dont les bras se terminent en petits cer
cles. L'ile de Chypre en a livré plusieurs (3) et il n'est pas
sans intérêt de remarquer que sur ces fusaïoles orientales se
retrouvent des signes, cercles concentriques, cercle 'à point
central, que nous avons vus sur les nôtres. Elles appar-
tiennent toutes aux Ages du cuivre et du bronze Egéens,
pendant une grande partie desquels, tout au moins, les
contrées occidentales en étaient encore à la période néoli-
thique. Est-ce à dire qu'il a 'pu y avoir, entre deux régions si
éloignées, des communications commerciales qui explique-
raient certaines analogies de formes et d'ornementations
entre les produits de la même· industrie d'art pratiquée par
des populations de civilisation différente bien que contem,.
poraines, que cette industrie eut pris naissance dans l'Ouest
ou dans l'Est'? L'hypothèse paraît douteuse, etsi l'on consi
dère surtout que sur le vaste espace qui les sépare on n'a
trouvé aucun objet de l'espèce, que ' les nombreuses stations
lacustres de la Suisse, de l'Italie et de rEurope Centrale,
qu'elles soient néolithiques ou du bronze, n'en possèdent
7 ' 7 F ' 7 "". ' '' '' ' 77 7 7 7 7 7& '.,P5'" ,,"
(i) H. Schiemann ..... !lias, p. 517.
(2) H. Schiemann .. Tyrinthe, p. 163 : pl. XXI fiS'. 9.
(3) R. Dussaud .... Les civilisations prélzelléniques, p. 177- fig. {2ft..
pas (1) l'on est plutôt amené à penser que ce sont là des
œuvres locales, nées spontanément et simultanément en
divers lieux. Les signes gravés déCoratifs très simples, de
ceux dits géométriques, sont de tous les peuples et de tous les
pays.
Rennes, 5 février 1912.
A. MARTIN .
(1) R. Munro. Les stations lacustres de l'Europe, traduction du Dr P.
Rodet.
III.
DEUX·I· E
, E . PARTIE
Table dés Mémo, ires publiés en 1912
L'Histoire de Cornouaille d'après un livre récent
par M. ANDRÉ OHEIX ......................... .
Les fusaïoles en pierres ornementées du dépar-
Pages
tement des Côtes-du-Nord, par M. A. MARTIN . . J 25
Eglises et. Chapelles du Finistère (suite) (Canton
de Morlaix), par M. le Chanoine PEYRON ..... . 38
Les Saints Bretons et les Animaux. Etude
hagiographique et iconographique, (suite, voir
T. XXXVIII) par M. le Chanoine ABGRALL ..... 51-267
V. Notice sur la Chapelle Saint-Jean Balanant, par
M. CHAUSSEPIED.. . . . .. ...................... 60
. VI. . Les Mystères bretons de la Bibliothèque de Les-
quiffiou, par M. LE GUENNEC . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
VII. Le dolmen de l'isthme de Kermorvan, en Plou
moguer et ses gravures, par M. le Capitaine de
VIII.
frégaLe A. DEVOIR ........................... .
Remarques sur certaines étymologies citées par
M. H. -P. HIRMENECH dans son ELude sur le
Men Letonniec, Monument Celtique de Locma riaquer (Morbihan) par M. le Dr PrCQUENARD ..
Le Tombeau de Saint-Ronan à Locronan, par
Conrad Echer, traduction de l'allemand par M .
105
120
l'abbé PHILIPPON. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
X. Le Trésor découvert à Runabat, en Tourch (Fi-
nistère) par M. de VILLIERS DU TERHAGE . . . . . . 155
XI. Vestiges gëUlo-romains de Lansaludou, en Gui-
lers-Plogastel, par M. Le Chanoine ABGRALL. . 161
XII. Rannou Trélever, (légende et histoire) par M.
Louis LE GUEN NEC.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
XIII.
Esquisse biogr~phique de M. Gabriel-Honoré de
Miollis, 1758-1830, Préfet du Fir1jstère\ sous ·le
premier Empire de 1805· à 1812, ' tiré du livre
de raison de M. Francis Saint-Pol-de":Léon de
Miollis, son fils, écrit en 1865., . . .. , , . , , . , ,.' 179
XIV. Les Anciens Seigneurs de la Coudraye, en Tré
méoc, par M. le Ct
le NEPVOU DE CARFOR'l' ... 201-240
XV. Témoins mégalithiques . des variations des
lignes des rivages armoricains, par M. le
Capitaine de frégate A. DEVOIR, .... , ,', , . . . . . . 220
XVI. La coiffe bretonne, par M. LE CARGUET . . . . . . . . 283
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