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Bulletin SAF 1911


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Les saints bretons et les animaux. Etude hagiologique et iconographique

Chanoine Abgrall

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1911 tome 38 - Pages 318 à 333

. LES
SAINTS BRETONS

LES ANIMAUX

Etude hagiologique et iconographique

Plusieurs statues de nos vieux Saints Bretons sont accom-
p . agnées d'animaux, comme emblèmes· ou caractéristiques ';

saint Corentin a son poisson; saint Pol de "Léon, son dragon;
saint Hervé, son loup, etc. Ces associations d'êtres inférieurs
sont basées sur quelque trait de la vie ou de la légende (le ces.
saints; passons-les en revue, citons les légendes et étudions
brièvement les différentes représe'ntations .

· Prenons d'abord les deux Patrons de notre diocèse : saint

Corentin de Quimper et saint Pol de Léon; et nous verrons
ensuite les autres, par ordre alphabétique .

Saint Corentin
On sait que saint Corentin, jeune encore, se retira dans un
ermitage au bord de la forêt de Névet, au territoire de Plo-

modiern et qu'il y vivait dans la pénitence. Voici comment
en parle Albert le Grand: « Pour sa nourriture et sustenta·
tion en cette solitude, Dieu faisoit un miracle admirable et
continuel: car, encore qu'il se contentast de quelques mor­
ceaux de gros pain, qu'il mendioit quelques · fois ès villages
prochains, et quelques herbes et racines sauvages, que la
terre produisoit d'elle-mesme, sans travail ny industrie hu-

- 319
maine, Dieu 'luy envoya un petit poisson en sa fontaine, lé
quel, fous les matins, se présentoit au Saint, qui le prenoit
et en coupoit une pièce pour sa pitance, et ' le rejetoit dan~
l'eau, et, tout à l'instant, il se trouvoit tout entier, sans
lésion ny blesseure, et ne manquoit tous les matins, à se pré­
senter à saint Corentin, qui faisoit toujours de mesme. »
L'ancienne hymne de la fête de saint Corentin relatait ce
prodige en ces termes : ' -

Carne dum piscis redit integrata
-ln cibum sese toties daturus,
/E'1ua lex strictœ quoties suadet
Pl'andia mensœ.

Mais cette strophe a été retranchée du Pange soLemnes,
dans la réédition de J8Q l, par un censeur qui se croyait bien
inspiré en supprimant la mention, d'un fait qu'il trouvait trop
mervellleux. " ,
, Ce miracle du poisson se' renbuvelle encore d'une façon

plus admirable lors d'une visite inopinée du roi Grallon au

saint ermite: -

« Un jour Grallon estant allé à la chasse, donna jusques
dans la forêt de Névet, en la paroisse de Plomodiern, proche

l'ermitage de saint Corentin; et ayant chàssé tout le jour,
sur le soir, il s'égara dans la forest, et enfin se trouva près
de l'ermitage du Saint, avec une partie de ses gens, ayant
tous bon appétit: ils descendirent et s'adressèrènt au saint
. ermite, luy demandèrent s'il ne pourroit pas les assister de

quelques vivres? « Oüy, répondit-il, attendez-moi un petit,
» et je vous en va ys quérir. » Il s'en alla à sa fontaine, où
son petit poisson se présenta à luy, du quel il - en coupa une
pièce de dessus le dos et la donna au maistre d'hostel du Roy,
luy disant qu'il l'apprestast pour son maistre et les seigneurs
de sa suite; le maistre d'hostel se prit a rire et se moqua du
saint, disant que cent fois autant ne suffiroit pour le train du

Roy. Néanmoins contraint pai' la nécessité, il prit ce morceau
de poisson, le quel (chose estrange!) se multiplia de telle

sorte, que le' Roy et toute sa suite en furent suffisamment
rassasiez. Le Roy, ayant veu ce grand miracle, voulut voir le
poisson du quel le saint avait coupé ce morceau et alla ft la
fontaine, où il le vid, sans aucune blesseure, dans l'eau. »
Ge trait est traduit tout entier de la chronique latine de
Saint-Brieuc; il est également relaté dans ' une séquence
ancienne que le Père Cahier cite d'après, un bréviaire in-16,
d'environ 1600.

o mirum miraculum!
De parte piscis tertia
llex cum tota 1 ami Lia

Satiatur,
Et piscis natans integer

Demonstratur ;
llex Chorentini meritum
Admiratur. '

Une autre séquence, dans un missel édité à Quimper chez
Jean Périer, vers 170' 1, le mentionne ainsi:

Cesus pisc.is integratur,
Rex de pisce sotiat'ur,
Et pisci-s non morittlr.

Une troisième séquence, imprimée dans le texte même de
la messe, et qu'on ne devait chanter qu'à la Cathédrale, men-

tionne les deux prodiges:

Cui se piscis amputatus,
Parte tamen integratus,
Sponte cibum prœbuit .
Rex cum turba epulatur
Et su/fecisse miratur
Piscem muLtitudini.

- 321-

Je n'ai pas à faire l'examen critique de ce prod· ige ainsi
rapporté, non plus que des autres que je citerai dans la suite:
je me contente d'indiquer les faits tels qu'ils sont narrés par
les historiens, légendaires et chroniqueurs, et à voir Jeur
application dans l'iconographie, pour former les caractéris-

tiques des différents saints et les désigner ainsi plus claire-
ment aux yeux du peuple. .
Pour ce qui est du Poisson de saint Corentin, je sais que
quelques prédicateurs, faisant le panégyrique de ce saint et

voulant tout simplifier et tout expliquer, y ont vu le poisson

symbolique, l'Ichthus 'des catacombes, signifiant l'aliment
eucharistique et désignant par ses différentes lettres les attri-

buts du Verbe incarné :'Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur.
Mais ce symbolisme, en honneur dans les catacombes, n'a
guère franchi les frontières qe l'Italie, et si on le trouve dans
les monuments de la Provence et à Autun, dans une inscrip­
tion célèbre, nous avons'de la peine à admettre qu'il ait pé­
nétré dans notre petite Bretagne et qu'il ait été compris par
nos populations armoricaines.
Je n'ignore pas qu'une revue toute récente, " Le Cursus
Studiorum " organe du Hiéron de Paray, r~vue plus illu­
minée que claire, prétend que le Ichthus sacré était figuré et
sculpté sur nos monuments mégalithiques, dolmens, trilithes,
menhirs, dans les âges les plus anciens, mais je me permets
de rejeter absolument cette assertion jusqu'à preuve plus
certaine.
En tout cas, nos Bretons ont toujours vu dans le poisson
de saint Corentin, le poisson commun à notre pays, la bonne
truite de nos rivières, et c'est lui que l'on trouve représen té
au pied de ses statues.
Saint Corentin n'a, dans sa Cathédrale de Quimper, aucune
statue ancienne; toutes les vieilles images qui existaient ont
été br ûlées en 1793. On y trouve cependant dans le vestibule

de la sacristie, au pied de l'escalier, une petite statue en bois,
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. . TOME XXXVIII (Mémoires 21) .

- 322

du XVIIIe siècle, que l'on expose chaque samedi, jour de maf-

ché, au bas de la nef, et qui y est vénérée ces jours et surtout
les jours de grandes foires par les campagnards qui viennent
des parqisses voisines, et même d'un rayon assez éloigné. Le
saint y est représenté en chape, mitre et crosse, avec son
petit poisson à ses pieds. Au chœur de Locronan il a une
gran" de et belle statue, de très bon style, avec les mêmes attri-
buts. .
A Ploéven, il porte son poisson sur son livre. Presque
toujours cet attribut accompagne son imag. e. Même à Cast et
à Châteaulin on voit, aux pieds du saint, une fontaine et le
poisson traditionnel. Nous trouvons de lui de nombreu­
ses statues: à Bannalec (chapelle de la Véronique et Eglise
Blanche), Briec, (chapelle de Sainte-Cécile), Dirinon,
- Kerfeunteun, (chapelle de la Mère-de-Dieu), . Château-

lin, (chapelle. de Notre-Dame de Kerluan), Landeleau,
- Landrévarzec, (chapelle de Notre-Dame de Quilinen),
Lanmeur, Meilars, (chapelle de Notre-Dame de Confors),

Melgven, Plomeur, Plonévez-du-Faou, (chapelle de
Saint-Herbot), Pencran, Pleyben, Plouégat-G1)er-

rant, Plouguer, . Pont-l'Abbé, Saint-Divy-Ia-Forêt,
- Poullan, autrefois une peinture murale, etc .

Saint Pol de Léon

D'après sa vie écrite, ou plutôt transcrite par Wrmonoc,
moine de Landévennec, vers la fin du IX

siècle, saint Pol eut

en de multiples circonstances, à faire à des animaux de

diverses sortes.
Etant encore enfant à l'école de Saint-Hiltud, il laissa par
une sorte de négligence, ou plutôt vaincu · par le sommeil,
une troupe d'oiseaux de mer rapaces, dévaster un champ de

l;>lé qui avait été confié à sa garde. Tout affligé de ce malheur,

- 323-

il arriva, par ses prières et celles de ses compagnons, à
domestiquer en quelque sorte ces oiseaux sauvages et à les
emmener comnie un troupeau docile au monastère, où il les
enferma dans une bergerie, jusqu'à ce que son maître saint
Hiltud leur eût rendu la liberté et les eût renvoyés complè-

tement assagis.
Le second épisode se passe après qu'il a débarqué en Ar­
morique. Son disciple et ileveù Jaoua Vivehinus ou Jahoe­
vi us, voulant se bâtir une hutte pour ermitage, à l'endroit où
est maintenant l'église de Lampaul-Ploudalmézeau, vit par
trois fois un buffle, bubalus, ou taureau sauvage démolir sa
pauvre cabane. Il eut recours à son maître saint Pol, et

celui-ci lui proposa de faire un échange, cédant à Jaoua son
ermitage de Lamber, et prenant pour lui-même la hutte en
question. L'échange fut conclu, et sur les entrefaites survint
le buffle qui, à la 'vue de saint Pol, s'agenouilla par trois fois
en baissant la tête comme pour demander pardon. Le saint
en ' effet lui pardonna et lui dit de s'en aller en paix. Le buffle
se retira tout calmé et désormais inoffensif.

Lorsque le saint fut arrivé au vieil oppidum ou casteLlum
romain abandonné, où il établit ensuite sa ville épiscopale,

et qui prit son nom de Castel-Pol, il y trouva, comme ha-
bitants, une laiè qui nourrissait ses marcassins, qu'il rendit
douce et docile et qui lui fournit, au bout de quelques années,

un abondant troupeau de porcs. Ensuite ce fut, dans le creux
d'un arbre, un bel essaim d'abeilles sauvages, qui lui donna
de quoi peupler une bonne quantité de ruches. Puis ce fut le
tour d'un ours, qui ravageait le voisinage, et qui s'enfuit
plein de terreur il sa vue, pour aller se jeter dans une fosse
profonde ou une chausse-trappe dans laquelle il périt.
Il y eut encore un buffle, comme celui de Lampaul-Ploudal-

mézeau. Etait-ce le même, était-ce un autre'? En tout cas, il

reçut ordre de vider la place, ce qu'il fit docilement.
Mais la bête la plus importante, celle qui est restée dans

- 324-

la mémoire et l'imagination du peuple à travers les siècles,"
c'est le dragon de l'lle-de-Batz. Wrmonoc lui donne des"
dimensions colossales et en fait une description terrible:
cent-vingt pieds de longueur, des écaille" s pointues qui se
redressent et sur lesquelles glissent les armes o Ies mieux

trempées; les extrémités des côtes saillantes. hérissées et"
aigùës comme dès griffes: une gueule armée de dents acérées,

sans compter le souffle empesté de son haleine. ' ".
Saint Poli ui passa son étole autour du cou' et le mena en
laisse depuis la pointe Est de l'île jusqu'à ' l'extrémité Nord­
Ouest, où il lui ordonna de se précipiter dans la mer, " à l'en-'
droit qui a gardé depuis le nom de Puns-al'-Serpent ou Toull.,
ar-Serpant, le puits du serpent. .
Notre légendaire du IX!! siècle ne parle pas du gentilhomme
de Cléder, le chevalier Nuz qu'Albert lé Grand met en scène,:
qui voulut assister le saint dans ce combat et auquel celui':ci
confia le monstre à conduire jusqu'au rocher d'où il se jeta à
la mer, lui donnant ensuite le nom de Ker-gour-na':dec' h, .
celui qui ne fuit pas. '
Dans: le, trésor de l'église de l'Ile-de-Batz est conservée
comme rélique, une longue bande d'étoffe très ancienne et très ~
curieuse, qu'on dit avoir été l'étole de saint Pol. C'est un ·
tissu byzantin ou oriental, où sont répétés, comme motif d'or- .
nementation, deux cavaliers affrontés, tenant un faucon sur
le poing, avec deux chiens entre les jambes de leurs chevaux.
Une étoffe à peu près analogue est conservée au musée de
Cluny et y est classée comme appartenant à l'époque Méro-

vlllglenne. .. ""
Dans tout le pays de Léon, le dragon de saint Pol est connu
et on en parle de temps immémorial. Dans la paroisse: de
Lampaul-Guimiliau, dont il est le patron et où il est spécia­
lement vénéré, lorsque, dans le' calme qui suit les tempêtes '

on entend le bruit lointain de la mer, du côté de l'Ile-de-Batz, "

- = 320-
du Serpent: ' l'oulL- a,l'-Serpant 0 yudal. C'est sans doute le
même courant d'idées qui aura fait donner le nom de Carrek­ a~·-se.rpent à une roche de l'anse de Tréompan, en face de
Lampaul-Ploudalmézeau.

, Faisons dès maintenant une observation qui a son impor-
tance.Ils sont assez nombreux les Saints Bretons dans la

légende desquels interviennent des serpents ' ou dragons' .
Sont-ce des monstres réels et authentiques? ou faut-,il voir là
simplement un symbole du paganisme qu'ils ont combattu et

terrassé? Cette dernière conclusion est difficile à admettre.
Ce symbolisme eût été peu compris du peuple et n'aurait pas
laissé dans sa memoire et son esprit cette impression pro-

fonde dont la tt'adition s'est perpétuée à travers de longs
siècles. Y a-t-il eu réellement autrefois des monstres malfai­
sants, répandant la terreur dans le pays? Nous savons que
dans tous les temp$ et dans toutes les contrées on trouve
mention de ces êtres . terribles, minotaures, hydres à têtes
multiples, serpents de mer, dragons, tarasques, etc., ha- '
bitant des cavernes, 'des repaires presques inaccessibles; et
le fameux labyrinthe de Crète ne serait-il pas autre chose
qu'une grotte profonde, aux nombreuses galeries tortueuses
et inextricables où l'on s'égare infailliblement? S'il s'agit
chez nous d'un symbolisme, à quelle époque et par qui ce
symbolisme a-t-il été établi et diffusé dans tout le pays;
comment les faits ont-ils été précisés, localisés, de manière' à
indiquer, à situer exactement le lieu où ces monstres ont
exercé leurs ravages, l'itinéraire que les saints leur ont fait
, süivre, les monuments qui commémorent ces voyages et sont
un souvenir de leur passage, comme nous le verrons pour
le second dragon de saint Pol-de .. Léon '?
Le dragon de l'Ile-de-Batz n'est pas en effet le seul qu'il ail '
eu à dompter. Wrmonoc ne fait pas mention de ce deuxième
monstre, non plus qu'Alb~rt le Grand dans la vie de saint
Pol; mais.il en parle longuement dans la vie de saint Jaoua.

- 326 .

Lorsque le neveu du bon prince Arastagn, le seigneur du
Faou, païen obstiné et sanguinaire eut massacré les abbés
Tadecq et Judulus, amis de saint Jaoua, Dieu, pour le punir
de ce meurtre et châtier ses sujets païens, envoya un monstre
marin pour ravager le pays. Terrifiés par ses ravages, les

habitants envoyèrent une députation à saint Pol, pour qu'il
vint les délivrer de ce fléau. Le saint accéd.aà leur prière et
se rendit au Faou, où il commanda au dragon. de venir le
trouver; il lui passa son étole au cou et le lia à son bourdon
qu'il avait fait ficher en terre.
Puis, après plusieurs jours passés à convertir, à instruire
et à baptiser le seigneur du Faou et ses sujets, il prit, avec
le dragon, le chemin de Saint-Pol et de l'Ile-de-Batz. La route

qu'il suivit est la voie romaine qui reliait la ville du Faou à

l'oppidum de Castel-Paol, voie que l'on peut reconnaître
encore sur tout son parcours; elle correspond assez bien à la

route actuelle qui ne s'en écarte en certains points que par

. suite de rectifications modernes. Elle passe par les bourgs de
Hanvec, Sizun, Locmélar, Lampaul-Guimiliau et Plouénan.
après avoir traversé la partie 'Ouest du territoire de Guiclan.
Différents établissements ou vestiges romains la jalonnent,
de près ou de loin: camps et tuiles à Ros-ar-Glouet et à Rou­
douguen en Hanvec; tuiles au bourg de Saint-Eloy et dans
les cbamps qui l'avoisinent; tuiles et substructions au Fal­
zou en Sizun, et magnifique camp retranché à Castel-doun ;
retranchements dans un taillis à Coat-Iocmélar; près du
bourg de Locmélar ; tuiles au bourg de Lampaul-Guimiliau et
près de la croix de Traon-ar-vilin ; tuiles . et substruction à
Keryan ou Guerjean en Guiclan. De là, ]e chemin s'en va tout

droit à Saint-Pol en suivant les hauts plateaux, sur le terrain
de Guiclan et de Plouénan ; il était encore très fréquenté dans
la première moité du XIXe siècle et connu sous le nom de
Bali-Castel; et maintenant il est encore remis en très bon

. état de viabilité entre Plouvorn, Plouénan et Saint-pol. Le

327

long de cette voie, des monuments encore existants et les
traditions conservées dans le peuple semblent donner toute
probabilité à la légende. .

Près du pont du Faou, il y a encore un point de la rivière
désigné sous le nom de Toul-a.T-Serpant, trou du serpent. A
400 mètres à l'Est du bourg de Lampaul-Guimiliau, le chemi n
en question croise la grande voie romaine allant de Carhaix

à Plouguerneau et probablement à Varganium ; or c'est là
que se passa l'épisode rapporté par Albert le Grand dans la
vie de saint Jaoua, et qui est resté vivant dans les traditions

populaires. .
« Saint Paul, ayant mis ordre à toutes les affaires du Faou,
)) s'en retourna en Léon, traisnant après soy le dragon, et
)) estant arrivé en un petit bois qui est entre les paroisses de
. » Land-paoL et Guic-miliau, deux hommes le vinrent trouver
» de la part des habitants du Faou et l'avertir que ce n'étoit
» rien fait s'il n'exterminoit aussi un petit faon que le serpent
» avoit laissé en sa tanière, lequel estant déjà grandelet, me­
» naçoit le païs circonvoisin de pareilles misères. Lors saint
» Paul délia le dragon et luy commanda, de la part de Dieu,
» qu'il allast quérir son faon et le luy amener en ce lieu, luy

» défendant très estroistement de faire mal à personne; le

») Serpent obéït, et ce lieu, en mémoire de cecy, se nomme
» encore aujourd'huy Coat-aT-Serpant. ))
Cette assertion est vraie, et le petit bois qui.se trouve entre
Croas-PoL et le vallon garde toujours ce nom; un autre coat­
ar-sarpant se trouve sur le bord du même chemin, près de la
chapelle de Saint-Jacques de Lézérazien. La croix plantée
au croisement des deux routes, et dénommée Croas-Pol, est
du XVIe siècle, mais elle a pu en remplacer une autre bien
plus ancienne et plus simple.
Deux fontaines, portant le nom de Peunteun-Bol, se trou­
vent aussi le long de cette voie, l'une à Lampaul, près de la

croix de TTaOn-al'-vilin, l'autre en Guiclan, à deux kilomètres

-- 328 -
au Nord de Kersaint-Gilly. Celle de Lampaul est presque
monumentale et renferme dans une niche la statue du saint
que les matrones .du village viennent parer et habiller la
la veille de sa fête, 12 mars. Cette fontaine est en vénération

et est l'ob;et d'un pèlerinage local. Tous ces monuments ·et

souvenirs sont comme des témoins du passage du grand Evêque

thaumaturge.

Les statues de saint Pol ne sont pas très nombreuses, mais

toutes le représentent avec le dragon à ses pieds, tenu e.n

laisse au moyen de son étole passée au cou. : La plus ancienne

est celle qui se trouve adossée au trumeau du porcheocci-

dental de la Cathédrale de Saint-Pol-de-. Léon. Est-elle du
xrn

siècle, comme le porche, ou date-t-elle seulement du

XIVe OU du XV

siècle? Dans la même église, le ' CIborium · qui

abrite le grand reliquaire monumental a pour ' couronnement

une statue de saint Pol, menant le terrible dragon.

A Lampaul-Guimiliau, à la façade du porche, datant de

1533, nous trouvons une belle statue du saint Patron. Autre
statue en bois, contre le pilier à l'entrée du chœur, côté de
l'épître; puis très noble l~eprésentation en riche broderie, sur

une bannière du XVIIe siècle; statue de la fontaine déjà men-

tionnée. "

A Guimiliau, une petite statue en pierre surmonte l'autel

logé sous l'arcade du côté Ouest du calvaire; 1581.

A Lampaul-Ploudalmézeau, le saint a son église, sa statue
et sa fontaine. Statue à l'église de Plouéd~rn, püis à Saint­
Thégonnec, au-dessus de la porte de la grande chapelle-os-

suaire, 1677 ; également au fronton qe l'ossuaire de La Ma· r-

tyre, 1619 ; etdans l'église de Pencran, au-dessus de la porte
de la sacristie. Bas~relief au jubé de La Roche-Maurice .

La bannière paroissiale moderne de la Cathédrale de Saint-

Pol porte l'effigie du Saint Patron, avec ses caractères tradi-

tionnels, de même que la bannière diocésaine de Quimpèr, où

il figure à côté de saint ·Corentin. · ' . , '.

Saint Armel

Dans la vie de ce Saint, Albert le Grand dit que, pendal).t
son séjour au territoire que le roi Judual lui avait accord.é
comme domaine, distant de Rennes de trois lieues, et qui
s'appelle encore maintenant de son nom: Saint-Annel des

Boschaux, il opéra un grand nombre de merveilles. Notons ce
fait en particulier: .
« Il y avait en ces quartiers un horrible dragon, qui avait
sa caverne en une petite montagne, près la rivière de Seiche,

lequel faisait un grand ravage par le Pays circonvoisin ; sain t
Armel, regrettant le dommage qu'en recevaien t les Paysans,
pria Dieu de les vouloir délivrer de cette calamité, et le lende­
main, ayant célébré la Messe, il déposa son Cha' suble, puis se
fit 'conduire à la caverne du monstre, auquel il commanda de
la part de Dieu, de sortir, ce qu'il fit; alors il lui lia son , Estole
au col et le traîna à travers ladite montagne, jusque sur le
bord de ladite rivière, lui commandant ' de ' s'y précipitet, ce
qu'il exécuta; et, pour mémoire de ce miracle la ,route ou
sentier par lequel le Saint traîna le monstre à trtlvers la
montagne, (qui fut nommée le Mont Saint-Armél) parut sec
et aride, sans qu'il y crût aucune herbe. » .

Dom Lobineau parle de ce miracle comme d'une simple
, fiction, ce qui n'empêche que, dans gline des ' planches qui
illustrent son volume, et qui est intercalée :entreles pages 244
et 245; on voit saint Armel représenté posant le pied SUl~ ,la

tête d'un énorme dragon qu'il tient lié par sûü , étole . . ;
Je ne sais de qùelle manière était figuré le Saint dans notre
église de Plouarzel dont il est le patron, car cette église a été.
ëonsumée, par un incendie avec toutes ses statues en août
1898; mais les statues du Saint, à' Languédias et à l'église
paroissiale de Pontivy, le montrent tenant le dragon au moyen
de son étole. ' ,' ,

La ville de , Ploërmel, qui vénère saint Armel comme son:

-' 330 -

fondateur, en a fait le patron de son église. Parmi les huit

verrières anciennes qui ornent ce monument, l'une retrace en
huit panneaux la légende du Saint. Voici quels sont les sujets
du 6

et du 7

tableaux .
Comment saint Armel entoure de son étole la Guivre qu'il a

prise dans la forêt .
Comment saint Armel jetta La Guiv1'e en Seîche .

Saint Bieuzy
Albert Le Grand ne parle pas de ce Saint ; mais dans la
vie de saint Gildas par l'Abbé Luco nous apprenons que
cet illustre Saint eut Bieuzy pour compagon et pour disciple
dans son ermitage au bord du Blavet, en la paroisse actuelle de

Bieuzy leseaux, au pied du promontoire de Castennec entre Baud
elPonHvy. En quittant sa solitude du Blavet pour se retirer
à Rhuys, Gildas laissa son disciple en tête du monastère de
la Couarde qu'il avait établi sur le plateau dominant son
ermitage ..

Ce vénérable religieux pour guérir de la rage les hommes et
les bêtes, avait reçu de Dieu un don tout spécial qui fut l'occasion
de sa mort. Pendant qu'il célébrait la messe un jour de fête.,

le seigneur du Garo l'avait fait chercher par son écuyer pour

guérir sa meute q. ui était enragée. Le Saint lui dit d'attendre
qu'il eût fini le divin office. Irrité de ce délai, cet homme
. brutal et emporté rassemble ses hommes d'armes et, à leur

tête se transporte à l'église, trouve le Saint à l'autel, et lui
décharge sur la tête un si rude coup de coutp.las, qu'il ne pût
retirer son arme. Le Saint prêtre acheva tranquillement la
messe, adressa une touchi;lnte exhortation à son peuple et
suivi de la foule qu'il avait avertie de son départ, prit le
chemin de l'Abbaye de Rhuys, toujours l'épée dans la plaie,

pour recevoir de son supérieur, avant de mourir, une derniè-.
re bénédiction et être enterré au milieu de ses frères.

- 33t
Quant au Seigneur du Garo, rentré chez lui après son crime
H trouva ses chevaux et tous ses autres animaux enragés
comme ses chiens, et fut par eux dévoré misérablement.
Dans l'oratoire de l'ermitage du B1avet- , refait ou agrandi en
1838, on voit encore deux autels celui de saint Gildas et
celui de saint Bienzy. Sur ce dernier se trouve la . statue du
Saint, revêtu des ornements sacerdotaux pour le saint sacri­
fice, et un coutelas enfoncé dans le crâne. Pareille représen- .
tation existe dans un vitrail moderne de l'église paroissiale.

Saint Brendan ou Brévalaire

Dans la vie de saint Malo qui fut le disciple de saint Brendan,
Albert le Grand raconte que ce dernier pour se soustraire
aux méchants procédés de quelques- uns de ses moines, « résolut
de les quitter et s'exposer plutoit à la mercy des ondes de la
mer qu'à la malicede ses propresfrAres. Il s'embarqua avec saint
Malo et 78 autres personnes, en dessein de trouver les ·Isles
fortunées, fort renommées des anciens (ce sont les Canaries à
la côte d'Elhiopie), polir y prescher la Foy ' aux Barbares et
les réduire à la connaissance de Jesus-Christ. Ils furent sept

jours voguans en pleine mer, à bon vent, sans voir aucune

terre; enfin, le septième jour, ils ancrerent à la rade d'une
isle, où ils mirent pied à terre et y séjournerent quelque peu
et se préparerent pour suivre leur route; mais un Ange leur
apparut et leur fit commandement de s'en retourner en leur
pays; à quoy ils obéïrent et leverent les ancres, dresserent les
. voiles et tournerent leur prouë vers le septentrion; et, conti­
nüans leur course, ils se trouverent le propre jour de Pasques,
en mer, et eussen t bien désiré aborder quelque Isle ou coste,
pour c~lébrer les saints Mystères et ne demeurer sans Messe
un tel jour. Dieu leur octroya leur désir : car ayant trouvé
une forme d'isle (ce leur sembloit), ils y descendirent dresse­
rent un Autel, et y fut célébrée la sainte Messe; mais sur le
point du Pater noste1', toute cette isle 'vint à ,se mouvoir de

-, 332-

telle impétuosité: , qu'un èhacun cherchait à se ' sauver dans le
vaisseau . le plutot qu'il pourroit, saint Malo voyant ce
désor.dre, les rappella, les asseurant qu'il n'y avait aucun
danger; et,:de fait, l'isle ne .trembla plus, nyne se remua,
jusqu'à ce que, la .Messe étanUinie, et tous estans montez dans
le vaisseau, ils ,reconneurent .que ce n'estoit pas une isle,
mais : un . poisson et beste marine, qu'on nomme. baleine,

laqueUecommença à saUter et gambader par-la mer; ce que
voyant. toute la compagnie, ils remercierent Dieu de' ce qu'il
les avait délivres de ce danger et faits dignes de participer ce
jour, aux Sacro-Saints Mystères de la Messe. )1
. Tout ne doit pas être fabuleux dans ce voyage de saint Malo
et de saint Brendan. Il serait intéressant de voir. 'une étude
bien sérieuse et bien documentée sur l'état de la marine et de
la navigation à cette époque. Un séjour de plusieurs semaines
sui- l'Océan, un équipage de 80 hommes, indiquent un navire
de belles dimensions et une bonne expérience des voyages sur
mer. ·, .

Saint Brieuc et les loups

, Extrait: de la " . Vie de saint Brieuc" par Al. le chanoir.te de

la Villerabel, vicaire général. . .
.- Un soir saint Brieuc tevenait au monastère avec quelques-.
un de ses frères. Comme ses jambes d'octogénaire ne lui
permettaient plus de marcher à pied, il s'était assis dans un
lourd · et grossier chariot traîné par des bœufs. Il s'avançait au
chant des psaumes,et les voix plus jeunes de ses moines
alternaient av.ec la sienne, pour louer le Seigneur. Les derniers
rayons du soleil s'éteignaient derrière les futaies. ,
Tout à coup les chants tombent, l~ verset reste sans répons,
la petite.troupe se disperse et fuit avec épouvante.
Autour du vieillard s'est for'mé un cercle de gueules ouvertes
et hurlantes, d'yeux brillants. Ce sont des loups prêts à · se
nier sur,;J',attelage. Brieuc ne s'émeut pas; il s'avance impàs-

- '333 -

sible, la main levée en signe de commandement. Les loups
s'arrêtent, s'agenouillent humblement comme pour implorer
leur pardon. · , . .
Les ~oines, revenus de leur panique, essayent de rejoindre
leur maître. Lecercle de gueules menaçantes se reforme contre
eux. Toute la nuit se p , asse ainsi.
Le matin, un breton qui venait de débarquer à l'estuaire du
Gouët, Conan, arrive avec une bande de guerriers émigrés. Il
débouche tout à coup daus la clairi.ère, où se passait cette
scène émouvante .

« - oyez-vous ..... oye~-vous ..... CrIe onan a ses
hommes avec stupeur. « Nous voyons, répondent ses compa­
gnons non moins stupéfans. « Et Conan, qui a'recolmu d'ans
le vieillard un moine, un prêtre chretien, peut-être son com- .
patriote, Conan saute à bas de son char et lu'i crie: « 'Père!
Père! Nous ne voulons d "autre Dieu que 'fe tien. If faut que

tu nous baptises tous !» (A. de la Borderie).

Dans la chapelle de Notre-Dame de la Fontaine, richement
et pieusement restaurée par Mgr Faliièl~es, en " l'honneur 'de:
saint Brieuc, une statue récente commémore ce' fan Ïnerveil-

leuX' : le saint est debout ayant à ses pieds deux loups qu'il a
domptés et adoucis par la puissance de sa sainteté.

Sainte Clervie et Saint Guennolé . , ., ,
Une des sœurs de saint Guennolé chassant, un jour des Oyes '
sauvages par la Cour du Chasteau de Les-Guen une de ces Oyes
lui tira un œil de la teste et l'avalla. Cet accident attrista fort
ses Père et Mère. Saint Guennolé estant en Oraison dans son

Monastère, fut averti par un Ange, de ce qui se passait chez son
père; il s'yen alla en diligence, et, l'ayant' consolé, H : empoi­
gne l'Oye, lui , fend le ventre, en tire l'œil et le' remet en sa '
place, et, faisant le signe dela Croix dessus, le rèndit aussi
clair, et beau que jamais. (Albert Le"iirand.) . ,
, " (' A. suivre).

Pages
XVII

l{XIX
XLI
XLIV
XLV

. LVII

III.

VII.
VIII .

353

DEUXIE E PARTIE

table des M émoi tes publiés en 1 [) 11

Les grands ensembles mégaiilhiques de .lapres­
· . qu'île de Crozon et leul' drstination originelle,

Pages

par M. le capiLaine de frégate DEVOIR ........ - '.

Un sénéchal de Chàteauneuf-du-Faou, Guillaume

Pic de la Mirandole (1694-1778), par M. RAYMOND

DET..JAI:JORTE . .......... . ........... '.' ........ , . ' . ~ .39

Convoca tion du ban et de l'arrière-ban de l'Evêché

de Léon et de la châtellenie de Modélix-Lan meur

(1534-1708), par lVI. LE GUENNEC ............ " .

Le . tumulus à dolmen de Kermaric, en Langui-

dic (Morbihan). Les dolmens à cham bre
circula'ire ef les dolmens il enceintesmur'ales

de-l'Armorique. L'uniLé de mesure de lon- .. .
gueur dans les conslrucLions mégalithiques , .'

. de la période rréoliLhique, par M. A. MARTIN. . 8E
Etudes sur le Cap-Sizun. IV. Le fief des Regai-
res de Cornouaille au Cap-Sizun. Appen­
dice : Hivernage des bateaux à Audierne en
1573, et Rôle des Fouages cl' Audierne en 1616,
par M. DANIEL BERNARD .................. ' .. .
M. Paul du Chatellier, notice biographique, par
M. le chanoine J.-M. ·ABGRALL ............... .

Sépulture gallo-romaine découverte à Pont-de-
Buis, par M. le chanoine J.-M. ABGI:tALL. " ....
Episodes et anecdotes (5° série), par M. l'abbé

18i

NTOTNE ~AV ............................

IX. Cachette d~ cen t vingt-six haches de bronze dé-

couvertes à Méné-Justis, en Tourc'h, par M. le
comte DE ' lLLlEl1S DU TERRAGE.. . . . . . . . . . . . . . 22~
Eglises et chapelles du Finistère (suite, voir
lomes XXX à XXXII, XXXIV; XXXVI et XXXVII) ;
doyenné de Morlaix, par M. le chanoine
PE" YRON ... ï . . . ' . 0 0 0 - 23(

- 354

Pag
. XI. Découverte d'une cachette de fondeur en Plo-

névez-du-Faou, par M. A. JARNO... ... . .. . .. .. . . . .. 2
XII. Liste des juridictions exercées au XVIIe et XVIII'
siècles dans le ressort du Présidial de Quimper
(suite, voir t. XXXVII); sénéchaussées de Châ-
. teaulin, Châteauneuf et Concarneau, par M. H.
BOURDE DE LA ROG ERIE ........ : ............. .

XIII. Documents pour servir à l'hist.oire des guerres
de la Ligue en Basse-Cornouaille: ExploiLs du
baron de Camors .. (1596), par M. DANIEL BER- ..
NARD.~ . .... ............................. 2
XIV. Essai d'interprétation d'une gravure mégalithi­
que. Le grand support orné de la ({ Table
des Marchands », par M. le capitaine de fré-
gate A. DEVOIR .................. ; ........... .

XV: Les saints brelons et les animaux. Etude hagio-
logique et iconographIque par M. le chanoine
ABGRALL "0 ' ...... o' " .............. " ........ .
X VI. Les coffrels de pierre et tes squelettes de Feun­
teunigou en Plouhinec, par M. H. LE CAR GUET.

FIN

'mprimerie COTONNEC, LEPRINCE, Suce. ' - - Quimper