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Bulletin SAF 1911


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Essai d’interprétation d’une gravure mégalithique. - Le grand support orné de la Table des Marchands

Capitaine de frégate A. Devoir

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1911 tome 38 - Pages 292 à 317

D'UNE GRAVURE MEGALITHI UE

DE LA

" TABLE ,DES MARCHANDS "

AVANT-PROPOS

· Les gravures qui ornent certains mégalithes, menhirs ou

éléments de dolmens, ont depuis longtemps attiré J'attention

des archéologues: quelques-unes d'entr~ elles avaient déjà

fait l'objet de multiples publications, alors que l'art , paléoli-
thique était encore ignoré ou connu seulement par des
sculptures ou gravures sur matériaux de médiocres dimen-

SlOns.
Les parois 'de nombreuses grottes nous ont révélé, depuis
quelques années, des documents très précieux : des dessins .
au trait, parfois coloriés ët d'un admirable réalisme, couvrent

des surfaces étendues: les sujets représentés par les artistes
magdaléniens y sont parfaitement 'reconnaissables, en dépit
de la longue période qui nous sépare de l'exécution des tracés.
Des plantes, des poissons et surtout des mammifères sont

figurés d'une façon qui ne laisse aucun doute sur les espèces.
Quelques signes restent toutefois inexpliqués; mais qu'ils
représentent des marques de proprié~é, des engins de domes-

Lt, ·293 _ z

.ti~ation ou tout autre chose, le bœuf ancien,. l'équidé ou I~

mammouth qui les porte est nette" ment caractérisé : nou~

intérprétons aisément le ·sens de nombreuses gravures pal~o-

lithiques, figuratioqs ~ëfinies de . végétaux ou d'animaux.
Nous sommes beaucoup moins avancés en ce qui cOÇlcernp:
les signes gravés sur les monuments mégalithiques : à

l'époque où. ces traces furent exécutés, l'art sinatur, el . de~

magdaléniens avait disparu sans laisser de traces: les tables
et supports de dolmens, les menhirs, ne nous montrent que

des dessins grossiers et des signes pour la plupart indéchiffrés

ou d'interprétation douteuse : des haches polies, quelques
pointes de lances (1), sont, parmi ces figurations, les seules
qui ne se prêtent pas à controverses. '. . .

Cupules, crosses, signes jugiformes, pectiniformes ou
autres, nous sont encore mystérieux. . . .
JI convient de remarquer, en outre, que le simple examen
des gravures mégalithiques suffit à pi'ovoquer, d"un observa­
teur à un autre, de notables divergences d'opinions: une
légère différence d'éclairage est, en effet, susceptible de faire
apparaître ou disparaître . tel ou tel trait faiblement indiqué

par le graveur préhistorique ou atténué par les intempéries;
la photographie exagère ou estompe certains détails, les
moulages et contre-moulages peuvent ne pas être parfaits.
Ce sont là causes multiples d'erreurs d'observation, aux-

quelles s'en superposent parfois d'autres, dépendant de la

nature des matériaux sur lesquels s'exerçait l'adresse de
l'exécutant.
Les blocs destinés à l'ornementation n'ont é . té, en effet, dans
bien des cas, que grossièrement parés, les accidents , de leur
surface peuvent présenter des creux ou des saillies de relief
comparable ou supérieur à celui des signes intentionnellement

(1) Parmi ces dernières, les plus remarquables sont peut-être celles de

l'allée couverte du Mougau-bihan, en Commana (Finistère); elles repré-
sentent inc~ntestablement des objets en bronze. , -

294 "

tracés, masquer ces derniers et rendre par là même une vue
d'ensemble insaisissable.
Admettons même que nous soyions en possession de l'image
fidèle d'une dalle gravée: l'interprétation reste hasardeuse,
de ce fait que, pour la plupart, les signes ne figurent pas des
êtres ou objets directement reconnaissables; leur explication
variera d'une personne à une autre, quelque soit la compé­
tence de chacune; chosfl plus graye encore, il sera souvent ·
. impossible, au moins dans l'état actuel de nos connaissances,
d'appuyer d'une preuve définitive l'hypothèse énoncée .
Si d'un signe isolé lJOUS passons à un groupe de signes
ornant une même pierre, l'énigme se complique: les graveurs
antiques ont-ils figuré sur la surface parée des sujets en
relation les uns arec les autres, ou bien, obéissant à des idées
qui variaient sans cesse, ont-ils simplement juxtaposé des
images indépendantes ? Les di vers supports d'un même
dolmen orné constituent-ils un ensemble glyptique, ou sont-ils
. comme des ouvrages divers réunis dans une même biblio-
thèque? .
Ce sont là problèmes dont la solution semble encore bien
lointaine.
On peut se demander, de plus, si les gravures mégalithiques
sont contemporaines de l'édification ou de l'érection du

monument qui les porte: pour certaines allées couvertes,
pour certains dolmens, les positions relatives des éléments
constitutifs de l'ensemble indiquent nettement que des tables
ou des supports ont été ornés avant d'être mis aux places où

nous les voyons. (Gavrinis, Mane Rutual, etc.). Pour d'autres,
ainsi que pour les menhirs, la question reste insoluble; sans
parler des appropriations cultuelles de date récente, il süffit
de rappeler ici la « romanisation )} du menhir remis au jour
par M. Paul du Chatellier et conservé dans le parc du château
de Kernuz.

o. 29~ - ,
de rester, pour longtemps, bien incertaine: nous ne pouvons,
dans la plupart des CqS, que formuler des hypothèses, qui,
robustes ou paraissant telles aujourd'hui, s'effondreront
demain; ce n'est point une raison pour cesser d'en rechercher
de toujours plus satisfaisantes, surtout après intervention de
découvertes ou d'éléments nouveaux de discussion .

C'est dans cet ordre d'idées que je présente les con~idéra~
tions qui vont suivre, en me bornant à l'étude d'un seul
groupe de gravures: aucun autre ne me paraît se prêter

plus aisément à un essai d'interprétation.
Je veux parler des deux principales pierres ornées du
cél' èbre dolmen dit la (( Table des Marchands )), près de Loc­
mariaker, qu'ont récemment étudiées, après beaucoup d'autres
archéologues, mes excellents amis Zacharie Le Rouzic et
Charles Keller.

Je ferai de fréquents emprunts à l'intéressant opuscule
qu'ils ont consacré à ce monument (1) : partageant certaines
de leurs opinions, me séparant d'eux sur d'autres points, je

considère comme une bonne fortune d'arriver par une voie
différente, à une conclusion d'ensemble voisine de la leur, et
d'apporter à cette conclusion l'appui d'arguments nouveaux.
Mais, comme je l'ai dit et ne puis·trop le répéter, de pareilles
recherches ne sauraient aboutir qu'à de simples hypothèses,
justiciables de multiples objections.
Comme mes amis, je me déclarerai pleinement satisfait si
les idées émises élargissent la discussion et peuvent amener
quelque progrès dans notre connaissance de la gravure
mégalithique et de son originelle destination. . .

(1) Z. LE ROUZIC et Ch. KELLER, « La Table des Marchands, ses signes
sculptés et ceux de la pierre gravée ·du dolmen du Mané el' Hroek ». (Albert
Barbier, éditeur, Nancy, 1910). . .

- 296 _ s

La grande Table. . Interprétation agricole

de Zacharie Le Rouzic et Ch. Keller . .

La « Table des Marchands ')) a été maintes fois décrite et
explorée à diverses reprises; c'est en 18'11 que MM. Renaüd
et Maudet de Penhouet signalèrent l'existence de gravures à

la face inférieure de la table principale et sur le support qui
limite la chambre vers le N .-0. .
Je m'occuperai tout d'abord de la table.
Pendant longtemps, on n'y remarqua qu'une hache emman­
chée, dessinée par une rigole qui atteint, en quelques' points,
5 centim. de largeur: Le Rouzic et Keller, étudiant la pierre
même, ainsi que les moulages' qui en ont été pris ('1), ont vu

apparaître des signes faisant suite à la hache. Ce sont,
d'après l'ouvrage mentionné précédemment: « une crosse
partant de la courbe du manche, et se dirigeant vers les pieds
de derrière du signe représentant un quadrupède, cheval ou
bœuf. ») (2). .' .
La figure 1 donne, d'après M. J. Keller, la vue d'ensemble
de ces signes; les auteurs du mémoire ont d'ailleurs jugé
u'tile de reproduire, à côté des dessins, ' les photographies,
prises en lumière rasante, des moulages. L'examen de celle

qui représente « le quadrupède)) et que la figure 2 essaie de

traduire « au trait)), suggère une remarque que j'ai déjà sou-
mise à mes amis: le groupe des lignes situées au-dessou's des
jambes de l'animal (fig. 1) et :malheureusement interrompues

par une dégradation du moulage (a), figure, à "mori avis, un
museau surmonté soit de ' cornes, soit d'oreilles, ou d'une
corne et d'une oreille; le prolongement du moulage permet­
trait peut-être de retrouver des traces de l'arrière-train .
(1.) Par les soins de la Commission des Monuments mégalithiques (i888) ;
. quelques exemplaires se trouvent au musée MUn, à Carnac.
(2) Ouvrage cité, p. 6. _

w 'Peu importe d'aiiIeu-rs~ que ie graveurp'réhistorique ait'eu
en vue un train de devant ou un train de derrière : ce qui-

mérite de retenir notre attention,- c'est le rapprochement
d'une incontestable figuration animale et d'une représentation

de hache emmanchée, reliées l'une à l'autre par un signe

« pédiforme)) constituant comme un trait-d'union entre les deux.
- Cette considération et la constatation des dimensions

inusitées de la hache et de son manche (1), ont conduit Le

Rouzic et Keller à l'interprétation suivante: « la représenta-
tion de la hache emmanchée est une charrue traînée par un
quadrupède (bœuf ou cheval) qui, faute de place, « fut placé

en travers par le sculpteur. » ' - - ..

Cette hypothèse est-elle trop hasardeuse ? Je ne le pense paso .
Nolis nous trouvons en présence d'une énorme hache à
laquelle est intentionnellement relié un animal; l'idée de
tra~tion est donc toute naturelle; - -

- -L'emploi ordi- naire de la hache comportant choc et non
traînage, il s'agit ici d'un instrument affectant la forme d'une
hache, mais d'utilisation différente. - -

Si cet instrument, supposé maintenu vertical, est traîné

dans une terre assez meuble et l'attaque par une sorte de
proue- aigüe, -il Y tracera une petite tranchée : si d'autres

tranchées se juxtaposent à la première, il en résultera un

véritable labourage. '

De là, la notion de la « hache-charrue », parfaitement

, acceptable. : -

- Bien qu'on ne, doive guère rechercher, dans les œuvres des
artistes primitifs, ni -rapports de dimensions, ni relations

normales de posit.ions, il n'est pas sans ' intérêt de comparer

la longueur du manche (ou timon) de la hache-charrue et la
hauteur au garrot du quadrupède traîneur: celle-ci peut être
approximativement mesurée.
(il Hache: Om 75 de longueur sur O m "/.7 de largeur; manche: i

32 de
longueur. -- "

:_ : 298

Sur le croquis (fig. -il la taille de l'animal est de 40 mil.
lim., le manche en a 72.
Le rapport de ces deux quantités est grossièrement celui
dé 3 à ;S.
Si donc nous admettons pour hauteur réelle au garrot
1m ;SO, la longueur correspondante du manche serait de

;SO (1) : ceci n'est, bien entendu, qu'une simple remarque;
la comparaison donne toutefois à penser que le signe en forme
de hache représente un instrument de très grandes dimen­
sions, bien supérieures en tous cas à celles d'une hache
destinée à agir par masse et vitesse.
Quant à la distorsion du dessin, en ce qui concerne l'animal
de trait, elle est sans importance; les artistes magdaléniens,
gravel}rs émérites par comparaison avec leurs grossiers

succèsseurs de l'ère monumentale, employèrent fréquemment
cette manière de faire, quand la place leur faisait défaut.
L'usage d'une hache, même grande et épaisse, pour le
labourage soulève, à première vue, des objections; Le Rouzic
et Keller y ont répondu avec succès en s'appuyant sur des

analogies empruntées à l'ancienne Egypte.
Je ne crois pas devoir m'étendre sur ce point et me borne
à l'observation suivante : une hache longue et de quelque

épaisseur, maintenue perpendiculaire au sol, suffit à creuser
une petite rigole capable de recevoir la semence; avant
de chercher à accroître, par la formation d'ondulations
ou de sillons proprement dits, la surface du terrain à cultiver,
les primitifs ont dû se préoccuper simplement de distribuer le
grain de façon régulière et d'éviter avec un égal soin les
lacunes et les inutiles accumulations; la mince rigole tracée
par la « hache-charrue ») y suffisait' parfaitement.
Mais il était indispensable, pour obtenir de bons résultats,

que cet instrument fut à la fois long et épais et qu'il soit
(i) Si l'on suppose la « hache-charrue » tracée en vraie grandeur, la
hau teur correspondante de l'animal de trait serait seulement de 80 cent.

- 299 _ .
maintenu vertical: la gra:vure ({ au trait » de la Table des
Marchands ne peut nous renseigner sur la façon dont était
réalisée la première de ces conditions, mais il semble que la
for!lle indiquée pour le talon du manche facilite le maintien
de celui-ci dans la position la plus avantageuse ('1); un sys­
tème de deux haches-charrues à manches parallèles ou peu
divergents donnerait d'ailleurs un appareil stable et bien
approprié au creusement de « tranchées étroites à semence ».
L'hypothèse agricole de Le Rouzic et Keller est donc ici
pleinement satisfaisante et, sur ce, point, je suis d'accord
avec eux.

Le grand Support orné. Continuation

de l'interprétation agricole

Le support qui limite la galerie vers le N .-0. est constitué
par une dalle plate, de 315 à 40 cent. d'épaisseur, affectant
une fDrme . ogivale: sa face interne, orientée sensiblement
S.-O. N.-E., a été assez soigneusement parée ;-elle est ornée
d'un grand nombre de signes, les uns en relief, les autres
en creux.
Une ogive, presque géométriquement semblable à celle que

définissent les contours du sup'port, en occupe le haut et la
partie moyenne; un sillon bien visible la délimite : cette
région, généralement appelée écusson, est légèrement en

saillie (voir fig. 15,6 et 7).

Entre les branches latérales du sillon et les bords de la
pierre ont été gravés des signes formés chacun de deux traits
en accent circonflexe; ils sont au nombre de vingt environ
de chaque côté. -
(0 De nombreux instruments modernes sont pourvus d'accessoires
assurant à leur partie importante ou principale une orientation constante:
pelle à charbon, etc.

. 300- .. · .
'A la partie inférieure se voient d'autres gravures en C['e'ux!
celles indiquées en traits pleins dans le . croquis ci-dessous
sont nettes; elles figurent d'ailleurs sur le dèssin de J. Keller
(fig. 6). .
L'examen attentif d'un cliché pris dans de bonnes condi­
tions d'éclairage ('1) révèle l'existence de quelqués 'autres
signes, beaucoup plus vagues: ils sont marqués (fig. 3) en
pointillé. .
Quelques-uns de ces traits peuvent être dûs à des jeux de
lumière sur la surface de la pierre; je ne les ' signale ici que
pour montrer l'intérêt que présenterait un moulage . précis de

cette bande.

Bien plus important, sans nul doute, est l'écusson lui-même,
sur lequel M. de Penhouët signalait, lors de la première

exploration, (c des sculptures présentant des rangées de
bâtons coudés à leur partie supérieure. »

. Ces bâtons · coudés ou « crosses » sont en relief sur le
champ de l'écusson; on en compte généraiementD4 ou D6;

. une bande verticale et trois horizontales les divisent en

huit groupes. . . . .
Ces crosses sont les seuls signes, intérieurs à la petite
ogive, figurés sur les dessins publiés depuis 50 ans: tous les
auteurs ou presque qui se sont occupés de la Table des
Marchands, paraissent s'en être tenus au croquis de Davy de .

Cussé, dont je donne (fig. D) une reproduction d'après la
Revue de l'Ecole d'Anthropologie (2). .

Il existe pourtant sur le grand support un autre signe que

(i)· Je crois devoir signaler, à ce propos. un procédé commode pour

l'étude des docùments photographiques relatifs aux gravures antiques à
faible relief. Faire un positif très pâle sur verre, le renforcer lentement
(iodure mercurique, par exemple) en pleine lumière; les détails, appa­
raissant successivement, attirent mieux le regard.
(2) A. DE MORTILLET. Les figures sculptées sur les Monuments mégalithiques
de France, R. E. A. i894, p. 29i j le croquis de Davy de Cussé est à
l'échelle de i/32

j'avais remar' qué longtemps avant de le montrer, sous très
bon éclairage, à Le Rouzic et à Keller.
C'est une cupule d'ou partent des rayons: une circonférence

de 24 centim. cie diamètre réunit leurs extrémités: cupule,
rayons et 'circonférence sont gravés en creux clans la bande

verticale dont j'ai parlé précédemment, et un peu au-dessus
de l'espace qui sépare les deu'x rangées inférieures de crosses
(fig. 4 et 7), '.
Me's amis, qui n'avaient jusqu'alors pas aperçu ce signe ('1),
furent frappés de sa ressemblance avec Jes 'gravures de deux
supports du' dolmen du Petit,Mont, en Arzon, mis au jour
en 1906. '
Une telle figure ne peut représenter que deux choses: le
soleil ou une roue, celle-ci n'étant d'ailleurs, pour beaucoup
d'artistes primitifs; que le symbole de celui-là. .
L'hypothèse solaire semble toutefois de beauéoup la plus

probable; nous ignorons, en effet, si les contemporains des
graveurs mégalithiques connaissaient la roue et ses usages.
Pour Le Rouziç et Keller, le nouveau signe est incontesta­
blement une figuration du soleil; je n'ai jamais eu d'autre

OpInIOn.
Ceci posé, les deux archéologues, se basant d'autre part
sur leur interprétation agricole des gravures de la table,
voient dans celles du support un symbole du même ordre:
selon eux, les crosses sont des épis, qu'éclaire le soleil.
. A l'appui de leur assertion, ils rappellent la juxtaposition
~réquente dans l'ancien art égyptien, de l'image solaire et de . '
celle du végétal nourricier, et présentent, comme terme de
comparaison, une intéressante épreuve photographique
d'après nature .

. ", . , ,. '. 77 .," ' " .'"..... ? " P pZ ,z: " ' $ .p ' . 7 ' P T l "Zr_y _ S =: Tl z", Fm ' 7 M'· ' " P ft"" 7, ,," 7 . 50
(i) En renttànt, le soir même, à Carnac, nous avons examiné de nom­
breux clichés du support; sur la plupart d'entre eux, le soleil se
distinguait admirablement: l'existence de ce signe ne peut donc ,être
mise en doute. ., , ' .

302 '
. Dans celle-ci, des épis de blé, munis de leurs tiges, repro­
duisent d'une façon saisissante l'allure des crosses, abstrac­
tion faite de la différence entre le diamètre des tiges et celui
des épis.

Cette séduisante hypothèse serait pleinement satisfaisante
pour un ensemble moins complexe, comprenant par' exemple
une roue-soleil et des « crosses-épis » Ï1Tégulièrement distri­
buées sur toute l'aire délimitée par l'ogive intérieure.
Elle a, d'autre part, le défaut de ne pas tenir compte de
dispositions remarquables, et notamment de la répartition
-des « crosses » en groupes nettement séparés les uns des'
autres .
. Négliger l'impression de régularité et de symétrie inten­
tionnelles qui frappent au premier aspect, c'est attaquer la
question sans utiliser toutes les données du problème.
L'explication de Le Rouzic et de Keller englobant dans une
même idée directrice les signes de la table principale et ceux
du grand support, reste néanmoins, en présenc~ des données
généralement admises, ce qui s'est publié de plus complet et
de moins hasardeux; l'intervention de notions nouvelles,
appuyées de vérifications à La portée de tous, m'a seule décidé
à reprendre, après mes amis, l'étude de la plus régulièrement
ordonnée des gravures mégalithiques conn ues. (1) .

' Il , - ' , . - 1 .... --; - - 0 .. -· r , "U .,~ .. ' · 00",,-' " '' - 0 " 0 ,- ~ ,. , - ," - TT s" , .0
0) De nombreux archéologues ont formulé, avant Le Rouzic et l{eller;
des hypothèses sur la signification des gravures du grand support: elles
se rapprochent, pour beaucoup, de la suivante, empruntée à i'ouvrage
de G, DE MORTlLLET, Formation de la nation française, p. 171. : « Ainsi
l'écusson du dolmen des Marchands, contenant quatre séries de crosses
superposées, divisées chacune en deux, soit en tout cinquante-six crosses,
serait les armoiries d'un chef puissant de confédération ou ayant sous
ses ordres cinquante-six autres chefs moins importants. Ce qui confirme
cette assertion, c'est la dimension du monument et une grande hache
emmanchée gravée sous la table entre deux autres crosses. » De telles

interpellations, qui négligent la « roue·soleil » sont, à tout le moins,
incomplètes .

- " 303

III.
Position du problème d'après les données '

les plus récentes sur l'Astronomie primitive
de l'Ouest Européen.
L'ensemble des gravures du grand support peut être,
d'après ce qui précède, considéré comme formé de trois
groupes, occupant trois régions bien distinctes:
1° Espaces compris, latéralement, entre l'ogive intérieure
et le contour du support;
2° Bande horizontal" e inférieure à la petite ogive;
30 Surface limitée par celle-ci.

Les signes « en double accent circonflexe )J, ainsi que ceux
de la région basse, restent mystérieux; pour les premiers,
deux hypothèses se présentent naturellement à l'esprit: ils
peuvent être de simples ornements de bordure, encadrant
l'écusson, ou avoir eu, pour l'artiste qui les a gravés, une
signification précise .
Toute affirmation à ce sujet serait, à mon sens, imprudente;
ce n'est d'ailleurs pas chose invraisemblable que ce genre de
signe d'un tracé très simple, puisse être retrouvé dans

quelque antique système d'écriture.
Quant aux gravures de la bande inférieure, elles sont encore

trop mal définies pour se prêter à une discussion sérieuse.
Reste donc la partie moyenne avec trois espèces de signes :
la rigole formant contour, la roue-soleil, les « crosses )J.
Pour beaucoup d'auteurs ' l'écusson, dans son ensemble,
figure un bouclier orné: le tracé qui le limite ne serait-il pas
un simple cartouche entourant « crosses)) et roue-soleil, et
indiquant une relation entre celui-ci et celles-là.
La roue-soleil ne paraît pas devoir donner lieu à contro­
verse: il n'en est pas de même de l'autre genre de signes,
qualifiés tour à tour de crosses, de bâtons de commandement,
de litui, d'épis.

-' :304 -
ne tous ces essais d'explication, un seul, celui de Le Rouzic
et Keller, est assez solidement étayé par la constatation

du caractère agricole des signes de la grande table; les autres
ne sont, à proprement parler, que des hypothèses de senti­
ment, auxquelles nos connaissances présentes ne peuvent
. apporter aucune confirmation.
L'adoption, pour ces figures, de tel ou tel nom, peut-

être tendancieux, ne présente d'ailleurs qu'un intérêt
secondaire; une remarque, faite sur la pierre même, me
semble infiniment plus importante et digne de retenir
l'attention .

Cette remarque est la suivante : dans la demi- ogive de
droite (du Nord-Est), toutes les « crosses)) ont leur extrémité
supérieure courbée vers la droite (vers le Nord-Est), et inver­
sement dans la demi-ogive de gauche (du Sud-Ouest).
Aucune « crosse )) ne faisant exception, il faut bien

reconnaître que cette disposition est intentionnelle.

L'artiste préhistorique a donc vouLu représenter des images
de même nature, mais de sens inverses.

A ces images devaient correspondre, pour lui, des idées de
même ordre, mais directement opposées, comme celles de

montée et de descente, d'aller et de retour, de croissance et
de décroissance; nous dirions aujourd'hui les « crosses)) de

droite positives, celles de gauche ·négatives (~) .

Considérons maintenant le groupement des signes.

En réalité, la partie du support limitée par la petite ogive

peut se décrire ainsi: une bande verticale divise l'écusson en

deux · parties . à peu près équival.entes et symétriques: cette
bande, de largeur égale au diamètre . de la roue-soleil, ne

contient que cette gravure; je l'appellerai désormais bande
solaire .

. ' . "0' _'ft' ... ... , 'd _ t . ... "' .. , .. e ...... _,_ , s .. " 1 _

(i) Des-exemples de « crosses» opposées, ornant un certain nombre de
mégalithes, sont cités par A. DE MORl'ILLEl', dans son étude Sur les figures
6culptées (Revue de l'Ecole d'Anthropologie, i894, p. 306), : ' ..

FIG. L
Hache charrue et quadrupède sculptés.
(Reproduction d'un dessin de J. Keller.)

FIG. 2.

Quadrupède sculpté, sous la table principale du dolmP-l1 des Marchands .

· RO\l~'O soleil

5Ql e1e-là ch :;m6rf.

FIG. 3.

Signes de la partie inférieure du g-rand support.
(Croquis de l'auteur d'après divers clichés.)

FIG. 4.

FIG. 5.

' Ir ' " .,J -
Bouclier sculpté en relie f, d'après Davy de Cussé.
1/32

de gl'ancleur na turelle.

(Reuue de l'Ecole d'A ntl'opologie, 1894, p. 291.)

FIG. 6.

H fi

FIG . 7.

mal

Grand SUppOl't orné, partie supérie lll'e d e la table des marchands.
(Croquis de l'auteur sur lin canevas [ol/l'ni pal' un cliché de Z. Le Rouzic.)
H Roue soleil. E' Equinoxe d'automne.
S Solstice d 'hiver. NI Epoque de la moisson.
S' Sols tice d'été.
E Equinoxe de printemps. --- - Lig'n es explicatives .

Ç~'\A'?\lti~ ,
( toC(iAfJ

MC\'tG~ ,·\t· ... ~~

i)..4..,... ,)-~ , .t ... At li"

~ .u~ ........ tu l

FIG. 8.

Orientations mégalithiques, aux environs de Locmariaker.

-' 305

Dans chacune des demi-ogives, les « crosses» sont réparties
en quatre rangées, séparées les unes des autres par des
bandes horizontales sans gravure : ces bandes sont bornées
en haut par des lignes joignant les pieds des « crosses » de
la rangée supérieure, en bas par des courbes tangentes aux
parties courbes du rang placé au-dessous. .
Aucun'e « crosse » n'empiétant sur les rangées voisines,
nous devons admettre que ces signes ont été intentionnelle­
ment répartis, de chaque côté de la bande solaire, en quatre

zones bien distinctes; les zones situées à même hauteur sont
sensiblement symétriques.
: Quant au nombre, par rangée horizontale, des « crosses »
il va en augmentant du sommet de l'ogive à sa base. .
- La disposition adoptée par le graveur est-elle une consé­
quence de la forme préalablement donnée au support, ou
bien cette forme a-t-elle été choisie pour s'harmoniser avec
un dessin conçu à l'avance? La question paraît devoir rester
irrésolue, mais je ne pense pas que l'on puisse invoquer une
analogie voulue entre le contour du grand support et ceux
des statue' s-menhirs de l'Aveyron et du Gard: ces derniers
montrent, incontestablement, un essai de figuration humaine
dont nous ne trouvons aucune trace sur la pierre ornée de la
Table des Marchands.
Nous ne pouvons que constater la progression, de haut en bas,
du nombre des « crosses» des diverses rangées, en remarquant
que l'espace occupé par ces signes, relativement à la surface
des zones qui les portent, semble ,d'autant plus restreint que
ces zones sont plus rapprochées du sommet de l'ogive: très
serrées à la partie inférieure, ces « crosses» laissent entre
elles, vers le haut, d'assez grands intervalles : j'aurai
d'ailleurs à revenir sur ce point.
En résumé, l'ogive intérieure est divisée par une bande
verticale et trois bandes horizontales, en huit parties, deux à

deux égales, symétriques et symétriquement ornées" ou à peu.

- ' :306-
près, l'axe de symétrie se confondant avec celui de la bande
verticale qui coïncide lui-même avec l{l verticale du centre
de la roue-soleil. .
, Voilà ce que nous donne, sans hypothèse d'aucun. e sorte,
le simple examen du grand support.
. De la remarque relative à l'évidente' inversion . des
« crosses )), abstraction faite de l'objet dont celles-ci sont la
figuration, j'ai déduit que l'ensemble des gravures de chaque
demi-ogive représente une idée, ou un groupe d'idées, -
de même ordre que l'ensemble symétrique, mais directement
opposée : la même conclusion est applicable à deux quel­
conques des zones situées à rhême hauteur. Autrement dit :
les signes diJ grand support indiquent la division d'une
chose, et j'emploie intentionnellement un terme vague, -

en deux moitiés (' 1), par une verticale.
Chacune de ces moitiés est, à son tour, divisée en quatre
parties, 'les parties de même niveau ayant des surfaces équi­
valentes, de part et d'autre, de la verticale précitée; des
relations de symétrie, forme, ornementation, existent
entre moitiés . comme entre fractions moindres, les signes
tracés à droite de la verticale indiquent des idées de même
ordre que celles figurées par les signes de gauche, mais
directement opposées à ces dernières : une représentation
solaire intervient dans la première des divisions.
, Quelle est cette « chose» ainsi partagée?
L'image du soleil fait naturellement penser à un phénomène
naturel' dans lequel cet astre est prépondérant: il n'en est
pas de plùs remarquable que le rythme du retour des saisons .
La « chose)) di visée peut donc être l'année solaire .

· Dan~ cette hypothèse, une demi-ogive représente une
demi-année; l'inversion des« crosses » de part et d'autre de
hi verticale milieu, cori'espondant, pour employer une expres-

· (1) Le. , terme « moitié » n'a, bien entendu,qu'un sens approcbé et nulle­
ment préciJ. '

sion moderne, à un « changement de signe», à la modification
d'un mouvement quf, de direct pendant six mois, devient
rétrograde pendant les six autres, nous sommes amenés à
penser que les « crosses )) d'une demi-ogive figurant par
exemple les jours croissants, les autres figurent la période de
leur décroissance.

Nous aurions donc, d'un côté, une grossière représentation
du groupe hiver-printemps; de l'autre, du groupe été-au­
tomne.
La bande solaire serait une bande solsticiale.
La surface assimilée à chaque demi-année étant divisée én

quatre parties, la bande horizontale moyenne serait la bande
équinoxiale, les deux autres indiquant une subdivision en
demi-saisons.
Revenons maintenant à la répartition des « crosses)) par
rangées: la rangée supérieure en comprend 9, les suivan tes,
du haut vers le bas, 13, 14 ou 16, t 7 ou 18, selon les croquis
consultés. . , .
Or, ces divers nombres sont grossièrement proportionnels
aux durées de la lumière, aux époques précitées de l'année:

si cette supposition est exacte, l'extrémité haute de la bande

solsticiale représenterait la période des jours les plus courts
(solstice d'hiver), l'extrémité basse, au contraire, celle des
jours les plus longs (solstice d'été).
. Le faisceau d'hypothèses que je viens de développer prend
évidemment une sérieuse consistance, si nous trouvons des
traces d'une division de l'année, aux temps de l'ère monu-

mentale, en huit parties de durée sensiblement égales.
Or, j'ai précisément montré, dans un mémoire inséré au
BuUetin (1), que cette dir, ision a pu exister .

Les conclusions de ce mémoire peuvent se résumer ainsi:
dans les ensembles mégalithiques les éléments ont été placés,

. (1) Les grands ensembles mégalithiques de la presqu'île de Crozon et leuI'
destination originelle. . .

. " 308 ,

ies uns par rapport aux autres, de manière à repérer des

directions constantes pour une latitude donnée. Ces directions
jalonnées parfois par de très nombreux mégalithes, coïncident,
à très 'peu près, avec les azimuts du lever solaire aux

solstices, aux équinoxes et à deux époques également dis-

tantes, en durée, d'un équinoxe et d'un solstice.

Discutant les résultats de mes observations, j'en tirais les

conclusions suivàntes ('1) : « Totitse passe donc comme si les
architectes préhistoriques avaient voulu réaliser, au moyen

de jalonnements appropriés, la division de l'année solaire en

huit pa' rlies sensiblement égales, et pratiquement égales pour

des populations barbares ou plutôt très barbares »,

D'autre part, les recherches de Sil' Norman Lockyer ont
établi, de façon très nette, que les jalonnements intermé-

diaires aux jalonnements solsticiaux et équinoxiaux indiquent,
en même temps que les demi-saisons dont j'ai parIé plus
haut, des dates importantes de l'année agricole (2) : semailles,
germination, floraison, maturité des récoltes, correspondent

sensiblement aux dates distantes d'un mois et demi, ou à
peu près, des solstices et des . équinoxes : 8 novembre,

2 février,. 6 mai et 8 août. Ces dates sont, sur le grand

support, représentées par les bandes horizontales situées
àu-dessus et au-dessous de la bande équinoxiale, d'après ce

qui a été dit précédemment
Ces considérations nous conduisent à admettre que l'artiste
préhistorique possédait, en même temps que des connais­
sances purement astronomiques; des notions sur la régulation
des travaux de culture, d'après le cours des saisons.

Ainsi se trouve consolidée l'hypothèse de Le Rouzic et de
Keller sur la signification agricole des gravures de la table

(1) id., page 32.
(2) Sir N. LOCKYER, Stonehenge and olhel's bl'ilish stone mohuments astl'o ;'
nomically considel'ed. L'auteur y signale des traditions très remarquables,
relatives à la division agi'icole de l'année. . '

°V 309 ,go
principale; il est tout naturel de tro'uver la « ha- èhe-charruc »

et l'animal qui la train ait à côté de figurations relatives aux
semailles et à la moisson .
. Mais en présence des remarques faites plus haut, la valeur
que l'on peut attribuer au sîgne « crosse », pris isolément,

n'a plus qu'une importance secondaire; c'est le groupement

de ces signes qui, seul, nous intéresse et mérite de nous
intéresser au plus haut point: l'interprétation proposée repose
en effet sur deux constatations: inversion de la courbure des

« crosses », dé part et d'autre, de la verticale milieu; exis-
tence d'une représentation solaire. .
Le signe « crosse )l est une indication de sens ou de direc.':'
tion, tout comme la flèche employée dans les plans modernes,
bien des siècles après l'abandon de ce genre d'arme (1).
Il nous reste à essayer de déterminer à quelle demi-année
corres po nd chaque demi-ogi ve.
Supposons un plan orienté comme la face ornée du grand
support, c'est-à-dire sensiblement Nord-Est Sud-Ouest. .
L'azimut du lever solsticial d'été étant le N. K4° E, ce
plan sera éclairé très obliquement par les premiers rayons.
du soleil, au moment des plus longs jours, presque normale-­ ment en hiver: pendant cette dernière saison, l'éclairage sera
tangentiel peu avant le coucher et d'une façon générale vers

le milieu de l'après-midi. .
La durée de l'illumination directe variera de sept à onze
heures' environ .

Considérons maintenant le 'monument dans son état actuel:
l'éclairage matinal atteint la partie haute de l'ogive, mais

pendant peu de temps; même en été, la grande table, beau-
coup plus large que la chambre, faisant bientôt écran
. Au solstice d'hiver, le point du lever n'est que d'un petit
nombre de degrés à l'Est de l'axe de la galerie, mais les t.ab1es

(1.) La « crosse» ne serait-elle pas, comme notre flèche, une idée latente ?,
liaison de la hache avec la main (77), .. -' .

- 3-10 '"
de celle-ci, disparues aujourd'hui pour la plupa'rt, devaient

jadis cacher la vue de, l'astre, lors de son passage au vertical
de cet axe, à un observateur adossé à la pierre ornée : le
même, fait se produisait; à' fortiori, aux autres époques, à
moins qüe des interstices n'aient été intentionnellement
ménagés entre les blocs de recouvrement de la galerie ou de
la chambre. '
, La grande table débordant également les supports situés à
gauche de l'axe pour qui pénètre dans le monument, c'est
seulement quand le soleil se trouve entre les azimuts S.-S.-O.
et S.-o. que ses rayons frappent le milieu et le bas de l'ogive
intérieure.
L'intensité de l'éclairage et l'étendue de la région directe­
ment atteinte varient évidemment avec . l'heure et avec la
hauteur d - e l'astre: sans avoir effectué des mesures suffisam­
ment nombreuses et précises, j.e peux dire que c'est surtout
pendant les jours plus longs que la partie moyenne de l'ogive
comprenant la roue-solBil se trouve en bonne lumière.
Le relief du tertr' e qui entoure et soutient le dolmen n'était
évidemment pas, lors de son achèvement, ce qu'il est de nos
jours; un tassement des matériaux du galgal s'est certaine-
ment produit: mais il n'est pas absurde de ,penser que le
graveur pi'éhistorique a voulu' qu'à une date importante de
l'année les rayons émanés du soleil vinssent fl'apper son

Image, .
Admettons que telle ait été son intention. La date impor- '
tante pour de primitifs agriculteurs est, sans conteste, celle
des résultats, autremeut dit dela récolte: à cette époque, la

t'oue-soleil devait être pleinement illuminée, ainsi qll'une
bonne partie de l'ogive, dans le courant de l'après-midi.
L'astre se trouvant alors du côté de la demi-ogive de gauche,
celle-ci peut avoir été la représentation de la demi-année, qui
comprend le temps de la moisson, ç'est-à-dire du groupe
été-automne.

,--- 31-1" ,ï
Le « sens de lecture Ji seràit, dans cette hypothèse, èelui ·

des aiguilles d'une montre, et la roue-soleil étant au-dessus

de !a bande horir.ontale .6 mai-8 août, il en résulterait que la
moisson se faisait, à l'époque où fut ornée la Table des ·

Marchands, apTès cette date, ou plus exactement, plus près
de cette date que de l'équinoxe.
En raison de l'égalité pratique des azimuts et des hauteurs,

à la même heure du jour, pour des périodes également
distantes d'un même solstice, d'identiques conditions d'éclai­
rage se réalisent au début de mai: le temps de la floraison
avait-il, aux yeux des antiques laboureurs, la même impor­
tance que celui des récoltes? Non, très vraisemblablement.
Cette dernière partie de mon argumentation, relative à
l'identification des demi-ogives, est forcément plus vague que
le reste, la symétrie qui nous a si bien servis précédemment
devenant ici une cause d'indétermination: je n'insisterai donc
pas sur ce point particulier et me contenterai de faire remar­
quer que pour le sens de lecture inverse du premier, c'est-à­
dire pour l'attribution de la valeur été-automne à la demi­
ogive de droite, le temps de la moisson serait encore
postérieur au 8 août et plus voisin de cette date que de

l'équinoxe.
Je prévois, d'autre part, l'objection suivante : le dolmen
tout entier a dû être recouvert d'un tumulus .
J'attends une preuve irréfutable de cette assertion.
De nombreux auteurs semblent avoir confondu, comme à
plaisir, tertres de construction et tumuli de recouvrement.

L'établissement de tout dolmen nécessitait préalablement

la formation d'un amas de matériaux de dimensions médiocres ~
réunis par des substances molles, terres ou vases, qui en
empêchaient le glissement. Cet amas, en tronc de cône­ surbaissé, était utilisé pour l'approche et la mise en place deR
supports de grande taille et surtout des tables, généralement
beaucoup plus lourdes; il devait s'élever, au moins pour.le

,, _ 312- ou

dernier temps de la contruction;jusqu'au niveau des sommets
des supports: la masse de certaines tables forçait parfois à
consolider l'an1as ou tertre par le moyen d'un cromlec'h de
soutènement. .

Les tables une fois mises en place, les architectes préhis-
toriques laissaient le tertre dans l'état où il se trouvait, ou
bien accumulaient au-de8sus de lui de nouvelles quantités de
pierres, de vase ou de terres, soit en couches régulières, soit
comme au hasard: ainsi se constituait le tumulus de recou­
vrement, superposé au tertre de construction, sans que nous
puissions dire si les deux édifications ont été consécutives · ou
si une période de quelque durée s'est écoulée entre l'achève-

ment du monument et son complet enfouissement.
Il est intéressant de remarquer que certains tumulis de la

région de Carnac, de dimensions énormes, abritent des
dQlmens lermés et pourvus d'une chape en vase ou en
argile (1). Ce ·sont incontestablement des sépultures: les
autres peuvent avoir été des temples, ou bien plutôt des
antres à sorciers. -
Alexandre Bertrand a jadis émis l'idée que les peuplades
néolithiques vivaient et travaillaient sous t'autorité de chefs
religieux; nous pouvons penser, après lui, que des sorciers,
architectes et astronomes, dominaient au temps où furent
, construites les grandes allées couvertes à pierres ornées, les
groupem~nts humains établis sur le littoral morbihannais.
Les tracés coudés de nombreux monuments, l'établissemen t

d'étroits couloirs aboutissant à des chambres relativement

spacieuses, semblent indiquer que ces chambres, que les

arrière-~aleries, étaient des endroits où il se passait quelque
chose de mystérieux, et où des initiés avaient seuls le droit
de pénétrer.
Il se peut que la Table des Marchands ait été l'une de ces

. (i) .Sain t-l\1ichel de Carnac. , Tumiac, Mané er Hroek, ce dernier sans chape .

... ·· 313 - .. · ·
cryptes; entourée de son tertre de construction. Aujourd'hui'
le sommet de ce tertre est à un mètre en contrebas . de la .

table principale : un pareil tassement · n'a rien qui puisse

s. urprendre, se poursuivant sous l'influence des intempéries
depuis plus de trente siècles. . . .
En supposant· même qu'un tumulus ait jamais recouvert

le monument, on pounait se demander comment il a disparu .
alors que dans son immédiat voisinage d'autres buttes artifi- .
cielles se sont conservées jusqu'à nos jours ('1). .'
L'ensemble glyphique que je viens d'étudier a dû être tracé .
pour célébrer une importante découvene astronQmique, en
liaison avec la science de la culture, et la gloire de quelque
«( annonciateur de solstices »). Les vastes dimensions de l'allée'

et de la chambre, le soin donné à l'ornementation de ses deux

principaux éléments firent sans doute l'admiration de ceux, '
qui avaient coopéré à l'édificéltion. Puis d~s légendes ~e

formèrent, la crainte fit naître des rîtes et pendant longtemps .
lfjs groupements voisins de la pierre sacrée y déposèrent, ou
y firent déposer par les «( hommes-des-choses·cachées )), les
vases et les instruments que les explorations du siècle dernier
ont ramenés a 'u jour .
. Je ne m'attarderai pas à discuter si l'exécution des grnvures
a immédiatement suivi la construction du dolmen, ou si un

temps plus ou moins long s'est écoulé entre l'achèvement de
l'œuvre mégalithique et l'ornenwntation de certains de ses

éléments; on peut, là-dessus, épiloguer à perte de vue, sans
qu'interviennent des arguments proban ts: de même sur la con-

temporanéité ou non des signes en relief et des signes en creux .

En pareille matière, le mieux est d'avouer notre complète

Ignorance.
Il est toutefois probable, en raison du poids énorme de. la .
grande table, que les signes ornant sa face inférieure n'ont

(1) Mané Iud, Er Grah, Mané er Hroek, et de l'alltre côté de l'estllaire;
Ile Lon.gue, etc.

, 314 ' i

é: té gravés qu'a pres sa mise en place: pour mener à bien son ·
travail, l'artiste primitif avait besoin de la lumière du jour; ·
à ce moment, au moins, le monument n'était certainement ·
pas enfoui, et le tertre de· construction avait peut-être un
relief assez peu différent de son relief actuel.
Je ne pense pas qu'un tumulus ait jamais été superposé à
ce tertre; la Table des Marchands a dû être, dans l'esprit de
ses architectes, un édifice cultuel, dont l'ornementation nous
indique un effort vers la représentation de connaissances
astronomiques et agricoles. .
Ce monument fut-il jamais un lieu de sépulture? Nous ne

le sa,vons pa,s; la première fouille ayant été effectuée à une
époque où l'archéologie préhistorique était encore presque
inexistante, des documents qui aurait pu être précieux sont
à jamais perdus ou inutilisables, faute de renseignements
pr:écis sur les positions relatives où MM. Renaud et Maudet
. de Penhouet les ont récoltés. . .
Des indièes, même sérieux, ne prouveraient d'ailleurs pas
la contemporanéité de la sépulture et de la construction du .
dolmen, et je terminerai ce chapitre par cette remarque :
personne n'oserait soutenir qu'une cathédrale, où des inhu­
mations ont été faites, a été édifiée pour servir de sépulcre .

CONCLUSION .

D'après ce qui précède, et acceptant l'hypothèse agricole de
Le Rouzic et de Keller en ce qui concerne les gravures de la

table principale, je propose, pour les signes de la partie du
grand support délimitée par l'ogive intérieure, l'interprétation
suivante: fignra,tion de données a,stronomiques Telàtives à la,
mesure du temps et intéressant, en outTe, L'a,griculture.
« L'écusson» ou « bouclier orné» de la Table des Mar­
chands serait donc un (( ca,lendTier préhistorique )), astrono- .

." 3Uf c .

mique et agricole. Cette interprétation peut parattre hardie ';
elle a, sur beaucoup d'autres tentatives, la supériorité de ne
pas être une interprétation ( ( de sentiment )) et de s'appuyer
sur un fait indéniable, t'e: Y:istence, dans l'Ouest-Européen,
d' O1~ientations mégalithiques en relation avec les points du
le'Der solaire, à des époques remÇLrquables de l'année.
Mais je crois devoir clore ce travail sur l'idée émise dans
ses premières pages: pour être une hypothèse étayée sur des
constatations, ce n'en est pas moins une hypothèse, et rien
de plus.
La controverse continue.

AIt. DEVOIR .
Brest, 26 AvrillYll.
co , E , ,
APPENDICE

Les Orientations mégalithiques aux abords
de Locmariaker.

La notion des orientations mégalithiques, que je fais inter-
venir dans mon argumentation découle des' observations que

j'ai effectuées dans le Finistère, ainsi que de celles de Sir
Norman Lockyer et de ses collaborateurs dans le Royaume­
Uni.
Nous nous sommes mutuellement donné la (l preuve par la
latitude )), contre laquelle aucune objection ne peut être élevée.
Les grands ensembles mégalithiques du Morbihan entrent

dans la règle générale, et ceci n'a rien qui puisse surprendre:
je me borne à mentionner ici quelques relations entre monu­
ments voisins de la Table des Marchands, relations dont j'ai,
par moi -même, constaté l'existence .

Les jalonnements n'ont point, dans cette régioll, la ,même

"-- 316· . '"

valeur que ' dans la presqu'He de Crozon, où chacun d'eux
comprend u 'n assez grand nombre d'éléments peu éloignés les
uns des autres et très correctement alignés; trois des lignes
dont je vais parler possèdent néanmoins trois jalons, consti­
tués par des monuments importants: une quatrième, définie
seulement par deux points, n'est citée qu'à titre d'indication.
ObserIJQ.tions au sommet du Mané el' Hroek. Une ligne.
joignant ce sommet au menhir de Kerpenhir coupe les ruines
d'un dolmen situé au Nord-Est du village de ce nom: elle est
orientée N~ G4

O.-S. G4

E., c'est-à-dire sur le point du lever
solaire, au solstice d'hiver.
Symé~riquement, par rapport au méridien, une autre passe

par l'allée couverte des Pierres plates. Cette ligne prolongée

par delà la baie de Quiberon, rencontre à très peu près \ t) le
menhir dit « Pierre du Conguel », situé à tG kilom. G plus
loin; l'orientation est S. G4

O.-N. G4

E. ; -c'est celle du
coucher solsticial d'hiver et du lever solsticial d'été.
Il est à remarquer qu'un des monument.s de cette ligne,
l'allée couverte coudée des Pierres plates, a son arrière-galerie
orientée au S. ;)40 E., c'est-à-dire au lever solsticial d',hiver ;
l'azimut inverse (N. G4

O.) se dirige vers le dolmen de
Saint-Pierre' (1 kil. 300). -
Observations au menhir de Kerpenhir. De ce menhir on
ap~rçoit, l'un par l'autre, le tumulus de l'Ile Longue et celui
de Gavrinis; l~azimut correspondant est le N. G4

E" azimut

du lever solsticial d'été (2).
Il existe certainement, entre les monuments dont je viens

de parler et les monuments voisins, d'autres relations que je
n'ai pas eu le temps d'étudier; j'espère avoir démùntré, par

(1) Ce menhir n 'étant pas visible lors de mon C5bservation, je me suis
servi, d'une carte marine à grande échelle, où il. est figuré, pour déter-
miner son azimut. .
(2) Cette ligne coupe, à 9 kil. 5 au-delà, le filon de Roguédas qui dut
fournir aux populations pl'éhistoriques la matière première de nombreuse"
baches polies. .. '

'-- ' 317

ces exemples, toute l'importance de la détermination précise
des positions.
La « topographie mégalithique >l, encore presque inexis­
tante, devrait être l'une des grandes préoccupations des

archéologues, qu'elle conâuirait à de précieuses découvertes.
De nombreux jalons des orientations mégalithiques ont
malheureusement été détruits, ou mutilés par la main de
l'homme; de ces derniers, au moins, la théorie nouvelle
permet de retrouver des traces: d'autres sont définitivement

perdus, renversés ou recouverts par la progression marine;
les prolongements des directions énumérées plus haut sont
sans doute dans ce cas. ,

Il est, en effet, hors de discussion que les lignes de rivages

ont subi, depuis les temps de la civilisation mégalithique,

d'importantes variations~ ,

Le mouvement d'immersion du massif cotentino-armoricain

est démontré jusqu'à l'évidence par la situation actuelle de

certains monuments qui, bien que protégés par des obstacles

résistants contre l'érosion océanique, ne s'en trouvent pas

moins, totalement ou partiellement, au-dessous du niveau

moyen de la mer (1).
Au temps de l'ère monumentale, la terre ferme s'étendait
vers le Sud bien au-delà de s.e's,rivages actuels: la penéplaine
de Locmariaker, que les eaux de l'Atlantique pléistocène
avaient abrasée, s'était exondée lors de l'effondrement qui

permit au Gulf-Stream de remonter vers le Nord et mit fin
au régime pluvioso-glaciaire .

Des monuments s'élevaient entre le rivage actuel et les
Hots de Méaban, témoins surélevés d'un littoral ancien.
Ces précieux jalons nous manquent, c'est une raison de
plus pour ne négliger aucun de ceux qui se sont conservés ,
jusqu'à nous, quel que puisse être leur état de délabrement.

(1) Il convient de citer ici les dolmens de Kerroyal, à 15 kil. de Locma-
riaker, et non loin d'Auray. . .

Pages
XVII

l{XIX
XLI
XLIV
XLV

. LVII

III.

VII.
VIII .

353

DEUXIE E PARTIE

table des M émoi tes publiés en 1 [) 11

Les grands ensembles mégaiilhiques de .lapres­
· . qu'île de Crozon et leul' drstination originelle,

Pages

par M. le capiLaine de frégate DEVOIR ........ - '.

Un sénéchal de Chàteauneuf-du-Faou, Guillaume

Pic de la Mirandole (1694-1778), par M. RAYMOND

DET..JAI:JORTE . .......... . ........... '.' ........ , . ' . ~ .39

Convoca tion du ban et de l'arrière-ban de l'Evêché

de Léon et de la châtellenie de Modélix-Lan meur

(1534-1708), par lVI. LE GUENNEC ............ " .

Le . tumulus à dolmen de Kermaric, en Langui-

dic (Morbihan). Les dolmens à cham bre
circula'ire ef les dolmens il enceintesmur'ales

de-l'Armorique. L'uniLé de mesure de lon- .. .
gueur dans les conslrucLions mégalithiques , .'

. de la période rréoliLhique, par M. A. MARTIN. . 8E
Etudes sur le Cap-Sizun. IV. Le fief des Regai-
res de Cornouaille au Cap-Sizun. Appen­
dice : Hivernage des bateaux à Audierne en
1573, et Rôle des Fouages cl' Audierne en 1616,
par M. DANIEL BERNARD .................. ' .. .
M. Paul du Chatellier, notice biographique, par
M. le chanoine J.-M. ·ABGRALL ............... .

Sépulture gallo-romaine découverte à Pont-de-
Buis, par M. le chanoine J.-M. ABGI:tALL. " ....
Episodes et anecdotes (5° série), par M. l'abbé

18i

NTOTNE ~AV ............................

IX. Cachette d~ cen t vingt-six haches de bronze dé-

couvertes à Méné-Justis, en Tourc'h, par M. le
comte DE ' lLLlEl1S DU TERRAGE.. . . . . . . . . . . . . . 22~
Eglises et chapelles du Finistère (suite, voir
lomes XXX à XXXII, XXXIV; XXXVI et XXXVII) ;
doyenné de Morlaix, par M. le chanoine
PE" YRON ... ï . . . ' . 0 0 0 - 23(

- 354

Pag
. XI. Découverte d'une cachette de fondeur en Plo-

névez-du-Faou, par M. A. JARNO... ... . .. . .. .. . . . .. 2
XII. Liste des juridictions exercées au XVIIe et XVIII'
siècles dans le ressort du Présidial de Quimper
(suite, voir t. XXXVII); sénéchaussées de Châ-
. teaulin, Châteauneuf et Concarneau, par M. H.
BOURDE DE LA ROG ERIE ........ : ............. .

XIII. Documents pour servir à l'hist.oire des guerres
de la Ligue en Basse-Cornouaille: ExploiLs du
baron de Camors .. (1596), par M. DANIEL BER- ..
NARD.~ . .... ............................. 2
XIV. Essai d'interprétation d'une gravure mégalithi­
que. Le grand support orné de la ({ Table
des Marchands », par M. le capitaine de fré-
gate A. DEVOIR .................. ; ........... .

XV: Les saints brelons et les animaux. Etude hagio-
logique et iconographIque par M. le chanoine
ABGRALL "0 ' ...... o' " .............. " ........ .
X VI. Les coffrels de pierre et tes squelettes de Feun­
teunigou en Plouhinec, par M. H. LE CAR GUET.

FIN

'mprimerie COTONNEC, LEPRINCE, Suce. ' - - Quimper