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Bulletin SAF 1910


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Les peintures de la voûte du choeur dans l’église de Pouldavid, par Douarnenez

Chanoine J.-M. Abgrall

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1910 tome 37 - Pages 206 à 213

da,ns . l'EGLISE de POULDAVID,

pres

Douarnenez .

Pouldavid, que . l'on . prononce Ponldeü en breton. ! et que,

d'autresécrivent POttt-Dahut, est une grosse bourgade, au

bord de la route de Pont~Croix, au fond de l'estuaire qui

sépare Douarnenez de Tréboul.Elle possède . une église du

commencement du XVIe siècle, où l'on peut noter comme

dignes d'intérêt :Iaporte Ouest, ornée oe guirlandes feuilla-
gées: la fenêtre absidale au tympan flamboyant fort bien

dessiné; une vieille statue gothique de Saint . Jacques-Ie-
Majeur, patron de ·Ia paroisse; le retable XVIIe siècle du
. maître-autel, avec les deux niches latérales à colonr.es torses,
abritant les statues magistrales de Sàint Jacques et Saint

Barthélemy.
Mais une autre chose._ frappe les , regards des visiteurs et
attire immédiatement leur attention, ce sont les peintures
qui décorent la voùte du chœur .
Quelques-unes de nos Eglises et Chapelles bretonnes,
Cléden - Poher, Kergloff, Locquirec, Dirinon, Saint - Divy,

Ploéven, Saint-Michel de Douarneriez, Sainte-BrigitLe d'Es-

quibien, possèdent des peintures sur les lambris ou voùtes en
bois qui les recouvrent. Ces représentations ne sont pas
généralement des chefs-d'œuvre, mais ' rlles sont pour la
plupart faciles à délprminer. Il n'en est pas de même de celles

. d. e Pouldavid. Si eÎles étonnent par leur coloris étral1ge, assez

riche et harmonieux, et aussi par.les costumes bizarres des

personnages, leurs poses, leurs physionomies, qui donnent

: . · 207

J'impression des t~bleau'x de nos ' primitifs ' du' XVe e't d'u
XVIe siècle, on se tt'ouve déconcerté quand on veut arriver à
les interpréter, à préciser les sujets qui y sont traités.
Dans quelques-uns des panneaux on reconnaît sans peine

des scènes de la Passion ' du Sauveur, et tout à côté on est

arrêté et comme dérouté par la présence et le groupement de
personnages qui semblent absolument étrangers aux actes de
ce grand drame, absolument différents de ce que nos yeux
sont · habitués à voir dans nos vieux vitraux et dans nos ·

calvaires.

Monsieur Emile Mâle, dans ses études d'iconographie,
avance que les peintres et sculpteurs du · Moyen Age ont créé
leurs compositions d'après les mises en scène qu'ils avaient ·
observées dans les représentations des Mystères. Est-ce la .
même chose ici '? Il est certain que le Mystère de la Passion '

208

a été joué en Bretagne; est-ce d'après ces données, gestes,

costumes, que notre peintre aurait composé ses tableaux?
Ce qui est encore de nature à rendre l'interprétation diffi­
cile, c'est que' parfois une scène ne prend qu'un seul panneau,
tantôt elle en occupe deux ou trois; d'où la presque impossi-

bilité de limiter, de déterminer chacune.
Essayons cependant notre analyse.

Chaque côté comprend huit panneaux, séparés par une
moulure saillante ou couvre-joint et terminé en arc surbaissé
par un cintre simulé en peinture. Il semble qu'il faut com­
mencer par le côté de l'Evangile, côté Nord, celui qu'on a
à main gauche en regardant l'au tel; et tout de suite le pre­
mier sujet est déconcertant.

' 1. On croit voir: lJi/ale se latiant les mains; mais ce
n'est pas la place de cette scène; elle ne devrait venir qu'après
la condamnation de Notre-Seigneur. Et cependant, c'est un
prince, un chef, un gouverneur assis sur son siége, la tête
couverte d'une sorte de turban à coiffe pointue, revêtu d'un
habit à riches broderies qui recouvre sa jambe droite, mais
laissant à découvert sa jambe gauche et tombant à terre, de
manière à faire voir le revers tout en fourI'ure avec mouche-

tlll~es d'hermines. Il tenel du côté droit ses deux màins,
comme pour les laver, mais on ne voit ni- la buire, ni le pla­
teau ou aiguière, cachés qu'ils sont par un page ou valet qui
se tIent debout à ses pieds et qui doit 1 ui verser à laver. Ce
page, que l'on voit de dos, a la tète n'ue, avec une belle che­
velure 8bondante, les jambes nues, et est vêtu d'un casaquin
ou cotte courte.
Plus haut, regardant aussi le personnage principal, sont
deux autres j'ouvenceaux, l'un costumé en rouge brun, avec
col blanc rabattu et coiffure en étotIe molle; l'autre, tête nue,
cheveux blonds frisés, robe brun-jaunâtre. Le dosseret du
siège du gouyerneur est en étotIe damassée, dans le genre de

celles en usage HU XVe siècle et au XVIe, et que nous retrou':
verons encore dans d'autres panneaux .

2. La scène suivante comprend deux panneaux: c'est la

Prière de Notre-Seigne' ll'l' an jardin des OLiviers. Dans le
premier panneau on voit deux apôtres assis ou à genoux; ils
étaient trois d'après l'évangile: Pierre, Jacques et Jean;
mais ici nous ne voyons que Pierre et Jean, ce dernier ayant

un nimbe léger au-dessus de la tête, Ils ne sont pas endormis,
comme dans les représentations ordinaires, mais semblent
prier, d'après la recommandation du maître: Veillez et pria.
Il semble qu'ils ne sont pas entrés dans le jardin, mais sont
restés dehors près de la porte; et la muraille faisant fond est

toute couverte par une ornementation damassée.

Ce dernIer détail fait naître en moi un scrupule et c'est à
se demander si l'on n'a pas voulu représenter là Notre-Sei-

gneur lavant les' pieds à Saint Pierre; il Y a dans le sujet
beaucoup de choses , imprécises et vraiment on peut être
embarrassé pour l'identifier. ,

Dans le panneau suivant est Notre-Seigneur à genoux, la
tète nimbée d'un nimbe à rayons flamboyants, vêtu d'une
robe très ample, les mains étendues en prière. Devant lüi est,
un calice

ou plutôt un ciboire avec couvercle surmonté d'une
croix: Mon Père, raites que ce calice s'iLoigne de moi. Le

jardin est représenté par un rocher faisant ' entrée de la
grotte dei' Agonie, quelques tiges fleuries, un arbre grêle et
une sorte de hangar ou de toiture portée SUl' des piliers légers.
3. Le quatrième panneau fait-il partie de la troisième
scène qui est : le Baiser de Judas et Notre-Seigneu1" lait

prisonnier? On ne peut ,pas, le déterminer clairement. Il
comporte deux personnages principaux et deux autres secon­
~aires. Le premier est vêtu d'une robe et d'un manteau, avec

col rabattu en pointe, sa coifIureest bulbiforme : il a l'air

~'un "gros pharisien ou d'un des princes de prêtres qui, trois
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ AnCHÉO. TOME XXX V II (Mémoires 14)

". ~ 1 · l-t ., ..
f ~ 1l.J' 7

jours auparavant, . avaient comploté' la mort du Christ et ont
envoyé leurs émissaires pour le saisir sous la conduite de
Judas. Son compagnon est-il de même catégorie? son costume

diffère complètement; sa coiffure haute peut bien être une
mitre ou un casque; son corps est pris dans une sorte de
casaquin serré, à manches coUrtes et étroites, desc~ndant
jusqu'à mi-cuisses; les jambes ' sont dégagées et protégées
seulement par un haut-de-chausses très étroit, avec bottes à

revers. Est ce un officier, un dignitaire quelconque comman-.

dant l'expédition? Les deux personnages secondaires doivent

être leurs suivants et font partie de la .bande nocturne.

Au panneau voisin on voit Saint Pierr~ brandissant un

sabre en forme de rapière, et se disposant à couper l'oreillè .
à Malchus qu'il a jeté à terre et auquel il a mis un pied sur

le . dos. Deux personnages au second. plan, portant cuirasses

ét costume militaire, tiennent en main un glaive et un bâton

(cum gladiis et fustibus). . .
Au sixième panneau ' c'est, se, mble-t-il le baiser de Judas.

Notre"Seigneur n'a pas le nimbe, mais on le reconnaît à sa

longue chevelure, et sa tête touche celle ·de l'apôtre infidèle .

. Derrière lui se pressent des soldats . ayant le type et le
costume des lansquenets. .
4. ' Le septième et le huitième panneau représentent:

. Notre-Seigneur devant le Tribunal du Grand-Prêtre. . Le
Christ est debout, les mains liées · derrière le dos; il est

maintenu par deux soldats portant l'armure du temps de
Henri III; d'autres l'entourent, ils sont casqués de la salade
ou du bassinet, ou coiffés de toquets rouges; l'un d'eux

semble lever la main pour frapper le divin Sauveur. '.
Au huitième panneau, le grand-prêtre Caïphe est assis

entre deux assesseurs. Ce qui nous déconcerte iCI dans nos
déterminations, c'est que nous ne trouvons pas le grand­
prêti'e coiffé de la tiare ' ou de la mitre comme dans 'les

-" 211., 1

représentations traditionnelles, mais d'une 'sorte qe turban

oriental. Sa pose cependant, son costume et celui des prêtres

et .juges ses assesseurs, indiquent suffisamment leurs qualités

et leurs fonctions.

D. . Passons maintenant à l'autre côté, celui de l;épître
ou du Midi. Ici encore même indééision pour preciser le sujet

du premier et ·du deuxième panneau. Ne serait-ce pas cepen-·
dant les deux reniements de Saint Pierre'? Pour le pt'emier

panneau cela semblè hors de doute. Au milieu on voit une
femme (ancilla ostiaria), en conversation très serrée avec un
autre personnage qui, il est vl'ai, est loin d'avoir le type de

Saint Pierre, mais qui peut bien l'être cependant dans l'in-
tention du peintre. En tout cas il met la main sur son cœur,
comme pOUl' indiquer urie dénégation énergique (cœpit detes~ _
ta.ri et.jtl1'are .quia non nOl,i hominem). D'autres serviteurs
les entourent, prêtant attention à ce débat et contribuant "
ainsi à intimider et à déconcerter de plus en plus le pauvre
S.aint Pierre. Au fond on voit la silhouette d'une église et
d'un clocher; serait-ce la figuration du temple de Jérusalem
ou de la synagogue faisant partie du palais de Caïphe?
Au deuxième panneau on voit trois personnages au pied
d'ù.ne sorte de pilastre ou de pylône surmonté d'un édicule

ajouré ou d'un lanternon. Celui du milieu li bien l'air d'être
une femme vêtue d'une longue robe blanche mouchetée d'her­
mines, que recouvre en grande partie un manteau blanc-rosé
Celui qui est à sa droite est coiffé d'un chapeau rouge-brun,
et vêtu d'une sorte de tunique verte serrée à la taille et des-

cendant jusqu'aux genoux. L'autre personnage a une longue
robe blanche à plis serrés, tombant jusqu'aux pieds et res­
semblant fort à un peignoir. Il est coiffé d'un bonnet pointu

lèrminé par une houppe et bordé en turban. A son côté

gauè~e est suspendu un glaive en forme de cimeterre. Qu. e
peut bien signifier ce groupe '?

6. Le troisième panneau et le quatrième figurent Not'te-
Seigneur compa'taissant devant Pilate.' Au troisième on
voit le Christ ' nimbé, les mains liées, maintenu par deux
soldats, dont les jambes sont protégées par l'armure de fer,
le buste revêtu de hoquetons ayant la forme de cuirasses.
D'autres soldats, par derrière, tiennent des lances, des per­
tuisanes, des hallebardes et même une éponge au bout d'une
hampe. ' . .

. Au quatrième panneau est Pilate assis SUl' son trône, la

tête coiffée d'un ample turban, les genoux et les pieds couverts
d'une sorte de tapis à dessins damassés faisant presque l'effet
d'une peau de tigre. A sa droite) un scribe et un pharisien

portent leurs accusations contre le Sauveur. Le premier vêtu

de la robe et du chaperon à hermines d'un homme de loi,
semble argumenter; le second a la grosse figure d'un avocat
retors.
A la gauche de Pilate se tient sa femme qui vient fui dire
de ne pas condamner ce Juste, au sujet duquel elle a eu cette
nuit un songe des plus pénibles.
Quel est le sens du cinquième panneau? On serait tenté, à
première vue, d'y voir une marche au Calvaire, ' si l'on
s'en rapportait au personnage que l'on remarque tout d'abord:
un vilain petit nain difforme, à grosse tAle disproportionnée,
monté sur un mauvais petit cheval rappelant nos pauvres

chevaux de bois ou de carton, et brandissant en l'air une
lance d'une longueur exagérée. Les autres personnages, dont
deux se voient de profil, trois de face et un de dos, semblent
d'allure très paisible, et on ne sait réellement quel rôle leur
attribuer dans ce drame de la Passion.
7. Notre-Seigneu't est assis, dépouillé de ses vêtements,
les mains liées, les jambes toutes couvertes de meurtrissures
et rougies de sang. A ses côtés sont deux hommes qui au
lieu de le tourmenter, semblent compatir à ses soUffrances. A

, " 213 -"
ses pieds est agenouillée une femm.e, la tête couvert~ d'un
voile, les mains tendues dans le geste de la compassion et de

la supplication. Est-ce la Sainte-Vierge ou l'une des Saintes-
Femmes? En tout cas c'est en dehors de toutes les données
traditionnelles.
8. Notre-Seigneur' assis, COU1,e'l"t d'un manteau blanc,
la tête couronnée d'épines. Un personnage vêtu d'une robe,
on dirait une femme, s'agenouille devant lui par dérision et
lui met un roseau dans les mains, et portant la main droite
à. sa tête semble lui adresser cette parole de moquerie: Salut
t'oi des Juifs. Un autre personnage est debout, près de sa tête
sacrée, et l'on ne sait g'il le frappe ou s'il s'intéresse à ses
souffrances.

9. Le dernier panneau représente la Bés"itf'rection; il
semble plus frais de couleur et d'une facture différente de
celle des autres tableaux. Notre-Seigneur s'élève glorieux
dans les airs, bénissant de la main droite et tenant de la
gauche l'étendard de la RésurrectLon; il est entouré d'une
gloire lumineuse. Les gardes étonnés regardent ce spectacle
sans se montrer effrayés outre mesure,

En dépit de ces explications et descriptions, ces peintures
restent encore un peu énigmatiques et je suis loin d'avoir fait
là-dessus la lumière suffisante. Il était bon cependant ·

d'essayer une interprétation,. car on ne peut nier qu'elles
n'aient quelque chose d'attrayant. La preuve en est que la

la plupart des visiteurs les contemplent avec grande curiosité,
mais arrivent"rarement à en trouver le secret. Assez souvent
aussi des peintres de passage en prennent des copies, sans
pouvoir se rendre complètement compte de la signification des
esquisses ou des aquarelles qu'ils emportent dans leurs
cartons.

21 Juin 1910.
Chanoine J.-M. ABGRALL .

302

DEUXIE E PARTIE

Table des Mémoires et Documents publiés en 1910

PaO"es

r. DocumenLs sur- te-- Ca- p-Sizun. ' 1. Lettre de

III.
M. Le Gçtllo, curé de l'île, 17'14, par 1\'1. DANIEL
BERNAR.D; ......... " ............. :.. .... 3

Le Cap-Sizun (suiLe): La Morue du Raz de Fon- "
tenay, par M. H. LE CARGUET ... .... , ," ... ,.: 8
Qpelques .testaments des ' XVe et XVIe siècles "
(Arc,hives de l'Hôpital de,l\1orlaix), par·M. JEAN ' "

l\1ARZIN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . 27

1 V. Episodes et anecdotes (4

série). Quelques ,
types de plaideuses en Basse-Bretagne au
. XVIIIe siècle, par M. l'abbé ANTOINE FAVÉ. .... 65

V. Eglise de Sizun et ses annexes (petite monogra-
. phie), par 1\'1. le Chanoine J.-M. ABGRALL ..... . 128

VI. Note sur une ancienne ' bannière conservée

VII.
VIII.

(lans J'église. de Taulé, par M. H. BOURDE DE
LA ROGERIE.. .. ...................... .... ... 139

Note sur trois vieilles pierres trouvées à
Carllaix, par M. E. CHARBONNIER .... ... ' ....... "

Etudes sur le Cap-Sizun. -- III. A propos de la
c- hapelle de Monsieur Sainct-They, en Cléden-

Cap-Sizun, par l'IL DANIEL BERNARD .......... .

Eglises et Chapelles du FinisLère (suite, voir
tomes XXX, XXXI, XXXII, XXXIV, XXXVI).
Doyennés de Cbâteaulin (fin), Crozon, Le Faou,
Le Huelgoat, Pleyben, par M. le cbanoine
143
145
PEYRON. . . . . . . . . . . . . .. o 16'1, 292,
Notes sur Cbâleauneuf-du.,.Faou et ses environs

. pendant les guerres de la Ligue, par M. RAY-
MOND DELAPORTE.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186

Xl. Les peinLures de la voûLe du chœur dans l'église
de Pouldavid, par Douarnenez, par M. le cha-
noine J.-M. ABGRALL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

XII. Voyage d'Henrielte de France, reine d'Angle-
t.erre, en Bretagne (1644), par M. H. BOURDE
DE LA ROG ERIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

XIII. Une ardoise gravée trouvée dans un monument
mégalithique de l'île de Groix, par M. A.
MAR'rIN (planches).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
XIV. LisLe des JuridîcLions exercées au XVIIe et au
XVIIIe siècles dans le ressort du Présidial de
Quimper (1 el' arlicle : sénéchaussées de Brest
et de Carhaix), par M. H. BOUHDE DE LA ROGERIE. 248

FIN -'

Imprimerie -;0 TONNEe, LEPR!fI!CE. Suce. - Quior.fJe,