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Bulletin SAF 1910


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Notes sur Châteauneuf-du-Faou et ses environs pendant les guerres de la Ligue

Raymond Delaporte

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1910 tome 37 - Pages 186 à 205

pendant les guerres de la Ligue

. En terminant son Histoire de Bretagne, d'Argentré, le vieux
patriote breton ('i), oppose au tableau de la France, désolée
par les guerres de Religion, celui de la Bretagne, jouissant,
depuis près de cent ans, des bienfaits de la paix. « En ceste
agréable sOuvenance de tranquilité et concorde, mère de
tous biens, écrit-il, je donneray icy repos à nion travail
(1D82) (2) )). Malheureusement cette ère de calme et de
prospérité ne devait · plus être de longue durée. Sept ans
plus . tard, la mOrt de Henri III et les compétitions, provo­
quées par sa succession, suscitaient en Bretagne des luttes
sanglantes. Dans aucune autre pruvince, lorsque se sera
dissipée la fumée des batailles, que se seront dispersées les
troupes de pillards qui, sous couleur d'opinion, · se livreront
aux brigandages les plus atroces, on ne trouvera un tel
amoncellement de ruines fumantes et de cadavres. La plume,
à la fois vigoureuse et pittoresque, du chanoine Moreau (3)
a laissé de cette époque une saisissante description : ses
couleurs ne sont pas poussées au noir; la note n'en est pas
forcée; les documents, exhumés chaque jour de la poUssière

des archives, le prouvent de façon incontestable .

(1) L. GRÉGOIRE. La Ligue en Bretagne, p . .38.

(2) D'ARGENTRÉ. His"toii'e de Bretagne (Edition de 1616), p. :lO54.

(3) Jean Moreau, chanoine de Quimper, conseiller all présidial de cette
ville, mort en 11)17. Auteur de l'Histoire de ce qlli s'est passé en Bretagne
durant les gueiTes de la Ligue, et particulièrement dans le diocèse de
Cornouaille. Manuscl'it publié par M. LI> BASTARD DE MESMEUR. Brest et
Paris 1.836, in-8· ; 2" édit. ôaint-Brieuc, in-8·, 1.857. Les notes renvoient à
cette dernière édition.

187 ,--.

Ce mémoire , n'est pas un appendice à l'histoire de la
Ligue; son seul but est de grouper d'autres documents, dont­
quelques-uns inédits, autour de ceux qu'a laissés le chanoine
Moreau sur Châteauneuf-du-Faou et le pays avoisinant. On

verra se manifester presque à chaque ligne, la sûreté d'infor'-
mation et la véracité du chroniqueur. On aura surtout un
exemple des calamités qui assaillirent une petite ville de
Basse-Bretagne pendant la Ligue. Car la situation de
Châteauneuf, a u cœur même de la Cornouaille, ['exposait plus
que toute autre aux incursions des Ligueurs et à celle des
Royaux. " .

La Bretagne presque entière se déclara pour la Ligue (1).
Réfractaire aux idées protestantes (2), ayant en lout cas
refusé de sui vre les nombreu-x et puissants seigneurs qui, tout

d'abord (3), s'étaient montrés favorables aux principes de la '

Réforme ou les avaient même adoptés, elle ne pouvait tolérer

l'accession de Henri IV au trône. D'autres aspirations se

firent-elles jour à cette époque'? Certains esprits se reprirent-
ils à rêver de l'ancienne indépendance, croyant le moment
venu de secouer le joug? (4). La chose est possible, mais
quoiqu'il en soit, il y avait, en Bretagne, un terrain hostile
au Protestantisme et à Henri IV. Mercœur, le comprit à

merveille (;)).

(1) Association formée en i576 pour la défense des intér êts catholiques
cn Picardie. Elle s'étendit rapidement dans toute la France sous le nom '
de Sainte-Ligue ou de Sainte-Union .

(2) L. GRÉGOIRE, op. cil" préf. p. x. D'ARGENTRÉ, op. cit., p. !OM.
(3) DE CALAN, La Bretagne et les Bretons au X,VI' siècle, p. 253.
(4) L. GnÉGOlRE, op. cit., pré f. p. xij, xiij et xjv n. L .
(5) L. GnÉGOIHE , op. cit., p. 54. DE CARNÉ, Correspondance du duc de
Mei:cœur et des Ligueurs Bretons avec l'Espagne: T. 1, préf. p. xx et xxj. -
Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur (i558-1602), époux de
Marie de Luxembourg et de P enthièvre, gouverneur de Bretagne et chef
de la Ligue dans ce pays ; mort à Nüremberg', au cours d'une campag'ne
contre les Turcs. Ses adversaires l'accusent d'a voir voulu faire valoir
les droits de sa femme à la couronne de Bretagne.

-, 188

Par religion ou par politique, la résistance s'organise: les
alliances se scellen t; des villes, la Ligue gagne les cam-

pagnes. Dès HS89, Châteauneuf-du-Faou, comme le reste de
la Basse-Bretagne, s'est rangé sous l'étendard de la Sainte­
Union et au mois d'octobre d'e la même année, ses paroissiens,

proposent aux Quimpérois de conclure avec eux un traité de
défense mutuelle (1). Les habitants de Quimper se montrè-

rent-ils flattés de ces ouvertures '? Il faut le penser ...
Châtea uneuf, d'ailleurs. en raison de sa' position, était

destiné à essuyer les premiers coups des gens de guerre qui
allaient fondre du pays de Tréguier et de Goëllo ,sur la
Cornouaille.

L'année suivante, en 1590, l'orage qui menaçait depuis
, quelque temps, éclatait dans le Poher. Une troupe de Royaux
des évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc, marchant au
secours du château de Kerouzéré (2), apprit en route la
reddition de cette place, Elle comptait environ 500 hommes (3)
qui, à cette nouvelle, se dirigèrent sur Carhaix: la ville fut
prise le 5 septembre 1590 (vieux style) et mise à sac (4). Cet
exploit accompli, les Royaux se · retirèrent dans leurs
garnisons de Quintin et de Moncontour. Mais, vers le milieu
de novembre suivant, ils revinrent à Carhaix, qui eut plus
encore à souffrir cette fois que de leur première visite (5).
L'un de leurs chefs était Yves du Liscoët. Né au château

(1.) A. DE COURSON. Essai sur l'histoire, la langue et les institutions de la
Bretagne armoricaine, . p, 567.
(2) En Cléder, évêché de Léon, commandé par Boiséoll de Coatinizan,
qu'assiégeait un parti de Lig'ueurs. ,

(3) H. BOUHDE DE LA HOGEIIIE. Bulletin de la Société archéologiqlle du

Finistère, 'i8()8, p. 263-2G5 .
(4-) MOHJ ;AU. op. cit., p. 192 et 19(). Le récit du chan. Moreau est à com­
pléter et, SUl' plusieurs points, à rectilier par l'étude de M. H. BOUHD1~ DE
LA ROGEl1m sur la prise de Carhaix (15()O), publiée dans le Bulletin de la
Soc. archéol. du Finistère, 1.8()8, p, 255 à 271.
(5) H. llOUfWE Dl!: LA ROGERIE, ibid., p. 259, 263 et 268.

189 --
du. Liscoët ('1 l, en Boquého (2).. dans l'évêché de Tréguier, il
était seigneur du Bois-de-la-Roche (3), près de Guingamp,
où il résidait d'ordinaire; mais, à cette solitude, il préférait
la vie plus aventureuse et plus lucrative des camps (4).
Depuis plusieurs années au service du Béarnais, il avait été
nommé gentilhomme de sa chambre en 1Q86 et en 1~90, il
avait reçu au camp de Mantes le commandement d'une
compagnie de ~O lances (~). C'était donc. un des partisans les
plus ardents de Henri IV en Bretagne. Les scrupules religieux
ne le gênaient guère; il s'était fait protestant pour épousér
Philippe de Maridor, angevine, ( belle par excellence J) (6) .

C'était l'homme des coups de main, saisissant l'occasion dès
qu'elle se présentait. Peut-être avait-il pris part à l'affaire
.de Quimperlé, dont le gouverneUl;, François du Chastel,
seigneur de Chateaugal, ne parvint · à s'échapper qu'à
grand'peine (7). Certainement il avait pillé en Poullaouen, Je
Tymeul', château appartenant à Vincent de Plceuc (8). Au
reste, ( il ne s'étonnait pas pour le bruit)} (9).

La présence à Carhaix de Royaux commandés par un
chef aussi entreprenant inquiétait les garnisons des châteaux
comme Le Kergoat et Le Grannec (10) ; elle ne pouvait que
répandre 'la terreur dans les campagnes. Les paysans
résolurent donc de s'en débarrasser.

(1) LEvo'l.'. Biographie Bretonne, v· du Liscoët, t. II, p. 3!~8.
(2) Aujourd'hui commune du canton de Châtelaudren (Côtes-du-Nord)

(3) En Coadout, paroisse de l'évêché de Dol, enclavée dans l'évêché de
Tréguier, aujourd'hui commune du canton de Guingamp.
(l~) MOREAU, op. cil., p. 150.
(5) LEVOT. Biog. Bret., v· du Liscoët.
(6) Chan . MOflEAU, op. cit., p. 271-272.
(7) Chan. MOREAU, op. cit., p. 8~.
(8) H. BOURDE DE LA ROGERIE.Bull. de la Soc. al'chéol. du Finistère,
T, XXVI (1898), p. 259.
(9) Chan. MOREAU, op. cit., p. 1~7 .
(10) Ibid., p. ()l~ et ml. ' Le Kergoat, en Saint-Hernin. On ne sait exacte·
ment si le château du Gl'annec se trouvait en Landeleau ou en la trêve de

Collorec.

190

Deux attaques successives aboutirent à deux défaites. Les

paysans de Plonévez-du-Faou, Landeleau et Cléden-Poher

ouvrirent les hostilités contre du Liscoët (1). ' Ils étaient
conduits par un gentilhomme de la trêve de Collorec,
Lanridon (plutôt LhaTidon). C'était un vieux soldat, mais il

ne put se faire obéir de ses hommes : il mourut très coura-
geusement avec un grand nombre d'entre eux, près du pont
du Moulin-du-Duc . (2), dans une embuscade tendue par
l'ennemi (3) .
I.e lendemain, Ie-s paroisses de Pleyben et de Brasparts,
commandées par du Bi-zit (de la Boixière ?) et un prêtre
nommé du Leinlouet renouvelèrent l'attaque sans attendre

davantage les renforts voisins (4). Cette audace ne servit
qu'à rendre la journée plus désastreuse (5) .

Les contingents' de Spézet, Châteauneuf, Loqueffret,
Lennon, Gouézec et Briec, n'arrivèrent que pour apprendre
la déroute (G). Ceux de Châteauneuf avaient à leur tête un
sieur de Penanguer-Keroc'hent (7); croyant sans doute à

(t) Sur l'esprit du paysan au début de la Ligue, les lignes suivanles sont
intéressantes: « On prétend que s'ils avaient eu l'avantage, leur dessein
étoit de saccager touttes les maisons de noblesse et. de l'exterminer
~ritièrement pour estre tous égaux et n'avoir pel'sonne au-dessus d'eux ... »
Essay sllr l' Histoire de la Ligue en Bretagne, par GuyoT-DESFO~TAINES.
Bibliothèque Nationale, manuscl'Ït français, 82ï3, { 'o ' 155 l'0.
(2) Aujourd'hui Moulin-du-Roi, en Plouguer, près Carhaix.
(3) Chan. MonEAu, op. cit., p. 95·97.
(l~) Ibid. p. iOO.
(5) Ibid. p. 9U.
(6) Ibid. p. 97-100 .

(7) Kerorhant était une seigneUl'ie en Laz, près de Ponl·Pol. Nobles
de Laz: En 1426 ... Allain Glaz, gentilhomme, an manoir de Kerouc'hanl
(Bibliothèque Nationale, Ms. fr"; no 83H). Ellll~8i ... Henry Le Glaz, archer

en brigandine (cuirasse légère), injqnction d'avoil' payé et mettre noble
homme pour luy, au lieu d'Orges Lannor (Urgoes Larvor ?) pal' qui il

paraît ... (DE FnÉMINvILLE, Antiquités dll Finistère, T. II, p. 346). En 1.536 ...
Ansquer Le Glas, sieur de Kerurhant ... (Réformation de l'évêché de Qllimper
pOlir l'année 1536. Bibliothèque Mazarine, manuscrit 3ID3). En 'J 562: .. le
sieur de Kerouchamp, présent, dict faire corselet (DE FnÉMl;'olVILLE, op. cit.,
II, p. 478). Compte de la chapelle de Notre·Dame des Portes pour
l'année i5U2-i593 : offrande pour la chandelle tenue devant l'image de
Notre-Dame: .... Mademoiselle de Kerorgant. ....

. 191

one trahison, ils le massacrèrent. Le chanoine Moreau
ajoute qu'ils jetèrent son corps (1 dans une profonde fosse
parmi des épines)) ('L). ·Quant · à àu Liscoët, il abandonna
Carhaix après l'avoir incendié (2). .
III

Châteauneuf-du-Faou prenait donc une part effective aux
entreprises des Ligueurs. La même année ID90, ses habitants

contribuèrent à l'affaire de Roscannou, en Gouézec. Ce
manoir appal'tenait à la veuve d'un conseiller au présidial de
Quimper, hostile à la Ligue. Il lui arriva un jour de donner
l'hospitalité à un grand nombre de parents et d'amis revenant

de Rennes. Bien vite la nouvelle se répandit qu'une troupe .

de ' Royaux s'était réunie à Roscannou pour massacrer les
paysa ns. Il était pl'udent de prendre les devants. Les issues
du manoir furent cernées et les assiégés, au nombre de 90
environ" . furent massacrés sauf deux enfants, la jeune
baronne de Kerlec'h et l'héritière de Roscannou (3). Du côté
des assiégeants, il y eut, sinon des victimes, du moins des
blessés. Le procU'ceur-Iabrique de la chapelle de Notre-Dame '
des Portes déclare, en etIet, dans son ' compte, avoir versé à
l'un d'eux, un cel'tain Yves Le Du, de Châteauneuf, la
somme de 100 sols (4). . . '

L'attention des habitants de Châteauneuf ne tarda pas à

(>l) Chan, MOREAU, p. WO-10L
. (2) Ibid. p. 100. . H. BOURDE DE LA ROGERIE : lac. cit., p. 266.
(3) Voir.le récit du chan. MOREAU, p. W8-H2. - Il faut remarquer qu'à
Roscanllou les paysans étaient conduits par des gentilshommes .Ligueurs.
Cette tuerie doit donc être considérée comme un épisode des guerres
religieuses et non comme llJle scène de Jacquerie. .
(4) C'est le livre de compte que Rand Guillaum e Le MoaU, de la ville de
. ChasteaLlHeuff; en qualitté de procureur-fabrique l'àn dernier du 20" d'augst
en la chappelle de Notre-Dame des Portes prez la ville ... ce fuet faict le
1.2" de novembre 150L Descharges : ... par l'assentement des paroissiens
à Yvon Le Du, dict son fils qU'il fut bleczé en la bataille de Roscannou ... .
tOo s.

être détournée. Le fameux La Fontenelle (1) avec une troupe
de Ligueurs venait de s'installer à Carhaix, dans l'église de
Saint-Trémeur, qu'il fortifiait pour en faire le centre de ses
opérations en Basse-Bretagne. C'était un allié. Mais il fit
payer si chèrement son alliance, qu'au mois de mars 1592 (2),
les députés de Châteauneuf-du-Faou se plaignaient aux Etats
de la Ligue, tenus à Vannes, des exactions de leur dangereux
voisin. « La Fontenelle, à main armée, les avait, disaient-ils,
forcés, pillés, ravagés et tués grand nombre, avec des
grandes hostilités, avec beaucoup d'autres cruautés insolentes
commises par lui et les siens, que les plus grands ennemis
n'eussent voulu commettre » (3). Ces députés s'appelaient
Hervé François (4) el Jean Breut (5). La Fontenelle appré­
henda un jour ce dernier à l'hôtellerie de la Tête-Noire et lui
tint des propos peu rassurants: « J'ay entendu dire que vous
estes venus faire plaincte de moyen ces estatz, mais par la
mor-Dieu, regardez bien à ce que vous direz, car selon ce que
· vous direz, je vous coupperé le col. . » Et il lui mit le poing
sous le nez (6). Une informat.ion fut ouverLe et La Fontenelle
jeté en prison, plutôt pOllr ces menaces qu'en raison de ses
criines (7). L'aiIaire n'eut d'ailleurs pas de' suite. Mercœur
avait besoin de tous ses partisans poUl' secourir Craon (8),
assiégé par l'armée Royale. La Fontenelle fut donc remis
en liberté (9) .

(1) Guy Eder de Beaumanoit·, sieur de La Fontenelle, jeune chef Ligueur,
célèbre par ses brigandages. Originait'e des environs de Quintin, il opéra
d'abord dans le Tréguier, le Goëllo et le Poher, avant de descendre en
Cornouaille.
(2) Le chan. MOHEAU dit à tort au mois de mai, p. :l36. A. DE BARTHÉ-
LÉMY, op. cit., p. 99 .
. (3) Chan. MOREAU, op. cit., p. '137 .
. (4) Notaire à Châteauneuf-du-Faou.
(5) A. DE BARTHÉLÉMY, op. cit., p. 08 et 00.
(6) Ibid. p. 99.
(7) Ibid. p. 99.
(8) En Anjou; aujourd'hui chef-lieu de canton du département de la

Mayenne.
(9) A. DE BARTHÉLÉMY, op. cit., p. 09. Chan. MOREAU, op. cit., p. :l37.

- 193

Fidèles encore à la Ligue, mais sans doute avec moins de
zèle qu'auparavant, les habitants de Châteauneuf fournissaient
à la cause, .outre l'appui de leurs bras, celui de leurs subsides.
Le ( souldoiement des gens de guerre »,qui tenaient garnison
dans les châteaux voisins, nécessitait des contributions assez
élevées. Les comptes de la chapelle des Portes font mention
. de quelques-uns de ces versements. C'est vers la fin de Hi92,
'100 livres au se}gneur du Grannec, puis peu après GO livres
à Pierre de Coattredrez (1). L'un ou l'autre tenaient pour la
Ligue. .
Le château du Grannec, construit au milieu du XVIe siècle
par Guillaume de Coatanezre (2), appartenait en 1G92 à son
fils Vincent de Coatanezre, sieur du Grannec et de Prat­
maria (3). Ancien soldat, il avait, en 1G76, repris Concarneau
sur les Calvinistes, qui s'en étaient emparé par ~urprise (4).
Il avait fortifié le Grannec et y entretenait une garnison de

,tG à 20 hommes. Il put même envoyer un secours de dix
arquebusiers au Kergoat, menacé par du Liscoët, lors de la
prise de Carhaix (G). D'humeur plutôt pacifique, il avait
éconduit les paysans qui lui demandaient de se mettre à leur
tête pour combattre du Liscoët et leur avait désigné Lanri-

don (6), sans doute l'un de ~es compagnons d'armes.

(1) C'est le compte que Rand Yvon Le Moel de Lanmeur, :iiant esté
procureur sindicque .. des Porles, siUué ès issues de Chasteaul1euf.., de
ses Receptes que des .. ... par luy faict.z en l'entolll' de ladicte chappelle et
au ltre, s de:n puix le 20· jour. . . .. .. 5!J2 jusques ledict ..... et ce jou r Ge de
septcmbre l'an ... !J3. Décharge: Payé à Urgoez Jaffrez procureur terrien
pour en voyer à Monseigneur Le Grannec pour le sonldoiement de ses
soldatz, par le consentement de paroissiens, 100 livres, à Urgoez an
Arvor, procureur terrien, pour cotisation qui nous fut faict du souJdoie­
ment des souldatz à Msr de Coetedrez estant au Chasteaugal, 50 livres. -
Comme les procureurs terriens sortaient de charge, à Châteauneuf, Je
1" dimanche de l'Avent, Urgoez Jaffl'ez fut remplacé par Urgoez an Arvor
le 29 novcmbre -1592.
(:2) Chan. MOHEAU, op. cU., p. 217.
(3) En Ergué-Armel, près Quimpcl'.
(4) Chan. MOHEAU, p. 72 P-t 76.
(5-6) Ibid. p. !J5.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. , TOME XXXVII (Mémoires 13) ,

Quoiqu'il en soit, le Grannec était une place assez forte pour

inspirer respect, bien que les habitants des environs y eussent
entassé toutes leurs richesses (1);' .
La cotisation exigée par Coattredrez était moins importante;
elle lui fut versée à Châteaugal. y séjourna-t-il longtemp~ ?

Comme hôte ou comme ennemi? Etait-il encore ligueur à
cette époque comme le pl~opriétairede Châteaugal, François

du Chastel, l'ancien gouverneur de Quimperlé: (2) '? Il ne

tarda pas, en · effet, à se ranger ' dans le parti du Roi et y

joua même un rôle import9.nt (3).

Les contributions devaient paraître d'autant plus lourdes
aux habitants de ChâLea'uneuf, qu'elles ' étaient inefficaces.
Du Liscoët n'avaient pas . oublié que « l'oie étailgrasse))
en Basse- Cornouaille. Après la prise de Craon', il revint à ·
Quintin '(4) ;mais, obligé de rendre · cette ville à .l'al~mée de

Mercœur (a), il s'empara de Corlay (mars 1593) qu'il fortifia,

(i) Le chan. l\10!l.EAU prétend (p. -102) que du Liscoët détourna ses
hommes du Grannec, pal'ce que Vincent deCoalanezre était son parent :
et que lé fils de ce dernier combattait sous ses ordl'es. Ces circonstances
ont pu empêcher Coatanezre de se mettre à la tête du motivement contre
du Liscoët, mais n'ont pas eu d'influence sur la détermination dè celui-ci,
qui cl'aignait plutôt de subir un échec devant Le Grannec. Trois ans après
(1593), en effet, du Liscoët préparera un coup de main contre ce château
(Ibid. p. 154). .
(2) Chan, MOREAU, p. 86-87. La seigneurie de Coettredl'ez se trouvait
en Tl'edl'ez, év. de Tréguier, aujourd'hui commune du canton de Plestin­
les-Grèves (Côtes-du-Nord). En 1602, Pierre de Coettredrez fournit aveu
à la Chambre des comptes pour cette ' terre (Arch. de la Loire-Inférieure,
B; ·i654). A la même époque, la terre de Pennaut; en Pleyben, lui appar­
tenait (Ibid., B. H45). Dans un aveu de la seigneul'ie de Tréziguidy, en
Pleyben (025), l'al'rière-petit-fils de François du Chastel déclare que le
château et les titres ont été brûlés par les Ligueurs, le seigneur tenant le
le pal'ti du Roi (Arch. Loire-Infél'ieul'e, B. H45). Il se trompe ou François
du Chastel changea de pal'Li, comme Pierre de Coettredl'ez.
(3) En fèvriel' ' 15()5, Coettredl'ez commande pOUl' le roi à Morlaix une
compagnie de 30 salades (A. DE BARTHÉLÉ~iY, op. cit., p. ' 1()1). A la fin de la ·
même année, c'est sous son commandement que .l'on met le blocus devant
l'île Tristan pour essayel' de réduire La Fontenelle (Ibid. p. 202-204). '
(4) Chan. MOHEAU, p : 150 et 140.
(5) Ibid. p. f48 .

" 195

décidé à s'y maintenir pour diriger de ce lieu ses expédi -­ tions ('1).
Le mardi 23 mars Hi93, il s'abattit à l'aube sur Châteauneuf­
du-Faou~ avec 300 ou 400 hommes d'armes . et y commit les

mêmes excès qu'à Carhaix en 1390. « Plusieurs des habitans
et réfugiés y ·furent tués, les autres qui pouvaient payer
rançon retenus prisonniers, il fit mettre le feu aux plus belles
maisons de la ville, qui causa une grande ruine ». Les

soldats étaient calvinistes . et les prêtres furent particulière-

ment pourchassés (2). . .
Suivant un acte notarié du 12 janvier H594 (3), un certain
Jean Capitaine fut obligé de payer pour sa rançon et ses
dépenses lasomme importante de 680 écus sol.

Le même acte - nous apprend que du Liscoët et sa troupe
séjournèl~ent à Châteauneuf deux jours, du 23 au 25 mars.
Jean Capitaine ne fut, en effet, emmené au château de Ros- .
(1) Chail. MOREAU, op. cil., p. 150.

(2) Ibid. p. 150-151.
(3) Entre Me Jehan Capitaine et Françoise Kernonrz, sa fame, Mc Henry
Capitaine, leur filz, demeurant au lieu de Penanl"oënnec, en ChasLeauneuff­
du-Faou, et Marie. Raoules, veu ve de Mc .Guillaume Capitaine, démeu·rallt
au lieu de Penanfoënnec, est cogneu, sçavoir ledict 1\1.e Henry Capitaine
a'voir du bien de Marie Le Fol, sa femme, et aultres mOtens par luy trou vés
pal.' prest,faict l'advancze de 680 escuz sol pour la ranczon dudictMc Jehau
Capita.ine, son pèl'e, et pour l'a voir pansé en sa des panse estant prisonnier
ès prisons et chasteau de RostrenCI~ avec le sieur du Liscouet et aultres
enemis du party contraire à l'union de l'église catholicque, apostolicque
et Romaine depuix la my-Karesmc demier passé et pour la l~écompense et
paiement de la dicte some a lèdict ~ic Jehan Capitaine ô (avec) le gré et
consentement de sa dicte femme et d'icelle Haoulles sa mère, v;,n,du et
par cestes vand et transporte audict Me Henry Capitaine, acceptant pour
luy et sa dicte feme, sçavoir pour ladilel\farie Le FoU sa femme, pour

équipolant de 600 escuz provenantz de son bien et pour luy pour le resle
quest' 80 e· scus, scavoir (Sllit l'énumération des immeubles vendus) .... par
noslre court de Chasteam::ieuff-du-Fouet souLz le sceau des contraclz de
cette et le grès prins chez" Guillaume Derien en la ville de Chasteauneuff­
du-Fou le 12· jour de janvier avant miely l'an 1594- et ont les dictes
l~el'llOUl'Z . et Rao, ulles disantz ne sçavoil' signé prié Me Guillaume Le
Dinasquet de leur cognoiss31lce de ce faire pour elles. Ainsin signé J.
Gllpitaine, H; Capitaine, G. Dinasquet, C. Cariou et Y. l'tion, sur le registre.
- Y. Riou notaire royal. ..

196 -
trenen ('1) que le jeudi de la mi-carême,' c'est-à-dire le
25 mars (2) ; or, du Liscoët était arrivé le 23. Durant ces
deux jours les pillages succédèrent aux meurtres et les incen­
dies aux pillages .. Un grand nombre de maisons furent brûlées,
principalement aux abords de l'églîse paroissiale et ' de la

Croix-Rouge
VII
Le fait pl;incipal qui signala le passage de du Liscoët à
Châteauneuf fut le meurtre d'un prêtre par l'un de ses soldats
en d'émouvantes circonstances. Le récit du chanoine Moreau,
bien que fréquemment reproduit~ retrouve naturellement sa
place, parmi ces notes : (( Lorsque les soldats pillaient
l'église de Châteauneuf, l'un d'eux alla au sacra ire, où il
trouva le ~aint ciboire, dans lequel il y avait . une hostie

sainte, suivant la coutume d'yen tenir toujours une pour
subvenir aux maladies quand la nécessité le demande ;
ledit ciboire était d'argent. Les soldats hérétiques, ennemis
du Saint-Sacrement de l'autel, l'ayant premièrement pris
. et par leurs mains sacrilèges, jetèrent la dite hostie par
terre à leurs pieds, tenant un des prêtres de ladite église
prisonnier présent à ce spectacle, qui, ne pouvant endurer
une si grande impiÉ'té faite contre le Saint-Sacrement,
touché du zèle de Dieu, se prosternant avec grande humi­
lité à terre, adorant par une brève oraison le corpus domini,
le lève avec une humble révérence de terre, et le mettant
en la bouche l'avale. De quoi l'hérétique sacrilège, qui le
tenait prisonnier, ému de rage, tire son épée et disant ces
mots : Eh quoi ! misérable, tu idolâtres encore en ma
présence! le traversa de part en part de son épée et le tua
sur le champ. Ainsi mourut ce bon prêtre, duquel je n'ai

(1) Dont les Royaux s'étaient emparés en 1592. (Chan. MOHEAU. op. cU.,
page 145).
(2) L'an {593, Pàques tombant le 18 avril, le jeudi de mi-carême se trou­ vait donc le 25 mars et le 23 mars était un mardi.

197 ,.

encore su le nom, pour l'honneur dû à notre rédemption (1) Il,

Le chanoine Moreau donne comme théâtre à ce drame
l'église paroissiale (2). M. Le Bastard de Mesmeur corrige
cette indication par la note suivante: « Ce meurtre sacrilège
eut lieu, non dans l'église de Châteauneuf, mais dans la
ohapelle des Portes» (3). Mais en l'absence de documents
décisifs, il semble préférable de tenir pour exact le récit du
contemporain. D'ailleurs une tradition locale mal interprétée

a sans nul doute été la source à laquelle M. Le Bastard de
Mesmeur a puisé sa rectification. En t8H), en effet, lors de

l'attaque de Châteauneuf par les chouans, un prêtre ou plu-
tôt un séminariste, Julien Nicolas, fut tué près des Portes (4).
On raconte qu'il aurait été la seule victime de la journée .

Blessé seulement, les gendarmes essayaient vainement de
l'achever à coups de sabre dont ils le transperçaient.
Sur la remarque d'un des assistants qu'il devait porter un
objet le rendant invulnérable, on le fouilla et son chapelet
lui fut enlevé; il rendit aussitôt le dernier soupir. · 11 fut
inhumé dans le cimetière des Portes; ses parents vinrent du
Morbihan assister à un service célébré peu de jours après.
Leyr peine faisait mal à voir: ils avaient déjà perdu deux
enfants pendant la même guerre (5). Ce récit montre que les
habitants de Châteauneuf furent vivement impressionnés par
cet évènement; on ne tarda pas à entourer cette mort de

(:1.) CHAN. MOREAU. op. cil., p. :l.5H52.
(2) Sous le vocable de N.-D. de Tremahen, Tremazen ou Tremaven, on
prononce aujourd'hui Tremaën .

(3) Chan. MonEAu. 2

édit. p. 151 n° L Lors de la r econstruction de la
chapelle des Portes en lH9~, M. Péron curé-doyen de Châteauneuf-du­
Faou a fait représenter cet épisode de, '! guerees de religion sur les vitraux
du transept nord. C'est à son initiative efficace et entendue que l'on doit
aussi la re~tauration du portail édifié en i~38 par Jean Le Prat.
(~) Hegislres d'Etat Civil de Châteauneuf-du-Faou. Décès du 1

juillet
:1.815. Julien Nicolas, âgé d'environ 2~, ans, originaire de l\'eulliac (Morbi­
han), est mort ce malin SUl' les 10 heul'es près le Pont-Tadic, en cette
commune, par suite des Blessures qu'il avait reçues à l'attaque de
Châteauneuf .
. (5) Voir dans le Fureteur Breton T. V. p. 129, un article de M. P, HÉllo!( .

' " 198 . .
circonsta· nces merveilleuses. Et quand la tradition locale

place aux Portes la mort d'un prêtre, c'est à Julien Nicolas

qu'elle fait allusion et non à la victime du soldat de du Lis-

coët,' dont le souvenir ne s'est pas perpétué aussi longteITlPs .

Le chanoine Moreau ne nous a pas laissé le nom de celte

pieuse et sainte victime des guerres de religion. Mais devait-

il cependant rester toujours inconnu? Il était permis d'espé-
rer qu'un jour cette lacune serait comblée .

Les déclarations des «( maisons) terres et autres héritaiges »

tenus sous le roi en son domaine de Châtea uneuf, fournies

en exécution d'arrêt du Conseil d'Etat et de Lettres Patentes

données au camp devant Ypres Je '19 mars ' 1678, contiennent

au moins deux fois la mention d'une maison sise à Château-

neuf-du-Faou et appelée la maison du cure Dàien . . La pre-

mière de ces déclarations est celle d'Alain Quéré, sieur de

Keriégu, bailli de Châteauneuf et annexes; elle comprend

l'article suivant: « maison du prebtte Derien, jardin, apla-

cement de maison, issue, courtil, dit Liors goas Doure,
acquis par Maurice Quéré, sieur de Penanfoënnec,père du

déclarant, de · Me Jacques Breut par contrat du 23 février

1671 » {il. De son côté Jacques de Muzillac prétend une

rente de 18 sols à cause de sa seigneurie de Pratulo (Cléden-

Poher) (2) sur « une ruine et aplacementde maison vulga-
risée la maison du CUTe Derien fer'ante du levant sur maison

et verger à Maurice Quéré sieur de Penanfoënnec, du Midi

sur venelle par laquelle dévale l'eau de la fontaine de la
ville de Châteauneuf dite Fontaine an Sc aven, du Couchant
sur Liortz (courtil ) à Marie Le Fol, dame de Kerandraon,
du Nord sur PLaçan istOT, autrefois habitée par Thépault.
Derien prebtre». L'attention est retenue par cette désigna­
tion sous laquelle est connue à Châteauneuf vers la fin du
XVIIe siècle une maison avec ses dépendances (3) .

(:1.) Archives Nationales. P. i7lf8, 1' os 423-4!f2. .
(2) Arch. N ut. P. :1.748, 1'os 1163-471,
. (3) Numéros W3, W4 et peut-être. I02 de la Section G. 1ieu-çlH n° i de
Ch~teauntluf-du-Faou.

- - ._ .... ~ 199 ,_ ",.

Qu'était ce prêtre Derien, assez célèbre pour avoir laissé
son nom à la maison où il avait demeuré? La liste des 1'ec-

. teurs, curés et prêtres de Châteauneuf-du-Faou et de sa trêve
Le Moustoir, qui ne remonte pas à plus haut que t624, ne

donne pas ce nom. Les comptes de quelques chapelles men-
tionnent, il est vrai, un prêtre du nOI11 de Derien de 1616 à
1628; mais outre qu'il semble avoir résidé à la campagne et
dans la partie occidentale de la paroisse, ·son prénom était
Jean (1). Aucune confusion n'est donc possible. D'ail leurs
l'appelation de maison du curé Daien, était antérieure à
l'époque où il est question de Jean Derien. En 161'1, une

partie des immeubles qui feront plus tard l'objet de ]a décla. -
ration d'Alain Quéré fut donnée à cens à son aïeul NoëJ
Quéré. Or ces biens étaient « ferantz devers l'ocident sur
« courtil et maison de jouxte dicte l'yan cnré Derien); (2 ).
Cette désignation n'était pas seulement usitée par les proprié­
taires de la maison, . elle était encore employée par les voisins
pour leurs tenants et aboutissants. Bien plus la mémoire de
Thépauit Derien était assez vénérée pour qu'en 1624.la fabri­
que de l'église paroissiale fit célébrer en son honneur un ser­
vice dont elle prenait les frais à sa charge frais considé­
rables puisqu'ils s'élevaient à 60 sols (3) .
Voilà donc un prêtre dont le nom est resté à sa maison

longtemps après sa mort, pour qui la fabrique faisait célébrer
des services, bien qu'il n'eut fail aucune donation dans ce
. but. Ne serait-ce pas lui Je prêtre massacré par le soldat de
du Liscoët dans les circonstances rapportées plus haut. Le

(i) Comptes de la chapelle du Vieux-Marché 1.6HH.620 ; de la chapelle
de la Trinité i6i6-HH 7 ; 1626-i627 et 1627--1628.
(2) Du 6 février 'I9B. Subrogation de Noël Quéré dans un contrat de
cens consenti · par ' les paroissiens de Chàteauneot~du-Faou au recteur de
la paroisse.
(:3) Compte de l'église paroissiale ' 1623-1624. « Se décharge le comptable
d'avoit, payé pOUl' le service de Messire Thépault Derien, prebtre, soixante
sols ».

200

doute ne serait pas possible si en 1593 un prêtre du nom de
Thépault Derien était décédé à Châteauneuf. Or précisément
le compte d~ procureur-syndic de la chapelle des Portes pour
1592--HS93 atteste re décès. Le comptable a, en effet, perçu en
exécution du testament de Messire Thépal1lt Derien la somme
de 25 sols. Chacun sait qu'au XVIe siècle il était d'usage
-- surtout pour les prêtres de faire un legs plus ou moins
important à chacune des chapelles de la paroisse et la déli­
vrance du legs était faite peu après la mort par les héritiers.
Cette mention du compte de 1592-1593 permet donc de placer
dans le courant de cette année le décès de Messire Thépault
Derien. Ce ne peut donc être que lui le prêtre massacré dans
l'église de Châteauneuf lors de la venue de du Liscoët. Ces
déductions ne sont ni téméraires, ni hasardées et peuvent
être acceptées par l'esprit le plus exigeant.

Les renseignements n'abondent pas sur Thépault Derien.
Du texte du chanoine Moreau on peut inférer 'qu'il n-'était pas
sans moyens puisqu'un soldat le tenait prisonnier dans le but
évident d'en tirer rançon. Sa signature figure au bas de deux
actes , notariés l'un du 9 août 1562 et l'autre du 18 février
1565 (1), passés tous deux à Châteauneuf. A l'époque de sa
mort il devait donc avoir au moins de 55 à 60 ans; c'est tout
ce que l'on sait de sa biographie.

VIII

. Après'le départ de du Liscoët (2) et le retour des prisonniers
(t) Inventaire des lettres, titres, etc., de l'église paroissiale, dressé le
25 mai 1610 ; pièce cotée E : Testament de Messire Jan Brouuérec, de 'l'ré­
mell(~-Bras, en Chasteauneuf-du-Faou ; signé: J. Brouuérec, T. Del'yen ;
etc. ,Du 18 janviel' 1565 : Par nostl'e court de Cal'ahès, au bailliage de
Chasteauneuff-du-Faou. Yvon Le Moël et Margarille Rouzault, sa femm e,
de Keranlazec, en Chasteauueuf, vendent à la chapelle de N.-D. dl's POI'­
tes, Lous lClIl's dl'oictz, con " enant, édifices et réparations de Douaranabat,
tenus sous la seigneurie dc (illisible) , pour la somme de 40 li Vl'es monnoie.
« Et pourtant qne lesdictes parties ne sça vent signer ont prié Messire
Derien fayre pour euh ... »
\2) Du Liscoël se retira en Haule-Cornouaille. Il méditait de prendre le

201 -,

une fois leur rançon acquittée, Châteauneuf n'allait pas

retrouver la tranquilité et la paix. C'était tomber de Charybde
en Scylla que d'échapper à du Liscoët pour tomber sous la
domination de La Fontenelle. Ce dernier convoitait le Gran­
nec. Ce château situé dans une région non encore dévastée,
pouvait servir de base à des expéditions fructueuses; aussi
La Fontenelle s'en empara-t-il par ruse, en juin H>93 ('1), et
en mil à la porte le seigneur, Viucent de Coatanezre, qui ne
s'attendait pas à parei} traitement dp, la part d'un Jigueur

comme lui. Châteauneuf dut encore contribuer à l'entretien

des soldats de son allié (2), sur le compte duquel aucune
illusion n'Mait désormais possible, car ses brigandages reCOffi-

mencèrent de plus belle (3). Profitant d'une de ses absences,
les paysans des 'environs mirent le siège devant le Grannec ;

mais, prévenu, La Fontenelle tomba sur leurs derrières et
en fit un grand massacre. Il défendit d'inhumer les cadavres,
disant que J'odeur des ennemis morts était suave et douce (4),
Le Grannec resta . en son pouvoir jusqu'à sa destruction par

Grannpc, quand La Fontenelle lui brûla la politesse (Chan. MOREAU, p. {54).
Eh octobré 1594, il sui vit l'armée royale au siège du Fort de Crozon (à l'em­
placement actuel des batleries de la Pointe des Espagnols, en Hoscanvel)
il y trouva la mort en novembre suivant (Ibid. p. 230-27i). Du Liscoët
avait perdu une main à Carhaix d'un coup porté par un sieur Guillaume
Olymallt de Laullai (L. GRÉGOIRE. p. 167 n. i). Il s'était fait faire, paraît­
il, une main articulée qui lui rend ai t les mêmes services qu'une main
naturelle (LEYOT. Biog. Brel. T. II, p. 3/~8), avec laquelle il pouvait tenir un
sabre. (B. J OLLIVET. Les Câtes-du-Nord. T. l, p. 77-78). En ' 1854 la famille
de du Liscoët n'était pas éteinte et un de ses membres habitait un des
plus beaux hôtels de Quimperlé. (B. JOLLIVET. op. cil., p. 78).
(1) Chan. MOHEAU, p. 15H58). Dix soldats de la Fontenelle se présen-
tèrent au Grannec comme venant de la part du gouverneur de Morlaix,
, ami de Vincent de Coatanezre. Ils furent reçus sans défiance et s'empa­
rèrent ainsi facilement de la place .

(2) Compte de Yves Le Moel 1592-1593. « Se décharge d'avoir payé il
Ul'g'oez an Arvor pour cotisation qui nous fust faict pour le souldoiemenl
des sOllldatll de Mgr- Fontenelle étant au château du Grannec, VI xx C
sols 600 livres.
(il) Chan. MUH.EAU. p. 158.
(4) L. GR~GOIRE. op. cit., p. i3~.

202
le duc de Mercœur qui y mit le feu (Hl94) (1). Débusqué du
:Grannec . (2), La Fontenelle se relira d'abord à Corlay, puis
au château de Créménec_ , près du Faouët el. enfin à l'Ile­
- Tristan, près de . Douarnenez~ d'où il ravagea la Basse-Cor-

. nouaille et, rr.algré l'éloignement, Châteauneuf n'était pas à

J'abri de ses incursions, ni de ses tailles (3).

La paix signée en H597 entre Mercœur et Henri IV arrêtait
les hostilités; elle ne mettait pas fin aux misères dont souf-

Irait la Bretagne. La famine sévit même avec plus d'intensité.
La fétocité des loups ne connut aucune bOrne. Sans force

pour se défendre ou pour travailler, les populations eurent à

lutter contre un nouveau fléau bien autrement terrible: la

peste détruisit presque toute la Basse-Cornouaille et le

Poher (4). Châteauneuf et les environs eurent à subir leur

(i) Ce qui n'empêcha pas Mercœur de le traiter dans la suite comme
l'un de ses fidèles partisans.
- (2) Le fils du seigneur du' Grannec servait, on l'a vu, sous du LÏscoët en
1,590 ; en juillet 1594, il complota la reddition de Quimpet' aux Royaux _ ;
l'année suivante (1505) il est l'un des chefs qui commandaient les paysans
i't Saint-Germain. Fait prisonnier, il s'évada ou fut remis en liberté (CHAN.
MOI\EAU· . p. 304). En 1.606, Suzanne de Coatanezre fait aveu pour le
Grannec (Arch. d'Ille-et-Vilaine. Fonds des Carmes déchaussés, liasse 3).­
Elle épousa Vincent de Plœuc et mourut le 1.9 décembre 1628.
(3) Chan. MOREAU. op. cit. p. 305. La Fontenelle fut roué vif en place
de Grève, à Paris, le 27 septembre 1602 (Biog. Bret. de L~vOT.T. l, p. 712).­
Le pays de ChâteaullI'!ufeutà souffrir les pillag'es d'autres chefs de bandes.
La maison de Méros, en Plonévez-du-Faou, fut ravagée par Louis Duples­
six sieur de Kerangoff (Inventaire des titres de Méro.~. p. 338 et 339). Il s'agit
très probablement du commandant du château du Taureau, dans la rade
de Morlaix, qu'il conservait. au roi: « Il se servait de cette bonne position

pOUl' tourmellter impitoyalJlement le commerce de Modaix et se con-
duire en vrai pirate. Il finit après iD ans d'excès par vendre sa retraite à
prix d'argent» (L. GRÉGOIRE. op. cit., p. H4). Duplessix savait donc au
besoin étendre son champ d'action. .
. (4) Chan. MOREAU. Chap. XLIII. p. 37!~-3()t.. Voir aussi l'information dez
dezordres et cruautez des troupez dans l'évesché de Cornouaille depuiz 1.592·
jusqu'à la paix :1.599. Du 23 janvier 1599. (A. DE BARTHÉLEMY, op. cit., p. 232
et 239). On y lit ce passage: « De troys centz personnes qui estoinct aupa­
ravant les dictes guerres, il n'en reste maintenant vingt. .. . c'est l'endroict
de tout le païs et duché de Bretaigne, le plus pauvre el plus ruyné et
plus désolé et où les gens de guerre ont plus abondé. que en nul aultre
endroict dudict pays (Ibid. p. 234-235). Voir enfin L. GRÉGOIRE. op. cit.,
p. 290 n. i.

- 203-

part . de . ces cala'mités. Longtemps après latin de la gu·erre,
les rentes n'étaient pas acquittées. Comment l'auraient~elles

ét(lorsque les impositions rQyales étaient suspendue~, queles
çampagnes étaient abandonnées, que les bourgades et les
villes se relevaient difficilement de leurs ruines? Les aveux

de cette époque sont singulièrement instructifs. Celui fourni

à la cour de Landeleau, le!) décembre H>99, pour Châteaugal (1) .
in~ique que le village d~ Lostanlen (2), sauf un . convenant,
est (( inhabittué et non prbfilté raI' le moyen des incursion~,
et rigueurs des troubles et maladyes qui ont résentement

régnés )l ; la tenue de Kerscaven et celle du Francen . (3),
sqnt également ( désertes par suites des incursions et rigue, urs

des troubles et maladyes contagieuses )). LIf , situation

dans la seigneurie de Pratulo est aussi, lamentable (4,). Ses

qépendances au Pénity, en Landeleau, demeurent (vagues et

enfric~he à raison des guerres ,et mortalittés passés avant

les 4ans derniers )). Il en · est de même, en Châteauneuf, à

Penanprat et ail moulin de ce nom, qui est ( inutile et en

friche )). Les deux convenants de Roshubaut, sont encore

« vagues et en friche ». C'est presque une formule stéréo.type.
Dans les. villes, le spectacle n'est pas différent: les ruines­ jonchent le sol. En ' 1607, Me Noël Quéré, notaire, procureur~ ,
syndic de la chapelle des Port, esintente des procès aux débi­
teuts de la fabrique; « à l'occasion des derniers troubles, les'
paiement8des rentes ont été discontinués», il y a pourtant
lieu de pouvoir à « l'indigencze dont est icelle chapeUe

(i) Par Vincent du Chastel, seigneur de Mezle et de Chàteaugal, Ros­
quijeau , etc., fils aillé de François du . Chastel, mort en avril 1.599, sauf
douaire de Anne de Kerouzerc, yeuve de feu sieur du Chastel (Collection
de feu 1\1; A. Richard). ,
(2) En Cléden-Poher,
(3) En Landeleau.

(4) Archives de la Loire-Inférieure. R 11.80. Aveu du \} janvier -1603, par le
curateur de Catherine du Glas, · Dame de Prathuloc'h , héritière de son
père Jean du Glas mort il y a ' 15 ans environ.

- 204-

rédulcte tant dr, répparation que d'ornementz par les esgartz
des dernières guerres (' 1) ».
Trois ans plus tard, le 31 janvier 1611, le recteur de Châ­
teauneuf-du-Faou, Missîre Jean Foxus, archidiacre de Poher,
passait avec ses paroissiens un contrat de cens relatif à un

emplacement de maison avec ses dépendances, situé (( au bas
de la grand'rue, près le marché du bestiail,. ferantz devers
l'oriant et le nort sur ledict marché, et les yssues de l'es­
curie et apoteix de feu Me Pierre Foll, devers midy sur ·
courtil aux hoirs feu Guillaume Le Gall et devers l'occident
sur eung au1tre yssue et f1'ostaig :, vulgaitement appelé an
doloczen (2) )J, moyennant une rente censive de 9 livres paya­
ble à la Chandeleur. Cet acte rapporte encore que cette mai­
son fut (~ démolye et ruinée)} ; sans doute pendant les guerres
de la Ligue, puisqu'en 1590, elle était encore debout (3) Jean
Foxus tenait évidemment à cœur de relever les maisons
appartenant à l'église ou grevée· s de rentes à son profit. Il
avait, en effet, passé un autre contrat de cens au sujet (( d'ap­
placzments de logeix à présant rUInés par les effectz des der­
nières guerres, appartenantz à l'église parrochialle de ·Chas­
teauneuff, situés en la rue quest au devant le bouIt oriental
de ladicte église. .. à la charge de poier de rente censive et
annuelle la somme de six livres thournoys, oultre acquitter
les charges habitantes debus au Roy nostre sire et bailler· en
ouItre une courtoysie et donation particulière à ladicte église
jusqu'à la somme de 4tl livres thùurnois ». Puis le 6 février
16H, il subroge dans ses droits et charges Me Noël Quéré .
(i) NoLiiication de jugement du 23 septembre i60S .

(2) Motte, butte, mamelon.
(3) Inventaire des lettres, tiltres etc., de l'église parrochialle de Chasteau-

neuff dressé le 25 mai 1 · 6iD. Pièce cotée C. Contrat du 25 mars 1590 enlre
les paroissiens et Hervé de Kel'izaouen, seigneur de Kervcrziou, portant
iD sols mon. de rente sur cette maison. Le 9 mars 16H Jean Foxus céda
ses droits à l'Irlandais sire Patrice Hyrae, qui demeurait au bourg de
Plonévez-du-Faou .

205 -

Bien des années, après la fin des hostilités, les effets de la

guerre se faisaien.t encore sentir. Que de désastres à réparer!
Il faudra reconquérir la terre sur la friche, reconstruire les

habitations incendiées et démolies Une aisance, voisine de

l'abondance et résultat d'une longue paix a fait place à la plus
lugubre misère. De longs et pénibles efforts seront nécessaires

pour faire disparaître les traces de ces luttes qui coûtèrent la
vie à tant d'innocentes victimes. Les déprédations des gens de
guelTe ne seront pas oubliées de sitôt. Et, sans doute, les habi­
tants de Châteauneuf croiront pendant longtemps" entendre le
' pavé retentit' de soldats « tant de pied que de cheval (1) ».

RAYMOND DELA PORTE

, tH , ' , t, " m" ",,, ,, "!' " p, "'-'

(t) A. DE JhnTBÉLEMY. Op. cil., journal de Duval, maître d'école à Châ-
teaugiron, p. H6 : « En t593, depuis le commencement 'd'an neuf jusques
au renouveau, toujours le pavé retentit de soldats tant de pied que de

chev~.. '

302

DEUXIE E PARTIE

Table des Mémoires et Documents publiés en 1910

PaO"es

r. DocumenLs sur- te-- Ca- p-Sizun. ' 1. Lettre de

III.
M. Le Gçtllo, curé de l'île, 17'14, par 1\'1. DANIEL
BERNAR.D; ......... " ............. :.. .... 3

Le Cap-Sizun (suiLe): La Morue du Raz de Fon- "
tenay, par M. H. LE CARGUET ... .... , ," ... ,.: 8
Qpelques .testaments des ' XVe et XVIe siècles "
(Arc,hives de l'Hôpital de,l\1orlaix), par·M. JEAN ' "

l\1ARZIN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . 27

1 V. Episodes et anecdotes (4

série). Quelques ,
types de plaideuses en Basse-Bretagne au
. XVIIIe siècle, par M. l'abbé ANTOINE FAVÉ. .... 65

V. Eglise de Sizun et ses annexes (petite monogra-
. phie), par 1\'1. le Chanoine J.-M. ABGRALL ..... . 128

VI. Note sur une ancienne ' bannière conservée

VII.
VIII.

(lans J'église. de Taulé, par M. H. BOURDE DE
LA ROGERIE.. .. ...................... .... ... 139

Note sur trois vieilles pierres trouvées à
Carllaix, par M. E. CHARBONNIER .... ... ' ....... "

Etudes sur le Cap-Sizun. -- III. A propos de la
c- hapelle de Monsieur Sainct-They, en Cléden-

Cap-Sizun, par l'IL DANIEL BERNARD .......... .

Eglises et Chapelles du FinisLère (suite, voir
tomes XXX, XXXI, XXXII, XXXIV, XXXVI).
Doyennés de Cbâteaulin (fin), Crozon, Le Faou,
Le Huelgoat, Pleyben, par M. le cbanoine
143
145
PEYRON. . . . . . . . . . . . . .. o 16'1, 292,
Notes sur Cbâleauneuf-du.,.Faou et ses environs

. pendant les guerres de la Ligue, par M. RAY-
MOND DELAPORTE.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186

Xl. Les peinLures de la voûLe du chœur dans l'église
de Pouldavid, par Douarnenez, par M. le cha-
noine J.-M. ABGRALL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

XII. Voyage d'Henrielte de France, reine d'Angle-
t.erre, en Bretagne (1644), par M. H. BOURDE
DE LA ROG ERIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

XIII. Une ardoise gravée trouvée dans un monument
mégalithique de l'île de Groix, par M. A.
MAR'rIN (planches).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
XIV. LisLe des JuridîcLions exercées au XVIIe et au
XVIIIe siècles dans le ressort du Présidial de
Quimper (1 el' arlicle : sénéchaussées de Brest
et de Carhaix), par M. H. BOUHDE DE LA ROGERIE. 248

FIN -'

Imprimerie -;0 TONNEe, LEPR!fI!CE. Suce. - Quior.fJe,