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Société Archéologique du Finistère - SAF 1910 tome 37 - Pages 3 à 7
ILE DE SEIN
1. - Lettre de essire Le Gallo, curé de l'ile-des-
. Saints, par Brest, au co'ntrôleur général des
Finances (16 Décembre 1714).
« La renommée a publié jusque dans cette île que Votre .
Grandeur soutenoit le poids du ministère avec autant de faci
lité que les plus grandes affaires du royaume, qu'elle manie
avec tant de gloire et de succès, et qui occuperoient tout autre
génie, ne l'empêchent pas de descendre jusques aux moindres
choses qui regardent la gloire ou le bien de l'Etat. Aussi
aime-t-elle à s'instruire de tout ce · qui s'y passe dans les
endroits les plus reculés et les plus inaccessibles. C'est ce qui
me fait aujourd'hui, prendre la liberté d'informer Votre Gran
deur de tout ce qui se passe dans cette île; peut-être lui
donnerai-je occasion de donner quelques ordres pour le bien
et l'utilité du public.
« Les Saints est une île à 11eur d'eau, dans 'Ie raz de Fonte~
nay, à trois lieues de la grande terre. Les courants du raz et
les marées qui changent à chaque moment rendent son entrée
très difficile du côté de l'Est. Un nombre infini de rochers,
partie couverls qui s'étendent à six lieues à l'Ouest, font trem-
bler les plus hardis navigateurs. Aussi s'y perd-il plusieurs
bâtiments tous les jours, dont on n'a aucune nouvelle. Elle a .
une demie lieue de long; sa largeur est de la portée d'un
mousquet seulement. Il y croit seulement du blé pour deux
tnols de l'année; on n'y voit ni gibier, ni bétail, ni bois. Veau
y est salée danR les grandes marées, sale et fade dans les mor-
tes-eaux. Les habitants sont tous pêcheurs: on n'y voit ni
mar"chand ni artisan, on n'y fait aucun commerce: les habi
tants ne sortent qu'à la Saint-Michel, pour vendre leurs pois
sons secs et faire leurs provisions, et, pendant le carême, ils
vont vendre à Brest du poisson frais. La mer est si grosse aux
environs de cette lIe, qu'on est quelquefois - des deux mois
entiers sans en sortir et sans y pouvoir rentrer. Malgré toutes
ces disgrâces, ces gens aiment si fort leur île que leplus mal
heureux ne vou droit pas changer sa fortune avec celle du plus
riche de la terre, et personne ne quitte pour aller lS'établir
ailleurs, qu~lque avantage qu'on lui propose. Ceux qui y sont
nés s'y portent bien et vivent assez longtemps. ~es malades y
sont à plaindre, car il n'y a ni médecin ni chirurgien.
«( Tous y sont égaux; point de subordination ni de supério-
rité. Personne n'y rend la justice. Parmi les révoltés, ceux
qui n'ont ni foi ni loi, le plus fort emporte la poche; parmi
ceux qui ont quelque religion, le prêtre est l'arbitre des diffé-
rents.
« La pauvreté du lieu a fait, que de tout temps, l'île a été
exempte de tous les droits, impôts et subsides que nos rois
ont exigé de leurs sujets; on n'y connaît ni sergent, ni greffier,
ni maltotiers. Je crois que ces petits avantages, et l'amour de
l'indépendance, est ce qui leur rend leur île si charmante.
« Une solitude · si atlreuse où on manque de tout secours
pour le temporel et pour le spirituel, des appointemènts mé
diocres et mal payés, les mauvais traitements qu'avoient
reçus les autres l'l'êtres, faisoient qu'on n'en trouvoit aucun
qui voulût y passer, quand, par un zèle à la gloire de Dieu et
du salut de ces barbares, je m'offris à M. l'évêque de Quim
per, qui m'y envoya, il y a six ans. La crainte qu'avoient eue
ces lliens de ne pas trouver de prêtre fit qu'ils me reçurent
assez bien, et ma jeunrsse leur faisait espérer qu'ils n'auraient
pas eu de peine à me faire à leurs modes .
« En effet, on donna a ussÎlôt commission aux plus politiques
d'entre eux de me styler, et,' sous prétexte de venir me faire
offre de leurs services et de leurs amitiés, ils me donnaient
des lecons.
« Comme tous mes amis s'empressaient de savoir de mes
nouvelles, il n'allait aucun bateau à terre qui ne m'apportât
quelques lettres et des compliments de gens de considération.
Je , n'eus pas de. peine à m'apercevoir que ces relations leur
donnaient déjà du dégoût pour le nouveau prêtre, et les maî
tres qu'on m'avait donnés me le firent entendre. Il me dirent
qu'il ne fallait ni voir, ni éCl'Îre, ni avoir aucun commerce
avec gens au-dessus des îliens .; qu'il fallait familiariser avec
eux, manger et boire ensemble, fermer les yeux aux desor dres, taire leur friponneries, et qu'on aurait fait ma part meil leure.
« Le dernier prêtre qui les avait quittés m'avertit de me
défier, et me dit qu'on avait attenté à sa vie plusieui's fois;
mais, fortifié de ces paroles de J.-C. : Qui perdit animam
suam in hoc mundo, in vidam œternam custodit cam, je tâchai
d'emplir les devoirs de mon état. Comme je m'était attendu à
beaucoup souffrir, tout me parut moins rude. Je passe sous
silence les maux que tout le monde est témoin que j'ai soufferts
dans mon particulier, pour parler de ce qui regarde l'étran
ger, dont l'intérêt m'est plus cher que le mien. Je suis presque
insensible à ce qui ne touche que moi-même; mais je suis
tout cœur pour mon prochain .
« Il Y a dans l'île un assez joli port, et assez bon; on y a
vu ensemble cent bâtiments. Dans les guerres, plusieurs y.
relachoient devant les corsaires, le gros temps. Le peu de
connaissance qu'ont les étrangers de ces côtes fait que actuel-
lement, plusieurs y sont conduits par nos habitants, qui sont
prompts à les y piloter, Les étrangers qUI y ont été Line fois
. périroient plutôt en mer que d'y rentrer. J'ai vu rompre le
pont d'un Anglois pour le piller, j'ai vu dégréer un Irlandois,
lui couper ses manœuvres, porter ses apparaux à terre, et
l'équipage en danger d'être égorgé; et il l'auroit été infailli
blement, si je n'avois exposé ma vie pour les sauver. Dieu m~
donna assez de courage pour m'opposer seul à une troupe de
. brigands. Je fus obligé d'en venir aux mains: cela n'est pas
d'un prêtre; mais enfin c'étoit pour conserver à de pauvres
étrangers leur vie et leurs biens: lrascebar, et non pecca'bam. ·
Dieu bénit mon zèle; je fis rendre tout à ce batiment, j'en fus'
le gardien pendant qu'il resta dans le port, et le pilotai pour
le mettre dehors, et, pour récompense, ils pardonnèrent aux
coupables et n'en firent pas de plainte: Munel'a super 'inno~
centem non accepi. Je l'auroi tû 'moi-même, si je ne croyois que
mon silence n'autorisât le crime: Qu'Ï non ' l1etat peccate, cum
potest, peccat. Je vois quelquefois décharger certaines choses ·
des bateaux qui me font croire qu'ils ne son t pas moins à
craindre en mer que dans leurs ports, ces gens étant jour et
nuit à la pêche parn1i les rochers, à perte de vue de leur île.
Je m'oppose autant qu'il m'est possible à tous les pillages;
mais, en récompense, je m'attire leur haine: il me menacent,
ils se plaignent que je ruine leur trafic, qui étoit celui du bri
gandage. Ils croient comme article de foi que tout ce que la
tempête jette sur leur île leur a ppartient de droit, et s'ils
retirent un batiment du danger, le tout doit être à eux .
( Comme il n'y a à l'île aucun bureau, ni aucun commis, et
qu'on n'y paye aucuns droits, ceux qui sont chargés de mar
chandises prohibées aiment mieux y relâcher qu'ailleurs et
bien payer nos matelots pour les mettre dans le port. Les mal
totiel's se plaignent que je favorise ces contrebandiers .
Je ne sais si effectivement ils le sont: Non· quœ1'O iniqui tatem in domo lratTis mei.
« 2° Les fermes ne me payent pas pour être leur commis, et
mon caractère ne me permettrait pas d'accepter leurs offres,
et je ne serai jamais assez malheureux pour livrer un homme
entre les mains de ses ennemis.
« 3° Où il n'y a pas de bureau. il n'est dù aucun droit. Que
les fermiers fassent le dû de leur charge, je ne leur nuirai pas
plusque je ne favorÎse les ft'audes et les contrebandes. J'attends
aussi leur finesse: ces messieurs voudraient plumer la poule
sans la faire crier. Ils veulent exiger de moi que je les aver
tisse quand il y aura des marchandises de cette nature, pour
qu'ils viennent ici les acheter à vil prix, sous prétexte qu'ils
auraient droit de les arrêter. Ils m'ont fait la proposition de
partager avec moi Je gateaù. Ce qui est vrai, c'est que je n'ai
jamais fait entendre à nos habitants qu'il leur fût défendu, ni
par la loi divine, ni par le Prince, d'acheter de ces marchan
dises pour leurs usages à eux-mêmes.
« On dit qu'il y a en mer quantité de forbans , je crois -même
qu'il en relache ici quelquefois ..
« Votre Grandeur donnera les ordres nécessaires sur ce que
j'ai la liberté de lui marquer. Si elle veut me les adresser, ce
sera, s'il lui plaît, par M. l'Intendant de Brest. Pardon si je
péche; c'est par zèle pour le bien de l'Etat, et parce que je
suis persuadé que vous ne désapprouverez pas cette liberté,'
que me donne la renommée, qui vous publie accessible aux
plus petits )). .
(EXTRAIT de la correspondance des Contrôleurs géné
raux des Finances avec les Intendants des Provinces
publiée pal' MM. DE BOISLISLE et DE BIIOTONNE. Tome .
3", 1708-1715. no 174· 9. Collection dcs Documents sur
l'Histoire de France).
DANIEL BERNARD.
302
DEUXIE E PARTIE
Table des Mémoires et Documents publiés en 1910
PaO"es
r. DocumenLs sur- te-- Ca- p-Sizun. ' 1. Lettre de
III.
M. Le Gçtllo, curé de l'île, 17'14, par 1\'1. DANIEL
BERNAR.D; ......... " ............. :.. .... 3
Le Cap-Sizun (suiLe): La Morue du Raz de Fon- "
tenay, par M. H. LE CARGUET ... .... , ," ... ,.: 8
Qpelques .testaments des ' XVe et XVIe siècles "
(Arc,hives de l'Hôpital de,l\1orlaix), par·M. JEAN ' "
l\1ARZIN. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1 V. Episodes et anecdotes (4
série). Quelques ,
types de plaideuses en Basse-Bretagne au
. XVIIIe siècle, par M. l'abbé ANTOINE FAVÉ. .... 65
V. Eglise de Sizun et ses annexes (petite monogra-
. phie), par 1\'1. le Chanoine J.-M. ABGRALL ..... . 128
VI. Note sur une ancienne ' bannière conservée
VII.
VIII.
(lans J'église. de Taulé, par M. H. BOURDE DE
LA ROGERIE.. .. ...................... .... ... 139
Note sur trois vieilles pierres trouvées à
Carllaix, par M. E. CHARBONNIER .... ... ' ....... "
Etudes sur le Cap-Sizun. -- III. A propos de la
c- hapelle de Monsieur Sainct-They, en Cléden-
Cap-Sizun, par l'IL DANIEL BERNARD .......... .
Eglises et Chapelles du FinisLère (suite, voir
tomes XXX, XXXI, XXXII, XXXIV, XXXVI).
Doyennés de Cbâteaulin (fin), Crozon, Le Faou,
Le Huelgoat, Pleyben, par M. le cbanoine
143
145
PEYRON. . . . . . . . . . . . . .. o 16'1, 292,
Notes sur Cbâleauneuf-du.,.Faou et ses environs
. pendant les guerres de la Ligue, par M. RAY-
MOND DELAPORTE.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
Xl. Les peinLures de la voûLe du chœur dans l'église
de Pouldavid, par Douarnenez, par M. le cha-
noine J.-M. ABGRALL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
XII. Voyage d'Henrielte de France, reine d'Angle-
t.erre, en Bretagne (1644), par M. H. BOURDE
DE LA ROG ERIE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214
XIII. Une ardoise gravée trouvée dans un monument
mégalithique de l'île de Groix, par M. A.
MAR'rIN (planches).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240
XIV. LisLe des JuridîcLions exercées au XVIIe et au
XVIIIe siècles dans le ressort du Présidial de
Quimper (1 el' arlicle : sénéchaussées de Brest
et de Carhaix), par M. H. BOUHDE DE LA ROGERIE. 248
FIN -'
Imprimerie -;0 TONNEe, LEPR!fI!CE. Suce. - Quior.fJe,