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Bulletin SAF 1909


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Outil préhistorique en pierre : le Rabot-Râpe

M.A. Martin

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1909 tome 36 - Pages 70 à 78

OUTIL EH PIEBBE

L'usage très général des armes de jet chez les po pula tions '
préhistoriques a exigé la création d'un outillage spécial tant
pour la mise en œuvre du silex dont étaient faites les pointes
de ces armes que pour l'exécution des hampes en bois qui
servaient à les lancer soit à la main, soit par le moyen d'un arc.
Pour le travail du silex nous connaissons les percuteurs, les
éclateurs ou emporte-pièces, les retouchoirs en silex, en os ou -
bois de cerf, et plus tard, bien proba blement, en bronze.
Pour façonner les bois des hampes, les grattoirs ordinaires
ont pu être utilisés et on en connaît qui sont munis d'une.
encoche arrondie, de dimensions variablf's, obtenue par une
série de retouches et qu'on suppose, avec beaucoup de vrai­
semblance, avoir servi à polir les bois de flèche, de javelots et
de lances Ces grattoirs avec échancrure en demi-cercle sur
la partie coupante, le plus souvent de huit à dix millimètres
de diamètre, se rencontrent en très grand nombre dans la
région saharienne de l'Algérie où l'on sait que. les pointes de
flèche en silex abondent. Puis sont venu~ les instruments qui
tont l'objet de cette note et marquen t un progrès considérable
comme rapidité et perfection du travail.
Dans la fouille de la chambre à coupole, avec galerie
d'accès faite de murs à pierres sèches recouverts de tables
dolméniques, du tumulus du Tossen-ar-Run, en Yvias,
(C6tes-du-Nord), j'ai recueilli, au milieu d'un mobilier funé­
raire, absolument néolithique, qui avait été déposé autour du
corps d'un jeune garçon, hôte unique de cette vaste sépulture,

nom de rabot-râpe dans le compte-rendu de celte exploration,
publié dans les mémoires de la Société d'Emulation des
Côtes-du-Nord, année 1900. C'est un instrument en grès fin,
très mordant, de Om095 de longueur sur Om054 de largeur à la
base et au milieu, alors qu'à l'autre bout, à la pointe, qui est
arrondie, elle n'est plus que de Om030.Ce que j'appellerai le dos,
partie destinée à être prise en main, est bombé, à section en
arc de cercle, tandis que la face opposée est bien plane et
présente de bout en bout, à sa partie médiane, une rainure
de Om 0'13 à OmOl4 de large sur Om 006 à OmOOï de profondeur, il
section demi-circulaire, s'évasant légèrement à ses deux extré­
mités (fig. i), J'ai pensé qu'un pareil outil, d'une conception
déjà avancée, d'une tecbnique plus compliquée que les autres
du même âge, avait dû servir à arrondir et polir les bois de
flècbe. Il répond admirablement àun tel usage, Tenu solide­
ment à la main par la face bombée, on enserrait dans la
rainure la tige de bois à préparer, celle-ci préalablement
disposée sur une surface borizontale tenant lieu d'établi, et
par un ,mouvement rapide de va-et-vient de ce primitif rabot
sur toute la longueur de la baguette on devait arriver vite. à
lui donner la forme ronde et le poli voulus. Avec l'outil du
Tossen-ar-Run, un morceau de bois plus gros qu'un crayon a
été taillé en pointe aigue en moins d'une minute. C'est une

rape de premier ordre. L'évasement signalé aux deux bouts
de la rainure serait la conséquence très naturelle et même
inévitable du genre de travail que je viens de décrire, quand
il a été souvent répété. Sous le mouvement de poussée en avant
et en arrière, les deux extrémités de la rainure à tour de rôle
supportent le premier effort de la résistance de la matière
ligneuse entamée et rebroussée par le mordant du grès e't
l'usure de la pierre, en ces endroits, doit être plus grande
que partout ailleurs, usure se répartissant également en bau t
et sur les côtés en les élargissan t'comme le montre le dessin.

trace d'une petite cassure ancienne, produite sans doute au
cours d'un travail de po lissage. Par suite de ce long service,
il semble aussi que toute la rainure a atteint une largeur plus
grande que celle adoptée pour les bois de flèche et qui nedevait
guère dépasser dix millimètres. En pareil cas l'outil n'était
pas rejeté et trouvait une nouvelle utilisation pour la confec­
fion des hampes de javelots, plus grosses.
Nous savons combien sont nombreuses les pointes de flèche

en silex dans nos sépultures néùlithiques et du commence-
ment du bronze, quelques-unes encore garnies de leur petite
hampe en bois, et l'on ne peut que s'étonner de la rareté,chez
nous, de l'outil si perfectionné, si bien adapté au travail de
ces hampes et qui semblerait; dès qu'il a été connu, avoir dû
devenir l'indispensaqle auxiliaire de tous les fabrican ts de
flèches et armes de jet. Avant la découverte de celui du
Tossen-ar-Run, le musée de Kernuz en possédait un trouvé par

M. P. du Cbatellier dans une des cbambres à ciel ouvert de
la nécropole mégalithique de Lesconil, en Plobannalec, Finis­
tère, au mili~u .d'unl1}obili~r néolitbique .!lv. ec quelque? objets
en bronze ou cuivre, donc de l'époque de transition; sa lon­
gueur est de Om 11.
Une autre, 10llgue de Om10, a été recueillie dans un tumulus
breton par M. W. C. Lukis. Pas d'autre renseignement.
Trois en tout. C'est peu pour la Bretagne, si riche en monu­
ments de l'âge de pierre et du premier âge du bronze où les
pointes de fl èche en silex abondaient plus qu'en aucun autre
pays. Or, comme nous le verrons, si le rabot-râpe a une origine
bien néolithique et a été le plus souvent rencontré dans les
sépultures ou stations de cet âge, son usage a persisté tout au

moins pendant la période de transition de la pierre au métal
et même pendant la première période du bronze. Il a dû deve­ nir moins général à mesure que l'industrie du métal progres­
sait et créait des outils fabriqués avec la nouvelle matière,
d'une technique différente, de vraies râpes par exemple, bien

qu'il ne s'en soit, que je sache, jamais rencontré. Le couteau-

poignard en bronze pouvait d'ailleurs suffire à la préparation .
des baguettes de bois destinées à porter les pointes de flèche
et nous aurions là l'explication de l'absence de rabots-râpes
dans nos sépultures à belles pointes de flèche en silex où, par
contre, se sont trouvés des aiguisoirs en pierre, schiste et
grès, pour l'afIutage des lames de bronze.
Nous allons retrouver ces outils dans beaucoup d'autres
contrées, mais toujours avec ce même caractère de rareté que

nous venons de signaler pour la Bretagne. Il est vrai que la
trace de leur présence dans de nombreux gisements est sou­
vent difficil e à suivre parce que les fouilleurs les ont simple­
ment désignés sous le nom d'aiguisoirs, de polissoirs, sans
plus ample description.
J'en ai vu un au musée Borelly, à Marseille , dans la vitrine
renfermant le mobilier funéraire, tout néolithique, de l'abri
sous roche de Saint-Mitré, Reillanne, Basses-Alpes, fouillé
par l'abbé Arnaud d'Agnel. Il est en grès rouge brun foncé;
les deux bouts sont cassés, ' mais il reste la partie centrale
avec sa rainure médiane à section demi· circulaire .
Le m usée national de Saint-Germain en possède un très
beau, de Om 13 de longueur, en grès fin, provenant du grand
dolmen de Recoules de l'Hon, Le Massegros, Lozère (fouilles

du docteur Prunières).
En Angleterre, les tumulus du Wiltshire en ont livre p u­
sieurs, toujours en grès, de dimensions variées, 0 ID 06 et plus,
. à forme de demi-ovoïde tronqué, avec rainure médiane arron­
die, de 0 ID 010 à 0 ID 012 de largeur, tout le long de la face
plane. Avec eux se trouvaient des objets en pierre, ep silex,
en os et en bronze. (J. Evans. Les âges de la pierre, p. 260
et fig. 185). L'auteur croit qu'ils ont pu être utilisés pour

polir les bois de flèche.

En Portugal, la grotte de Casa de Moura, de l'époque néo-

tI1

lithique, aurait livré un objet en pierre se rapportant à ce
genre d'instrument (même ouvrage).
Les frères Siret (les premiers âges du métal dans le S. E.
de l'Espagne) signalent quelques grès semblables, avec rai­
nure médiane demi-circulaire, dont ils donnent des dessins
pl. 62 de l'album et p. 13 du texte. Le premier a 0 m 096 de
long, le second Om 064,.
Dans la palafitte du lac de Varese, Italie, J. Evans
(opuscule cité) dit qu'on aui'ait trouvé des polissoirs de la
même espèce parmi les antiquités de l'âge de la pierre.
Peut-être « le caillou allongé avec un profond sillon au
milieu)) que cite M. J, de Mortillet dans ses (( p1'Omenades
prehistoriques à l'Exposition universelle de 1867 à. Paris )),
à l'article (1 Rome » (Matériaux 1867, p. 326), pourrait être
rangé au nombre des rabots-râpes.
En Algérie, dans la couche néolithique de la gJ;otle du
grand rocher, près Guyotville, on a recueilli, avec deux haches
polies et des grattoirs en silex, deux aiguisoirs en pierre, avec
rainure médiane, dont l'un se trouve au musée -- de Mustapha
supérieur. ( Société de climatologie algérienne 1875-18761.

En Asie mineure, les fouilles de Troie (Dorpfeld, Ilion,
T. 1. 1902), ont livré un outil de l'espèce. La face plane, qui
est ovale, mesure Om 09 de longueur sur Om 06 de plus grande
largeur. La rainure médiane a Om 008 de large. Le 'dos est
, bombé et la coupe transversale dorme un demi-cercle. L'épais-

seur de la pierre est de Om 026.
En Autriche, les palafittes des marais de Laibacb, Carniole
(époque de transition), ont fourni quelques fragments de

grès, en forme de navette, portant une rainure longitudinale
(Cazalis de Fondouce, Matériaux 1877, p; 50) .

Le vaste cimetière de l'âge de la pierre polie de Monsheim,

grand ducbé de Hesse-Darmstad, Allemagne, fouillé par M.
1. Lindenschmit, lui a procuré deux instruments du même
type, en grès rouge, ayant Om 15 de long sur Om 04, de plus

grande largeur. Le dos est très régulièrement convexe et la
face plane représente un ovale allongé, les deux bouts égale:-
ment arrondis comme une navette. Ils sont les plus longs
connus et ils se distinguent aussi par la forme angulaire, à

,de la rainure médiane qui n'a que Dm 007 à Dm 008 de large.
(Revue archéologique, nouvelle série T. XIX, p. 325, pl. X,2).
Si on leur suppose un emploi analogue à tous les autres, ils
n'arrondissaient plus, mais taillaient à arêtes les tiges de bois.,
Comme aujourd'hui, les menuisiers néolithiques, en posses­
sion du rabot de pierre, savaient, suivant les besoins, varier
le profil de leur outil. Mais dans quel but, pour quel usage,
ces baguettes carrées ou polygonales? Il ne peut être question
de bois de flèche, d'autant que M. Lindenschmit a constaté
l'absence complète de pointes de flèche, de javrlot ou de lance
en silex dans cette énorme nécropole, ajoütant que tous les
objets mobiliers recueillis donnent l'impression d'instruments
de travail plutôt que d'armes. La curieuse observation qu'il a
faite sur les deux exemplaires trouvés ensemble, à savoir qu'ils
sont si parfaitement semblables quien mettant les deux faces
planes en contact, bords et rainures s'ajustent exactement, ne
résout pas le problème. L'âge des sépultures de Monsheim
empêche d'y voir un moule. On peut en inférer cependant
qu'ils étaient destinés à se compléter l'un l'autre pour la con­
fection de tiges carrées. La première arrête obtenue avec l'un
des instruments, il n'y avait qu'à retourner la pierre et le bois
qui s'y était à demi incrusté et d'opérer sur l'autre .partie de
la tige, avec le second outil, jusqu'à ce que les deux faces
planes se touchent. Séparer alors les deux pierres et retirer
le bois devenu règle carrée, Toute autre manière de faire eût
endommagé le premier travail, émoussé l'angle obtenu . Reste
toujours à savoir pourquoi ces petites règles?
Des pierres de grès, à rainure médiane arrondie, ont été
rencontrées dans les sépultures Danoises de l'âge de la
pierre (SophuS"Müller. L'Europe pre.historique, 1907, p. 66.

L'auteur
flèchés.

pense qu'elles ont pu servir à arrondir les tiges des

Je tiens de l'extrême obligeance de M. Oscar Montélius,
.que des rabots-râpes ont été trouvés en Suède dans quelques
sépultures néolithiques; mais qu'ils sont jusqu'ici très rares.
Ce relevé, certainement incomplet, des lieux où notre
instrument a éré recueilli, signalé et décrit, car ceux où il a .
été simplement trouvé nous échappent, montre déjà com-

bien est vaste ~on champ d'extension. Il ne répond cependant
pas à un besoin de première néce!3sité, car une pointe de fl èche

fixée au bout d'une hampe en bois moins régulièrement
arrondie et_ polie, n'en est pas moins meurtrière et, au point
de vue balistique, il suffit que la tige soit droite et débarassée
de ses aspérités pour éviter les déviations dues à la résistance
de l'air. C'est presque un outil pour objet de luxe; mais il
est tellement approprié au but à atteindre, tellement pratique
. qu'il a dû vite devenir d'un emploi courant et ainsi s'expli-
querait sa grande dissémination qu'elle se' soit opérée par
échanges de proche en proche, par des exportations lointaines
sur les grandes routes commerciales don.t l'existence est
admise dès ces époques reculées, ou qu'elle provienne d'une
pluralité d'origine. On il. dit souvent que les' mêmes besoins
ont, partout, fait naître les mêmes procédés pour y cJonner
'satisfaction et, nous voyons, en effet, une grande analogie de
forme entre les vestiges d'industrie que nous ont laissés les
populations primitives les plus éloignées les unes des autres,

. appartenant aux races les plus diverses, qu'il s'agisse d'armes,
d'outils ou de simples objets de parure, la matière seule
différant suivant la nature géologique, la faune et la flore du
pays. Mais, dans le cas actuel, la presque identité de forme

et de technique, l'originalité et l'ingéniosité de l'invention,
feraient plutôt penser à une origine unique. On pourrait
suivre alors les rou tes de dispersion de notre instrument,
jalonnées par les découvertes, l'une. maritime, allant de

l'Asie Mineure à l'Angleterre par l'Italie, le Nord Afrique,
la France, l'Espagne et le. Portugal, l'autre terrestre, à travers
l'Autriche, l'Allemagne, lé Danemarck, jusqu'à la presqu'île
scandinave, ou bien, inversement, partant d'une région du
Nord pour s'irradier au Midi et à l'Orient.

6 Am'il/909,
A, MARTIN.

VII.
VIII .

369

DEUXIEME PA RT IE

Table des MémoiTes et Documenls publiés en 1YO!J
l'ages
Épisodes et Anecdotes, par M. l'abbé ANTOINE
FAVÉ .. . ... , ... . ... ' .. . . . . , ... , ' , ' . . " 1, 79, t 97
Églises et Chapelles du Finistèr e (suite, voir
tomes XXX, XXXI, XXXII, XXXrV) . Doyen nés
de Ploudalmézeau (fin), Ploudiry, Saint-Renan, .
Châteaulin, Châleaun euf et Carhaix, par M. le
chanoine P. PEYRON ...... . . , . . . ' . , . . . , . . .. '33, 30t
Les Hameçons préhistoriques, par M. A. MARTIN
(planche) ............... , .. . , , . . .......... ' . , .
Étude sur l'Architecture romane du Finistère.­
École régionale de Pont-Croix, pal' M. CH.
CHA USSEPIED. . .. . .. ' .. . .... . .. '. , .. . . . . . .
Outil préhistorique en pierre : le Ra bo t- Râpe,
par M. A. MARTIN (planche) .. , ...... . .. . . ' ... .
Rapport sur la Chapelle de Saint-Tugen, en Pri­ melin, par M. CH. CHAUSSEPIED (planche ) ..... '
Excursion A rchéologique dans la comm une de
Garlan, par , M. L. LE GUENNEC (3 planches) . ..
Chapelle de Notre-Dame du Crann, en Spézet,
par M. le chanoIne J.-M. ABGRALL ...... . .. . . ,
Fouille d'un tumulus au Ménez-Glujeau, en Lo­ érec, le 30 juin 1909, par' M. L. LE GUENNEC
lane/le) . .. .. ~ . ..... .. . . ......... . ....... . .. .

109
113
244

255
X. Études sur le Cap-Sizun:
II. La chapelle de Langroaz et la seigneu­
rie de Keridiern, en Cléden-Cap-Sizun, par M.
DANIEL BERNARD .... .. ... . .... .. , . . .... . . , . .. , 262
XI. Les Ardoises dans les sépultures néolithiques
ar.moricaines, par M. A. MAR:I'lN (8 planches l.. 278
, XII. L'Église de Saint-Jean-du-Doigt (Notes poUt' ser-
vir à son histoire), par M. H. BOURDE DE LA
ROGERIE. . . . . . . .. . .... , .... , . .. ' . ' . , . , .. . . . . 324

- FIN -

vnprlmérie CO TONNEC, LEPRINCE Suce - QUimper