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Bulletin SAF 1909


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Les Hameçons préhistoriques

M.A. Martin

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1909 tome 36 - Pages 52 à 57

LES HAMECONS PRÉHISTORI DES

Il ya près de 40 ans, c'était en 1871-72, je commandais le
(( Loiret)) sur la côte occidentale d'Afrique. Un jour, ayant
laissé mon navire mouillé au large de la barre d'Assinie, je
remontai cette rivière avec le « Pygmée)) petit bateau à
roues qui, lui, pouvait franchir les barres et naviguer sur les
grandes lagunes qui sont la caractéristique du facies hydro­
graphique de toute la côte du golfe de Guinée. Arrivés devant
un village, nous y jetâmes l'ancre et je descendis à terre. Des
petits noirs, nus comme ils le sont tous, debout sur la rive,
tenaient à la main de longues ficelles qu'on voyait flotter à la
surface de l'eau. Je m'approchai de J'un d'eux et lui dis: « Que
fais-tu là ? Pessé poisson )), ·me répondit-il. Il retira sa

ligne et je pus voir qu'elle avait au bout une simple petite
baguette de bois, pointue aux deux extrémités et attachée par
son milieu à la ficelle. Rien autre, aucun appât. Je n'eus ni
la curiosité, ni la patience d'attendre qu'il eut attrapé quelque
poisson a\'ec ce très primitif engin.
Plus de 30 ans après, pendant mes séjours d'hiver à

Alger, j'eus l'occasion de manier, d'ex. aminer des milliers de ·
silex provenant des musées publics et des collections particu­
lières, si nomhreuses dans toute l'Algérie et si richés par les
apports du Sahara. Particulièrement en 19015, pendant le
Congrès des Sociétés savantes réuni à Alger, il me passa par

les mains un nombre considérable de ces silex. J'aidais à '
leur classement mon ami M. G." B. -M. Flamand, géologue­
archéologue, chargé de cours aux Ecoles supérieures, direc­
teur-adjoint du service géologique des territoires du Sud de
]' Algérie, auteur de remarquables travaux sur les « Pierres
écrites et l'archéologie préhistorique» dans le Nord africain.
Nous hésitions à déterminer à quel usage avaient pu servir

un assez grand nombre d'instruments en silex d'une forme
très spéciale et inédite, à notre connaissance du moins, tige
renflée au milieu et allant en pointe à ses deux extrémités,
le plus souvent retouchée de partout, quand le souvenir me
revint de ce que j'avais vu à Assinie et dont je fis le récit à
M. Flamand. Il convint lui· même que cette interprétation lui
paraissait plausible. Ces silex brillants promenées à la sur­
face de l'eau ou à une petite profondeur pouvaient bien jouer
le rôle d'appâ.t et être happés gloutonnement par les poissons.
Une fois avalés, on conçoit qu'un effort de traction exercé sur
la ligne devait amener ces tiges rigides, attachées par leur
milieu, à se présenter en travers dès que leur pointe anté­
riéure rencontrait un obstacle dans la gorge de l'animal et

faisait alors office d'un hameçon, aussi sûr, si ce n'est plus,
que tous ceux imaginés depuis. Il fu t alors décidé qu'on
étiqueterait ces 'tiges « Hameçons n en faisant suivre le mot,
par prudence, 'd'un grand point d'interrogation .
Dans, une note très complète, illustrée d'excellents dessins
d'objets en pierre et portant le titre de « Nouvelles recherches
sur le préhistorique dans le Sahara et dans le haut pays
Oranais n extraite de la « Revue africaine Il (2" et 3

trimestre

1906). M. Flamand s'exprime ainsi: « Nous avons trouvé
dans l'Oued-Mia, à HacÎ-Inifel, à femassinin, à Bir-es-Sof,
une série d'instruments se rapportant au groupe des pointes
de dimensions très variables, de 100 à 25 millimètres et
présentant des retouches qui peuvent affecter toute la
longueur de l'objet. Celui-ci fusiforme, à masse épaissie vers
la partie centrale, de section subtriangulaire, parfois trapé­
zoïdale, se termine aux deux extrémités par des pointes plus
ou moins aigües; nous le considérons, avec le commandant
A. Martin, comme une sorte d' a hameçon double n, proba­
blement à lien médian, pouvant peut-être servir aussi comme
attache (?), mais dont l'usage, en somme, reste tout à fait
hypothétique» . (Fig. 1).

Depuis cette époque, de nombreux documents sont venus
prêter leur appui à notre interprétation première et lever les
doutes qui pouvaient subsister dans notre esprit à son sujet
et dont les quelques lignes précitées de M Flamand donnept
bien la note de scrupuleuse réserve.
1° Dans le grand ouvrage « Univers et humanité)) de
Kraemer, on lit à la page 58 du 5' volun1e, sous la signature
de Ed. Krause, ce qui suit: (\ Les hameçons à garrot ou à

deux pointes qu'affectionnent les peuples de l'Amérique du
Nord, de l'Asie septentrionale et du Pacifique, un bâtonnet
se tel:minant des deux côtés en pointe, fixé au milieu à une
ficelle. nous sont connus à partir de l'époque préhistorique,

aussi bien en silex qu'en os n.
(Musée d'Etnographie de Berlin).
2° Dans les comptes rendus du Congrès préhistorique de
France, session de Vannes 1906, M. A. de Mortillet parlant
de la fouille de la grotte du Placard (Charente), dit à la page
260: « 33 pièces en os, de dimensions diverses, pointues aux
deux bouts et renflées au milieu, qu'on. suppose avoir été des

hameçons. Leur longueur moyenne est d'environ 0,06 à 0,07.
L'une d'elles, longue de 0,10, est d'une forme spéciale. Elle

présente au milieu, une partie courbée, qui devait recevoir la
ligature, et elle est décorée, sur presque toute la longueur, de
petites incisions parallèles doubles)). .
( Epoque de la Madeleine).
3° Les cavernes de la Madelaine, des Eyzies et de Laugerie-

Basse (Dordogne), de Bruniquel ( Tarn-et-Garonne), ont livré
des hameçons à deux pointes en os et bois de renne, qu'on
peut voir dans les vitrines XXI, XXV, XXVI et XXXI du
musée de Saint-Germain. Dans le « Musée préhistorique ))
de G. de Mortillet, la pl. XXIV donne les dessins, grandeur
naturelle, de deux de ces hameçons ayant 0,045 et 0,055 de
longueur.
4° Le Docteur Marchant (Matériaux 1870-71, p. 348),

signale dans les palafittes suisses, des hameçons droits formés
d'un petit os de 3 à 4 c/

de long, appointé à ses deux bouts
et ayant à la partie médiane un étranglement destiné à
recevoir le fil suspenseur. Le musée de Saint-Germain en
posséderait trois venant de Wangen.
5° ( Les stations lacustres de l'Europe IJ de R. Munro,

mon trent, fig. 43, n° 11, corn me provenan t de la station de
Wangen, lac de Constance, époque de la 'pierre, trois tiges

d'une substance non désignée, os ou corne de cerf, pointues
aux dr.Ux bouts, ayant de 0,04 à 0,054 (je longueur, dont
l'une porte, en son milieu, une rainure circulaire de,?tinée
évidemment à ·l'amarrage. On voit aussi, à la planche
35, une tige pareille de 0,078, mais celle-là percée d'un trou

au milieu. C'est un progrès comme tenue et les troglodytes
du Placard en avaient eu l'intuition.
6° Dans le très bel ouvrage ( Les premiers âges du métal
dans le Sud-Est de l'Espagne JJ, par les frères Siret, on peut
lire à la page 192, à propos du mobilier d'une de leurs
fouilles: (( Quarante poinçons, aiguilles ou hameçons, tous
constitués par de simples tiges à section ronde ou carrée,

terminés en pointe à une ou deux de leurs extrémités )J .
Ici ces objets sont en métal, cuivre ou bronze, et deux des
derniers, reproduits en grandeur naturelle, ont l'un 0,04 et
l'autre 0,022 de longueur. .
Enfin la très belle collection de M. Allen Struge, à Nice,
renferme des objets à forme identiquement comparables
aux nôtres et en silex, provenant du néolithique égyptien
( Fayoun) et recueillis par M. Leton Karr, ainsi que du Nord
de l'Europe (Danemark). (Catalogue descriptif des objets
exposés du Dr Allen Struge, vitrine 4. Congrès de Monaco
1906). (Note de M. Flamand. )
En présence de ces faits, car il ne s'agit plus maintenant
de conjectures, de suppositions plus ou moins ingénieuses,
d'adaptation plus ou moins vraisemblable à un usage défini

d'instruments de forme nouvelle, j'estime que la question est
résolue, que les instruments en silex, provenant du Nord
Afrique qui font l'objet de cette communication , sont bien des
engins de pêche, des hameçons préhistoriques, et que ce mo­
dèle a existé , depuis les temps reculés du paléolithique jus­
qu'aux temps modernes, en passant par toutes les périodes
intermédiaires du néolithique et du commencement du bronze,
la matière seule différant.

L'attentioB des archéologues, éveillée par cette simple note
descriptive et mieux encore par la vue des dessins (1), des
objets qui y sont joints, leur fera peut-être découvrir de
pareils hameçons sur nos côtes bretonnes.

{O'Janvier 1909.
A. MARTIN.

VII.
VIII .

369

DEUXIEME PA RT IE

Table des MémoiTes et Documenls publiés en 1YO!J
l'ages
Épisodes et Anecdotes, par M. l'abbé ANTOINE
FAVÉ .. . ... , ... . ... ' .. . . . . , ... , ' , ' . . " 1, 79, t 97
Églises et Chapelles du Finistèr e (suite, voir
tomes XXX, XXXI, XXXII, XXXrV) . Doyen nés
de Ploudalmézeau (fin), Ploudiry, Saint-Renan, .
Châteaulin, Châleaun euf et Carhaix, par M. le
chanoine P. PEYRON ...... . . , . . . ' . , . . . , . . .. '33, 30t
Les Hameçons préhistoriques, par M. A. MARTIN
(planche) ............... , .. . , , . . .......... ' . , .
Étude sur l'Architecture romane du Finistère.­
École régionale de Pont-Croix, pal' M. CH.
CHA USSEPIED. . .. . .. ' .. . .... . .. '. , .. . . . . . .
Outil préhistorique en pierre : le Ra bo t- Râpe,
par M. A. MARTIN (planche) .. , ...... . .. . . ' ... .
Rapport sur la Chapelle de Saint-Tugen, en Pri­ melin, par M. CH. CHAUSSEPIED (planche ) ..... '
Excursion A rchéologique dans la comm une de
Garlan, par , M. L. LE GUENNEC (3 planches) . ..
Chapelle de Notre-Dame du Crann, en Spézet,
par M. le chanoIne J.-M. ABGRALL ...... . .. . . ,
Fouille d'un tumulus au Ménez-Glujeau, en Lo­ érec, le 30 juin 1909, par' M. L. LE GUENNEC
lane/le) . .. .. ~ . ..... .. . . ......... . ....... . .. .

109
113
244

255
X. Études sur le Cap-Sizun:
II. La chapelle de Langroaz et la seigneu­
rie de Keridiern, en Cléden-Cap-Sizun, par M.
DANIEL BERNARD .... .. ... . .... .. , . . .... . . , . .. , 262
XI. Les Ardoises dans les sépultures néolithiques
ar.moricaines, par M. A. MAR:I'lN (8 planches l.. 278
, XII. L'Église de Saint-Jean-du-Doigt (Notes poUt' ser-
vir à son histoire), par M. H. BOURDE DE LA
ROGERIE. . . . . . . .. . .... , .... , . .. ' . ' . , . , .. . . . . 324

- FIN -

vnprlmérie CO TONNEC, LEPRINCE Suce - QUimper