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Bulletin SAF 1908


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Crypte de Saint-Mélar, à Lanmeur

Chanoine J.M. Abgrall

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A LANMEUR

M. de la Borderie, dans son Histoire de Bretagne, vol. L
p. 403~ dit que « le meurtre de saint Mélar eut lieu au châ­
« teau du Beuzit, vers 044, que son COl'pS y fut d'abord ense­
« veli, puis transféré plus tard à Lanmeur, dont l'église fut
« mise sous son vocable et où, sous cette église, on édifia,
« pour recevoir le tombeau du saint, une crypte à trois nefs
« qui existe encore »). .
Dom Lobineau classe aussi saint Mélar parmi les saints du
VIe siècle.
Quant au P. Albert Le Grand et à son annotateur, M. de
Kerdanet, ils reculent sa mort jusqu'aux dernières années
du VIne siècle, ce qui ne peut pas être, puisque l'on voit sOn
nom figurer dans leslitanies anglaises du VIle siècle .
A q.uelle époque exaete peut appartenir la construction de
la crypte qui abrita le tombeau du saint jeune homme et qui
est encore conservée sous le chœur de l'église actuelle de
Lanmeur? On peut rerr.arquer que M. de la Borderie reste
dans le vague et se garde bien de donner une date ferme. En
effet, tout document écrit fait défaut; mais ne devons-nous

pas conclure que l'édification de ce monument dut suivre de
près le trépas du jeune prince, vénéré comme saint et comme
martyr par tous les Bretons qui eurent connaissance de ses

vertus,. de ses malheurs et de sa mort survenue si traîtreuse-
ment?
. La crypte de Lanmeur est donc le monument chrétien le
plus ancien de notre pays et à ce titre elle mérite au plus
haut point de nous.intéresser,

L'usage d'édifier un oratoire pour abriter les tombeaux des
martyrs remonte aux premiers âges de l'Eglise. N'en
trouve-t on pas l'origine dans la Confession de saint Pierre
au Vatican et ceI1e de saint Paul à Sain"t-Paul-hors-Ies­
murs, également celle de Saint-Laurent-hors-les-murs, que
les papes se plurent à décorer d'ornements d'une richesse

incomparable
A ces premiers siècles, il fa ut a ussi faire remon ter les
cryptes lyonnaises: celle de saint Pothin, sous l'église de
Saint-Nizier; celle de sainte Blandine, sous l'église de l'abbaye
de Saint-Martiri d~Ainay; celle de Saint-Irénée où furent
déposés également les corps des deux jeunes martyrs Epipode
Citons encore les cryptes de Saint Victor de
et Alexandre.
Marseille; le tombeau de sain t Martin de Tours, recouvert
modeste oratoire par saint Brice et ensuite
d'abord d'un
Perpet.
d'une vaste basilique par saint

C'est au VIe siècle, d'après Rohault de Fleury, que nous
devons rapporter les cryptes de Ravenne, dans les églises de
Saint-Appoli na i re- in -Classe, Sai n t-Pietro-Maggiore, du Dôme,

et peut-être de Saint-Vi tai. A la même époque doit remonter

la chapelle souterraine ou grotte de Saint-Mesmin, près
d'Orléans.

Pour notre saint Mélar, on n'a donc fait que suivre une
tradition déjà ancienne et dont on avait déjà un exemple sur
les confins de notre Bretagne, au tombeau des deux Frères
En eUet, en juillet
Nantais, saint Donatien et saint Rogatien.
1873, dans le cours des fouilles pour la construction de la
basilique actuelle, on retrouva les restes des murs de l'ora-

toire primitif, et, en septembre suivant, dans l'axe même,
l'emplacement du tombeau des jeunes martyrs, avec vingt-sept

gros clous oxydés provenant du cercueil qui avait contenu
leurs corps.
La crypte de Lanmeur n'a pas l'ampleur et la richesse

d'architecture de celles que l'on construisit aux époques pos-

térieures, par exemple celle de Sainte-Croix de Quimperlé,
celles de la cathédrale de Chartres, de Saint Bénigne de Dijon
· et de Saint-Eutrope de Saintes; mais précisément" à cause de
ses dimensions exiguës, elle n'en est que plus intéressante
et plus précieuse, parce qu'elle se rapproche davantage de la
crypte primitive, du vrai Martyrium ou · Confession, qui
n'était qu'un réduit étroit destiné à enfermer, à envelopper
les tombeaux des martyrs, à les défendre contre les profana­
tions, à les soustraire, au besoin, au pillage des barbares, tout
en laissant aux fidères, en temps ordina ire, le moyen de les
· . contempler et de les vénérer.
Les mesures intérieures de notre édifice sont: 8 m. 7~ de

longueur et 5 m. 07 de largeur. Il est divisé en trois petites
nefs par deux ' rangs de piliers .cylindriques et monolithes,
. quatre dans chaque rang. Six de ces piliers ont 0 m. 40 de

· diamètre, les deux autres 0 m. 60. Les six premiers ont des
. basés moulurées très simples; les deux autres, plus gros,
· reposent directement sur le sol sans aucu.ne base. Les chapi-
piteaux ont 0 m. ' 18 de hauteur et sont constitués par un
chanfrein surmonté d'un bandeau plat. Sur ces chapiteaux
sont portés des arcs surbaissés, à petits' claveaux, lesquels
sont surmontés de voûtes très surbaissées également, non
point des voûtes d'arête, mais des calottes plus ou moins
informes, non appareillées, mais composées de moellons

bloqués ou grossièrement maçonnés .

Les piliers, avec leurs chapiteaux, mesurent 1 m. 30 ou

1 m. 33 de hauteur; les parties les plus hautes des voûtes
n'atteignent que 1 m. 97. On peut donc en juger combien
inexa'ct est comme é'chelle un dessin perspectif de cette' crypte,.
publié, me semble-t-il, dans la Bretagne contemporaine; où
l'on voit un personnage debout qui atteint à peine aux deux
tiers de la hauteur des piliers, tandis que sa tête aurait dû
être au niveau des clefs des arcades.
Les huit piles 'reposent-elles sur une maçonnerie de fonda-

Coupe lOllgi

sur l'axe AB

rAil .
eAti?t .

tion'? Il n'est pas facile de le constater. Quant aux murs .laté­
raux, ils ne descendent pas sous le pavé, mais reposent im­
le sol, composé de tuf ou grès schisteux
médiatement sur
assez tendre.
Les deux gros piliers ont cette particularité que, sur la
moitié inférieure de leur hauteur, ils sont couverts d'une
un peu barbare, que l'on ne peut
ornementation bizarre et
pas bien définir à première vue. Plusieurs auteurs qui en "
parlent ont dit que c'étaient de~ serpents eptrelacés. Cette
opinion a été soutenue particulièrement par M. Ernest
Bosc, au congrès archéologique de France, tenu à Morlaix en '
Il a vu dans cette représentation un symbole hindou,

un signe mystérieux nous venant de l'Orient et compris seu-
des initiés. Lors de l'excursion du congrès à Lanmeur.
lement
on a pu examiner et constater sur place. M. Bosc a maintenu
son interprétation; la plupart des autres congressistes ont vu
dans cette scul pture primitive des tiges ou branches 'végéta les
plus ou moins courbées, avec rudiments de feuilles ou de

fruits à leurs extrémités. Ce qui autorise surtout 'cette opi- ,
ce sont les insertions indiquées à la naissance des
, nion,
enfourchements. C'est bien un ,peu ce que l'on trouve dans
certains manuscrits anciens, par exemple dans les orne men-
tations du cartulaire de Landévènnec, fol. 3,. Ro., et aussi
les sculptures de quelques sarcophages provençaux
dans
appartenant à l'époque latine.

Sur les parois latérales et sur les murs des extrémités sont
des pHastres carrés, de faible saillie, correspondant aux pi-

liers et recevant la Tetombéedes arcs qui partent de ceux-ci.

Dans chacun des murs latéraux sont percées deux petites
façon significative les
fenêtres étroites, avoisinant d'une
pilastres qui correspondent aux piliers ornés. Ces fenêtres
que 0 m. 20 ou 0 m. 20 d'ouverture entre .leurs
n'ont guère
tableaux, mais elles ont des ébrasements· très évasés vers

, l'intérieur. Dans le mur occidental sont trois fenêtres setn- -

'blables, l'uhe dans l'axe de la nef du milieu, les deux autres
les nefs latérales, mais se rapprochant sensible­
donnant sur
,ment des pilastres qui font la séparation. Dans le mur orien-

tal iLn'y a qu'une simple petite baie rectangulaire, non cintrée
ni évasée, tout contre le pilastre du collatéral Sud.
L'existence de ces fenêtres ou fenestelles indique que la .
dégagée et non complètement
crypte était primitivement
en terre, comme elle l'est maintenant et comme elle
enfouie
l'était probablement depuis bien des siècles. Elles servaient à
mais aussi elles pouvaient avoir pour
éclairer l'oratoire sacré;
objet de p'ermettre de regarder à, l'intérieur et de vénérer le
tombeau du saint, sans qu'il fut nécessaire de pénétrer dans
la crypte; et la position des fenestelles latérales, groupées
au droit des piliers sculptés, n'indiquerait ellé
ainsi presque
pas que le tombeau se trouvait placé entre ces deux piliers et
non absolument à l'abside, contre le mur oriental? ,
Les trois fenestelles du mur Ouest éclairaient aussi les trois
nefs et l'on peut s'expliquer le motif pour lequel les deux des
côtés était rejetées le plus possible vers le milieu, tout contre
les pilastres; cela pouvait bien être pour laisser place à deux
escaliers latéraux montant de la nef de l'église jusqu'au sol
du chœur, qui formait plate-forme au-dessus de la crypte,
comme cela existe à Sainte-Croix de Quimperlé et à Brélévé­
nez, près de Lannion. Dans cette dernière église, un déambu-

latoirecontourne la crypte, et c'est sur ce déambulatoire que
s'ouvrent les petites fenêtres qui " éclairent celle-ci.

C'est aussi la disposition qui devait exister à Lanmeur. De
cette manière l'accès était direct dans la crypte par les deux
portes donnant sur les bas côtés, sans qu'il fût besoin d'esca­
pour y descendre. Voilà l'explication logique que l'on
lier
peut donner, vu l'existence de toutes ces fenestelles qui
devaient prendre jour extérieurement. Dans la suite des
siècles, par suite de l'exhaussement du sol extérieur, prove­
nant principalement'de l'existence d'un cimetière, on est arrivé

aussi à remonter le sol intérieur de l'église dans les différen­
tes constructions qui se sont succédé.'
Il est très regrettable que, lors de la construction récente
de l'église ' actuelle, on i1'ait pas _ pu faire des observations
méthodiques, au cours des fouilles et déblaiements opérés
pour lr,s fondations. On ellt probablement fait des constata­
tions précieuses qui auraient révélé les dispositions anciennes.
ou même primitives. Je sais que cette étude était difficile,
vu l'état d'encombrement du chantier et la hâte des
ouvriers terrassiers, toujours pressés par la nature du terrain
qui formait .comme un vrai marais, les exposant à des ébou­
lements continuels .

Tout près de la porte Nord est une petite vasque hémicil'-
culaire, remplie d'une eau claire et courante qui va se d$ver-
sel' et se perdre sous le pavé de la crypte. Est-ce cette fontaine

qui aurait do-nné le nom de Kerleunteun à cette localité avant
qu'elle s'appelât Lanmeur'? Etait-ce une fontaine druidique,
comme plusieurs auteurs l'ont dit en se copiant l'un l'autre '?

A-t-elle servi à l'administration du baptême? Nous n'en
savons rien. Qu'elle se soit trouvée â jaillir naturellement
près du tombeau de saint Mélar, qu'on l'ait captée artificiel­
lement pour être une partiCularité de la crypte, le fait est que,
dans un certain nombre de cryptes anciennes, l'on trouve des . .
fontaines, des poits, qui sont l'objet d'une vénération spéciale .
il yale puits des Saints-Forts; à la crypte de
A Chartres,
Saint~Valériell, à Saint-PhiTibert de To.urnus, existe aussi
un puits; également à Saint-Stefanos de Verone. A Nantes,
on connaît le puits de l'église Sain-t-Sirnilien. Plus près de
nous, dans la paroisse de Tréflez, tout au bord de la mer,
SoU'3 la chapelle ensablée de Saint-Guévroc est une fontaine
à laquelle on descendait par treize marches et dont la tradi­
tion du pays à conservé le souvenir. (Bulletin de la Société

archéologique du Finistère, année 1875, page 162).
Outre les cryptes que nous avons déjà signalées, nous pour-

"'l'ions en citû qùelques autres de nos provinces françaises, et
qui ont de grands rapports de construction avec le monument
de Lanmeur.
Pour le VIlle siècle nous trouvons la première crypte de
Saint-Philibert à Noirmoutier; celles de Saint-Mellon, à
Saint-Gervais, de Rouen; de .Saint-Avit d'Orléans; de Saint-
Pierre d'Iseure (Allier) puis celle de la Ferté-sous-Jouarre,
mais qui a été remaniée au -IXe et au XIe siècle.
Toutes, ou presque toutes, sont également divisées en trois
petites nefs, par des rangées de piles ou de colonnes; la
plupart ont des dimensions restreintes. Dans quelques-unes,
le martY1'ium, ou place du tombeau, est parfaitement indi­
qué, ou constitue même un compal'timent à part. Il ne nous
appartient pas d'en faire iCi une description détaillée.
Le IXe siècle a fourni la crypte de Saint-Philibert de Grand­
lieu, construite dans une donnée spéciale en pleines invasions
normandes et combinée de façon à laissù une petite vue par .
une fenestelle, sur le cercueil du saint, mais de manière à le
mettre facilement à l'abri d'un coup de main de la part de ces
terribles profanateurs .
Les siècles qui suivent donnent encore un grand nombre de
ces monuments, mais plus on avance, plus le caractère pri­
mitif se modifie. Au XIIe siècle, la crypte devient plutôt une
cqapelle ou une église inférieure qu'un asile de tombeau .

Pour ce qui est du sarcophage ou cercueil en pierre de
saint Mélar, il est dit qu'il était en pierre de grain, c'est-à­
dire en granit, qu'il fut retiré de sa chapelle souterraine pour
être placé et vénéré au-dessus du maître-autel, place où il
demeura au moins jusqu'au XVIIe siècle. Il est bien regretta­
ble que nous ne-la possédions plus, car il eût été instructif
de le comparer aux autres sarcophages qui nous restent
encore, d'étudier sa forme et ses dimensions. Etait-il orné

êomme le riche cercueuil de Saint-Pol-de-Léon ? Etait-il
simple et fruste comme ceux de Lochrist-an-Izelvez, de Goul-

ven, de Plougonven, de Landeleau, etc? En tout cas, il eût
été l'objet de notre vénération, pour ·avoir contenu le corps '
mutilé de notre jeune prince si sympathique et de si douce
mémoire pour toute cette région. ' .
Quimper, le 20 Décembre 1908.
Chanoine J. -M. ABGRALL .