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Bulletin SAF 1908


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Un Huissier détenu pour vagabondage: Maréchaussée de Quimper (1761)

Abbé Antoine Favé

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MARÉCHAUSSÉE DE QUIMPER ('176'1)

Le 28 juin 1761, l'exempt de la Maréchaussée à Landerneau,
Stangmartin G uiIIou voyait se présenter à sa chambre, le
brave Jean Perceva ult, cavalier de sa brigade, accompagné
d'un étranger qu'il venait de cueillir sur la route de Brest au
cours de sa tournée. Le particulier était un homme de trente­
sept ans, de la taille de ij pieds deux pouces, visage coloré et
rond, nez petit, barbe et sourcils noirs, yeux couleur d'eau .

Il portait perruque à bourse,était vêtu d'un habit de serge sur
fil, d'une veste d'étoffe, culotte de panne rouge, bas de laine
. et souliers.
Interpellé par l'exempt, il dit s'appeler Michel Couillard,
de la paroisse de Saint-Victor. Evêché de Blois, et en être

sorti depuis trois mois passés, sans passeport.
Interrogé s'il avait quelque métier, il répondit avoir été
premier huissier des Eaux et forêts. Il avait vendu sa charge, .
ce qui l'avait fait quitter de chez luf, vu surtout, qu'il y avait
une sentence contre lui.
L'exempt poursuit son enquête en lui demandant quelques
détails sur son odyssée depuis son exode du pays Blaisois et
sur l'itinéraire qu'il avait suivi pOUl' venir échoue/; sur les

· rives de l'Elûrn. Michel Couillard dit qu'il a passé par Tours
et suivi la Loire jusqu'à Nantes où il séjourna plus d'un mois
puis alla à Angers où il resta deux jours, puis se rendit à
Rennes où après quelques jours il retourna à Angers, où il
resta un mois.
Michel Couillard a une fuite de mémoire lorsqu'il dit qu'il
avait quitté son pays, il y avait trois mois, car nous avons une
lettre de la: Chaussée Saint-Victor, datée du 23 mars 1761, et
qui lui fut remis quelques jours après rue de Port-Maillart, à

Nantes .. :-il aurait dû avouer au moins cinq· mo·is d'absence,
mais les circonstances extérieures et certains états d'âme font
perdre la notion exacte et précise du temps et des distan-
ces, et c'était son cas.
'Quoiqu'il eli soit, dans les derniers jours de juin, il est en

Basse· Bretagne. Il a passé pa r Sainte-Anne d'A urez, par
Quimperlé et de là s'est · rendu, à Quim'per où il a été deux
. . jours «chez le nommé Chambeau, lieutenant des SirugiC'ns )) .
· un compaÙiote sans doute, ensui.te .a passé par' Lan'l..1eaux (1)
poür se rendre à Brest; s'est fa'it conduIre'dans la ville pal'
. un soldat ; 'ayant été cieux j.ours à Brest, où . il fut chez le
· nommé Le' Normand, .commis aux Viv'res ' qÙI malgré son
· nom étaif, peut-être, un Blaisois, à .couche hors des portes
et ensuite 's'est rendu à Landerneau. . . . .

Le procès-verbal de l'exempt expose qu'il y fut « ·capturé

. « comme vagabond, mendiant et suspect ayant étd sur les cos-

« tes, ~t fouillé; on·trouva g·\,tf luyplusieu rs lettl~es en différan-

« tes écritures et autres papiers (fui son t- en différ,anteschi.ffres,
« et sur un petit morceau·de papier dan·s son pOl'te de feuiLle,

« il y avoj,t· plusieurs empreintes d'un petit escu de .- trois
« livres; ,dans un peLit morceau detaille·, nous lui avons

. « trouvé Ll118 pièce de 'deux liaré ls et un' liard ql)'il a,;olt blan-
.' . « .chi aparamment, pour lesfaire passer pour ·argent blanc (2).
« Dans un.. petii ,môrce 'aL~ 'dè 'par)Îer bla'ne, nous 'avo!'ls tl~ouvé

« un peu de vive argent: nous lui .ayons demandé ce qu'il
-: «( fessàÜ de ce1Jive argent, et nous a répondu que c'estolt

· « pour le divertir; nous 1uy avons trouvé aussy un petit

. (c. .paqu~t de fille dèlleton (3) argenté et e·i1suite· nou ~ avons
« . trouvé sur luy une gTandsécrifoi.TC~ ayec beaucoupd'encre,
.. «. da'n's lequel il y a ganif 'etdes plusmes taillé, un petit com-
(i) Lanvéoc.
(2). Le gendarme est sans pitié et ses suppositions sont, à priori, malveil­
lantes. C'est le n: étier qui le veut.

(3) De laiton.

Collection Anglaret

Portail de la Chapelle de Saint-Tugen

, cc pas et un petit. poinson en forme de burin, deux méchants
«, couteaux garny de pieds de bois, une paire de sizèaux
« amanché dans un bouchon de liège et deux. petits petit
« plotons de fille de différante couleur; ensuite . nous luy
« avons trouvé des marques qu'il a escrit sur toute les routes
« qu'il a fait; ce que nous avons tous assemblés et- ramassé
« dans son porte feuille et un rolle de papiers et armanac (4)
« où il y a dedans plusieurs billets de L'hoterie ». .
La brigade de Lande'rneau donna avis de sa capture ,et per­
quisitions à M. Regnoulf Demarest, lieutenant-général à
Quimper, pendant qué.le malheureux Couillard était 'confié
au concierge des prisons de la 'principauté de Léon, pour en
faire bonne et sûre garde, à sa charge et sollicitude, pour le
nourir au pain du Roy. C'était le 28 j ui,n et le 15 juillet" il
était transféré à la prison de Quimper et remis aux bons 'soins
de Jean Plouinec le geolier.
Le' lendemain, '16, on procède à son interrogatoire: sur de ..
mande, il répond qu'il est venu en cette province par'déses-
poir de se voir obligé de quitter de chez lui, ayant diverti une
omme de cinq cents livres pr(lvenant de la recette des Tailles
, dont il avoit été chargé par le sieur Fesneau. » Interrogé'si
lorsqu'il partit de chez lui, il s'est muni d'un passeport ou de
certificats de bonnes vie et mœurs qui puissent le faire con­
naître, répond qu'il ne sçavoit pas où il alloit 1
Interrogé de l'endroit où il a été arrêté et par qui': répond
n'en rien savoir. Interrogé sur ce qu'il:était allé f?ire à Brest,
« répond qu'il étoit allé pour s'y promener et voir quelquun
« de sa connaissance et qu'il n'a pu entrer en'I.nlle. ))
« Interrogé et lui représenté une pïèce de deux liards de'
l< l'année 1722 et un petit liard du règne de sa Majesté, blan-
« chis et interpellé de les reconnaître et de nous déclarer si,
« lors de sa capture, il n'en a pas été dessaisy ».

(4) Almanach.
TOME XXXV (Mémoires 17).
B ULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO. -

« Répond que ce sont des bijoux pour ses enfants qu'il a
Il trouvé à Nantes et qu'il a ramassé et -les reconnaît pour en

« avoir été dessaisy lors de sa capture »,' . . ,
« Interrogé s'il ,connoît pareillement un petit paquet de
« poudre gr'asse et vif argent, dont il a été aussi dessaisy, .ré_
« pond qu·'illes connoît, ainsi qu'un petit paquet de fil, façon
ct argent, et qu'il a trouvé Le tout.ens-emble H. .
« Interrogé et lui représenté un papier sur lequel est trois
« empreintes en ancre~.l'un d'un écu de trois livres et les deux
« autres de pièces de douze sols, interpellé de les, reconnaître
« et.de nous dire ce qulil vouloit en.faire, répond qu'il la lait
« par curiosité, et qu'il 'n' en vouloit rien lai re ». . .
« Représenté à l'interrogé un écritoire, dans lequel il s'est
« qu.'il s'en servoit pour lairé des comptes »,
« A-t-il eu l'intention de faire circuler pour -argent . ses
.«pièe~~ blanchies et a-t-il des complices et ~ssociés 'l Non.
« Interrogé s'il ignore, qu'il. n'est pas permis de d.ivaguer
« sa~s passeport ou certificat de bonne conduite; répond
« qu'il qoioit en a'voir ». . .

. « '" Répop~ qu'il n'a jamais été repris de justice.
(c Et sont ses interrogatoires, . confessions et dénéga-

tIOns, etc ... »

Michel Couillard déclarait à la Maréchaussée q'u'il croio.it
U'l)oir passeport et certificat de bonne conduite. .
Ce disant, il était de bonne foi, sans doute, mais d'une très
naïve simplicité. Dans le fameux portefe.uille scrupuleuse-
ment scruté par l'exempt de Landerneau, nous trouvons: 1°
un extrait des registres des baptêmes de la paroisse de Saint-
Victor, diocèse de Blois, nous informant que Michel Couillard
était né le 30 août 1724 et baptisé par Vifargent, vicaire
(sic) : au pied de la pièce pour légalisation, la signature du
lieutenant général au baillage de Blois, du 20 juillet 17n1 ; .

2° certificat de catholicité et de bonnes vie et· mœurs;' signé·-
par Chabaut, curé de Saint-Victor, le 20 août 1751.
Ces documents étaiènt passés, défraîchis et périmés, il faut"
l'avouer :' il y avait dix ans qu'ils avaient été délivrés; pro- '
bablement quand ledit Couillard, sollicitant la charge d'huis-
sier, dut fournir ces certificats et eut à les ' recueillir. nix
ans? Mais Couillard, catholique, apostolique et romain en
1751, aurait eu le temps de 1751 à 1761, se faire dix fois hu~ .
guenot et dix fois mahométan; Couillard,. reconnu de noto-
riété publique, de ·bonne vie en 1751. aurait eu le temps de
175'1 à 1761, de se vautrer dans la fange des pires désordres
des César de Suétone. > - . .
Mais dans le portefeuille dont nous parlons, il y 'a\'aÏt une .
lettre authentique concordant et cadrant avec les déclarations ·
de Michel Couillard, qui donna vraisemblablement à penser
al) Juge de la Marécha ussée et lui fit suspendre . une trop ~ .
prompte décision. Couil1a"rd' ,a déto'{1rné pour son usage·
500 livres dont il était corn ptable,' il perd la tête, et il eut
d'autant plus tort à cela que sa faute n'était pas irréparable,
comme on, le verra, ' et qu'ainsi il jeta dans la douleur la plus
poignante une famille honorable et honorée. C'est ce qui
ressort de la lettre écrite à l'adresse de
· Monsieur COUILLARD,
chei Monsieur NAVET,

. Maître Tailleur, rue du Port Maillard, à ·Nantes.

(C-ach~t du Courrier de Riois) . '.

C'est la lettre d'un sincère ami et d'un .honnête homme.

De La Chaussée Saint-Victor, le 23 mars 1761.
Mon amy, j'ai reçu votre lettre le 21, après midi. J'ay
trouver M. Michelet, mais il ne m'a pas été pas-
d'abord été
sible de faire votre affaire, parce qu'il était aU bureau du
Gren'ier à sel, mais aujourd'hui 'il m'a délivré l'argent et
moy je-lui ai délivré· le BilleL etai chargé au ·bul'eaude la'

Poste les trente.livres et le port comnie vous me le marqué
, sans faire connaître audit bureau; la lettre d'avis. Ledit
sieur Michelet m'a aussi remis votre récépissé et les trente
que je vais donner à vostre femme présentement .
livres
chose qui me chagrine d'un côté et me console de l'autre, car
depuis. votre départ,je n'ai osé aller lui parler, mais je vais
tout à l'heure, quoique néanmoins je me suis toujours
informé comme elle se portoit, mais Dieu merci, jusqu'à
présent, elle s'est toujours bien portée, malgré qu'elle crève
de chacrin, comme vous pouvez le penser, tant pour votre
absence que pour les mauvaises affaires que vous lui causé
et ne sçavoir pas pour quelle occasion vous avez .absenté.
Vos père et vos mère se portent bien en mourant de chachl'in,
surtout le père et la mère de vostre femme.
Vostre père est toujours dans la même situation.

Quelques uns disent que c'est l'affaire des Eaux et Forêts
qui .est la cause de votre départ,d'autres disent d'autre façon,
sorte que chacun ne peut que penser aussi bien que moy

meme.
à qui vous me dites de lui dire
Vostre cousin Fesneau
perdra rien, et en grande colère contre vous et il en.
qu'il ne
a bien le sujet, car il vous confie les Rôles comme si ' ceusse
même et se voir aujourd'hui obligé d'emprunter de
été lui
l'argent pour payer M. Bereul et bien plus de ' faire amasser
pour lui. Il m'a prié de lui ramasser,
le restant, double frais
je suis trop occupé, je ne lui peux pas faire .
mais comme

Je crois que . Pierre Martin va lui rendre ce service là entre
Je vous dirai que Mathurin Fesneau s'est consulté
parents.
à plusieurs personnes et qu'il a obtenu une permission de
faire ouverture de tout chez vous, et je crois de tout saisir,
aussi bien comme le vin de la Chaussée, . mais je crois qu'il a
fait un arrangement avec le père Régnier, pour le vin et le
restant de la somme . Ledit FesneaU va obtenir une sentence
qui ordonnera qu'il prenne le restant de la somme sur les
llentes de voIre bien, dannée en année, à mesure que les
termes écheront. Vous ne me .parlé pas du billet que vous
avez de moy: vous sçavez que le quart _ de vin. bluD-c dons

je vous ay vendu de la récolte de 1759; voüs ne m'en avez
point donné le récépissé et ne sçay point si vous l'ayez em.;.
porLé. Je ne vous mande point autre chose sinon que moi,ma
rem me et mes enfants nous portons bien, Dieu merci, et
suis toujours, eri. attendant de vos nouvelles sous un pro-
fond respect, vostre très humble et très obéissant serviteur
et vostre amy .
Pierre DAUDIN. ,
La lecture de cette lettre, l'inspection du contenu du porte-
feuille de Michel Couillard, en y joignant son attitude plutôt
déprimée qu!arrogante, lui avaient attiré la commisération
dés juges. Sa mentalité avait reçu un grand ébr'anlement et
le contrecoup ' de sa faute à lui, et du malheur des siens .
Nous en trouvons une manifestation dans deux IBttres écrites
en caractères moulés (1) ou d'imprimerie, ou 'mieux en lettres
épigraphiques d'une extraordinaire élégance et d'uu'e noble
simplicité: de celle dont nos marbriers se servent pour
graver en style lapidaire. Elles sont datées de Saumur, et
révèlent bien l'état d'esprit de' Michel Couillard, en mai 1761.

De Saumur, le trente may mil-sept-cent soixente et un .
. MA. TRÈS-CHÈRE. AMIE. ÉPOUSE. '
Celcy est pour vous prouver l'augmentation de mes tEm-
dres et continuelles amitiés. Ainsi que des veux qUè . j'ay
for'mé et que je formeray continuellement' au ciel 'pour là
conservation de votre santé, celle de nos deux petits enfants
qui avec' vous j'ay quitté à si grand regret et dont j'en gémie
et en pleure très amairement. Ce qui me crève le . cœur,
c'est les paines que l'on vous a fait. O. MON. DIEV. QVEL.
TRISTE. SÉJOVR. D'E. ME. VOIR. SI. ÉCARTÉ. DE. L'HVNION.

SI. ÉLOIGNÉ. DE. LA. JONCTION. DE. NOS DEVX COEVRS .

mais quoique triste, accablé eL douloureux, ayons toujours,
ma très-chère amie, la crainte de Dieu devant les yeux.
Depuis le vingt-trois · mars dernier, suivant le lettre que
(i) En breton: Scritur moull.

. :Pierre Daudin m'a envoyé à' Nantes 'il m'a ét.é impossible de
·pouvoir vous écrire pen'sant n'êtr.e que quatre jours à Pain­
bel,l(, mais gy suis' tombé malade et n:éLant pasbi:en ,rétably,
je fut de force à ,Rennes, en Bretagne," ou j'ay retombé
d"u·ne purisie (1) où l'on ma cru mort. Etant relevé ' de cette
je suis venu à Saumur pour faire un veu à Notre­
maladie,
(2) et présentement il faut que je me rande à Painbeuf
Dame
, où est un petit vaisseau où je suis intéressé pour deux cent
cinquante livres, pour ma part. 'Ce vaiSseau e,st à un espagnol
et par droit en est le capitaine. .
Un autre exemplaire de cette lettre dit que Ili lettre de
. Pierre Daudin lui avait appris J( de tristes nouvelles causées
« par son grand malheur et que cela ' avec t'air de laIner lui
• « avait causé une très longue et tr;ès rude maladie. »). Il termine
en disant: (( 'Je suis d'avis de redessanrire à Painbeuf' pour
(( mambarquer pour Be.llisle, la Rochelou Loriant avec notre
. (( ·petit vaisseau 1) • . :
Heureus'ement, aucun exemplaire de cette lettre ne dût 'par-

, Venir 'à ja pauvre femme qui en voyant son malheureux
époux d'huissier' des Eaux et Forêts, transformé à son dire .
. 'en' navigateur intrépide, n'eut eu qu'un redoublement d'an~
goisses et de grandes inquiétudes sur son état d'espriL Il ai­
mait cependant ses deux petjts enfants, ce pauvre dévoyé qui,
tro..uvant sur les rues des : fils argentés, les r.amassait,' qui
trouvant'des liards, les fourbissait, pour en faire, disait-il
à l'interrogatoire, (( ·des bijoux pour ses· enfants! ))

Le . 17 ,août 1761., M. Taboureau du Réa,ux, procureur

génfral de .\a Maréqhaussée, ·,écrivait à M. I~liézec ,Royon,
Procureur du RpL en la Maréchausséeà Qujmper :, .

· J'ili ;rendu compte, Monsieur, à M. le Chancelier de ce que

(f.) Pleurésie.
(2) Notre-Dame des Ardillières

vous m'avez marqué par votre lettre du douze de ce mois,
au: sujet du nommé MIChel Coüillard. M. ' le Chancelier a
pensé qu'il n'y avoit pas lieu de recommencer une instruc­
tion extraordinaire contre ce prisonnier, que cependant
avant de le mettre en liberlé,.il étoit à pr'opos de prendre des
éclaircissements à Blois sur le fait du divertissement de la

somme de 500 livres provenant de la recette des Tailles.J'ééris
à cet effet il. Blois par ordre de M, le Chancelier et jusques
je vous aye fait part de ses nouve,aux ordres, vous aurez
soin df faire retenir ce particulier dans vos prison.s.
suis avec une parfaite considération, etc ...

. TABOl}REAU DU RÉAUX .

Sur la d~mande de renseignements à lui faite par la chan-
cellerie, M. Bourdon, Procureur du Roi en la Maréchà'ussée
de Blois, s'empressait de répondre par la note suivante:

. Le nommé Couillard, au sujet duquel vous m'avez
fait
l'honneur de m'éérire le 17 de ce mois et qui est détenu
dans les prisons de Quimper, a fait une .déclaration vraie
dans l'interrogatoire qu'il a subi devant les officiers de la
Maréchaussée. Il est domicilié en celte ville et il a laissé sa
femme et trois enfants (1). Il étoit employé en qualité de
chef de garnison au mouvement des Tailles de l'Election de
Blois. Il , s'est toujours . comporté avec sagesse et intelligence
dails ce métier, mais s'étant chargé, l'année dernière, du
recouvrement du 20· de la paroisse de Saint-Victor par le
nommé Fesneau qui en étoit le préposé, il s'est trouvé court

il y a quelques mois de 380 livres (2) qu'il a dissipées, . et il
a pris le parti ·de s'absenter, quoiqu'il soit en état de faire
à cette dette. Voilà toute l'incartade dont je le connois
face
coupable. Fesneau a déjà touché quelque partie de son dû, et
il s'était assuré du surplus par la saisie-arrêt qu'il avoit fait

de 60 livres de rente appartenant à Couillard sur son père. qui

en était le débiteur. Ce père vient de mourir, il y a quelques

jours, et Couillard, son fils, qui est son unique héritier, trouv~J'a

(1) El'reur, à moins que Madame Couillard eût un troisième en route.

(2) Et Iloh 500 liv res.

4- ou 5.000 livres dans cette succession,' pour le recueillement de
laquelle il saoit très rzécessaire qu'il se rendit promptement
sur 'les lieux .
J'ai l'honneur, etc.
, Au reçu .de ces renseignements, M. Taboureau du Réaux
informait M. ~liézec Royon en 'ces termes:
A Paris, le 28 Août 1761.

Il paroit, Monsieur, par la réponse que je viens de rece-
voir du Procureur du 'Roy en la Maréchaussée de Blois et
dont je joins icy copie, que les ,déclarations du nommé
Mie,hel Couillard sont éonform es à la vérité, aussy s'il n'es t

prëvenu d'aucun délit, M. le Chancellier ne voit pas d'incon-
vénient ,à ce qu'il soit mis en liber lé, d'autant que le nommé
Fesneau préposé au recouvrement du vingtIème a pris ses
'sûretés pour être remboursé des deniers provenant de ce

recouvrement que Couillard a diverti.

Je suis àv'ec considération, etc., :
TABOUREAU DU RÉAUX:

Le' Procureur' du Roy déposait ses conclusions dès le 12
, septembre; elles s'appuyaient sur les dépositions de Couillard
reconnues véritables et , sur les trois ' lettres produites plus

haut.
La sentence d'élargissement de l'huissier de Blois y fut
con.forme.

Vu les pièces et la procédure commencée en la Maré-
chaussée à la requeste du Procureur du Roy contre ,le
nommé Michel Couillard, les lettres des 17 'et 28 août dernier
adressées audit Sieur Procureur du Roy, ses conclusions
, du 2 septembre de ce mois, tout considéré, nous or:donnons
sera rela,xé et mis hors des pri­que ledit Michel Couillard
son$ si pour autres causes, il n y est détenu, et faisan t le
geolierbien et dûment déchargé, luy enjoignons de se retirer
incessamment et en droiture dans le lieu de son domicile à

Blois à peine d'être poursuivie comme vagabond, ordonnons
que les petits effets lui appartenant et ,déposés au Greffe luy
tout remis.
soit le

Fait et donné à Quimper, le 2· Septembre 1761,
-' Regnoult DEMARET.

, Tout détenu de- ]a Maréchaussée, en prison préventive,
devait établir, sous quinzaine, sa notoriété de bo.nne vie et
mœurs, domicile et moyens d'existence, moyennant quoi il
n'était plus vagabond et avait droit à ce que l'on ouvrit toutes
grandes les portes de 'la captivité. Michel Couillard ayant eu
la bonne fortune d'établir ces points et de les démontrer à
son 'avantage, retrouva son habeas corpus, sa liberté, quoique

limitée, avec la gra,nde écritoire qui l'accompagnait dans ses
excursions « pour tenir ses comptes», et le vif argent et
poudre grasse qui servait à « le divertir».
Remis sur la route de Blois, il dut rentrer dans ses foyers,
y retrouver sa femme et ses enfants, ses beaux-parents si
affectés, s'il faut en croire Pierre Daudin, une succession de
quatre à cinq mille livres ouverte par la mort de son pauvre
père miné par le~ inquiétudes et le chagrin. Ce g'rand entant
allait-il pnfin aborder les réalités de la vie telle quelle est,
avec ses devoirs et ses responsabilités, oublier les cinq mois
de sa vie errante et les hallucinations de sa vie maritime
avec un capitaine espagnol? (1).
Hélas, nous ne le croyons pas ... ; ni vous, _, non plus,

nous le craignons. ' .
La Maréchaussée semble ' mettre une certaine affectation
. ' à recruter ses archers et cavaliers en dehors des gens du pays,
comme aussi les agents des Devoirs ou de_ s Droits r~unis. Ce
sont, robustes fils de la grasse Neustrie ou beau x gars de la

plantureuse Bourgogne, ou Alvernes compatrtotes de Vercin-

(i) Voir, la lettre, de Saumur, à sa femme.

gétorix, qui ont fàit souche chez nous et ont prospéré sur
sol d'Armorique. C'était le régime de la centràli'3ation
. notre
à outrance: que Dieu nous en délivre 1
Cavaliers ou archers de la Maréchaussée devaient à leur
bon renom d'assurer la sécurité des localités .qui leur étaient
confiées. Ils avaient à capturer les délinquants et les frères
de la Côte, à développer dans un style très personnel, un
beau 'procès-verbal de capture, çoncernant un indigène du
pay~ ou tout autre venu. .
Nous avons, aux Archives de la Maréchaussée, rapportées
au long des aventures de gens venus on ne sait d'où et se
rendant on ne sait où, comme Couillard dont nous vepons
d'esquisser la biographie; Jean ou Simon Lacombe, du

Dauphiné, qui trouve . à Quimper-Corentin un interprète du
patois de son pays, comme on le voit par le procès-verbal

d'arrestation et l'interrogatoire.
Juillet 1768 .

Capture du !) juin 1768 .

Maréchaussée de Landerneau, rapport de l'exempt:
Nous portant sur la chaussée des Récollés de cette ville,
nous avons arrêté le nomé Jean ou Simon Lacombe se

disant du lieu de la Chapelle, en Dauphiné, âgé d'environ
trente années qui nous a parue imbésile et sans aveux, qui ne
connois trop, on ne peut rendre son origine, ni par quele
chemin, ville ny bois, il en a parvenu à se rendre dans cette
province dont il ne sçay la langue ny le françois, à force de
quesquions (sic)~ l'on a dévelopé qu'il a travaillé à la terre, sans
pouvoir tirer aucun autre aveu, areste le susdit en execu­
tion des déclarations du ·Roy du 6 septembre 1764, et un
acte de conseil d'État de Majesté de 21 octobre 1767, et
l:avop..s constitué prisonier aux prisons de notre ré~idence ...

... Et n'a plus voulu parler. . . .
. LE ROUX DE FRANCWILLE,
exempt.
« front étroit, nez poinLu ... barbe mêlé de rouge sous le
Ayant toute la peaux coureur mulatre .
nez.

Suit' l'Interrogatoirè du 6 ,juillet:
Conduit par la Brigade d'~ Châteaulin.

. <ç Ayant [ait mander Cristophe RuchaI' pOUl' l'explication
du patoy de la province du Dauphiné». ,

, Interrogé de son nom, surnoms, etq '" <1"falité, q.emeure:

(( N'a voulu répondre et a seulement dit· qu'il était âgé de
treize ans, être du païs gue le Bon Dieu veut!
Interrogé sil est catholique, n'a voulu répondre.
Interrogé sil sçait le sujet de sa détention, où, quand et
par qui il a été arrêté, il a voulu répondre et qu'il ne parlera

qu'à Dieu.
Attendu lesquelles réponses et jugeant de la démence de
ce particulier et de son air égaré, nous avons raporté le

présent procès-verbal (sentence du 12 juillet).
Nous retrouvons encore un type assez curieux et digne
d'attirer notre attention. C'est Dominique Cu rot, arrêté
le 29 juin '1769, qui voyageait pour travailler au rachat et
rédemption de son frère et de son père, captifs en Turquie?

, Dominique Curot, arrêté le 29 juin l769 par la brigade de
Landerneau: Jacques-Joseph Le Goux exempt, Claude Kéri­
von, et Julien Galhbourg, cavailliers.
(( Rapportont qu'au moment de partir pour l'exercice de
nos foncLions, nous avons-vù un homme qui nous a 'parû
suspect, à notre approche il nous a présenté un passeport
du neuf janvier de l'année dernière avec lequel il a traversé­
toute la France en obtenant dans chaque lieu de son passage
un vû passer avec permission de quêter sous prétexte de
racheter son père et son frère captifs en Turquie. '
L'ayant fouillé nous lui avons trouvé un autre passeport
qui nous a paru de même écriture, de même datte que le
premier, l'un pour aller à Sainl-Jacques dont le cachet
enlevé peut avoir été apposé sur l'autre; nous lui avons

trouvé un troisième passeport en langue étrangère qui sem­
ble lui permettre de vagabonder en Espagne comme en France,
c'est pourquoi nous lavons conduit dans les prisons de

Landerneau, OÙ nom~ lui avons saisi en présence du sieur '
marchand, rue Ploudiri, la somme de trente livres
Simon,
au Greffe avec les passeports.
(déposé)
Nos compatriotes vagabondaient aussi bien que les autres: .
il serait instructif de les rechercher au cours de leurs fugues,

dans les archives des autres départements.

L'abbé ANTOINE -FA VÉ

. Quimper, le 8 Juillet 1908 .