Responsive image
 

Bulletin SAF 1908


Télécharger le bulletin 1908

La Nature et l’homme en Montagne d’Arrée: Brasparts et Saint-Rivoal

Camille Vallaux

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes


BRASPARTS ET SAINT-RIVOAL

, Les ' landes, les vallons et ' les marais de la montagne
d'Arrée comptent parmi les plus intéressantes régions de la
Bretagne. Nulle part on ne pe,ut mieux saisir l'influence des'
conditions naturelles sur l'existence de l'homme, ainsi que
les traits particuliers et les étapes de l'aménagement pro- ~
gressif de la terre. Ce n'est' pas à dire quiil soit toujours
facile de démêler les rapports des choses, màlgré leur phy­
sionomie si singulière et . 'si frappante. Lorsqu'il faut relier
entre eux des faits qui appal'tiennent, les uns au passé géo-
_ logique, ' d'autres au passé historique, d'autres encore à la
nature vivante et présent~ sous nos yeux; lorsque l'on songe
qu'une . multitud,~de chqses . s'effacent . à mesure qu'elles
évoluent, et que les traits subsistants du passé de la terre,
comme celui de l'homme, deviennent rapidement inintelligi-

bles parce. qu'il manque · trop d'anneaux fi .la chaîne des
vestig'es ou des souvenirs, 9n se demande s'il est possible
de m'tm'eràbonne fin l'étude des rapports entre l'organisme
physique du sol, le travail humain et l'organisation sociale .

Nous' l'avons essayé pour un tout petit canton de l'Arrée,
Brasparts et Saint-Rivoal: hautes terres de grès, de schistes
et de q1,lartzites, encore en partie incultes, entre le Léon et
la Cornouaille, ,à l'Est et au-dessus des vallons verdoyants

qui descendent vers la rade de ~rest, à l'ouest des mamelons
granitjques du Huelgoat et des marais de Saint-MicheL
Nous avons consulté le's papiers jaunis d'archives aussi bien
que les feuilles géologiques du sol; nous avons parcouru le
pays à plusieurs reprises, causé avec les habitants, interrogr.

Poignard en bronze trouvé au village de Keraudren, en Plouëc
(Côtes-du-N orel) .

les plus capables de nous renseigner sur l'existence éconà ..
O1ique et sociale de leurs compatriotes (1) ; le présent travail
est sorti de ces enquêtes variées.

Le sol et les ètapes de son modelè
Nous avons tenté de donner, dans l'introduction de notre
Basse-Bretagne, une idée d'ensemble de la physionomie du
pays:2). M. Charles Barrois a analysé en détailla structure
géologique de l'Arrée, soit dans ses articles (3), soit dans
la construction de la grande carte géologique au 1/80.000
(feuille 58, Morlaix) (4). M. de Martonne a interprété le
modelé du sol, par des considérations purement géographi­
ques tirées de la structure du massif armoricain et du . travail
des eaux courantes, suivant la méthode de Powell et de W.
Morris Davis (5). En nous servant de ces travaux et en y
ajoutant nos observations et nos mesures, nous étudierons
d'abord les formes topographiques, qui, dans cette région,
donnent à l'existence humaine des cadres si nettement
délimités.
Le lecteur voudra bien se servir, pour l'intelligence des
développements qui suivent, du croquis topographique par

courbes de niveau, 'au 1/40.000 annexé au présent travail ;

mais, comme notre étude dépasse les limites nécessairement

bornées de ce croquIs, où nous nous sommes contenté de
représenter la tranche de sol sur laquelle a porté notre
principal effort, il sera bOB de joindre au croquis. la feuille
de l'Etat-major de Morlaix Sud-Ouest, au 1/80.000 ou

mieux encore au 1/50.000

(I) C'est un devoir pour nous de remercier MM. Cléran, instituteur à
Brasparts; Coroller, instituteur à Saint-Rivoal; Mazé, entrepreneur à
Brasparts. ,
(2) C. VALLAUX, La Basse-Bretagne (i907), IntroducLion, § III.
(3) Ch. BARROIS, Des divisions géographiques de la Bretagne (Ann. de
Géogr. I5 janvier et 15 mars i897). .
(!~) Parue en 1906. .
(5) E .. DE MARTONNE, La pénéplaine el' les côtes bretonnes (Ann. de Géogl'.
15 mai et i5 juillet i906).
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ AltCHÉO . -
TOME XXXV (Mémoires 7) •

Supposons-nous placés à 7 kilomètres au Nord-Nord-Est
de Brasparts, sur le sommet de la colljne Saint-Michel, le

point le plus élevé de la montagne d'Arrée et de toute la
Bretagne (391 mètres). Mettons-nous face au Nord. A nos
pieds nous apercevons une $orte de vaste col, qui sépare la
butte de Saint-Michel d'une crête presque aussi élevée,
orientée du Sud-Sud-Ouest. au Nord-Nord-Est: c'est la
hauteur que la carte appelle Signal de Toussaines, et que
les gens du pays appellent simplementTussen ou Menez_
Cador (384 mètrès). Du col divergent vers l'Est et ' vers
l'Ouest deux minces filets d'eau qui deviendront des rivières.
Celui qui va à l'Est, c'est l'Elez, dont les eaux, d'abord très
lentes,. drainent une immense tourbière en forme de çuvette
(marais de Saint-Michel), et bondissent en cascade, 12 kilo-

mètres plus loin, sur les boules granitiques de Saint-Herbot,
avant de descendre dans l'Aulne, La,rivière qui va à l'Ouest,
et que nous appellerons le Roquinarch, du nom du village
situé' près du point d'eau le plus élevé, descend tout de suite
dans une vallée profonde, bien plus creusée que le cirque
de Sairit-Mi~hel. Près de Saint-Rivoal, Je . Roquinarch se
réunit à d'autres ruisseaux; il forme alors le Rivoal, et

s"échappe des landes d'Arrée par une cluse profonde: orientée
du Nord au Sud; plus bas, il se joint à la Doufine, la

. rivière du Pont-de-Buis .

Les deux régions drainées par l'Elez et le Rivoal d'ffèrent
sensiblement. Ces différences sautent aux ' yeux de tout
observateur non prévenu. Sans doute, l'une et l'autre région
appartiennent aux parties les plus élevées et les 'plus infel'-
- tiles de la pénéplaine bretonne. Elles sont relativement peu
peuplées, et, comme l'a remarqué avec raison M. de Mar­
tonne (6), comme nous l'avons fait ressortir nous-même (7),

. les rares groupements de population se trouvent sur les

(6) E. DE MARTONNE, p. 229. .

(7) C. VALLAUX, la Basse-Bretagne, p. 131-132.

cours d'eau et aux principaux points d'eau d'origine, d~
sorte que la land~ dépourvue de ruis$eaux pe~manents est à
peu près déserte. Mais le bassin de l'Elez est une région où
le creusement des thalwegs semble à peine esquissé, tandis

que dans le bassin du Rivoal, les v~llons son~ fortement
accusés et les ruisseaux tendent plus franchement vers leur
profil d'équilibre. Au premier examen, ces différences
sont en rapport avec.la structure ·des deux bas­
essentielles
touybières de l'Elez s'étalent sur un fond de granite,
sins.Les
le même que celui du Huelgoat, limité à l'Ouest par ]e vaste
demi cercle des collines de S~int-:Michel, du Menez-Cadol',
du ' Roc'h-Trévézel, qui sont composées de grès et de s'chis-

tes. Les profonds sillons du Rivoal sont creusés dans les
dans les schistes et dans les quartzites qU,i s'étalent vers
gl'ès,
l'Ouest en masses épaisses, en Crêtes d'éboulis et en lignes
rig,ides, jusqu'à la forêt du Cranou et aux vallons d'Hanvec
et de Rumengol. Tourbière à l'Est, lande d'ajoncs et de
bruyères à l'Ouest; tels sont les traits essentiels du pays.
Aucun accident naturel ne tranche sur la teinte uniforme de
la tourbière de Saint-Michel. SUl' la lande de l'Ouest, au
contraire, se détachent; soi~ des plaques feuilletées de schis­
tes fort durs, exploités sous forme de dalles, soit des masses

blanchâtres de quartzite, telles que la Roche aux Loups
(Roc'h ar BLeiz), les éboulis de crête du Menez-Cadol' et de
la chaîne de Caranoët,
La chaîne rectiligne qui va dU Sud- Sud-Ouest au Nord­
Caranoët à la roche Saint-Barnabé par le
Nord-Est, de
l'horizon au Nord. Elle le limite aussi
Hoc'h-Trévézel, limite
bien du côté de la, tourbière que du c~té des landes. Elle est
interrompue, à l'Est de la route de Saint:-Rivoal à Sizl.1n,
par une cluse remarquable et profonde, par où s'échappe,
vers le Nord, le cours supérieur de l'Elorn, né dans la lande
, intérieure, au pied du Menez-Cador .

De notre observatoire de Saint-Michel, considérons main-
tenant l'horizon qui se déploie au Sud . .

; 'Dans' la partie Sud du Saint-Michel, comme au' Nord
existe un col où coule vers l'Ouest le ruisseau de Bodenna
qui se joint au Rivoal et fait exactement le pendant du
Roquinarc'h. Mais à l'Est, les eaux ne vont p as à l'Elez:

elles s'échappent brusquement vers le Sud par les profondes
gorges du Moënnec, au lieu de se traîner dans la tourbière,
Plus loin vers l'Est, il en est de même : les gorges courtes
et étroites succèdent aux gorges, et, jusqu'à Loqueffret et

au-delà, toutes sont orientées du Nord au Sud.

. C'est que, sur toute cette partie Sud, la table granitique à
fond plat àisparaît; de l'Ouest à l'Est, aussi loin que peut
, s'étendre le regàl'd, de Stumenven \. Loqueffret, se déroule
une étroite crête de schistes et de grès, qui forme un talus

nu, aride, aux pentes raides, au-dessus d'un vaste horizon

de terres situées à 150 mètres plus bas, verdoyantes et
arrosées, où abondent les ruisseaux, les bouquets de bois,

les cultures - riches, les villages, les maisons isolées, où

les landes dispa raissent et où une multitude de rigoles

distinctes descendent des talus de grès. Cette terre de
bocage, c'est le bassin de· Châteaulin, qui se prolonge

jusqu'à l'horizon fermé par les lignes bleuâtres de la Monta-
gne Noire" Les premières pentes qui dévalent au Sud des

crêtes de Stumenven, de Roc'hqnelyan et de Pen-yun-ar­

Poul, forment la partie Sud du pays de Brasparts, dont

Saint-Rivoal et ses montagnes forment la partie Nord.
Du Saint-Michelon a donc une vue immédiate sur la lande,
vers Saint-Rivoal et Stumenven; une vue aussi immédiate sur

la tourbière, vers les marais de l'Elez ; et enfin une vue plus
lointaine, du côté du Sud, . sur le bocage de Brasp:uts et sur
tout le bassin de Châteaulin.
Toute la partie haute, c'est-à-dire la lande et la. tourbière
d'Arrée, forme un bombement de schistes durs, de quartzite
. et de granite, où le modelé, plus ou moins avancé, est l'œuvre
cours d'eau: l'Elorn, le Rivoal et l'Elez. La partie
de trois

ba'sse, au Sud, composée de schistes dévoniens très Ïrial:Hes
parfois calcaires, . a ,été disséquée par les nombreux
ruisseaux qui vont dans la Doufine et dansl'Aulnè. '
rapports des trois cours d'eau du Nord sont intéres~
Les
sants à étudier. Non seulem,ent leur évolution soulève des
problèmes hydrographï'ques assez curieux en eux-mêmes;
mais, comme ce sont les cours d'eau qui, en dernière analyse,
ont pétri ce terrain pour en faire ce qu'il est aujourd'hui: ce
sont eux-qui ont donné à l'habitation et à la culture leur
forme, leur cadre et leurs limites.

Le bassin de rréception drainé par le Rivoal forme ce que
noUS avons appelé un Toul, c'est-à-dire un cirque originel

avec des pentes 'et des mouvements de terrains accentués,
mais assez simples et réguliers, comme le montre l'étude
des courbes de niveau du croquis au 1/40.000 Cette simpli­
cité et cette régularité presque harmonieuses des mouve­
ments du sol montrent que le modelé par les eaux courantes
est très avancé dans le Toul. Non seulement les eaux ont

atteint leur profil d'équilibre, mais le voisinage du niveau
de base marin les a aidées à affouiller profondément les
schistes et les quartzites les plus élevés de la pénéplaine, où

s'est constitué un réseau ' régulier. Pour cette région au
moins, il n'est donc pas tout à fait exact d'affirmer, comme
l'a fait M. de Martonne, que « l'attaque des régions élevées
de la pénéplàine a été arrêtée » (1). Au contraire, dans le
bassin du Rivoal, cette attaque par érosion régressive a été
poussée, de longue date, assez loin. Nous .inclinons même
à penser qu'elle a été poussée plus loin que ne l'indique le
tracé du cours actuel, et que la branche supérieure de l'Elorn
n'est autre que l'ancien cours du Rivoal décapité par l'Elorn.
Il y aurait do ne ici un de ces curieux phénomènes de capturre
d'un cours d'eau dont la géographie moderne nous a fait
de nombreux exemples. Ce cas vaut que nous y
connaître
InslstlOns "

(!) E. DE MAR'l'ONNE, p.234 .

Au Nord du 'Toul de Saint-Rivoal, entre le Menez-Cado
et la route de Saint- Rivoç.l à Sizun, existe tine large vallée

très évasée, lit désigné d'nne rivière; et pourtant aucune
C'est la vallée de Roudouderch. A peu
rivière n'y. coule .
près dans l'axe de cette vallée, vers le Nord-Est, se déve_
• loppe le . cours supérieur de l'Elorn, qui tourne ensuite
brusquement au Nord-Ouest et s'échappe du massif par
l'étroite et profonde cluse de Kerlann.

Roudouderch est à 260 mètres d'altitude; le Rivoal' conIe
actuellement 80 mètres plus bas. Il est probable qu'avant
cette tranche de 80 m8tres au
l'affouillement qui a enlevé
recueillait les eaux de tout le
sol géologique, le Rivoal
vallon de Roudouderch et de tout le vallon supérieur, jusqu'à
la source actuelle de l'Elorn. Mais le Rivoal coulant, dans

tout son bief supérieur, à la surface des roches dures de la
pénéplaine, était alors une rivière relativerilent peu active .
Au contraire, le ruisseau qui s'échappait de Ketlann dans la
direction de Sizun, et qui est devenu l'Elorn, s'était taillé

une rigole profonde dans le massif de très ancienne consoli-

dation situé au Nord de l'Arrée. Les eaux de l'Elorn ont
par saper et par détruire la barrière des grès et des
fini '
quartzites qui les séparait de la vallée supérieure du Rivoal.
barrière abaissée, le Rivoal supérieur a été cueilli tout

entier par l'Elorn, et le vallon de Roudoudereh fest asséché;

en mêm~ temps que le point d'origine .du Rivoal était reporté

au lieu où il .est aujourd'hui .
travail accompli par les eaux de l'Elorn ne peut nous
Aujourd'hui encore, malgré son allongement: cette
étonner.

rivière a un régime torrentiel très marqué. De la source
jusqu'à Sizun, la pente atteint 14.83 p. %0.
C'est ainsi que la vallée de Roudouderch est devenue une
~allée morte .
. N'est-il pas intéressant de remarquer que cette vallle mor­
te, ancien lit de rivière, est le seul point de l'Arrée où se soit

établi un village, assez important au reste, loin de tout cours ' .
d'eau permanent? N'est-il pas intéressant de remarquer
aussi que la décapitation du Rivoal par l'Elorn a l'ejeté dfJ,ns
le Léon et dans la paroisse de Sizun le village de Roudou ..
derch, qui est pourtant situé au cœur de l'Arrée, en lui
un régime économique et social différent de celui
donnant
dans le bassin de Saint-Rivoal (1 ) ? Enfin n'est ...
qui domine
il pas curieux de constater que le Chemin. du Comte, cette
du Léon et de la Cornouaille,
vieille piste frontière
quitte les crêtes et fait un crochet au S. pour englober Rou ..
douderch dans les terres du Léon? Ainsi se reflètent sur ·
l'existence humaine les faits physiques en apparence les plus

indifférents.
Mais l'histoire de la rivière de Saint-Rivoal ne s'est pas

terminée à l'issue du duel enga gé ent1'e elle et l'Elorn. Le
une rivière paresseuse (2), dont ]e
Rivoal, qui était autrefois
était à peine indiqué sur le dur . bombement schis­
thalweg
teux, comme l'est aujourd'hui celui de l'Elez sur le bombe­
ment granitique du marais de Saint-Michel, s'est accéléré,
à force de- ronger les schistes près de son niveau de base. Il
est ainsi parvenu à conquérir un profil en pente rapide,
plus rapide que celui de l'Elorn lui-même. En effet, sur une
11 kilomètres, depuis la SOU1'ce dlJ Roquinarch
longueur de
jusqu'à sa sortie de l'Arrée, le Hivoal a une pente totale

qui n'est pas inférieure à 210 mètres, soit à peu près 20p. 0/ ,

Il est redevenu torrent et a commencé un nouveau cycle d'é-
rosion, tout en profitant du modelé déterminé par l'érosion
ancienne. C'est ainsi que l'étude de la vallée de Saint-Hivoal
et de ses rapports avec la vallée de l'Elorn permet d'acqué-
rir la notion de deux cycles d'érosion distincts. 11 est rare
que les faits de cet ordre, où la part de l'hypothèse demeure
toujours grande, se présentent à nos yeux avec autant
(1) Roudouderch relève de la grande propriété, Saint-Rivoal de la
petite. .
(~) A la sUl'face du plateau supérieur ~eulement. _

de vraisemblance e~ autant de coordination que 'd'ans cette
partie des landes dt Arrée .
maintenant les hauts cours du Rivoal et de
Considér'ons
TElez, ainsi que les cols et les hauteurs situés à leurs points
d:origine. ,
Huit-cent mètres à peine, dans le col largement évasé entre
le Saint·Michel et le Menez-Cador, séparent la source du
Roquinarch et celle de l'Elez, Les deux ruisseaux sont exac­
tement dans le prolongement l'un de l'autre: les forces de
l'érosion régressive semblent donc ici devoir se heurter de
front. Quelles destinées ces forces ménagent-elles aux COurs

d'eau? Sont-elles capables de déterminer un jour la jonc­
tion du Toul de Saint-Rivoal et de la tourbière de Saint­
Michel, ou ne pourJ'ont-elles faire autre chose que souligner
leur isolement ? ' '
M. de Martonne, dans l'étude que nous avons citée, con- ,
sidère l'Elez, par analogie avec le Fao et le Squiriou, autres
affluents dé l'Aulne, comme une rivière I( jeune et vigou­
reuse », parce qu'elle « descend par bond~ de seuil! en
seuil» (1) : c'est en effet l'Elez qui forme la célèbre et pitto-
resque cascade de Saint-Herbot, de même que le Fao for-
m~ , les cascades et le gouffre du Huelgoat. '
Mais, malgré Saint-Herbot, l'Elez n'est pas un torrent;
il ne descend pas un escalier, ou plutôt, son escalier n'a
qu'une seule marche. Sur les deux biefs que sépare la cas~
cade de Saint-Herbot, l'Elez, loin d'être un torrent vigou-
reux . comme le Hivoal ou comme l'Elorn, a plutôt, par
le3 autres rivières d'Arrée, l'allure relati­
comparaison avec
vement lente et (~alme d'une rivière vieillie. Entre Saint­
Herbot et l'Aulne, sur les schistes du bassin de 'Châteaulin,
et aussi entre la source et. Saint-Herbot, sur les granites du
. plateau supérieur, l'Elez ne ruisselle pas bruyamment sur les
cailloux. Jusqu'à Saint-Herbùt, à partir de la source. il ne

(i) E. DE MA.RTONNE, p. 228

descend que 85 mètres sur ' Il kilomètres et demi environ.
C'est une' pente de 7,52 %0' Ce serait beaucoup pour une
rivière de plaine; c'est peu pour une rivière de cette péné-

plaine bretonne où l'aplanissement de l'érosion n'a pas
détruit tous les plis en saillie, et où le voisinage du niv,eau
de base marin détermine une chute rapide de presque tous,
les cours d'eau. '
L':unique cascade de l'Elez 'à Saint-Herbot n'est due qu'au
passage des eaux, qui se fait sur ce point, du granite ' du
plateau supérieur aux schistes du bassin de Châteaulin.
Comme la constitution et le décapage du massif armoricain

sont deux faits très anciene, une rivière vraiment vigou-
reuse, à la place de l'Elez, eût été capable de raccorder les
deux profils en long de la va:llée, au-dessus et au-dessous
de Saint-Herbot. Ou bien, il faudrait supposer que le réseau
de l'Elez ne s'est constitué qu'à une date relativement très.·
récente. Nous' ne poursuivrons pas nos recherches sur ce
point; nous nous contenterons dé remarquer que la faiblesse
de pente de l'Elez, dans son cours supérieur, le rtnd. inca-
pable de pousser plus loiIià l'Ouest sa tête de source et de
capturer d'autres rivières, comme le fait le Squiriou,
auquel M. de MartQnne l'assimile à tort.

En effet, dans son col d'origine, la source de l'Elez .est à
285 mètres; celle du Roquinarch n'est qu'à 280; la pre­
mière rivière est trois fois plus lente 'que la seconde; ce
seraient donc) a priori, le Roquinarch et le Rivoal qui sem-
bleraient capables de décapiter l'Elez. .
Une étude minutieuse de la source de l'Elez permet de .
compléter ces déductions.
Le 15 avril 1908, en compagnie de M. Coroller, instituteur
à Saint-Rivoal, nous avons recherché, après un hiver parti­
culièrement pluvieux,le point d'origine de l'Elez, dans le col .
de Saint-Michel. Nous · avons remonté le ruisseau à partir
du pont . de la route de Quimper à Morlaix, sur les 800

mètres de son cours supérieur. Les eaux coulent dans une

ravine étroite et peu profonde: 2 mètres de large, 1 m. 50
de profondeur. Sur les 400 premiers mètres, en partant du
pont, cette ravine est creusée dans la tourbe; sur les 400
autres mètres, en amont, elle est creusée, non dans la roche
dt;lr du reste,
compacte, mais dans une sorte de cailloutis, fort
aux ' parois verticales, Où des morceaux de quartzite se
mêlent à des feuillets schisteux. A droite et à gauche de la
ravine, le terrain ne présente aucune pente sensible condui~ .
sant vers le lit du ruisseau. Le ruissellement de l'Elez ne

peut évidemment abaisser le niveau du col: tout ce que

. peut faire la rivière, c'est de creuser une rigole; mais la
accusé; l'étude des Cour­
vallée manque de profil en travers
bes de niveau de l'Elez supérieur, comparées à celles du
.. Roquinarch, le montre d'une manière frappante (voir le
croquis au 1/40. oooe).

Faut-il en conclure que le Roquinarch et le Rivoal, ri-
vigoureusAs que l'Elez et d'un profil plus accen­
vières plus

tué, sont capables de décapiter un jour l'Elez et d'unir ainsi
tourbière de Saint-Michel au Toul de' Saint-Rivoal? Nous

ne le pensons ' pas. Des considérations génétiques s'y op-
posent; ou, poUr parler plus simplement, c'est la nature du

sol qui l'empêche .

Le col de PElez, comme le Saint-Michel et le Menez-
Cadol', comme les crêtes qui vont de Stumenven à Loquef-
fret, est composé de schistes et de grès métamorphisés,
qui passent au quartzite, en formant une sorte de barrière
extrêmement dure que les rivièrel:; actuelles semblent im­
puissantes à percer. Il faudrait un ruissellement d'une
très grande, comme celui qui eut lieu, sans doute,
activité
à une époque géologique antérieure, lorsque l'Elorn et le
Rivoal perçaient les cluses de Kerlann et du Nivot, pour
triompher de ces dures assises, dont l'attaque est beaucoup ,
plus difficile que celle du granite. Or, il est exact que sur les

pentes de l'Arrée, où les pluies anmielles dépassent 1 mètre,
le 'ruissellement est assez régulier et assez actif pour assu-
ref, de concert avec les vents, la désagrégation de certaines
masses minérales; mais si les granites et un certain nombre
de schistes se transforment aisément en arène, il n'en est
pas de même pOUf les schistes métamorphisés, pour les grès
primaires ~t pour les quartzites, sur lesquels les eaux sau­
vages de maintenant, rapides, mais peu abondantes, glissent
en les entamant à peine.
C'est pour la même raison que l'Elez est protégé, du côté
du Sud, contre les petites rivières ra,pides du bassin de
Brasparts, le ruisseau du Moënnec, celui du Heundu et sur­
tout le Grand Pont, qui semblent si bien placés pour le cap­
turer. Ces petites rivières affouillent les schistes friables du
bassin de Brasparts; elles ont dessiné depuis longtemps, aux
environs de ce bourg, un sol aux lignes doûces et ondulées, .
avec des mamelons verdoyants et des valloDs aux pentes
équilibrées; mais, dans leur érosion régressive, les ruisseaux
de Brasparts se sont heurtés et arrêtés à la dure ' crête
gréseuse où ils ont pu ouvrir des brèches aux éboulis pit- '
toresques, comme le col du Nord, mais où ils sont incapables
de sectionner et de modeler la masse. Leurs vallées s'ar-

rêtent donc court aux abords du plate.1u supérieur, à ces
points d'eau originels où, comme l'a justement remarqué
M. de Martonne, une ferme ou un village sont établis à
chaque source. ( Le travail de l'érosion fraye la route à la
colonisation» (1).
Il n'existe aucun exemple, sur ce versant méridional de
l'Arrée, de vallée morte et de village situé, commt Roudou­
der~h, loin des points d'eau principaux.
C'est aussi la dureté des grès et des quartzites qui
empêche, dans le col méridional comme dans le col septen­
trional du Saint-Michel, la migration des rivières. Lorsque
• • • e • • E 2 _ '" ••• • •• C

li) E. DE MARTONNE, p. 229.

l'on ' examine sur la carte la situation du Bodenna, deuxième

par rapport au ruisseau de Moënnec et à
source ,du Rivoal,
l'EI,ez, on est tenté de croire que les sillons de drainage
pourl'aien't varier dans Idur direction, 'et mener, par exemple,
vers Moënnec, les eaux du vallon de Bodenna. Il n'en est
et un fait bien simple l'indique avec une grande
rien pourtant,
clarté. C'est que dans la vallée de Bodenna les pqints d'ori- '
gine des eaux ne sont pas dans l'axe du col. Cet axe va de
"l'Ouest à l'Est , et passe par Roc'hquelyan et Pen-yun-ar­
Poul. Or, les deux sources principales du Bodenna viennent,
l'une du Sud, de Roc'hquelyan,; l'autre du Nord, des flancs
pas par
du Saint-Michel. Le Bodenna ne marche donc
érosion régressive Vers le col, et aucune migration des
eaux par ce col ne paraît possible. '
Ainsi se maintient, par le jeu contraire 'êt par l'équilibre
, des agents naturels, un caractère essentiel pour l'étude de la
vie et du travltil de l'homme dans ce pays. Ce caractère est
celui de l'autonomie et de l'isolement des petites régions
inscriies dans le cadre géographique que nous considérons .
Le Toul de Saint-Rivoal avec ses groupes de villages; les
marais de Saint-Michel avec leurs déserts de tourbe; les
vallons de Brasparts avec leurs cultures, leurs villages
autant de microcosmes
et leurs maisons éparses, forment
ont été longtemps rares
entre lesquels les communications
et difficiles. Essayons de nous représenter comment les
hommes ont tiré parti, à Saint-Rivoal et à Brasparts, des
cadres de colonisation qui leur étaient offerts, et comment
tenté œutiliser la lande stérile. '
ils ont

Saint-Rivoal: le peuplement et les cultures
Saint-Rivoal et les villages qui en dépendent formaient,
trève de la paroisse de Bras-
au point de vue religieux, une

parts. Les mêmes groupements forment,delmis 1854,une sec-
tion distincte de la commune de Brasparts,au point de vue de

o ' lOg' "~

tétat cIvil, et sont administrés par un adjoint spécial; 'il est
question, à l'heure présente, d'ériger Saint-Rivoal en com­
alUne; en suivant l'éxemple donné, au cours du XIX siècle,
par d'autres village del'Arrée, anciennes sections commu­
nales, Brennilis et Botmeur , L'autonomie du Toul de Saint-
Rivoal, voulue par la nature, a donc été reconnue par
l'homme d'une; manière plus ou moins complète. l,es liens
qui rattachent Saint-Rivoal à Brasparts, et qui sont sur le
point de se rompre, ont toujours été assez lâches. Les docu­
ments du XVIIle siècle le montrent souvent d'ufte manière
curieuse: Lorsque la paroisse de Brasparts ,doit fournir
trois soldats tirés au sort, au commencement de la
guerre de la succession d'Espagne (1701), la trève de Saint­
Rivoal est chargée de fournir un des trois: mais tandis
que Brasparts s'exécute ~e mauvaise grâce, Saint-Rivoal
ne s'exécute pas du tout; on n'a raison de sa résistance
que le 23 février. 1702 (1). Quand la capitation est répartie

entre les parcelles de ,la paroisse, par le sénéchal de Châ-
teaulin (20 février 1714), on donne à la trêve de Saint-Ri­
voal son chiffre en bloc: 238 livres ; à elle de le répartir à son
tour entre ses villages (2). Même chose pour la capitation de
1729 (3). Lorsque les notables de la paroisse s'assemblent,
les procès-verbaux des délibérations mentionnent ,toujours
ceux qui sont «tréviens de Saint-Rivoal», comme s'ils
appartenaient à une catégorie à part.
C'est que le lien qui ' rattachait Saint-Rivoal à Brasparts,
paroisse de Cornouaille, était tout artificiel. L'impulsion et
les influences civilisatrices, dans la montagne: n'étaient pas
venues du Sud, mais du Nord. Saint-Rivoal était une colonie

de l'ahbaye du Relec.
Bourde de la Rogerie a ' déjà signalé, dans un

('1) Arch. Finis t. G. 509.
(2) Arch. Finist. G. 512.
(3) Arch. Finist. G. 509.

travail récent (1), que les biens de l'abbaye du Reie~ conte_

naient « une pièce d'Oultrellé), c'est-à-dire des domaines
situés, par rapport au Relec, au-delà de l'Elez. Ces do~
maines s'étendaient sur Gouézec, Châteauneuf, Pleyben,
Loqueffret, Collorec, Saint-Rivoal (et aussi sur le Moënnec
et sur Tréoffret, en Brasparts). Les terres de l'abbaye
avaient une très grande extension dans le Toul de Saint- ·
RivoaL Non seulement le bourg en faisait partie, et le moulin
était abbatial (arrêt du Parlement du 12 décembre 1685) ;
mais les villages de Kernévez ou Ville-Neuve, de Linguez,
de Roquiharc'h, de Pen-ar-Goarinic, de Ty-Béron et de Bo-

denna, c'est-à-dire tous les centres de peuplement situés à
rI~st, dépendaient de l'abbaye (2). En revanche, la juridic-

tion du Relec ne s'étendait pas sur les villages situés à
l'Ouest et au Sud, dé Lann-ar-Marroi à Stumenven . Mais
d'autres terres d'église étaient situées de ce côté là, et, comme

pour les tel'I'es du Relec, leur centre de jl1ridiction n'était
poinL à Brasparts. Un aveu du 12 mars .1685 porte que les

1 villages de Bodingar et de Glujeau Bras (ce dernier est
aujourd'hui en Lopér'ec), sont tenus en fie1 f sous la comman-
derie de l'Ordre de Malte à la Feuillée (3). D'autre part,
l' « aveu et dénombrement » des terres de l'abbaye de
Daoulas, du 9 juillet 1699; que nous avons déjà étudié (4),

indique que les terres de l'abbaye s'étendaient jusqu'au
Roc'h-ar-Blei::, en montagne d'Arrée. En 1904, nous n'avions
pu retrouver le Roc'h-ar-Bleiz ; et nous avons été très éton­
nés d'apprendre, le 16 avril 1903, qu'il existait un Roc'h-ar-

Bleiz au Nord-Est de Bodenna. Nous n'osons pas affirmer que
ce soit celui dont parle l'aveu de 1699 ; . mais la chose n'est

pas impossible. ' .

Cette extension des biens d'Eglise a été suivie de ses .ré-

(1) H .. BoCRDE DE LA ROGEnm, Analyse d'IIIl compte de l'abbaye du Relec.
('1 M2-o1M6) (Soc. Arch. du Finist. 1904). . .
(2) Arc. Finist. H. 03. G.5'1<'"
3) Arch. Finist. H. 93.
4) C. V ALLAUX, La Basse Bretagne, p. 89.

sultats ordinaires: à l'époque de la Révolution, lorsque les

biens du clergé sont devenus biens nationaux, la petite pro-
priété paysanne s'est établie sans peine sur le territoire de
Saint-Rivoal. Saint-Rivoal est un pays de petits propriétaires
qui exploitent eux-mêmes. . .
L'étude des vieux titres du Relec et des registl>es parois-
siaux de Brasparts révèle un autre fait intéressant: les

centres de peuplement du T01.û de Saint-Rivoal n'ont pas
changé depuis le XVIe siècle. Bien que le défrichement ait
pris une grande extension, on n'a pas fondé de nouveaux
villages; on n'a pas construit de maisons isolées. Deux
petits villages et une ferme font exception; ils ont été cons­
truits au XlXe siècle, pos~érieurement à l'établissement du
cadastre, qui date de 1813; c'est Stanc-Anay (la clÔture
neuve), Goazaludu et Goarimy (voir le croquis).
11 semble même que si l'importance des -constructions,

dans chaque village, s'est beaucoup accrue, puisque des
maisons habitables ont succédé aux tanières si pittoresque- ,
ment décrites par les vieux écrivains bretons comme Cam­
bry, le nombTe des maisons n'a guère changé. C'est du
moins ce qu'indique un aveu du 28 novembre 1718, qui con­
tient une description détaillée du village de Kernévez. Ker-
névez se composait alors de quatre maisons,et d'une crèche: , .
c'est à peu près le Kernévez de nos jours. L 1).

Les rares indications éparses dans les documents officiels
nous portent à penser que la misère de l'ancienne habita-

tion bretonne, à Saint-Rivoal, était comparable à celle des
districts vus par Cambry. Beaucoup de maisons sont en
ruines et changées en « mazières. » Beaucoup sont couver-
tes,soit de « genetz ) ou de « gledz», soit de c( pierre grosse »,
c'est-à-dire de ces larges dalles schisteuses que fournis­
saient les crêtes d'Arrée, et qu'on utilisait sans presque les
façonner. Assez rares sont les maisons couvertes d'ardoises:

(1) ArclJ. Finist. H 93. '

il n'yen a que trois sur neuf dans 'lm acte du 26 novembre
1712 (1) ; encore cet acte ne porte-t-il que sur des maisons
situées au bourg de Saint-Rivoal.
Aujourd'hui, le ,chaume et les genêts ont disparu. Mais
quelques maisons construites en dalles bleues grossières
rappellent 'encore ' le vieux temps. Il yen a une, à Saint­
Rivoal, qui porte la date de 1702. On y retrouve tous les
traits caractéristiques de la vieille maison bretonne, telle
que nous l'~vons décrite dans notre Rasse-Bretagne: auvent,
escalier extérieur en pierre, porte cintrée et basse, fenêtres
rares et petites. A l'intérieur, deux lits clos sont datés de
1798 et de 1830. Chose singulière, ce n'est pas dans les vil­
lages perdus auèœur de la montagne qu'il faut ch~rcher ces
antiques masures, mais à Saint-Rivoal même: dans la mon­
tagne, tout a été renouvelé.
, Les 'habitants de Saint-Rivoal sont groupés en villages,

comme dans toute la montagne d'Arrée, où il n'y a presque
pas de fermes isolées. -
Ces villages _ sont entourés par des îlots de culture, très
nettement délimités, qui sont entourés eux-mêmes et do mi-
nés de toutes parts par les landes. On distingue neuf îlots
sur ]e territoire de Saint-Rivoal: 1° Saint-Rivoal; 2° Lan-
ar-marroi, Bodingar et Penanouer; 3° Linguez, Kernévez

et Roquinarc'h ; 4° Pen-ar-goarimic et Ty-Béron ; 50 Boden-

na ; 6° Last-ar-hoat; 7° Stumenven et Stanc-anay; 8° Ker-
gambou ; 9° Pen-ar-faot et Goazaludu.
Comme nous le verrons plus loin (§ IV), le seigle était au
XVII1e siècle la culture dominante sur tout le 'territoire de
Brasparts, à Saint-Rivoal comme ailleurs. Le seigle était la

céréale des terres d'écobuage, eur waradek, des , landes
d'ajoncs et des terrains tourbeux. De nos jours, Saint-Rivoal

fait encore un peu de seigle et surtout du sarrasin, car la
population se nourrit principalement de crêpes et de laitage;

(t) Arch. Finist. H. 93.

mais le froment est devenu dans le TauZIa base de toutes les
cultures productives: en particulier sur les pentes Ouest. de
Lan ar marroi, de Bodingar, de Penanouer, e~ dans le v~llon
du Roquinarch. On pratique à peu près partout l'assolement
triennal: au froment succèdent d'abord l'avoine, puis les
plantes-racines, panais, rutabagas, ,carottes et betteraves.
Très peu de jachères ; parfois, seulement, on laisse dans
cet état les terres défrichées depuis peu. .
Mais le meilleur élément de la vie et de la prospérité agri-
coles dans tout le pays, c'est l'élevage des animaux de race
bovine.' BÇBufs et vaches ne sont plus aujourd'hui ces ani-
mauX robustes, mais de petite taille et de chétive mine, que
l'ancien élevage breton nourrissait maigrement dans les pa­
cages de~ landes. Ce sont les bêtes à la forte encolure et au
poil luisant, nourries à l'étable et à la prairie, qui consti­
tuent la race Durham bretonne. Pendant la moitié de l'année
où elles vivent à l'étable, on leur donne, outre les plantes
fourragères, les ajoncs de lande cultivés, pilés et hachés ;
mais, pendant l'été, elles sont à la prairie, et il y a telles
de ces prairies, intelligemment irriguées, en particulier aux
environs de Bodenna et de Stumenven, qui ne dépareraient
pas les plus beaux pays d'élevag~: C'est un résultat d'au- .
tant plus remarquable que les prairies ont été très récem­
ment créées, aux dépens de terres incultes de « lai mon­
tagne 1). Le défrichement gagne presque tous les ans sur les
limites des îlots de culture: le jour n'est pas loin où ces
îlots se rejoindront tous.
On amende le sol au moyen des phosphates et des en-
grais de mer; ces derniers devraient arriver en abond,ance
dans les vallées de l'Arrée, qui ne sont pas loin des quais
du Faou et de Port- Launay. Mais les chemins font défaut.
Saint-Rivoal, au point de vue des communications, n'a
qu'un horizon complètement fermé à l'Oue?t ; c'est la
grande lacune de la viabilité dans ce pays, comme nous le
verrons (§ V).
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ AnCHÉo. .. TOME XXXV (Mémoires 8) .

La vallée de Saint-Rivoal et les pentes de la montagne
d:Arrée sont complètement déboisées. Ce· déboisement

remonte très loin. Un acte du 20 mai 1747, qui porte sur
de nombreuses terres cultivées, issues, franchises, « mon- .
tagnes et terres frostes », indique qu'elles ne contiennnent
« auc~n arbre qui soit bon à merrain» (1). Il en est de
même aujourd'hui, sauf pour les bois ' de pins, dont la
plantation tend à progresser.. En dehors de quelques bou-
quets isolés, un bois de 1.500 mètres de longueur Sur

plusieurs centaines de mètres de largeur couvre le plateau
,Il jette une note . d'un vert ·
entre Saint-Rivoal et Bodenna.
. sombre sur la grisaille de la lande et sur le vert \ éclatant
des cultures et des prairies.
III

Les landes de Tussen, de Cronon et de Stumenven

Loin des ruisseaux, sur les fortes pentes, sur les plateaux
et sur les crêtes, la lande stérile entoure de toutes parts le
Toul de · Saint-Rivoal. Les vastes solitudes de Quélennec,
au Nord-Ùuest, et de la chaîne de Saint-Cadou, au Nord,
n'appartiennent à Saint-Rivoal que pour une très faible part.
Même les landes de Roudouderch et de Tussen, au Nord­
Est, sont en grande partie rattachées à la commune de
Sizun par le tracé sinueux du chemin du comte. En revan-
butte de Saint-Michel, ses cols, la rive droite du
. che, la

cours supérieur de l'Elez avec ses marais, et enfin la crête
de Stumenven dépendent de Brasparts et de Saint-Rivoal.
restituer à la butte où .s'élève la chapelle
Nous devons

de Saint-Michel son véritable nom, attesté par tous les
documents du XVIIe siècle, époqu~ où la ch~pelle a été
construite, et encore connu et vivant dans. le pays. La vaste
« le pays de Cronon », et
lande ou s'élève la butte s'appelle
« motte de . Cronon » .
la montagne elle-même s'appelle la
. La chapelle, élevée à partir de 1672 sur les terres vaines et

(i) Archives Finistère, H. 93. '

vagues où la maison de Kermabon avait usurpé des droits
sans titres, comme l'ont fait, d'après Nadaud (1), de nom-
breuses maisons nobles de Bretagne, fut consacrée « en
l'honneur de Saint-Michel de la motte de Cronon », comme
disent les comptes de la fabrique, le 29 septembre 1677 (2) .
Le pardon de cette chapelle fut très fréquenté au XVIIe
siècle, ~ en juger par le produit des troncs ; mais . ce pro­
duit baissa rapidement au XVIIIe sîècle. Toutefois, tant
que la montagne d'Arrée fut habitée par de nombreux trou­
peaux de moutons aveé leurs bergers, jusque vers 1860,
époque où commença sérieusement le lotissement entre
particuliers des terres vaines et vagues, le pardon et la cha­
pelle de la motte de Cronon servaient de point de rendez­
vous pour les gens de Brasparts, de Saint-Rivoal et de
Botmeur; c'était un centre de vie pastorale. Aujourd'hui
le pays de 0 Cronon est redevenu désert, car il est trop loin
dès lignes de défrichement. 0 . "
Aux temps des grands troupeaux de moutons et de la
juridiction abbatiale du Relec, les landes d'Arrée 0 étaient
divisées, soit par des bornes, "soit par des fossés, soit par
de simples lignes, en grandes pièces qui atteignaient parfois
plusieurs centaines d'hectares, et qui appartenaient indivisé­
ment aux tenanciers du village le plus voisin, à charge pour
chaque tenancier de payer un droit assez modique. C'étaient
donc des tenures collectives du village; elles n'avaient rien
de comrriun avec ce qu'on appelle ordinairement des com-
munaux. Les papiers de l'abbaye du Relec nous donnent
avec beaucoup de clarté la situation juridique de ces « ga­
rennes », « montagnes }), "« terres irostes et froides», comme
on les appelle Dès le 3 juin 1540, un tenancier de Kernévez

reconnaît qu'il participe à la propriété « d'une pièce de terre
froste et froide contenant environ 200 joumaux de terre,

(1.) N ADAUD, Mémoire SUI' les [erres vaines el vagues et sur les bIens cam·
munaux en Bretagne (1828).
(2) Arch. Finist. G. 51.4.

quelle est commune et n_on divis entre les ho~mes audit
sieur abbé » (1). Le tenancier en paie pour sa part « pour
chacun an et convenant quarante soldz monnoye )). Un acte
du 26 février 1736, à Saint . Rivoal, nous donne aussi une
formule très nette pour un ensemble de 11.000 cordes de
« franchises et montagnes )), tenues en commun par les habi­
tants du bourg trévial de Saint-Rivoal. « Lesquelles terres
froides lesdits avouants ont possédé de tout temps immémo­
rial tant par eux que pal' leurs autheurs sans partages ny
division en payant de cheffrente annuelle au jour de Saint­
Michel en septembre la somme de 24 sols pour demeurer
quittes de toutes autres rentes envers les seigneurs avoués»
(2). Ces terres étaient limitées par des fossés du côté où elles
touchaient aux cultures; partout ailleurs elles étaient décloses
et même débornées; nous n'avons trouvé que dans un seul
acte (28 novembre 1718 Kernévez), la mention d'une pièce
de terre froide « cernée suivant les bornes entiennes (3). »
Cette mention de bornes anciennes sur les landes d'Arrée a

piqué notre curiosité sans la satisfaire,
. Lorsque la loi du 10 juin 1793 ordonna le partage immé­
diat des biens communaux, . sans bien spécifier ce qu'il fal­
lait entendre au juste par ce terme, la municipalité de
Brasparts trouva que cette disposition ne pouvait s'appliquer
aux tenures collectives de village. Voici les termes de sa
délibération du 6 thermidor an J[ (24 juillet 1794) : « Le
corps municipal, après avoir mûrement examiné les disposi­

tions 'du décret du 10 juin 1793 V. S. concernant le mode
, de partage des biens communaux, l'agent national entendu,
donne pour constant leur non existence sans même ex(>epter
les grandes étendues de landes de cette commune connues
sous la dénomination d'une partie de la montagne d'Arrée,
où chaque propriétaire circonvoisin jouit d'une portion dé-

(i) Arch. Finist. H. 93.
(2) Arch. Finit. H. 93. '"
(3) Arch. Finist. H. 9a • .

bornée, au point que diff€rents tenanciers ne peuvent erri ..
piéter sur les territoires l'un de l'autre( 1). » Au fond,la muni~
cipalité de Brasparts, qui voulait éviter les ennuis du par­
tage. jouait sur les mots. Sans doute, il n'y avait pas de
proprement dits dans l'Arrée; mais tes tenures .
communaux
collectives de village appartenaient bien aux catégories de
terres dont la loi de 1793 voulait l'appropriation indi-

viduelle.
Cette appropriation, décrétée dès 1793, n'a été réalisée
qu'après la loi de 1850 (6 décembre). La deuxième moitié du
XIXe siècle a vu le triomphe de la propriété individuelle
sur toutes les landes de la montarne, à l'exception du som­
met de la motte de Cronon, qui est demeuré « terre vaine
et vague ». Les derniers lots de Brasparts. au nombre de '
63, ont été aliénés en 1889,

La fin des terres vaines et vagues a sonné la mort de
l'écobuage et de la transhumance lointaine.
Toutes ces anciennes (( terres d'équobuage » de l'Arrée,
comme les appelle un acte de prise de possession dn manoir
du Parc (ter juillet 1723) (2), ne connaissent plus qu'en cas de
primitif d'utilisation qui consiste à
défrichement le mode
les ajoncs et les bruyères et à semer du seigle dans
brûler
les cendres (3). De même, la transhumance des bœufs et des
vaches provenant de villages lointains (jusqu'à pleyben), qui
commençait en juin pour finir en septembre~ a cessé d'exis­
ter. Ce sont uniquement les villages voisins des landes . et
des marais qui envoient maintenant, sur les terres de mon­
tagne, de jeunes bovidés de un à deux ans, en payant au
propriétaire du sol un droit de un franc par mois et par bête .
L'ajonc inculte de la montagne sert de bois de feu ou de
pour les bestiaux. L'ajonc cultivé forme la base
litière

(-1) Arch. municip. Brasp. .
(2) Arch. Finist. E. 570.
(3) Les procédés de l'écobuage subsistent encore, au N. de Brasparts,
sur la montagne de Coat-Compez.

de la nourritu~e animale, èntre les mois d'octobre et' de
mai. On le pile au mortier ou au moyen de hacheuses, dont

il Y a deux espèces, l'une à cylindres et l'autre à couteaux .
. l./aménagement des hautes landes d'Arrée,se bornera-t-il à
l'exploitation de l'ajonc sauvage et même à la culture de

l~ajonc (cette dernière, au reste, n'occupe qu'une petiteéten~
due) ? Nous ne le pensons pas.
Il est certain que les crêtes aux pentes raides de Tussen
et de la motte de Cronon échapperont toujours à la culture
régulière. Il en est de même du sommet du plateau entre
Stumenven et Roc'hquelyan, où la roche affieure partout.
Ce sont des carrières à dalles, et non des terrains agricoles .
En revanche, les parties basses, les cols de l'Elez et du Bo-
denna et' même une bonne part des marais de Saint·Michel
pourront être régulièrement exploités. Ce qui le ~ontre bien,
c'est le succès des admirables défrichements de Roc'hque-
lyan et de Pen-yun-ar-Poul, au S. de la motte de Cronon.
Il y a trente ans, Pen-yun-ar-Poul n'était qu'tine terre
d'écobue et une morne solitude pastorale. Les terres situées
à l'E. de la route de Quimper à Morlaix, t}ui a singulière­
ment facilité l'œuvre du défrichement, avaient été partagées
dès 1869, sn lots de 7 à 14 hectares; mais, comme elles

étaient loin de tout centre habité, elles demeurèrent en friche
une dizaine d'années encore, jusqu'au jour où le propriétaire

des lots les plus importants (1) Y construisit des bâtiments
de ferme et commença résolument à défricher (1880). Une
centaine d'hectares furent partagés en trois fermes et con-
cédés gratuitement pour ,neuf années au~ premiers exploi-
tants, qui reçurent aussi gratuitement des phosphates. On
commença par cultiver du sarrasin, avec un assolement de
plantes fourragères, choux, navets et rutabagas; puis, on
mit du frqment et de l'orge. Des fossés furent construits, et
on y fit des semis de pins. Des dérivations intelligentes .

(1) M. Favennec, de Kermerrien, en Pleyben.

amenèrent dans les nouvelles prairies les ~aux d'origine du
ruiss~au de .Moënnec. Puis, les défricheur's s'enhardirent:
ils osèrent, vers 1900, planter des pommiers dont une centaine
sont en plein rapport; ils firent même des tentatives pour
acclimater sur la montagne le hêtre et. le châtaignier. Si ces
derniers essais ne furent guère heureux, en revanche les
cultures et les prairies se développèrent avec succès. Pen-
yun-ar-Poul a produit 60.000 kilos de foin en 1907. Tous les
ans, on défriche quelques hectares nouveaux. La mise en
valeur de Pen-yun-ar-Poul est un des plus beaux exemples
d'effort réfléchi et de ténacité qu'il soit possible. de constater
dans la campagne ~r.etonne.

Brasparts: le peuplement et les cultures.
En descendant de Pen-yun-ar-Poul, par la route de Mor-
laix à Quimper, dont les lacets dévalent l'api dément vers le .
bassin ' de Châteaulin, on voit l'aspect du pays se modifier
complètement, à partir de l'ancienne chapelle de Saint-
Caduan. Les landes disparaissent; les fossés dessinent un
quadrillage ininterrompu sur le sol; les ruisseaux, les prai-
ries et les champs se multiplient, les arbres se pressent sur
les fossés, des bouquets de bois apparaissent, ct la soli­
tude s'anime. De gros villages sont établis sur les ondulations,
entre les ruisseaux: le Moënnec, Coat-CoIllpez, Château- .
Noir, Traon-hue-l, Pennahoat, le Quinquis ; entre eux
sont des groupes plus petits comme le Cosquer, Tréoffret,
Kerlann, la Garenne, Tromarch, et des maisons isolées ou
groupées à deux ou trois comme Ty-ar-Ménez, Kerjean,
Quilivien, et le Leuré, sur la limite ' de la lande; puis, à 5
kilomètres de Saint-Caduan, le bourg de Brasparts, sur les
coteaux de la rive droite du Grand Pont, au carrefour des
routes de Quimper à Morlaix et du Faou au Huelgoat.
11 est évident d,e prime abord que la vie humaine est plus

facile dans ces terres basses, fécondes, bien arrosées, et

surtout faciles à amender, que dans le TouL de Saint~Rivoal et,
à plu;:; forte raison, sur les landes de Tussen, de Stumenven
et de Cronon. Aussi, tandis que la section de Sain t-Rivoal
600 habitants sur 2300 hectares, soit 26 an
ne compte que
carré, le reste de Brasparts en compte 2600 sur
kilomètre
4200 hectares, c'est-à-dire 62 au kilomètres carré. La dif-
férence est saisissante.
Cependant, les documents anciens nous montrent à Bras­
parts, comme à Saint-Rivoal, une évolution humaine diffi­
et laborieuse,entravée par la pareté des communications
cile
et des influences civilisatrices, aussi bien que par l'âpreté
du sol.
Brasparts,qui a un caractère rural très prononcé,lllalgré la
population relativement nombreuse de son bourg chef-lieu,
a eu autrefois un caractère plus rural encore. Les rôles de la
au commencement du XVIIIe siècle, nous four-
capitation,
nissent sur ce point quelques indications précieuses. La ré-
partition du 20 février 1714 n'assigne au bourg que 168 li­
sur le total de 1390 livrf;s imposé à la paroisse, soit
vres,
12 p. % (1). La répartition fixée le 21 décembre 1729 donue
une proportion encore plus faible: 176 livres sur 1526, soit
11 p. % (2). Si les chiffres de la capitation, comme il est
vraisemblable, étaient à peu près en rapport avec celui des
habitants, le bourg de Brasparts était, proportionnellement
à la paroisse, bien m.Jins peuplé qu'aujourd'hui. En 1906,
sur les 3269 habitants de la commune, 880, c'est-à-dire
27 0/ demeuraient au boul'g.

• L'ancienne division du sol dans la région, la construction
des maisons et les revenus de la ter.re sont assez vivement
par les pièces qui concernent la terre de Kerlidec,
éclairés

entre Brasparts et Pleyben, et la chapellenie du Château
Noir, au Nord de Brasparts, au pied de la montagne d'Arrée.
(1) Arch. Finist. G. 512. 0
(2) Arch. Finist. G.509 .

La terre de Kerlidec était une fondation faite, le 1 sep­
tembre 1663, en faveur de la confrérie du Saint-Sacrement
de Brasparts. La déclaration du 22 septembre 1678, repro·
duite plusieurs fois, . presque sans changement, jusqu'en .
1764, donne à Kerlidec une étendue de 24 journaux (12 hec-
tares), divisés en 12 pièces, soit une moyenne de 1 hectare
par parcelle de terre chaude « parc », ou de terre froide
cc goarem ». (1). Cette division parcell\lire donne un frac­
sensiblement moins avancé que de nos jours, où
tionnement
parcelles cadastrales ont 50 à 60 ares.
les
La chapellenie de Château Noir, fondée également le 1e
septembre 1663, en forme de doyenné de l'église paroissiale
de Brasparts, comprenait, d'après l'aveu du 19 août 1730,
36 journaux divisés en 17 pièces, ce qui nous montre un
fractionnement tout à fait pareil à celui de Kerlldec. (2).
'Les bâtiments de Kerlidec ont compris sans changement,
de 1678 à 1764, une « maison manale » èouverte d'ardoises,
deux autres couvertes de genêts, une couverte de « gledz. »
Château Noir se composait, en 1730, d'un manoir couvert
d'ardoises, avec chapelle, et de quatre maisons rurales,d0nt
une seule couverte d'ardoises; la couverture des trois autres
était en « gledz. ); Ces indications confirment ce que nous
avons vu plus haut (§ II), à Saint-Hivoal ; l'ardoise ne figu­
que sur les constructions les plus importantes, dans la
rait
proportion de 1 à 3 ou à 4.
déclaration de 1730 donne aussi d'intéressants détails
sur les revenus de Château Noir. Une métairie c!.e 14 jour­
naux et demi était affermée 120 livres par an. Ce prix fut
porté, le 22 juillet 1758, à 141 livres . Quatre journaux de
pré et de terres labourables exploités directement par le
Brasparts, .lui rapportaieIlt un produit net de
recteur de
27 livres, déduction faite des labours et semences. .
(-1) Arch. Finist. G. 515 ..
(2) Arch. Finist. G. 5i5 .

Les tenures de Kerlidec et de Château Noir étaient à do­
de même~ au XVIIIe siècle, des
maine congéable ; il en était

tenures du Relec, à Saint-Rivoal, qui n'étaient, comme le

. montrent les actes, qu'une transformation .de l'.ancienne
quevaise encore existante au XVIe siècle. (1). Cela justifie
l'opinion de M. d'Espinay (2), acceptée par M. Sée (3), sur
le développement spontané du domaine congéable par trans­
la quevaise.Cela justifie aussi,dans ce pays de
formation de
Brasparts où les domaines congé ables sont rares aujour­
Baudoin sur l'ancienne universalité du
d'hui, l'opinion de
domaine congéable en Basse-Bretagne. (4).
Au X V Ille siècle, Brasparts est très pauvre. La modicité
masures de Kerlidec,
des revenus de . Château Noir, et les
qui ne sont ni reconstruites ni réparées en quatre-vingt-dix

ans, l'indiquent d'une manière assez nette. Ajoutons:-y ce
28 décembre 1727, par le recteur ,auquel
tableau tracé, le

l'évêché de Cornouaille demandait un état de ses revenus:
(( La paroisse de Brasparz n'étarit que montagnes, la plus
grande partie des terres sont en friche; il n'y a pas plus
d'tm dixième de la paroisse qui consiste en terres labou­
terres labour~bles la moitié au
rables, et comme de ces
point ensemancée et reste soubz:paturages,le re­
moins n'est
venu du . bénéfice est très modique; ledit Extrait des Deaux
du Chapitre de Quimper justifie quel en est la valeur, l'adju-
en ayant été faite audit sieur Chulon (ancien rec~
dication
. teur) en ladite qualité d'anataire pour la somme de trois
porte led. extrait. (5).» . .
centz livres comme
, . Le seigle, céréale des terres d'écobuage et des pays pau­
vres, et l'avoine sont les deux cultures principales. Le fro­
ment n'est pas inconnu, mais il n'a que très peu d'extension,
sa valeur est relativement faible. Le recteur de Brasparts

(0 Arch. Finist. H. 93. .
(2) D'EsPI~A Y, l..'Ancien droit successoral en Basse-Bretagne, 1895.
(3) H. SÉE, Les classes rurales en Bretagne au Moyen Age, 1896.
4-) BAUDOIN, Traité du domaine congéable, 1776, .
5) Arch. Fini!:lt. G. 512. .

déclare, le 23 juin 1728, que ses dîmes et prémices produi-
sent par an 10 boisseaux seulement de froment, contre 130
de seigle et 80 d'avoine; il estime le boisseau de froment à
61. 15 s. () d., le boisseau de seigle à 41. 13 s. 9 d., le.
boisseau d'avoine à 47 s. 8d. (1). Le rentier de la terre du
parc (1722), porte les prix à 8 ]. pour le froment, à 0 1. pour
le seigle (2). Le blé noir existait, mais il n'était pas soumis
à la dîme.

A la fin du X VIlle siècle, la situation n'a . pas changé.
Brasparts est toujours un pays de seigle, d'avoine et de blé
noir. Lorsque, le 17 octobre 1793, la municipalité procède
au recensement de la population, des armes et des grains, .
en vertu du décret du Il septemb~e, elle constate l'exis­

tence de 3385 quintaux de seigle, de 4852 quintaux d'avoine,
de 2731 quintaux de blé noir et de 636 ' quintaux seulement
de froment. C'est le produit de la récolte de 1793 ,qui venait -
d'être engrangée. Mais ce produit est vite tari par la con-
sommation du pays 'et par les réquisitions. Le 25 messidor '
an II (24 juin 1794), il n'existe plus ' que 127 quintaux d'a­
voine dans la commune. «( La commune' de Brasparts, ·dit
la municipalité; ne peut fournir des avoines aux magasins
,de laH.épublique. » Même après la récolte de l'an)I, Bras-
parts n'a aucune réserve de céréales et en particulier de
blés, comme l'affirme la délibération du 7 vendémiaire an
III (28 septembre 1794). « La commune n'a jamais pu sub­
sister de sa production en blés. » (3)
Et cependant, Brasparts avait pu, à plusieurs reprises,
aussi bien au commencement du XVIlle siècle qu'en l'an II,
fournir du froment à l'Etat, dans les besoins pressants des
famines et des g~erres. On trouve des traces de ces fourni-
tures de blé après la grande disette de 1709, au moment le
plus critique dela guerre de la Succession d'Espagne. Les

(1 Arch. Finist. G. 5'12.
(2 Arch. Finist. E. 570.
(3) Arch.municip. Brasp. ·

délibérateurs qui forment le corps politique de la paroisse
reconnaissent (7 juin 1711) « avoir esté publiquement payé~
et satisfaits du prix du bled rendu au -Port-Launay, l'année

dernière, pour le service de Sa Majesté». (1) Même chose

au commencement de la guerre de la Révolution. La muni-
cipalité ordonne, le 6 novembre 1793, d'envoyer 300 quin­
taux de froment à Port-Launay (2). La contradiction appa­
rente entre la pauvreté du pays et ces fournitures ' répétées
aux années de détresse s'explique aisément. Les paysans
de Brasparts, comme aujourd'hui beaucoup de ceux de
Saint-Rivoal, ne consommaient pas uri quintal du froment
qu'ils produisaient : ils le réservaient en entier pour le
commerce et pour l'exportation.
Les délibérations de 1711 et de 1793 prouvent en outre
que tout le commerce de Brasparts se faisait par Châteaulin
et Port-Launay:' on cherchait la mer au point le plus rap­
proohé et le plus accessible. Cette indication est confirmée,
sous la Révolution, par l'établissement d'un commission­
naire municipal, gagé à 300 livres par an, entre Brasparts
et Châteaulin (10 pluviôse an II, 1 février 1794) (3). '
Si la culture donnait peu, l'élevage produisait encore
moins. Chevaux, bœufs et vaches étaient ces animaux ché­
tifs et mal soignés que les paysans de Basse-Bretagne lais­
saient vivre à leur gré sur la lande. 'Lorsque le commissaire
Faugeyroux réquisitionne à Brasparts 6 chevaux pour l'ar-
mée, on en trouve seulement 2 qui aient la taille requise (24
octobre 1793). La municipalité affir-me qu'il n'existe aucun
cheval ni jument q~i réunisse les qualités exigées par l'ar­
rêté du Comité de salut public, du 15 prairial, pour être éta­
lon ou poulinière (24 messidor an II. 23 juin 1794) (4). Ces
indications sont trop rares et clairsemées; mais, rappro-
(i) Arch. Finist. G. 509 .
(2) Arch. IDunicip. Bl'asp.

(3) Arch. IDunicip. Brasp.
(4) Arch. IDunicip. Brasp. •

chées de beaucoup d'autres semblables, sur d;autres pOInts;
elles montrent que l'élevage, qui est la véritable source de la
prospérité économique présente et future de la Basse-Bre­
tagne, était encore assez languissant à la ' fin du XVIII"
siècle.
pays de chaumières, de seigle, de blé noir et de mau­
vais bétail était-il au moins plus boisé qu'aujourd'hui? 11 n'y
a pas lieu de le penser. . .
Si les bois sont à peu près inexistants sur les terres du
Relec, à Saint-Rivoal, ils sont rares et petits, à Brasparts,
sur les terres du Parc, de Kerlidec et d~ Château Noir. On
est surpris, au premier abord, de voir un « bois de haute
futaye» signaJé à la chapelle de Saint-Caduan,dans la prise de
possession du manoir du Parc (ter juillet 1723) ; mais la lec-
ture du contexte fait voir qu'il s'agit seulement de quelques
grands arbres qui ombrageaient le cimetière de la chapelle;
les vastes terres du Parc ne contiennent aucun autre' bois.
La rareté des bois, au XVIIIe siècle, est prouvée par le soin
minutieux apporté à protéger ceux qui restaient. Il faut une
permission spéciale de la maîtrise des eaux et forêts de Car­
haix pour exploiter 12 pieds d'arbres à Kerlidec (13 décembre
1742) (1). A ·Château Noir, le 7 février 1777, le lieutenant de
maîtrise .n'autorise à abattre 400 pieds d'arbres « dépéris­
sant., chênes, frênes, hêtres et châtaigniers, qu'à 'condition
qu'on replantera aux mêmes endroits 500 jeunes arbres de
bonne essence (2). Mais la Révolution ne prit pas les mêmes

précautions ; la guerre navale entraîna la destruction de
nombreux bois. Par ordre, on coupe les taillis de la commune

de Brasparts, à partir du 29 ventôse an II (19 mars 1794) (3).
, A ces traits essentiels de la vie économique de Brasparts
au XVIIIe. siècle, opposons ceux qui se détachent en pleine
lumière, au commencement du XXe.

(1) Arch. FiIiist. G. 515.
(2) Arch. FiItist. G. 515.
(3) Arch municip. Brasp.

êomme à Saint-Rivoal, le seigle, l'ancienne céréaie pré­
pondérante, a presque disparu En 1907, il n'y a dans toute
la commune que 20 hectares ensemencés en seigle, contre
440 en froment, 630 en avoine, 300 en sarrasin. Le sarrasin
lui-même a diminué depuis un demi-siècle. Il se maintient
toutefois, parce qu'il forme la base de la nourriture des fa­
milles paysannes. L'emploi des engrais de mer et des super­
phosphates a complètement modifié l'exploitation agricole,
en généralülant la pratique de l'assolement triennal ou qua-
driennal, et en supprimant les jachères. Les défrichements .

ont été poussés avec une activité extrême. En 1813, à l'éta­
blissement du cadastre, la commune comptait 4223 hectares
d'incultes; elles n'en contient aujourd'hui que 2894. En
tenant compte des changements de délimitation qui ont
réduit un peu le territoire de Brasparts, il est impossible
d'.évaluer à moins de 1100 hectares la superficie gagnée par
le sol productif, en l'espace de quatre-vingt-quatorze ans;
c'est à peu près 12 hectares par an. Les îlots de landes du
bassin de Brasparts ont disparu, et les bataillons serrés des
1 champs et des prairies s'avancent saIlS cesse vers les hau­
teurs de la montagne. Les défrichements sont l'occasion de
vraies fêtes agricoles. Chaque forgeron de Brasparts est tenu
d'avoir une charrue cassée on défonceuse, qu'il loue 3 fr. par

jour à sa clientèle; le jour du défonçage, 'tous les voisins et
amis viennent aider le défricheur, et le travail se termine
par un petit festin .

Mais c'est surtout l'élevage qui fait entrer l'argent à flots
dans le pays. Si l'on sème l'avoine pour payer le ferinage,le blé
noir pour se nourrir, et le froment pour vendre, on élève les
chevaux et les animaux de race bovine, les seconds surtout,

pour gagner de l'argent. Bien que l't~]evage des chevaux
commence à faire des progrès, les paysans de Brasparts n'é·
lèvent guère que .des animaux jeunes; ' ils se hâtent dA ven­
dre leurs poulains ou leurs pouliches, âgés d'un an ou deux,

aUX foires de tandivisiau et de Pleyben. Ils ont renoncé,depuis
le lotissem.ent de l'Arrée (1860-1870), à leurs petits mouton:::;
' noirs, dont chaque ferme c.omptait autrefois plusieurs cen-
taines. En revanche, à Brasparts comme à Saint-Rivoal, de
beaux animaux de race bovine remplissent les étables, et ces
animaux sont 0 très nombreux. La commune en comptait
3795 en 1907, plus d'un par habitant, contre 760 chevaux
seulement. Il n'est pas étonnant que les prairies cultivées,
qui ne comprenaient que 477 hectares en 1813, en compren-
nent aujour'd'hui 1630, sans compter les ressources qu'offrent
le pacage des landes et la culture des plantes racines. 0 0
o Il faut noter aussi l'extension des pommiers à cidre jusqu'à
la limite des landes d'Arrée.

La petite propriété a conquis beaucoup Ide terrain. Les
anciens tenanciers du Relec et des maisons de Liscoët et de
Quillien cultivent maintenant un sol qui , leur appartient.
Sans doute,' les fermiers sont nombreux; mais, pour la plu-
part, ils possèdent en propre une petite exploitation à côté
d'une ferme plus grande qu'ils louent. •
Les progrès de l'aisance sont attestés par la construction
de nombreuses maisons neuves', à côté desquelles on conserve
souvent, comme caves ou comme celliers, les maisons ancien­
nes (mfJ,ison de côté). L'usage du café, très peu répandu il y a
vingt ans, est aujourd'hui universel. L'ancienne charrette à
bœufs et les transports à dos de cheval sont remplacés, dàns
presque toutes les fermes, par des chars à bancs. Les vieux
costumes bretons, pittoresques, mais incommodes, ont dis­
paru partout. On laisse volontiers les mobiliers à « couleur

locale» et les lits clos au dépôt des vieilleries. Presque tous
les traits de l'existence courante indiquent un effort continu
vers le progrès matériel. On ne saurait dire exactement s'il

en est de même pour le progrès moral; toutefois, nous ver-
l'ons plus loin (§ VI),que les habitants du Brasparts moderne
semblent assez différents de leurs ancêtres.

Anciennes et nouvelles routes
Dans ce pays au dur relief et aux pentes accentuées, rien

de plus nécessaire qu'une bonne viabilité. Mais aussi rien
de plus difficile à établir. L'isolement du TouL de Saint-Ri ..
voal, et la séparation entre Brasparts, Saint- Rivoal, le Léon ,

et le bassin de Châteaulin ont été perpétués par le manque
de bons chemins.
Cela ne veut pas dire que les chemins faisaient complète-
ment défaut. Au contraire, o'Ir est étonné du nombre de
pistes fréquentées qui traversaient l'Arrée. Leur existence
est attestée, non seulement par les pièces d'archives, mais
par les restes encore subsistants de vieilles routes aux lar-
ges chaussées, qui se. distiriguent au premier coup d'œil des
chemins ruraux ordinaires. .
Nous en avons reconnu trois, da~s les vieux papiers
et sur le terrain. Elles divergeaient en évent~il, è. par.
tir de Brasparts, dans la direction du N. La première est
lê vieux chemin de Brasparts à Morlaix, qui passait dans les
terres de Château Noir (aveu du 19 août 1730) (1), sur la ,
crête de Stumenven et sur les pentes de la Motte de Cronon,
c'est-à-dire à l'Ouest de la route actuelle, qu'il franchissait
à la l~auteur de la fontaine de Saint-Michel. Nous avons
suivi sur 1 kilqmètre de longueur, le 15 avrïl1908, au pied
de la Motte de Cronon, cette ancienne route changée en

ravine profonde.
Le chemin de Brasparts à Saint-Pol-de-Léon est plus cu­

rieux encore. Il montait en ligne droite au Nord, par les
landes de Stumenven, Bodenna, Kernévez et Roudouderch,
vers le Léon. Les vieux titr:es du Relec en parlent plusieurs
fois (aveux à Penn ar goarinic et à Kernévez, 3 juin
1540) (2). Nous l'avons suivi à Bodenna, sur plusieurs cen­
taines de mètres.

(1) Arch. FinisL.G. 515.
(2) Arch. Finist. H . 93.

ernéve

GluJ

ers .
Stu menven :.

La/i

ane
al udu

~----, Leur

"- rom are
Favot

ate
Hio

ue.le,ne c.

.tes
accentuées, rien
· Mais aussi rien
'oul de Saint-Ri ..
-Rivoal, le Léon

~s par le manque

saient complète-
nombre de
eiO
3. Leur existence
9JID
d'archives, mais

oal

~s routes aux lar-
.er coup d'œil des
nan

~s VIeux papIers
éventail, à par­
La première est
ers b
Stu menven ~~
li passait dans les
.t 1730} (1), sur la
Motte de Cronon,
qu'il franchissait
ch el. Nous avons
al udu

. vril1908, au pied
route changée en
~J ~-J: Leur
Léon est plus cu­
au Nord, par les
,'- rom arc
Favot
~ et Roudouderch, '
1 parlent plusieurs
Kernévez, .::> JUill
sur plusieurs cen-
Nit

udou

Linguez • .

Etd

-e-r-n é ve, 7.

rlm 1 C

icludJ(J9/.")

nna

oéhguelyan

njun- or .
db S/-r..u7l...ell~en/.

oat Com
ne c
r eû ••
nne

Le chemin de Brasparts à Landivisiau passait, jusqu'à

Saint-Rivoal, à l'Ouest de la route actuelle de Brasparts à
Sizun: car il bornait des terres du Squiriou, et croisait le
chemin allant de l'Angle (Château Noir) au Faou (aveu du
24 octobre 1628) (1). Il arrivait par Kergambou à Saint-Ri-
voal (aveu du 12 octobre 1556)(2), et suivait sans doute, à
partir de ce point, le tracé qui a été jusqu'en 1880 celui du
chemin de Saint-Rivoal à Sizun.
Toutes ces vieilles routes, faites pour les charrettes à
et pour les transports à dos de cheval, suivaient à
bœufs
peu près la ligne droite et montraient un mépris absolu des
escarpements; la route de Brasparts à Saint-Pol tombe à
sur la vallée de . Bodenna. Aussi sont-eUes. inutilisables
pic
pour la voirie moderne. Dès que les transports commen­
cèrent à se' modifier en Basse-Bretagne, c'est-à-dire. au
XVIIIe siècle, il fallut songer à tracer d'autres chemins.
Cependant, le pays ' de Brasparts fut laissé en dehors du
réseau des grands chemins construits, au XVIIIe siècle, par
la corvée. Il faut dire que les habitants, qui craignaient
avant tout, non sans raison, les fatigues et les sacrifices ,q~e

ce système leur imposait, ne mirent aucune bonne volonté à
se conformer aux intentions du pouvoir central. Le 17 août
1721, les habitants de Brasparts refusèrent unanimeht de
contribuer à la réparation des grands chemins, des ponts et
des chau'ssées ~ 3),
Ce n'est qu'au XIXe siècle, et même fort tard dans le
cours du siècle, que se constitua le réseau actuel des routes.
La grande route de Quimper à Morlaix fut ouverte, aux en-
virons de Brasparts, de 1843 à 1844; celle de Brasparts au
Faou fut construite la même année. Le chemin de Brasparts
à Sizun fut construit par sections successives, et ce n'est

(i) Arch. Finist. G. 515.
(2) Arch. Finist. H. 93.
(3) Arch. Finist. G. 509.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ ARCHÉO ... .
TOME XXXV (Mémoires 9).

l ' r • . '" 1 rI
qu'en 1880 que la dernière section, celle de Saint-Rivoal li
Saint-Cadou, s'ouvrit à la circulation. Encore aujourd'hui,
comme nous l'avons vu, le Toul de Saint-Rivoal manque de
toute issue à l'Ouest. Il n'en est pas moins vrai qu'un grand
pas a été fait depuis un demi-siècle, Les chemins de fer à
voie de 1 mètre projetés dans l'Arrée ouvriroJ?t définitive_
merit au monde extérieur le pays de Brasparts et de Saint_
Rivoal.

Psychologie sociale et mouvement de la population

. Nous voyons revivre, dans les anciens documents, les in­
térêts politiques, économiques ou confessionnels des géné­
rations disparues~ mais il est rare que nous y sentions pal­
piter leurs âmes. Comme nous avons voulu nous borner,
dans ce mémoire, à des certitudes complètes ou approchées,
nous serons très réservés sur les tendances morales et so-
çiales des anciens habitants de l'Arrée, et, par suite, sur les
comparaisons que l'on pourrait établir entre ceux d'autrefois
et ,ceux de maintenant.
Toutefois, nous n'avons pu 'méconnaître et manquer de no­
ter au passage, car nous l'avons rencontré bien souvent, un
esprit d'indépendance presque . farouche, en rapport avec la
solitude des hautes landes et avec l'éparpillement des hom­
mes à leur surface. Cet esprit tend à s'atténuer et à dispa­
raître à mesure que les communications se multiplient.
Les preuves de l'ancien état d'esprit abondent.
Ce sont les soldats réfractaires , au commencement de la
guerre de la succession d'Espagne. Tous ceux qui sont dé­
signés se cachent ou se prétendent malades ; à la fin, il faut
les appréhender au corps et les conduire aux prisons de
Châteaulin (délibérations de 1701 et 1702) (1). Ce sont les

(i) Arch, Finist. G. 509 .

déserteurs des guerres de la Révolution, dont une infinité se
cachait dans les landes de Brasparts et de Saint-Rivoal,
d'après un caporal de la 14.1 e demi brigade, qui, pour sa
mauvaise langue, fut puni de 24 heures de prison par la
municipalité (20 brllmaire an III, 11 novembre 1794) (1).
Ce sont les paroissiens indociles de Brasparts qui s'obs­
tinent à tenir des foires et des marchés les jours de fête, et
notamment, crime impardonnable, les lundis de Pâques et
cie la Pentecôte (extrait \ des registres du greffe du siège.
royal de Châteaulin, 27 mai 1729). (2). .
Ce sont les fabriciens qui confisquent le produit des fon­
dations des églises, et n'en laissent rien venir aux mains du
recteur et des prêtres, ce qui donne lieu, de 1770 à 1777,' à
de divertissantes querelles; ce sont ces mêmes fabriciens
qui, dès 1781, invoquent contre leurs prêtres « l'égalité et
la justice» (adresse aux juges présidiaux de Quimper, 15
février 1781). (3). '
Il n'est pas étonnant que la Révolution ait été accueillie à
Brasparts avec enthousiasme. Rien de plus curieux que de
voir se répercuter fidèlement, dans ce cQin perdu de Basse­
Bretagne, toute les manifestations de l'esprit révolution­
naire, jusqu"aux plus petites. Nous en donnerons seulement
quelques exemples. Le cri de « Mort aux tyrans, guerre aux
châteaux, paix aux chaumières !» retentit à Brasparts tout

de suite après le fameux décret du 15 décembre 1792, pro-
voqué par Cambon. Le 23 janvier 1793, le Conseil général
de la commune confisque 1260 livres qui restent dans la
caisse de la fabrique, car «( ces sOIIfmes seront plus utiles
aux armées qui quittent le territoire de la République que
dans le sein même de la République. » (4). Lorsque Chau­
mette, à Paris, proposa de semer des pommes de terre dans

('1) Arch. illl1nicip. Brasp.
(2) Arch. Finist. G. 5'12.
(3) Arch. Finist. G. 51l~.
(4) Arch. Finist. G. 51.2.

le jardin des Tuileries, pour la nourriture du peuple, la
<;le Brasparts ne voulut pas demeurer en reste'·
municipalité
elle ordonna· (( de faire semer dans le château de Quillien
des pommes de terre et autres légumes, » (27 germinal an
16 avril 1794). (t) .

Aujourd'hui, grâce aux progrès de communications, au
développement du fonctionnarisme et à l'extension du bien.
plq.s stable règne: il n'y a plus
être, une discipline sociale
déserteurs. La discipline religieuse a
de réfractaires ni de
même repris une partie de son empire, quoique Brasparts
et Saint-Rivoal, au point de vue catholique, ne soient en
rien comparables aux paroisses du Léon et même à cer-

tain es paroisses de Cornouaille.

Nous terminerons cette étude par quelques données sur le
mouvement de la population dans la commune de Brasparts.
La population de Brasparts a augmenté assez rapidement
depuis la fin du X V Ille siècle jusqu'en 1851 ; à partir de

1851, l'accroissement s'est ralenti, et il semble maintenant

arrêté tout à fait. ' \

Le 17 octobre 1793, le Conseil général de la commune
évaluait la population à 2323 habitants; en 1801, eUe était

de 2306, en 1821 de 2441, en 1831 de 2640, en 1851 de 3029,
en 1876 . (avec une superficie diminuée de 500 hectares), de
3016; elle atteint en 1901 ' 3353 habitants, et en 1906

3269 seulement.
Le ralentisbement et l'arrêt constatés à partir de 1851
proviennent de deux causes: la première, par ordre de date,

est l'émigréij,ion; la seconde~ dont l'action ne se fait sentir
que depuis une quinzaine d'années, est la diminution du
nombre des naissances . .
L'émigration temporaire ou définitive a enlevé beaucoup
à la Montagne, surtout autour de Saint-Rivoal;
d'habitants
elle a commence avec la construction des bonnes routes et

(1.) Arch. municip. Brasp.

avec celle des chemins de fer qui ont déterminé l'expatria-
tion de tant de Bas Bretons. Bien que les chemins de fer ne
touchent pas Brasparts, l'ouverture des lignes de l'Ouest' et
d'Orléans a produit, à Brasparts comme ailleurs, les effets
d'ex~austion que' nous avons décrits en détail dans notre 1
Bass Bretagne. (1). .

La diminution des naissances est un fait très grave, et
aussi très récent. Jusque vers 1885, le taux des naissances
s'était maintenu, à Brasparts, à un chiffre très élevé ; En
comparant les deux périodes décennales 1813-1822 et 1874-
1883, on trouve, pour .la première, 32 p. 0/00 . de naissances .
39 p. % , Ce chiffre est brus­
annuelles, et pour la seconde;
quement tombé à 28 0/ de 1894 à 1903. On sait trop quelle

est, dans la situation présente de la France, la signification
démographique de ce symptôme,pour que nous y insistions.
Nous nous contenterons d'indiquer qu'il semble accompa­
gner d'une manière inexorable, dans nos sociétés civilisées,
le développement du bien-être matériel et de la prospérité
générale. .
CAMILLE VALLA UX.

(i) C. V ALLAUX, la Basse-Bretagne, chap, X.