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Société Archéologique du Finistère - SAF 1907 tome 34 - Pages 324 à 339
à la Pointe du Raz,
par les Hollandais, au commencement du XVIIe sièclè
Autrefois, la pointe du Raz était peuplée de moutons nains,
à la toison fauve et embroussaillée, formant, sous la garde de
jeunes filles de Lescoff, des troupeaux de plusieurs milliers
de bêtes .
A moitié sauvages, ils s'affolaient au moindre bruit suspect,
à tolite apparition d'objets étrangers; au claquement des voiles
des navires que les courants et les vents obligeaient de lou
"oyer près de terre. Et cela arrivait fréquemment, car des flot
tes' nombreuses sillonnaient la mer, au passage du Raz,
dans les baies de la Mer droite et de la nt er gauche (1) ': bar
ques pêchant la morue, industrie qui s'était reportée sur
Audierne et le Cap, après le sac de Penmarc'h par La Fonte
nelle; flottilles de · commerce escortées de navires de
guerre; corsaires et vaisseaux de toutes les nations, amies et
ennemIes.
Les moutons, affolés, échappant à leurs gardiennes, se réfu
giaient, massés l'un contre l'autre, sur les roches isolées,
bêlant lugubrement, frappant des pieds de devant et portant
autour d'eux, de leurs yeux convulsés, des regards blancs,
hagards. .
Les gardiennes les poursuivaient, armées de leurs quenouil~
les, pour les ramener. La .poursuite conduisait moutons et
'p '1' _, 1_ = . _ F F . , '
(i) Orientation faite en se tournant vers l'Est.
325 -
gardiennes aux crêtes et aux versants des falaises que souvent
eilleuraient presque, de leurs huniers gonflés, de leurs ver
gues penchées, les navires virant_ de bord.
La vue de ces troupeaux devait attirer la convoitise des
matelots grimpés aux mâts, P.t les inciter à la maraude.
Les jeunes filles, aussi, faisaient aux navires, signe de leurs
quenouilles et lançaient cet appel:
- « Batimantik ! Batimantik, deud en od !
« Me ialo, ganoc'. h, da vartolod.
« Da vartolod, me na in ked,
c( Med da gabiten, na laron ked 1 »)
«. Petit navire! petit navire, a'borde ici!
( J'irai matelot à ton bord.
« Matelot ne serai pas,
« Mais capitaine, je le veux bien. »
Un jour, cet appel d'une jeune fille de Lescofl se réalisa .
L'équipage d'un navire Hollandais descendit à terJ:e et emmenà
la jeune fille. .
Un gwerz ancien a gardé le souvenir de cet enlèvement;
nous le reproduisons ci-après, tel que nous l'avons recueilli et
avec toutes ses incorrections, parce qu'il donne des détails
précis sur la pointe du Raz, au commencement du XVIIe
siècle.
326 -'
CHANNIK AN ORMANT
(fiwerz da zansal)
Ar bra - va plac'h a so e Plo - gon,
Chan - nik an Or - mant oud a Les - con;
Ar bra - va plac'h a so er bar - rez,
Baur - don, hi c'hou ma. ra r~ -
Ar bra va plac'h a so e Plogon,
Channik an Ormant oud a Lescon ;
Ar brava plac'h a so er barrez,
.Mari Bourdon, hi c'houmaradez.
Eun devez e oa-int bed kased,
Var ar Staon, da zioual an denved .....
_. « Koumaradez, tised a li-se!
« Sel sa 0 touara bars e Bestre ! --
« Ar re-se so bagou Kameled
dez.
(( A so deud, d'ar Raz, d'ar morued. ('1)--
« Koumaradez, tised a li-se,
« Klezeier a so gant-ho en ho c'hoste ! --
(1.) C'est la seule fois que nous trouvons la morue désignée dans un docu
ment ancien. Des com:ptes d~ 1537 n'en font pas mentiçm
majs bien de
merlus,
327 -
c( Ar re-se a 80 tud-jentil vras
« A so deud da veled l1eg-ar-Baz.
Ç( Mar vie-bed tud-jentiI ar re-se
« Ne vient ked guisked, e ru, evel-se.
-- ({ ' ,\r re-se a so kabitened
«( A 50 e ober tro ar bed.
e du,
(dic'halv ar plo.c'h)
« Batimantik, batimantik, deud en od,
« Me ialo, ganoc',h da vartolod !
« Da vartolod, me na in ked,
« Med da gabiten, na laron ked !» _ . -
Pa oa Channik e pen al' C'harn-koz, ('1)
E oa martoloded var al' l'OZ.
Pa oa e tont e pen ar Bar-K?'en,
Dorn ar martolod oa var hi fen.
E tont e Tarozen o.r Fotou
E oa Channik e krei (1) tre an daou .
Ne oa ked e mffiZ oud ar ,Fotou,
. A dorraz leren hi ga lochou .
. . « Mar mie galled paka Poulbroc'hed, ( 3)
« Biskoas paian na m' mise tied ! -
Channik an Ormant druill a oele
o tisken var ar plator e Bestre :
« Taved-ta, Channik, na oeled ked,
( Diganemp-ni ne po drouk ebet !
(-1) Ces noms indiquent le trajet parcouru par la jeune fille fuyant ses
ravisseurs. Ils sont d'une exactitude absolue.
(2) Dans les villages a voisinant la Baie des Trépassés, et à l'île de S;)in,
les lettres S et Z, ne se prononcent pas. Au milieu des mots, elles se
changent en d, t. Bezin : Bedin, goëmon, , al' fod, la fosse.
(3) D'après lq tradit~onl un bots ex!stait eq cet eqdroit,
- 328-
(c Pa vioc'h aru krei ar mour bras,
« E vo lavared obel' ho choaz; .
« E vo lavared doc'h choaz ho c'hoant,
- « Unan oud an dud ar batimant. -
(c Ha ! Mar a velfe ma breur beleg
« A iafen e touez ar baïaned,
« Na bagou Leskon bars e Bestre,
« Da groc'hen-te, païan, a sec'h-fe ! » -
Channik an Ormant druill a oele
o tisken var ar plator e· Bestre :
« Lesked ac'hanon da vont ac'han !
« Raned a vo hi c'halon gad va mam.
« Me vel ma mam e IHene-Kellik
« A gant-hi broz c'hlaz hi merc'h Channik.
« Me vel ma mam e Sabl ar (;orzik,
« Deud da zigas lein d'hi merc'h Channik.
« Lesked ac'hanon da vont d'al' ger,
le Ema ma mam oud ma gelver,
«. Da zribi ioud oud al' poud mel, (1 )
« A da eva lcez oud ar goter ! ») -
Channik an Ormant a oele-ten
o c'houl douari bars el' Vorlen:
« Me rank douari bars el' Vorlen
a Na da saludi va hol kerent! » ---
. Cc Channik, Channik, nazouaroc'h-ked,
(i Ken a viomp en Ilotland arrued !
« An a v'el bis-reter a so ten,
« N'heller-ket douari er Vorlen » -
(i) Gros millet que l'on écrasait dans un mortier en pierre, au moyen,
d'un pilon. .
Le ~en~ çlv. vers comprendrait ausst: bouillie av~c du ~nie{ ,
- 329-
An avel bis- reter il raje
Tre beteg bw al' sovaje.
An divea douar a veljont
E oa Lom-M azo, a douar Konq.
Ar c'henta douar a vo goude-se
A vo bro al' baïaned-se.
Pa oa ed e krei al' mOUf frank
E oa lared dezi choaz hi c'hoant.
« Ne ouzon ket puni a choazen,
« Pa na anveon ked ar c'habiLen.» -
Ac al' c'habiten pa hi glevaz,
E mlEZ oud he gampr a zilammas,
Da ambrassi Channik an Ormant,
D'obel' dezi eur bizou arc'hant.
. « Channik, Channik, na oeled ket,
« Ne ked d'al' maro e a ied !
« Pa viomp en RoLLand arrued,
« Ni a vo demêd ac eureujed 1 ») .,-
Cl. Gueloc'h-ve, ganin, mont d'ar maro,
« Evit ganid-le, païan, d'az bro ;
« Ra ma bro so douar biniged,
« Ac da vro-te, païan, ne ma ked. » -
Pa oent arru tost da gichen,
A oa gueled eur chiminal ven.
« Na veled ked eur chiminal ven?
« Ounez e ti mestr ar forgaden. » -
« Deud, ganin-me, da stal da stal,
« Da brena mezer inkarnal. » -
~- « Guel-ve, di-me, eur vroz stoup-lin
( Mar ve ma mam el' nez-fe din. )~ -.."
330 -
. «Deud, ganin-me, Channik, da eva
« Guin ru, guin guen, ha deuz an dousa ! » -
« Guel ve din eur bane dour irin,
« Mar e ve ma mam hen rafe din ! »
" « Channik an Ormant, mal' plij ganoc'h,
« Laret d'in-me, oud ped lignad oc'h ?» .
« Me so oud lignad ar gristenien,
« A me oar vad fi so eur païan. » -
c( Evit da vea e mon eur païan,
« Me a vevo egist eur c'hristen ;
« A mar e befomp bugale
« Ni a raiD kristenien an-heu ie.
« Ni a armo eut' forgaden gaer
« Da vont da Leskon da veled ma mam gaer .
« A dime a vo eun enor gaer
« Da lakad henver ma mam gaer .
, « Dime a vo eun en or e bars è Leskon,
« Lakad ma mam gaer da baeron. » -
Neb a velje Channik an Ormant
o tansal var pave an Bolland,
Gand-hi eur vroz kalamand ru,
Ac hi alaoured oud a bep tu ;
Neb a velje Channik an Ormant,
o pourmen var pave an Rolland,
Gand-hi eun habit inkarnal,
A sei, oud'hi, beteg an douar.
- (1 Lavar d'al labousigou var nij
« Digas va ç'beloQ da ma c'herl§ 1 .
331
« Pa in da Leskon d'ho guelet,
« Me raiD deu ma leor a ma chapeled,
« Ma goalen aour na rin ked. » -
« Mam deud ganin-me da ma bro,
(( Rag, enD guelloc'h, ni a vevo. »
{( An dra-ma so din eun exempl (1) kaer
« Kaoued eur païan da vab kaer 1
« Ha 1 Na guitaïn ked va bro,
« Me ial, da ma bee guered Plogon ;
« Ac e mo, bep sul, dour biniged,
« A ganid-te, merc'hik, na mefo ked. ))
« Ma lesked var moguer al' vered
« Da lare kenavo da m' c'hoarezed.
« Da ma breur beleg na larin ked, '
« Dont a rai d'an Bolland da ma gueled.
« Kenavo a raon de vered Plogon,
« Rag eur be neve a mo enD 1 » -
(Kaned gad Lissen Jadé, naD bloa, oud Kériolet, e Kléden.
- 17 abril 1885 ; a gad Mari-Josephe Pansel, intanvez Jan-
Villou Maréchal, e Leskon, ' 19 abril1889) .
(!) Exempl, c'est le châtiment qui euit un acte coupable, un fait
anormal, chez les gens de mer.
Ainsi, faire souffrir inutilement un poisson qu'on vient de pêcher, atti
rera un Exempl: accident au marin qui l'a commis; naufrag-e du batee,q
QU le fait s'est passe,
- 332
JEANNETTE LE NORT
(Chanson à danser)
La plus belle fille de Plogoff,
C'est Jeannette Le NOJ'tman de Lescoff.
La plus belle fille de la paroisse,
Marie Bourdon, sa compagne.
Un jour, on les envoya,
Sur l'Etrave du Raz, garder les moutons ....
« Amie, fuyez de là,
« Voyez ce qui atterrit à Bestre ».
- « Ce sont les bateaux de Camaret
« Venus, dans le Raz, pêcher la moru~ ». -
« Amie, fuyez!
« Ils ont des glaives au côté ». -
- « Ce sont de 'fiers gentils-hommes
« Venus visiter la pointe du Raz ». -
« Si c'étaient des gentils-hommes .
Cl. Ils ne seraient pas vêtus de rouge,de noir,ainsi ».-
- ,Ce sont des capitaines,
« Qui font le lour du monde ».
( Appel de la jeune fille)
CI. Petit navire, petit navire!
« J'irai matelot à ton bord!
« Matelot ne serÇii pas,
« Mais capitaine, je le veux bien! ». -
Quand Jeannette était au bout du Vieux Carn,
Des matelots avaient gravi la falaise.
Arrivée au Bar-l{ren, (Champ de la pentt),
La main d'un matelot au-qessus de sa tête,
En grimpant la pente des Fossés,
Elle se trouvait entre deux matelots.
En quittant la clJ ête des Fossés,
La courroie de ses galoches cassa.
_. « Si j'avais pu atteindre la Mare aux blaireau:1J,
« Jamais païen ne m'eut prise ». -
Jeannette Le Nortman pleurait dru
En descendant la platesse de Bestré.
-= « Taisez· vous, Jeannette! ne pleurez pas!
« De notre part vous n'aurez aucun mal.
« Quand vous serez arri vée a u large de la grande mer~
« On vous dira de faire un choix:
« On vous dira de choisir, à votre goût,
« L'un des hommes du bâtiment.
.. « Hà ! si mon frère prêtre
(( Me voyait mener au milieu des païens,
« Si les barques de Lescoff étaient à Bestré,
« Ta peau, à toi, païen, sécherait 1». .
Jeannette Le Nortman pleurait ferme,
En descendant sur le platesse de Restré .
« Laissez·moi partir,
« Bris-é sera le cœur de ma mère!
« Je vois ma mère à Méné-Kellik
« Apportant sa jupe bleue à sa fille Jeannette .
« Je vois ma mère au sable de la Gorge,
« .Apportant le dîner de sa fille .
« Laissez-moi retourner à la maison,
« Ma rnèrè est là qui m'appelle
« Pour manger de la bouillie de millet
« Et boire du lait, à même la jarre! ». -
334 _ OF
Jeannette Le Nortman pleurait bien fort,
Demandant qu'on la débarque à l'anse du VorLen.
« Il me faut atterrir au Vorlen,
« Pour saluer tous mes parents 1 ». - -
- « Jeannette 1 Jeannette 1 vous ne débarquerez
« Jusqu'à ce que nous soyons arrivés en Hollande .
« Le vent d'Est-Nord-d'Est souille fort,
« On ne peut atterrir au Vorlen » . ..IL-
Le vent d'Est-Nord-Est fit rage
Jusqu'au pays des sauvages.
La dernière terre qu'ils eurent en vue,
Fut Saint-A'lathieu et la terre du Conquet .
La première qu'on apercevra après
Sera la terre de ces païens .
Quand on fut en pleine mer,
On lui dit de faire son choix.
' . « Je ne sais lequel choisir
« Puisque je ne .connais pas le capitaine ». .-
Le capitaine, quand il l'entendit,
S'élança de. sa cabine,
Pour embrasser Jeannette Le Nortman.
Lui donner une bague en argent.
. '. « Jeannette, Jeannette, ne pleurez pas,
« Ce n'est pas à la mort que vous allez 1
« Quand nous serons, en Hollande, arrivés, .
« Nous serons fiancés et mariés! 1J. -
'0 « Mieux vaudrait, pour moi, aller à la mort,
« Qu'avec toi, païen, dans ton pays .
« Car mon pays est terre bénie,
« Et la tienne, païen! ne l'est pas n. .
Lorsqu'on fut près d'arriver,
On eut vue d'une cheminée blanche.
« Ne voyez-vous pas cette cheminée blanche '?
« C'est la demeure du maître de la frégate. --
« Venez avec moi, de boutique en mag, asin,
(1 Acheter des étoffes incarnates». -
« Mieux vaudrait pour moi, une robe d'étoupe de lin,
({ Si ma mère me la filait n. -
« Venez, avec moi, Jeannette, boire
({ Vin rouge, vin blanc, des plus doux! ). -
« Je préférerais une goutte d'eau de prunelle
« Si ma mère me la donnait n. -
«( Jeannette Le Nortman, si c'était votre bon plaisir,
« Dites-moi de quelle lignée vous êtes! ». -
« Je suis de la lignée des chrétiens 1
« Et vous, je le sais bien, vous êtes un païen. -
- ({ Pour moi d'être un païen,
« Je vivrai comme un chrétien:
« Et si nous avons des enfants,
« Nous en ferons des chrétiens aussi.
« Nous armerons une belle frégate, .
« Pour aller, à Lescoff, voir ma belle-mère;
({ Ce sera, pour moi, un grand honneur,
« De faire nommer ma belle-mère;
« Ce sera, pour moi, un grand honneur à Lescon,
« D'avoir ma belle-mère pour marraine. » -
On pouvait voir Jeannette Le Nortman,
Danser sur le pavé de la HoUande
Vêtue d'une robe de Kalamant (1) rouge,
Couverte d'or de tous les côtés;
On pouvait voir Jeannette Le Nortman
Se promener, sur le pavé de la HoLLa.nde,
Vêtue d'un habit écarlate,
Brodé de soie jusqu'à terre.
« Dis aux petits oiseaux prenant leur vol
« De porter mes nouvelles auxhabilantsde mon village.
« Quand j'irai, à Lescoff, les voir,
« Je leur donnerai mon livre de messe et mon chapelet,
« Mon alliance en or, je ne donnerai pas.
« Mère 1 Venez, avec moi, dans mon pays,
« Bien mieux, nous y vivrons. » -
. « C'est pour moi un grand châtiment
« D'avoir un païen pour gendre.
« Non 1 Je ne quitterai pas mon pays,
« Je veux ma tombe au cimetière- de Plogoff ;
« Où j'aurai, chaque dimanche, de l'eau bénite,
« Avec toi, ma fille, je n'en aurai pas. » --
- « Laissez·moi sur le mur du cimetière
« Dire adieu à mes sœurs!
« A mon frère prêtre je ne dirai pas adieu,
« Il viendra, en Holla.nde, me voir .
« Mes adieux au cimetière de Plogoff
« J'aurai une tombe neuve en Hollande » ! -
(Chanté par Lissen Jadé, 9 ans, à Kériolet, en Cléden, le
17 Avril 1885 ; et par Marie-Jo'3ephe Pansel, veuve de Jean-
Guillaume Maréchal, à Lescoff, le 19 Avril 1889) .
337
Michel Le Nobletz et le Père Maunoir eurent à combattrè
un usage séculaire qui existait à la Pointe du Raz: celui de
danser dans la chapelle de Lescoff.
On dansait au chant.
Cet usage, qui s'est encore longtemps perpétué à l'île de
Sein, avait cependant un caractère mystique. Avant de
commencer la danse, on faisait cette invocation:
cc Dansomp evit gloar Doue!)} -
/1. Dansons pour la gloire de Dieu !» .
Les airs de ces danses se composaient sur place. Les paro-
les remémoraient les faits marquants qui s'étaient passés dans
la région. C'était l'histoire locale composée par les acteurs
ou les témoins des évènements. Les chants et les danses
servaient à en perpétuer le souvenir .
Lorsqu'un fait, digne d'attention était survenu, on se réu
nissait autrefois dans la chapelle; aujourd'hui, c'est sur le
placître, ou près de la croix de lJfénez-Run qui porte la date
de UH2. Un air était fredonné et le sujet du gwerz convenu;
la mélodie et le rhythme répétés: si bien qu'en peu de temps
les têtes et les corps se balançaient en cadence (1). L'inspira·
tion venait alors, tantôt à l'un, tantôt à l'autre, et les rimes
et les vers s'ajoutaient les uns aux autres; chaque assistant
tenait à avoir son vers, ou son couplet dans la chanson.
Au premier abord, ces compositions semblent disparates.
Mais l'idée générale du sujet domine et relie tous les épisodes,
bien que sortis de l'imagination de tan t d'a u teu rs difléren ts, dont
- la seule préoccupation était d'être exacts. Aussi ces chants an
ciens de Lescoff sont, ordinairement, d'une longueur extrême,
parce qu'aucun détail ne devait être omis.
Ce sont des documents précieux d'histoire locale.
(i) Telle est encore l'allure des gens de Lescoff, à qui l'on récite des vers
bretons. Au' bout de peu de temps, ils trouvent eux-mêmes les finales et
les rimes appropriées au sujet. Nous en avons été souvent témoin .
338 -
Nous avons déjà donné le chant composé au sujet de la
peste de Lescoff, amenée par un navire vers Hi80.
Le gwerz de Channik an Ormant remonte à la première
moitié du XVIIe siècle.
La descente des maraudeurs Hollandais, à Bestré, a dû
avoir lieu pendant la guerre de religion, alors que les navires
des états protestants allaient et venaient pour défendre La
Rochelle assiégée pal' le roi Louis XIIIe et Richelieu. En
effet, tout le chant exprime l'horreur de la religion rétol'mée
que les habiLants de la Pointe du Raz connaissaient par les
rapporLsde gens du Cap qui se trouvaient à l'armée royale
et dont plusieurs avaient péri. (1) Un couplet de la chanson
est même caractéristique; celui, où Jeannette donnera à ses
parents son lim'e de messe et son chapelet, objets inutiles en
pays de llé(orme. .
Les actes dé naissance des deux jeunes filles citées
par le gwerz remontent, . du reste, aux premières années
du XVIIo sièclp..
Voici celui de Channik an Orml;lnt ;
« Die vigesima septima aprilis anno Dni 1609, fuit
« baptizata Janna filia naturalis et legitima Petri Ormant
« et Margarite Gouzerch eius uxoris, Johannes Ormant et
« Janna Milner tenuerunt eam supra fontem sanctum pel' me
« Johannem Besque baptizantem. - Baptisans: J. Besque ... »)
Marie Bourdon, sa compagne, fille de Jean Bourdon et de
Levenez (Leticia\ Quozic est de trois ans plus âgée que l'hé
roïne du gwerz. Elle est née le 27 juin 1606.
L' histoire de Channik an Ormant se racontait, autrefois, à
toutes les veillées, avec des détails que ne donne pas la
chanson:
La poursuite de Marie Bourdon, sa compagne, qui dut son
salut, à ce fait: En courant, elle tomba. Son aiguille en bois,
(i) Jan Cha vry d'Audierne mort au siège de La Rochelle; Hervé Urvoez,
d'Esquibien, mort entre les mains des infidèles (iô2ô) .
- 339 "
a tricoter la laine, lui pénétra dans la joue. La douleur et la
vue de son sang la firent s'évanouir, et ses ravisseurs l'aban-
donnèrent;
La venue de Channik, avec son mari à Lescoff, et ses adieux
à ses parents sur le mur du cimetière, après la.grand'messe ;
La description de sa maison, an ty bras, rebâtie en
1661, par Guillaume Boccou, recteur de Cléden.
Le gwerz de Channik an Ormant est le chant national
de Lescoff.
H. LE CARGUET .
. Audierne, le 25 Novembre 1907. ·
- 342-
DEUXIE E PARTIE
Table des mémoires et documents publiés en 1907
'" , cIO' , , . _
L'impôt du Vingtième à Audierne en 17~H par M. LE
CARGUET .................................... ....
Notes sur les anciens chemins de la paroisse d'Elliant,
par M. le Vie DE VILLIERS DU TERRAGE ............. .
Le Roman de La Tour-d'Auvergne, par ·M. J. TRÉVÉDY ..
Le District de Pont-Croix (1790-179~). Le Port d'Au-
dierne. La Défense des côtes. La Pêche à la
sardine, par M. l'abbé J.-M. PILVEN ..............
Rennes et ses abords à l'époque gallo-romaine, par M.
le Dr C.-A. PICQUENARD ...........................
Un Mariage manqu.é par La Tour-d'Auvergne '? par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . ........ . ..........
Notice sur le château de Kerjean (commune de SI_VOU
guay), par M. C. CHAUSSEPIED ....................
Relation de la fouille du tumulus du Mouden-Braz, en
Pleudaniel (Côtes-du-Nord), par MM. A. MARTIN, et
l'abbé PRIGENT. (planche) ...... ....... " ........ "
La Tour d'Auvergne-Corret et la maison de Coigny, par
Pages
109
118
124
146
M. J 10 rrRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Eglises et chapelles du Finistère (suite) ; 7
article, voir
tomes XXX à XXXII) : Doyennés de Plabennec (fin) et
Ploudalmézeau, par M. le chanoine PEyRON .......... .
Le chevalier Calloet de Lanidy (17~3-1782), par M. le
is B' 'A
DE .REMOND .P' RS . . -................. . .......
. -.; .'! ' . . ' . 4:l~h~.:L~:;Grand ~t)es ~·anciennes chroniques (878-888 ... ),
- . . . .. pa~M,; . )e D~C.-A. PICQU- ENARD .................
MémOIre ivédlt concernant La Tour d'Auvergne-Corret,
. ·par .... M. · J: TRÉVÉDY ..... . _ . .. ................
" Eiât di·' mes services", mémoire autobiographique
. ": . { dh navigateur y .-J. de; Kerguelen-Trémarec, publié
. ' - '. par M.H-.BoURDE ·DEl';A', ·RoGERIE. " ........ ' .....
199
213
220
, Note sur le groupe dit du Cavalier et de l'Anguipède, à
propos de l'exemplaire de Kerlot, près de Quimper, par
M. ALFRED ROUSSIN .............................. .
Le dolmen de Magoer-Huen (Ile de Groix), par M. L. LE
PONTOIS,. ................... . .... ,. ........ lOlO lOlO
Autour de Locamand (aneiennes limites de la paroisse,
monuments mégalithiques, fourches patibulaires), par
M. le Dr C.-A. PICQUENARD, .......................
La Roche gravée de Stang-Bilérit, découverte à l'île de
Groix (Morbihan), par MM. le commandant LE PONTOIS
etP. DU CHATELLIER (planche) .. ................... .
Restes de rétablissement gallo-romain de Kerillien, en
Plounéventer, par M. le Chanoine J .-M. ABGRALL .....
Enlèvement d'une jeune fille à la Pointe du Raz par les
Hollandais au commencement du XXIIc siècle, par
Pages
293
300
304
313
315
H. LE CARGUET.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321,
SOCIETE ARCHEOLOG
DU FI N .STt:RE
Hôte' de Ville
29107 QUfM