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Société Archéologique du Finistère - SAF 1907 tome 34 - Pages 213 à 219
1753-1782
J'ai eu occasion, dans plusieurs publications historiques,
de rappeler le souvenir de héros presque inconnus, ou du
moins bien oubliés : et pourtant, ainsi que je l'ai fait
remarquer, nous voyons, depuis quelquetemps.l'empres-
sement que l'on met à fêter le centenaire de personnages
plus ou moins célèbres.
Sous ce l'apport, les Annales de la arine nous fournis
sent de glorieux exemples de courage et de dévouement
durant les dernières guerres du XVIIIe siècle.
Dans son Histoire de La Marine Française, M. le comte
de Lapeyrouse-Bonfils, ancien lieutenant de vaisseau, a
donné la liste des officiers tués ou morts de leurs blessures
pendant la guerre de l'Indépendance des États-Unis. Le
nombre total s'élève à plus de deux cents dont presque un
quart étaient des Bretons. Parmi les officiers tués dans les
différents combats, je relève les noms de MM. du Bahuno
du Liscouët, de Bizien, de Calloët de Lanidy, de Cheffon
taines-Bodinio, de Cheffontaines-Trévien, de Coatlez, du '
Couëdic~ Ferron du Quengo, de Guébriant, de Guernisac,
de Guichen, de Jacquelot, de Keravel, de Kergariou, de
Kergu, de Kersauson de Pennendl'ef, de Pennendreff de
Keraustret (1), de La Grandière, de La Mettrie, Péan de
(1.) Le chevalier de Pennendreff-Keraustret qui mourut pendant la
guerre de l'Indépendance, succomba dans des circonstances qui valurent
à sa famille une pension du Roi, et, par un privilège bien rare, cette pen
sion fut maintenue par le gouvernement de la République, en même temps
que celle ' de la famille d'Assas. (Note communiquée par M. H. de la Rogerie)
214 -
la Villehunaut, de Trémigon, Trolong du Rumain, Visdelou
de Bonamour et Visdelou du Liscoët.
Parmi les blessés: MM. de. Beaumanoir, du Boisguehe
neuc, du Bouëxic, de Carné Carnavalet, de Cillart, de Cillart
de Su.ville, de Gouyon de Vaurouault, de Gouzillon, de
Monthuchon, de Kergariou, de La Bintinaye, de La Roche·
Kerandraon, Le Liv~c, des Nos de La Hautière, Rogon de
Carcaradec, de· Trédern de Lezérec, de 'l'robriand, de
Trogoff, de Tronjoly, Urvoy de Portzamparc, etc.
Mais je crois devoir consacrer une notice particulière à
l'un de ces intrépides marins, le chevalier de Lanidy! sur
lequel j'ai recueilli, grâce à l'obligeance de notre érudit
c;onfrère de la Société archéologique, M. le comte Amaury
Audren de Kerdrel, conseiller général du Finistère, des
détails précis extraits des archives du château de Keruzoret.
Je ne pouvais être mieux renseigné que par le petit-neveu
du jeune héros mort en 1782 à bord de la frégate l' Hébé,
sur les côtes de Bretagne.
Yves-Gabriel Calloët de Lanidy, appelé lA chevalier de
Lanidy, naquit au château de Lanidy (paroisse de Ploui
gneau) le 19 septembre 1753; second fils de Joseph-Fran
çois Calloët de Lanidy et d'Olive de 'l'ouronce du Goréquer.
Il appartenait à une famille d'ancienne extraction, aujour
d'hui éteinte, connue depuis la fin du XIVe siècle, et
distinguée par ses services et ses alliances.
Nous citerons seulement: Jean Calloët de Lanidy, mort.
en 1504, Evêque d~ Tréguier; Rolland Calloët, seigneur de
Lanidy, de. Kermorvan et de Lostanvern, né en 1626, nommé
le 7 décembre 16'56 chevalier de l'Ordre du Roi (Saint
Michel) et reçu par le maréchal de La Meilleraye; il avait
épousé Renée de Kerohant, fille de François de Kerohant,
seigneur de Coëtanfao, chevalier de l'Ordre du Roi et
d'Anne de ' Kerouséré (1). Dominique Calloët de Lanidy,
frère de Bolland, capitaine au régiment d'Harcourt, griève
ment b !essé au siège de Gibraltar, en montant l'un des
premiers à l'assaut (1658). Cette famille comptait .encore
un Conseiller d'Etat en 1647 et un Président de la Noblesse
de Trégui~r qu'il commandait lors de la défaite des Anglais
à Camaret en 1694.
Par sa mère, Mlle dt> Touronce, le chevalier de Lanidy
était neveu de Toussaint-Marie de Touronce du Goréquer,
lieutenant de vaisseau, qui périt à bord du Superbe, vais
seau de l'esüadre du maréchal Je Conflans, englouti en
mer le 29 septembre 1759.
11 avait ainsi de glorieux exemples à suivre.
Il dut commencer sa carrière par entrer dans les gardes
marine à Brest, et nous le trouvons en 1782, lieutenant de
vaisseau à bord de la frégate l'Hébé.
Voici le résumé des notes extraites des archives de
Keruzoret.
La frégate l'Hébé commandée par le chevalier de Vigny,
capitaine de vaisseau, était sortie de Saint-Malo le 3 sep
tembre 1782, pour aller se faire radouber à Brest. Elle
accompagnait un convoi composé d'une corvette, deux flûtes
et quelques transports chargés de munitions navales. La plus
grande partie du trajet s'était accomplie sans fâcheuse ren
oontre, et la petite flotte, après avoir doublé l'Ile de Batz, était
en vue du château de Kerouzéré près Saint-Pol-de-Léon,
quand on aperçut le 4, à la pointe du jour, le vaisseau
anglais, le Raimbow, à deux ponts et 46 canons, qui joignit
bientôt la frégate française. La barre du gouvernail de
l'HébrJ fut coupée dans la chasse par la première bordée de
l'ennemi. L'Hébf présenta le travers au Raimbow qui la
désempara totalement.
(1) ~es Chevaliers Bretons de Saint-Michel, par Gaston de Garné .
Le Capitaine de Vigny, légèrement blessé par les éclats
du gouvernail, et se voyant atteint par des forces supé rieures, voulut faire cesser le combat et amener . son pavil
lon. Il fit successivement venir dans sa chambre chacun
des officiers de son état-major, et chercha à les faire con
sentir à se rendre avec lui.
Cette coupable hésitation paraissait d'autant plus incom
préhensible chez le commandant · de l'Hébé, qu'il avait pris
part aux campagnes précédentes, et nous ]e voyons cité
parmi les officiers blessés en Amérique. Deux ans aupa
ravant, M. de Vigny, commandant la frégate La Néréïde,
avait pris part à la croisière sur les côtes d'Espagne et de
Portugal, dirigée par le chevalier de Bausset. Ajoutons que
la frégate l'Hébé d'après les recherches sur l'ancienne
marine de notre confrère, M. le docteur Corre avait 40
canons, et que le Raimbo'w, n'en avait que quatre en plus .
D'autres notes cependant disent que le vaisseau anglais en .
avait 46. En tout cas, la lutte était possible.
Le chevalier de Lanidy, indigné d'un acte qui allait
flétrir l'honneur de la Marine Française en amenant son
pavillon devant les Anglais, chercha à ranimer son courage
et lui adressa les plus sanglants reproches, puis il remonta
sur le pont et fit continuer le c_ ombat. .
Mais bientôt un boulet lui enleva les deux j~mbes. Alors
toute résistance cessa et l'ennemi s'empara de la fregate.
Cependant, grâce à la bravoure du chevalier de Lanidy,
le convoi eut le temps de prendre le large et d'entrer au
port de Brest.
Le procès-verbal du jugement prononcé contre l\f. de
Vigny, rend au chevalier de Lanidy un juste hommage, en
constatant, non seulement les soins et mouvements extraor
dinaires qu'il avait montrés pour les dispositions essentielles
aux manœuvres d'appareillage, de navigation et de combat,
mais encore les m.'lrques distinguées d'intelligence, d'acti-
j. 217" '
vité et de fermeté qu'il a fournies pendant la chasse et
l'engagement, soit par ses avis, soit par son maintien, soit
par les discours encourageants qu'il a tenus jusqu'au mo
ment où il expira, succombant à ses hOl'ribles blessures.
Le procès-verbal ajoutait « qu'il serait décerné à la
mémoire du chevalier de Lanidy la mention honorahle et
authentique des témoignages de satisfaction et d'éloges qui
lui sont dûs· )).
L'héroïsme du chevalier de Lanidy excita l'enthousiasme
des . marins de son bord à un tel point, qu'ils recueillirent
son sang dans des flacons et partagèrent des morceaux de
ses vêtements comme un précieux talisman de courage et
d'honneur.
On jugera facilement de l'admiration produite dans la
Marine entière par cette mort glorieuse, en lisant une lettre
adressée au frère du chevalier de Lanidy par un de ses
compagnons d'armes:
« J'ay l'honneur de vous adresser, Monsieur, un exem
plaire du jugement qui vient d'être imprimé par ordre du
Roy. La mention honorable qu'il contient du chevalier de .
Lanidy, votre frère, est un tribut que les fonctions dont
j'étais chargé m'ont mis à même de rendre à la mémoire de
ce camarade qui a emporté, avec nos regrets, l'estimé la
plus générale ».
Le texte de ce jugement, avons-nous dit, est conservé
dans les archives du château de Keruzoret.
Un conseil de guerre avait, en effet, été tenu à Morlaix, le
6 octobre 1783, ' et présidé par M. de Guichen, assisté de
MM. le chevalier de Langle, le chevalier de la Rivière, et de
MM. de Buor de La Chanollière, chevalier de Saint-Louis,
Huon de Kermadec. de Trédern de Lezérec, Bernard de
Marigny et Mahé de Kerouan.
Le conseil condamna « le sieur de Vigny à tenir prison
dans tel château ou citadelle qu'il plaira à Sa Majesté
d'ordonner, pèndant l'espace de quinze ' ans, à être ensuite
rayé SUI' les listes et états de la Marine ) (1).
M. de Vigny demanda le château du Taureau; mais il fnt
enfermé au château de Loches. Sa peine ne devait se ter
miner qu'en 1798. Peut-être vivait-il encore lorsque naquit
son neveu le célèbre poète Alfred de Vigny, né à Loches le
27 mars 1799, car le père de celui-ci, Léon-Pierre de Vigny,
s'était établi dans cette ville par son mariage avec la fine
du marquis de Baraudin, chef d'escadre. Ce dernier fut lui
même emprisonné à Loches pour avoir participé aux guer
res de la Vendée, et son fils, Louis de Baraudin, enseigne
de vaisseau, âgé de 23 ans, périt fusillé à Quiberon en
1795 (2).
La Gazette de Frrance avait relaté la prise de l'Hébé par
le vaisseau angl;'lis, sans parler de la mort du chevalier CIe
Lanidy, et dans des termes qui semblaient considérer le
commandant comme plus malheureux que coupable:
(' Le chevalier de Vigny, capitaine de vaisseau dit la
la Gazette du 4 octobre 1782 sort de Saint.-Malo le 3
. septembre avec la frégate l'Hébé qu'il est malbeureusement
forcé de rendre à un vaisseau anglais qui lui donne la
chasse» .
J'ignore si, dans quelqu'un de ses ouvrages, l'auteur de
Grandeur et Servitude militaires, a fait allusion à cette
douloureu~e période de la carrière maritime du comman-
dant de l'Hébé. Mais il est à remarquer que dans une notice
. consacrée à la famille de Vigny par l'auteur'de l'Annuaire
de la Noblesse (année 1891), il n'est point fait mention du
capitaine de vaisseau en question. Cette famille, originaire
de Beauce et issue de François de Vigny, receveur de la
(1) Malgré sa condamnation, M. de Vigny conserva ses droits à une
pension, fixée le 18 novembre 1783, à 2.400 livres par an, et amioncée sur
ce pied à M. de Boislambert commandant du château de Loches. (Archi
ves nationales: Fonds de la Marine. (Notes de M. Théodore Courtaux).
(2) Eugène de La Gournerie : Les débris de Quiberon, pages 38 et 105 .
, 219 A
ville de Paris, anobli en 1569, était représentée, au milieu
du XVIIIe siècle, par Claude-Henri de Vigny, marié à
Louise-Charlotte de Marcadé dont dix enfants. Aucun d'eux
n'est désign.é comme étant officier de marine - singulière
omISSIOn.
Le chevalier de Lanidy ne laissa qu'une sœur morte en
1805 sans alliance, et un frère Etienne-René Calloët, comte
de Lanidy, capitaine de chevau-légers, marié le 11 mai
1773 à Marie-Louise Chrestien de Tréveneuc, fille de Jean-
René, vicomte de Tréveneuc, et sœur de Geneviève Chres
tien de Tréveneuc, mariée le 29 novembre 1780 à Louis
Joseph Harscouël, comte de Saint-George, chevalier de·
Saint-Louis, officier au régiment de Beauvoisis, père de M.
le comte de Saint-George, député à l'Assemblée Consti
tuante de 1848. Mme de Lanidy est décédée à Morlaix le 16
mai 1849, n'ayant eu que trois filles, dernières représen-
tantes du nom de Lanidy : MMmes de Quélen, de Guerdavid
et de Kerdrel (1).
Celle-ci, Zoé Calloët de Lanidy, épousa en 1804, J ean
Anne-Casimir Audren, comte de Kerdrel, fils de Vin
cent-Casimir Audren, comte de Kerdrel. mousquetaire du
Roi et capitaine de cavalerie, lieutenant des Maréchaux de
France en 1776, et de Corentine de Gourcuff; c'est l'aïeul
de notre confrère M. le comte de Kerdrel, l'un des
nombreux petits-neveux de ce jeune héros. véritablement
martyr de sa fidélité à la vieille devise des Bretons (( Potius
mOTi quam fœdari )).
A. DE B; D'A
('1) Le portrait du chevalier de Lanidy se trouve au château de Ker
duel près de Lannion, et appartient à Mme la vicomtesse de Champagny,
née Audren de Kerdrel ; et les portraits du père et de la mère du jeune
et brave chevalier sont au château de Keruzoret .
- 342-
DEUXIE E PARTIE
Table des mémoires et documents publiés en 1907
'" , cIO' , , . _
L'impôt du Vingtième à Audierne en 17~H par M. LE
CARGUET .................................... ....
Notes sur les anciens chemins de la paroisse d'Elliant,
par M. le Vie DE VILLIERS DU TERRAGE ............. .
Le Roman de La Tour-d'Auvergne, par ·M. J. TRÉVÉDY ..
Le District de Pont-Croix (1790-179~). Le Port d'Au-
dierne. La Défense des côtes. La Pêche à la
sardine, par M. l'abbé J.-M. PILVEN ..............
Rennes et ses abords à l'époque gallo-romaine, par M.
le Dr C.-A. PICQUENARD ...........................
Un Mariage manqu.é par La Tour-d'Auvergne '? par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . ........ . ..........
Notice sur le château de Kerjean (commune de SI_VOU
guay), par M. C. CHAUSSEPIED ....................
Relation de la fouille du tumulus du Mouden-Braz, en
Pleudaniel (Côtes-du-Nord), par MM. A. MARTIN, et
l'abbé PRIGENT. (planche) ...... ....... " ........ "
La Tour d'Auvergne-Corret et la maison de Coigny, par
Pages
109
118
124
146
M. J 10 rrRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Eglises et chapelles du Finistère (suite) ; 7
article, voir
tomes XXX à XXXII) : Doyennés de Plabennec (fin) et
Ploudalmézeau, par M. le chanoine PEyRON .......... .
Le chevalier Calloet de Lanidy (17~3-1782), par M. le
is B' 'A
DE .REMOND .P' RS . . -................. . .......
. -.; .'! ' . . ' . 4:l~h~.:L~:;Grand ~t)es ~·anciennes chroniques (878-888 ... ),
- . . . .. pa~M,; . )e D~C.-A. PICQU- ENARD .................
MémOIre ivédlt concernant La Tour d'Auvergne-Corret,
. ·par .... M. · J: TRÉVÉDY ..... . _ . .. ................
" Eiât di·' mes services", mémoire autobiographique
. ": . { dh navigateur y .-J. de; Kerguelen-Trémarec, publié
. ' - '. par M.H-.BoURDE ·DEl';A', ·RoGERIE. " ........ ' .....
199
213
220
, Note sur le groupe dit du Cavalier et de l'Anguipède, à
propos de l'exemplaire de Kerlot, près de Quimper, par
M. ALFRED ROUSSIN .............................. .
Le dolmen de Magoer-Huen (Ile de Groix), par M. L. LE
PONTOIS,. ................... . .... ,. ........ lOlO lOlO
Autour de Locamand (aneiennes limites de la paroisse,
monuments mégalithiques, fourches patibulaires), par
M. le Dr C.-A. PICQUENARD, .......................
La Roche gravée de Stang-Bilérit, découverte à l'île de
Groix (Morbihan), par MM. le commandant LE PONTOIS
etP. DU CHATELLIER (planche) .. ................... .
Restes de rétablissement gallo-romain de Kerillien, en
Plounéventer, par M. le Chanoine J .-M. ABGRALL .....
Enlèvement d'une jeune fille à la Pointe du Raz par les
Hollandais au commencement du XXIIc siècle, par
Pages
293
300
304
313
315
H. LE CARGUET.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321,
SOCIETE ARCHEOLOG
DU FI N .STt:RE
Hôte' de Ville
29107 QUfM