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Bulletin SAF 1907


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La Tour d’Auvergne-Corret et la maison de Coigny

M.J. Trévédy

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1907 tome 34 - Pages 179 à 198

ET LA

MAISON DE COIGNY

Dans une précédente étude (1), j'ai cité une lettre où La
Tour d'Auvergne dit que son aïeul maternel Salaün du Rest
avait été « officier au régiment de Dauphin-Dragons»; et j'ai
promis quelques explications sur ce point. . Voici ces expli·

cations:
Après onze mois de captivité en Angleterre, La Tour
d'Auvergne était rentré en France, le 12 janvier 1796. Il
avait pris gîte à Passy, chez son ami le colonel Paulian. Il
ne retrouvait plus son protecteur d'autrefois le duc Godefroid
de Bouillon; le duc était mort au· château de Navarre le

3 décem~re '1792 (2). Mais La Tour d'Auvergne était en
relations suivies avec le fils du duc . Godefroid, Jacques­
Léopold, plus jeune que lui de deux ans, et qui le traitait en

ami. (3) Quand La Tour d'Auvergne venait à Paris, il semble
(i) La famille de La Tour d'Auvergne COI-ret voir Bulletin de i905 p. 282
note 3, et La famille Limon du Timeul', Bulletin de i906, p. 222.
Cette curieuse lettre a été publiée par le commandant Simond dans Le
Capitaine La l'our d'Auvergne, 2- éd. (i900) p. 24. Le biographe ne
publie que le second des alineas qui vont suivre. Le premier alinéa
donne quelques renseignements intéressants. Je dois ce premier alinéa
à l'extrême obligeance du commandant Simond.
(2) J'ai dit, après d'autres, que le duc avait émigré et était mort hors de
France. L'erreur est certaine. J'ai sous les yeux l'acte de son décès à
Navare, où il est dit qu'il « y résidait depuis plusieurs années sans
interruption ». Etat-civil d'Evreux, Saint-Germain succursale de la
paroisse Notre-Dame d'Evreux.
(3) Jacques-Léopold-Charles-Godefroid, né à Paris le 15 janvier 1746, -
mort à Paris le 7 février i802.

qu'il descendait parfois à l'hôtel de Bouillon (1); il Y
était aux derniers mois de 1796, très occupé d'une grande
affaire intéressa. nt le duc Jacques (2).
C'est dans ces circonstances que La Tour d'Auvergne reçut
de Guillard de Kersaüzic, mari de sa nièce Jeanne Limon,
demeurant à La Haye paroisse de Berrien (3), une lettre le
. priant de régler pour lui une affaire avec M. de Coigny .

Si on me demande comment M. de Kersauzic demeurant
en Basse-Bretagne et M. de Coigny étaient en rapport d'affaires,
je répondrai qu'ils étaient propriétaires voisins à Ploaré,
paroisse d'où dépendait alors Douarnenez. ' .
Comment étaient-ils ainsi voisins? C'est bien simple:
Mme de Kersauzic avait hérité de sa mère des biens venant
de son aïeul Salaün du Rest et situés en la paroisse de

Ploaré ; et M. de Coigny, comme héritier de sa mère, avait
été seigneur de Ploaré, et, après l'abolition de la féodalité, y
était propriétaire.
Comment la maison de Coigny était-elle possessionnée en
Basse-Bretagne? Nous le verrons plus loin
Le 1;:> nivôse an V (4 janvier ' 1797) La Tour d'Auvergne

écrit à son neveu une longue lettre d'où j'extrais ce qui suit :
«. . Je n'ai pour le' moment rien à ajouter à ce que je
mandais à mon beau-frère (Limon) dans ma dernière au
sujet de votre affaire. M. de Coigny, à son retour de la
campagne, passa à l'hôtel Bouillon pour me voir. Le len­
demain, je me présentai à son hôtel sans pouvoir le voir;
j'y suis retourné deux fois depuis avec aussi peu de succès,
ce que j'attribue aux embarras inséparables des premiers
moments de son établissement dans la maison de la femme
qu'il vient d'épouser, Mme de Marsange, veuve d'un admi­
nistrateur général des postes ...
(1) Nous verron& tout à l'heure M. de Coigny venir l'y chercher.
l2) Voir ci-dessous p. 181 note L
(3) Berrien, aujourd'hui commune du canton du Huelgoat, arr. de
Châteaulin. V. La famille Limon . . . p. 233.

« Je crains de lui, comme de son homme d'affaires, qu'il
ne cherche qu'à gagner du temps. Ce dernier n'ignore pas
que j'avais été placé dans le régiment d'Angoumois par
M. de Coigny, parce que mon grand-père maternel, Salaün
du Rest, qui avait des rapports avec sa maison, avait signé son
compte de tutelle ou curatelle, et, étant officier au régiment
de Dauphin-Dragons, avait été chargé de l'arracher des
mains d'un seigneur qui l'avait enlevé à ses parents quand
il avait treize ans.
« Toutes ces circonstances, qui me sont rappelées de
temps en temps dans nos conversations, ont un but
qui ne m'échappe pas ; mais en remplissant toutes les
façons d'égards que je dois à M. de Coigny, soyez bien sûr,
mon cher neveu, que les égards ne feront aucun tort aux
intérêts dont vous m'avez chargé auprès de lui (1) ».
Lettre singulière si elle était adressée à un étranger; mais
plus singulière encore quarrd elle doit être lue par une
arrière-petite -fille de Salaün du Rest 1
En effet, il faut bien le reconnaître, si les cinq affirmations
que je vais relever sont « rappelées» par le comte de Coigny
et son homme d'affaires, elles sont très nettement posées par
La Tour d'Auvergne lui -même.

Or, voici ces cinq affirmations:
t 0 J'ai été placé dans le régiment d'Angoumois par M; de
Coigny;

(t) La lettre finit ainsi :« Le Conseil des Anciens vient de donner sa
sanction à ce qui avait déjà été décidé par celui des Cinq-Cents sur la
grande affaire des échanges. M. de Bouillon es t rétabli dans la jouis­
sance de tous ses biens. La fameuse forêt d'Evreux, dont la coupe an­
nuelle est du produit de 150.000 francs, vient aussi de lui être restituée
ainsi que les anciens duchés de Chàteau-Thierry, d'Albret, et les anciens
comtés d'Evreux et d'Auvergne ». Les sollicitations et dbmarches de
La Tour d'Auvergne n'avaient pas été étrangères à cette heureuse
terminaison d'un procès durant depuis un siècle et demi entre la maison
de Bouillon et l'Etat. Ce succès ne fut qu'éphémèl'e. La Tour d'Au vergne
vit le séquestre remis sul' les biens du duc, le U· ventôse au VII (4 mars

2° Mon grand-père Salaun du Rest avait des rapports

avec sa maIson;
3° Il avait signé son compte de tutelle;
4° Il était. officier au régiment de Dauphin-Dragons;
5° Il avait été chargé de l'arracher des mains d'un seigneur
qui l'avait enlevé à ses parents.
La première et la quatrième affirmations sont absolument

contredites par tout ce que nous savons d'ailleUrs.

Sur la première, le biographe auquel nous devons cette
intéressante communication répond: « La Tour d'Auvergne
s'égare. Son entrée au régiment d'Angoumois fut obtenue par
M. de Frémeur (1). ) Il Y a plus: en attribuant cette faveur
à M. de Coigny, La Tour d'Au\'ergne se contredit. Dans plu­
sieurs lettres de lui, il n'est question que du comte de Fré··
meur, colonel d'Angoumois. C'est lui qui fit entrer Corret
aux mousquetaires du roi, comme surnuméraire, le 3 avril
1767 (2

Et on voit, ailleurs que, dès le '18 juin, puis le Hi
août de la même année, le colonel d'Angoumois avait sollicité
pour Corret une sous-lieutenance dans son régiment. Au mois
de juin, il lui faisait accorder un semestre; et, le 1

septembre, il lui obtenait la sous-lieutenance (3). .
Au régiment, le colonel traite le sous-lieutenant en protégé,
on peut dire en fils; et avec quelle reconnaissance Corret célè­
bre « les bonnes grâces et les bontés)} de M. de Frémeur ! (4) .

(i) Commandant Simond p. 24. Jean-Toussaint de la Pierre, depuis
marechal de camp (1780), dit comte ou même marquis de Frémeur, était
breton d'origine. Cette famille, très distinguée, possessionnée dans les
départements actuels du Morbihan et du Finistère, ne figure pas aux
réforma tions.
(2) Voir, notamment lettres de La Tour d'Auvergne des iO mai et 24
juin 1768, publiées par M. du Pontavice dans La Tour d'Auvergne d'après
sa correspondcUlce inédite. Phare de la Loire (Nantes) 1891.
(3) Commandant Simond (p. 3!-32 et note p. 32).
(4) Lettre du 24 juin 1768. « M. de Frémeur veut bien me continuer dans
mon chétif et humble grade de sous-sous ou àutrement dit de galopin ..
Il m'a fait donner une chambre à côté de la sienne et m'accorde

toujours ses bonnes grâces et ses bontés. Je ne sais par quel endroit j'ai
pu me les concilier. Il Correspondance.

Sans avoir passé par l'école militaire, sans bourse délier,
après un service effectif de deux mois aux mousquetaires,
et comme surnuméraire, Corret était sous-lieutenant, grâce à
M. de Frémeur, au dire de Corret; et, trente ans plus tard,
d'après La Tour d'Auvergne, c'est M. de Coigny qui l'a fait
entrer à Angoumois, acquittant ainsi au petit-fils une dette
de reconnaissance contractée envers son aiëul Salaün du Rest.
Plus n'est question du comte de Frémeur !
M. le commandant Simond ajoute: « Il est peu aisé de
savoir de quel membre de la famille de Coigny il est ici
question. Il ne s'agit certainement pas de l'ancien colonel­
général des Dragons,qui devint lieutenant-général en 1780,

puis maréchal de France en 1816, après avoir émigré. » (1)-
C'est ce que nous verrons.
En ce qui conoerne la quatrième affirmation, que Salaün
du Rest fut officier, nous avons démontré par des actes
authentiques qu'il fut avocat et officier de justice (2).
Les troisième et cinquième affirmations relatives au compte
de tutelle et à la cessation de la séquestration de M. de Coigny
sont, comme nous verrons, des erreurs certaines. Reste la
seconde, les relations avec les Coigny.
Le biographe ne pouvait savoir les relations possibles

de Salaün du Rest avec les Franquetot de Coigny. Voici
comment ces relations peuvent s'expliquer. Ici entrons dans
quelques détails.

La maison de Nevet, riche et une des plus anciennes, sinon
la plus ancienne de Bretagne, avait son chef-lieu au château

de Nevet ou Lézargant, paroisse de Plounévez-Porzay, au
centre de ses possessions (3). .

(i) Commandant Simond p. 24-25.
(2) La famille de La Toul' d'Auvergne. Bulletin de 1,905, p. ~84 et suivantes.
(3) Plounévez-Porzay, commune du canton de Châteaulin, au fond de
. la baie de Douarnenez .

Nous avons montré ailleurs ('1 ) Henri-Anne mar(Iuisde

Nevet, commandant la noblesse de Cornouaille dans une
revue présidée à Quimper par le maréchal de Vauban, en 1694.
Il était mort sans alliance le 12 décembre 1699, et le frère de
son père, Malo, hérita le titre de marquis de Nevet que son
neveu avait pris le premier (2). '
Les Nevet, quelque anciens et nobles qu'ils fussent, ne
prenaient pas de titre. Avant 1MB, ils etaient barons de
Nevet, en tant que relevant directement du duc, comme une
centaine d'autres en Bretagne; mais les seigneurs siégeant
aux Etats au rang des barons ne prenaient pas ce titre dans
leurs actes. En ' 14tH, Pierre II dressa une liste de neuf barons
qu'il entendait faire chefs de sa noblesse; aussitôt tous les
barons prirent le titre: ainsi firent les Nevet (3). Deux siècles
plus tard, le titre de baron a passé de mode et le titre d. e
marquis a pris sa place. Toutefois, il ne · paraît pas que René
de Nevet, père de Henri-Anne se soit dit marquis quand, il
épousa Anne de Gouyon, petite-fille du maréchal de Mati­
gnon (4). Son fils le premier se para de ce titre, peut-être à
sa majorité vers 1692.
En 1676, à la mort de René, ce ne fut pas le frère de celui-ci,
Malo, qui devint tuteur de son neveu. La tutelle fut confiée au
(1) La famille de La Tour d'Auvergne. Bulletin de i905, p. 220, note 3.
(2) Je ne puis que renvoyer à une curieuse étude publiée par le regretté
G. de Carné dans la Revue historique de l'Ouest (année 1.888, 1

livraison,
p. 5 à. 28), sous le titre l'Elégie de M. de Nevet.
Je ferai plus d'un emprunt à. cette notice.
(3) C'était leur droit; mais se dire, comme firent plusieurs,des neuf barons,
était une usurpation. .
(lI) Jean de Nevet, aïeul de ,Henri-Anne se dit simplement haron; mort
en 1.6/.6.
René, père de Henri, mort en i676, est dit quelquefois marquis. Il
épousa (1670) Anne Gouyon de Matignon, fille de François, lieutenant
général, petit-fils du maréchal, et fils d'Eléonore d'Orléans de Longueville.
Anne devenait par là. alliée du roi Louis XIV au W· degré.
J'ai sous les yeux un aveu du 24- décembre 1.682 dans lequel le tuteur
de Henri ne donne pas à. son pupille le titre de marquis; et l'inscription
tumulaire de Hend de Nevet le dit ,« premier marquis de Nevet ». Il est
probable qu'il a pris ce titre après sa majorité, en 1692 au plus tôt. En t694-,
au rôle de l'arrière-ban, il est dit marquis.

mari d~une des quatre sœurs de Malo,Louis du-Breil,« seignem'­
châtelain de Pontbriand )) (1). Malo agréa cette nomination,
entretint avec son beau-frère les meilleures relations; et,quand
un fils de celui-ci eut un fils, il fut le parrain de cet enfant, lui
dOl· ma son nom, etil allait lui témoigner une réelle prédilection.
Malo, depuis longtemps retiré du monde, vivait au sommet
de la montagne de Locronan (2), livré au travail des mains
et surtout au soin des pauvres qu'il hébergeait dans cette

maison nommée encore l'hopital. Cédant aux instances de ses
sœurs, il quitta son ermitage; et, se résignant au mariage
pour perpétuer ~e vieux nom de Nevet, il épousa Marie-Coren­
tine de Gouzillon, de vieille noblesse bretonne.
Après plusieurs années, le 30 juin '17'17, Malo devint père
d'une fille qui fut nommée Marie-Thérèse-Joséphine-Corentine.
Il mourut le '1

avril '172' 1, laissant sa fille dans sa quatrième
année et sous la tutelle de sa mère.
Mlle de Nevet était une riche héritière. Sa seigneurie de
Nevet avec haute justice comprenait sept"paroisses contigües,
notamment celle de Ploaré nommée plus haut, et, dans treize
autres paroisses voisines, elle avait manoirs, terres ou au

moins cheffrentes (3).
Elle possédait en outre, au diocèse de Saint-Malo, en la
paroissse de Bourseul, la seigneurie haute justice de Beaubois .
avec château, grands jardins, étang et belles dépendances (-i).

(i) Pontbriant, commune de Saint-Briac, canton de Dinard.
(2) Locronan, commune du canton de Châteaulin, limitrophe de Ploné­
vez-Porzay où était le château de Nevet ou Lézargant.
(3) Dans un aveu à l'évêque du 6 juin i644 (arch. du Finistère), Jea.n de
Nevet dit que sa « baronnie s'étend sur seize paroisses circonvoisines ».
Mais l'aveu au Roi du 24 décembre 1.682, réduit cette déclaration; d'après
ce second aveu la seigneurie comprenait sept paroisses: Plounévez,
Locronan, Plogonnec, Pouldergat (avec Pouldavid), Ploaré (avec Douarne­
nez) et Poullan; en tout six. L'avouant compte apparemment en plus ou
Pouldavid ou Douarnenez. Dans treize autres paroisses, la seigneurie de
Nevet avait des biens isolés plus ou moins importants dont deux manoirs.
V. Hisioil'e de la maison de Nevet, par Jean, baron de Nevet (1.664) par J.
Trévédy.
(4) Le seigneur de Beaubois (haute justice) était seigneur de la. paroisse

~86 _0

C'est à Beaubois que Henri-Anne de Nevet et sa mère
Anne de Gouyon Matignon avaient passé les dernières années
de leurs courtes vies. La mère mourut la première, au mois
o d'août 1699 ; son fils lui ferma les yeux d'une main défail­
lante et s'éteignit, le 12 décembre suivant, à vingt neuf-ans.
Après la mort de Malo de Nevet, sa veuve quitta le château
de Lézarga.nt, où elle ne comptait plus faire que de rares et
courts séjours; et elle transporta sa résidence principale à
Beaubois. Sa détermination s'explique. Sa fille n'avait plus
de proches parents en Basse-Bretagne; et la résidence à
Beaubois la rapprochait de ses parents du Breil de Pont-

briant et de ses alliés Gouyon de Matignon.
Le voisinage de la maison de Gouyon ne fut peut-être pas
inutile au mariage de Mlle de Nevet, huit ans plus tard.
Nous venons de nommer Anne de Gouyon qui fut mère de .

Henri-Anne de Nevet ; or, Marie de Gouyon, sa cousine, fut
mère de François de Franquetot, marquis, puis duc de Coi­
gny (1746), maréchal de France (1734) (1). Breton par sa mère,

il avait épousé une bretonne,Henriette de Montbourcher,mar-
quise du Bordage et de la Moussaye, la dernière de la bran­
che aînée de cette illustre maison (contrat du 14 décembre
t699) (2\.
de Bourseul (évêché de Saint-Malo), aujourd'hui commune, çanton de
Planeoet, arr. de Dinan.
Ogée a écrit (V· Boul'seul 1. p. 100) : « En 1.580, Beaubois appartenait à
Amaury, chevalier, seigneur de Beaubois, d'où il passa à la maison de
Coigny. En 1.769, Mm.· de Coigny le vendit à M. de Bruc. »
Les Nevet ne sont pas nommés quand ils ont été pendant un siècle et
demi seigneurs de Beaubois.
Voici d'autres indications:
L'Amaury ou Raoul d'Ogée en 1580 est un 'l'réal de la branche cadette.
Il eut un fils, Christophe, dont la flUe, Françoise, épousa Jacques, baron
de Nevet (f61O). Elle mourut en 1635, laissant Beaubois à son fils Jean +
1646 ; après lui son fils René + 1.676, puis son fils + i699, sans hoirs;
- son oncle Malo + 1.721; sa tille Marie, comtesse de Coigny (1729)
vend Beaubois en i 769 et meurt en i778 .

(1.) On lui trouve bien d'autres titres: gouverneur des principautés de
Sedan, etc., chevalier de la Toison d'or et des ordres du Roi, gouverneur
de Haute et Basse Alsace, etc. .
(2) Mlle de Montbourcher était riche dans le Finistère actuel: la seigneurie

Outre plusieurs filles, de ce mariage naquit un fils: Jean-
Antoine-François, dit le comte de Coigny. Né le 2Q décembre
1702, il avait vingt-sept ans en 1729, temps auquel nous nous
reportons. Il était alors mestre de camps de dragons, grand
bailli et gouverneur de Caen, et très avancé dans la favenr
du roi Louis XV.
La marquise de Coigny était cousine de M. de Montbour-

cher, seigneur de la Magnane, conseiller et bientôt (1738),

president au Parlement de Bretagne. Selon toute apparence,
celui-ci ne fut pas étranger à l'union de son jeune cousin
avec Mlle de Nevet, puisque ce mariage fut célébré dans ,la
chapelle du château de la Magnane (Q novembre 1729) (1).
Le comte de Coigny allait devenir lieutenant-général en
1733, quand il avait à peine trente ans. Mais sa mort en
duel, le 4 mars 1748, interrompit sa brillante carrière. '
Il mourait avantson père; et sa veu ve allait rester comtesse,
quand son fils aîné deviendra plus tard duc de Coigny.
La comtesse de Coigny mit au monde trois fils:
1 0 Marie-François~Henri, né le 28 mars 1737 (2\. En ' 1780, il

était lieutenant-général, en 1787, pair de France. A la mort
de son aîeul le maréchal, il avait hérité le titl'e de duc -
(18 décembre 1759). Il émigra en 1791, rentra en France ' en
1814, fut maréchal de France en '1816, et gouver.neur des
Invalides où il mourut en 1821.
2° Augustin-Gabriel, né en 1740, maréchal de camp en
1780, dit le comte de Coigny. .
de Henvez et Guérinen (haute justice) enFouesnant, Gouesnach, Ciohars,
et Perguet (canton de Fouesnant, arrondissement de Quimper; Arch.
du Finistère . 1. 1027, p. 305). Rachat échu au Roi par le décès de la
maréchale, t750. Plus des biens importants aux environs de Carhaix et
dans le Léon.
(i) Commune d'Andouillé-Neuville, aujourd'hui canton de Saint-Aubin
d'Aubigné, arr. de Rennes. ' '
(2) Il hérita de sa grand'mère la maréchale en 1.750; (voir ci-dessus p. 9,
note 2) notamment du Bordage qu'il allait vendre (23 avril 1788) pour
450.000 francs à René-Joseph de Montbourcher, seigneur de la Magnane.
Celui-ci émigl'a et le Bordage fut vendu par la Nation.

Jean-Philippe, né en 1743, maréchal de camp en 1784,
dit le chevalier de Coigny.
Selon toute apparence, c'est l'aîné des trois frères, Marie­
François, que La Tour d'Auvergne .signale comme son pro­
tecteur en 1767. En ce moment le jeune duc de Coigny était
colonel-général des dragons (1) ; son grade et son titre lui
donnaient une influence qui pouvait être utile à Correl.
Et il devait la mettre à son service s'il était vrai, comme le

dit La Tour d'Auvergne, que Salaün du Rest l'eût rendu à la
liberté.

Or, d'après La Tour d'Auvergne, c'est son protecteur
de 1767, -que l'aïeul de Corret, « officier de Dauphin-Dragons
aUTait été chargé d'arracher aux mains d'un seigneur quand
il avait treize ans. ))
Marie-François étant né en 1737, cette indication, « quand il
avait treize ans,» reporte cette prétendue séquestration à 17t50.
A ce moment, son grand'père, le duc maréchal de France,

vivait encore. Sa mère, la comtesse de Coigny fort bien en
cour allait devenir, si elle n'était déjà, « dame pour accom­
pagner Mesdames de France (2) n. Ils auraient pu facilement
--raire monter leurs doléances jusqu'au Roi inconsolé de la mort
de son favori le comte de Coigny. Qui croira jamais que, pour

recouvrer -leur petit-fils et fils, le maréchal de France et sa
belle-fille aient eu besoin de recourir aux bons offices d'un
bourgeois officier de Dauphin-Dragons?

Cette première objection est sérieuse; mais en voici d'autres.
J'ai dit ailleurs (3\, et je rappellerai en quelques mots que

Charles Salaün du Rest né en 1670, alla faire son droit à ­ Paris, et que « après serment prêté devant le Parlement, il
revint en Bretagne avec le titre « d'avocat en parlement de
(1) D'après un renseignement, il avait eu ce titl'e en survivance de son
aïeul le maréchal; je vois ailleurs qu'il ne l'obtint qu'en i 77-1.
(2) Mw. de Coigny est morte à Paris, le t8 août i 778.
(:l) La famille Corre!. Bulletin de {905, p. 284 et suivantes.

Paris ». Il se fixe en sa maison du Rest, paroisse de Collorec,
a u canton actuel de Châteauneuf-du-Faou; dans son acte
de mariage à Rennes, en 1711, il est qualifié sénéchal en
plusieurs juridictions seigneuriales de son voisinage; et, avec
le titre honorifique de conseiller du Roi, il est pourvu d'un
office en plusieurs justices royales des environs.
En 1714, 1716 et ' 1720, il fait baptiser trois enfants à
Collorec; vers 1729, il Y perd sa femme; il résigne ses
fonctions; et, dans l'acte de mariage de sa fille à Collorec
(' J734), il n'a plus que les titres « d'ancien juge, et avocat
en parlement ». Sa fille devenue veuve vient rejoindre son père

malade au Rest (1737); et, l'année suivante ( 5 décembre 1738)
elle lui ferme les yeux. '
Tous ces faits sont attestés par des actes authentiques.
Qu'en résulte-t-il ? La , preuve absolue que Charles Salaün,

officier de justice et passant sa vie à Collorec, n'a jamais été
officier dans l'armée.
Mais ce n'est pas tout. Eût-il porté l'épée, il n'eût pas été
oflicier vers la date assignée à l'enlèvement de M. de Coigny
(1750) ; né en 1670, il aurait eu qU3tre-vingts ans en 1750.
Enfin, à cette date, il ne pouvait rien pour M. de Coigny:
il était mort! Son décès est authentiquement constaté au
5 décembre 1738. A cette date, Marie-François de Coigny
était un ènfant de vingt mois.
Mais, dira-t-on, Charles Salaün n'~ura t-i1 pas eu un frère

officier à Dauphin-Dragons ? Le double rôle assigné à
Charles seul ne serait-il pas à partager entre les deux '!

L'avocat aurait signé le compte de tutelle; l'officier plus
jeune aurait délivré le jeune de Coigny.

Oui: Charles Sdlaün eut un frère nommé Louis. Il était
l'aîné, il se fit dominicain; je le retrouve en quelques actes;
mais, selon toute apparence, il n'a pas survécu longtemps

au mariage de son frère en 1711. '
Ainsi l'erreur est certaine.

. 490 .

D'autl~e part, ' Salaün n'a pu signer au compte de tutelle
de Marie-François de Coigny. Celui-ci ne pouvait être
émancipé avant l'âge de 16 ans qu'il atteindra le 28 mars
17n3 (1). Nous avons vu Salaüri mourir plus de quatorze ans
auparavant!
Quelle est donc cette histoire d'un compte de tutelle signé
par Salaün et surtout de l'enlèvement du futur duc de

Coigny dont Salaün aurait été le libérateur?

Nous avons parlé plus haut du . mariage de MUe de Nevet
en 1729. Il nous faut revenir à l'époque antérieure à ce

manage.
Nous avons montré son père, mourant en 1721, laissant sa
fille âgée de quatre ans SOGS la tutelle de sa mère.
Malo s'était marié un peu malgré lui, dans l'-espoir d'avoir
un fils auquel il laisserait le nom, les armes, la fortune de sa
maison. La naissance d'une fille héritière unique mettait
ses plans à néant.
Mais il crut avoir trouvé le moyen de tout arranger pour
le mieux, en favorisant son filleul Malo de Pontbriand. Par un
acle de donation entre-vifs il lui attribua le nom et les armes
de Nevet; et, ne pouvant lui transmettre ses seigneuries, il
ordonna de lui marier sa fille .

Mme de Nevet n'avait aucune objection à faire à l'entrée de

sa fille dans l'ancienne et très noble maison du Breil de
Pontbriand. Mais une autre disposition du testament lui
causa un amer déplaisir.
Malo . avait ordonné que sa fille, aussitôt après sa mort,

serait conduite au couvent du Calvaira à Quimper pour y

(1) Peut-être même, nous n'en savons rien, l'émancipation attendit-elle
le premier mariage de Marie de Coigny,le 21. avril i 755, avec Marie-Jeanne de
Bonnevic, veuve de Louis-Auguste vicomte de Chabot, mort le 27 sep­
tembre 1757 '?

être élevée, et qu'elle n'en sortirait qu'à l'âge de douze ans
pour épouser Malo de Pontbriand.
Mme de Nevet se voyait ainsi enlever sa tille unique! En­
couragée même par la famille de son mari, elle attaqua le
testament. En multipliant les procédures devant toutes les
juridictions, elle se promettait que, selon la mode de l'époque,
le procès dureràit des années pendant lesquelles elle garderait
sa fille auprès d'elle jusqu'à son mariage. .
Mme de Nevet ne se t.rompait pas. S,ix ans plus tard, en
1727, elle attendait encore' , sans aucune impatience, 'à Beau­
bois, une première sentence.
A cette époque, Malo de Pontbriant avait vingt-deux ans,
Marie de Nevet en avait dix et ne serait nubile que dans deux
années. Le jeune de Pontbriant craignit-il que Mme de Nevet
n'eût quelque autre projet de mariage'? On le croirait quand
on Je voit, avec l'assistance de personnes qui auraient dû être
plus sages que lui, se porter à un acte aussi audacieux que
maladroit.
Un jour de la fin de l'été 1727, Mme de Névet reçut à' Beau­
bois la visite de quatre dames. On sortit pour une promenade

dans le parc. Deux des dames accompagnèrent la marquise;
les deux autres en amusant sa fille l'écartèrent de sa mère.
Au détour d'une allée, à peu de distance d'une porte du parc,
des hommes apostés s'emparèrent de Mlle de Névet et l'em- 1
portèrent dans une voiture stationnant à la barrière et qui

partit au galop des chevaux (1).
« ... Cette aventure fit bruit...; mais tout le monde s'accorda

pour y voir un coup de tête, une entreprise follement organi-
sée par des jeunes gens et qui ne pouvait que ruiner les espé-
rances de Malo de Pontbriant. C'est ce qui arriva. ))
Le maréchal d'Estrées commandant militaire en Bretagne
parlant au nom du Roi en l'absence du gouverlll· mr de Bre-

(i) La notice que je suis, dit douze hommes apostés. On comptait donc
au besoin employer la force, si la ruse n'avait pas réussi.

492

tagne intervint (1); et Mlle de Nevet fut rendue à sa 'mère.
Un mot du commandant militaire avait suffi. (2)
Recouvrant sa fille, Mme de Nevet s'occupa de lui chercher
un mari autre que Malo de Pontbriant ; et, deux ans plus
tard, Marie de Nevet devenait comtesse 'de Coigny.
C'est cet enlèvement de Mlle de N evet à dix ans, en 1727,
qui a donné lieu à cette fable de l'enlèvement de son fils
Marie- François âgé de treize ans en 17;)0, vingt-trois ans
plus tard. En 1727, c'e5t le commandant militaire qui rend
l'enfant à sa mère; en 17;)0, c'est Salaün, un , officier de
Dauphin-Dragons, qui, on ,le dirait, à la pointe de l'épée
« arrache Marie-François de Coigny aux mains d'un sei-

gneur». Comment expliquer l'intervention de cet homme
d'épée? Peut-être Mme de Nevet aura-t"elle chargé un
parent, officier à Dauphin-Dragons, de porter sa plainte
au -commandant militaire?
D'autre part comment Salaün a-t-il pu être mêlé à cette

affaire? Dévoué à la maison de Nevet, lui-même père d'une
fille unique de treize ans, il a dû doublement ressentir les
inquiétudes de Mme de Nevet. Homme de loi, aura-t-il

conseillé le recours au commandant militaire? Mme de
Nevet l'a-t'elle mis en rapport avec un officier de Dauphin­
Dragons? Cette hypothèse, que rien ne justifie, expliquerait,
par une confusion de Salaün et de l'officier, l'attribution à
Salaün de la qualité d'officier. .

Quoi qu'il en soit, dans cette affaire, on ne peut attribuer
(1.) Le maréchal d'Estrées fut â. deux reprises commandant militaire,
1° du::l juillet t720 au H septembre 1.724,2-> du 12 août 1726 au;) mai 1738.
- Le commandant militaire avec le titre de « premier et principal commis­
saire du Roi )) suppléait le gouverneur. Le comte de Toulouse, gouverneur
de 1.698 à 1737, ne résida jamais; et son fils le duc de Penthièvre qui lui
succéda (1737), ne résiâa que pendant les tenues d'Etat.
(2) Voici non une preuve mais un indice de l'exécution immédiate de
l'ordre du commandant. Des recherches fàites à l'Intendance de Bretagne
(police, Hc) et même aux registres du Parlement (procès-verbaux, enquê­
tes, audiences de la Tournelle) sont restées sans résultat. Donc ni admi­
nistration, ni magistrature n'ont eu à intervenir. Le commandant sup­
pléant Je gouverneur aura réglé l'affaire officieusement.

- 493 - '

à Salaün que des démarches dévouées et qui ont pu être
utiles. C'était assez pour mériter un souvenir reconnaissant .

Maintenant un . mot de Ja signature apposée par Salaün
aU compte de tutelle, non, comme on disait, du futur duc de
Coigny, mais de sa mère Mlle de Nevet, mariée, comme nous
avons vu, le 5 novembre 1729.
L'émancipation résultant du mariage mettait fin à la
tutelle, et Mme de Nevet rendit son compte.
A. quel titre Salaün, officier à Dauphin-Dragons, l'aurait­
il signé'? Un compted~ tutelle ne se signait pas par hon­
neur comme un contrat ou un acte dë mariage. On ne voit
au pied de ces comptes que les signatures du « rendant et

de l'oyant compte », de celui qui l'a dresse (notaire ou con~
seil), du juge devant lequel il est rendu. Si donc Salaün a
signé ce compte c'est au titre de conseil et rédacteur. .
. Le compte a-t-il été rendu à Lézargant au ressort de
Châteaulin'? Il n'y a nulle apparence. Il ne se trouve pas
aux archives du Finistère. Il a dû être rendu à Beaubois,
au ressort de Dinan. Par malheur les archives de la juridic­
tion de Dinan n'existent plus (1). Mais nous admettons très
volontiers que Salaün, juge en retraite, resté homme. de loi,
a, comme conseil, signé le compte de tutelle de Mlle de Nevet.

Comment expliquer toutes ces erreurs'? M. de Coigny
était mal informé. et il a mal renseigné La Tour d'Auvergne.
, Voici une explication:
Le 7 avril 1765, Corret arrive à Paris pour chercher une
situation. Il ambitionne, lui bourgeois, l'entrée dans l'armée.
Ce n'est pas impossible, puisque la noblesse ne sera exigée

(i) « Les papiers du greffe de Dinan, sauf quelques b.ribes inventoriées,
ne sont pas entrées aux archives des Côtes-du-Nord, et il n'en reste rien
à Dinan ». Renseignement officiel.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXXIV (Mémoires) 13

. 494 =, =

qu'en 178n. Mais c'est difficile. De plus. il voudrait ne pas
acheter une charge de sous-lieutenant: autre difIi~ulté ! Que
de recommandations il lui faudra! Mais il part · chargé de
lettres de la . noblesse de Basse-Bretagne. D'autre part, sa
mère, vassal~ de la baronnie de Nevet, a pu elle-même
recommander son fils à la baronne devenue comtesse de
Coigny et mère du jeune duc de Coigny. Si surtout, comme il
est vraisemblable, Salaün du Rest a été le conseil de Mme de
Nevet, Corret peut compter sur un bienveillant accueil.
Correl va passer à Paris neuf mois de l'année 1760, et
toute l'année 1766, multipliant ses démarches. Ne peut-on '
pas supposer que, dans une de ses visites à l'hôtel de Coigny,
il aura été question du compte de tutelle auquel concourut
Salaün du Rest ? Peut-être Mme de Coigny aura-t-elle
rappelé son enlèvement, et l'intervention de Salaün et de
l'officier de dragons? Le comte de Coigny aura écouté ses
vieux souvenirs d'une oreille distraite. Trente ans ont passé .

Il a, disons-le, tout embrouillé. Il a notamment interverti
les dates de l'enlèvement d'un enfant et du compte de tutelle;
et dans l'enfant enlevé, il aura montré son frère aîné au
lieu de sa mère, confusion qui a produit une erreur de date
de 23 années (1700 au lieu de 1727).
Le duc de Coigny pourrait, s'il était là, détromper son
frère; mais il est encore émigré et ne rentrera en France
- qu'en 1814.
Ainsi les erreurs et les confusions de M. de Coigny
s'expliquent; mais ce qui est inexplicable, c'est l'affirmation
de La Tour d'A uvergne que son aïeul Salaün a été officier
dans l'armée. Il n'a donc lu aucun des actes authentiques
cités plus haut! A la rigueur, c'est possible .
Mais ce qui ne l'est pas, c'est que sa mère, qu'il a eu le
bonheur de conserver quand il avait passé l'âge de trente-six
ans, ne lui ait jamais parlé de son grand'père. Est-il possible
que, comme a fait chacun de nous, Corret n'ait pas interrogé

sa mère sur les grands-parents qui l'auraient aimé et qu'il

n'a pas connus? Mais je me trompe, sa mère n'a pas eu
besoin, d'être questionnée ? La première elle a rappelé la
mémoire de son père, et redit la vie modeste mais digne, ':ltile,
occupée de l'avocat, du juge honoré du titre de conseiller du
Roi. Je croirais même qu'elle lui a rappelé que son père a
préparé Je compte de tutelle de Mme de Coigny. Comment ne '
lui aurait-elle pas dit J'enlèvement de Mlle de Nevetqui émut
toute la Basse-Bretagne et surtout les vassaux des pieux et
charitables Nevet? A-t-elle pu ignorer ce fait, quand elle
avait treize ans? Non; et que de fois ce souvenir a été
rappelé devant elle! Mais elle n'a pu dire que son père,
officier dans l'armée, ait rendu à ses parents. un enfant de
la maison de Coigny. Comment La Tour d'Auvergne peut-il
écrire ces fables à sa nièce de Kersauzic qui sait la vérité sur
tous ces points ?

Comment (et ceci est autrement grave) se démentant soi-
même, ose-t-il transférer du colonel de Frémeur au duc de
Coigny le mé' rite de l'avoir fait entrer dans l'armée? Mais sa
nièce a su sa reconnaissance exclusive au colonel de Frémeur.
Les lettres qu'il a écrites à cet égard à son beau-frère Limon,
en sont la preuve, et Limon a gardé ces lettres.
Voici la réponse à ces questions indiscrètes: '
Relisez la dernière phrase de la lettre citée plus haut. -
La Tour d'Auvergne dit que ces faits lui sont souvent rappelés
par M. de Coigny et son homme d'affaires dans un but qui ne
lui échappe pas et qu'il fait connaître: « pour gagner du temps.»
Disons plus: pour amadouer le mandataire de M. de Ker­
sauzic afin qu'il se montre moins pressant, moins exigeant.
M. de Coigny et ~on intendant ont donc vu que ces souvenirs
de relations entre son aïeul et les Coigny, bien plus de la
reconnaissance de cette illustre maison pour son aïeul mater­
nel'chatouillent l'orgueilleuse faiblesse du cœur de La Tour
d'Auvergne. De là ces oiseuses répétitions .

Tou, ces racontars sont étrangers à l'affaire en discus~n.

S'ils déplaisaient à La Tour d'Auvergne, celui-ci, sans « man-
quer, comme il dit, aux égards dus à M. de Coigny)), pour­
rait y couper court d'un mot. Il lui suffirait de dire: {( Mon-

sieur, vous vous trompez, mon aïeul était avocat ;'c'est à ce
seul titre qu'il a pu signer un compt~ de tutelle; mais com­
ment aurait-il pu {( arracher M. de Coigny aux mains d'un
seigneur déloyal? »
Mais combien il aurait été plus simple de rapprocher les
dates et dp. faire remarquer que son aïeul Salaün était mort
douze ans avant que le duc de Coigny eût atteint sa treizième
année, âge auquel il aurait été enlevé en ~ 7:>0.
Un autre aurait ainsi parlé. Lui, non 1 Il est retenu par
ce désir impérieux, j'ose dire cette manie de grandir les
Corret partout et toujours, pour se guinder à la noblesse.
Paré du nom de La Tour d'AllYergne, il a cru y être arrivé;

mais, de 1782 à 1789, trois intendants de Bretagne luirécla·

ment .sans pitié le droit roturier ' de franc-fief; et il aurait
bien' fallu l'acquitter enfin, si le droit n'avait été aboli le '29
septembre 1789.

L'erreur répétée par La Tour d'Auvergne est certaine. Mais
une autre question se pose: Quel est M. de Coigny, son in­
terlocuteur en ,1797, qui semble rappeler avec plaisir l'utile
intervention de l'officier de dragons Salaün à propos de
l'enlèvement de 1700, et qui, ce détail est à retenir, se
mariait en 1797 ? , '
A cette date, il y avait quatre Coigny: les trois fils de Jean
et de Marie de Nevet, nommés plus haut, le duc, le comte et
le chevalier. et ensuite le fils du duc, François-Marie, né en
1706, maréchal de camp en 1788. En 1797, il avait 41 ans .
Il n'y a pas à parler de son fils Augustin, né en 1787 et alors

enfant .

, , 491 -

Des quatre, quel est l'interlocuteur de La Tour d'Auvergne?
Ce n'est pas le duc, le prétendu protecteur de La Tour
d'Auvergne trente ans plus tôt. Il ne rentrera de l'émigration
qu'en 1814. Marié pour la seconde fois, le 16 septembre 1775,
il a encore sa femme.

Ce n'est pas son fils François- Ma. rie. Il est encore émigré
en 1797; il mourra avant son père en 1816; sa femme, qu'il
a épousée en 1775, lui survivra jusqu'en 1826.
Ce n'est pas le troisième frèrr., le chevalier. Il mourra .
encore émigré, en 1806, et sans alliance.
Ce ne peut être que le second des tr0is frères, le comte,
Augustin-Gabriel. Il fut marié le 1 .8 mars 1767, et perdit sa
femme dès 1775. Il émigra, mais il put rentre.r en France dès
1797 ; et il est le seul des quatre Coigny qui ait pu se rema­
rier en 1797.
Or, La Tour d'Auvergne nous apprend que M. de Coigny ,

épousait une veuve de Marsange. L'acte de mariage facile à
retrouver aurait donné authentiquement les prénoms, la
filiation, l'âge du marié. Ce moyen d'investigation manque
aujourd'hui après l'incendie de l'État-civil en -1871. Cette
preuve décisive fait défaut.
Ajouterai-je en finissant que le comte de Coigny fut père
de Anne-Françoise-Aimée, née le 12 octobre 1769 ? Elle avait
six ans quand elle perdit sa mère en octobre 1775. A quinze
ans, le 5 décembre '1784, elle fut mariée à André-Hercule
Rousset, duc de Fleury,qui était de son âge. Ils voyageaient

en Italie dans l'année '1793. Après plus d'une infidélité, elle
allait devenir mère. Son mari, en prenant son parti, la quitta

et s'enfuit à Coblentz; elle-même passa en Angleterre; puis,
rentrant en France et se sentant suspecte comme femme
d'émigré, elle demanda le divorce qu'elle obtint sans peine;
mais qui ne la sauva pas de l'arrestation.
Le 4 mars 1794, elle fut écrouée à la prison Saint-Lazare

498

en même temps qu'un jeune gentilhom'me de Franche-Comté,
Mouret de Montrond. Dix jours plus tard, 14 mars, André

Chénier entrait à Saint-Lazare. C'est là qu'il vit Mlle de

Coigny, qui lui inspira son élégie La jeune captive.
Mlle de Coigny laissa-t-elle tomber un regard sur le poète?
Ce peut être douteux. Elle était alors toute occupée de

Montrond, Tous trois furent inscrits sur la liste des condamnés

à exécuter le 7 thermidor an II (2;:> juillet). Montrond obtint
à prix d'argent sa radiation eteelle de Mlle de Coigny. Quatre

mois après, elle épousa Montrond, sauf, quelques années
plus tard, à divorcer de nouveau pour reprendre et garder
son nom de Mlle de Coigny. Elle se mit alors à écrire des

romans et des mémoires récemment publiés (1). Elle mourut
à Paris en 1820 .

Une femme de vingt-cinq ans, mariée depuis dix ans,
adultère, divorcée, voilà l'ingénue sur les lèvres de laquelle le
poète a mis des plaintes si touchant9S L, .. 0 poésie !
J. TRÉVÉDY, .
Ancien Président du Tribunal civil de Quimper.

(t) Sur Mn. de Coigny, 'Voir Revue des Deux Mondes. i902, t. VIII·. Une
vie d'amour, Aimée de Coigny et Ses mémoires inédits, par M. Etienne Lamy.
p. ~38·6'13 et 721-761 .

- 342-

DEUXIE E PARTIE

Table des mémoires et documents publiés en 1907

'" , cIO' , , . _

L'impôt du Vingtième à Audierne en 17~H par M. LE
CARGUET .................................... ....

Notes sur les anciens chemins de la paroisse d'Elliant,
par M. le Vie DE VILLIERS DU TERRAGE ............. .
Le Roman de La Tour-d'Auvergne, par ·M. J. TRÉVÉDY ..
Le District de Pont-Croix (1790-179~). Le Port d'Au-
dierne. La Défense des côtes. La Pêche à la
sardine, par M. l'abbé J.-M. PILVEN ..............
Rennes et ses abords à l'époque gallo-romaine, par M.
le Dr C.-A. PICQUENARD ...........................
Un Mariage manqu.é par La Tour-d'Auvergne '? par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . ........ . ..........
Notice sur le château de Kerjean (commune de SI_VOU­
guay), par M. C. CHAUSSEPIED ....................
Relation de la fouille du tumulus du Mouden-Braz, en
Pleudaniel (Côtes-du-Nord), par MM. A. MARTIN, et
l'abbé PRIGENT. (planche) ...... ....... " ........ "
La Tour d'Auvergne-Corret et la maison de Coigny, par
Pages

109
118
124
146
M. J 10 rrRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

Eglises et chapelles du Finistère (suite) ; 7

article, voir
tomes XXX à XXXII) : Doyennés de Plabennec (fin) et
Ploudalmézeau, par M. le chanoine PEyRON .......... .
Le chevalier Calloet de Lanidy (17~3-1782), par M. le

is B' 'A
DE .REMOND .P' RS . . -................. . .......

. -.; .'! ' . . ' . 4:l~h~.:L~:;Grand ~t)es ~·anciennes chroniques (878-888 ... ),

- . . . .. pa~M,; . )e D~C.-A. PICQU- ENARD .................

MémOIre ivédlt concernant La Tour d'Auvergne-Corret,

. ·par .... M. · J: TRÉVÉDY ..... . _ . .. ................

" Eiât di·' mes services", mémoire autobiographique
. ": . { dh navigateur y .-J. de; Kerguelen-Trémarec, publié
. ' - '. par M.H-.BoURDE ·DEl';A', ·RoGERIE. " ........ ' .....

199

213
220

, Note sur le groupe dit du Cavalier et de l'Anguipède, à
propos de l'exemplaire de Kerlot, près de Quimper, par
M. ALFRED ROUSSIN .............................. .
Le dolmen de Magoer-Huen (Ile de Groix), par M. L. LE

PONTOIS,. ................... . .... ,. ........ lOlO lOlO

Autour de Locamand (aneiennes limites de la paroisse,
monuments mégalithiques, fourches patibulaires), par
M. le Dr C.-A. PICQUENARD, .......................

La Roche gravée de Stang-Bilérit, découverte à l'île de
Groix (Morbihan), par MM. le commandant LE PONTOIS
etP. DU CHATELLIER (planche) .. ................... .
Restes de rétablissement gallo-romain de Kerillien, en
Plounéventer, par M. le Chanoine J .-M. ABGRALL .....
Enlèvement d'une jeune fille à la Pointe du Raz par les
Hollandais au commencement du XXIIc siècle, par

Pages
293
300
304
313
315

H. LE CARGUET.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321,

SOCIETE ARCHEOLOG

DU FI N .STt:RE

Hôte' de Ville

29107 QUfM