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Société Archéologique du Finistère - SAF 1907 tome 34 - Pages 124 à 145
SUR LE
CHATEAU DE KERJEAN
FINISTÈRE)
Si nous parcourons le Nord du Finistère, de Brest à
Saint-Pol-de-Léon en passant par Lesneven, on rencontre
un certain nombre de vieux châteaux et d'anciens manoirs
dont le plus remarquable, tant par son importance que par
la richesse et la belle ordonnance de son architecture, est
sans contredit le château de Kerjean. .
Situé dans la commune de Saint-Vougay, à 13 kilomètres
au Nord-Ouest de Landivisiau, et à près de 8 kilomètres
de la mer vers Plouescat, il s'élève au milieu d'un pays
peu accidenté, et c'est de fort loin qu'on l'aperçoit, décou
pant la silhouette de ses hautes toitures sur le rideau
d'arbres de ses longues avenues. Du haut de son pavillon
central on jouit d'un coup d'œil magnifique sur la côte
et les bourgades environnantes, et, par un temps clair
on distingue fort bien l'élégante flèche du Kreizker et
celles de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon.
Aussi loin que l'on puisse remonter dans la généalogie
des familles ayant habité Kerjean, nous voyons citer dans
la réformation des fermages de Saint-Vougay, en 1444: mes
. sire Olivier Henri, seigneur -de Kerjean et dame Marguerite
de Landivinec sa compagne, dont la vertu et la beauté
sont restées légendaires, et qui enseigna, si l'on en croit
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la légende, l'art de carder et de tisser l'étoupe,
ce qUI
donna lieu au dicton breton:
Arc'hent euz an encardiref
A zobet e Kerjean Ravet.
« Le premier des cardeurs est né à Kerjean ».
Pendant plus d'un siècle on perd la trace de cette famille.
En 1530, Jean Barbier, de la maison ùe Lanarnuz, et fonda
teur de la branche des Barbier Olivier, époux en premières
noces de Jeanne de Parcevaux dont il n'eut que des filles,
et en sec.ondes noces de Jeanne de Kersauson qui lui
donna un fils, Louis qui par la suite devint fort riche et '
construisit le château. Les registres de la paroisse portent
qu'il y fit sa première communion en 1534. Deux ans plus
tard (1536) son père Jean, exposait au roi François 1
« qu'entre ses biens, il était seigneur de la maison, manoir,
terre et seigneurie de Kerjean et Kerallau en laquelle
, voulait avoir justice patibulaire à trois poteaux ; mais
que" par vieillesse et antiquité, elle était démolie, qu'it la
voulait rétablie, avec le gré du Roi». Ce que ce princ'e lui
permit par lettre datée de Lyon du 25 juillet de cette même
année. Il fit donc dresser par un maître d'œuvre dont le nom
ne nous est pas parvenu, des plans et devis, mais sa mort
survenue en 1538 l'empêcha de mettre son projet à exécution.
Il fut inhumé dans l'église de Saint-Vougay; on voit encore
sa statue tombale à la porte de cette église. Il est revêtu '
de son armure de chevalier, les mains jointes et l'épée au
Ce fut son fils Louis qui re.prit ses projets et ajdé par les
libéralités de son oncle fit construire le magnifique château
que nous admirons aujourd'hui. Les travaux commencè-
rent vers 1453 tt se poursuivirent pendant plus de dix ans.
Dom Hamon Barbier, conseiller au parlement de Hennes,
chanoine de Nantes, de Cornouaille et de Léon, archidiàcre
de Quiménélety, recteur de Lannilis, Plougoulm et Plougar,.
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abhé de Saint-Mathieu était possesseur d'un si grand nom
bre de bénéfices, que lors du décès de ce haut dignitaire,
le pape Paul III demanda si tous les abbés de Bretagne
étaient morts le même jour. C'est avec ses immenses .
richesses, et les revenus de l'abbaye de Rellec, qu'il avait
fondée sur les terres de Lanven, qu'il fit construire par son
neveu cette somptueuse demeure, dans un but charitable,
dit-on, pour donner de l'ouvrage aux ouvriers du pays.
C'est ainsi, dit un ancien aveu de Maillé, dont les sires
de Kerjean étaient vassaux {( que ' les seigneurs Barbier
semblables à ces géants qui bâtirent la tour de Babel,
firent élever ce grand château ».
Comme nous . le disions ' plus haut nous ne connaissons
pas l'architecte qui éleva cet édifice, mais nous avons
retrouvé dans d'autres constructions non loin de Kerjean,
. la main du même artiste, notamment au château de Roc-
quelaur ou Kergroade:l près de_ Brest. Selon certains au- .
teurs la construction de ce monument daterait de la fin du
XVIe siècle, d'autres la placent au commencement du
XVIIe. Paul de Courcy met l'année 1560, Léon Palustre
1590, et le chevalier de Fréminville qui me semble le moins
véridique, la recule jusqu'en 1618, à l'époque où ce domaine .
fut érigé en marquisat au bénéfice de René Barbier; les
armoiries des ancêtres de celui-ci, encastrées dans les
constructio'ns, détruisent cette hypothèse. Nous pensons
que cette construCition fut élevée sous les règnes de Henri II
et Henri III et sur le modèle du château d'Anet où nous
avons trouvé plusieurs points de ressemblance dont nous
parl.erons plus loin. '
Nous aV~)lls dit que la seigneurie de Kerjean relevait du
fieL de Maillé pour certaines redevances. Ainsi chaque
année
les seigneurs de Kerjean portaient à Lanhouarneau
un œuf dans une charrette, le faisaient cuire et l'offraient .
en hommage, chapeau bas, au sire de Maillé assis dçlllS un
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fauteuil de pierre à la porte de son manoir, après quoi, il
cédait sa place à son tour au sire de Kerjean et lui rendait
les mêmes devoirs. Cette cerémonie était une allusion aux
obligations réciproques du vassal et du suzerain:
Louis Barbier mourut en 1596, après avoir vu son œuvre
entièrement terminée. Il avait épousé en premier mariag, e
Françoise Morizur dont il eut un fils François, et en secon~
mariage Jeanne de Gouzillon, dame 'de Kerno, qui lui
donna également un fils Jacques, qui par son alliance avec
Claudine de Lescouet, fonda la branche cadette des Barbier
de Lescouet qui eurent plus tard plusieurs brillants capi
taines dans les armées de France .
Les seigneurs de Kerjean entretinrent des relations ami-
cales avec le . roi Henri lII, qui à plusieurs. reprises écrivit
au châtelain breton, l'engageant à lui demeurer fidèle ' pen
dant" Ies troubles de la Ligue ; et lui demandant des lévriers
pOUl' ses chasses. A la mort de ce prince, Louis Barbier
embrassa la cause de Henri IV et eut la consolation de signer
à Lesneven, le 9 août 1594, la belle capitulation accordée aux
habitants de l'évêché de Léon. par Hené de Rieux, marquis
de Sourdéac, commanda_ nt du' roi dans la Basse-Bretagne.
A la mort de Louis ' Barbier le domaine passa entre les
mains de son fils François, qui devint le chef de la branche
aînée, il se maria lui-même deux fois du vivant de son père;
10 avec Guillemette de Penmarc'h, dont il n'eul qu'une fille
Anne, devenue l'épouse de Claude de Kergollay ; 2° avec
Catherine de Goësbriant dont il eut un fils qui porta le
nom de René' et deux filles.
«( Il fut l'un des gentilshommes les plus accomplis de son
temps, savant, sage et généreux». Il éta.Ïten grande faveur
à la cour des rois Henri IV et Louis XIII: le bon roi l'avait
nommé chevalier de l'ordre de Saint-Michel et gentilhomme
ordinaire de fa chambre du roi. Le roi Louis XIII alla plus
loin, et après avoir vanté dans une lettre, les mérites de son
chevalier et reconnu son beau château digne de le recevoir
s'il venait à passer en Bretagne, il érigeait en 1618 le
domaine de Kerjean en marquisat Ci en considération de
l'a ntique noblesse et chevalerie de notre très cher et bien-
aimé chevalier de notre ordre, gentilhomme ordinaire ' de
notre chambre, René Barbier, sieur de Kerjean et du zèle et
affection avec lesquels luy et ses prédécesseurs se sont tou
jours employés au bien de ceste estat par la preuve qu'ils
ont rendue de leurs faits et actes généreux en toutes les
occasions qui s'en sont offertes et mêmement à la considé-
ration, manutention et establissement de notre autorité et
celle de notre très honoré Père que Dieu absolve, en notre
Province ' de Bretaigne, et particulièrement en l'évêché de
Léon, où sa maison de Kerjean est située, n'ayant jamais
épargné ni biens ni sa personne pour notre service et pour
la conservation et défense de notre personne et de ladite
Province )J. .
En mourant, René Barbier laissa un fils du même nom
dont les jour:s coururent les plus grands dangers lors de
. l'incendie de la partie Nord-Est du château. Il épousa
Françoise de Parcevaux de la maison de Mezarnou, en Plou-
néventer, et dame d'honneur de la reine Anne d'Autriche, qui
. le 15 avril 1636 donna le jour à Joseph Barbier, baptisé le
7 mai par messire Richard Miorsec, recteur de Saint-Vou-
. gay et eut pour parrain Sébastien de Plœuc; marquis de
Timeur et pour marraine haute et puissante dame Suzanne
de Guemadeuc, dame de Kerviler, son aïeule maternelle .
'. Reué Barbier, son père mourut en 1665 et Françoise de
Parcevaux, sa mère, treize ans plus tard en 1688 : Joseph
Barbier se maria en 1668 avec une demoiselle de Laubader-
mont qui ne lui donna 'point d'enfants, mais il avait une
sœur Gabrielle-Henriette-Eu(Jhrasie Barbier, née à Kerjean
en 1665 et qui mariée en 1689 à messire Alexandre de Coa
tanscours, d'une maison fort illustre, fit passer la propriété
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du château dans cette l)ouvelle famille à la -mort de son
frère.
Le 17 jwn 1690, Alexandre de Coatanscours se vit renaître
dans un fils auquel on donna les prénoms d'Alexandre-Paul
Vincent. Il fut tenu sur les fonds baptismaux par les pau
vres de Lanven, son père mourut neuf ans plus tard à- l'âge
de 51 ans, son corps fut inhumé dans l'église de Saint-Vou-
gay et son cœur dans celle de Plourin sa première patrie.
Sa veuve, Gabrielle Barbier, ne lui survécut que peu d'an
nées, elle s'éteignit à son tour le 17 novembre 1703, âgée
de 38 ans, au village de Picpus près Paris. Son cœur
apporté à Kerjean le 18 décembre par messire Pierre Allain,
prêtre et précepteur du jeune marquis de Coatanscours repose
dans l'enfeu de Saint-Vougay en la chapelle du Rosaire.
Deux ans après le jeune - marquis entrait au service du
roi et servait avec distinction dans une compagnie de mous
quetaires dont il fut. nommé bientôt colonel en 1714. Cette
même année il épousait en l'église de Versailles, demoiselle
Louise-Marguerite de Chambon, fille du messire Claude de
Chambon, chevalier, marquis d'Arbouville, gouverneur de
la Province d'Orléanais et de dame Jeanne-Simone de
Cimer. Ges deux jeunes époux avaient chacun vingt -quatre
_ ans_ Ils eurent trois filles, dont l'aînée Suzanne-Augustine
de Ceatanscours, naquit au château de Kerjean le 25 mai
1724, elle eùt pour parrain son oncle, messire A ugustin de
Chambon d'Arbouville et pour marraine, demoiselle Suzanne- .
Anne Mahé, dame de Kermorvan.
Héritière présomptive d'une grande fortune et d'un nom
illustre, elle se maria assez tard, à l'âge de 31 ans, après
avoir refusé plusieurs beaux partis, à un gentilhomme peu
riche, mais aimable et excellent officier, messire Louis
François Gilles de Kersauson de Brézal. Le mariage fut
célébré en grande pompe le 9 septembre 1755 'dans la cha
pelle du château en présence des seigneurs d'alentour.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXXIV (Mémoires) 9.
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De ce mariage naquit à Kerjean, le 12 Mai 1761, un fils
qui reçut les prénoms de Jean-Louis-Gabriel, et mourut
au berceau peu de temps avant son grand'pèl'e Alexandre_
Paul, Vincent de Coatanscours, décédé à Kerjean le 23 août
1762, à l'âge de soixante-douze ans. Dame .Louise-Marguerite
de Chambon, veuve de ce dernier, mourut également au
. château le 6 décembre 1763. Le 16 septembre qui précéda
cette mort, sa fille Suzanne accouchait d'une fille qu'on
nomma Marie-Anne-J acquette de Kersauson de Coatanscours.
Quelques années après: en 1767, elle perdait son mari et sa '
petitf>-fille le 9 février de l'année suivante, âgée seulement
de quatre ans. ' ,
Madame de Coatanscours, devenue veuve et sans enfants,
fut la dernière châtelaine de Kerjean avant la Révolution.
Elle se renferma dans sa demeure qu'elle tint continuel
lement sur le pied de guerre, faisant ga'rnir les remparts et
les tours de couleuvrines et d'engins de défenses; les ponts-
, levis étaient relevés tous les soirs au son de la cloche et les
clefs du château déposées à la fin ' du jour au chevet de son
lit. Elle ' fut l'orgueilleuse princésse des dernières années
de la Monarchie, mais elle sut aussi se faire aimer des pauvres
dont elle ne cessa de secourir les misères et qui gardèrent,
comme ses serviteurs, le pieux souvenir de ses bienfaits, La
tourmente révolutionnaire ne pouvait l'épargner, elle fut
arrêtée en son château, conduite à la prison de Brest, ~lle
se défendit hautement devant le Tribunal qui la condamna
à mort, et monta sur l'échafaud le 9 messidor an II,
(27 juin 1794) à l'âge de soixante-dix ans, juste un mois
avant la chute de Robespierre qui l'eut peut-être sauvée. Avec
elle s'éteignit le nom illustre des Coatanscours qui avait
jeté tant d'éclat sur la demeure des Barbier.
Le château de ' Kerjean ne fut point vendu comme bien'
national. Au retour de l'émigration, son neveu le marquis
de Bulhac en prit possession comme étant l'unique héritier
de la vieille châtelaine ; il eut pour fille la comtesse de
Forsanz qui par son mariage avec le comte de Coatgoureden
fit passer dans cette nouvelle maison le beau château qu'elle
possède encore aujourd'hui dans la personne de son petit
fils le comte Charles de Coatgoureden.
Nous avons emprunté ces documents historiques et chrono
logiques aux citations d'Alb.ert LeGrand sur la vie des
saints de Bretagne, à M. le chevalier de Fréminville dans
son extrait des antiquités de Bretagne, au dictionnaire
historique et géographique d'Ogée, aux notes de Paul de
Courcy dans la Bretagne contemporaine et Léon Palustre
sur la renaissance en France; erifin à la curieuse brochure
que Miorsec de Kerdanet fit sur ce château et aux renseigne
ments qu'à bi~n voulu nous fournir le propriétaire actuel de
Kerjean.
Si tous les auteurs que je viens de citer s'occupèrent de
cette belle demeure, aucun d'eux n'en fit une description
détaillée, nous allons donc tâcher, d'y suppléer en nous
appuyant sur l'étude approfondie que nous avons faite sur _
place de toutes les parties du château .
Par l'ensemble des dispositions ainsi que par l'ordonnance
de son architecture et l'arrangement de son orn-ementation,
Kerjean appartient bien à la fin de la Renaissance, c'est-à-dire
à la seconde moitié du XVIe siècle. Cependant une grande
unité ne règne pas sur toute cette vaste construction, si le
style Henri III et Charles IX se remarque dès l'entrée, nous
trouvons des parties se rapprochant plutôt du règne de
Henri IV, tandis que le corps de logis, exécuté en dernier
lieu, est devenu presque Louis XIII Mais ces mélanges des
types se rassemblent d'une façon si heureuse et si insensible
qu'ils ne détruisent point l'harmonie dans tout cet édifice .
. . On s'est plu à appeler ce château c( le Versailles breton )J,
outre que ce titre est surfait, parce que Kerjean pâlirait bien
vi t'J devant la splendeur du palais de Louis XIV, et aussi qu'il
lui est de beaucoup antérieur; il serait plus juste de le nommer
l'Anet bretori, car il est contemporain de ce beau château
et l'architecte de Kerjean s'en est beaucoup inspiré.
Comme Anet, Kerjean est le château dit à la F,'ançaise avec
son corps de logis principal placé au fond, ses deux ailes
et sa clôture d'entrée formant une cour d'honneur où se pas
sait toute la vie intérieure des châtelains et de leurs gens .
Le château proprement dit est entouré de toutes parts par
une enceinte fortifiée qui semblerait antérieure- à' sa cons-
truction et daterait de l'ancien manoir; du moins, sa
position irrégulière par rapport aux bâtiments, nous laisserait
à penser que, lorsque l'on 'planta le château, on ne tint que
peu compte 'des murailles et que l'on voulut plutôt satisfaire
aux besoins d'accès et d'orientation qu'à ceux ·d'une simili
tude gênante pour les usages nouveaux auxquels on tenait à
satisfaire. En effet, si l'on considère le plan d'ensemble, nous
voyons que les contructions sont beaucoup plus rapprochées
vers l'Est et le Midi que sur les deux côtés opposés; mais
au naturel, cela ne choque point la vue et l'on s'aperçoit bien
peu de ce faux équerrage, du reste l'artiste eut soin de placer
l'entrée de la cour d'honneur et celle du logis au fond, Jans
l'axe de la poterne sans pour cela leur être parallèle.
Ces murailles furent cértainement restaurées à l'époque
de la construction du château et pourvues de défenses en
rapport avec les moyens d'attaque dont on disposai.t alors .
« Que le1;i seigneurs de Kerjean, dit Palustre, aient voulu
n'avoir rien à craindre d'un coup de main, cela se comprend
jusqu'à un certain. point en un temps de guerre civile, mais
pour atteindre ce but, était-il bien utile d'élever de si formi
dables remparts!)) « Dans tout le reste · de la France, cite
le chevalier de Fréminville on n'érigeait plus de châteaux
forts depuis bien des années, mais la noblesse bretonne, .
fière de son antique indépendance et regrettant ses anciens
privilèges, voulut en conserver du moins les apparences et
transmettre à la postérité un simulqcre qui rappelât ses
droits et sa puissance passés, les uns et les autres étant la
juste et honorablE: récompense des longs services rendus à
la Patrie »,
Quoiqu'il en soit, ce château est à la fois une résidence
princière et un manoir féodal; des défèllses furent ménagées
dans toutes les parties basses des constructions . .
A utrerois de nombreuses et larges avenues aboutissaient
au château et un parc immense, avec bois, s'étendait an
Nord~ tandis qu'au Midi s'ouvrait une large esplanade
dégageant l'abord de ce côté. De tout cela il ne reste presque
plus rien, l'avenue de Sainl-Vougay et l'avenue principale
on été l'étrécies et reboisées; à peine trouverait-on quelques
arbres séculaires au milieu des prairies et des champs cultivés
qui enserrent maintenant la vieille' demeure; un' beau
colombier situé au Sud et une ravissante fontaine près d'un
étang abandonné sont les seuls vestiges du passé.
« Dans la distribution du parc, raconte M. de Kerdanet,
on avait voulu imiter celle de l'ensemble du château, car en
face, se présentait, comme pour simuler la belle galerie une
magnifique avenue de marronniers, dont les feuilles ' et les
fleurs . au printemps, produisent l'effet le plus pittoresque.
Les ailes latérales étaient représentées par de superbes
avenues' de hêtres et de châtaigniers. Dans l'intérieur du
parc, et plus bas que les marronniers on rencontrait le
parterre dont le dessin était du célèbre Le Nôtre, créateur
des jardins de Chant.illy, Saint-Cloud et Versailles. Plus
loin que le parterre était le labyrinthe dessiné par le même
artiste , et dans lequel, après mille circuits, on arrivait dans
une enceinte ronde, palissadée de verdure de tous côtés.
A près le labyrinthe s'étendait un bois régulier jusque vers
l'étang) admirable pièce d'eau auprès de laquelle on s'enfon-
çait de nouveau dans un autre bois qui s'étendait fort loin,
vers la grande route de Lesneven » .
Mais revenons aux murailles; elle forment un vaste quadri.
latère irrégulier, de près de deux cents mètres de côté, flanqué
à ses quatre angles de petites tOUl'S carrées à deux étages
voûtés, garnies de meutrières à feu de sape, rasant et plon_
geant sur toutes les faces. A. péu près au milieu de la
courtine Sud s'élève la poterne munie d'une double entrée;
protég, ée au-dessus par un ouvrage de défense dont il ne
reste que quelques traces aujourd'hui. Un étroit emmar-
chement dans l'épaisseur de la muraille permettait aux
défenseurs de descendre au-dessus des ponts-levis ou
d'arriver aux étages supérieurs. On accédait à l'intérieur des
tours par un long et étroit couloir obscur, au bout duquel
on rencontrait un escalier tournant pratiqué dans l'angle
des murs et descendant à la salle basse de niveau avec les
larges fossés qui entourent de toutes parts ces fortifications.
La poter~e et les tours sont surmontées de machicoulis qui
recevaient autrefois un muretin en pierre de taille percé aussi
de meurtrières et de barbacannes pour des arm. es à feu. Les
lierres et les ronces qui ont envahi tout les couronnements '
des murs en sont le dernier et le plus bel ornement. Tout
le long de cette enceinte s'étendaient de larges boulevards
protégés par un parapet muni de défenses propres à recevoir
du canons, on y accédait au moyen de pentes douces ménagées .
dans les angles; sous ces boulevards, on avait pr~tiqué de
distance en distance de profondes casemates avec large
entrée du côté de l'intérieur dont quelques-unes subsistent
encore intactes aujourd'hui, elles étaient de niveau avec
la CO).1r intérieure et voûtées en berceau plein cintre,
A ujourd'hui sur ces boulevards s'étend un jardin potager,
et les arbres fruitiers poussent là où le canon et les hommes
devaient porter la mort et la destruction.
Du côté du parc, il n'existait pas de boulevard, mais un
simple passage le long du parapet et le pont-levis se rele
vant le long de deux piliers formait portail. 11 est pro, bable
qu'en cas de guerre on eût établi des ouvrag~s avancés
pour mettre à l'abri cette partie faible de la défense.
De vieilles gravures que nous avons consultées nous on
perm.
dans notre étude de restauration, de rétablir cette
enceinte à peu près comme tlle devait être autrefois.
Lorsque sous les passages voûtés de la poterne on fran
chit cette ence,inte, on se trouve dans une première cour
qui enserre tous les bâtiments formant par un rectangle
parfait la cour d'honneur proprement dite. Cette première
cour est convertie maintenant en cour de ferme, basse-cour,
chenil et jardin d'agrément. , ,
Le mur qui ferme l'entrée du château au Sud est décoré
d'un magnifique portique, muni de deux portes plein cin
tre~ l'une pour 'les voitures, l'autre plùs petite pour les
piétons, elles sont séparées par de beaux pilastres doriques
cannelés reposant sur de petites bases et peu en saillie; ces
pilastres supportent en revanche un entablement très élevé
et une corniche saillante à moulures multiples et compli
quées. Au-dessus de cette corniche un couronnement
répondant à la disposition inférieure se compose de trois
arcades ajourées munies de frêles colonnettes. Au milieu
un riche fronton triangulaire, orné d'un cartouche dans son
tympan, repose sur deux belles colonnes monolithes d'ordre
corinthien tr'ès bien sculptées. De chaque côté un entable
ment à frise bombée soutenu par de petites cariatides en
Kersanton~ représentant des captives enchaînées, d'un
beau travail. Cet entablement reçoit de grandes volutes sur
lesquelles reposaient autrefois des lions supportant pro
bablement des armoiries, le tout ' surmonté d'une statue;
c'est cette ordonnance qui rappelle, en plus petit et en moins
beau naturellement, l'entrée du château d'Anet. De cha'que
côté de ce beau portique s'étend alors le mur de clôture tout
revêtu de pierre de taille et garni de meurtrières à feux
divergeants ; il est couronné d'un parapet arrondi vers l'in- ,
térieur et muni aussi d'e larges meurtrières propres à rece voir de l'artillerie légère comme dernier moyen de défense .
Ce couronnement est d'une combinaison heureuse et pro duit un très grand effet, des gargouilles ont été ménagées
de distance en distance pour l'écoulement des eaux de la
terrasse qui se trouve derrière. Cette large terrasse da1lée, ,
supporté'e par une double rangée d'arcades~ relie le pavillon
des archives à l'Ouest à celui de 18. chapelle à l'Est. Du
côté de la cour les premières arcades sont décorées de pilas-
tres de peu d:épaisseur, recevant une forte corniche que
surmonte une ravissante balustrade ajourée. De petites
cavités ont été ménagées dans les pillettes de pierre qui' for
ment les petites arcatures pour recevoir les colo.nnettes.
Les deux pavillons accompagnent très heureusement cette
majestueuse entrée et forment avec leurs . campaniles
élégants et le couronnement du, portique un ensemble très
monumental et très décoratif.
Pour faciiiter la défense de cette dernière entrée et pro téger le soubassement des murs d'un pavillon à l'autre par
les meurtrières placées de côté dans les angles, l'architecte
à biaisé les murs de la chapelle et des archive$~ de façon ,
à déûouvrir entièrement ces murs à l'approche de l'as
saillant.
Le pavilllon de la chapelle est à deux étages; à la hauteur
de la chapelle proprement dite, le chevet prenù une form e
semi circulaire sur la base carrée du dessous; le maître
d'œuvre a su tirer habilement partie de cette superposition
en plaçant sur les parties déco uvertes de petits édicules à
coupoles et lanternons à jour, La chapelle .est éclairée à l'Est
et au Midi par quatre fenêtres géminées de forme ogivale ;
à ce propos il ne faut pas croire, comme certains auteurs
l'ont prétendu, qu'on ne pouvait se décider à abandonner
complètement l'art gothique dans un édifice religieux, alors
'que ce mode d'architecture était tombé en désuétude, car
bon nomhre d'édifices religieux bâtis 'pendant les XVIe et
xVIIe siècles, n'ont plus aucun rapport avec les styl~s
passés ; n'y voyons donc simplement qu'un pâle souvenir
de l'architecture de Moyen-Age que l'artiste de Kerjean a
fait revivre un peu en cet endroit ; du rèste l'arc ogival est
bien peu accentué et les profils des meneaux et des r'in-
ceaux sont bien de là fin de la Renaissance. Au-dessous"
de ces fenêtres sont pratiquées des meurtrières à cou leu
rines et la salle basse qui n'offre aucun intérêt prend jOUl~
par deux longues fenêtres placées vers l'extérieur des bâti-
ments. La façade sur la terrasse est percée de deux ouver-
tures ovales richement encadrées, au-dessous une fenêtre
basse rectangulaire et très simple et une petite porte plein'
cintre donne accès en contre-bas de la terrasse à la cha-
pene. Ce pavillon est tout en pierre de taille couronné tout
autour d'une belle corniche à modillons. Mais ce qu'il a de
plus remarquable c'est son élégant campanile qui semble
plutôt daterde' l'époque de Henri IV que de C.harle~ IX ;'
posé en encorbellement sur une suite d'entablements et
de consoles, il est à trois étages superposés dont le der- '
nier à jour. Le beffroi est couronné d'une petite c'oupole'
surmontée elle-même d'un lanternon coiffé d'une calotte sur
laquelle un beau vase vient se fixer.
Ses angles sont décorés de pilastres et gaines cannelés"
ou ornés d 'arabesques, les frisés' sont couvertes d'entrelacs '
et les panneaux de cartouches armoriés. Ce campanile est
d'une gl'an~~ richesse et d'une belle élégance.
L'intérieur de cette chapelle, très somptuenx autrefois
n'offre plus que des ruines, lt~ sol en petits carreaux
rouges s'effondre, la belle voûte eu lambris qui reposait
sur une sablière toute sculptée a presque disparu et des
personnages en bois qui ornaient encore cette voûte,
quelques-uns . seulement, vermoulus gisent épars sur l'au..;
tel abandonné. Ils représentaient les douze apôtres et'
étaient encastrés dans la sablière au pourtour du sanctuaire.
A la rencontl'e des nervures s'accrochaient de fins pen
dentifs et deux entraits sans poinçon, reliaient les murs, ils
étaient ornés comme de coutume de grosses têtes de dauphins
aux extrémités. Tout cela devait être décoré de peintures et
de dorures. Entre chaque fenêtre d'élégants culs de lampe~
en pierre supportaient des statues; l'autel était tout en
pierre de forme bombée, reposant sur un degré de granit;
une dalle d'un seul morceau de 2 mètres sur om 70 la recou-
vrait en entier. Sur le mur Nord auquel s'adossait l'aile
droite~ existe de larges ouvertul'es, donnant l'entrée de la
chapelle aux divers étages et · permettant aux malades
d'entendre la messe d'une petite salle contiguë: la baie du
. . haut est orné d'un petit entablement dorique à deux
pilastres et munie d'un croisillon de fer.
Le pavillon des archives qui fait face à celui, de la chapelle
. a été conçu dans le même esprit, et sert de raccordement
entre l'aile gauche et la galerie. Il est à trois étages
et contient un escalier en pierre · à deux rampes droites, '
. et de belles chambres, éclairées sur deux côtés, et munies
de cheminées monumentales à chaque étage. La cheminée
de la chambre du premier que nous avons dessinée est de
beaucoup la plus belle, son large manteau repose en
encorbellement sur deux élégantes colonnettes doriques
ornées de fines cannelures en creux et en bossage. L'exté-
. rieur est en pleine pierre comme la chapelle, percée de
fenêtres à jambages droits et conronné de la n)ême corni
che . à modillons; une petite construction adossée sur
laquelle repose le .campanile, contient· les latrines et les
degrés d'accès à la terrasse. .
Ce campanile quoique plus élancé que . l'autre, èst
. moins riche et fut exécuté certainement longtemps après
celui de la chapelle. Avec ses ordres superposés, ses
colounes dégagées et ses frises d'entablement renflées
il donne tout à fait la note de l'architecture Louis XIII.
Il est également composé de trois parties superposées,
dont les deux du haut à jour; . sur les côtés de celles du bas
sont ménagées des niches peu profondes, mais susceptibles
cependant de recevoir des statues. .
Cette entrée de la cour d'honneur constitue la partie la .
plus riche du château, à mesure que les constructions
s'avançaient, elles devenaient plus sobres, abandonnant les
élégances de la Renaissance pour tomber dans le style
pompeux, mais froid du XVIIe siècle .. Les deux bâtiments
en aile qui relient le corps de logis à la galerie servent
donc d'intermédiaire entre la belle et riche ordonnance de
1553 et la fin des constructions vers 1590 .
Les parties détruites par l'incendie au N -E. d, u château
ne furent pas rétablies, on a abattu des pans de murs qui
mena'çaient de s'écrouler, on dispersa des arcades et l'on
construisit un bâtiment moderne qui fait tâche au milieu de
cet ensemble d'un autre âge .
L'aile droite contenait le pressoir. les réserves de fruits
et les dépôts des instruments aratoires. 'U n passage cou
vert, qui régnait en façade, permettait de se rendre, sans
sortir, d'un point à un autre du château; il est formé de
basses arcades plein cintre, reposant sur de courts piliers
carrés. Le mur en pierre de taille est percé d'étroites fenê
tres éclairant un entresol ménagé entre les salles basses et
le premier étage. .
La corniche se trouve coupée pour laisser passer de jolies
lucarnes en pierre, descendant à mi-hauteur d!étage Ces
lucarnes, ornées d'archivoltes finement moulurées, de con
soles et d'un double entablement à volutes et pinacles,
découpent leurs gracieuses silhouettes sur la haute toiture
qui s'efface derrière en une note' sombre que tranche les
. souches de cheminées dépàssant son faîtage.
Au premier étage, les vastes pièces, à la file les unes des
autres étaient plafonnées d'un berceau en lambris coupés de
fines nervures .
L'autre aile, contenait . dans sa première partie vers le
Sud
les écuries, couvertes en pierre d'une voûte surbaissée ·
et étaient éclairées de petites fenêtres élevées sur les deux
côtés. Un entresol existait au-dessus comme à l'aile droite .
Dans l'autre partie, un rez-de-chaussée, élevé de 6 mètres
rattrape la hauteur du premier étage; il possède une grande
salle, la cuisine d'autrefois, aujourd:hui divisée, contenant
deux immenses chèm-ihées de pierre dont les hauts manteaux
reposent sur de grosses consoles couronnées de sortes de
chapiteaux d'encorbellement.
Près de cette salle . se trouve un petit réduit éclairé par
une fenêtre ovale, bard. ée de fer et qui semble avoir servi de
cachot, une autre prison était ménagée à l'extrémité Nord
de cette aile et prenait jour sur la COUl' de service.
Les lucarnes de ce bâtiment ne le cèdent en rien à celles
qui leur font vis-à-vis, si elles ont la forme carrée, elles
sont décorées de pilastres supportant un fronton triangulaire
qui lui-même est relevé de volutes et de coquilles du plus
charmant effet; pour atténuer la monotonie des surfaces de
granit, l'architecte eut l'heureuse idée d'incruster des plaques
d'ardoises dans le tympan de ces lucarnes sous forme de
petits panneaux, ce qui donne en même temps par leur ton
sombre une apparence de légèreté à ces couronnements. Ces
. fenêtres descendent également entre·la eorniche et les souches
des cheminées sont couvertes de rocailles et d'entablements.
Enfin, coupant cette longueur de façade, trois belles portes
cintrées flanquées de pilastres et contre-pilastres, et
surmontées de larges frontons ornés de volutes et de vases
en ronde bosse. A la première porte l'archivolte est coupé
par des claveaux en bossage taJlJés à pointes de diamants.
Derrière l'une de ces portes était un étroit passage voûté,
permettant de se rendre dans la cour extérieure sans faire
le tour des constructions. Tous les plafonds du rez-de
chaussée étaient à poutres et poutrelles apparentes. A
l'extrémité de ces ailes, touchaient au corps de logis deux
escaliers à · double montée mettant en communication la
partie principale de l'habitation avec ses dépendances.
Le corp3 de logis que ferme la cour au fond vers le Nord,
est naturellement la partie la plus importante du château,
mais non la plus riche, du moins extérieurement, elle
contenait cependant les grandes salles de réception et les
appartements des châtelains. On est quelque peu déçu en
pénétrant à l'intérieur où règne une décoration très sobre et
nullement en rapport avec tout le luxe déployé dans la
construction · de l'entrée. Louis Barbier n'aurait-il voulu
montrer qu'au dehors le faste de sa demeure, ou ayant trop
dépensé dans les premiers travaux se serait-il vu obligé de
simplifier ses conceptions? Il est vrai que les parties en
ruines étaient précisément celles où devait s'étaler le plus
de richesse puisque c'était là que se trouvaient les pièces de
réception. Là où nous ne voyons plus que deux hauts murs
percés d'ouvertures béantes, s'élevaient la salle des gardes
et celles des chevaliers. On y voit encore les forts corbelets
de pierre qui soutenaient les maîtresses poutres, et dans
. les débris sculptés répandus dans les alentours, nous avons
pu reconstituer 3 cheminées monumentales, dont une, celle
du 1 er étage, fort riche et rehaussée de peintures.
Sur un soubassement porté par deux belles consoles,
reposait un large manteau couvert d'ornements et d'armoi
ries, et que séparaient en deux compartiments trois belles
cariatides en forme de gaine qui recevaient une riche
corniche ornementée.
Le lmrps du logi~ se composait d'un pavillon central très
élevé contenant le grand escalier et deux étages de chambres
placés au-dessus; de deux parties latérales aboutissant à
d'énormes pavillons· d'angle débordant un peu sur la partie
142 -
centrale, comme au château d'Anet également, et où s'entas
.saient les appartements privés des seigneurs de Kerjean.
Un porche avancé précède l'entrée; il est composé d'une
arcade sur chacune de ses trois faces, et soutenu par de
forts pilliers · que couronnent une ample corniche et Ulle .
balustrade aveugle sur laquelle se profile ses · balustres
carrés qui entourent une terrasse au niveau du premier étage.
Ce porche est élevé d'une douzaine de marches au-dessus
du sol pour arriver à la hauteur du rez-de-chaussée placé
bien au-dessus de la cour.
Les grandes fenêtres géminées sont très simple~, sans
aucune moulure, un bandeau plat les. encadre et n'est sur-
monté que d'une plate bande de très peu de saillie. Toute
la décoration de ce bâtiment réside dans les parties hautes.
U ne large corniche interrompue par de très belles lucarnes
qui se profilent sur des toitures immenses donnent beau
coup de grandeur à cette construction. Les lucarnes des
gros pavillons sont surtout intéressantes par leur arran~
gement rappelant les belles époques de la Renaissance; elles
sont simples ou géminées selon leur largeur, mais toujours
exécutées avec une entente parfaite de la décoratiGn. On y
remarque une tête de Diane et des croissants. Les poinçons
en plomb qui surmontent les toitures du pavillon de l'es-
calier et de la: tourelle sont très curieux, ainsi que le couron-
nement des cheminées et les vases restés encore debout qui
accompagnent les frontons des grandes lucarnes centrales.
L'escalier principal, comme ceux des bâtiments en aile,
est à deux rampes droites séparées par un mur d'échiffe
plein; le dessous des marches est resté apparent, mais taillé
très simplement. Cet escalier est à deux étages seulement,
une courie balustrade d'un dessin assez riche ferme le
dernier · palier; il est parfaitement éclairé par de longues
fenêtres placées sur les deux façades. Sur les paliers
intermédiaires, on admire de jolies petites niches à cul de
lampe ménagées dans l'épaisseur des murs et qui servaient
sans doute à recevoir des lampes ou lanternes pour éClairer
le soir ces larges montées.
Une élégante tourelle placée à l'angle Nord-Est du pavil
fon du milieu, contient un escalier à vis qui mène du second
aux étages supérieurs ; à son arrivée un escalier encore
plus étroit s'en sépare pour aller se perdre sous les plus
hautes charpentes, combinaison ingénieuse permettant un
grand développement dans un espace des plus restreint.
Les chambres au-dessus du grand escalier, possèdent
d'assez belles cheminées de pierre; elles servaient de guet aux
hommes d'armes chargés de scruter l'horizon Comme dans
les bâtiments latéraux, les derniers étages étaient recouverts
d'un lambris dans lequel pénétraient les hautes lucarne~ ,.
Dans la salle de gauche fi. rez-de-chaussée, ancienne salle de
gens, une autre belle cheminée du même type, haut et large
manteau porté sur de fortes consoles en partie sculptées.
Celle du premier étage: au-dessus, est de plus, décorée de
faux marbre et de dorures, on y retrouve les croissants des
lucarnes; c'est peut-être en l'honneur de Diane , de Poitiers
que les sires de Kerjean les placèrent sur leur château.
Si l'architecture du château de Kerjean et sa ' décoration
méritent toute notre attention, il n'en n'est pas de même
de sa structure; en maints endroits l'appareillage a été
, mal combiné ou laissé à l'aventure; on sent comme un besoin
de précipitation ou un manque de raisonnement; les beaux
principes des maîtres d'œuvres du Moy.en-Age, avaieat déjà
disparu: et si l'on retrouve encore quelques combinaisons
logiques et rationnelles dans l'assemblage des matériaux,
ce n'est que de loin en loin et pas toujours aux endroits
offrant les plus grandes difficultés.
Nous ne terminerons pas cette étude sans dire un mot du
beau puits et de la jolie fontaine de Kerjean qui datent tous
deux de l'époque de sa construction .
. Le puits tout en pierre, avec son dôme et ses colonnes
nous rappelle ceux que nous admirions jadis au milieu des
cloîtres italiens. M ais celui-ci est bien une dernière œuvre de
.la Renaissance française et qui fait l'admiration de tous
ceux qui viennent au château. Il se compose d'une margelle
élevée de deux hauts degrés circulaires, et qu'entourent
trois belles colonnes monolithes reposant leurs fines bases
sur de petits dés se reliant au soubassement. Elles sont
surmontées de riches chapiteaux cC?rinthiens et, placées en
trois point~ également distants, reçoivent leur ent~blement
triangulaire surmonté d'une coupole évidée en dessous et
couronnée elle·même d'un élégant lanternon formé de quatre
,colonnettes doriques portant une petite corniche couverte
d'une calotte et d'un beau vase à godron. Les saillies circu
laires de la corniche, sur les faces ,des entablements, ne sont
. point des encorbellements ménagés pour recevoir des statues,
ainsi que l'ont prétendu certains auteurs, I!lais bien le résul-
,tat des pénétrations des parties circulâires et triangulaires
d'une même corniche, répondant aux formes inférieures et
supérieures du monument. AU-, dessus des colonnes, se
dressent d'autres vases de pierre remplis de fleurs et de
fruits et qui garnissent heureusement les angles laissés
découverts par la coupole sur le triangle de l'entablement.
La fontaine située dans l'ancien parc, à quelque cent
mètres du château, au pied de l'étang, sans égaler le puits
n'en est pas moins remarquable.
, , Comme toutes les fontaines bretonnes, elle se compose
d'une niche enclavée dans tine clôture de pierre, devant
. laquelle est la piscine et les bassins. La partie principale a
la forme d'un dé flanqué aux angles de sveltes colonnettes
ioniques qui supportent une lourde corniche à fronton ciro
culaire se relevant sur quatre côtés. Au-dessus de ces
frontons, formant comme une sorte de toiture, une plate
forme circulaire, sur laquelle repose un vase immense,
décoré de godrons et de feuillages formant les anses au
sommet~ Sur le devant est ménagé une niche peu profonde,
décorée à sa partie supérieure d'une archivolte en forme de
coauille. De chaque côté de cet édicule une sorte d'exèdl'e
droit aux extrémités duquel viennent s'adosser deux con-
soles renversees.
Des conduites habilement ménagées entre des parpaings
de pierre, recueillent le trop plein des eaux de la cuve
centrale qui vient en pente douce se perdre dans l'étang. Au
milieu de cette belle nature , maintenant si sauvage, ce petit
monument est tout à fait charmant. On aime à se reposer
auprès de. cette fontaine, sous l'ombre des grands arbres qui
en protègent sa vétusté. Au murmure des eaux, aux bruis-
sements des feuilles on se plaît à admirA!' silencieusement
l'œuvre de l'homme à travers\ les âges, et la nature semble
rajeunir ces ruines pour nous les conserver.
Nous ne terminerons pas cette notice sans adresser nos
remerciements à ceux qui nous ont aidé dans notre tâche et
nouS en ont facilité l'achèvement. Nous leur dédions ces pages
en souvenir du bienveillant concours qu'ils nous ont tous
apporté. M. de Coatgoureden pour le bon accueil qu'il nous
a fait pendant nos séjours à Kerjean ;M. le chanoine Abgrall,
dont le dévouement est toujours acquis à celui qui s'occupe
des monuments de sa chère Bretagne; MM. Le Guyader,
bibliothécaire de Quimper, Bourde de La Rogerie, archi
viste, pour les recherches qu'ils voulurent bien faire pour
nous dans les vieux livres qui les entourent. A eux tous,
nous adressoIls donc ces pages en témoignage de notre
profonde gratitude. Nous garderons toujours le souvenir de la
généreuse hospitalité que nous offrit au presbytère de Saint
Vougay M, l'abbé Cardinal qui fut notre premier colla
borateur .
Ch. CHAUSSEPIED .
Quimper, le 1ti avril1Y07 .
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. - TOME XXXIV (Mémoires) 10
- 342-
DEUXIE E PARTIE
Table des mémoires et documents publiés en 1907
'" , cIO' , , . _
L'impôt du Vingtième à Audierne en 17~H par M. LE
CARGUET .................................... ....
Notes sur les anciens chemins de la paroisse d'Elliant,
par M. le Vie DE VILLIERS DU TERRAGE ............. .
Le Roman de La Tour-d'Auvergne, par ·M. J. TRÉVÉDY ..
Le District de Pont-Croix (1790-179~). Le Port d'Au-
dierne. La Défense des côtes. La Pêche à la
sardine, par M. l'abbé J.-M. PILVEN ..............
Rennes et ses abords à l'époque gallo-romaine, par M.
le Dr C.-A. PICQUENARD ...........................
Un Mariage manqu.é par La Tour-d'Auvergne '? par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . ........ . ..........
Notice sur le château de Kerjean (commune de SI_VOU
guay), par M. C. CHAUSSEPIED ....................
Relation de la fouille du tumulus du Mouden-Braz, en
Pleudaniel (Côtes-du-Nord), par MM. A. MARTIN, et
l'abbé PRIGENT. (planche) ...... ....... " ........ "
La Tour d'Auvergne-Corret et la maison de Coigny, par
Pages
109
118
124
146
M. J 10 rrRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Eglises et chapelles du Finistère (suite) ; 7
article, voir
tomes XXX à XXXII) : Doyennés de Plabennec (fin) et
Ploudalmézeau, par M. le chanoine PEyRON .......... .
Le chevalier Calloet de Lanidy (17~3-1782), par M. le
is B' 'A
DE .REMOND .P' RS . . -................. . .......
. -.; .'! ' . . ' . 4:l~h~.:L~:;Grand ~t)es ~·anciennes chroniques (878-888 ... ),
- . . . .. pa~M,; . )e D~C.-A. PICQU- ENARD .................
MémOIre ivédlt concernant La Tour d'Auvergne-Corret,
. ·par .... M. · J: TRÉVÉDY ..... . _ . .. ................
" Eiât di·' mes services", mémoire autobiographique
. ": . { dh navigateur y .-J. de; Kerguelen-Trémarec, publié
. ' - '. par M.H-.BoURDE ·DEl';A', ·RoGERIE. " ........ ' .....
199
213
220
, Note sur le groupe dit du Cavalier et de l'Anguipède, à
propos de l'exemplaire de Kerlot, près de Quimper, par
M. ALFRED ROUSSIN .............................. .
Le dolmen de Magoer-Huen (Ile de Groix), par M. L. LE
PONTOIS,. ................... . .... ,. ........ lOlO lOlO
Autour de Locamand (aneiennes limites de la paroisse,
monuments mégalithiques, fourches patibulaires), par
M. le Dr C.-A. PICQUENARD, .......................
La Roche gravée de Stang-Bilérit, découverte à l'île de
Groix (Morbihan), par MM. le commandant LE PONTOIS
etP. DU CHATELLIER (planche) .. ................... .
Restes de rétablissement gallo-romain de Kerillien, en
Plounéventer, par M. le Chanoine J .-M. ABGRALL .....
Enlèvement d'une jeune fille à la Pointe du Raz par les
Hollandais au commencement du XXIIc siècle, par
Pages
293
300
304
313
315
H. LE CARGUET.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321,
SOCIETE ARCHEOLOG
DU FI N .STt:RE
Hôte' de Ville
29107 QUfM