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Bulletin SAF 1907


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Un mariage manqué par La Tour-d-Auvergne?

M.J. Trévédy

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1907 tome 34 - Pages 118 à 123

Je puis aujourd'hui répondre à la question posée à la fin du
Roman de La Tour d'A uvergne :
La Tour d'Auvergne aurait-il recherché un autre mariage?
Je communiquerai prochainement à la Société archéblogi­
qÛJe une noLe écrite au début du XIX

siècle, par un homme
que La Tour d'Auvergne sauva daos sa première enfance d'un
péril éminent, et qui, jeune homme, fut honoré par « son sau-

veur n d'une sincère affection.
Comment celte pièce inédile est elle entre nos mains ?

Voici:

Notre érudit et laborieux confrère M. Le Guennec, de Mor-
laix, avait vu à nolre ordre du jour d'Octobre 1906 Le Roman
de la Tour d'A ulJeI'gne. Quelques jours après, il m'adressait
quelques renseignements: el, dans un post-scriptu, m il écri­
vait : « Il paraîtrait que La Tour d'Auvergne avait demandé
en mariage ,Melle Dagorne du Bot, de Carhaix; mais elle
épousa M. Pierre-Louis Mazurié de pennanec'h, depuis
député de Morlaix aux Etats généraux et à l'Assemblée
nationale n.
M. Le Guennec ajoutait que ( ce mariage manqué)) était con­
signé dans une « curieuse note sur La Tour d'Auvergne écrite
par Joseph Mazurié, second fils de Mmp. Mazurié, note qui était
. aujourd'hui aux mains d'un descendant des deux époux ' )) .
Je priai M. Le Guennec de solliciter la communication . de
cette note; et, avec une grâce parfaite, son possesseur, M. le
comte de Lauzanne, en a autorisé la copie et la publication .
Depuis, M. de Lauzanne a bien voulu m'adresser des rensei-

gnements authentiques très intéressants dont je ferai usage,

Joseph

Maz
une

. A ujourd'hui, il ne s'agit que de la question du « mariage

manque ».
Quand cette révélation me fut faite, je me demandai tout
d'abord si la communication qui m'était promise n'allait pas
nouS apporter quelque lumière sur la phrase citée plus haut
écrite par la Tour d'Auvergne le 19 septembre 178' 2 : « Cette

idée de mariage ne m'a passé qu'une fois par la tête, il y a
cinq ou six ans )), ce qui veut dire en 1776 ou 1777.
Mais non! Nous allons voir que le c( mariage manqué»
avec Mlle Dagorne est antérieur au '1 er septembre 1766, date
du mariage de la même avec Pierre-Louis Mazurié.
Au milieu du XVIIIe siècle vivait à Carhaix Joseph':Tug­
dual Dagorne du Bot. Il avait épousé en cettte ville Marie­
Rosalie Billonnois. Les époux habitaient à deux kilomètres
au Sud de Carhaix une gentilhommière nommée Pré~azy.
. Dagorne avait l'emploi assez lucratif de « receveur général
des devoirs rie Bretagne à la direction de Carhaix)) ; c'est-à­
dire de receveur des impositions levées au profit des Etats de
Bretagne sur IRs boissons vendues au détail.
Mme Dagorne mit au monde deux fils nés les premiers et
une fille, qui naquit \e 30 juin 1744, .et qui reçut au baptême
les noms de Pélagie-Claudine. Nous avons dit plus haut

qu'elle épousa Pierre-Louis Mazurié de Pennanec'h. Le '
mariage fut célébré q\Jand Melle Dagorne avait vingt-deux ans

et deux mois, le 1

septembre 1766. _
Mme Mazurié allait vivre jusqu'au 11 novembre 1790 et son
mari lui survécut pendant près de vingt et un ans. C'est donc
avant le 1 el' septembre 1766, que la mère de Théophile Corret
aurait demandé po. ur son fils ]a main de Melle Dagorne .

Nous lirons dans le mémoire de Joseph Mazurié :'« .. Ma

mère, que La Tour d'Auvprgne avait manqué ' d'épouser. »

- Plus loin: « . Quand il venait en semestre avant 1789

il n'oubliait jamais 'de venir la voir.,.)) Et plus lOin:
« Nous savions qu'il avait demandé notre mère en mariage
et qu'il l'aimait toujours. ». .

. Voilà des affirmations bien nettes. Mais voici des faits

Mme Dagorne était sœur de Philippe Billonnois, eritreposeu r

des tabacs. et receveur des postes, marié à Marie de la Marillière .

Les familles Dagorne et Corret devaient t.out naturellemen t
être en relations; mais l'extrême intimité unissant les Corret

et les Billonnois dut encore les rapprocher; et bientôt un '
autre lien plus étroit allait se former entre Mme Corret et les
Dagorne.

Le 11 avril 1749, Mme Corret devint veuve; le 28 octobre
1752, M. Billonnois perdit sa femme; et moins de trois ans
plus tard, le 6 juillet 175. 5, Mme Corret devint Mme Billonnois
et en même temps belle-sœur de Mme Dagorne. _
A l'époque de ce mariage, Billonnois avait cinq enfants de

13, H, 9, 7 et 5 ans; Mme COrI'et en avait quatre de 14, 13.
11 et 8 ans; enfin, M, et Mme Dagorne avaient deux fils

de 15 et 13 ans et leur fille Pélagie âgée de 11 ans. Trois ans
plus tard, le 6 août 1758, Mme Billonnois allait mettre au
monde sa fille Henriette, la petite sœur si aimée de Théophile
Corret.
Dans cette troupe joyeuse de douze enfants, tous se consi­
. dérèrent comme cousins ; mais, ainsi qu'il est naturel,

l'intimité s'établit surtout entre ceux que leurs âges rappro-
chaient le plus. Or, Théophile Corret né le 23 décembre 1743,

avait onze ans et demi ; et Pélagie Dagorne née le 30 juin

1744, avait seulement six mois de moins.
Put-on remarquer une sympathie particulière entre c~s
deux enfants? C'est probable, Quand ils parvinrent à vingt
ans, cette amitié dut attirer l'attention. Dans les petites villes,
il ya des personnes à l'a~ût de ces innocentes relations. Faire

, des' mariages est l'occupation favorite de plusieurs. Il se peut

donc que quelque marieur ou marieuse ait imaginé et prédit
le mariage de Théophile et de Pélagie. ,
Les affirmations de Joseph Mazurié ne seraient-elles pas un
écho de ces racontars ?
Quoiqu'il en soit, à ses , affirmations voici des objections.
La première est celle-ci: Pél;1gie s'est mariée à vingt-deux
, ' ans, quand Corret avait vingt-deux ans et demi. Quand aura­ t-il oblenu que sa mère fasse pour lui une demande en
mariage? Ce ne peut être avant sa majorité de 21 ans. Il a
obtenu cette majorité le 23 décembre 1764; et, en effet, 'aux
premiers mois de 176a, Mme Billonnois (Corret) faisait pour son
fils une demande; mais, nous l'avons vu, il s'agissait non de

Pélagie Dagorne, mais de Pauline Limon du Tymeur, que
Corret aime depuis longtemps et qui lui donnerait volontiers

. sa malll.
Refusée par son père, Pauline entre au couvent. Corre't part
pour Paris (mars ' 176:5). En son absence, Mlle Dagorne se

marie; et, quand Corret devenu mousquetaire reverra la
Bretagne, en juin 1767, Mme , Mazurié sera bientôt mère
(8 octobre 1767).
Voilà un premier argument contre ce « mariage manqué ».
Cette, objection suffirait; mais en voici une autre:

J'ai sous les yeux l'acte du mariage de M. et Mme Mazurié

célébré, le 1

septembre 1766, dans la chapelle domestique
de Prévazy. Parmi les' signatures apposées au pied de cet

acte, je relève celle-ci: « J.-L. Salaün de Billonnois », c'est
celle de la mère de Théophile Correl.
De son premier mariage, Mme Corret avait eu trois fils :

elle a pleuré l'aîné, Joseph Olivier, mort dans sa dix-neuvième
année, en 1760.' Le plus jeune, Thomas, achève sa dix­ neuvième année, le jour même du mariage, auquel il n"assiste
pas. C'est un esprit bizarre. A peine majeur, il fuira Carhaix

422 "
où il trouve trop de monde, il ira chercher la. solitude à Paris,

et il l'y trouvera!

. Combien T - héopllile devenu l'aîné diffère de son frère! .
Il est spirituel, studieux, distingué, il aime le monde,
il est doué d'une heureuse assuraIlce et ne manque pas d'entre-

gent; ajoutons que docile aux leçons maternelles, il est
ambitieux, on peut dire, entiché de noblesse. Fière de son
fils, l'heureuse mère compte bien qu'il honorera le nom de
Correl.
Il y a quelques mois seulement que la demande en

mariage de Corret a été repoussée par M. Limon, et Mme
Billonnoi8 a été témoin et confidente de la douleur de son fils.
Or supposez qu'en mars 1765, dix-sept mois avant le mariage
de Mlle Dagorne, au lieu de Pauline Limon, ce soit Pélagie
Dagorne qui ait été demandée pour Théophile Corret et lui
ait été refusée; c'est justement l'hypothèse du « mariage
manqué » - la mère de Théophile aurait-elle assisté au
mariage de Mlle DagMne ? .
Me dira-t-on : (( . Mais, belle- sœur de Mme Dagorne,
comment s'en serait-elle dispensée? Je réponds : Très
simplement. Elle aurait dit ù sa belle-sœur : « Votre fille
n'est pas devenue ma fille. Nos relations sont restées et

resteront aussi cordiales qu'auparavant. Mais mon pauvre
Théophile et moi nous sommes si tristes, de ne pas avoir

obtenu Pélagie, lui pour femme, m.oi pour fille! Ces regrets
m'obsèderont au milieu de votre joie. Vous ne voudriez pas
que l'on vît ce jour-là des pleurs dans mes yeux. __ )) Et
. Mme Dagorne aurait admis cette excuse.
Donc la présence de Mme Billonnois signant joyeusement
l'acte de mariage de Pél~gie sembla une seconde objection au

« manage manque n.

En voici une
qui la fournit.
troisième et c'est Joseph Mazurié lui-même

123 -

Il a écrit, nous venons de le lire: « Nous savions qu'il avait
demandé notre mère e,n mariage et qu'il l'aimait toujours)). ,
l'fous, é'est Joseph lui-même et son frère aîné. Le fait à
l'occasion duquel Joseph écrit ces dèrniers mots est de ''l789 ;
son frère avait 22 ans et Joseph 19.
Eh bien! Les deux jeunes gens se méprenaient sur la nature

de l'affection que La Tour d'Auvergne témoignait à leur mère

et nous pouvons ajouter - dont leur mère se montrait

heureuse. -
, Un prétendant repoussé ne perpétue guère des relations
affectueuses avec la femme qui lui en a préfér-é un autre; et,
s'il continue à l'aimer, elle saura, quand elle est honnête
comme le fut Mme Mazurié, le tenir à distance. Si 'donc Mme
Mazurié a reçu La Tour d'Auvergne pendant plus de vingt
ans auprès de son mari et au milieu de sa jeune famille, c'est
qu'elle voyait en lui, non un amoureux repoussé et follement
obstiné, mais le compagnonde son enfance, l'ami de première

jeunesse~ je dirai plus, celui auquel elle devait la vie d'un de
ses fils, Joseph, l'auteur même des lignes cilées _ plus haut.
Selon nous, Joseph Mazurié n'a fait que répéter les dires
de quelque habitant de Carhaix, transformant le mariage
imagioé par lui en un « mariage manqué » ; et nous nous
en tenons ,u Roman vrai que nous avons conté. .

J. TREVEDY .

Ancien Président du Tribunal de Quimper.

- 342-

DEUXIE E PARTIE

Table des mémoires et documents publiés en 1907

'" , cIO' , , . _

L'impôt du Vingtième à Audierne en 17~H par M. LE
CARGUET .................................... ....

Notes sur les anciens chemins de la paroisse d'Elliant,
par M. le Vie DE VILLIERS DU TERRAGE ............. .
Le Roman de La Tour-d'Auvergne, par ·M. J. TRÉVÉDY ..
Le District de Pont-Croix (1790-179~). Le Port d'Au-
dierne. La Défense des côtes. La Pêche à la
sardine, par M. l'abbé J.-M. PILVEN ..............
Rennes et ses abords à l'époque gallo-romaine, par M.
le Dr C.-A. PICQUENARD ...........................
Un Mariage manqu.é par La Tour-d'Auvergne '? par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . ........ . ..........
Notice sur le château de Kerjean (commune de SI_VOU­
guay), par M. C. CHAUSSEPIED ....................
Relation de la fouille du tumulus du Mouden-Braz, en
Pleudaniel (Côtes-du-Nord), par MM. A. MARTIN, et
l'abbé PRIGENT. (planche) ...... ....... " ........ "
La Tour d'Auvergne-Corret et la maison de Coigny, par
Pages

109
118
124
146
M. J 10 rrRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

Eglises et chapelles du Finistère (suite) ; 7

article, voir
tomes XXX à XXXII) : Doyennés de Plabennec (fin) et
Ploudalmézeau, par M. le chanoine PEyRON .......... .
Le chevalier Calloet de Lanidy (17~3-1782), par M. le

is B' 'A
DE .REMOND .P' RS . . -................. . .......

. -.; .'! ' . . ' . 4:l~h~.:L~:;Grand ~t)es ~·anciennes chroniques (878-888 ... ),

- . . . .. pa~M,; . )e D~C.-A. PICQU- ENARD .................

MémOIre ivédlt concernant La Tour d'Auvergne-Corret,

. ·par .... M. · J: TRÉVÉDY ..... . _ . .. ................

" Eiât di·' mes services", mémoire autobiographique
. ": . { dh navigateur y .-J. de; Kerguelen-Trémarec, publié
. ' - '. par M.H-.BoURDE ·DEl';A', ·RoGERIE. " ........ ' .....

199

213
220

, Note sur le groupe dit du Cavalier et de l'Anguipède, à
propos de l'exemplaire de Kerlot, près de Quimper, par
M. ALFRED ROUSSIN .............................. .
Le dolmen de Magoer-Huen (Ile de Groix), par M. L. LE

PONTOIS,. ................... . .... ,. ........ lOlO lOlO

Autour de Locamand (aneiennes limites de la paroisse,
monuments mégalithiques, fourches patibulaires), par
M. le Dr C.-A. PICQUENARD, .......................

La Roche gravée de Stang-Bilérit, découverte à l'île de
Groix (Morbihan), par MM. le commandant LE PONTOIS
etP. DU CHATELLIER (planche) .. ................... .
Restes de rétablissement gallo-romain de Kerillien, en
Plounéventer, par M. le Chanoine J .-M. ABGRALL .....
Enlèvement d'une jeune fille à la Pointe du Raz par les
Hollandais au commencement du XXIIc siècle, par

Pages
293
300
304
313
315

H. LE CARGUET.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321,

SOCIETE ARCHEOLOG

DU FI N .STt:RE

Hôte' de Ville

29107 QUfM