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Bulletin SAF 1906


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Le chemin du Tro-Breiz, entre Saint-Pol de Léon et Tréguier

H. Le Guennec

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1906 tome 33 - Pages 247 à 281

E TR -BREl E D

ENTRE

SAINT-POL-DE-LÉON - ET TRÉGUIER

Au congrès de ~'Associa.tiOn fJretonne tenu à Concarneau
en 1905, notre vice-président . l\L le chanoine Abgrall a.
pl'ésenlé un mémoire sur le chemin de pAlerinage dt~s Sepl­
Saints de Bretagne entre Quimper et Vannes , Au début de
son travail, il émet l'idée d'une étude détaillée et méthodique

de l'itinéraire de ce pieux voyage autour de la Bretagne, où
seraient notées toutes les pal'ticularités qu'on y rencontre:
restes de voies l'omaines, camps retranchés, chapelles,
hÔpitaux, fontaines, Apl'ès avoir tracé ce pl'ogramme, il l'a
lui-même rempli de la façon la plus heureuse et la plus
complète en ce qui concerne la partie comprise entre les
deux vieilles cités de saint Corentin et de saint Patern', et
son œuvre constitue un guide fort appréciable pOUl' 0enx
qui veulent et voudront s'inspirer de son exemple en recher­
chant les traces du Tl'o-B-reiz à travers notre province. Dans
la présente élude, entreprise sur ses conseils amicaux et
facilitée par ses bienveillantes communications, je voudrais
essayer ~ mon tour de décrire un autre tronçon de la voie
pa'rcourue pal' les pèlerins aux époques des Temporaux,
celui que délimitent les anciennes villes épiscopales de saint
Paul Aurélien et de saint Tugdual,
Tout d'abord, je dois 'avouer que je n'ai pas eu la chance
de retrouver, sur tout ce parcours, un seul nom très carac­
téristique el qui jalonne d'une manière certaine, indiscutable,

; 248 -'o.' .

la route dl! Tl'o-Breiz, comme le font. par exemple, l;i
chapelle de Locmaria-a.n-Hent et sa fontaine des Sept-Saint:;

. sur la voie de Quimper à Vannes. Ce n'est pas qu'a~trdoi!;

les sanctuaires aient manqué sur le chemin dont je m'occllpe.
Beaucoup. sont détr'uits; · quelques-uns. bien peu
subsistent encore; mais, ruinés ou en Il.on état, leurs patl'om~
n'avaient et n'ont rien de commun avec les sept primats dEt

l'épiscopat breton. En a-t-il été toujours de même, ou faut-
il croil'e qu'avec le souvenir peu à peu aboli du célèbre
pèlerinage ont disparu certains vocables, certaines dénomi­
nations qui eussent été en l'occurrence des indices précieux?
Aussi: en l'absence de toute preuve absolument palpable
et convaincante, je ne puis présenter ici que l'itinéraire très
proba.ble des fidèles qui se rendaient de Saint-Pol à Tréguier
en passant par Morlaix. Cette probabilité oserai-je dire
celle quasi-certitude .ressort pour moi de l'exploration
des localités et de l'existence d'anciennes voies relial)t ces
villes bien avant que commençât le pèlerinage. je n'ai pas
besoin de rappeler, après le vénéré M. Trévédy (1) et M. le
chanoine ·Abgrall; qu'au Moyen-Age on ne traçait guère de
grandes routes, et que - les vieux chemins pavés datant de la
conquête romaine suffisaient tant bien que mal aux relations
de ville à ville. Ils set'vaient aussi, sans nul doute, aux pieux

vo):ageurs du T1'o-Bniz, et c'est sur leur parcours, aux
abords des métropoles visitées par ceux-ci, qu'il faut tenter
de découvrir les derniers vestiges du passage des foules
innombrables qu'une foi ardente mena pen~ant quatre ou
cinq siècles se prosterner devant les tombeaux et les reliques
des Sept-Saints de Bretagne. .
En route donc pOUt' cette étape de vingt lieues et plus!

(t) cr. le Pélc{ilJa[Je tics Sep/-Saillts de Bretagne, pal' M . 'l'l'cn::ùy (Bal/elill
de la Société archéologique du FinÎstere, 1896, page 203-234).

'. '249 ",

Nous SOITlmes à Saint-Pol-de-Léon, dans ia cathéctraie, oil

nous venons de vénérer les reliques de l'apÔtre du diocèse.
enfermées dans leur. magnifique châsse de bronze doré .
Sortons par le porche d'en bas, pour voir la belle statue de·
granit adossée au trumeau séparant les deux .portes, et qui
figure saint Pol terrassant le dragon, puis traversons la
place, jadis garnie en son milieU du gibet et du pilori des
Regaires, et descendons la Grand'Rue, qui conserve encore,
. malgré de déplorables « restaurations» une maison prében­
dale à échauguette d'angle et quelques vieux logis aux
riches lucarnes.
Voici l'église de Notre·Dame-de~Creisquer et son clocher
incomparable dont l'aérienne silhouette va s'obstiner à nous
suivre, dressée sur l'horizon, jusqu'aux portes de Morlaix,
telle que la saluaient autrefois, du faîte lointain des bleuâtres

montagnes d'Arrée, les pèlerins arrivant de Cornouaille et
découvrant tout à coup les fertiles plaines du Léon, bordées
par la mer imme- nse. Nous suivons à gauche la rue Verderel
ou des Avocats, nous passons entre les deux piliers qui
signalent l'emplacement · de l'ancienne arcade crénelée de
saint Guillaume, par laquelle les évêql,les faisaient- leur
joyeuse entrée dans la ville, nous longeons le mur du
cimetière, (1) dans lequel la tour et la façade mornes et
plates de la chapelle Saint-Pierre dissimulent un joli édifice

du XVe siècle, aux originales fenestrations, et nous nous
trouvons sur la route de Morlaix, largement ouverte
devant nous. .

Au sortir du faubourg, on rencontre le hameau de la
Madeleine, qui, dans l'origine, était habité par des cordiers
ou kako1tz. Passant pour lépreux de père en fils, comme

0) A l'angle ' du cimetière, au bord de la route, se trouvait la chapelle
'de Sainte-Catherine, dépendant de la terre de Kermorus, paroisse du
Minihy. En 1698, elle était « toute délabrée et assolée l!. (V. Union des S~I'IS
l'icar(ats du Minihy de Léon. Bulletin de la Commission diocésaine, 1002,
p. Ho-IÙ). ,. .

a..-' 250 _ .

~escendà.nt des juifs dispersés après la.prise de Jérusalem,
lescor.diers ne pouvaient assister aux messes de la cathédrale,
où ils pénétraient par une po'rte spéciale" que parqués sous
les cordes de& cloches (1). -Il Y a eu à la Madeleine une
'chapelle depuis longtemps disparue.
Nous croisons au carrefonr de Prat-Hir un chemin qui.
oblique à gauche pour atteindre la Penzé au Bac de la Corde
et se prolonger par Henvic et l'aulé dans la direction de
Morlaix. Ici, une question se pose. Des deux routes, laquelle

est la plus ancienne, et, partant, celle du T?'o-Breiz? LeH
archéologues qui ont étudié le réseau des voies romaines en
Basse-Bretagne indiquent à peu près tous une route relia nt
Morlaix à 'Saint-Pol par 'l'aulé et la Corde. Ce trajet est eù
effet u'n peu plus direct qué le parcours par Penzé, mai:;
cette unique raison ne me paraît point suffisante. ,A-t-Oll
relevé des vestiges de pavage romain sur la route en
question? J'en doute : D'autre part, l'existence d'un gué li
la Corde, presqu'à l'embouchure de la rivière de Penzé, en
un endroit où le courant est très violent et l'effort des marée,
considérable, me semble problématique.
Un argument encore meilleur m'est fourni par le procès­
verbal de CI la Description ët confrontation des bornes de la
ville de Morlaix» (2) dressé en 1455. Dans cette pièce, les
commissaires du duc Pierre II, qui énumèrent minutieuse­
ment tous les grands et vieux chemins rencontrés par eux

au cours de leurs opérations, ne mentionnent, sur la limite
Nord-Ouest dè la ville, c'est-à-dire vers Saint-Pol, que
Cl le grand chemin qui va de Morlaix à Pensez ,) _ Ce chemin
existe encore; c'est celui par lequel nous parviendrons à

Morlaix_ Les noms de la Croix des Ladres, du manoir du
Roudour et de l'hôtel de Kerjourdl'en en repèrent le point

(1) Monographie 'de la Cathédrale de Léon, par P. de Courcy, p. 3.
(2) Cité dans ,l'Histoire de la ,'me et Communauté de Morlaix,
Lejean (1845), p , 47 et suivantes. .

par G.

d'arrivée avec toute la précision désirable. Or, depUIS cà
point jusqu'au 0: port et hAvpe de Morlaix », aucune autre ·
roule émergeant des futaies, profondes de 'Cuburien, qui
venaient toucher le faubourg de la Villeneuve, n'est signalée
par les commissaires enqu~teurs~ .
Que 'faut-il en ,conclure? Que la route par le village de
Penzé était la seule véritablement fréquentée, la seule qui
méritât le titre de Cl grand chemin »,et que si quelque sente

traversait la forêt de Cuburien pour desservir le château
démantelé qu'Alain de Hohan allait donner. peu d'années

après, aux Cordeliers de l'Ile-Verte, et pour aboutir par
surcroit à 'l'aulé, à Henvic et à la Corde, on ne peut la
considérer comme étant le passage habituel des pèlerins du
T1;o~Breiz,qui préféraient assurément suivre une grande route
commode et bien tracée, fût-elle plus longue d'un ou deux
kilomètres. J'estime donc ne point m'égarer en poursuivant

mon chemin par Pontéon et Penzé, quitte à décrire briève-
ment plus loin l'hypothétique voie romaine de la Corde,

A cinq kilomètres environ de Saint-Pol, nous trouvons

un lieu dit le Alouster, sur les limites de la commune de
Plouénan. Ce nom significatif n'est porté aujourd'hui que
par deux ou trois fermes de construction moderne, el la
tradition locale n'en indique point l'origine, mais il doit être
très ancien, puisqu'il fut celui d'une vieille famille à laquelle

appartenaient Guillaume an Mouster,mort avant la Réforma-
tion de 1427, Yvon an Mouster. entre les nobles de Ploëme·
nan (plouénan) à la Réformation de 1445, et Hervé
Le Mouster, archer à la Montre de 1503, de la même
paroisse. Peut-être Le Mouster a-t-il été primitivement une
,dépendance des chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean-de-
Jérusalem, qui possédaient eil Plouénan un cerlain nombre

... . ' - 252

de villages et de tenues (1) et pouvaient y avoir fondé des
aumôneries pour héberger .et secourir les pauvres qu'ils
appelaient leurs seigneu7'S.

Un peu plus loin nous franchissons la voie Cerrée en face

de l'entrée de la belle avenue de Kerlaudy, qui dresse sa .

bruissante muraille de verdure depuis la route jusqu'à
l'ancien château des marquis de Dresnay, go.uve·rneurs de
Saint-Pol et du Minihy, enfoui dans . ses grands bois au
bord de la Penzé; puis nous quittons le plateau pour
descendre une longue pente, au bas de laquelle est le vieux -
moulin de Kerbic, situé ::tu food d'une petite 'anse vaseuse
où se jette un ruisseau .
. Le manoir de Kerbic s'élève de l'autre côté, assis à mi-

pente d'un riant vallon; c'est un édifice du X V· siècle,

contemporain par conséquent de la dernière période du .

. T'ro-B-reiz, el qui a probablement servi d'asile momentané
à des pèlerins malades, nécessiteux ou apparentés aux
maîtres du logis. Sa façade, en pierres de taille, est percée
d'une jolie porte gothique aux fines moulures rondes, que
surmontait l'écusson de la famille Auffroy : losangé d'm'gent
et de' sable, àla fasce de gueules brochant. Deux grandes
fenêtres, coupées par un meneau en croix, éclairent la salle
du . rez-de-chaussée, où se voit une vaste cheminée de
pierre; naguère. on accédait à l'étage par un escalier tour­
nant contenu dans une sorte de pavillon carré que flanquait
une petite tourelle à cul-de-lampe, mais cette avallcée vient
d'être démolie. Les autres fenêtrès sont aussi garnie~ de
meneaux. et toutes les ouvertures des bâtiments de service
sont de forme gothique .
La famille Auffroy, issue d'ancienne chevalerie, a produit
Derrien Auffroy, bailli de Morlaix en 1445, aïeul d'autre
Derrien Auffroy , seigneur de Kerbic, homme d'armes 0 son

(1) Chanoine. Guillotin de Corson, la CO/1l11lltmlerie tic . La Feuillée ct ses
. annexes: (Bulletin de l'Association Bretonne, 1896, t. XIV P ., 130-182) .

- 253

goustillEmret paige à la Montre' de 1503.

La branche ainée,
après avoir, au XVI" siècle, abandon~é le nom d'Anff~oy

pour adopter celni de Kerbic, et's'être alliée aux Goezbriand
et aux Kerc'hoent de Kergournadec'h, s'est éteinte _ en la
personne de Jean de Kerbic, seigneur dudit lieu, KElrdélant,
Ker'ouanec, mort vers 1600 sans laisser d'e~fants de son

mariage avec isabelle Le Borgne de Lesquiffiou.
A deux cents mètres au Sud existe encore un manoir de
la m~me' époque, Meashelou. L'édifice principal, à demi­
ruiné et transformé en établ~, offre un grànd portail ogival
bouché, orné d'un écusson où s'e déchiffrent les armoiries -
une ' fasce accompagnée de trois moÙttes 0 de (;uillaume

KermeJlec, sieur de Meashelou, archer à la Montre de 1503. ,
L'aile de droite a des portes gothiques aux jambages mou-
o 0 0
lurés, des fenêtres à meneaux et d'étroites ouvertures en

meurtrières. Dans un recoin obscur du' rez-de-~haussée,

derrière un rempart de VÎf3ux bahuts' et de lits-clos disio-

qllés, on montre une voùte pratiquée dans l'épaisseur de la
muraille; il s"y trouvait jadis, paraît-il, un autel de marbre

a vec deux statues, et un prêtre caché dans le manoir pendan t .'
o 0 0
la Terreur aurait célébré la messe secrètem~nt sur cet. autel,

que depuis le propriétaire a eU la mauvaise inspiration , de'

vendre. Dans la cour est un puits à mal'gelle circulaire.
Louise Kermellec, dame de Meashelou, mariée vers 1520 à

Tanguy de Kcroulas, seigneur dudit lieu, fut la grand'mère
de Marie de Keroulas, Pennherez Keroulaz, l'héroïne d'une
des plus touchantes élégies du Barzaz-Breiz, qui vint sans

doute plus d'une fois à Meashelou visiter son oncle Laurent
de Keroulas. .

Au moulin de Kerbic se séparent l'ancienne et la nouvelle

route de Morlaix. Tandis que celle-ci s'éloigne en côtoyant
les contours du rivage de la Penzé, l'autre attaque de front

254 -

la colline et s'y hisse -d'une seule haleine pour atteindre le '

village de Pontéon. Malgré son état d'abandon et l'herbe
qui l'envahit par places, sa chaussée faite d'une mosaïque de

cailloux rougeâtres solidement enc~strés, a peu souffert
. jusqu'ici et garde encore l'ampleur qui sied à une vieille
route royale. -Entre deux hauts talus, elle traverse un
plateau solitair:e, puis dévale sur Pontéon, triste bourgade
d'un aspect d'autrefois, groupement de quelques maisons
grises et basses, aux toits coulurp.s de chaux ou jaunis de
mousses, près d'un vieux pont aux parapets ébréchés sous
lequel, selon les heures, ruisselle l'eau brillante d'une mince
rivièl'e ou remonte ,le flot trouble de la marée; sur la droite,
un ancien moulin seigneurial; deux ou trois fermes envahies
par le lierre, éparses sur les versants; plus haut, un manoir

dominant de son toit aigu, qui ém~rge d'un bouquet de
feuillagé, le petit estuaire formé pa'r lamer au débouché du
vallon. Tel est le site; il n'est ni beau ni gai, et cependant,
pour le rendre moins morose, pre~que souriant, il suffit
d'un soleil c_ ouchant, de septembre qui dore les vieilles
pierres, blondisse les coteaux dénudés à l'âpre profil, fasse

scintiller l'anse calme et flamboyer la voile rouge d'une
.gabarre qui s'avance pes'amment vers la berge caillouteuse.

J'ignore si l'on a identifié l'aumônerie de Ponte-terroe,
citée dans la charte de Conan IV en -faveur de l'ordre de
Saint-Jean, mais,au cas où la question n'ait pas encore été
abo,rdée et résolue, peut-être faudrait-il voir dans ce nom

une altération due au transcripteur et analogue à celle
qui a transformé Croisty en Quasgurg de la forme ancienne
du nom de Pontéon. (1) La chapelle du village était en effet
dédiée à saint Jean, comme presque tous les édifices reli­
gieux dépendant des Hospitaliers, et les divers convenant.s

(i) M. le chanoine Abgl'all volt, avec bien plus de vraisemblance, dans
le Ponte-terroe de la charle de BOO, le lieu de Pont-dOllar ou Pontouar, cn
Tregourez. ,

- 255

qu'au ' XYlI

siècle les commandeurs de la Feuillée

possédaient encore dans la pal'oisse de Plouénan pouvaient
être les dernier débris d'un " membre n plus important.
Ruinée dès avant la Révolution,.la chapelle de Saint-Jean­
de-Pontéon avait été rebâtie par M. Duvalaër du Ludes.
seigneur de Lanuzouarn, au moyen des pierres de l'oratoire

de ce château, mais cette construction a si bien disparu
elle-même que nul n'a pu m~en indiquer l'emplacement.
Tout près de Pontéon existait le prieuré de Notre-Dame­
de-Locpréden, appartenant à l'abbaye de Saint-Mathieu,
avec deux chapèlles, l'une prieurale, l'autre paroissiale,
celle-ci dédiée à saint Brandan, d'où est venu le nom de .
Loc-Brandan, Loc-Breden. Locpréden. EIlt:s ont été vendues
et démolies sous la Hévolution. Au-dessus du hameau, à

gauche de la route de Plouénan, on voit une énorme butte
de terre, tumulus ou motte ' féodale, mesurant environ .
100 mètres de circonférence sur 6 de hauteur.

Dans la vallée, à l'extrême pointe d'une colline sous
laquelle se réunissent la rivière de Pontéon et le ruisseau
de Locpréden, se dressait jadis le château de Pennaneach,
seigneurie importante, « ancienne chevalerie et d'un grand
revenu'», dit la Réformation de 1427. Marguerite, dame de
Pennaneach, l'apporta en 1419 à la maison de Kermavan,
par son mariage avec Tanguy, sire de Kermavan, capitaine
de trente hommes d'armes d'ordonnance, que . cette alliance
rendit « presque seigneur universel de toute la paroisse. l)
Au X Vl[esiècle, les Rivoalen de Mesléan se qualifiaient
de barons de Penoaneach, et · transmirent ce fief aux
Penmarch, d'où il a passé aux Danycan et aux Duvalaër .

Quelques vieux bâtiments couvrent aujourd'hui l'emplace- .
ment encore visible de l'ancienne fOl·teresse. (1)

(1) C'est au manoir de Pennaneach que se tenait caché, eu i794, le
recteur de Plouénan, M. Le Gall, lorsqu'il fut arrété, dans la nuit du 7 .
au 8 septembre, sur la dénonciation d'un misérable sa .,.etier de Pontéon

256

Avant de poursuivre notre route, jetons un coup d'œil sur
le vieux manoir de Coatarcousquet, SUl' son double portail

enlierré et son pavillon flanqué d'une tourellè l'onde, puis
escaladons la rude montée du Cosquer, pierreuse et ravinée.
Nous sommes ici dans la {rérie de Tronabont ou plutôt de
1'1'e an daou bont (entre les deux ponts, celui de Pontéon et

et celui de Penzé). Rendus SUI' le plateau, nous croisons
bie,ntôt, à gauche, l'ancienne avenue ' du château de
Lanuzouarn, dont il ne subsiste plus que quelques pans de.
murs couverts de végétation, un colombier et une fontaine
(1). La fàmille de Lanuzouarn, connue depuis Hervé, u noble
sans débat» en 1427, s'est fondue au XVI· siècle dans
Rivoalen par le mariage, vers 1560, d'Isabelle, dame de
Lanuzouarn, Pontéon, Kerellon, fille ainée de Jacques,

seigneur dudit lieu, et de Marguerite de Brézal, avec Jérôme
Rivoalen, seigneur du Froutguen, Mesléan. On voit encore,
au pignon de la chapelle de Notre-Dame-de"-Kerellon, près
ùu bourg de Plouénan, les armoiries des Lanuzouarn
d'argent à l'éc1b d'azur en abyme, accompagnée de 6 annelets.
de gueules en orle écartelées avec celles des Rivoalen, des
Kergorlay et des Plœuc. (2). .

Un dernier ressaut de terrain, une brusque descente, et,
qui voulait gagner la prime acquise il ceux qui livraient des prêtres
réfractaires. A.vec M. Lé Gall furent saisis 111. Corrigou, aumonier dcs
Ursulines de Saint· Pol; et Anne Le Saint, ex·religieuse, belle·sœur de la .
fermière, qui se livra héroïquement en se déclarant seule responsable de
la présence des proscrits à Pennancach. Tous trois pérircnt sur l'échafaud,
il Quimper, le i6 septembre t794.
Serait·ce il la répugnante trahison du savetier, pour laquelle ils témoi­
gnèrent cependant leur horreur de la plus énergique manière, que les
habitants de PontéOIl doivent de voirjdans les dictons locaux, leur blason
illustré d'une épithète fort malsonnante?
(i) Dans 50n étude sur le Prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'Ile Tristan.
(Bulletin (905 p. 79·80). M. de la Rogerie émet l'hypothèse de l'existence à
Lanuzouarn d'un monastère (Iall) dédié à Saint·Tutuarn, auquel aurait
succédé une demeure · seigneuriale.
(2) Cet écusson indique l'alliance, en t645, de Jacques Rivoalen, cheva·
Iier,seigneur de Mezléan, Lanuzouarn, baron de Pennaneach, et de Louise·

par la vieille voie toute feutrée de gazon,. nous arrivons il
Penzé, Si Pontéon se meurt d'inanit.ion et d'ennui au bord
de son chemin délaissé, Penzé est en re\'anche plein de
p~ospérilé et de vie, Situé à la jonction de quatre ou cinq
'routes rayonnant SUI' tout le canton, à l'extrémité du long
estuaire qui forme devant le village un petit POI't de marée
assez animé où les gabarres viennent appOl'lel' du sable, des
engrais maritimes, des céréales, il constitue une agglomé­
ration plus considérable qùe Taulé, chef-lieu de la commune
dont il dépend, et, avec son pont à contrefOl'ts, ses quais, sa
. belle minoterie, ses hôtelleries blanches, ses bonnes vieilles
maisons, ses places où se tiennent des foires célèbres, laisse
au voyageur une très favorable impl'€ission. . -
C'était autrefois ulle châtellenie, démembrée de la vicomte

de Léon en faveur d'Alain, quatrième fils d'Herve de Léoll,
seigneur de Landerneau, Plougastel, Crozon, . vivant vers
1200, et qui passa aux Rohan par alliance eil 1363,' puis
aux Tournemine de Coëtmeur, aux Kergroadez, le Meneust
de Bréquigny et de Marant. Les patibulaires de la jlll'idic­
tion de Penzé s'élevaient dans le faubourg de la Villeneuve
pl'ès Morlaix, ainsi qu'un pilori aux armes des Rohan, en
face de la croix de Sainte-Catherin'e, dont le t'lit était semé
des mades hél'aldiques de cette illustre maison (1). '

Au centre du village existe, de temps immémol'ial, la

chapelle de Notre-Dame, « 'Sa structul'e, éCI'ivait le p,

Cyrille 'Le Pennec en 1647, fait remarquel' son antiquité;
c'est un ouvrage et un monument de la piété singulière' .
des seigneurs vicomtes de Léon 'n (2), Dep'uis la visite du
bon religieux, 'elle a été reconstruite, ct fOl'me un édifice
rectllngulaire daté de i 789 et percé de tl'ois fenêtres
Gabrielle de l'lœuc. tille dc Sébasticn dc Plœuc, m'"'quis de 'l'ymeUl' et
de Kergorlay, et de Marie de 'Uicux, . .
(l) Réformatioll du dOlllaille royal à Morlaix cl tall/l1eur f6ï8·1&70, Mss.
A, 10 des Archives dépa,'lcJ1lcnlalcs. . . .

(2) Vie de.'· Saillis d'Albert lA Gi'nnd, éd, dc r>HOl'CCC dc !\crtlancl.
Bul,LETIN I\RC.,~Ol" DU FlNISTÈHE, - TO~IE XXXiII (Mémoires) 17

258 -

. sur -chacune de ses façades Nord et Midi. Au-dessus du

portail se voit une console soutenue par un ange tenant
un écusson aux armoil'ies des bal'ons de Penhoët d'al' ,i
la fasce de gueules ,qui duit provenil' de l'ancienne cha­
pelle, de même qu'un bénitiel' à arcature gothique ol'llé
d'une figurine déployant une banderole qui ofTl'e ulle ins­
cription diflicilement déchiffrable.
Le petit retable à toul'elles du maitre-autel encadre UB
vieux tableau de l'Assomption, accompagné d'une Vierge ..
Mèrt; et d'un Saint Apôl!'e, SUI' un autre autel, à gauche,
trône la statue vénérée de Notre-Dame-de-Penzé, Viprge . .
Mère d'aHUI'e gothique, assise, et vêlue d'une robe en
papier d'un goùt très ·douteux. Un peu au Nord de la.
chapelle coule la fontaine consacrée. Quant au château de .
Penzé, je n'ai pu en retrouver aucune trace Ull hameau
situé à l'Ouest, sur une colline, se nomrpe al' Moudenno'U

(les Mottes) (t).

L'ancienne et la nouvelle l'OU te, un instant réunies pour

travel'ser le village, se séparent à sa sortie, Celle-ci remonte
en pente douce le versant Est du charmant vallon de Ker­
mOl'van i l'aul.re, que nous continuons à suivre, gravit la

côte l'aide, mais courte, de Locmiquel. " On croit., éCI'ivait
cn · 1838 M. Gouin dans son Histoire de bJorlaix, qu'il y a

eu des Templiers à Locmiquel-Penzé Il. En tous cas,la chétive
. ferme pOl'tant actuellement c-e nom qui semble l'appeler

l'existence d'une chapelle dédiée à saint Michel, . n'a l'ien
'conservé d'ancien, et la tradition locale est muette sur le

compte des MoineS Rouges., M. le chanoine Guillotin de

Corson nous apprend pourtant que les commandeul's de
la Feuillée avaient d~s terres dans la paroisse de Taulé,
mais il a négligé d'en indiquer les noms,

(1) On conserve aul\[usée de Morlaix unc cler gallo-romaine en euh're,
d'assez granrles dimcnsions, decoll"crle «)n i825 rlans UQ pallç (l'argile
l'l'ès de Peqzé, . .

259

Arrivé sur la hauteur, à 73 mètres d'alLitude, le chemin
se diris-e franchement sur Morlaix. Il est très large, défoncé
par endroits, peu fl'équenté; cà et là, à tl'avers un solide
empierrage de petits cailloux bruns et luisants, pel'cent des

pierres schisteuses arrondies ou taillées en pavés, A droite,
on aperçoit la vieille tour féodale de Penhoët surgissant un
instant au milieu d'nn amphithéâtre de collines boisées. '
La voie romaine de MOl'\aix à P\ougnerneau passe à ses
pieds pour aller couper ,la route de Guiclan à Saint-Pol

au carrefour du Menguen, signalé par une croix à pel'.son-
nages de 1564 , timbrée d'un écusson aux armes alliées
d'Yves de Boiséon, seigneur de Kerouzél'é, et de sa femme
Isabelle de la Boissière, héritière du manoir de Kennorvan

dont nous voyons ,sur le penchant de la vallée les ('estes
convertis en ferme.
A deux kilomètres de Penzé, nous rejoignons la nOllvelle
route pour lui fausl>er aussitôt compagnie. Près du carrefour

sont une fontaine et une croix relevée en 1889 à l'emplace·
ment d'une autre a'ncienne. A quelque di'stance,on fl'anchit
un petit ruisseau, non loin du manoir du Vieux-Chastel,

jadis l'une des terres les plus considérables de la paroisse

Qe Taulé. Elle appartenait au X Ve siècle à une bl'an·
che de la famille du Faou, fondue dans Kerourfll, et

passa plus tard aux du Buisson, L'habitation, pl'écédée .
de belles avenues oe hêtres et de chênes qui s'étendent
jusqu'au bourg de Taulé, est moderne, mais que.lques débris
des murailles de l'ancien chàteau se retrouvellt encore

all~dessus d'un étroit vallon.

Aprè~ avoir ' aUeint la cote 113 d'altitude et traversé la

. voie ' ferrée de Morlaix à Saint-Pol, on plonge droit dans

la profonde coulée du Donant. Du haut de celte descenlè

à la peu rassurante déclivité, qu'autrefois les diligences n~

260

devaient aborder qu'avec circonspection, la vue s'étend sur
un vaste cirque aride et fauve, cerné de mamelons rocheux
aux crêtes découpées, où)a vieille roule déroule son ruban.
grisâtre. La mosaïque de petits cailloux bruns, entl'emêlé€:

de pavés et de galets de mer', apparaît enCOle dans ce
raidillon, au bas duquel, près du l'Uisseau, un if séculaire

et une croix de granit élancée signalent l'emplacement dl)
la chapelle de la Madeleine, annexée au pI'ieuré de Sainl··
Martin-de-Morlaix par Gallon, évêque de Léon, en 1128 (1),
C~ n'était plus, avant sa démolit.ion, effectuée il y a une
douzaine d'années, qu'un humble édifice sans style ni date"

fermé au culte, et hanté, disait-on , par des gens suspecl~L
. Ses vestiges se reconnaissent SUl' un petit tertre gallonné
que domine une cI'oix haute de quatre mètres, taillée dans .
un seul bloc et plantée sur un dé gothique aux tI'ois quarts
enfoui, L'if ombrage de son feuillage funèbre l'ancienne

, fontaine, remplie d'une eau ferrugineuse et croupissant,~,'
jadis renommée pal' ses p,'opriétés curatives, mais üÙ
personne ne puise' plus. D'autres sources s'écoulent dans
le chemin même, le couvl'ant sur une cel'taine largeur
d'un dépôt aux teintes rouillées et sanglantes (2).
Au carrefour de la Madeleine, la voie romaine .de Ml)rlaix
à Plouguel'Ueall se détache de celle de l\1oI'laixà Saint-PoI:
On la voit gravissant la colline du Pradigou, qu'elle Cl'eUSe

d'un large sillon tout embroussaillé, Elle rejoint au sommet

la route de Plouvorn, la quitte avant le château de Penhoët, .
s'y réunit encore à la chapelle de · Si:lint-Vizias, coupe le
Bal-i-Kastel, et, par le bourg de Plouvol'll, b camp retranehé
de Kerscao, Saint-Laurent et les TOUl'ellou, se dirige ve.'s
Lesneven ,

(i) Charte de fondation du prieuré de Saint·Marti .. , citée pal' G, Lcj.:an,
His/oire de Morlaix. . .

(2) La liste des Mines de Bretagne d,'cssée:lu X V~I' siècle pal' le ù"ron
de Beausoleil. (BulleUn i903, p. 8i-80) signale Ct entre Saint·Martin et
'l'aulé, allant à Pensé, une mine de plomb qui a S[l fOlltaine minérale
près de la chapelle (le la Madeleine Il.

. Albert Le Grand rapporte qu'en 1374, le duc Jean IV,

après s'être emparé de Saint-Pol, marchait sur Morlaix,

qu'il . avait juré de châtier. cruellement de sa révolte, lors-
qu'il rencontra, à la vallée du Donant, une grande foule
suppliante de Morlaisiens, bourgeois et hommes du peuple,
venus au devant de lui en criant: « Miséricorde ! Vive
Bretagne! D. Ce spectacle attendrit quelque peu le duc, et
sa vengeance se borna au supplice des cinquante principaux
auteurs de la sédition. La Madeleine est sans doute le lieu
où se passa cette scène. Situé dans un bas-fond désert,
entouré de bois et de taillis impénétrables, l'endl'oit avait
. jadis une tI'ès mauvaise réputation, ~ui n.'a pas absolument
dispal'u, Des malandrins· y guettaient les paysans attal'dés
aux foi l'es et aux marchés du pays, et les dévalisaient en
conscience, après les avoil' moulus de coups de triques.
Peut-êll'e les pèlerins du T'/'O-lJreiz ont-ils eu eux-mêmes
maille . il partir avec les détI'ousseurs qui, de tout temps,
tenaient à la Madeleine leurs « assises génél'ales», ceux
du moins ql!e la prudence n'incitait point à se grouper en
bandes de force assez respectable pour intimider les plus
effrontés coquins.
La route s'élève ensuite vers les hauteurs de Saint-Mal'-

tin, en escaladant près du manoir de la Garenne, une
abrupte montée; sur la pente, labourée par les eaux plu­
viales, émergent plusieurs pavés at'rondis, ou équarris
grossièrement. On contourne un piton schistoqx dressé au
point cnlminant d'une vaste lande, puis par le Carpont et
Kerjoul'dl'en , on parvient au hameau dit la Barrièro do
BI'ost. au croisement ùes anciennes routes de Saint-Pol

. et de Brest, Il s'y trouvait autrefois une maladrerie, dont
. la chapelle était dédiée à saïnte Marguerite (1), et la croix

(1) En 1653, il Y ,wail cnco,'C des lépreux à Saint-Marli~. Le 2 novembrc
Hi53 mcurt Calhc,'inc Huz. léprcusc. " cujus corpus dO/llo 5'W COllSlIllIplullI
csl » (Hcg. par dc Saint-Martin). Jusqu'à la Révolution, on faisait tous

dressée au carrefour se nommait Croix des Ladres. On en

voit encore le dé hexagonal encastré dans le talus . d'un
champ que la Réformation de 1455 appelle la Lande aux
~lalades.

Nous voici donc arri vés à l'entrée de Morlaix. De Sainte-

Marguerite, les pèlerins pouvaient saluer la belle flèche de
la collégiale du Mur, toute ajourée d'hermines et d'étoiles,
et, s'élançant, entre ses quatre sveltes clochetons, du fond .

de hi vallée. Mais, avant de pénétrer en ville, je dois, par
une sorte~ d'acquit de conscience, parler de la t:oute de
Saint-Pol à Morlaix qui passe à la Corde, Henvic et l'aulé,

et que les fidèles des Sept-Saints· ont pu fréquenter en
certaines circonstances. Cette route descendait à la rivière
de Penzé, qu'elle atteignait au village de Saint-Yves, dont
la chapelle est détruite. Un bac conduisait les voyageurs à
l'autre rive, où ils rencontraient, à peine débarqués, la
chapelle de Sainte-Marguerite. Réparé en 1878, ce petit
édifice a consel'vé sa fenêtre du chevet, garnie d'une rosace

en quatrefeuille. et ses deux ba, ics latérales trilobées;

il abrite une statue de la sainte patronne, agenouillée sur
un épouvantable dr.agon, et une Vierge-Mère. Plus haut,
dans un joli site frais et boisé, on trouve le vieux manoir de
Coatalec, à la pOl'te surmontée d'un écusson fruste et d'une
barbal'e statue de granit qui semble celle d'un saint évêque,

sa crosse à la main; puis, au prochain carrefour, les débris
d'une croix Renaissance,
L'église de ' Henvic vient d'être reconstl'uite, mais on a
gardé le vieux clocher et la partie inférieure de l'ancienne
qui, peuplée de trois ou quatre bons vieux saints, sert de
lcs ans, le 5(cond jour des Rogations, une procession solennelle il la
Croix des Ladres, ct on y chanLaiL un I,ibera pour le repos de l'âme des
lépreux inhumés auLour d'ellc (V. Ogée, éd. lIIarLeville,' 'art, ' Morlaix,
page 76), . '

263 .

chapelle de catéchisme. La base de 'la tour remonte au X Va
siècle, avec sO,n avancée à pignon gothique reposant

sur trois arcades et abritant un porche sous lequel gît tris-
tement la grande cloche, tombée et fendue lorsqu'on la des­
cendit. L'aspect rustique et vétuste de ce clocher, aux
murailles .plaquées de lichens et de mousse, a iait le ravis­
sement de maints artistes. Dans le cimetière est un petit autel
orné d'un bas-relief de kersanton, figurant avec quatre ou
cinq personnages aux draperies gothiques et fort mutilés,
la Mise au Tombeau; une pierre funéraire chargée des
armoil,ies des Crémeur, sieurs de Quistillic, en Henvic­
t'/'ois quintefeuilles et une étoile en abyme, provenant d'un
enfeu, forme le marche-pied de cet autel. Plusieurs statuettes
brisées, parmi lesquelles un saint Jean en tuffeau, gisent çà
et là, entre les tombes. Les statues des anciens patrons,
saint Maudez et sa sœur saillte JuveUe, surmontent aujoUl'­
d'hui un des autels de la nouvelle église, mais les panneaux
curieusement sculptés qui les accompagnaient n'ont pas été
rétablis. .

Les quatre kilomètres de route que l'on parcourt de Hen­
vic à 'faulé n'offrenfrien d'intéressant, si ce n'est le manoir

de Guernisac, édiflce du XVIe siècle à demi-ruiné. Le

bourg de 'l'aulé possède une vaste et monumentale église
récemment achevée, qui a remplacé avantageusement une
lamentable bâtisse de 1824, dont la seule pal,tie ancienne, le
clocher, est conservée. Trapu et COurtaud, mais d'une cons­
truction soignée, ce clocher est. épaulé de triples contl'eTorts
se compénétrant et s'étayant lllUtnellement, au pied desquels
existent deux petits ossuaires. De la plate· forme, que borde
une balustrade en quatrefeuilles, se dégage la chambre des
doches, sommée d'une flèche dentelée, Sous le portail, on
voit une dalle aux armoi1'Îes des ' Boutouiller, sieurs de
Keromnès dans la trêve de Carantec, paroisse de 'l'aulé, -
un losangé avec une C01tpe en abyme ,et la statuette du

264 -

patron, saint Pierre tenant sa clef, décore les vantaux de la'
vieille porte. .

, Le chemin devait ensuite passer au hameau de Bentguc1'
(la r9ute de la ville)', franchir le vallon du Donant au
ino'u~in de Bigodou, au-dessous du manoir du même nom,

r~joindl'e la chapelle de Saint-Germain, petit oratoire où
l'on trouve un saint Germain mîtré, crossé et bénissant,
une Vierge-Mère, un,saint François montrant ses stigmates
et un saint évêque de facture gothiq~e, puis traverser en son
milieu, entre Rozal'c'hoat et Troc'hoat, la forêt de Cuburien .
et déboucher aux environs de la chapelle de Sainte-Cathe­
rine de la Villeneuv{:, existant en 1518, aujourd'hui anéantie .

Revenons à nos pèlerins, qu'après avoir suivi 'sur cette

route de Penzé que je persiste à considérer comme leur iti-
néraire habituel, nous devons escorter dans leur visite rapide
des édifices religieux de la bonne ville de Morlaix, si bien .
partagée sous ce rapport, grâce à la munificence des vicom­
tes de Léon et -des ducs de Bretagne. De la maladrerie de
Sainte-Marguerite, ils descendaient par Kergavarec et le.-

manoir du Porzmeur jusqu'à l'église de Saint-Martin-des-·

Champs, prieuré de l'abbaye de Marmoutiers fondé en 1121::
par Hervé II, vicomte de Léon et seigneur de Penzé, fief
dont dépendit jusqu'à la Révolution la paroisse de Saint ..
Martin. La rue en pente de Bourret les conduisait à la porte
fortifiée de ce nom, qui protégeait à l'Est l'entrée de la ville·
close. Ils traversaient le pont de bois jeté sur le Queffieut,
sans avoir, j'imagine, à payer le' péage dû au seigneur de
Gaspern, s'extasiaient sur la place du pavé devant le; 3
étonnantes statues pieuses ou grotesques garnissant de haut
en bas les étages sUl'plomhants des riches logis de gentils­
hommes et d'opulents bourgeois. Nul d'entre eux ne man­
quait d'aller vénél'er la célèbre VieJ'ge du Mur dans sa

splendide église fondée en 1275 par le duc Jean JI,. conirs
les remparts de son château et si malheureusement détl'uile,
Plus loin, à l'extrémité de la cohue, ils voyaient la cha~
pelle de Saint-Jacques, la plus vieille de . ' Morlaix, bâtie,
disait-on, par Drennalus, disciple de Joseph d'AI'imathie,
apôtre de la région vers l'an 72 et premier évêque de la

fabuleu!)e Lexobie, admil'aient le beau groupe de Saint-Yves
enlre le riche et le pauvre, placé au·dessus du portail, et les
deux statues colossales de saint Jacques et de saint Chl'islo-

phe. La pOl'te voisine de Saint-Yves leur donnait accès au fau-
bom'g, et à l'église de Saint-Mathieu, prieuré de l'abbaye de
Sainl-Mathicu-Fin-de-Terre au XIIe siècle, En passant le
1arlot au pont Pouliet, ils parvenaient à l'église du cou-
, vent des Dominicains, établi en 1237 par le duc Pierre Mau­
clerc et sa femme Alix dans leur manoir du faubourg Viniec,
près d'une chapelle de Saint-Jean,
L'église de Saint-Melaine, autre prieuré fondé avant 1110
par Guyomarc'h III d~ Léon, époux de Nobilis, en faveur
de l'abbaye de Saint-Melaine de Rennes, terminait cette
tournée de dévotion après laquelle nos voyageurs, ayant
acûompli et au-delà l'étape de trois lieues et demie je Breta­
gne, indiquée par 1\1. Trévédy (1) comme élant la traite
journalière du T1'o-Bl'eiz, pouvaient se mettre en quête d'un
gtte hôtelleries pour les gens aisés, hôpitaux (2) et
monastères pour les pauvres qui, en}e,ur procurant abri,

nourriture et repos, les mettrait en état d'arpentel' le lende-
, main les mezou du 'l'regor' aussi gaillardement qu:ils

(1) l"e pélerinage des Sept-Saints de Bretagne (Bulletin 1896, P: 203.231,),
Cette lieue était de 5 kilomètres.
(2) La charte du duc Pierre l\Iauclerc pour les chevaliers du Temple
(1217) mentionne les" lIo'pites in Monlere/eis n parmi les biens qu'il Ut
rendre à cet ordre. (J). Morice, Preuves, l, 836). " Les établissements pOUl',
le soulagement des pauvres, malades ou infirmes, pélerins 0\1 vO\'agcllrs,
nim:i que des léprcux. paraissaient dat.er d'une haute ancienneté à MOI"

laix » (Ogée, art. lIIorlaix, Ilotes de M. de llIois), mais tous les litres 'Ullé·
l'ieurs au XVI' sièCle semblent avoir disparu lors dc l'illcalldie de l'Hùtcl­
Dicu cn i 73\.

" l) li

venaient ùe parcourir les montagnes de Cornouaille et-le's

vallees du Léon .

De Morlaix à Tréguier, M. TréTédy ol1re le choix enh'e
deux voies: celle qui passe à Plestin, Saint-Michel-en­
Grève et Lannion, et celle qui va de Morlaix vers Guin­
gamp, jusque auprès de Plounévez-Moëdec, où elle croise la
voie romaine de Carhaix à Lannion. Il opte pour la dernièl'e
route, sur laquelle on rencontrait l"aum6nerie de Kerama­ nac'h, desservie par les chevaliers Hospitaliers de l'établi!l­
sement de Plouaret, puis, dans cette paroisse, une chapeHe
des Sept-Saints. Cet hôpital, cet oratoire au vocable signi­
ficatif seraient en effet, sur un chemin moins dé~ourné, de
très concluant!? indices, mais je crois que les pèlerins, au
lieu de fairele grand et inutile crochet de Plounévez-Moë­ dec, qui ent allongé 'leur course de plus de douze kilomètres,
devaient tout bonnement prendre la direction de Saint­
Michel-en-Grève, par une autre voie romaine excessivement .

rectiligne et directe, plus courte ,que la précédente (environ

54 kilomètres contre 66) et qui a gardé, dans ses tronçons
les plus abandonnés, un caractère et une ampleur rappelant
bien son antique importance .

Le légendaire Drennalus s'est rendu par cette route de
Morlaix à sa cité de Lexohie. Avant de se mettre en marche,
il érigea (( à l'une' des avenues de la ville » la fameuse
Croix de la Lanterne, au fût cl'eusé d'llne niche dans
laquelle, sous une image de Notre-Dame, brûla pendant
neuf siècles une petite lampe. Cette croix, plantée au carl'e­ four de la rue des Fontaines et de la rU'e au Fil, jalonnait,

, comme une espèce de borne sacrée, le chemin du Tro-Bre iz,
et indiquait aux -pèlerins la direction à suivre. Ceux·,ci

escaladaient la montueuse rue des Fontaines, où exista un
hôpital jusqu'au XVI" siècle, rencontraient la charmante

chapelle ogivale de Notre-Dame-des-F(;mtain.es, et puisaient
au passage dans les deux sources limpides et abondantes.

sanctifiées par une statue miraculeuse de la Sainte Vierge,
qui s'épanchaient au chevet, sous la maîtresse-vitre toute
, ciselée en délicates rosaces, en trilobes et en quatrefeuilles.

Plus haut, ils voyaient la chapelle de Sainte-Marthe, dispa-

rue aujourd'hui, puis arrivaient à la Madeleine, ancienne
léproserie ou maladrerie dont les maisons de bois, épar-

pillées sur un plateau d'où le regard embrasse, au Sud,
la coulée du Jarlot jusqu'aux sauvages menez du Goa­
riva, en Plougonven, conservaient naguère leur physiono­
mie antique. Ses habitants exercent toujours la' profession
traditionnelle des ca qUeux, et, sur les vieilles routes délais­
sées. qui convergent aux, abords du village, on rencontre
partout ces ' installations de cordiers ,si bien décrites par
M. Anatole Le Braz, avec leur « attirail très primitif, la roue

criarde qu'un enfant fait mouvoir, les peignes de bois fixés
de distance en distance à de grossiers supports, l'homme
qui va et vient à reculons, toujours baltant le même sentier, ,
toujours simant le même air monotone, toujours étirant là

bourre de chanvre du 'même geste éternel" (1).
Au bout de la rue pavée du hameau ' était la chapelle de
la Madeleine, jadis un des bénéfices de l'archidiacre de Plou­
gastel, démolie en 1798. Dans la chapelle voisine du cime- ,
tière de Saint-Charles, on voit un bas-relief sur bois qui en
provient, et' qui figure la sainte méditant au pied d'un arbre.
Au-delà, le chemin a été confisqué sur quelque deux 'cents
mèt,res par une interminable corderie aux tuiles brunes
qu'il faut longer pal' un sentier frayé à la lisière d'un champ.
Nous le rattraponi? au carrefour de KEirjoaïc, marquant la
limite des paroisses de Saint-Melaine et de Ploujean (2), et

(1) Le Tro-Breiz, dans La Terre du Passé, p. 4.

(~) La Réformation de 1445 mentionne à ce carrefour « le grand ehemi4
de Morlaix à Lannion" celui-là même que nous suivons

près duquel se rencontre .le manoir de Coatcongal', vieill8
terre noble qui a appartenu à Marie Le Chevoil', dame de

Coëlelant, femme de La Fontenelle le Ligueur. Un peu plus

loin, on croise l'avenue de Kerozac'h, et l'on se trouve
désormais en rase campagne: sur l'immense lande presqu,a .
déserte ' de Langolvas, où la route, quelque peu étriquée
jusque-là, s'élargit à son aise et prend par endroits des
proportions inconnues à nos voies modernes. .
Pendant deux kilomètres, on marche à l'ombre de longues

rangées de héll'es et de pins, entre les haies touffues, sur
la vieille chaussée h6rbeuse et solitaire, coupée de dépres-

sions où s'amassent en hiver les eaux de pluie, et offrant
partout des traces de pavage, petites dalles de schiste ou
gros galets roulés. Près du manoir de Kermerc'hou ; qui

montre à droite, derrière les taillis; la toiture conique de sa
helle ,tour, elle mesure pas moins d'une vingtaine de mètres
de largeur, puis se rétrécit brusquement a,vant d'atteindre
le gué du ruisseau de Penanros (1). Sur la pente, coule au
tlOrd du chemin, dans un bassin forme de quatre pierres
de granit, une fontaine l'éputée aux alentours pour la bonté
et la fraicheur de son onde: que ne peuvent tarir les plus
grandes sécheresses; je me plais , à croire que les pèlerins'
du T7'o-1Jl'eiz y ont étanché hmr soif.
, , On passe le l'uisseau sur quelques pierres, puis on
l'emonte. par une étroite voie charretièt'e cl'eusée profoc­
dément enLre deux sortes ' de banquettes latérales encoll',­
b,'ées de ronces et d'ajoncs. Peu à peu, le niveau se rétablit,
et c'est par une vaste allée large de quinze mètres, labourée
d'ornières et de crevasses, que l'on parvient au carrefour .
de la route de Kergustou au PoulIe ch . ,Là se dresse une
croix à fût octogonal, montée sur un dé cubique et un

(1) Le chemin a élc quelque peu détourné en cet c,ndroit pour dessen' il'
une ou deux fermes, mais On distingue fOl't bien hl "Qie romaine conti­
llUllllt à tl'avel's une prairie qu'clic coupe en diugollale de Sa chaussée
aUl'éleyée d'en yiron un llictre.

269

piédestal composé de troü, marches: Après cette cl'oix, le

chemin se ressene de nouveau et devient une vraie ravine

verdoyante à la descente du ruisseau de Kertanguy, que

l'on fl'anchit SUI' une pittoresque chaussée de blocs de quartz
tachetés de mousses et l'evêtus de plantes aquatiques, dans
un gai petit valloli: Plus haut, on laisse à gauche la vieille
« maison forte "restaurée de Kervézec et sa chapelle de,
Notre-Dame-de-Lol'eùe, but de pèlerinage poùr les pal'Ois­
siens de G,al'Ian et des communes voisines, et l'on traverse
la route de Morlaix à Garlan à deux cents mètres de ce bourg,

dont l'église modeme, campée à soixante-dix mètres d'alti;'

tude, surveille de sa colline la spacieuse vallée du Dourdu.

Le dé à moulures gothiques d'une croix détruite existe
à droite du car,refoul', non loin duquel la ferme de Coz-Castel

a succédé il un ouvrage fortifié, actue1Jement effacé du sol.

.. Au cl'oisement de notre voie et d'un sentier qui vient du

village, nous trouvons un grand tertre circulaire de cinq
ou six mètres de hauteur, formé d'une terre meuble

mélangée de petits fragments schisteux, et entièrement '
tapissé d'ajoncs. Cett.e butté, que personne n'a encore
mentionnée, me ~emble-t-il, se rio~me Tossen a,. C'hdn. La

tradition d'après laquelle, elle aurait été surmontée d'une

tour pourrait la Caire considérer comme une motte féodale,

bien que sa positioil il mi-pente, en un lieü enca'issé et asse,.;

éloigné cle,la rivière" n'ait rien de' particulièrement bien
choisi. De l'étroite , terrasse qui termine ce monticule, on
domine le florissant paysage de la vallée, depuis les der-

, nièl:es assises dll plateau de LanI!leur, jusqu'aux escar-
pements boisés de llozcn an NOblanz que couronnent les

. vieux mm's et les vieux toits"du'châteaù du Bois de la Roclie.

- ToujoUl's aussi rectiligne, le chemin se coiltinue, coupant

tr:ansverflalement la coulée dn Dourtlude sa solide chaussée

' piel'l'eusè, qui résonne sous lès pieds, Ombragé de chênes '

270 -

et de frênes centenaires aux approches du ruisseau de
Leinquelvez, il a, en cet . endroit, presque la majesté et

l'aspect d'une avenue de manoir. Plu.s loin, .nous rencon-
trons un ancien moulin seigneurial, celui de Keroshant, à .
portes- gothiques, fenêtres garnies d'accolades, robuste
contrefort, canal d'écoulement voûté en ogive, et qui serait
ravissant si ses deux pignons n'avaient été hideusement
modernisés. Nous y traversons la rivière, et nous arrivons
bientôt au hameau de Ker.mouster, petite oasis de verdure
et d'eau courantè qu'on est heureux de trouver avant

d'aborder les landes brûlées et montueuses de Penanguel'.
. Le . nom de Kermouster est significatif. Il y avait là une .
chapelle dédiée à Saint-Mélar, et les moines bénédictins du
prieuré de Kernitron de Lanmeur, dont elle dépendait, entre-

tenaient peut-être en ce. lieu un hôpital pour héberger et

réconforter les pèlerins malades. La' chapelle, vendue pen-
dant la Révoliltion, est aujoUl'd'hui en ruines. Elle mesurait
huit mètres de long et avait une aile latérale, à droite. La
façade Nord, ___ dépourvue de fenêtres, . subsiste à peu pras
entière, mais tout 'Ie reste n'est plus qu'un monceau de .
décombres, . où l'on remarque .plusieurs pierrés de faille

~moulurées et des fragments d'arcades gothiques de portes
et de fenêtres, ainsi que la pierre de l'autel. Un peu à l'Est
existe la fontaine, à édicule voûté en ogive. A ù bord de la
route sont les ruines d'uu vieil édifice parmi lesquelles on
lisaÎt naguère la date de 1598.

Dans la ·ferme de Kermouste.· se conservent quatl'e statues
provenant de la chapelle: un Saint-Mélar en manteau royal,
. couronne en tête, tenant sa main droite coupée et ayant son
pied· gauche posé près de lui; un majestueux Saint-Joachim

à longue barbe et bonnet pointu; un saint A verlin (Sa. nt .
Eve1'zin) pressant à deux mâinssa tête douloureuse; un
saint Germain mutilé. La cloche, également conservée, '
offre les armoiries des Boi(lé' on un chevron açcompagné de

trois têtes de ltopm'd timbrées d'une couronne comtale, et
cette inscription entremêlée d'hermines et de fleurs de lys:
La p1'esante cloche a etté {a, ite p. la chapelle de St. Mélar
A. C. Al. 1634. '
Près de la chapelle existait' une maison noble. Jean

Guillou, sieur de Kermouster, Cait montre en 1481 entre les
nobles de Lanmeur, et la Héformation de 1543 attribue cette

terre aux enfants Hervé Launay. Elle appartint ensuite aux

Le Borgne, Coadallan et Salaun de la Roche (i). Quelques

linteaux' à doubles accolades, employés dans les construc-
tions de la ferme, rappellent seuls l'existe'nce de l'ancien
manoir. Au carrefour de la voie romaine et du chemin de

Lanmeur à Garlan, est une petite croix pr,imitive, taillée
dans une mince lame de schiste (2). . '
Nous gravissons une pente escarpée jusqu'au hameau,de
Pen-lIn-allé, où se séparent, à l'Ouest, l'imme'nse aveliue

du ëhàteau de ' Boiséon, longue d'un kilomètre, au Nord la
route de Lanmeur, et vers l'Est notre vieille chaussée. Là

encore est une petite croix pattée, plantée 'dans U!1 cube 4e
granit. On s'enfonce dans les mezou stériles ét dénudés de
Kerugou, et l'on parvient au beau tumulus de Tossen-ar-

Goniflet (le tertre des lapins) qui s'élève au point culminant

du platéau, sur le bo~d de la voie. Ce tertre a: été signalé

pour Id première fois en 1839, par M. l'abl5é Clech, vicaire

de ~,anmeur, puis r~cteur. de Plougasnou (3). Alors se voyait
encore, à quelque pas, dans le Parc-a1'-Run, - urie Ilutre

motte déjà à demi assolée par la culture, et qui depuis a

(1) MOllograp.hie de.la paroisse de Lanmeur. }lar M. de Bergevin (Bulletin
1903-1905),

(2) Au Nord-Ouest de Kermouster, sur la colHne de pennanf!!:h, on
remarque un tronçon de voie pavée très linge et parfaitement visible;
qui semble se diriger vers le eamp retranché de la Boissière (ar l1euzit),
prèS Rumare en Lanmeur, entouré de champs où les fragments de briques

ct de tuiles sont aussi,nombreux que les cailloux, Il existe, sur III route
dé Garlan à Lanmeur, dcux villages du nom de Beuz(! e~ 4e Jlq:;!lr~"
(3) Ecl!Q de ,'for/(lix, N' du ~ déççml!rç i8S9. ' '

272

totalement disparu. Tossen-a' l'-Goniflet mesure cent cinquante
mètres de circonférence sur six ou sept de hauteur. D'après

la tradition, il aurait été formé par les habitants de la
paroisse de Lanmeur, qu'un droit féodal dû aux seigneurs
de Boiséon obligeait à venir, une fois l'an chacun, y déverser
tine Cl criblée )) de terre, mais l'abbé Clech le considère

comme un monument funèbre, en raison de sa situation au

milieu de landes jonchées de pierres mégalithiques.
Des fouilles entreprises vers 1840 au sommet du monti­
cule ont donné des cendres, des charbons, des ' débris de

poteries et d'armes (1), qui sont probablement les vestiges
d'un poste d'observation que les Romains y avaient établi. .
pour surveiller la contrée. Il leur eût été difficile de mieux
choisir, car on découvre de ce point le plus magnifique ~e~:
horizons. Au Nord, les plaines de Lanmeur, la flèche de
Saint-Mélar, la tour romane de .Kernitron, hi ligne bleue

de la mer j à l'Est, la baie de Saint-Michel-el].-Grève j an ,
Sud et à l'Ouest, tout le Bas-Tréguier et une partie du
Léon, développant une infinie perspective de champs, d'l

bois, de vallées, de collines, du dôme nuageux de Méné-Bré
aux montagnes de Comanna. · « 0 la belle vue pour des
lapio ns ! » s'écrie l'abbé Clech après 'avoil" complaisamment
décrit ce grandiose paysage et énuméré la trentaine de
clochel's paroissiaux dont la contemplation est sans doute
le moindI:e souci des paisibles léporides qui ont criblé de .

leurs terriers la vieille motte funéraire.

Cinq cents mètres plus loin, nous croisons la, voie romair.e
de Carhaix à Lanmeur par Plouigneau, celle que suivit

Saint-Mélar 10l'sque, poul'suivi pal'. les assassins que SOIl-
doyait Rivod, il vint démander' asile et protection au château

, (t) Hi5toire de Morlaix, par G. Le Jean, p. 8.

2'13

de la Boissière, résidence de Conomor (544) (1). Au centre
du carrefour sont les restes d'une ancienne croix, dé de
granit à pans coupés et tronçon de fùt SUl' lequel on dis­
tingue les première lettres d'une inscription en caractères
gothiques qui s'enroulait jusqu'au croisillon. Sa base est
formée par deux énormes blocs de quartz' débris, ainsi que
cinq ou six autres blocs aussi considérables qui gisent aux
abords, de quelque monument mégalithique bouleversé,
commeTabbé Clech en a observé des centaines dans cette

région de Lanmeur. Isolé en un vrai désert, avec sa croix

ruinée, ses pierres mystérieuses, ses vi~ux chênes moussus,

le carrefour de G1'oas-To1:'/'et a quelque chose d'impres- ,
sionnant, et l'on conçoit que les paysans, le prétendant
Œ hanté », ne s'y hasardent point le soi_ r sans une certaine
répugnance.
Le carrefour, suivant, à la rencontre du chemin de Lan­
meur à Plouégat-Guerrand, est nommé: la Belle Croix
(C1'oaz-Kaer J. Mais de cl'oix, il ne reste pas traces, pas plus

q~e des quatre piliers patibulaires de la haute justice de

(t) CeLLe voie romaine, qu'on peut fort bien suivre sur la cal·te, quitte
Carhaix, passe par Plouné\'ézel, Sainl·Tudec en Poullaouen, coupe le
bois du Fréau, attcint le manoil' de Rospellem, se confond jusqu'à ,
Lanuéanou avec la route de Carnoët, passe à Keruscar, Kerlosser,
Guerlavrec, travers!' la ronte de Paris à l'Est de Plouigneau, longe le
camp romain de' Lescoat, francbit le Dourdu à Keryily et atteint Lanmeur
par RUllcBeop. Elle sc prolo~e au-delà de Lanmeur, borde Kcrouyat, la
chapelle ruinée de Saint-Fiaere, Trévézec, le Donant, le Croizic, débouche
à J'cn-ar-c'hra, ou se fait le feu au pardon de Saint-Jean-du·Doigt, traverse
le bourg de Saint·Jean, gravit la hauteur de Plougasnou ct doit aboutir
enfin au 'camp romain de Saint·Nicolas ou au caslrulII de Primol.
M. do Bergevin, à l'amabilité duquel je suis l'ede\'able de ces rensei·
gnemcnts, me dit que les habitants du pays considèrent ce chemin p:l\'é
comme ayant été ouvert sur l'ordre ct aux frais de la duchesse Anne
pour faciliter l'ncees de la chapelle de Saint·Jean·du-Doigt, mais une
délibération du corps politique de cette église, du 23 novembre 15'75,
prouverait « que les pavés d'entre Saint·Jean et Morlaix, d'enlr~ Lanmeur
el Sainl-Jean, les pavés en Plougallou aux endroits de Pontangler, du
Pontcoz, de Ponplencoat, Kerbabu, Kervcn, Kéraliou et autres, ont tous
été faits aux frais de la l'abrice Saint-Jean pour l'utilité des paroissiens
et eOlUmodité des pèlerins venant' il Saint-Jean Il. (Arch, de M, Raison
du Cleuziou), ' - - _
BULLETIN AI\CHBÛ'L, DU FINISTimE, - TOME XXXUl (Mémoires) 18

2704

Boiséon, qui se dressaient en cet endroit. Un kilomètre
plus loin, on atteint la nouvelle route de Morlaix à Lannion
au vieux manoir de Lescorre, Le double portail armorié qui

le précédait et lui donnait une petite allul'e seig'neuriale
, a été récemment démoli , et l'on a répal'é la maison, édifice
, du XVIe siècle à la porte ogivale et aux fenêtres barrées
de meneaux. ' Guillotte de Lescorre, dame du lieu, épousa

Guillaume de Kerguiniou, dont elle était veuve en 1481, et
Lescorre passa ensuite aux Kerl'iec et aux du 'l'révou. Une
branche cadette de cette famille s'est fondue au XVIIe
siècle dans Carion, par le ' mariage de Mal'ie de Lescorl'e,
fi Ile et héritière de Pierre de Lescone, sienr de Ke'rbourand

et de Glivéry, capitaine de Lanmeur en 1637 et de Jeanne
Le Borgne de Lesquimou, avec René Carion, sieul' de
RosangaveL '
Nous entrons dans les grandes landes du Cozmézou, où
la vieille route reprend son ampleur, labourant le sol jau­
nâtre de ses ol'nières d'esséchées ou le tapissant d' u.n mai,gre
.gazon roussi , hossué de grosses pierres. A droite, dans le
bas-fond, moutonnent les majestueuses futa:es du parc de
Guerrand, dont l'apparition évo'que la légende l'edoutable
du Ma?'kiz brunn, Dans une gal'cnne bordant le chemin s'é­
levaient les quatre poteaux de la justice seigneurialp- de

Guerrand . Ce château avait été constl'uit à l'emplacement
d'un établissement romain, poste fort.ifié ou villa, car on a
découvert, lors de sa démolition, dE's briques et des fl'ag­
ments de potel'ies remarquables (1), L'importante :;eigneurie

voisine de Coatcoazel' eut aussi pour siège primitif un camp
retranché encore visible, dit le Cimetiè1'e, dans lequel furent

trouvés « de'JX tombeaux curieux . (2)
On rejoint l'ancien chemin de Lannion, frayé en 1740 par
le duc d'Aiguillon: ÇJutre les deux hameaux de Kerforniou et

(1) G. ~cjeaD. His/pire dç Morlaix, p. 8,
(2) Ibidem,:

- 275-

de l'Hospital- PeU. Ce nom caractéristique désigne, d'après
Albert le Grand (1) u l'Hospital des faux bourgs anciens de
Lantdmeur », près duquel on montrait de son temps les
o sépulclues » de ceux qu'on croyait avoir été l~s évêques de
Kerfeuteun: Il avait été établi par les charitables moines du _
prieuré de Kernitron, qui possédaient à Lanmeur même un
autre hospice, et bâti à proximité de la route du 1'1'o-Breiz,

au-dessus du Pont-Minihy, pour recueillir et soigner les
voyageurs fatigués ou pauvres. La Réformation de 1427 men-

tionne u la métairie de Lospital de ladite paroesse (Lanmeur),).
Au XVI" siècle, lorsque l'abbaye de Saint~Jacut' tomba
en commende et que les moines quittèrent Lanmeur, l' Hospi­
tal-Pell (2) ne dut pas survivl'e longtemps à leui' départ.
Aujourd'hui, on n'y trouve plus qu'une ferme moderne, et
les tombeaux des fabuleux évêques de Kerfeuteun semblent
être totalement anéantis.

A Kerforniou', la voie se bifurque . L'un. des embranche­
ments se dirige au Nord vers Toul-an-Héry, p01't ducal de
Lanmeur au Moyen-Age, et vers Locquirec, ancien prieuré
de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, où des traces d'occu-

pation romaine. briques, ciment, monnaies des Ile et llI

siècles, ossements et armes ont été relevées en 1839 (3) .

L'autre se confond, sauf en quelques rampes; avec la vieille,
puis la nouvelle route de Lannion et de Tréguier. Il nous
conduit à Pontménou, hameau de Plouégat-Guerrand et très
antique localité qui, bien qu'appauvrie et désertée, garde
encore quelque orgueil de ses fastes évanouis. « Autrefois,
disent ses . habitants, il y avait trois villes dans le pays:

Lanmeur, Pontménou etle Ponlhou.» Ces trois « villes»

ont subi une commune déchéance, mais la plus éprouvée
(.) Vie des Saints de Bretagne. - Vie de saint Samson, P: 307, id. de 1659.
(2) Ce qualificatif de Pell (éloigné) lui venait de ce qu'il élait distant de
deux kilomètres de la ville.
(3) Echo de Morlai;!:. N' du 20 jujllcl {839 - Nqliçe de M. l'Abbé G\ech.

- 216 -,

paraît. être Pontménou, à laquelle la rectification du chemin
et la suppression de sa grande foire d'été, si famem;e que
les Trégorrois nommaient le Iijois de juillet: miz loar Pont­
ménou (1), ont porté un coup funeste,
En dépit de sa misère, ou plutôt à cause d'èlle, Pontmé­
. nou ne manque pas de ' pittoresque. Ses maisons grises,

délabrées, ses masures, ses pignons ruinés et voilé\s de
lierre s'étagent en désordre parmi les arbres, sur le ver­
sant Ouest de la verte et humide vallée du Douron. domi-

nant de leurs talus escarpés le large chemin taillé da.ns le
roc. Ce sont les restes du manoir, des six métairies nobles
et de la léproserie ou caquinerie dont les vieux titres nous
apprennent l'existence, Dans son testament daté de 1518,
l'armateur morlaisien Nicolas Coëtanlem lègue « ung: escu
porté » à ( Madamme saincte Margarete de Pontmenou », en
chargeant vraisemblablement de la commission le même

pèlerin qui devait accomplir le voyage du Tro-Hreiz en son
nom et à son profit. (2) La chapelle de Sainte-Marguerite,
fondée par les seigneurs de Guerrand et chargée extérieure­
ment et intérieurement de leurs armoiries, est détruitE'. On
a toutefois reconstruit, à l'extrémité de l'enclos transformé
en jardin où elle s'élevait, une petite chapelle moderne dans
laquelle se conservent trois des vieilles statues, les Rull'es

ayant été transportées dans l'église de Plouégat-(;1terI'and :
une sainte Marguerite agenouillée sur le dragon, un saint
Sébastien g:>lhique et un saint Alar ou Eloi bénissant. Le
bénitiel' est un fragment des meneaux flamboyants de l'an­
cien édifice; au-dessus de la porte se voit l'écusson des du
Parc de Locmaria, marquis de Guenand t1'ois jumelles. -
Derrière l'oratoire est la ·maison du chapelain, al' P1'esbital.
Un peu en aval de Pontménou commence l'estuaiI'e du
(1) Des paysans m'ont assuré que la voie payée de Morlaix anit été
frayée jadis dans l'unique but de permettre aux Morlaisicns l'accès de la
foire de Pon tmenou 1
(2) V, Bulletin XIII ({886), p. m-!!83. .

Douron. Pour protéger le village contre les incursions des ·
écumeurs anglais, deux forteresses se dressaient autrefois
sur les bords de la rivière et recevaient garnison en temps
d'hostilités. A gauche, dans la paroisse de Guimaëc, c'était
le château de 'l'réléver, assis sur un promontoire abrupt que
vient battre le flot; à droite, en la paroisse de Plestin,
c'était le Coz-Castel, retranchement cernant la crête d'une

. colline, près de la chapelle de Saint-Garan. Ce luxe de pré-
cautions témoigne de l'importance de Pontménou il y a quel-
ques siècles. .

Traversant la rivière en face du Moulin-au-Duc, nous
entrons sur le territoire de Plestin et dans le département
des Côtes-du-Nord. Nous trouvons à droite une ferme nom-

mée le Hentmeul' (1) (la grande route), puis nous rencon-
trons le village de l' H6pital. situé à quelques centaines de
mètres au Nord-Ou.est du bourg de Plestin. Ses maisons
basses et sombres, à l'apparenc~ ancienne, bordent un
placître pavé, formé par le chemin élargi, qui s'appelle Ta-

chen-an-Hospital, et l'on désigne un vieux logis flanqué d'un '
pavillon comme ayant été cet établissement La chapelle de
l'end[·oit. dont je n'ai pu savoir le vocable, a disparu .
. On ['ejoint enfin la route actuelle da Lannion, qui désor­
mais va se juxtaposer d'une façon presque continue à la
vieille voie romaine. Elle laisse à gauche le port de 'l'oul-

an-Héry, où l'on a trouvé de vastes substructions, enduits
polychromes, . fragments de poteries, qui semblent être .
les vestiges d'une villa gallo-romaine, puis la chapelle re-

construite et la fontaine de Saint-Effiam, que le prince d'Ry- .
hernie fit jaillir près de son futur ermitage, à peine débar­
qué en Armorique, pour désaltérer le roi Arthur, épuisé par
· sa lntte de trois jours contre le dragon. Elle contourne
· ' la /jeue de G · rèl)e en passant à Lan-Carré, où fut une autrè
chapelle, et au pied du formidable Roch-Rellas, sur lequel'

, , 218

vécut le barde Hiwal. Jadis, depuis ce rocher jusqu'au bourg

de Saint-Michel-en-Grève, le chemin coupait au plus eourt
à travers l'immense plaine de sable, et une croix encore
debout, dressée comme une vigilante sentinelle du côté de la
mer, indiquait, par sa seule présence, que le passage était
praticable. « La croix nous voit ", répétaient avec confiance
les pèlerins en s'aventurant sur la plage, 'sûrs de la franchir
sains et saufs tant que le signe de salut leur apparaîtrait ,
au-dessu' s des flots. Maintenant, on longe à toute heure la
Lieue-de-Grève sans se soucier de la marée monlante. non

plus que des « collecteurs de Saint-Michel Il association de
malfaiteurs qui, embusqués dans les rochers et les taillis,
guettaient les gens pour les détrousser et ne reculaient pas
devantle meurtre. La gwerze de trois v collecteurs D fan'lellx,
les frères Rannou, de Guimaëc, se chante toujours dans la
région et narre ainsi leur dernier exploit, fIs avaient arrêté '
un voyageur, et, après l'avoir dépouillé, l'un d'eux le ! iettait
brutalement à terre en dégainant son cOlltelas et en lui
criant: - CI. A genoux, ton chapeau à tes pieds, et penche
la tête au-dessus, que ton sang y coule! n, lorsque les
, cavaliers de la maréchaussée survinr'ent, appréhendèrent les
trois bandits et les conduisirent dans les prisuns de Morlaix,
d'où ils ne sortil'ent que pour être menés à la potence,

Le pays, de Lannion m'étant moins familier que les alen­
tours de ~Ol'laix, force m'eût été J'esquisser trop brièvement
les del'ni~res étapes de notre pèl,erinage, si je n'avais eu la
bonne fortune de trouver en M. Optat Martin, l'érudit
lannionnllis, le plus aimable et le mieux documenl, :é des
conducteurs, Achever notre exploration en sa compagnie
sera pour nous plaisir et profit, et nous devrons à sa parfaite

connaissance des lieux des indications précieuses. Près de

n 279

l'église de Saint-Michel-en-Grève, ancien prieuré de l'ah­
baye du ~ont-Saint-Michel à laquelle l'évêque de Tréguier,
Hugues, donna en 1086 le Mont Hirglas, ses dépendances et
la dîme de la paroisse de PlestiA (1), il nous signale des
substructions antiques, parmi lesquelles on a mis au jour

un grand nombre de monnaies romaines, dont.il possède un
spécimen, bronze à l'effigie de Vespasien-Auguste. Lorsque
le cimetière fut désaffecté, on y découvrit des urnes funéraires
et des traces de bains. A l'Est du bourg, sur la nouvelle
route de Ploumiliau, sOlit les vestiges d'un camp romain
formé de deux enceintes circulaires. (2)
. La vieille route pavée qui semble émerger des sables,
nous conduit, par une pente très raide, sur· les hauteurs de

Trédrez. Non loin de sa jonction avec le grand chemin se
dl'es!' e un beau menhir, dominant de ses cent-vingt-quatre
mètres d'altitude le panorama de la baie. Au-delà, au carre­
four des routes de Trédrez et de Ploumiliau, nous rencon­
trons le village de Saint-Jean-Brézéhant, ancien membI'c de
la 'commanderie de Plouaret. aux chevaliers de l'ordre de

Malte. La chapelle, mentionnée en 1727 (3), n'existe plus, mais
la statue ùu saint est conservée dans une des maisons du

hameau, et le JOUI:, du pardon, on l'exhibe aux fidèles contre
la baI'l~ière du champ où s'élevait son sanctuaire. Six ten.ues
dépendaient seulement en 1697 de l'établissement de Brézé­
haut (4), fondé par les Hospitaliers aux abords du croise­
ment des voies romaines de Morlaix à Lannion et de Carhaix
au Yeaudet, la Lexobie des légendaires, importante citadelle

ri) Abbé Tresvaux, l'Eglise de Bretagne, l. l, p. 352 .

(2) Gaultier du Mottay, Géograpltiedépartementale des Côtes-du-Nord, p. 6G3.
_ (3) En OGt, la chapelle de Saint·Jean-Brézéhan~ est dite se trouver SUl'
le terrain et dans le fier du Palaeret, et dépendre du' Commandeur,
auquel la fabrique payait une redevance annuelle de 31. JO s. Un compte
de ii58 s'élève, pour les recettes et rentes perçues de i756 à i75S, à la
somme de 300 1. i5 s. (Renseignements de M. Martin).
(1.) Abbé Guillotin de Corson. - La Commanderie de la Feuillée et ses
allllexes, p. i54 du Bulletin de l'Associatioll bretonne'i896,'

280

gallo-romaine qu'on croit être le ltl"annathias de la Notice

de l'EmpiTe et qui couvre de ses ruines, disséminées sur une
tl'entaine d'hectares, un énorme promontoire se dressant à
plus de cinquante mètres de hanteur au-dessus de l'embou-

chure du Léguer (1). .
Ensuite, nous trouvons pour la seconde fois, un lieu du
nom de Hentve1tT ou RentmeuT (la grande route); puis, à
un kilomètre de là, au bord du chemi"n, le hameau de Ke1'­
jea.n, qui était encore une appartenance des chevaliers de
Saint-Jean-de-Jérnsalem, relevant de leur commanderie
de Pontmelvez. Le membre de Kerjean, situé dans la
paroisse de Ploulech se composait du village de ce nom et
de quatorze tenues. A droite de la route subsiste encore la
chllpelle de Saint·Jean, dans le voisinage des fermes et
moulins du Mousler et de Pont-Ol, autres dépendances de
I~OI'dre (2). La chapelle du Mouster, qui était e!1 .!es der­
niers temps, paraît-il, sous le vocable du Sacré-Cœur, sert
aujourd'hui de eellier el de grange. Il y a là aussi une
motte seigneuriale.
Avant d'arriyer à Lannion, nous voyons la « Lande de
Justice J et ses quatre pierres, débris d'une potence patibu­
laire, puis la chapelle de Saint· Patrice, transfor'mée en
atelier ,de scierie, et, près d'elle, une hulte féodale dite
Tossen-Lamotha. Dans la belle, plaisante et jolli'3 petiUe
ville» (3) de Lannion, les Hospitaliers possédaient quelques
rentes et redevances, comme héritiers des chevaliers du
Temple auxquels le duc Pierre Mauclerc rendit les (( Hos-

pites in Lennion )), cilés dans la charte de 121'ï, et la
curieuse église de Brélévenez pourrait bien en effet, ainsi
que l'assure la tradit~on locale, avoir été édifiée par les
Templiers. (4). Les {lèlerins visitaient, outre cette église,

(1) De la Borderie. -Hisloire de BI'clagne, T. l, p. 123-124-t25.
(2) La Commane/aie de la Feuillée, ibid. p. 169.
(3) Le Fureleur Brelon, 1900, p. Il.4.
(4) La commanderie de la Feuillée. p. 169.

celies de Kermaria-an-1'raon, prieuré de l'abbaye de Saint­
Jacut, fondé en 1178, de Saint-J ean-du-Baly, chapelle du
château devenue par.bisse, et des Augustins, co'uvent établi
en 1364 par GelTroy de Kerimel et Adelice de Launay, sa
compagne.

Trois lieues et demie de Bretagne composaient l'étape
finale de cette partie du r-ro-Bl'ciz. Elle est jalonnée, sur la
route de Lannion à TI'éguiel', dont le parcoUl's n'a guère

varié depuis des siècles, par de vieilles bornes indiquant la
distance en toises, par la chapelle de Saint-Marc, en ruines,
la chapelle de la Villeblanche, dont le cimetière renferme une .
cl'oix appelée C1'oaz al' ûerct a1' Sauz (la _ croix du cimetière

des Anglais), le hameau de l'Hopital, (1) et la chapelle de
Saint-Julien-l'Hospitalier, également en ruines. Plus loin, la
chapelle de Locrist, le Pontlosquet, et l'église de Saint­
Michel menaient enfin les pieux voyageurs à l'antique Val­
Trécor, à la cité d.e saint Tugdual et de saint Yves, qui
_ depuis longtemps leur montrait dans la vallée sa belle

cathédrale surmontée de trois tours, si bien assise au

èonfluent du Jaudy et du Guindy, et sous les voûtes de
laquelle, prosternés devant les reliques de Sant Paûu ou
le monumental tombeau de l'Avocat des Pauvres, ils' allaient
bientôt demander et obt~nir de nouvelles bénédi~tions, y
t~OInpris la grâce d'achever sans encombre' leur tournée et
de pouvoir, une fois rentl'és sains et saufs au logis, narrer à
leurs proches le& merveilles du pèlerinage des Sept-Saints

de Bl'etagne,

LOUIS LE GUENNEC . .

(~) EII Hospez. Ce hameau était assez eonsidé,'aùle, cu,' II!. Martin me
dil qu'une pe,'sollnc du pays y a autrel'uis connu lI'clllC ménages. L'ullc
des maisons se nommait (Ir Study (l'Elude),

- 327

DEUXIÈ E PARTIE

Table des Mèmoi1'es et Docttments publiés en 1906
Pages
La Forêt sous-marine de LocLqdy, par M. Camille VAL-

IJAux(cal·le)........................................ 3
Excursion dans la commune de Plouézoch, par Louis
LE GUENNEC (4 gravures). . . . . . . . . ... . .. .. . . ... . . . . . 10

Les vases enfouis pùur maléfices dans le Cap-Sizun,
!)t-r' M. H. LE CARGUET .......... .................. 73
Huines et substructions gallo-romaines du Cavardy
et du Stanq, canton de Fouesnant, par M. le Dr
C.-A. PICQUENARD (2 planches).. . . . . . . . . . . . . . . . ... . . 78
Un beau geste des Volontaires du Finistère (épisode
de la prise de Furnes, 1793), pal' H. DE KERGUIF-
FJNAN":,, 11'UftIC ...... . ........ . ......... . ........ 91
Les Faucheurs de la mer en Léon (récolte du g·oëmon
au XVllle et au XIXe S.), par M. l'abbé A. FAVÉ .... 95
Trouvaille de hnches en bronze faite en Plouhinec en
1905, par M. P. DU CHA'l'ELLIER (planche hors texle).. . 146
Note SUl' le chàteau de Kergoet (eorrim une de Saint-
Hernin, canton de Carhaix), pal' M. J. TRÉVÉDY... 150
La vie municipnle il PonL-Croix (1790-1791), par M. J.-M.
PIL VEN. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ....... 157

Vestiges du vieux cluHeau. de Kel'gunus, en Trégunc
(canton de Concarneau), pltr M. le chanoine J.-M .

_ ABGl\AT..JL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . ................ . 181
L . 'O.cClJ.Pilltid!l' gallo-romaine dans le bassin de l'Odet,
. par M. Lè Dr C.-A. PICQUENARD (2 caries) .. .......... .

188
~ . Les arme: je jet il la bataille d'Hastings c1'après le texte
de Guillaume de Poitiers, par M. IL LE CAI:l.GUE1' ..
La fllmiJle> 'Lirql:!n du 'rimeur, par M. J. · TRÉVÉOY .... . .
218
222
Le chemin du Tro-Breiz, entre Saint-Pol-de-Léon et
Tréguier', par M. H. LE GUENNEC o 247
L'occupation romaine dans le bassin de l'Odet (sllite
et fin), par M. le Dr C.-A. PICQUENAHD ....... . . ... .