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Société Archéologique du Finistère - SAF 1906 tome 33 - Pages 3 à 9
LA FORÊT SOUS-MARINE
de Loctudy
Lorsque je présentai à la Société A-l'Clu!oloqiqw', Cil octo hre derniel'. une note SUI' le 'tronc d'arbre retiré des sables
de la baie de Doual'llenez ct déposé au l\'lusée de l'Evêché,
notl'e pl'ésident, M.' du Chatellier, voulut biel" appeler l'al
tentiGn de nos conFrèl'es et la mienne sur les débris forestiers
de la grève de Langoz, à Loctudy, qu'il lui semblait difficile
d'interpréter de la même manièl'e que ceux de Doucrnenez.
N'ayant pas vu le dépôt de Lango?, je n'avais pas d'opinion
SUl' lui" el je m'étais gardé de le citer. Mais la question sou-'
levée par notl'e pl'ésident m'e pal'ut mériter quelques· recher-
ches, dont j'expose 8ujoUl'd'hlii les l'ésultats li la Société,
Pour déterminer la nature et l'impol'tance du giselllent, je
me suis rendu à Loctudy le 27 décembi'e 1005, dans la 'mati-
née. La mal'ée, ce jour-là, était assez foi,te: la bas sc mer,
qui avait lieu à 10 h, 9' du matin à l'île Tuely, Ile devait lais
ser que 95 centimètres d'cau ali-dessus du zéro des cal'les.
Les circonstances étaiellt donc ravol'abl~s il l'obser\'ation,
malgl'é un fOlt coup de vent du S,-E qui maintint "étale de
basse mer un peu au-dessus du niveau prénl.
Depuis le phare de Langoz, Cil Loctudy , la côtc coul'l il peu ,
pl'ès Nord-Sud jusqu'à une longue poillte de l'ochers immel'-
gée il mal'ée haute, au dl'oit de Kel'afédé , La laisse de haute
mel' est faite de ,dunes hautes de 2 à 3 mètl'es ; elle est à .peu
près rectiligne; en al'l'ièl'e, à "l'intérieur des tel'l'e;, existe 'ù
Kervilzic et à Pontual une zone basse, qui est au-dessous du
lJiveau des hautes mers et qui se prolonge jusqu'à Kérau
gant; on y voit çà et là quelques bouquets de chÊ>nes" La
18is~e de basse mer a un dessin très capricil:lux : elle
comporte au dl'oit de Kérangall, de la tour balise de Menbret
ct de Kerafédé, des promontoirs l'ocheux qui s'avancent de
J'Ouest à J'Est, et qui laissent entre eu.x d'étl'oites plages de
sable, Ces détails sembleront peut-êtl'e minutieux: mais ils " "
ont leur importance, comme nous le verrons. "
Mes recherches sur celle zone ont donné les l'ésultats
suivants:
Arbres enlisés sur la plage de Kervilzic. - Sur celle
petite plage, qu i a environ 200 mètres sur 100 à hasse mer
et qui est encadrée de roches au Npl'd Lt au Sud, j'ai trouvé, "
à quelques mètres seulement de la laisse de basse mer, un
tronc de chêne qui ne s'élevait que de quelques centimèLres
au-dessus du sable et qui avait dans ses deux diHmèl.res
65 ceritim. sur 80; la décompo~ition de la' matière lignelise
était fort avancée, A 100 mètres de ce tronc, vel';; la côte et
tout près de la laisse de haute mer, il y avait un dépôt plus
important qui consistait, ce jour.là, en quatre masses \loi·
râlI'es ~mel'geant un peu au-dessus du sable, et assez sem
blables, de loin: à de larges têtes de rochel's aplaties ct
arrondies aux angles. Ces masses étaient alignées de J'est à
J'ouest sur environ 60 mètres de longueur el '1 à 2 mètl'es
seulement de lal'gelll' visible. Quelques coups de pioche que
" j'ai fait donner ont mis au jouI" sous I"enduit décomposé de
la smface, du bois de chêne en bon état de consel'vntion
dont j'ai rapporté un fragmenl. Les al'bres sont couchés,
semble-t·il, dans le sens du gisement, c'est· à-cl ire de l'est à
" l'ouest. avec une inflexion un peu plus prononcée vers J'ouest.
Ce dépôt se troU\"e exactement au point i" ndiqué T (dépôt Je
tourbe), sur la carte géologique détaillée nO 87 (Pont-J'Abbé),
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tourbière de la carte, mais bien un gisement d'arbres enlisés,
2° Dépôt tou~beux, En revanche. à 300 ID, au Nord du
dépôt de Kervilzic, qui est la vraie Cl forêt» sous-marine de
Loct.udy, un dépôt tourbeux,' ou to.ut au moins un · dépôt de
mntièl'e végétale où tout cal'actère ligneux a disparu, se
trouve au flanc des dunes, à l'extrême limite de haute mer,
Ce gisement n'a qu'une très médiocre extension, et sa
puissance ne dépasse pas 20 à 30 centimètres . '
Les tas de goémons dont la grève était couverte m'ont
dissimulé peut-être quelqu0's l'estes végétaux, Toutefois ces
l'estes, s'ils existent, ne peuvent. avoir l'importance de la
masse ligneuse que j'ai étudiée à Kervilzic,
J 'ai complété mon enquête en me renseignant auprès des
goémoniers, L'un d'eux m'a affirmé que le gisement avait
été assez fOI,t pour mél'iter d'être exploité; car un fermier,
qni demeure aujourd'hui à Kel'augant, a retiré deux stères '
de bois du dépôt de Kervilzic, Ces dires concol'dent absolu
ment avec les informations que me donnait M, du Chatelliel'
dans une lettre du 8 décembre , Mais tout le monde, à Loctudy
comme sur la grève, m'a assul'é que l'exploitation avait
. cessé depuis longtemps,
Des dépôts T ou ·tourbes existent aussi, d 'après la cal'te
gé\ologique, à Laudonnec (1 kilomètre au S, de Kel'vilzic) à
Kéritur près de Lesconil, 2 kilomètres plus loin, et au Guil
vinec, Je n'ai pu vél'ifier en quoi ils consistent, En tout cas,
ils ne se relient pas à la « forêt» de Loctudy, dont les
sépal'ent des bras de ~er et d'énormes barrières de l'ochel's,
Le dépôt de Kervilzic est-il ou non le reste d'une vraie
forêt? Question de mots, . nous ne nous y attarderons pas,
Nous pensons simplement que le dépôt s'étendait sur tout '
l'emplacement de la grève actuelle de Kervilzic ; mais nous
ne pouvons afIit:merautre chose, S'il occupait la grève entière
de KervIlzic, il avait 200 mètres sur 100 entre les ro~hers,
c'est-à-dire 2 hectal'es, ou l'étendue 'd'un de ces bouquets
d'al'br'es comme la presqu'île de Pont-l'Abbé en renferme
beaucoup, encore.
Voilà les faIts. Essayons maintenant de les inl&rpréter.
Des dépôts analogues à celui de Loctudy existent sur
plusieurs points des côles de l'Océan et de la Manche Voici,
pour nos régions, ceux qui ont été étudiés et analysés:
1° Baie de Douat'nenez (plage des Sables-Blancs) ;
2° Baie de Berlheaume : ' '
3° Plage de Tréompan ;
l.o Gt'ève de Goulven (Fourcy, Explication de la carie
géologique du Finistère, p. 167); " '
5° Baie de l\' 10rlaix (La Fruglaye, d'après Foürcy, Explic,
caTte g60l. Finistère, p. 164-166) ;
, (l0 Marais de Dol (Sirodot, dans Comptes Rendus Académie
de.~ Sciences, LXXXVIII, ~ 878, p. 267 à 269) ;
,7° Baie du Mont Saint-Michel (Durocher, dans C. R. Acad,
Sc. XLIII, 1856, p. 1071-1074) ; ,
8° Baie de Saint-Ouen, à Jersey (Ansted: the Channel
Islands, p. 230-233) ; ,
\)0 Vazon Bay, à Guernesey (Ansted, Loc. cit).
Ces lt'ace~ sont,slnomb.'euses que R. Austen a pu, en 1849,
en d~esser une carte pour les deux côtés de la Manche (Suess,
la Face de la Terre, Il, 673).
l\lais, si les traces d'arbres enlisés sont nombreuses, les
conditions où ces débt'is se lI'ouvent ne varient jamais d'un
endroit à l'alllre, au moins sur les cÔtes du Finistère où j'ai
pu les étudiel'. Toujours les arbres sont enlisés dans une
côte à dunes mobiles; entre deux pointes de roches, l'unique
,cas de l'orme des Sables-Blancs excepté: et cet orme
épave a sût'ement été charrié plus ou moins loin de son
lieu' d'or.igine. .
Qu'est-ce qu'une grève comme celle de Kervilzic, sinon
une zone d·'invasion marine partielle et limitée, entre deux
musoirs de roches qui subsistent en témoignage de l'an-
cienne ligne des côl.es ? -
KervilziQ a été le théâtre d'un empiètement local de la mer 1
qui s'est peu à peu étendu entre les roches dures. , aux
dépens' des ter.res basses qui existaient à ('emplacement
actuel de la grève et qui étaient protégées par des dunes,
tout comme sont protégées les terres basses d'aujourdhui,
à Pontual, où se dressent des chênes çà et là. Le cordon
primitif des dl:lnes dp.vait s'étendre de A en B et continuer
au nord jusqu'à Lallgoz, en reliant les unes aux autres les
parties rocheuses aujourù'hui isolées, A la faveur de celle
protection, la vie végétale. se développa en 'art'ièl'e des
dunes, comme elle le rait aujourd'hui cinq cents mètres plus
loin, Les fougères, les chênes et les bouleaux grandirent.
Et cela dura jusqu'au moment où, sous la poussée lente,
mais sùre et périodique, des marées d'équinox'e, les dunes,
en avançant vers l'intél'Îeur, ensablèl'ent les arbres, dont les
eaux de la mer a/Touillèrent les racines. Les arbl'es dépél'i
rent et tombèrent nans le sens où s'exerçait la poussée,
Pliis la ligne des dunes, en avançant toujours, dépassa la
masse végétale, qui fut recouvel'te deux fois par jour par la
marée et qui s'enlisa dans les sables marins,
Pareil sort sel'aii réservé aux arbrés qui existent aujo,ur
d'hui à Pontual, si les dunes se déplaçaient comme autrefois,
Mais l'lus elles avancent, plus leur mobilité décrolt, car elles
sont de plus en plus abritées pal' les musoirs de roches qui
font pl'omontoire ail nord et au sud, et la pousséé des hautes
mers, brisée par ces musoirs, n'arrive maintenant que très
a/Taiblie jusqu'aux dunes, Aussi elles s'al'rêtent et devien-
nent à peu près stables j le travail de fixation de la côte se
complète, et quelques muretins de soutènement, comme ceux:
qui ont été bâtis au sud du phare de Langoz, suni;cnl à
achever l'œuvre de la nature.
L'existence ,des débris végétaux enlisés dépend donc
absolument, à Kervilzic, de l'existe'nce d'une ligne de dunes
mobiles encadrées entre deux pointes de l'oches dures. Et le
cas est tout à fait le même à Bel,theaume, à Tréompan, à
Goulven, à Morlaix, au mont Saint-l\'lichel, à Vazon-Bay,
à Sain't-Ouen' s Bay, ' '
Aussi est-il inexact d'interprétel', comme Ansted, de
pal'eils phénomènes comme des preuves de la submersion
d'une grande étendue de côtes, Ces phénomènes son l'partiels
et locaux. Ce ne sont point des ,cataclysmes, car, sur les
côte'lsablonneuses, la mobilité des dunes fait partie de
l'évolution normale du rivage, Le dépôt végétal de Loctudy,
comme tous les autres, est un dépôt témoin d\1Il état anté
rieur qui devait nécessairement passer à l'état présent; par
le jeu des plus simples lois naturelles. ' '
De l'étude des forêts sous-marines, la géogl'aphie physi-
, que n'a pas grand'chose à apprendre qu'elle ne sache déjà, En
revanche l'étude du préhistorique et l'histoire locale elle
niême ont souvent à y glaner. On a trouvé dans ces, dépôts,
dit Suess (II, 674), des débris du néolithique, des vases et
autres objets votifs de bronze, et même des débris romains.
Quand à l'histoire et aux légendes locales, n'est-ce pAS SUI'
les côtes à dunes et à fOI'êts sous-marines, que se placent les Is
et les Tolente fabuleuses de l'Armorique? et sans parlel' des
fables, l'avancée et le recul de la mer n'ont-ils pas jouéleur
rôle dans la colonisation de nos côtes?
, CA~IILLE VALLAUX.
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DEUXIÈ E PARTIE
Table des Mèmoi1'es et Docttments publiés en 1906
Pages
La Forêt sous-marine de LocLqdy, par M. Camille VAL-
IJAux(cal·le)........................................ 3
Excursion dans la commune de Plouézoch, par Louis
LE GUENNEC (4 gravures). . . . . . . . . ... . .. .. . . ... . . . . . 10
Les vases enfouis pùur maléfices dans le Cap-Sizun,
!)t-r' M. H. LE CARGUET .......... .................. 73
Huines et substructions gallo-romaines du Cavardy
et du Stanq, canton de Fouesnant, par M. le Dr
C.-A. PICQUENARD (2 planches).. . . . . . . . . . . . . . . . ... . . 78
Un beau geste des Volontaires du Finistère (épisode
de la prise de Furnes, 1793), pal' H. DE KERGUIF-
FJNAN":,, 11'UftIC ...... . ........ . ......... . ........ 91
Les Faucheurs de la mer en Léon (récolte du g·oëmon
au XVllle et au XIXe S.), par M. l'abbé A. FAVÉ .... 95
Trouvaille de hnches en bronze faite en Plouhinec en
1905, par M. P. DU CHA'l'ELLIER (planche hors texle).. . 146
Note SUl' le chàteau de Kergoet (eorrim une de Saint-
Hernin, canton de Carhaix), pal' M. J. TRÉVÉDY... 150
La vie municipnle il PonL-Croix (1790-1791), par M. J.-M.
PIL VEN. . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ....... 157
Vestiges du vieux cluHeau. de Kel'gunus, en Trégunc
(canton de Concarneau), pltr M. le chanoine J.-M .
_ ABGl\AT..JL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . ................ . 181
L . 'O.cClJ.Pilltid!l' gallo-romaine dans le bassin de l'Odet,
. par M. Lè Dr C.-A. PICQUENARD (2 caries) .. .......... .
188
~ . Les arme: je jet il la bataille d'Hastings c1'après le texte
de Guillaume de Poitiers, par M. IL LE CAI:l.GUE1' ..
La fllmiJle> 'Lirql:!n du 'rimeur, par M. J. · TRÉVÉOY .... . .
218
222
Le chemin du Tro-Breiz, entre Saint-Pol-de-Léon et
Tréguier', par M. H. LE GUENNEC o 247
L'occupation romaine dans le bassin de l'Odet (sllite
et fin), par M. le Dr C.-A. PICQUENAHD ....... . . ... .