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Bulletin SAF 1905


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Une campagne de huit jours, récit d’un général et d’armes de la Sénéchaussée de Lesneven en 1766

Abbé Antoine Favé

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1905 tome 32 - Pages 135 à 147

UNE CAMPAGNE DE HUrr JOURS
R~cit d'un général et d'armes de la sénéchaussée

de Lesneven, en 1766

. M' Bemai'd Hilarion Henry de Kermenguy, procureur du
Roi à Lesneven, avait eu, de son office, à s'occuper de certai­
nes gens à conscience large et de vertu fragile, qui ré­
. pondaient aux noms de Jean Le Bian et Anne Méar, sa
femme, Guillaume Picart, Goulven Collas et iJfarie · Caër, sa
femme, et autres (( leurs associés. ))
Ces gens avaient été véhémentement soupçonnés et compl'O-

mis dans une enquête générale sur l'existence, chez nous,de
véritables tribus de Mohicans et d'Apaches, pillant etterrori­
sant le pays de Léon et celui de Comouaille, au soir des foires
et des pèlerinages et dans des expéditions, dont les volumineu­
ses procédures conservées dans nos archives départementales,
font entrevoir la puissance d'organisation et la discipline.

Le Sénéchal de la principauté de Léon à Landerneau, Jean
François Maingant, avait rendu un décret de prise de corps
contre les personnages précités: il était du 18 février 1764,. M..
de Kermenguy procureur du Roi à la Sénéchaussée de Lesne­
ven, à maintes reprises et une fois pour toutes, les recom­
manda afiri de prendre contact avec eux, ~ans plus de retard,
à la vigilance, à l'expérience toute spéciale et appréCiée
de Jean-Ronan-Louis Bourven, général et d'armes héréditaire

en Bretaigne de l'établissement de la Sénéchaussée de Léon à
Lesneven, résidant à Landerneau, paroisse de St-Ho'uardon.
En février, le 'procureur apprend que les précités gens for­
maient une association de brigands et que Picart y adjoint
une concubine qu'il a rencontré sur le chemin.de sa vie vaga-

bonde; que cette association commettait journell~ment des
vols dans les différentes paroisses du ressort de Lésneven et

de Landerneau, qu'ils allaient vendre « les chevaux, les bes-
tiaux, fils et autres effets qu'ils pouvaient · voler » dans les
villes de Morlaix, Carhaix, Le Faou et Châteaulin. « Depuis
peu de temps, plusieurs vols considérables se commettaient

dans un bois taillis norr..mé le Bois du Garz sur le grand
chemin de Landerneau au Faou. » Pour relever la piste,
Bourven reçoit ordre de partir et prend pour compagnons

... de son expédition Yves Stéphan et Guillaume Castel, serge!lts
de Landerneau, Pierre Gouriézec et Yves Guillou, records de

profession.
Au point de vue d'instruction, les sergents étalent au bas
des · procès-verbaux une signature admii'able de 1 correc­
tion: les pauvres records n'y.vont pas de même, et à vue de
leurs signatures, on constate que Pierre Gouriézec est gêné
. d'avoir. un z ddns son nom, malheureuse lettre qu'il ne par­
vient jamais à former. Certes, s'il avait pu choisir son nom, il

nese serait pas appelé Gouriézec ... à cause du Z ! Nous assis-
tons en . ce 27 février, au départ de nos braves explorateurs
qui, d'un trait, se rèndent en la ville du Faou, « distante de
leur demeure de quatre lieues. »

Là nous laissons parler notre digne Général et d'armes, dont
le style étonnera par sa précision, sa mesure simple et noble.
« Nous étant informés si on n'y avoit pas vu un homme de la
taille de cinq pieds sept pouces ou environ, un peu gravé de
petite vérole, un autre de taille de cinq pieds trois pouces, et
un autre de la taille de cinq pieds t't'ès croissé ('?) accompagnés

de trois femmes, tous habillés à la mode de Léon, et s'il ne se

commettoit point aux environs de ladite Ville plusieurs vols,
Un particulier à moi inconnu et qui n'a voulu se nommer, m'a

déclaré qu'il avoit vu six personnes qui paroissoientêtre celles
que je cherchois, plusieurs fois dans les villages de Boudourec
et Quiguiloern situés en l'entrée et sortie du bois du Garz, et

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qui paroissent être gens suspects. Sur là je me suis transporté '
avec mes adjoints au village de Boudourec où parlant au nommé
Prigent concierg-e du Châteœu de Kcrli-rer, je lui ai demandé
sil n'avoit point vu les person nes désignées. Il a répondu quit
les avoit vu plusieurs fois, qui avo'it même bâti une espèce de
cahute dans le bois du Garz mais que, comme garde de ce bois,
il les avoit chassés, les menaçant de renverser leur cahute et
àles fairearrêtel' s'ils ne sortoient de la paroi~se. Ils avaient
craint ses menaces et s'étoient dirigés du côtté du Châteaulin. ))
Pl'igent ne sachant signer ne signe ; l'enquête du jour se
termine à a heures de relevée et on couche au Faou.
Le lendemain 28 février, sur l'avis du Sr Girault, .de la ville

du Faou, « que les six personnes désignées par mon procès­
verbal d'hier, avoint, comme me l'avoit dit Prigent, passés
par la ville dft Faou depuis quinze jours, que les Trois hom-

mes paroissoint avoir des haches et faire le metLier de char-
pentier et qu'il pensoit qu'ils se ·fusseat retirés au bois du

Crannou pour demander l'ouvrage, je m~ .suis en compagnie
de mesdits adjoints et assistants transportés jusqu'au bois du
Crannou distant du Faou de près de trois lieues. Y arrivé, je
priais le Sl' de .E}dizien, Commissaire de la Marine y résidant~
de me dire si au nombre des ouvriers qui travailloient au
Crannou pour le Roy, il n'y aV3it point les nommés Picart,
Colas, Bian et leurs femmes. Le sieur de ~dizien a eu la bonté
de vériffier son Roole en ma présence et a fait mander six
gardes du Bois pour les interroger, que les personnes que je
cherchois avoient effectivement parû au Bois, quils y avoient
effectivement demandé de l'ouvrage, mais que le Chef de ses
Gardes du Bois les avoit renvoyés. ))
(Prié de signer, Ml' de I>dizien refuse.)
On rentre au Faou passer la nuit.
- Journée du 1

Mars. Départ du Faou pJur Chateaulin
« distant de trois grandes lieues ». Arrivé, Bourven de­
mande aux sieurs Lageat eL Sévéno huissier~ (( Si lesQ. picart,

Bian, Colas et leurs femmes dont il fait de son mieux le si­
gnafement, n'ont point parû en ladite Ville. A quoy ils ont
répondu qu'ils avoient vu depuis huit à dix jours six personnes
habillées il la mode de Léon et qui paroissoient celles recher­
chées, qu'ils pensoint qu'ils avoint pris la routte de Carhaix,
mais que si je vou lois, ils nous eussent servis de guides pour
les pet'quérir dans un vieux manoir à L'entrée de Châteaulin où
lés mendiants et gens de cette sorte avoient coutume de se reti­
rer. Ayant accepté leurs offres, je me suis en leurs compa­
gnies transporté jusques audit .Jieu dans lequel j'ay fait une
exacte perquisition et n'ayant point trouvé les ci-devant nom-
més, j'ay déclaré me retirer. ») ,
Le procès verbal dressé, on va coucher à Pleyben ( distant
de 3 lieues »
Journée du 2 Mars. Au matin, départ pour Carhaix
(5 lieues); visite au Sr Vigier, brigadier . de la Maréchaussée.

Sur question, il répond «( que Picart, Bian (et Cie) n'avoient

point parus depuis qu'il avoit pris et conduit aux prisons de
Landerneau les nommés I)::hoas et Roudaut associés de Jean
Le Bian, qu'il connoissoit parfaitement ce dernier, qu'il' lui
échapa lorsqu'il prit Roudaut, qu'il avoit la teste de tous les
décrettés et la datte des décrets énoncés contre eux et qui s'il
avoit vû Bian et 'Picart qu'il connoissoit qu'il les eût arretté
ainsy que leurs associés, mais quil avoit fait toutes les per­
quisitions possibles surtout aux jours des grandes foires de
Carhaix sans avoir vû Picart, Bian, Colas ny aucun de leurs
associés; qu'on luy avoit dit qu'il faisoit leurs assisse ordinaire
aux enyirons du Pont , de Coatoulsac' h sur le grand chemin de
, Landerneau à Morlaix, au dessus (sic) de laq. déclaration il

\ n'a voulu signer. ))
Procès-verbal rédigé, on se retire coucher à la Feuillée et le

3 mars, on rentre à Landerneau, où on arrive à 5 heures du

soir, et alors, « Bourven interpelle le sieur du Stang Martin

Geffroy exempt de la Maréchaussée de Landerneau de (lui)

donner ses cavaliers puur escorter la suitte de sa Commision, .

SUl' l'avis à luy donné par le Sr Vigier que Picart, Colas, Bian
et leurs associés prenoient leurs assises auprès du Pont de
Coa toulsac'h, sur le chemin de Morlaix à Landemeau. »

-Journée du 4: mars. Cette fois, l'escorte renforce consiclé-

rablement le corps d'expédition: elle est composée des Cava-
liers Jean François Percevault, Bertrand Louis Ollier; Antoine
Legaigne, Claude Réviron. On se rend sans désemparer au
bourg de St-Egonnec, où on laisse les chevaux. On va à L'oa­
toulsac'h: Bourven fait diviser la troupe en trois. « J'ay posté,
dit-il )) chacun desd. troupes, l'une dans une baraque au-des-

sus d Ll Pon t, qui a voi t été Ba tLie par les 0 uni ers qui tl'a vai laien t
sur le pont et sur le grand chemin pour serrer les outils, et les
deux petit" chemins écartés qui forment une 'espèce de cadoul'
et qui donnent sur ledit grand chemin, et j'ay (moi BOlll'venj
.donné des signeaux auxd. deux troupes écartés pour que nous
, eussions ptt nous joindre en cas de , besoin et y avons passé
toute la nuit sans y trouvé personne, si ce n'est quelque ma/'­ chand qui à, l'aube , du jouT m'aya.nt Tcconnu m'ont dil quüs
n' œvoient été attaqués de personne~, qu'ils anoiënt 01t,Ï dire que
La semaine passe Le siC'Ll1' Le iJfel.l?' qui' allait pOTCé de L'aJ'gent
à Morlaix avoit été maltraitté et ne s'étoit sauvé que par la
Force & la /Jan té de son Cheval, que la faction que nous avions
fait pendant cette nuit eut causé un grand bien et eu t écarté les
voleurs de cet endroit qui est d'autant plus dangereux que la

descente de la montagne de Morlaix au pont est très-rapide,et
que la mon Lagne du pont à St-Egonnec est des plus difficiles. »
Il est 8 heures du matin: après procès-verbal, ou part ( se
reposer )) à Landiviziau chez le nommé Crenn hôte débitant

VIn.
- Journée du 5 Mars. Sur les midi, Bourven fait mander
lesnommés Yves Thomas et Cochart, records ordinaires. Ques­
tionnés « si les nommés Picart, Bian, Colas, Bo~dec, Jobart
et leurs associés étoint au pais et s'ils savoint ou ils étoint, ont

.répondu qu'il y avoit plus d'un an que Boédec et Jobart de-

meurant dans les paroisses de Plounéventer et de GuimiHiau,
prochaines paroisses de Landiviziau, n'avoit parû audit bourg,
. mais que les nommés Bian et leurs femmes y venoint quelque­
fDis, que Led. Bian avoit changé son ajustement de païsan de
Léon ainsy que lesdits Picart et Colas, qu. e luy dit Cochart,les
avoit vû · travesty en mathelots d la dernière Joire de Coatsab"iec,
éloignée d'une l-ieue de Landiviziau, ct quils sy étoint souLtés
et y avoint lait beaucoup ~e bruit. »
« Ayant voulu les engager à nous servir de gu- ide, il a refusé
ainsi que ledit Thomas, disant que je savois la routte, les ayant
plusieurs fois cherché en leur demeure et en avoir fait diHéren­
tes proquisiLions, que je savois qu'ils demeuroint tous les trois
sur la lande de Plounéventer dans trois différentes baracques
qu'ils avoint fait construire, quil étoit impossible d'approcher
. de nuit de leurs demeures sans être découvert de près d'un
quart de lieue, et que la lande de Plounéventer étoit si remplie
de crevasses d'eau et de mollières qu'il étoit presque impossible.
d'y .aller de nuit et à pied, ny à cheval sans un danger presque
;.- évident de perdre la vie, que du reste lesdits Picart, Bian et
Colas étoint armés, que les femmes des deux derniers ainsi
que la concubine de Picart étoint très dangereuses, et se ser-

voint d'armes à je'Ltx ainsy que leurs hommes·, Sur ce que Co-
chart et Thomas n'ont voulu me suivre quelque promesse que
j'ai pû fHire, je Les ay r/jnuoyé après les avoir payé de leu.,. aois,»
u Ayant fait mes réflections et considéré que Ml' Duplessix
Parsco, lieutenant des Vaisseaux du Roy, étoit en sa terre de
I>yvun sittuée en la paroisse de Plounéventer à deux lieues de
Landiviziau et à trois quarts de lieue de la lande de Plou né­
venter, j'ay résolu de m'y rendre avec mesdits adjoints, assis­
tan ts et escortes, pour le prier ayant l'honneur d'être connu de
lui de vouloir bien me donner des guides pour me rendre en

la demeure desdits dénommés et même l'escorles nécessaires
pour appréhender ces misérables qui pendant son absence,
mettoint ses vassau~ à çontribution, .

« be fait après avoir pris quelques heures de repos au bourg
de Landiviziau et nous être tenus clos en notre dite auberge;
nous avons monté à cheval environ les dix heures du soir,
et me suis rendu avec mes asistants et es. cortes au château de
Kyvon. »
« Ayant frappé à la porte gauchère (sic) du Château qui m'a
été ouverte par un laquais de MI' Duplessix, je lui ay demandé
si je pouvais avoir l'honneur de parler à son maître, lequel
m'ayant déclaré que je le pouvois ~t m'ayant introduit dans
la sale, je l'ay supplié d'avoir la bonté de nous donner des
guides pour nous mener par des chemins détournés et de
traverses jusques et dans les demeures desdits Picart, Bian et
Colas. Mr Duplessix répondit que non seulement il nous eut
donné des guides mais qu'il nous eust escorté lui-même pour
prendre ces coquins qui mettoint touts ses vassa ux en
contribution, que Picart et Bian étoint les plus dangereux,
ainsy que la femme de Bian et la concubine de Picart,
que Picart étoit le plus mauvois, que sa barraque étoit battie

sur lande contre le fossé d'une garesne pleine de genets de l' a
ha u teurs de six à. sept pieds et que s'il pOtivoit gaigner CtS genets
nous l'eussions manqué quant eussions été trante personnes,

qu'il aIloit faire demander deux laboUl'eurs qui demeuroint
proches de son château elui par des chemins détournés nous
eussent menés jusque à la demeure dudit Picart, la barraque
duqueJ avoit été brullé au Jour gras dernier, mais qu'il avoit
forcé les voisin,.;; et les fermiers les plus riches de la paroisse de
battir une autre plus grande et plus vas,te que celle qui avoit
été incendiée, que les voisins par crainte de cet homme Illy
avoirit fourn'y les mattériaux nécessaires pour ladite battise qui
qui avoit été rebattye dans un jour. ))
« Et d'effet, le Sr Duplessix ayant fait mander François Le
Bervas et Cloarec, il les engagea, avec promesse d'argent, de

moi; Bourven, de nous servir de guide. Ce qu'ils ont fait en
considération de Ml' Duplessix et sur ce que lui-même se don-

noiL la peine de venir les voir prendre, ' après avoir travesty
lesdits Cloarec et Bervas et leur avoir fait prendre à chacun un
sai'eau de ses domestiques. Après quoi ayant laissé nos ,che- '
vaux dans une gl'ange 'dû château, conduit par nos guides
nous avons été amenés par des chemins détournés et imprati­
cables, jusques et près la barraque dudit Picart. Je fis entou­ rer ladite bal'acque à petit bruit par ines adjoints, assistants,
cavalliers; mais ayant remarqué un grand mulon de paille
appuyé contre le fossé de la garesne don L'on a cy-devant parlé,
j'ay prié.le Sr Du plessix d'avoida bonté de monter sur le fossé
au bout du tas de paille, mais aussitôt un grand chien matin
appartenant à P' icart en a sort y et s'est mis à aboyer. Dans la
, 'minute j'ay vû le mulon de paille remuer et. dans le moment
un homn'le en chemise a sautté dans le champ où jeUois à dix
, pas de moy, et ayant couru après luy je l'ay terrassé d'un coup
d'un long bois dont je m'estois muni ainsi que les autres pour

pass' er les mollières et mauvais chemin , )) Avec secours, Picart
est mené, (( à pp.tit bruit » dans sa barraque où il est main­
tenu par une partie de la troupe tandis que l'autre va, avec
Mr Duplessix et son domestique pour aller chercher Bian en sa

demeure. Il étoit deux heures du matin quand on arriva. Per-

cèvault frappe à la porte du dit Bian «lequel ayant demandé
qui frappoit, il répondit que c'étoit son frèr' e Christophe, mais
au son de la voix il ' reconnut que ce n'étoit pas lui et il dit à
Percevault quil n'avoit qu'à se retirer sinon qu'il se fut repent y
et qu'il connoissoit trop la voix de son frère pour s'y tromper,

et n'ayant pû par be.Iles paroles l'engager à nous faire ouver-
, ture de sa maison, j'ay à l'aide de PercevauIt et par le moyen

du leu vier de fer dont nous nous étions munis à ~yvon, en-

foncé la porte, et. pendant que Me Stéphan, sergent de Lander-
neau tiroit du briquet pour allumer la bougie, Bian du fond de
sa ,maison cria qu'il eut cassé la teste au premier qui eut été
aussy témétaire pour entrei' chez lui , Sur quoy j'ai mis le

crosse de son mousqueton armé de sa bayonneHe, et pen-

dant que Stéphan s'efforçoit de tirer du feu pour allumer
sa bougie, nous avons vu le fêteau du toit de la barraque se
lever èt une teste paraître au haut du . toit; sur quoy
Percevault a tiré en l'air, et Bian ayant vu que toute sa mai­
~on éloit cel'llée et qu'il n'y avoit pas moyen d'échapper a
a demeuré immobile da.ns la.dite atitude. Estant entré dans la
maison, ayant enfin la bougie que Stéphan avoit eu tanl de
peine à allumer, on aperçut Bian en chemise monlé sur les

doublures de sa maison par le faitteau duquel il avoit voulu
échaper. On le saisit et on lui signifie son décret de prise de
corps. Pendant que nous le tenions, il tâchait en reculant
d'approcher d'une Iwge sur laquelle Percevalllt remarqua. un

fusil. Bourven s'en ~aisit et constata qu'il étoit armé. Anne

Méar, femme Bian est dans un lit clos. On lui signifie sa prise
de corps, et o . n la fait s'habiller elle et son mari CI et les ayant
liés d'une corde, nous les avons conduits jusque pl~oche la

demeure de Goulven Colas et Marie Caër sa femme ~ où estant

rendus par des chemins eff'foyables et des peines infinies j'ay
frappé la porte et un entant ayant demandé qui frappait nous
lui avons fait répondre par Bian en langue bretonne que
c'estoit lui, à quoi l'enfant a répondu que son père et sa
mère n'étoient point au logis et qu'il n'eut point ouvert la porte.
Sur quoy au moyen de leuvier, on va enfoncer la porte, mais
Bian dit que nous travaillions inutilement et que Colas et sa
femme s'étoient sauvés, et que le coup de fusil que PeycevauIt

avoit tiré et auquel Colas avoit repondu par deux autres coups
. de fusil qui avoient été tirés consécutivement étoit le signal

ordinaire dont ils se servoient pour s'assembler et en cas
d'alarme que Colas avoit crû que c'était lui Bian qui avoit tiré,
qu'ainsi il ne doutoit pas que lui et sa femme se fussent

sauves.

« De fait ayant entré dans la maison, on ne trouve ni Colas

ni femme Nous nous sommes rendus par des chemins impra-

ticables, à travèrs mollières et marécages, jusqu'à la · de­
meure de Picart, où trouvé en bonne garde, il est fait
sommation de nous suivre. Aussitôt Picart de demandé si

nous étions to'Us I re venus , à quoy Luy ayant répondu qu'ou1' et
que natTe troupe était augmenté de Bian et de 'sa l'emme, il en
paru éto.nné et arepété ce qu'il avait déjà dit à ceux qui, le
ga rdoien t, qu'ayant entendu les trois coups de fusil il alJOit
c ru que é' était Bian et Colas qui avait fait l'eu sur nous et tiré

quelqu'un de nos troupes, puisque c'était le signal, que s'il
avait été libre, il eut aussi tiré et eut joint les camarades
dans le rendez- vous ordinaire. Et a)'ant cherché son fusil, il
m'a dit l'avoir laissé la veille chez Goulven Colas sur quoi
nous avons fouillé dans le mulon de paille d'où Picart avait
sort.y et qui avait été gardé par ceux commis à ]a garde de
Picart. .J'y , ay trouvé une fille d'enDiron vingt-cinq ans, de la
taille de plus de cinq pieds qui étoit couché avec Picart et
est sa concubine, laque Ile ayant dit plusieurs sottises et in-

vectives, et après luy avoir fait s'habiller, je lui déclaré
qu'attendu sa mauvaise conduite, je l'eus mené aussy aux
prisons de Lesneven , »
Les prisonniers arrivent à I~yvon à 4 heùres du matin,
]e6Mars. " .
A 8 heures du matin on part de I}yvon pour St-Servrtis
(distant de deux lieues) « où estant rendus nous leur avons

fait prendre leur réfection, après quoy nous sommes rendus
jusques aux prisons de la principauté de Léon à Landerneau !).
- Journée du 7 mars: Transfert des prisonniers à Lesneven:
on leur tire les fers et on leur met les menottes: le voyage
fut ennuyeux f ayant été obligé, dU Bourven, ' de faire
arretter pOUT faiTe descendre et remonter à cheval .la Méar
femme le Bian qui était incommodée!
Tant bien que mal on arrive à Lesneven, et Bourven de
recommander au geôlier ses compagnons de route, et de les

{( nourrir jusqu'à nouvel ordre du pain du Roy. »

Il reste au digne général et d'armes d'aller au greffe de .la
échaussée demander acte du dépôt qu'il fait du présent
ocès-verbal, de l'extrait d'écrou, « d'un fusil en état chargf!
~-il, de la hauteur de six pouces dont t'amorce étoit de poudre

e que j'ay versé, ledit tûs'il garny dans la crosse de sept à

dt clous de léton à teste ronde et d'une' petite plaque de
ivre par nous saisis en la demeure de Bian et d'une hale­
l'de à l'antique trouvée en la demeure de Colas. »
Le tout congrûment consigné par Me le Larsonneur, régis-
ur des grefIes de. la juridiction. .

A ;) heures de relevée, le j mars, la campagne était ' tel~mi- '

Nous eussions bien voulu aller, nous-mêmes, re. connaître

i S différentes étapes de cetteexpéditio.n dèSSeI'gel,l~s ,d~
énéchaussée de Lesneven et des cavaliers de la brigade de

laréchaussée de Landerneau. Nous nous serions arrêtés en
anvec, après avoir recherché la pierre(~ncastrée dans le
lûr du cimetière d'Irvillac, où est indiquée la moitié route de

,anderneau au Faou, de cet espèce d'Interland, où on · n'est

. en Léon, ni en Cornouaille, en vertu d'une sorte d'accord
acite exprimé par le dicton. (( Etre Landerne hag ar Paou, na
,eon na Kerne.)) Nous eussions visité le bois du Gars, ou du

~aTs, [(eTliver, le CranO'Lb... Nous aurions à Châteaulin
lemandé à retrouver, le vieux manoir, à t'entrée de la ' ville,
/'Ù leS mendiants, 1 J agabonds et voleurs de grands chemins
lVoie1'it coutume de se retira ... A St-Thégonnec, il y avait à
'etrouver le sile pittoresque de Coatoulsach, avec le souvenir
le sombres aventures, qui s'y sont déroulées, de brigandages
I, errïfiants, . .
1 Refaisant l'itinéraire de J.-R.-L. Bourven et de sa com-
1 pagnie, nous aurions été au manoir de Keryvon évoquer la .
mémoire de M. Duplessis-Pœl'scau, le lieutenant des vaisseaux
BULLETIN ARCHÉOL, DU FINISTÈRE. TOME XXXII (Mémoires) 10

ticables, à travers mollières et marécages, 'jusqu'à la · de-
meure de Picart, où trouvé en bonne garde, il est fai~
sommation de nous suivre. Aussitôt Picart de dem.andé s'

nous étions to' us 1'evenus, à quoy lu,!! aya.nt répond-u qu'ouï e
que notre troupe étoit a' ugmenté de Bian et de 'sa Femme, il en
lJal'U éto.nné et arepété ce qu'il avoit déjà dit à ceux qui. le
gardoient, qu'ayant entendu les trois coups de fusil il avait
c ru que é' était Bian et Colas qui avoit fait l'eu sur nous et tiré

quelqu'un de nos tro1,tpes, puisque c'étoit le signal, que s'il
avoit été libre, il eut aussi tiré et eut joint les camarades
dans le rendez-vous ordinaire. Et a)'ant cherché son fusil, il
m'a dit l'avoir laissé la veille chez Goulven Colas sur quoi
nous avons fouillé dans le mulon de paille d'où Picart avait
sort.y et qui avoit été gardé par ceux commis à la garde de
Picart. J'y .ay tTOuvé une fille d'en1?iron vingt-cinq a.ns, de la
taille de plus de cinq pieds qui étoit couché avec Picart et
est sa concubine, laque lle ayant dit plusieurs sottises et in-

vectives, et après luy avoir fait s'habiller, je lui déclaré
qu'attendu sa mauvaise conduite, je l'eus mené aussy aux
prisons de Lesneven . »
Les prisonniers arrivent à I~yvon à 4 heùres du matin,
]e 6 Mars. 0
A 8 heures du matin on part de I}yvon pour St-Servais
(distant de deux lieues' « où estant rendus nous leur avons

fait prendre leur réfection, après quoy nous sommes rendus
jusques aux prisons de la principauté de Léon à Landerneau ).
-Journée du i mars: Transfert des prisonniers à Lesneven:
on leur tire les fers et on leur met les menottes: ]e voyage
fut ennuyeux f ayant été obligé, dH Bourven, .. de faire
arretter pour faire descendre et remonter à cheval .la Méar
femme le Bian qui étoit incommodée!
Tant bien que mal on al'l'ive à Lesneven, et Bourven de
recommander au geôlier ses compagnons de route, et de les

(( nourrir jusqu'à nouvel ordre du pain du Roy. »

Il reste au digne général et d'armes d'aller au greffe de ,la

Sénéchaussée demander acte du dépôt qu'il fait du présent

procès-verbal, de l'extrait d'écrou, « d'un fusil en état chal'gf!

d' it-il, de la hauteur de six pouces dont l'amorce étoit de poudl'e

fine que j'ay versé, ledit t'tisil garny dans la crosse de sept à

huit clous de léton à teste ronde et d'une' petite plaque de
cuivre par now; saisis en la demeure de Bian et d'une hale­
b,'J,rde à l'antique trouvée en la demeure de Colas. »
Le tout congrûment consigné par Me le Larsonneur, régis-
seur des gretfes de. la juridiction. ' ..

A t) heures de relevée, le 7 mars, la campagne était termi-

nee.

Nous eussions bien voulu aller, nous-mêmes, re, connaître

les différentes étapes de cette ' expédition des sergepts de

Sénéchaussée de Lesneven et des cavaliers de la brigade de

Maréchaussée de Landerneau. Nous nous serions arrêtés en '

Hanvec, après avoir recherché la pierre encastrée dans le
mût' du cimetière d'Irvillac, où est indiquée la moitié route de
Landerneau au Faou, de cet espèce d'Interland, où on · n'est

ni en Léon, ni en Cornouaille, en yertu d'une sorte d'accord

tacite exprimé par le dicton. (( EtTe Landel'ne hag al' [?aou, na
Leon na Kerne.)) Nous eussions visité le bois dû Gars, ou du

Rars, [ eTlivel', le Crano'u ... Nous aurions à Châteaulin
demandé à retrouver, le vieux manoir, à L'entrée de la ' lJille,

o'ù les mendiants, 1 ) agabonds et voleurs de gl'ands chemins

avoie'J'it coutume de se retira ... A St-Thégonnec, il y avait à
retrouver le sile pittoresque de Coatoulsach, avec le souvenir
de sombres aventures, qui s'y sont déroulées, de brigandages

terrïfiants.
Refaisant l'itinéraire de J.-R.-L. Bourven et de sa com- .
pagnie, nous .aurions été au manoir de Keryvon évoquer la
mémoire de M. Duplessis-Pœrscau, le lieutenant des vaisseaux
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE . TOME XXXII (Mémoires) 10

du Roi, le gentilhomme serviable et accueillant, qui appo'rte
tout son concours aux sergen1s et cavaliersl pour purger Ja

contrée de ses hôLes malencontreux. Le brave marin devrait

être eu possession de détails édifiants sur ces malandrins
dont l'influence était si grande, et la terreur exercée si géné­
rale. On voit son' indignation lorsqu'il raconte à ses visiteurs,
que la baraque que les bandits avaient bâtie à Lanveur, ayant
été brûlée au dernier . mardi-gras, sans doute à la fin d'une
orgie, ils m) oient 1'01' cé les toisinset les Fermiers les plus rich.es

de la paroisse de battif ' une autre plus grande, plus vaste, en

un jour!
Le lecteur aura remarqué le crQquis qu'a ' dressé l'humble
,génél~l et d'. arrnes du champ de l'action, de ce dernier actè
-de . sa laborjeuse p-xpédition. On ne pouvait, sans doute

d , écrire avec plus de trait et d'exacli Lude, cette lande si redou tée,
défendue par ses mollières et ses crevasses).et où trente hommes
armés, exercés et déterminés ne pouvaient, à moins d"agir

par surprise, venir à bout de quelques hommes ...
Nous n'avons pu, les documenLs en mains, renouveler à
notre compte ce voyage; nous le regrettons, car nous aurions
été à . même, de celte façon, de mettre au bas de ces pages,
quelques annotations qui leur eût donné plus de vie, et fourni
à notre ' lecte. uJ, plus d'intérêt. Et puis n'est-ce pas la bonne
méthode?
Les peu recommandables· personnages dont il est cas, furent ·

éntrepris avec une trentaine d'autres ejusdem rarine, à la
suite d'une grosse de dénonciation déposée à la Juridiction de
Landerneau, de la part de Marguerite Boulay; 31 mai 1763,
pour vols de fils et pillages, attroupement et violence, aU
terroir de Keravel en la paroisse de Ploudiry.'
Le 17 octobre 1763, fulmination de lettres monitoriales,

dans qu'atorze paroisses.
Le 14 et 2'1 février 1764, seulement parais'5ent les décrets
de prise de corps contre les d~nommés; les procès-verbaux de

perquisition de leurs personnes se suivent sans succès; o ,n lei '

voit : voyager, s'pngager à gages, changeant de costumes, allant
auX foires, travaillant même deux et trois mois consécutifs

dans les bourgs des environs.

Le7 février 176D, la procédure est renvoyée de Landerneau
à la Cour royale de Lesneven. Le 17 mai on y transfère 22
prisonniers détenus aux prisons de.la Principaùté.
En décembre 17. 6D, on se préoccupe, paraît-il de notre bande,
comme le montre les assignations à huitaine et cry public.

Le 7 mars ' 1766, elle était écrouée à Lesneven, comme .l'a '
, raconté le général et d'Armes, et sllbissaitson interrogatoire .
. ' Entre temps, les prisonniers, désormais près de cinquânte,
dans la nuit du 6 Juin, effondrent la prison, et s'échappent en

partie par les latrines: Guillaume Picart, Jean Bihan et Anne

Méar, Goulven Colas, Marie Caër, sont contuma'C et (ugitifs. ,
Le t) décembre 1766, la sentence définitive était rendU, e,

contre les accusés formant cette rafle ou fournée, de D2 ·

individus, dont 12 femmes; 22 détenus et 30 fugitifs.
Ils étaient condamnés d'être pendus et étranglés jusqu'à

ce que mort s ensuwe.
La justice en les condamnant ne' fut pas aveugle, tout au

plus, n'atleignant pas les fugitifs, elle semble avoir été boiteuse;

elle décida, par compensation qu'ils seraient effigiés dans de. ,' ,

tableaux attachés à la potence et au gibet.

l'Abbé ANTOINE FAVE.

357 ' -

DE'UXIEME PARTIE

Table des mémoires et documents publiés en 1905

III

VII
VII bis

VIIl

l'AGES
Excursion dans la commune de Ploujean par
M. LOUIS LE GUENNEC ........ ; . . . . . .. . ... . 3

Vagabonds de Basse-Bretagne au XVIII" Siècle
. par M. l'abbé ANTOINE F AVÉ . .............. . '. M5
Le Prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'Ile Tristan
près de Douarnenez, par M. BOURDÈ DE LA
ROG ERIE ......... " ... ............... ; i8,148, 206

Nou velle décou verte (dé substructions et d'objets
de l'époque romaine) faite à Carhaix par M. P. DU
CHATELLIER . . . ............................ .
Campagne d'Islande sur le Château-Renaud
(1890), extrait du livre de bord de M. le Com-
mandant MARTIN (planche) ................. .
Toponymie de la Montagne d'Arrée par
M. CAMILLE V ALLAUX (carte) ............... .
Note sur l'occupation militaire de l'Armorique
par les Romains (suite) : IS par M. JOURDAN
DE LA P ASSARDlÈRE /3 cartes} ..... , ........ .

Une campagne de huit jours, récit d'un général
et d'armes de la Sénéchaussée de Lesneven en
1766, par M. J'abbt'> ANTOINE FAvÉ ......... ' .
Trois vases en argent découverts à Plovan (Fi-

nistère), par M. P. DU CHATELLIER (planche).
Les chapelles du Cap-Sizun (suite) : La cloche de
Monsieur SaincVrhey, par M. H. LE CARGUET.
Les Eglises et Chapelles du diocèse de Quimper
(suite) ; doyennés de Lesneven et de Plabennec,
par M. le chanoine PEYRON .................
Les peintures de la chapelle de la Madeleine à
Pont-}, Abbé, par 1\1. le chanoine'AsGRALL.. . .. ,

114

124
135

164
169
183
201

XII

XIlI
XIV

Le prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'île Tristan
(suite: voirN°I), par M. BOURDE DE LA ROGERIE.
Les combattants bretons de la guerre améri-
caine, pa~' M. H. DE KERGUlFFINAN-FuRIc .....
Monument.mégalithique et "Coffret à Penfoënnec
en Elliant, par M. DE VILLIERS DU TERRAGE
PAGES
206

(planche) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
XV La famille de La Tour d'Auvergne-Corret, par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 280; 346

XVI La misère et les miséreux au Minihy de Léon:
San tee, par M. l'Abbé A. FA vÉ ............ 304

XVII Le prieuré de Saint-Tutuarn ou de. l'île Tristan
(suite: voir N° 1 et XII), par M. BOURDE DE
LA ROGERIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... 330

XVIII La famille de La Tour d'Auvergne-Corret, (suite,
voir N° XV), par M. J TRÉVÉDY............ .346

FIN

Quimper. ' Imprimerie A. Leprince