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Bulletin SAF 1905


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Vagabonds de Basse-Bretagne au XVIIIème Siècle

Abbé Antoine Favé

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Société Archéologique du Finistère - SAF 1905 tome 32 - Pages 45 à 77

VAGABONDS DE BASSE-BRETAGNE

AU XVIIr SIÈCLE
Par M. l'Abbé ANTOINE FAVÉ

L'Odyssée d'un Vagabond d-e l'Évêché de Léon
racontée par lui-même. . .

Le 14 avril176 ~1, noble maître Bernard-Hi]arion-Henri de

Kermenguy, procureur du Roi en]a sénéchaussée de Lesneven,
remontrait à Me Guillaume-Pierre Nouvel de La Flèche, Pre­
mier magistrat civil et criminel, un évènement qui, !a veille,
avait troublé Iii tranquille et. somnolente cité de Lesneven. Il
exposait « que sur la clameur publique qu'un TJ(JrticnLli~T
t( inconnu, épris de vin juroit pt blasphé!TIoi~, mêine cour
oit
t les rues et attaquoit beaucoup de p . ersonnes de cette ville
t( sans distinction, il le fit arrester et copduire daI~s les prisons
« royaux, non seulement pour les motifs cy dessus, mais encore
« parce que cet homme quoyque habillé en paysant et peut-être
« déguisé, pm'le très coulamment le François. )) (1) Il pouvait
bien se trouver que ce fût un espion anglais! Ces raisons
mettaient donc le déposant dans ]e cas de requérir qu'il plût
aux juges descendre dans la Chambre du Conseil à deux heures
de relevée pour y interroger le prisonnier. Le sénéchal s'y
conforme, ayant pour adjoint son greffier, Me Itené Goujon et
pour interprète Me Jean-Marie Jannin. En conséquence, il fait .
appeler, par le ministère de Job Lescop, le geôlier, « un homme

(1) Série B. Cour royale de Lesneven, procédures ('2 pièces).

« de moyenne stature, vêtu d'un justin de toile à la mode de
« Léon, gillet de bure blanche, chemise ~t culotte de grosse
« toile, guestre aussy de toile, ch ossé de sabots, portant che­
« veux chataign brun et foncé, soulcy brun, beaucoup marqué
« de la petite 'IJérole avec beaucoup de couture . née écrasé,

« banche assez grande, manton un 1Jen fourchu, del"erré de

« l'œil gauche, l'œil (h'oit bleuI et tenant un chapeau sous le
« bras aJlquel fait lever la main et a'promis de dire vérité. »
L'interrogatoire révèle un sujet d'un esprit alerte, d'une
.mémoire heureuse, répond1nt par un interprète, mais ayant
tenu à dire en français qu'il a eu l'honneur d'avoir été
attaché de loin, il est vrai, à Sa Majesté, « ayç;tnt SC!'IJy SUT les
'lJaisseaux du Roy, 1) de même qu'avec une certaine dignité, il

se dit « laboureur de profession' lorsqu'il trouve de l'ouvrage,

hors' ce mendiant. J)

. Nous avons, en mettant à la première personne) ce qui se
trouve rédigé à la troisième personne dans le procès-verbal
du greffier Goujon et dans les réponses du vagabond, cherché
au récit un tour plus autobiographique et restant malgré
cette légère modification qui lui donne plus de personnalité et
- de rapidité, l'exacte reproduction de l'interrogatoire conduit
par le sénéchal de Lesneven .

« Je me nomme Olivier Pasqui, je suis âgé d'environ 31 ans,

natif du village de Bourlogot, paroisse de Plounéventer,
laboureur de profession, lorsque j'ai trouvé de l"ouvrage, -
et hors ce mendiant. Je déclare (en frança iS) avoir servy
sur les vaisseaux du Roy au département de Brest, sur
l'escadre de M. de Bonpart, allant et revenant des Isles .
Je ne sçois la raison pour laquelle je suis constitué en

vos prisons, ny par quy j'y ai esté constitué me trouvant lors
extrêmement épris de vin. Je n'avois que quatorze ans quand .

je quittoi Bourlogot pour aller servit' au village de La Roche,
paroisse de Ploudiry, chez le nommé Allain Roignant,
voiturier, où je demeuroi un an ou dix-huit mois; du quel
endroit je fus servir au Moulin de Poulbron, paroisse de
plounéventer, chez le nommé Sébastien Livinoc où je servis
pendant dix mois, ensuite je servis chez Marie Lan de
Kercreach, trève de Trémaouézan, près de Ploudaniel, pendant
huit mois, de là chez François Nédélec, fournier et marchand

de fil. demeurant à présant en la rue Daoulas paroisse de Saint
Thomas de Landerneau; lorsque je servois chez ledit Nédélec,
ce dernier estoit fermier des fours banaux de ladite parois'le,
et j'y ay servy pendant trois différantes fois environ deux ans
et demy. De chez Nédélec je fus servir chez le nommé Henri
Breton, fournier Banal de la trêve de Saint-Julien, paroisse
de Ploudiry, où je demeurois environ six mois, de chez
lequel encore je fus servir chez le _ nommé Jacques ToulIec, .
fournier hanal de Saint-Houarnon (Si'i) de Landernea u où je
demeuroi dix mois ou un an,
Il y a environ douze ans autant que je le peux me rappelle/'

que je quittoi de chez Jacques Toullec pour aller à Lorient où
je demeuroi environ dix-huit mois ou deux ans.
J'y ay servy tantôt de manœuvre et tantôt à aider les chal'-
pentiers à rabotter et à gar.anner les planches -
A la sortie de Lorient je pris ICI route vers Pimbœuf où je
demeurois environ trois semaines chez le nommé Pichon

menuzier de profession près l'Eglise, d'où je partis rour

Nantes où je demeuroi chez un fileur de éordes près l'hôpital
dont je ne me rappelle pas du nom, où je tomboi malade et
dont je me rendis de nouveau à Pimbœuf, où je demeuroi
environ cinq semaines chez ledit Pichon, d'où je retournoi à
Lorient où je demeuroi aussy environ trois semaines, de
laquelle ville je me rendis à Quim'per où je demeuroi environ
. trois semaines, c'est-à-dire huit jours mandiant mon pain et le
surplus à l'hôpital Sainte-Katherine estant malade; de ladite

,'ille de Quimper, je me rendis au village de Bourlogot, chez
le nommé Louis Pasqui mon père, chez lequel je restoi deux
mois et demi malade. Au bout de ce temps, je me rétablis et
fus à Brest pour travailler aux Vivres où je fus pendant six,

semaines, lorsque je m'embarquoi sur la kégate La Tétis et

avois pour cemmandant, lYI. de Vandet', lieut~nant des
vaisseaux du Roy, lequel M. de Vander croisait vis à vis le
Cap Fihstain, pour empêcher l'ennemy'd'ènlever nos barques
et bâtiments, laquelle croisière fut de neuf mois environ;
ensuite rendu à Brest je débarquoi et je retournoi encore aux
Vivres où j~ demeuroi très peu de temps et fut fait canottier de
M. de ~eufbourg, commissaire aux Vivres, avec 'lequel je ne
demeuroi que huit ou neuf mois .
Il y a cinq ans que je quittoi Brest. Ce fut pour me rendre
au village de Pen al' Lerch paroisse de Lambézellec, chez les
nommés Jean Lamandour et Marie Bouguen sa femme qui
y demeuraient lors, chez lesquels j'ai été domestique à
labourer les terre pendant dix-huit mois.
Après je me rendis chez le nommé Fleury dont la femme
se nommoit Jeanne, demeurant sur le Glacy à Brest, paroisse
de Lambézellec, chartier et conducteur de li ttière de

profession chez lequel j'ai demeuré. six mois.
Après je me rendis chez deffunt Goulven Bian et Marie-Anne
QUéméneur sa femme au lieu de Reryven paroisse de Lambé­
zelIec, où je travailloi en qualité de laboureur pendant trois

mois. De là ayant tombé malade, je me rendis à Bourlogot
chez mon père. Il y a quatre ans de cela. J'y restai cinq

semai nes, une fois rétabli je retournoi à Reryven chez Anne

.Léon, mère de Marie-Anne Quéméneur, où je demeuroi pour
aider à fossoyer pendant huit jours. Puis je m'embarquoi à
Brest sur le vaisseau Le Bizan en qualité de coc des mathe­
lots lequel vaisseau étoit commandé par Monsieur de Mon­
talet, et en conséquence je fus à Louisbourg et au Canada et

ia campagne dura huit mois et on désarma à Brest.

« D. A quelle époque?

R. Il Y avoit cinq ans depuis mon débarquement. ))
Ensuite je m'en retournoi chez , mon père) y demeuroi deux
jours, revins chez Fleury, y restoi jusqu'à mon embarquer
ment sur le PTotet commandé par Monsieur Fouquet qui fut
aux Isles. La campagne dura environ 'ill à Hi mois. Débarqué

à Brest, j'y restoit huit jours, je fus passer un jour chez mon
père, et ensuite le temps de cetcler (t) étant venu, je courus
les campagnes tant pour mandier que pour cercler.
Depuis la saint Michel dernière je hante et parcours non

seulement les paroisses voisines de Lesneven, mais même les
diocèses de Léon et de Cornouaille.
On me demande: si mes courses se font ordinairement de
jour, et s'il n'est point vray que je marche plus souvent de
nuit que de jour et accompagné de différents particuliers, et si
sous prétexte de mendiant, moi et mes adhérés nous n'avons
point fait de violences et même causé des effondre­
ments.
Jamais je n'ai erré de nuit, seulement de jour et ma
conduite ue peut m'être reprochée.
On me -demande : Si j'ai fait trois campagnes sur les
vaisseaux du Roy, je dois être classé au Bureau de la Marine
à Brest, et je n'ai pu quitter qu'avec un congé régulier et un
passe- port.
J'ay bien eu des congés et passe ports, mais je
déclare les avoir perdu et ne sçavoir ce qu'ils sont devenus.
et proteste tout ce que dessus contenir vérité .

iF. 'i.'

Olivier Pasqui ne connaU pas son âge: à la façon de l'en­
fant né sous la tente, dans le désert, il évalue approxima-
(1) Lire sarcler
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. - TOME XXXI (Mémoires) 4

tivement la mesure de son existence, en ' 1761, il part de cette
illusion qu'il aurait fait son exode de la maison paternelle à
l'âge de 14 ans, il se donne l'âge de trente et un ans environ.

Or, voici bien établi qu'il était dans l'erreur et, il reçoit
un démenti de son acte baptistaire lui-même. ('1 ) En effet, on
lit aux registres paroissiaux de Plounéventer pour l'an 1727 :

« Olli1)ier, fils Légitime de Louis Pasqui et de Marie Gu,é­
noden, du ~"illage de lJiJ'urlogot, na.quit le dix huitième jour
de rlécembre mil sept cent vingt sept,et fut baptisé le lendemain
par' Le soussignant curé: parrain et maTTaine f1krent Ollivier
T?'évien et Anne Kerbaol qui ont déclaré ne sa1)oir signer.
Jean TRÉVIEN, cu?'é de PLounéventer. ))

Pasqui, dans l'Art de vérifie' r les dates, s'embrouille de deux
fortes années, mais en revanche, semble d'une exactitude
saisissante pour certaines périodes de sa vie. Prenant son acte
de baptême pour point de , départ, nous disions qu'il avait
quitté Plounéventer en 1741, et tenant compte des sept ans et
demi passé à Landerneau, nous le verrions arriver à Lorifmt,
à l'âge de vingt et un ans et quelques mois, pour commencer
sa vie de plus ample expansion dans les deux Mondes, l'An­ cien et le Nouveau.
Lorient, Nantes, Paimbœuf attiraient nos compatriotes
bas-bretons cherchant du travail ou curieux de voir les mer-

veilleuses _ entreprises de la Compagnie ... des Indes et d'y

conCOUflr.
Pasqui défile son cttrricuLum vitœ avec une sûreté et une
précision plus particulières dans les dernières années de sa
vie maritime: par les indications qu'il donne de ses cam­
pagnes et embarquements, par exemple des ' campagnes du

(t) Que M .. A. Soubigou, notre distingué confrère, aCI~epte notre témoi-
gnage de gratitude de la complaisance qu'il a apportée à nous fournir
ce document.

Hizare et du Protée, nous nous rencontrons avec lui dans la
fixation des dates, sans que l'on puisse trouver sa mémoire
en défaut. (il
Cependant, si sa chronologie parfois laisse voir des solu­
tions de continuité, la raison en est probablement, que dans
cette existence si bien remplie, il y eut parfois des défail­
lances et des malchances: t.out n'est pas rose dans la carrière
de vagabond et de déserteur: parfois les gens de justice et les
juges de police eurent à l'appréhender, comme on le fit à
Lesneven, à le confier aux bons soins du geôlier de la juri­
diction avec invitation instante de le nourrir an pain dn Hoy.
Olivier Pasqui passe sous silence, dans son odyssée, les
quelques retéuds qu'il eut à subir, les malentendus qu'il put
avoir avec la police. Il est vrai que le dossier que nous étu­
dions ne comprend que deux pièces de procédure, et que nous
ne savons si on ne lui chercha pas, à défaut de documents
graphiques, une attestation gravée ne 'lJa.rietur et bien authen­
tique: la marque du bourreau; en effet, Poutlain du Parc, au
tome XI, de ses PTincipes du Droit françois, L. VI, ch. IX,
no 30, dit: « Quand l'accusé est de bas état et n'est pas suf­
« fisamment connu, il est du devoir du juge, quoique l'Ol'don­
(: oance ne l'exige pa~, de le faii'e visiter par un chirurgien
« POU?' 'coir s'il n'a pas été flétr'i: cette visite ne peu t être
ç{ faite par l'exécuteur, ) mais pal' un chiru rgien assermenté
qui dresse procès-verbal.
Dans l'interrogatoire des vagabonds appartenant au sexe

fort, le juge criminel et la maréchaussée tiennent compte
d'un détail très important: le délinquant a-t-il servi le Roi et

lors, dans quelles conditions a-t-il quitté son service? Les
déserteurs forment, il est sûr, la plus mauvaise partie du
contingent du vagabondage.
M. Maurice Loir (La ,lJfarine -royale en 1789, pp. 245-246),

(1) Consulter les journaux du temps.

signale « la déplorable tendance du matelot à déserter. De
« tout temps les désertions se succèdent avec une telle fré­
« quence que les règlements durent être, sur ce point, parti­
(1 culièrement sévères: à l'origine ils proclamèrent la mort,
« plus tard ils prononcèrent les galères perpétuelles, puis les
«( galères à temps, pour en revenir de nouveau à la peine de
« mort, en passant par des époques de mansuétude singu­
« lière, comme en 1755, où le ministre essayait de la dou­
« ceur offrant 24 livres de gratification aux matelots d'escadre
« qui consentiraient à ne pas déserter ... »
Pasqui eut la bonne fortune de servir sur la Thétis, le Bi-

zarc et le Protée~ précisément en cette période de mansuétude
et de douceur que le ministre préconise en 1755: il usa et

abusa de ce relâchement, pour déserter de bon cœur, une fois,
deux fois, et peut-être trois?
Le sénéchal dut rester insensible à ses dénégations,lorsque
lui faisant observer que s'il avait tait trois campagnes sur Les
vaisseaux du Roy, il de' voit êtrc classé au Bureau de la Marine
à Brest et n'avoir pu quitter qu'avec un congé régulier et un
passeport, il recevait cette réponse que, lui Pasqui, avoit
bien eu des congés et passeports, mais qu'il déC'lare les avoiT

perdus et ne savoi1' ce qu'ils sont de' venus!
Dans les procédures de la maréchaussée de Quimper (série
B, 860), nous trouvons Louis Moysan, 31 ans, sans profession,
de Bornel (Callac), 1724, auquel est posée la même question:
« Inte1Togé s'il a seTvy le Roy. Répond qu'il la servy dans
Cl la marine dans la compagnie du sieur de La Jaille, lieutenant

du Roy, pendant l'espace de trois ans, d'. Où il a eu son congé.
- « Interrogé et interpellé de nous représenter un congé
« de la marine; répond par l'interprette qu'il est hors
(f. d'état de nous représenter son congé, attendu que: « n'ayant
« . aucun domicile, il étoit obligé de le porter tO'Ltjours dans la
« poche et qu'il s'est déchiré à la longueur du temps, ayant
« quatre ans passé. »

A la différence de Pasqui, Louis Moysan donne une expli­
cation admise à coup sûr: un vagabond n'a ni portefeuille ni
armoire pour serrer ses papiers, ni archiviste pour en
prendre soin.
Un autre vagabond, Jacques Daniel, meunier, lf moins
possible, à Bothoa, se fait arrêter, rue du Guéodet, à
Quimper, simulant l'estropié et le malade du haut-mal, dans
son premier interrogatoire (9 novembre 1734,) interpellé sur
son absence à la convocation de la Milice, répond n'avoir ja­
mais été indicqué pour y servir, et qu'il n'a pas tirré étant
toujours de côté et d'autTe demandant l'aumonne. Interpellé
s'il est sujet à quelque maladie et s'il n'a pas dit lorsqu'il fut
arrêté qu'il était attaqué du mal de saint Cadou, il répond
qu'il l'a dit mais pOUT empescheT d'estre an'esté n'étant sujet
à aucune infirmité.
Il déclare « n'avoir jamais servy le Roy, mais se trouvant
« à Morlaix le mois de mars dernier mandiant son pain à son
« ordinnaire, il s'engagea avec le sieur chevalier du Brei­
« gnou, officier dans le régiment ci-devant d'Escline et à pré­
« sant de Noailles Infanterye, qu'il alla à Valancienne joindre
« le régimant et quy estant randu il auroit esté réformé à la
« revue attandu qu'il avait de la galle et qu'il n'estait pas de
« taille, et que trois autres qui s'engagèrent ens~mble avec
« luy et qui sont restés au service, il en connoist deux, l'un
« nommé François Guennec, de Plestin, pillottier, et le

« nommé Aubry, emballeur, de Morlaix. »
-- « Interrogé s'il a eu un congé et inteTpeLlé de le repré­
« senter, a répondu qu'on ne luy delllvra pas de congé, et
« l'officier se contenta de deschire,,' son engagement en sa pré­
« sance où il avoit rait une croix pour contremarque ne
« sachant pas signer. »
On voit que certains déserteurs se mettaient plus en frais
que notre Olivier Pasqui, pour fournir un€, explication quel­
conque touchant leur congé militaire.

La fiche signalétique, un peu somrraire, dreç;;sée lors de
l'arrestation de Pasqui prenant ses ébats dans les rues de
Lesneven avec l'insouciance d'un onagre en pleine campagne,
est loin de la précision stupéfiante, de la méthode anthropo­
métrique de M. Bertillon . Nous apprenons qu'il a le ne,:
éc rasé, la bouche ass(~.: grande: c'est-à-dire plLitôt grande que
petite, le menton un eeu, {01J.'I"Ch1.1,: étant donné la région qui
le vit naître, la station ethnographique dont il est un échan­
tillon , le type des habitants du plateau élevé et marécageux
de Plounéventer, on peut présumer qu'il est dol'icocéphaLe.
Nous ne sa voos rien de ses ascendants.
Il nous apprend qu'il a fait des maladies avec rechutes.
1(1 Après sa sortie 4e Lorient et de Paimbœuf, il Nantes" il
tombe malade chez un cordier: son Iransport à l'hôpital ne
fut pas difficile étant donné que le fiLeur, son hôte, demeurait
près de cette maison charitable. Mal guéri, il retourne à Lo-

rient, vient à Quimper passer cinq semai~1es à l'hôpital Sainte~
Catherine, le quitte, encore en proie à la fièvre et déprimé,
pour venir au Bourlogot de son enfance, dans la masure pa-

ternelle, passer dt'ux mois et demi ' de consomption et de mi-
sère physiologique.

A peu près quarante-sept mois ensui te, c'est-à-dire après

quelques semaines employées à Brest, aux Vivres, une
croisière de neuf mois sur la Thétis. neuf autres mois comme

canotier du Commissaire aux Vivres, dix-huit mois aux
champs à Lambézellec, six'mois chez le conducteur de Litières
des ,Glacis , trois mois en plus, comme cultivateur à Lambé­
zellec, il tombe malade et retourne à Bourlogot où il passe
cinq semaines, en attendant sa convalescence et son embar­ quement sur l~e Bizare.
En mer, notre homme semble se bien porter: les maladies

lui surviennent toujours sur le « plancher des vaches ». Et
cependant, Dieu sait combi.en meurtrières étaient les épidémies

qui ravageaient nos escadres, et combien déplorables les
conditions d'hygiène de nos équipages!
Au temps de Pasqui, en 1740, le Marquis d'Antin, parti de
Brest avec une escadre considérable se vit contraint de revenir
au port avec des équipages décimés. En 1747, M. d'Aché se

dirigeant vers l'Inde avec neuf bâtiments, dut relâcher à Rio
des mois entiers pour remettre sur pied, ses matelots minés
par le terrible scorbut. En 1757, Dubois de la Motte ne put
pour semblables raisons poursuivre sa mission en Amérique,;
il rentra à Brest où il porta la contagion et la ville perdit plus
de 10.000 âmes (1 ).
Le signalement de Pasqui nous le décrit beaucoup marqué
de la petite mi1"ole avec beaucoup de couture ainsi que déferre
de l' œil gauche. Ces cicatrices indélébiles, dénoncent bien
qu'il avait contracté la variole si funeste à l'époque, mais
il n'en dit les circonstances et de temps et de lieu au sénéchal
de Lesneven.
Au moral, on peut en juger, par sa déposition, l'esprit est
-lucide, la mémoire est d'une précision étonnante. Pas de trace
d'amnésie ou de trouble dans l~s souvenirs. Il a gardé une
certaine fierté des cbefs qu'il a eus, une affection marquée
pour ceux qu'il a servis, nul remord pour son passé, nulle
récrimination ni rancune contre les autres, et toujours le
souvenir ému de Bourlogot, le souvenir de son- père et du
vieux colombier, où il revenait semblable au pigeon voyageur,
volatile malheureuse qui,
Traînant l'aile et tirant le pied,
Demi-morLe et demi-boîteuse,
Droit au logis s'en retourna .....

- Ce n'est pas un débile, un déséquilibré, étudié au moyen
de la médecine légale. - .

(I) Cf. Maurice Loir, la Marine J'oyale en 1789, p. 126.

§ II. - Un Évadé du pays Latin (1 ;
Le 9 octobre '17 ()û , le recteur de Kerfeunteun eut un trisle
réveil: pendant la nuit, son église avait été visitée par les

,Voleurs, la porte principale porlait les traces d'une tentative
d'effraction, la porte nord, en quelque sorte condamnée et ne
servant que rarement, était ouverte; le coffre des archives,
porté de la sacristie dans le cimetière, avait été forcé;
2,500 livres d'argent y avaient été volées, et les papiers et titres
abandonnés par les sinistres noctambules étaient détrempés
par la pluie battante qui n'avait cessé de tomber pendant la
journée précédente et la nuit du 8 aU . 9 octobre. Dès la première
heure, Nicolas Hascoët, fabrique de l'église paroissiale, demeu­
rant à Penfrat, fut appelé au presbytère. A dix heures il y
arrive et s'entend avec le rect.eur pour faire au greffe
le derlOncé de l'évènement' avec sommation et interpellation
de descendre incessamment et de moment à autre à KerfeuI1-
teun laissée à noble maître Henry-Joseph Charuel, substitut
du procureur général. Sur remontrance de ce dernier, le juge
criminel, de Kermoizan Guesdon, va constater les dégâts et
en dresser procès-verbal.
Le 30 octobre, le procureur considérant « que les auteurs
et complices ne peuvente être connus « que par la voie des
monitoires )J, présente requête afin d'obtention de lettres
monitoriales qui sont accordées, adressées et publiées dans
les paroisses de Quimper, de Sain t-Mathieu et de Kerfeunteun
et de Guengat, au prôna de la grand'messe des 2, 9 et
16 novembre (2).
Les Faits et articles qu'entendait prouver Me CharueI,
(1) Païs latin: on nomTuait ainsi l'Université, les collèges et les institu­
tions d'enseignement. (Consulter T1"évoux et !.ittré).
P) Cette affa ire tient à une longue série de brigandages d'une bande dont
nous ayons ana lysé le volumineux dossier, et que nous proposons de publier
sous le titre : Les Pélenns de Plomocliem et de Saint-Nic .

sont au nombre de quinze: cinq de ces articles, par la singula­
rité des faits dénoncég et de leurs circonstances, durent frapper

l'attention des paroissiens de Quimper, Kerfeunteun et Guen-

gat, d'un public qui, autant que le nôtre, aimait les nouvelles
sensationnelles. .
Article 8. « Ce qu'il y a de certain, avance le procureur,
(c c'est que la veille du vol, on remarqua un particulier, près
« les Pontigou, habillé en esclésiastique (sic) et tou t mouillé
« par la grande pluye qui faisoit, portant en main un gros

« bntton de chesne, nouvellement couppé, et presques à
« breun de nuit, lequel voulant, dit-il, abbréger pour se ren­
« dre chez le recteur de Kerfeunteun où il faisoit entendre

« qu'il devoit coucher et souper, demanda à une personne de
« l'endroit par où il falloit prendre pour se rendre en droiture
« et sans traverser la ville au bourg de Kerfeunteun. ))

) Que cette personne après luy avoir indiqué le che­
« min qu'il demandoit,deût luy représenter que le batton
(c qu'il portait n'estait pas à beaucoup près la canne d'un

c( homme vêtu comme luy.
cc (10

) Que le gros batton de chesne que le quidam portoit,
« pouvant estre celluy qui l'ut trouvé près le coffre dans le
c( cimetière, il est plus qu'à présumer que le porteur a au
« moins participé audit voL, à joindre que ce mesme quidam
« est déjà renommé dans le païs pour estre capable de pm'eils
cc for(aits. . . . .

) Que cette troupe qui est, dit-on, sous la direction
cc d'un certain quidam hahi.Ué comme ceLLuy qui devait estre
« l'hale du rectEur de Kerfeunteun, la veille du vol en question,
c( commence à se rendre redoutable dans le voisinage. ))
Juste à point, par singulière coïncidence, se trouvait à
Quimper-Corentin, de passage, cc un homme de moyenne sta·
« ture, ayant les cheveux gris, visage plein, vêtu d'une sou · ·
« tane usée, bas gris aux pieds ». Sa soutane était de couleur

indénise, d'un ton neutre, jadis noire au jour où elle sortit de
chez le drapier, au tissu élimé par l'usure, ce fut ce qui le
compromit et nous fournit l'occasion de dénoncer une erreur
d'instruction. judiciaire.

Jan Berthelé est son nom, il est âgé de 45 ans, acolite,
minoré ... C'est un fruit sec, un déclassé, qui pour une raison
- ou pour une autre, peut-être pour l'une et pour l'autre, n'a
o pu poursuivre sa carrière cléricale: disons-le bien, il est libre

d'engagement avec l'Église: il est de foro Ecclesiœ, et a jus­
qu'à sentence de l'officialité exécutée par la police, pour erre'Ur
de doctrine ou de conduite, le droit de porter la soutane,
« vestis talaris », et au chœur, le surplis ... ,: '
- Le 23 novembre, il comparaît au Présidial pour être inter-

rogé, après arrestation, par Germain-Gabriel GUi:lsdon, à

requête de Me Henri Charuel, assisté de Me François Raoul,
greffier. '
Jean Berthélé déclare qu'il est originaire de l'évêché de

Léon et natif de la paroisse de Plouvorn. Il en est sorti depuis
un an « ou quelque' chose de plus. )}
Interrogé où il a été depuis ce temps-la.

.. IL Il partit de sa paroisse pour aller à Nantes où on luy
avoit fait espérer qu'il trouveroit une place dans une pension
où il y avoit plusieurs écoliers; qu'en effet, en arrivant, il entra
chez le Sieur Pellier tenant des pensionnaires sur La Mothe­
Saint-André; les uns allaient au collège chez les Pères de
l'Oratoire ('1), les autres' se.faisoient instruire dans la maison,
qu'ils étaient deux précepteurs, qu'il a demeu'ré dans cette
maison environ sept à huit mois. Dit qu'en partant de chez
luy, il étoit muni d'une attestation de vie et de mœurs de son

l'ecteur, légalisée du juge des lieux, mais qu'il a perdu cette
attes tation.

(1) C'esl ce collège où professa quelque vingt ans plus tard le fameux
Fouché, fu lu r duc d'Otrante.

Interrogé où il a été depuis être sorti de chez le Sieur Pel-
lier, et quel métieT il a mené .

B. Il était malade quand il sortit de Nantes: c'est même sa
maladie qu'il (sic) a obligé de quitter la ville de Nantes. Il prit la .
route de Vann' es pour s'en revenir chez lui, mais ce temps-là,
il a couru en vicariant, cherchant à se· placer en quelqu'endroit
que ce soit pOUT chanter, soit pour enseigner. 'A la vérité, il
n'a aucune place. Il allait de maison en maison, soit de recteurs
ou d'ecclésiastiques et quelquefois de gentilshommes,. quel­
quefois et. le plus SOIl,vent, il étoit reçu et bien accueilli, d'autre

fois congédié. Depuis ce temps-là, c'est-à-dire depuis sa sortj(~
de Nantes, il n'a vécu que de même.
· Interpellé de dire la date positive de sa sortie de sa paroisse,
de celle de son arrivée à Nantes et de sa sortie de la dite ville .

R. Il ne peut se rappeler aucune des dites dates.
Int. Depuis quand il est à Quimper?
· R. Depuis le commencement d'octobre dernier qu'il yest
venu directement de Vannes a l'exception qu'il a retardé quel­
quefois en chemin quand il s'est trouvé dans des maisons, soit

de recteurs ou d'ecclésiastiques de sa connnaissance .
A Quimper, chez qui a-t-il séjouTné assidument et a-t-il logé'?

Il. Chez la nommée Janne Prigent veuve dans la l'lie Ob-
scure. S'étant informé, s'il trouverait à se placer en quelqu'en­
droit, on lui dit qu'il pouvait trouver àPloaré ou à Douarne­
nEZ à y faire des petites écoles, ce qui fit qu'il partit de Quim­
per pour aller au bourg de Ploaré. Le temps s'étant trouvé fort
mauvais, il alla demander à loger chez le sieur Recteur de
Guengat qui le reçut. Le lendemain au lieu de continuer sa
route jusqu'à Ploaré, le temps contiriuant à être mauvais, il
revint à Quimper. .
Int. Si dans ce temps-là, il ne se présenta pas pour loger
au manoir de Saint-Allouarn (1).

(i ) Manoir de Saint-Alouarn~ en Guengat, à un quart d'heul'e clu bourg

R. Comme il pleuvoit très fort, il entra dans la maison
pour se mettre à l'abri de la pluie; il Y trouva les demoiselles
auxquelles il fit des excuses de la liberté qu'il" prenoit : il ne
leur demanda pas à loger, mais elles croyant aparament qu'il
avait dessein de le faire, lui dirent qu. 'elles n'étoient point dans
l'habitude de loger des étrangers et qu'il n'étoit pas loing du
bourg: qu'elles lui donneraient un guide pour le mettre sur le
chemin, d'où il se rendit chez le sieur Recteur de Guengat.
Interrogé. S'il n'étoit pas associé à une troupe de voleurs
qui se tenvient cacher dans les bois de Saint- A llouarn ou aux

environs, répond qu'il n'a jamais été ass(Jcié d'aucun troupe de
rJoleui's .

lnt. Si depuis avoir été chez le Recteur de Guengat, il a
retourné à Ploaré pour chercher à s'y placer.
R. De retour de Guengat, il parla en cette ville au sieur
Abbé de Farcy grand chantre deîa cathédrale et vicaire géné­
ral du diocèze, pour lui demander la permission de s'établir

en quelqu'endroit du diocèze pour y faire des petites écoles, la-
quelle permission le sieur de Farcy lui accorda sans néan­
moins la lui donner par écrit en lui disant que sur les attesta­
tions des sieurs Recteurs, il lui obtiendroit un mandement du .
révérend évêque, que la dessus, il alla véritablement à Ploaré,

et à Douarnenez accompagné du sieur Le Brun curé de Ploaré
pour s'informer du siéur recteur de Pont-Croix qui étoit lors
à Douarnenez, s'il n'y auroit pas moyen de pouvoir le placer
dans quelqu'endroit à Pont-Croix parce que ledit sieur Le Brun
lui dit qu'il n'y avoit rien à taire à Douarnenez y ayant chez
le sieu'r Du tJ1 arnay un précepteur qui taisoit les ecoles dans le
bou, rg, que ledit sieur recteur de Pont-Croix lui dit aussi qu'il
y a'voit un prêtre dans la viLLe qui y taisait pareillement les
écoles.
Interrogé. Si depuis ce temps là, il n'a pas été dans la
paroisse de Loctudy et si il y a environ dix à douze jours, il ne
se cacha pas dans une maison de ladite paroisse, dans l'en-

droit où l'on met les barates et les büyes d'eau: quel étoit son
dessein en se cachant?
Il . . Ayant le dessein de s'établir au Pont-l'Abbé, il fut le
trois de r:e mois chez le sieur recteur de Loctudy pour lui de­
mander la permission de s'installer au Pont-l'Abbé qui est

situé en partie dans sa paroisse; le sieur recteur lui donna
une pièce de vingt-quatre sols; il se retira dans un cabaret dans
le bourg pour y avoir un lit: n'en ayant pas trouvé, il retournd

chez le Recteur qui ne se tl'Ouva point à la maison: on lui dit
qu'il n'y avoit point de lit à luy donner. Des ouvriers qui tra­
vaillaient à l'église lui dire qu'il y avait là auprès une dame
veuve charitable qui lui donneroit le couvert; il se rendit chez
elle, ne la trouvant pas à la maison, il l'attendit à la porte. Cette
dame étant de retour, il lui demanda le logement, ce qu'elle lui
accorda, il soupa avec elle, lui donna un lit, et il en partit le
lendemain matin. Il conteste s'être caché, dit qu'il se nomma
à .elle en lui disant qu'il s'appelait Birthélé, qu'il aspi-rait être
reçu en qualité de chant1'e à la r,athédrale, y ayant chanté deux

fois, ce qui est vrai et le sieur abbé de Farcy avait promis de
de lui accorder sa protection pour cet effet.
lntorrogé si cette dame chez qu'il étoit, lui ayant parlé un
. peu ferme, il, ne lui dit pas que p 'our une troupe de femelles,
elle parloit un peu haut.
R. Conteste.

Interrogé s'il ne se trouva pas fort déconcerté lorsqu'il vit
entrer dans la maison un gentilhomme du voisinage accompa­
gné de trois ou quatre païsans.
R. Il est vrai qu'il entra dans la maison un gentilhomme
accompagné d'un domestique, mais cela ne le déconcerta point
quoique cela lui fit véritablement de la peine que ce gentil­
homme soupa avec e1.lX: il questionna beaucoup l'interrogé qui
satisfit à toutes les questions en lui disant qu'il étoit honeste
homme. .
Interrogé s'il n'est pas à sa connaissance que la nuit du 8 ou

9 de mois d'octobre dernier, l'église de la paroisse de Ker{un-
tun près Quimper a été volée et s'il n'a pas participé au vol.
Il. -- Il a appris par le bruit commun que l'église de Ker­
funtun a été volée, conteste y avoir participé, disant qu'il est
en état de prouver " qu'il étoit logé chez Janne Prigent et qu'il
ne sortit point de toute la nuit.
lntel'rogé ou il étoit, il y a huit jours.
R. Il étoit à Quim per et logeoit chez le sieur Floch com-
mis au greffe.
lnt:· S'il n'étoit· pas, il y a 8 jours, ' 16 de ce mois, du côté
de la paroisse d'Edern.
R : - . Maintient que ce jour, il coucha chez ledit Floch, et

q1.t'après souper, il {ut causer chez JJ1a1tre Draoulec huissier de .

ce siège, que la veille qui étoit le samedy au soir, il avait cou-
ché chez un nommé P-ierrot, tailleu1' qui rlemel.lt'e pTès de l'é­
glise de G-uéodet.
Tels sont. les interrogatoires, réponses, confessions et déné
galions..... -
GUESOON,
Jllge criminel,

RAOUL,
R.égisseur.

.J. BEnTuÉLù.

mwore .

Jean Berthelé inspire une cel laine estime par sa loyauté et
ce quelque chose qui rappelle Sancho Pança, outre que l'on est

porlé naturellement à la sympathie pour le malheur. Causeur,
hableur un tantinet, il aime à raconter ses aventures, à com­
parer le pays de Nantes et de Vannes à celui de Cornouaille
ou de Léon. A Quimper, il loge chez Jeanne Prigent de la rue
Obscure, mais sitôt arrivé, il se fait rapidement des relations
et si on l'accuse d'avoir été le triste héros des vols d'église de
Kerfeuteunet d'Edern, il a un alibi: ce soir-là il j'avait passé
chez un voisin, un huissier- de la ,juridiction! Il a ses répon­
dants: Floch, commis au Greffe, et Draoulec, l'huissier 1

Il est vrai que l'on pourrait lui appliquer l'observatîon cau­ stique de Voltaire au sujet d'un de ses hôtes de Ferney :
lui àussi se distinguait de Don Quichotte, qui prenait les
auberges pour des châteaux. tandis qu'il prenait les châteaux
pour les auberges, comme il le montra de f;tçon assez mal­
heureuse, tant à Saint-Alouarn qu'à Loctudy. Et cependant il
était si brave homme qu'il prédisposait toujours à l'indulgence
à son égard, comme l'éprouva le bon et saint chanoine de Farcy,
grand chantre de la cathédrale. Berthelè, sans gêne, lui exposa
. sa situation; sa misère; pour s'en tirer, il avait deux cordes à

son arc: il était idoine à faire des petites écoles; il était de plus
apte à diriger un lutrin·; et déjà dettx tois, il avait chante à
Saint-Corentin. En réponse, passant discrètement une pièce de
monnaie à notre bohême,le bon abbé insistait: « Je m'occuperai

d~ votre affaire, mais trouvez quelqu'un qui réponde de vous ... ))
C'était le hic" car Jean Berthelé était bel et bien un vagabond,
aux termes de la déclaration du 1) février '1731: Les vagabonds ct
gens sans aveu sont ceu.1J qui n'ont ni profession, ni métier, ni
domicile certain, qui ne peu'/Jent être avoués ni faire certifier
de leurs vie et mœurs par gens dignes de toi!
Dans l'intervalle :le procureur du rOI, Charuel, qui avait

été bien prévenu et dur à l'endroit de Berthelé avait rendu
son âme à Dieu. Il fut remplacé par Me Pennec, qui présenta·
à la cour des conclusions: que le détenu a battu la campagne
mais qu'ayant lieu de p1'é.~umer q1te sa détention le rendra lf'.
plus circonspect à l'aveni' l', les portes de la prison lui seront
ouvertes, lui enjoignant de se reti' rer dans sa paro'Î.~se du lieu
de sa naissance dans vingt-quatre heures.
Le Vidi de la Cour du Parlement est au 3 juin et signé: La
Chalota· is. Berthelé fut définitivement élargi le 1) juin '1761.
Que devint-il après'? Nous ne saurions le dire. Toutefois,
nous avons rencontré, dans les procédures criminelles de la
sénéchaussée de Lesneven, un dos~ier assez volumineux, de
1763, si notre mémoire est fidèle . Il y est cause d'émotions,

troubles, à l'occasion de l'inhumation d'une jeune fille
de 17 ans, celle d'Alexis Be1,thelé, bedeau' de Plouvorn, qui avec
le concours de ses parents, amis et connaissances, prétendait,
en désobéissance des règlements, l'enterrer dans l'église. Il y
eut un commencement d'exécution à cet acte de rébellion .

Cet Alexis, le bedeau était, c'est à croire, le frère de notre
Jeàn Berthelé : ces Berthelé ne ressemblaient pas à tout le
monde?

§. III. - Où il est dit d'un Quidam natif .de l'évêché du Mans
qui s'obstinait à ne vouloir parler breton aux gens de
Plouvien en Bas-Léon.
Le · 10 octobre 1731, en son manoir du Mésou, M. de Ker-

jean-Moll était fort affairé.
Il était le capitaine de la paroisse de Plouvien (1), pays de
maigres chênaies, de genetières, de champs d'ajoncs et où quel­
qu~s pins de mauvaise venue gagnent sur la lande. L'Aber­
Benoît y coule dans une' dépression profonde qui draîne rapi­
dement les eaux, y coule rapidemen t d'abondantes et claires
ondes qui viennent accroître les ruisseaux descendus des landes
d'alentour, jusqu'à ce que, près de Lannilis, à l'anse de Tariec,
la mer remontant fasse de l'Aber un vaste estuaire (2). Plou­
vien possédait neuf moulins et deux manoirs seulement: Kerdu.
. et le Mézou, situé au sud-ouest, à peu près à mi-chemin du
bourg de Plouvien à celui du Bourg-blanc.
Pour lors, M. de Kerjean-Moll (3) l'esprit rempli des exploits
exercés par des bandits, gens de sac et de corde, tenorisant le
pays et insaisissables, venus d'on ne savait où, recevait des
rapports, véritables histoires de brigands. Ce jour-même, 10 oc-

( 1) Arrond issemen t de Brest.
('2) Ardouin-Dumazet. Les Iles françaises de la Manche, p. 4.
(3) La branche de Mole-Kerjean se fondit, en 1733, dans Kersauson
(P. de Courcy).

tobre, les gens de Kerilliau, lui avait fait des déclarations, qui
. donnaient la fièvre et en même temps fort à réfléchir.
Là-dessus, le brave capitaine de la paroisse de se mettre à
sa table, de tailler sa plume et de prendre tout ce qu'il Faut
. pour écriTe une lettre, et de rédiger ce qui suit:

A Monsieur

Monsieur Moreau, exempt
De préuost, en sa maison

à Landerneau
Au Mesou, le 10 octobre 173i

Monsieur,

Je vous annonce par la présente que des paysants de nostre
bas-Plouyen, memmenèrent hyer au soir un historien lJagabond
('1 ) que Lon ne scoit pour qui le prendre, Il est tout éguenillé, et
a un bonet d'estofe bleue à la dragone, IL PA Il LE BON FRAr\COIS
ENTEI\D LE nnETOr\ ln; NE l.E VEUT PAilLER. Il a l'air d'un CGT­
touchien (~) et contrefait l'idiot fort bien pour leurer et engeolu
le monde, Il avoit un compagnon qui s'en est escarté, lequel

avoit un bonetde laine rouge qui est un puissant en corps avec
des moustaches et la barbe longue et avoit deux pacquets de
haillons pendus sur l'épaule devant et derrière et un mauvais
chapeau sur le bras, et étoit tous deux pieds n uds, et si ils ne
sont voleurs je les crois déserteurs de quelques troupes, et peut-

estre sont-ils l'un et l'a' utre. Je vous prie d'envoyer quérir
celui-ci, et si Lon peut trouver et appréhender l'autre que j'ay
donné ordre de bien chercher, on pourra le rammener touts
les deux ensemble. Je vous diray que Lon parle bea'ucoup des
deux errants dans ce pays, et que l'on a volé et forcé 5 où 6

(1) Un conteur d'histoires.
('2) Émule du célèbre Cartouche: ce mot était très employé.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE, TOME XXXI (Mémoires) 5

troncs depuis peu et Lon présume que Ce sont des drôles du
folgoat et defeunteun-meas (1) proche du folgoat qui font ces
choses .
Je reste très parfaitement,
Monsieur.
Vostre très humble et dédié serviteur de
taine de Plouyen.
garian moll capi-

Cette missive dont le style et l'orthographe archaïque dé-
tonnent en l731, alors que la littérature du XVIIIe' siècle

avait déjà produit plusieurs des principaux chefs-d'œuvres
qui en fixent le génie à part, semble sortie de la plume d'un
loyal sujet de Henri IV ou de Louis XIII, et on se demande
comment qu'en 1731 on put encore écrire à cette mode. Elle
révèle, au demeurant, la complexion- d'un homme bon et

impressionnable, comme un sanguin, de l'espèce de ces gens
qui « n'ont jamais vu petit loup )), mais s'exagèrent toujours
les justes dimensions des choses.
La lettre de M. de Kerjean-Moll arriva le lendemain à Lan­
derneau et aussitôt deux cavaliers de la maréchaussée de
Bretagne, Mes Yves Guennec et Joseph Dupuis, furent mobi­
lisés pour se rendre au manoir du Mézou. Là, ils opèrent

la capture du nommé Guillaume Guérin, natif du Maine:
« accusé de vol et de vagabondage. )) Mais ( voyant que ce
« vagabond ne vouloit point déclarer ce qui l'obligeoit à res-

( ter en ce pays et que ce Gallo qui savait le breton ne
voulait le parler, on partit du manoir à deux heures de l'après­
lDidi, espérant le confesser à fond, et de retour à Landerneau,
on le chargea - au livre d'écrou. .

(1) Les continuateurs d'Ogée donnent en tête des principaux villages du
Folgoët Feunteun-Meas: il est curieux de voir des habitants d'un si doux
lieu de pèlerinage fournir des recrues aux elIrondeurs d'église et violateurs
de troncs de lieux saints.

Le 14 octobre, on interroge ce terrible Gui1I3ume Guérin,
qui se déclare âgé de 37 ans, de Montenay, évêché du Mans,
et meunier de profession. -
Voici ses déclarations:

Estre dans ce pays, depuis environ trois semaines, venu du
, Poitou pour ' Doir ses amis, recevoir de rar,qent qui lui est deûb
dans les cabarets, ponr achepter un che1J al, un manteau et un
habit et pour boire avec ses amis (!)
A servy le Roy six mois dans son régiment d'IrLande et

n'est venu en ce païs que pour ramasser son monde qui y est
écarté et dispersé, et avoir pris son congé de luy mesme,
c{)mme estant coLonel !
Répond n'avoir jamais eu de célmarades et conteste avoir
jamais rien voUé, que c'est luy qui arrette les voleurs et les
fait. signifier (sic) pour les empescher de venir autour de luy,
que cependant il n'en a trouvé aucun depuis longtemps, grâce '
au Seigneur !
, Répond qu'il n'est ny, fou ny imbécille, qu'il faut arrêter les

coureurs ou lés lesser courir si r'on veut, qu'il le fera à l'ave-

nir et que le Roy ne deffend point de se promener et de boire
quand on veut..,., et signe.
Le ' 15, c'est-à-dire lé lendemain de l'interrogatoire de
Guillaume Guérin, trois témoins assignés pour plus ample
information font tous trois la même déposition : 'le meun ier
Manceau, trop loin de son moulin fJour 'y pouvoir rentret ce ,
soir-là, demanda à loger àu village de Kerilliau. JI se fit en­ tendre en langage petit nègre, sembla comprendre le bre ton

que parlaient ses interlocuteurs: par mimique et con naissance

et jeu de la physionomie cela parut suspect à ces derniers
Puis « un autre vagabond )J" l'homme au bonnet l'ouge, -
« avait passé une heure ou deux avant, on craint qu'ils ne
« soient camarades. ), Ce fut sur cette impression qu'on le
remit au capitaine de la paroisse.
Enfin, le 29 novembre, venait de Rennes, un ordre de la

Cour avec ordre à 1 ui donné (( de se 'retirer en liev, fixé sous
(( peine d'être sévère1~ent puny s'il est 'repris er'l'ant. ))
On ne voulait plus qu'il n~joignit son régiment comme
colonel, qu'il poursuivit. par le pays la rentrée de ses créan­
ces et qu'il se chargeât du bon ordre et de la police .....
Où ramassa-t-on ce pauvre aliéné, point méchant du tout,
malgré la peur qu'il inspira à M. de Kerjean-Moll ? Nous n'en

savons fIen.

§ IV. Un fou compromis dans une bande de voleurs
et condamné à cinq ans de galère.

La fin de l'année t 722 et le commencement de l'année 1723
furent signalés par des vols et pilleries, dans le pays de
Coray, Tourc'h, Scaër et Melgven: quel était l'effectif de la
bande qui semblait avoir une organisation sérieuse? On
disait qu'elle était de neuf individus, d'autres prétendaient
qu'ils étaient douze comme les Apôtres. Il est à c 'oire que le
service se faisait par ordre et par période, sur un commande­
ment dicté 1'après l'occasion, l'occurence, l'opportunit.é du
choix des moyens et des agents. Si la justice ne put saisir
les complices de ces expéditions criminelles, elle en retint

deux: le chef, Jean Cinq, dit Frappe-d'abord, âgé de trente
ans, pillaouer, demeurant à Tourc'h, et quêtant des chiffons
pour le moulin-à-papier de Kergoat en Melgven; et son
lieutenant, un enfant de douze ans, petit valet de ferme, qu'il
suborna et se nommait Christophe Simon, dit Paotl' an HoU .

Jean Cinq fut condamné aux galères à perpétuité et Simon
son associé, à être fouetté, marqué aux épaules de l'empreinte
de la fleur de lys, puis banni du ressort de la juridiction
royale. Ils avaient été capturés en mars 1723.
Dans la paroisse de Coray, au mois de mai suivant, on
remarquait les allures et les démarches singulières d'un
vagabond plusieurs fois entrevu et qui, on le verra plus bas, ne

payait pas de mine. Alors que l'on fut si discret sur le compte
des complices de Jean Cinq, on ne se crut pas obligé à telle
discrétion pour ce vagabond; il n'était pas du, pays, et l'on
n'hésitait pas à le soupçonner d'être de la bande. Le capitaine
de Coray, mu par la rumeur publique écrivit à Mr de Kermo­
rial, lieutenant des maréchaux de France, à Quimper .

23 may 1723 .
Monsieur,
Suivant l'ordre du Roy, que vous nous aviez publié à la

teste de la Compaignie à la lande de Kernél,el de prendre tous
les vagabonds qui roulle par le païs, je vins de'faire arester .
un inconnü qui nous a fait plusieurs raports. Il se dit mesme
accompaigné de neuf{ à dix autres qui sont dispercé. Il a un
ITondmauvais etfixionomie et très mal abillé.Comme personne
ne s'en est voulut charger, je vous prie de faire . venir la
maréchaussée le prendre incessemment au bour de Coray .

C'est l'advis que vous donne celuy qui avec respect, Mon-

sieur, est

Votre très humble et très-obéissant serviteur,

Saint-Dridan Le Rousseaux.
Le signalement donné au premier interrogatoire, lorsque le
particulier fut écroué à Quimper, justifie l'impression faite sur

le capitaine de Coray. C'est un homme de haute stature,
portant cheveux noirs et barhe rouge ayant une raye de barbe
noire au milieu du manton du haut en bas, vêtu d'une mau­
vaise camisole de laine avec culotte et guestre de toille, pied
nud. un bonnet et les menottes aux mains. L'après-midi du
même jour, 23 mai, où Mr de Saint-Dridan écrivait, les agents
de la maréchaussée arrivent à Coray; ils mettent pied à
terre à l'auberge où pend le Lion d'or, se rendent chez le
capitaine de la. paroisse ' où ils sont mis en présence de

l'homme inconnü qui leùr déclare s'appeler Jean-Simon, se
disant t.antost estre origina.'irëde Normandy, quelques l'ois
d'Espagne et aU/l'es licnx; qu''i/, a d'autres camarades au
nombre de huit à neuf; t'un d'eu.Y s' ap/leUe Frappe-d'abord qu'il
connoit particulièrement.
« Ce que voyant, ajoute le procès-verbal de capture, . nous
« avons conduit ledit Simon en ladite oberge où nous l'avons
« fa it garder par deux fusilliers dela paroisse. de Corré; après
« quoy nous avons montés à cheval, courüe tant lad paroisse
« de Corré, Touch et autres paroisses sirconvoisins, ayan1 t
« avec nous quinze millissiens de lad paroisse avoir de fusils
«( autres armes et aydé par le sieur de Saint-Dridan. Quelque
« recherche de perquisitions que nous avons pu faire, nous
« n'avons pu découvrir des malfaiteurs, coureurs et vagabons,
« synon que nous avons eu avis certain que ledit Frapp e­
« d'abord a esté arresté au pardon de la Trinité en la paroisse
« de Melven par la brigade de Quimper. ))
Le 24 mai, Jean Simon était chargé sur le cahier d't'scro ns
de Jacques Le Baune: aux prisons de Quimper.

Le premier interrogatoire de Simon, avant la compétencf.,
fut du 25 mai, c'est-à-dire, du lendemain.
Sur question, il déclare qu'i.l ne sçait pourquoi il a esté

arresté : qn'il a, esté à Qnimperté par nn cnré et des soldats.
Interrogé de ce qu'il faisait à Quimperlé, pourquoi il avoit

quitté son pays, ce qu'il est venu faire ici.
Répond qu'il était vennse p7'omener et y voir les champs.
Int. S'il est venu seul et sans camarades: Répond:
Seul et sans camarades. Au sujet de Frappe-d'abord avec le
quel il avoue avoir été associé, peut-il citer le nom des autres.
Réponse: Il n'a jamais volé; il est t1'ai qn'iL a eu quel-
ques camœrades de voyage sans les Jlou,voi' l' connaistl'e.

Ce tourangeau, amateur de beaux paysages etde pittoresque,
connaisseur en culture, avait, parait-il, d'après les renseigne­
ments parven us à Me Michel Chivon, assesseur de la maré·
. chaussé, avait été vu, en plusieurs quarliers, affublé d'un frOB
de cqpucin. Interpellé à ce sujet, il répond: Il est vray qu'il a
longtemps porté une espèce de robe de capucin qui ne descen­
doit que jusqu'au.y, genou ils et qu'il a laissé dans un grenier à
Saint-Laurens .. . , paroisse d'Espagne.

Le 2 juin, Jean Simon passe un second interrogatoire .
Il a vingt-cinq ans, tisserand de son métier, de la Fetlaye­
sur-Loire, de naissance, et dragon déserteur. Vivant de mendi­
cité, il fut pris à Châteauneuf-du-Faou!

Et le greffier écrit: Interrogé de la cause dudit emprisonne-

'ment, a répondu sans auc' une suite UN DISCOUHS IMBÉCIL'LE QUI
NE SE PEUT ENTENDRE
Jean Simon déclare qu'il fut pris ensuite à Landerneau .
- Interrogé s'il n'était pas associé à quelque troupe de vo­
leurs et vagabonds qui ont rodé autour de Coray et de Carhaix

et s'il n'était pas déguisé en capucin.
Ille conteste, avouant cependant qu·'il a eu la barbe pius
long'll. c, à peu près de la longueur de celle des capucins, sans

a'lJoir intension de se déguiser.
- . Il avoue qu'iL avoit daru; son association cinq autres.
Il ne fai t mention de la fameuse robe francisaire .

Denisart dit dans sa collection (cas pl'évotaux) : « on a
« donnné ce nom aux crimes qui exigent une punition prompte
« et qu'il serait dangereux de différer, ou qui sont indignes de

« la faveur de l'appel, ou qui sont commis par · des personnes
« viles et méprisables » .
Cela suppose que la raison d'être de la justice prévotale était
d'être expéditive: Qu'était-elle toujours? Qu'on en juge? Ce
pauvre diable de Simon est emprisonné le 21, mai et jugé le .
6 novembre. .

Le 26 octobre Jean Simon comparaît pour les derniers in­
terroga to ires .
, Il esquisse rapidement sa biographie. D'abord tisserand, il
entre au régim en t de la reine, a parly sans congé après avoir
reçu plusieurs blessu res. Ayant quitte le service, il se ret' ira
.dans son païs où pendant deux ans il a tra/fiqué avec des
bœufs, depuis lequel temps il a été occupé à t-ratJaiUer la tp,rm
et a demeuré à Deston près d'Orléans chez son cousin, el après
en avoir sorti, 'il en a vagué en différents en droits dans cette
province oû il a esté associé allec le nommé Denis Carré, Baron,
Jousse et Roussean qu'il ne wnna, issoit pas pour voleurs, ..
- Il est vray qu'il a pendant quelque temps porté une es­
pèc~ de robe de capucin qui est si courte qu'elle ne leur des­
cendoit que jusqu'aux genouils', qu/il L'a quittée avant de venir
en Bretagne, {'ayant laissé dans un grenier à Sœint- Laurens
paroisse d'Espagne et conteste avoir tait attcun ' Dol sous cette
robbe ny aut'l'ement aux envi1'ons de Coray non pl' us qu'ail­
leurs.
Interrogé comment il a vécu jusqu'alors, répond que c'est
en mendiant.
- S'il n'a pas été constitué prisonnier dans la province, et
pourquoi?
Rép. ~ qu'il a esté constitué prisonnier à Châteauneuf-du­
Faou et à Landerneau, par des marchands ou des fermiers
qui ne vou lIaient pas payer les gen ts de la ville, sans s'expliquer
autrement tenant un discours imhéciLLe qui ne se peut com-
prendre. .
- Interrogé si ce n'est pas pour raison de quelque vol qu'il
a une cicatrice sur le poignet de la main droite et sur le doigt

index d'icelle. . .
_. Répond que ce sont des coups de sabre qu'il a reçu estant
au service du roy.
Le 6 novembre, ce pauvre Jean Simon est introduit dans la
chambre du Consei l, à fin d'être interrogé une dernière fois

« pour le jugement définitif»: L'opération est peu compliquée
car le thème est le même à part quelques variantes de part et
d'autre.
Jean Simon déclare avoir serIJy le roy en qualité de dra­
gon an régiment de la reine, 'quitté le service depuis sept ou

huit ans, ayant quitté le régiment, il se retira chez son cousin,
Denis Juber, paroisse de la Ferté, ou il resta cinq ou six ans,
sur son mettier de tisserand. Il en partit etse rendit au Mans,
de là an Chastau du Loir, de là à Rennes, d'où à Versailles,
d'où en compagnie d' 'Un homme qui connaissait beauco' up les
chemins et les maisons et tombé dans le païs de Coray et fut pris
et conduit dans les prisons de ()uimpert'.
Et le président surpris de voir cet original partant du Mans,
pour aIlel' à Versailles, par Rennes, pour y toucher et revenir
échouer aux prisons de Quimper, par Coray, de lui demander
où il prenait de l'argent pour s'entenir, avec des itinéraires si
peu raisonnés, si peu économiques. Simon répond qu'en fai­
sant chemin, il tach.ait de gagner ses journées à labourer la
terre, fai?'e des fossés et autres ouvrages ... . et que jamais il
n'a fait de violance sur les ro'Utes.
Interrogé pourquoi il portait un habit de capucin et un grand
bâton par les 'chemins et une grande barbe; ce qu'il a fait de
son habit de capucin et pourquoi il s'est fait la barbe depuis
les huit jours derniers.
Répond qu'ilpoTtait cet habit ponr se gaTantir de la rigueur
du temps, un grand batton pOUT s'aider à marchèr et chasseT

les chiens, et 'Une grande barbe par la négligence qu'il a cu de
la faire ct qu'il a laissé son habit de capucin en la l,ille de Lan­
nion, en Bretagne.
Interrogé d'où viennent les cicatrices qu'il a sa main, ré­
pond les avoiT reçu rl C01./;ps de sabres estant sur le chemin du
païs du Mans pOUT l'obliger à retourner chez lui.
La sentence est rendue, et dit que Jean Simon a né (my en la
chambre du Conseil: il est déclaré atte-int et corù . .1aincu d'être

vagabond sans aveu et suspect de frriponnerie : pour répa, ration
de quoi, il est condamné de sàvir le roy en quaLité de forçat
sur ses gallères! .

N os a nciens médecins légistes sont sobres de détails
dans leurs observations, et l'on voit bien vite que leur
méthode de constata lions et de rédactions les laisse bien
loin derrière les maîtres autorisés de la médecine légale à 1
notre époque. C'est d'autant" plus regrettable que le champ
est largement ouvert aux investigations de la criminologie et
de la médecine rétrospective, notamment à la suite d'études

o remarquées, publiées par des initiateurs, comme MM. les
docteurs Corre et Aubry.
C'est ainsi que l'on aurait été satisfait de pouvoir recher­
cher la fréquence des cas et des procédés de simulation aux
siècles passés': simulation de maladies et d'accidents, d'épi-
lepsie, de folie ...

Les deux derniers vagabonds dont nous venons de noter les
aventures, sont-ils des simulateurs? Les données de la pro-

cédure ne sont pas peut-être, suffisantes et assez explicites
pour le dire. Les éléments d'informations qui éclairèrent la
conscience du juge ne furent pas les mêmes dans les deux
cas, puisque le premier fut renvoyé indemne et le second,
malgré ses discours imbécULes relevés dans quatre interroga­
toires, fut condamné à cinq ans de galères.
Une question fort intéressante, c'est celle de rapprocher les
renseignements nombreux que les archives - criminelles nous

fournissent, des doc.trines émises par les maîtres de la science
psychologique et vérifiées par leur longue expérience et leur
pra li que des ex'pertises
Jusqu'à quel point ces migrateurs, amateurs des aven­ tures et du grand air, du clolce (ar'niente, sont-ils des déséqui-

librés, des dégénérés, et relèvent-ils de la psychologie patho-
logique? ('1). .
Dans un rapport très curieux, très critique, lu à la Société
médico - psychologique de Paris en 189o, M. le docteur
A. Cullerre, directeur-médecin de l'Asile d'aliénés de La Ro
che-sur-Yon, avec une grande clarté et précision, expose l'état
de la question mise, par lui, on peut le dire, à la portée des

profanes, historiens qui, par occasion, veulent être éclairés par
des professionnels sur tou t point scientifique qui confine avec
les études historiques. Le mémoire du docteur Cullerre est
est intitulé: Contribution à la Psych.oLogie du va.gabondage,
avec le sous-titre: Un vaga.hond qui se Tange (2

« Notre société moderne, dit-il, où tout est tracé d'avance, où
« les aptitudes ne peuvent se mouvoir que dans des cadres Ii­
« mités, où toute activité doit suivre une filière sous peine de

« rester stérile ou de devenir nuisible, n'a plus guère de place
« pour ceuJ:de ces inqu, iets qui appartiennent à la variété
« psycfwpathique. Ils n'ont à leur disposition que les aven­
« tures d'outre-mer, les expéditions en pays sauvage, les
« mines de l'Australie, et de l'Afrique australe ou le vagabon­ « dage à l'intérieur, l'anarchisme et les associations de mal-
« faiteurs. » .
« L'étude du vagabondage est d'un grand intérêt pour la
« neurologi'e et la psychologie morbide, ainsi que l'ont montré
« quelques auteurs parmi lesquels il faut citer Charcot et
« M. Bénédickt. D'après le premier, l'hystéro-neurasthénie
« serait chose fréquente parmi les misérables, les loqueteux,
« les gens sans aveu qui fréquentent tour·à-tour les prisons,
« les asiles de nuit et les dépôts de mendicité.

(1) En bonne justice, nous adre.3sons nos remerciements à M. le D'
Meilhon, Directeur·médecin de SI-Athanase, qui, avec la plus entière
bienyeillance, amis à notre disposition les Revues et travaux propres fi
nous fournir quelques «( clartés Il sur certaines questions de nJédecille
légale . .

(2) Annales médico-psychologiques, 8

série, tome II, année 1 b95.
pp. 214 et suivantes

( Le second a soutenu, et son opinion n'a pas été contestée!

(C que les vagabonds proFessionnels étaient en ma}eure partie
« des neurasthéniques et des dégénérés psychiques, des indilji­ « dus sans énergie, sans volonté, incapables de tout effort
« suivi, soumis à des mOUliements périodiqtws d'exaltation et

« de dépression: les uns doués de mauvais instincts et 'l.)C1'sant
«dans le crime, les autres foncièrement honnêtes quoique
« misérables; quelques-uns, esprits légers non sans poésie,
« grands liseurs, rêveurs mystiques, à qui il n'a manqué
« peut-être qu'une instruction suffisante et des moyens de
« fortune assurés pour faire dans le monde figure d'originaux
« et mêmes d'hommes célèbres. )) ,

. Un saint religieux, 'le P. abbé de Tymadeuc, lui, dont le
monastère était si accueillant aux nécessiteux, et connaissait
si bien les Vagabonds, disait de ces derniers: « la première

« paire de sabots leur est dure et lourde à traîner sur les
( gt'ands chemins, mais lorsqu'ils commencent à user la
« troisième, c'est fini: ils sont incorrigibles, incurables, et
. « sont vagabonds pour toujours! ») (1 ).

La question de l'histoire des vagabonds à travers .les âge:3
est d'un grand intérêt aussi, au point de vue de l'histoire
sociologique. .
M. J.-J. Jusserand en fait ressortir l'importance dans son
livre sur La vie nomade et les routes d'Angleterre au XIVe
siècle (2).
Parlant de la grande révolte de 1381 il écrit (p. 1::)7-158.)
ce qui suit:

(C C'est dans une révolte pareille que Je rôle de la classe errante
est considérable ... Il est impossible, si on ne tient pas compte

(I) Nous devons cette communication à notre cher vice-président de la
Société Archéologique, M. l'abbé Abgl'all, chanoine titulaire de la Cathé­
drale de Quimper
('2) HachtUe t884.

de cet élément, d'expliquer l'importance et l'étendue d'un
mouvement qui faillit avoir des suites pareilles à celles de la
Révolution fra nça ise.

Pourquoi en France la Jacquerie fut-elle une .vul'gaire et
i mpuissan te émeu te comparée à la révolte anglaise?

Les causes en sont multiples, mais la principale est l'absence
d'une classe de nomades aussi nombreuse eL forte que celle
d'Angletp.rre. Cette classe servit à unir toulle peuple: elle dit
àceux du nordc~ quepensaientceux du midi, ce que souffraient
et .désiraient les uns les autres, etc'. ,

Ils marchaient de concert, sans se connaître autrement que
par l'intermédiaire des errants (p. H'7-1;)8,.
Effectivement, une commotion populaire, une évolution

s' ociale, peuvent recevoir, des nomades, une contribution,
un apport de force redoutable.
Nous avons lu M. J.-J. Jusserand avec attention et estime;
nous avons lu et analysé Lesüagabond~, de Maxime Gorki ('li,
nous avons étudié aux archives du Finistère ce qui concerne
le vagabondage et les vagabonds de Basse-Brelagne; il nous
semble que nous n'avons pas trouvé le sinistre nomade
d'Angleterre et de Russie dans le vagabond que nous
révèlent nos procédures en Armorique: ce n'est pas le maudit
que l'on entend ailleurs, avec ses imprécations et ses blas­
phèmes, c'est un bon vivant, n'étant pas hors de la société
comme L'Uutlaw, mais évoluant, un peu en marge de l'orga­
nisation socia Je de son temps, avec la conviction plus ou
moins informe de remplir une fonction · dans la société,
d'occuper un échelon dans la hiérarchie de son priys.
Il disparaît: ce n'est pas un mal. Nous le retrou\'erons
dans la suite de ce travail; Brigands de Basse Bretagne au
X VIlle siécle, et Mendicité et mendiants chez nous, a'vant 1789 .

('1) Traduction ct préface de Ivan Slrannik, Société du Mercure, lU ,'2.

357 ' -

DE'UXIEME PARTIE

Table des mémoires et documents publiés en 1905

III

VII
VII bis

VIIl

l'AGES
Excursion dans la commune de Ploujean par
M. LOUIS LE GUENNEC ........ ; . . . . . .. . ... . 3

Vagabonds de Basse-Bretagne au XVIII" Siècle
. par M. l'abbé ANTOINE F AVÉ . .............. . '. M5
Le Prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'Ile Tristan
près de Douarnenez, par M. BOURDÈ DE LA
ROG ERIE ......... " ... ............... ; i8,148, 206

Nou velle décou verte (dé substructions et d'objets
de l'époque romaine) faite à Carhaix par M. P. DU
CHATELLIER . . . ............................ .
Campagne d'Islande sur le Château-Renaud
(1890), extrait du livre de bord de M. le Com-
mandant MARTIN (planche) ................. .
Toponymie de la Montagne d'Arrée par
M. CAMILLE V ALLAUX (carte) ............... .
Note sur l'occupation militaire de l'Armorique
par les Romains (suite) : IS par M. JOURDAN
DE LA P ASSARDlÈRE /3 cartes} ..... , ........ .

Une campagne de huit jours, récit d'un général
et d'armes de la Sénéchaussée de Lesneven en
1766, par M. J'abbt'> ANTOINE FAvÉ ......... ' .
Trois vases en argent découverts à Plovan (Fi-

nistère), par M. P. DU CHATELLIER (planche).
Les chapelles du Cap-Sizun (suite) : La cloche de
Monsieur SaincVrhey, par M. H. LE CARGUET.
Les Eglises et Chapelles du diocèse de Quimper
(suite) ; doyennés de Lesneven et de Plabennec,
par M. le chanoine PEYRON .................
Les peintures de la chapelle de la Madeleine à
Pont-}, Abbé, par 1\1. le chanoine'AsGRALL.. . .. ,

114

124
135

164
169
183
201

XII

XIlI
XIV

Le prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'île Tristan
(suite: voirN°I), par M. BOURDE DE LA ROGERIE.
Les combattants bretons de la guerre améri-
caine, pa~' M. H. DE KERGUlFFINAN-FuRIc .....
Monument.mégalithique et "Coffret à Penfoënnec
en Elliant, par M. DE VILLIERS DU TERRAGE
PAGES
206

(planche) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
XV La famille de La Tour d'Auvergne-Corret, par
M. J. TRÉVÉDY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 280; 346

XVI La misère et les miséreux au Minihy de Léon:
San tee, par M. l'Abbé A. FA vÉ ............ 304

XVII Le prieuré de Saint-Tutuarn ou de. l'île Tristan
(suite: voir N° 1 et XII), par M. BOURDE DE
LA ROGERIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... 330

XVIII La famille de La Tour d'Auvergne-Corret, (suite,
voir N° XV), par M. J TRÉVÉDY............ .346

FIN

Quimper. ' Imprimerie A. Leprince