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Bulletin SAF 1904


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Charles de Blois au siège de Quimper (1344)

J. Trévédy

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n, ''''nc.VL~'"Uc;;,
DU FINISTERE
-Hôtel de Ville
29~07 QUfMPER '

CHARLES DE BLOIS
UIMPER (1344)
AU SIEGE DE

I. - LE TOUR DU CHATEL
La place Saint-Corentin de Quimper se nommait ancien­
nRment et jusqu'au XVllI Turnus ou Circuitus Castri. Ces noms gardaient le souvenir
marquaient le site de l'enceinte fortifiée que le roi Gradlon

abandonna à saint Corentin pour y fonder son église.( 1). Cha-
que année, le 2 novembre, jour de la Commémoration des
défunts, ou selon l'expression usuelle de la tête des morts, une
procession se fait autour de cette partie de la place dont la
statue de notre illustre Laënnec occupe le milieu. Cette céré­
monie était déjà d'usage à la fin du XVIe siècle, et le chanoine
Moreau nous apprend qu'elle datait de deux siècles et demi.
l'origine qu'il lui attribue (2) :
Voici
« .••.• La ville fut assiégée par Charles de Blois avec son
la plupart française; mais, d'autant qu'elle était plus
armée,
encline au parti de Monfort.,."., elle soutint longuement le
Finalement, elle fut si bien battue et assaillie par
siège.
plusieurs assauts, qu'elle fut forcée, pillée et saccagée .....
L'insolence du soldat, qui avait beaucoup souffert devant
grande; et ils tuèrent, pendant l'espace de
cette place, fut

(1) Le Tour' du Chastel formait une encein te qui s'étendait sur l'ouest
jusqu'à l'entrée de la rue Kéréon et de la rue du Guéodet. Au bout de
chacune de ces rues, i: y avaiL une parle. Celle de la l'ue Kéréon est an­
ciennement dite en latin Parla Lapidea, en ~relon Por's-Men, c'est-à-dire
. porte de pie1Te. Elle ne figure pas au plan de 17G 1. La porte du Guéodet
a été abattue en 1868 ; et combien de fois, sub~litut à Qllimper, ai-je passé
sous son étroite ogive! UtW belle photographie de M Villard a conservé
la vue de la porte du Guéodet.
(2) llistoire de la Ligue en Bretagne; l'" éd. 1836, p. 12-14 •

trois jours, tout ceux qui leur semblaient (1), sans distinc_

tion d'âge ni de sexe, et sans être aucunement réprimés par
de Blois qui y était en personne, jusques à ce qu'il vit un
petit enfant qui, attaché à la mamelle de sa mère fraiche_
tuée, suçait le sang avec le lail, dont ému de compas_
ment.
sion, il fit cesser la tuerie et ravage; mais bien tard. .
« . Il Y mourut de la ville plus de 14 à 1,500 personnes, tant
petits que grands .. ,. Il commanda qu'ils fussent enterrés,
ce qui fut fait non aux églises, ni en cimetières, mais en la
place publique nommée Je TOUT du Chastel, où il fut fait de
grandes et profondes fosses dans lesquelles on jeta les corps
en grands monceaux: en mémoire de quoi, depuis le temps,
les ecclésiastiques de la cathédrale font une procession gé­
nérale, avec tous les habitants, le second jour de novembre,
qui est le lendemain de la Tuussaint, priant Dieu particu­
lièrement pour ceux qui lors de cette prise (de Quimper)
furent saccagés.
« Le prince Charles fut accusé de cruauté, quoique d'ail­
leurs il fùt benin et débonnaire, parce qu'il n'avait plus tôt
réprimé la fureul' des soldats )).
Ainsi, au temps du chanoine, la place n'était pas un cime­
tière; bien plus! d'après lui, deux siècles et demi auparavant,
elle ne servait pas aux sépultures: ks victimes de J'armée
de Charles de Blois ont été seules et par exception inhumées
dans le sol de la place, 'et la procession du 2 novembre est
un pieux hommage rendu à leur mémoîre (2) .

Le chanoine est-il bien informé? .
(1) Apparemment: qu'il leur sembla à propos, Il y a plus d'une faute
dans la p" édition du chan6ine Moreau,
(2) Fréminville (Antiquités du Finistère, I. p, 304), admet et répète cette
explication; mais, se méprenant sur la signification du mot TOUl' du Chalel,
el corri~eant Moreau, il dit qU A « les fosses larges el profondes furent
de l'une des tours de la ville appr lée - la TOUl' du Chalel «.
creusées près

. Nul doute qu'il ne nous transmette une tradition ayant
cours en son temps; mais cette tradition est démentie par
une délibération du chapitre de Quimper, antérieure à
et que le chanoine n'avait pas vue (1).
Moreau
Cette délibération arrête la liste: 1° des fêtes douhles;
2° des fêtes semi-doubles; 30 des processions auxquelles
marchent les chanoines, et « à l'occasion desquelles chacun
d'eux reçoit douze deniers »). La dernière procession de la
est ainsi i ndiq uée :
liste
« Le lendemain de la Fête de Tous les Saints au Toul' du
Chatel (2).
Or, la délibération est de l'année 1278, antél'ièure de
soixante-six ans à la prise de Quimper par Charles de
Blois (3).
Voilà un texte que l'érudit chanoine n'a pas connu; et que
il a reçu les douze deniers, indemnité de sa présence
de fois
à ]a procession, sans savoir en vertu de quel titre ils lui
étaient attribuw; !
Nous devons donc conclure que la procession qui se pro­
mène autour de la place, le 2 novembre, étant antérieure au
siège de 1344, n'a pas l'origine et le sens que lui assignait
le chanoine Moreau.
Cette procession du 2 novembre, cetto visite faite aux
morts au jour que l'Eglise consacre spécialement à leur sou­
venir, n'est pas une cérémonie particulière à Quimper; elle
(1) Ce carlulaire est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale; la Biblio-
de Quimper en possède une copie. La délibération du chapitre se
thèque
trouve au n° 31 fos 41 et 42. Elle a été reproduite dans le Bulletin de la -
Commission diocésaine. 1901, p. 1'2-13. Voir dernière ligne.
(2) In craslino omnium Sanctorum in circuitu Castri.
(3) Le jour et le mois sont restés en blanc; mai·s la date de l'année est
. ainsi écrite: • Anno Dort Mo. CCLXX octavo ».
Dès 11:'\77, Le Men (Monographie de la Cathédrale de Quimper, p. 227-28),
avait opposé cette délibération au récit du chanoine; mais il disait:
« Celte procession avait lieu au moins depuis le XIV· siècle », et semblait
du XIV· siècle la délibération à laquelle il renvoyait.
ainsi dater

existe en beaucoup d'autres lieux. Si, selon l'usage univer­
sel ancien (1), la place .ou une partie de la place a été origi­
nairement un ciml'ltière, la procession a son explication
toute naturelle dans l'usage commun. Fùt-il même démontré
que cette partie de la place n'a pas ser~i d'ordinaire aux
inhumations, il est certain du moins qu'il y avait un étroit
cimetière le long du mur nord de l'église, depuis l'élégant
ossuaire touchant le porche jusqu'au transept (2). Ce voisi­
nage suffit à expliquer le parcours de la procession qui ne
pouvant circuler autour du cimetière . aura fait le tour de la
place. '
J'ajoute que la prise de Quimper en 1344 est du mois de
mai, sinon du ~ er mai. Pourquoi aurait-on arbitrairement
transporté au 2 novembre l'anniversaire des. victimes du

1" mai?
Mais le récit de Moreau donne lieu à une autre question.
Le chanoine s'est mépris sur la date et l'origine de la pro­
cession du 2 novembre. Etait-il bien assuré du massacre de
1344 ? L'a-t~illu, selon ses expressions, dans quelque « velin,
écritures publiques ou lettres anciennes?» Il semble indi­
quer que non, et mettre ce fait « au rang des grandes choses
dignes de mémoire dont nos historiens ne font aucune men­
tion (p. 12) JJ. C'est dire que le massacre est de tradition,
maIS qu on n en a aucun reClt ecrIt.
S'il a eu cette pensée, le chanoine fait encore erreur. Deux
cents ans avant lui, deux chroniques bretonnes relataient. le
(1) « Les places vacantes au devant des églises étaient originairement des
cimetières appelés pour cette raison paradis, qu'on prononce aujollrd'hui
. parvis », Hévin. Questiôns féodales, p. 7Z-i3. Et il cite en exemple: Le
parvis de N.-D. de Paris, autrefois le 1Ja1"adis. De même à Quimper, le
paradis de Saint-Mathieu, dont le souvenir se relrouye au XVIIIe siècle dans
le nom de la chapelle de N.-D. du Pa,-adis, accol6e à l'église. C'est aujour­
d'hui la place Saint-Mathieu.
(2) Le Men. Monog1"aphie, 224-226 •

massacre de 1244. L'une est dite Cronicon britannicum,
l'autre Cronicon briocense, de Saint-Brieuc (1). Voici le récit
édité par l'une et copié par l'autre. Je traduis mot à mot:
« L'an 1344 fut prise la ville de Quimper par le seigneur
Charles de Blois. Là furent tuées par lui quatorze cents per­
sonnes, et Charles ne mettait pas fin à sa cruauté et au mas-
sacre, jusqu'à ce qu'on lui dit qu'un petit enfant suçait encore
le sein de .sa mère morte. A cette nouvelle, il fit cessel' le
carnage. Mais sa cruauté causa un gl'and scandale dans la
Bretagne et surtout en Cornouaille» (2).
Voilà la phrase des deux chroniques, dont l'une copie
l'autre; c'est-à-dire voilà le récit original unique.
D'après l'auteur, ce seeait Charles de Blois qui, de sa ·
propre main (per ipsum), anrait égorgé quatorze cents per .... .
sonnes. C'est absurde! direz-vous. Soit; mais c'est le dire
de l'auteur dont la haine pour Charles de Blois va jusqu'à la
reviendrons sur ce point.
démence. Nous
Chose à peine croyable! Pour la tradition, que suit le
chanoine Moreau, quatorze cents morts, ce n'est pas assez: .
la tradition dira (c plus de 1,400 ou 1,500 personnes». Et
le massacre durera trois jours? Qnelle que soit « la fureur du
soldat n, comment admettre qu'elle ne soit pas tombée de
lassitude et de dégoût avant trois jours? On a peine à com­
prendre qu'un homme de sens comme Moreau ait accueilli
et répété une telle trildition. ,
Il est vrai que, sans le savoir, il dément le récit du chro­
niqueur l puisqu'il n'accuse pas Charles de Blois d'avoir

(1) Cr. Bl'itannicum. Lobineau, PT. 36. Morice,PT.!. 7. Cl'. Bl'iocense.
Morice, Pl'. I. 4'2. Lobineau n'a imprimé cette seconde chronique qu'à
de 1364. Pl'. 834-898.
partir
(2) Anno 1344 fuit capla civitas Corisopitensis pel' D. Larolum de Blesis,
. ubi occisœ fuerunt pel" ipsum 1,400 personœ, nec cessabat idem Carolus à
dictâ suâ crudelitate et occisione donec nuntiatum fuit ei quod quidam
infantulus lactabat mamillas malris SU ffi occisœ. Quo audito fecit cessare ab
illâ occisione, et ob èjusdem crudelitatem fuit ortum magnum scandalum
in Britanniâ et maximum in Cornubïa Il ,

massacré lui-même, mais de.n'avoir « aucunement réprimé»
le massacre pendant trois jours; c'est-à-dire d'avoir été sans
pitié, lui « bénin pourtant et débonnaire ».
Ajoutons que le qhanoine dit que la ville fut « pillée et
saccagée», ce que ne disent pas les chroniques.
Au moment où Mor~au écrivait, la Bretagne avait eu trois
historiens: Le Baud, Alain Bouchard, d'Argentré. Bouchard
ne parle PÇ,s du siège de Quimper; Le Baud rép.ète le récit
des chroniqueurs; mais son histoire était encore et pour long­
temps manuscrite; Moreau ne l'aura pas vue; mais comment
n'a t-il pas vu celle de d'Argentré qui avait eu déjà plusieurs
éditions? Le récit de d'Argentré l'aurait, je crois, rendu
plus çirconspect.

En renchérissant, comme il a fait, sur l'horreur du récit
originaire, Moreau s'est fait l'écho d'une tradition qui, selon
l'usage, exagère. Moreau lui-même 8. écrit: (C Le récit des
guerres est délectable et l'expérience dure et amère ((J. 6) ».
La tradition est comme Moreau: elle se complait au mer-
veilleux dans le grand, le beau, ou même l'horrible; c'est
pourquoi il ne faut pas lui demander ce qu'on exige d'un
témoin ( ne dire rien que la vérité ». Et remarquez-le, la
tradition, née sous le règne de la maison de Montfort, ne
pouvait être qu'hostile à l'adversaire malheureux de cette
maison.
puni de sa crédulité=- je ne vois personne
Le chanoine a été
ayant répété, sur sa parole, que le carnage dura trois jours
sous les yeux indifférents de Charles de Blois.
Du reste, que le chanoine instruit seulement par la tradition
ait exagéré le récit du chroniqueur, cela ne peut surprendre;
mais ce qui se comprend moins et ce qui nous semble sans
excuse, ce sont les exagérations des historiens: ils ont lu le
chroniqueur, il est leur seule autorité, et ils ne savent pas
s'en tenir aux détails fournis par lui!
C'est ce que nous allons voir, quand nous passerons en

revue les historiens bretons et français jusqu'au XIX6 siècie.
auparavant étudions nos vieilles chroniques et cher­
Mais
chons-y la source de ce récit du siège de Quimper.

La Revue des Questions historiques (6 année 1872, t. XI,
p. 41-90.) a publié un important mémoire intitulé: Charles
de Blois et ses acc'usateuTS anciens et modernes. Ce mémoi l'e
a pour auteur notre regretté correspondant D. Plaine, béné­
dictin' de, Ligugé. Le savant religieux répond à cinq accusa-
tions portées contre Charles de Blois, par des contemporains
ou par des auteurs modernes:
« 1° La moralité de sa vie privée a-t-elle été répréhensible,
ainsi que l'a prétendu Froissard ?
« 2° A-t-il injustement revendiqué la couronne de Bretagne
au nom de sa femme Jeanne de Penthièvre (Guillaume de
Saint-André).
(Henri
« 3° A+il fait la guerre en homme sanguinaire?
Martin) .
« 4° A-t-il sciemment altéré les monnaies?
« 5° Est-il parjllre '( (Guillaume de Saint-André) ».
En répondant à la troisième question, le savant bénédictin
a parlé sans beaucoup de détails du siège de Quimper, selll
objet de la présente étude.
Il m'a paru qu'il était permis de reprendre l'examen de ce
point seulement, au moyen de documents que D. Plaine n'a
pas VIses.

II. ORIGINES DU RECIT DE ~OREAU
Lobineau et Morice ont imprimé douze anciennes chro­
niques, cn comptant la Vie en vers de Jean IV, par Guillaume
de Saint-A nuré; ils ont imprimé aussi nombre de déposi­
tions reçues dans l'enquête de canonisation de Charles de
Blois; enfin, ils ont cité souvent la Chronique flamande, la

Ch'ronique anglaise de Knygnton et notre historien Froissard.
Des douze chroniques imprimées, sept s'arrêtent avant
1344~ date du siège de Quimper, nous n'avons pas à nous en
occuper; mais nous devons étudier brièvement les cinq
chroniques continuées après cette date, et y rechercher la
mention qu'elles ont pu faire du siège. Après, nous deman-
derons le même renseignement au chroniqueur flamand, à
Knyghton, à Froissard et à l'enquête pour la canonisation de
Charles de Blois. Enfin, 'Il0US dirons un mot de la Chrono­
g-raphia Regum {rancorum, que nos anciens historiens ne
citent pas.
1 C'ronicon B'ritannicum. La Chronique Bretonne va
de l'an 211 jusqu'à 1356 (bataille de Poitiers). Elle tient dans
cinq colonnes des P'reuves de D. Lobineau et D. Morice (1). Si
on remarque qu'elle contient nombre de fondations d'ab­
bayes, de décès de personna'ges ecclésiastiques, de rensei­
gnements météorologiques, on reconnaîtra qu'il reste· peu de
place pour les événements vraiment historiques remplissant
une période de onze siècles et demi. .
Cet abrégé ne donne gU8re qu'une ligne à chaque événe­
ment, deux faits exceptés: l'hérésie d'Eon de l'Etoile et le
siège et massacre de Quimper. Nous avons dit que cette
dernière mention se retrouve dans la Chronique de Saint­
B'rieuc.
Quel est le récit original? Selon toute apparence, c'est le
C'ronicon britannicum (2) : l'auteur du Cronicon b'riocense n'a
commencé à écrire qu'en 1394. .
Quoi qu'il en soit, une seule citation donnera la mesure
de la crédulité du chroniqueur: je traduis mot à mot.
« Dans une île voisine de Vannes, les eaux d'un vaste étang
:1) Lobineau, Pl' 351 et suiv. Moriee, Pro l,là 7.
('2.) M. de la Borderie,

très poissonneux furent changés en sang, l'an 587 », (Mo­
rice, [Pro II. 3J).
Quant à l'hostilité du chroniqueur contre Charles de Blois,
elle se manifeste dans les expressions qu'il emploie. J'ai
relevé plus haut ces mots qui montrent Charles de Blois
tuant par lui même~c'est-à-dire de sa main, 1,400 personnes
et dont la cruauté ne semble pas encore assouvie!
2° La Chronique de Saint-Brieuc, Cronicon briocense (1) a
été imprimée par D. Morice (Pr. l, 7-102) et, en partie seu-
lement, par Lobineau. Pr. 834-891).
. Cette chronique anonyme n'est pas contemporaine du
si~ge de Quimper: L'auteur dit lui-même qu'il n'a commencé
à écrire qu'en 1394, cinquante ans après le siège. Il apprend
en même temps qu'il n'écrit que ce qu'il a trouvé ailleurs,
sans du reste indiquer ses sources. Il semble dire qu 'il s'est
dispensé de toute vérification. On dirait qu'il a craint d'ob-
tenir la confiance qu'apparemment il sent ne pas mériter.
Jamais, je pense, on n'a vu un auteur, quelql)'humble qu'il
se fasse, décommander son œuvre avec tant de zèle et d'ins­
tance: « C'est à genoux et les mains jointes qu'il supplie
qu'on le critique, qu'on ]e corrige! »
Cette hypocrite prière a été exaucée par Lobineau; il
n'impl'ime que ce qui est « du temps de l'auteur»; « ' le reste,
dit-il, ne méritant que peu d'attention, n'étant qu'un tissu
d'extraits de chroniques et d'histoires que l'on trouve
ailleurs». Et, ajoute Lobineau, «(quand l'auteur veut y mettre
du sien, ce ne sont que redites, verbiages inutiles, anachronis­
mes grossiers, faussetés m?licieusement inventées et c,hartes
dont la supposition est manifeste. l) (2) .
(1) .Ainsi nommée parce qu'uné des deux copies anciennes était conservée
à Saint-Brieuc.
(2) Lobineau. Pro 835; et il cite des chartes fausses.

De son cpté, Morice met en note (1)': (f. Le jugement que
l'auteur porte lui-même de son ouvrage, nous apprend avec
quelle précaution il faut le lire .... 11 compile les écrivains
français et bretons, sans ordre et sans aucun discerne­
ment n.
Tout récemment un érudit breton a étudié la Chronique de
Saint-Brieuc (2). Il nous montre dans l'auteur un clerc breton
animé « d'un patriotisme foug'ueux, farouche»; haïssant
les Anglais et ,enco,re plus les Français; «( le plus partial et
le plus passionné des historiens »; un panégyriste de
- Jean IV, qui fut bon, incapable d'une félonie et n'a pas été
le complice de Pierre de Craon; enfin, plein de haine pour
Charles de Blois.
M. de Berthou le premier a donné un nom à l'auteur de la
chronique. D'après lui, ce serait Guillaume de Vendel,
c clerc breton, maître ès arts, licencié en droit, bachelier
en théologie, envoyé par le roi à Jean V, ~n 1407, et que le
duc députa au pape Grégoire XII à Avignon pour traiter de
l'extinction du schisme (3) ».
Ce partisan dévoué de Jean IV parLage les odieuses ran­
cunes de son seigneur. Il conclut ainsi son récit de la bataille
d'Auray: « Chose merveilleuse! Charles avait' de Français
ou .Bretons 5,000 hommes; Montfort n'en avait que 1,300.
On voit par là que la justice vengeresse de Dieu inLel'vint et
que le parjure est à cl'ainùre ». La disprop0l'tion des forces
des deux adversaires, la victoire présentée comme due à une
Întervention divine, n'est-ce pas une de ces Cf. faussetés ma­
licieuses » que signale Lobineau?

(2) M. de Berthou, de l'école des Charles. Association Breton ne. Intro­
duction à la Chronique de Saint-Brieuc. Année 1900, p. 67-8 î, p. ;:) à
110. Année 1901. Analyse sommaire et critique de la Chr. de Saint-/J1'ieuc,
(3/ M. de Berlhou présente son indication comme une conjecture. C'est
tl'Op de modestie. Qu'on lise les pages 77 à 80, et on sera persuadé que
M. de Berthou a fait une découve,'te.,

Du reste, l'auteur ne dit qu'un mot de Charles : (e il fut
parjure». De sa douceur ordinaire, de sa piété fervente, de
popularité en Bretagne après sa mort, rien! LUI, homme
d'église il n'a pas entendu parler des miracles que la croyance
populaire attribue à Charles de Blois, ni du concours des
pèlerins à son tombeau de Guingamp, ni de l'enquête à fin
canonisation faite en 1371.
Comment le chroniqueur n'aurait-il pas accueilli un récit
sa haine contre Charles de Blois? Il l'a donc repro-
qui flattait
duit; mais ne voyez pas là une de ces copies r! sans ,
discernement » que blâme Morice. C'est avec une joie ma­
ligne que le panégyriste de JeanIV accueille et fait siennes
toutes les expressions du Cronicum britannicum. Il se pro-
met bien que' la postérité prendra ces expressioris à la lettre
et qu'elle rendra Charles responsable sinon auteur de l'é­
gorgement de 1,400 personnes à Quimper!
Ainsi la Chronique bretonne est l'original, la Chronique de
, Saint-Brieuc, la copie; mais les deux chroniques ne comp­
teront que pour une autorité.
3° Les Chroniques Annaulx ou simplement les Annaulx (les
Annales) ont été imprimées par Lobineau (P't. 351 à 367) et
par Morice (Pr. l, 102-118).
chronique présente, par années, certains faits plus
Cette
ou moins importants de 593 à 1468. Elle mentionne, en 1344,
prise et l'incendie de Dinan par les Anglais, et, en 1345,
mort du comte de Montfort et sa sépulture dans l'église
des dominicains de Quimperlé. Elle est muette sur le siège
de Quimper qui se place entre ces deux dates. "
Elle renvoie parfois à la Chronique de Saint-Brieuc (no"
tamment trois fois en quelques lignes ' . (Morice, Pro 115.) ,
Après la victoire définitive du comte de Montfort, le chro­
niqueur est du parti de Montfort; quand il annonce la mort
de Jean IV, il dit: « 11 fut surnommé le bon à cause de sa
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE . . ' TOME XXXI (Mémoires) 16

probité et de sa justice ». Le complaisant chroniqueur a
oublié ou compte pour rien la traÎtreuse arrestation de Clisson
à Vannes; la complici1é,du duc dans l'assassinat tenté par
Pierre de Craon, etc. Comment ce panégyriste de Jean IV
omet-il les cruautés de Charles de Blois à Quimper? Ne
serait-ce pas qu'il ne les a pas sues?
4° La Chronique Française va de 13[J:1 à 1450, mort du
duc François leI'. Très abrégée, elle tient en deux colonnes
des Prew)es des D. Lobineau et Morice (1) .
. Elle ne mentionne pas le siège et le massacre de Quimper.
Elle ne mentionne même aucun des six faits en marge des­
quels Lobineau a écrit cr. ms, en sorte que cet historien ne
lui a rien emprunté pour la période qui nous occupe. Il a
sagement fait: le chroniqueur est souvent aussi inexact que
crédule (2).
50 Guillaume de Saint-André était secrétaire de Jean IV :
il devint son conseilJer et son ambassadeur; il a été mêlé à
toutes les affaires du règne. Il a écrit en vers l'histoire de
Jean IV, vers 1:381; du moins, a-t-il conduit jusqu'à cette
année la vie de son héros.

Saint-André devait, a-t-on dit, parfaitement connaître les
événements dont il a été le témoin et où même il a joué un
rôle. Soit! mais savoir ne suffit pas au narrateur; l'indépen­
dance et l'impartialité sont apparemment quelque cho3e.
Comment veut-on que le secrétaire raconte que le duc signe
un traité de paix avec la France et s'engage en même temps
avec l'Angleterre? Ce sera toujours une règle de prudence

(1) Lobineau, P1'. 75'2.. Mor:ice, P1'. 1. 155.
('2.) La chl'onique débute par une énigme et une inexactitude: " L'an
1341 ne furent pas Bretons à un, et mourut le bon duc Jean à Lyon sur
le Rhône». Jean II mourut à Lyon, mais le 18 noyembre 1305.
" L'an 1436, vendredi (je jour de juillet, après vespres, churent gros mar­
teaux, comme qui jette pierres du ciel, dont l'on fut moult épouvanté 'II •

et de justice de ne pas interroger un homme sur celui duquel
Saint-André.a démontré la
dépend sa fortune . Guillaume de
sagesse de cette règle.
Lisez, si vous en avez le courage, les 3,550 vers environ
dont se compose son ouvrage, l'auteur vous apparaîtra comme
panégyriste de Jean IV, et souvent bien maladroit.
Voulez-vous la preuve de ses maladroites flagorneries?
Lisez le récit du siège de Bécherel (p. 363). Charles de Blois
assiège ce château, Jean de Montfort vient le contre-assiéger
et l'affame. Guillaume de Saint-André représente Montfort
comme « gay et bien esballdy )); mais les chefs qui entourent
Charles de Blois sont désespérés, tremblent pour leurs vies,
pleu1 rent et tont leurs te.taments. Ces trembleurs, ces pleu­
rards se nomment du Guesclin et Beaumanoir, le chef des
Trente!
Croira-t-on davantage Saint-André quand il nous dit qu'à
Auray, dans cette sanglante mêlée corps à corps, vingt ehe­
valiers seulement furent tués du côté de Jean de Montfort?
Il semble à l'entendre que les chevaliers de Charles de Blois
n'ont su que se laisser tuer, se rendre ou fUll.:. Maladroit
panégyriste, qui, en abaissant la valeur des vaincus, amoin­
drit d'autant la gloire des vainqueurs!
Ce prétendu témoin, qui n'est qu'un accusateur complai-
sant et gagé, ne manque pas une occasion de dénigrer
Charles de Blois; il lui reproche d'avoir commencé la guerre,
oubliant et son contrat de mariage et l'arrêt de Conflans qui
l'admet à l'hommage, et la chevauchée armée que .Montfort
par toute la Bretagne. Il lui reproche un double par­
a faite
jure, et cependant, chose remarquable! il ne lui jette pas au
sang des morts de Quimper. Pourquoi? Lui si bien
visage le
il n'a pas pu ignorer cette abominable cruauté, si
informé,
est vraie. Pourquoi la taire? Il y a là de quoi ruiner les
elle
espérances des Bretons qui s'obstinent à demander la cano­
nisation de celui que le peuple nomme déjà saint Charles,

Si Saint-André ne rapporte pas ce fait, c',est qu'il n'en a
pas entendu parler; et, s'il ne l'a pas su, ne serait-ce pas que
ce bruit n'a pas commencé à courir? ,
La Chronique de Fland're. Cette chronique divisée en

deux parties est, dit-on, l'œuvre d'un professeur d'Ypres, puis
curé en Flandre, nommé Jacques Meyer, puis de son neveu
Antoine Meyer. ' La 1re édition ne fut publiée qu'en 1538.
Flamands prennent naturellement parti pour Jeanne
Les
de Flandre qu'ils norrùrrent Marguerite, et leur hostilité
contre les Français et leur protégé Charles de Blois éclate
à chaque ligne .

A remarquer que la Ch1'onique flamande ne mentionne ni
le siège de Quimper, ni le massacre inwuté à Charles de
Blois. II est vrai que rapportant la mort du comte de Mont-
fort à Hennebont et son inhumation à Quimperlé, elle ajoute:
« De Blois prit cette ville sur la veuve (de Montfort) et y
massacra.les principaux habitants (1) ». On peut croire que
, l~ chroniqueur a confondu Quimper avec Quimperlé et
commis une erreur de date. Ce point admis, ce récit pourrait
être une variante ou un ressouvenir du récit de la chronique
de Saint-Brieuc.
7° Hénri Knyghton, chanoine de Leicester, est un annaliste
auglais, par là même 'très dévoué à Montfort. Il écrivait au
commencement du xv siècle: et quoique voisin des événe-

ments il en semble souvent bien mal informé (1).
(1) Commen tarii si ve Annales [eru m Flandicœrum. 1 ro éd., 1278
Jaeques Meyer, 1538. L'édition continuée jusqu'à 1476 par Antoine Meyer.
- Jacques Meyer, né en 1491, écrivait un peu avant 1538. ,
(1) « Quodquiclem oppidum (Quimperlé) Blesensis de viduâ CBpit et r.la-
rissimos quosque cives trucidavit )'. Le chroniqueur s'écarte ici de la
Chronographia Regum à laquelle nous viendrons. "
(1) Les Annales on t été insérées pa r Twisden dans les Hisloriœ Anglicani:IJ
decem Scriptones. Knyghton (du roi Edouard à la mort de Richard Il) est
le dernier de ces dix historiens. Col. '2311 à 2762 de l'in-folio de Twisden.

Le chroniqueur semble surtout préoccupé de pallier les
insuccès des armes anglaises. Il ne mei1tionne pas la prise
de Quimper par Charles de Blois; mais il écrit une phrase
à laquelle renvoie Lobineau, et que nous citerons, sur la
prise de Hardesvill, son supplice à Paris: etc.
Comment expllquer que Knyghton, adversaire de Charles
de Blois, n'eta pas accueilli avec empressement le massacÏ'e
ordonné à Quimper par Charles de Blois, s'il en avait vu la
mention quelque part?

8 FToissœrd. Froissard est né en 1333 : il a commencé
à écrire à peine arrivé à l'âge d'homme; vers 1360, je sup­
pose. Pour s'enquérir plus sûrement, il est venu en Bretagne.
Il lui est échappé plus d'une erreur sans doute, et commerlt
aurait-il pu en être autrement? Il 'n'a pu qu'écrire les récits
des témoins qu'il interrogeait.
Comment croire qu'un breton interrogé par lui ait perdu
le souvenir d'un fait qui, selon la chronique, a boulevé d'hor­
reur toute la Bretagne, et comment le « chroniqueur dra­
matique » (1).eût-il omis de mentionner ce fait? S'il ne le
mentionne pas, c'est qu'il ne l'a pas appris; et si personne
.ne lui en a parlé, c'est que le fait n'a pas fait si grand scan­
dale en Bretagne. Froissard n'avait aucun ménagement à
garder. Il écrivait après la défaite et la mort de Charles de
Blois, au moment où le protégé du rqi d'Angleterre était duc
de Bretagne; et Froissard, plus anglais de cœur gue français
et attaché à la cour d'Angleterre, n'avait aucun intérêt à
taire un fait de cruauté imputable à Charles de Blois. '
Le silence de Froissard seul autoriserait le doute; mais
voici un autre et sérieux motif de douter. Froissard et nos
vieux historiens, Le Baud, d'Argentré, etc., reconnaissent
le caractère humain de Chal'les de Blois. Les cl'uautés de

(1 ). Expression de Guizot, Histoir'e de France ... II, p. 8'1-82.

Quimper démentent cette renommée de douceur et de bonté.
Donc, nous avons le droit de nous rhontrer circonspects et
de rechercher les preuves du fait .
go Information pour la canonisation de ChaTles de Blois.
- L'informaI ion est le seul de tous les documents anciens
qui d'une façon certaine soit à peu près contemporain du
siège de Quimper. Elle est de 1371, vingt·sept ans seule-
ment après le siège. .
témoignage presql1e contemporain est multiple :

Jean IV s'oppose à l'enquête; elle aUl'a lieu hors de Son
duché, à Angers: 219 témoins y sont appelés, dont 118 bre­
tons, et parmi eux 13 écuyers et 15 serviteurs, 8 chapelains
ou confesseurs, 5 secl'étaires et le médecin de prédilection
de Charles de Blois, çeor:ges de Lesven, de Nantes, qui le
suivit à la Roche-Derrien et Auray et qui partagea sa capti­
vité d'Angleterre.
Ces témoins vont déposer selon les règles usitées devant
les tribunaux du temps: ils seront entendus séparément,
après serment prêté sur les Evangiles; « ils jUl'eront être
pUl'gés de conseils, affection et pollicitations ». Les prêtres
jurent sur leurs saints Ordres. Les dépositions sont consta-
tees par trOiS notaIres.
Leur procès-verbal est un acte authentique, et la même
foi lui est due qu'aux actes de vente et de testament rapportés

à la même époque.
Les témoignages ne peuvent être contestés. On ne peut
nier que les témoins ne fussent. bien
informés, ni suspecter
leur sincérité.
Je n'ai lu des enquêtes que les fragments publiés par nos
historiens bénédictins; mais celte lectul'e librégée confil'me .
cequ'écl'it un auteur qui H lu l'information toute entière :
« Les témoignages multiples se tl'ouvent êtl'e d'une éton-
nante unanimité sur les points importants» (1 ).

(1) D. Plain-e qui a étudié l'information toute entière .

Comment accorder une foi entière au dire isolé d'un chro-
niqueur, dont l'hostilité est certaine, et refuser ·croyance à
des témoins assermentés déposant séparément de faits iden­
tiques?
Voyons donc comment les témoins racontent les circons­
tances du siège de Quimper.
Deux témoins ont YU et rendent compte de tout: campe­
ment: siège, assaut donné au rempart, assemblée du clergé
dans la cathédrale. Du massacre des 1,400 personnes de la
ville, pas un mot! « Et parmi les 219 témoins entendus, dont
plusieurs étaient au siège, pas un ne parle du massacre et
n'y fait la moindre allusion » (1).
Dira-t-on que les témoins ont tous oublié cctte boucherie?
- Impossible! Dira-t-on qu'ils se sont tus en violant
leur serment? Comment croire à cet attentat sacrilège?
Les deux témoins indiqués plus haut signalent deux faits
qu'il faut rappeler en quely:ues mots (2) :
Les Anglais et même des Bretons de Montfort n'avaient
aucun scrupule de faire prisonniers ou même de mettre à
mort des ecclésiastiques du parti de Charles de Blois. Or, '
celui-ci craignait de la part de ses soldats quelque acte de
violence analogue. En entrant en ville, il court à l'église,
y appelle avec l'évêque tous les ecclésiastique8 et défend
sous peine de mort de leur faire aucune violence .
Acte louable que des historiens vont travestir et qui de-
viendra pour Charles l'objet de violents reproches!
Second fait: La ville de Quimper est coupée en deux parts
(très inégales au XIVe siècle) par la rivière du StéÏr; la rive
gauche était à l'évêque, c'était la vraie ville; la rive droite
était au duc. Les fortifications qui gardaient l'une et l'autre

(1) Henseignements de M. le chanoine Porcher, lhéologa de Tou['s, pos·
lulateul' je la cause de Charles de .B1ols.
(2) 38" témoin. Morice. [>1'. Il, 21.

ville exigeaient, pour leur défense, une garnison trop nom­
breuse. Il fallait en abattre une partie. Malgré son conseil,
Charles sacrifia les défenses de la ville ducale.
Sept autres témoins mentionnent le siège de Quimpel';
pas un ne parle de violences cl'uelles exercées en ville.
Il est vraiment surprenant, s'il y a eu un massaCl'e hor­
rible comme on le dit, que sur 219 témoins de toute condi­
tion et dont plusieul's ont pris part au siège de Quimper,
pas un n'en parle et n'y fasse la moindre allusion.
que les témoins interrogés sur les vertus de
Ajoutons
Charles de Blois sont unanimes à célébrer sa douceur qui
n~ se dément jamais; sa modération égale pour ses ennemis
et pour ses amis. Enfill, ils montrent en lui le pel'sonnage
dont Froissard, instruit pal' d'autres, a fait ce portrait:
« courtois, bénin, loyal, prince saint ». -
Il nous faut accepter leurs dépositions comme vraies.
Hepousser des témoignages multi pIes et concordants, c'est
ruiner toute foi au témoignage. Comptez les faits histol'iques
qui sont appris sous la foi du serment par p!usieurs témoins!
100 J'ai nommé plus haut la Chl'Onog1'aphia Regurn jtran-

corum. Elle nous renseigne sur le siège de Quimper .
La Chronographia est une grande ehronique rédigée à
Saint-Denis par un clerc, selon toute apparence bénédictin.
Il écrivait vers 1420 et sur des chroniques anciennes (1).
En 1344, il mentionne le siège de Quimper (2). Il dit en
deux mots qu-e Charles de Blois '4 s'en empara de vive force 1),
et il ajoute « qu'il y trouva quatre chevaliers trnÎtl'es : La
(1) La Ch1'onograpltia a été publiée seulement en 1897 (3 vol. gr. in-8') par
M. Moranvillé. C'est à l'avant-propos (p. 49 avant dernière), que j'emprunte
cie date et d'auleur.
les renseignements
(2) L'auleur écrit ci\'italern Trecorensem (Trég uier.) Traduisez Quimper.
Il place le siège après la mort cie ]I,'lontforl (131'1.). Il n'a pas su le siège de
Quimper par Montfort en 1345. V. t. Il, p. ~08.

Roche-Tesson, Bacon, Persy et Henri de Malestroit et qu'il
les emmena à Paris, où ils furent décapités la veille de
Pâques ». C'était le samedi saint, 3 avril.
Erreur certaine, comme nous verrons; mais la citation a
intérêt: elle prouve que le compilateur copie fidèlement.
son
S'il n'a rien dit du massacre de Quimper, c'est que son
auteur n'en parlait pas (1.)

Résumons en deux mots cette revue des sources de notre
histoire.
D'un côté, la Chronique bretonne seule, manifestement
hostile à Charles de 13lois, mentionne le massacre exécuté
ou au moins ordonné par lui-même.
De l'autre, les Chroniques Annaulx, Guillaume de Saint-
André, Mayer, Knyghton, tous favorables à Montfort, Frois­
sard si curieux de nouvelles dl'amatiques, les témoins de
l'information de canonisation, la Chronographia., tous sont
muets sur un fait odieux de nature à soulever l'indignation
de toute la Bretagne.
L'affirmation isolée d'un ennemi va-t-elle l'emporter sur
le silence unanime de tous? Ce silence ne sera-t-il pas pris
pour un démenti de la Chronique bretonne? .. Mais voici un
autre démenti. Il résulte des faits suivants .

(!) La Clwonogl'aphia a été souvent copiée par la Chronique n01'1nande
du Xl V· siècle, La Chronique ne parle pas du massacre. (Ed. de 188'2, p. 62).
- Mais elle mentionne la prise de Henri de Malestroit, clerc" qui mourut
en prIson Il.
Les éditeurs, dans une note, complètent ce texte en nommant les trois
autres (ci-dessus, p. ) CI .qui furent conduits à Paris par Charles et décol­
lés, etc., " d'après un manuscrit 5610 de la Bibl. nat., qui est un « résumé
de I:J. Chronique nor'mande » par conséq uen t un résumé de la Ch1'onographia.
Cf. Uh1·onographia ..... Introduction (p. VII et VIII) .

III. FAITS CONTEMPORAINS
Le chrorl,Ïqueur finit son récit du siège de Quimper par

ces "mots: « La cruauté (de Charles de Blois) souleva un
grand scandale en Bretagne et surtout en Cornouaille. »
Rien de plus naturel! Oui; avant que le sang soit séché
dans les rues étroites de Quimper, toute la Bretagne a frémi
d'horreur ,au récit du carnage ordonné sinon exécuté par
Charles de Blois. Comment resterait-elle encore attachée
à sa cause? Elle va sans doute abandonner ce chef si
sanguinaire et si malavisé que de massacrer ses sujets; et
elle se réfugiera sous -la bannière de son adversaire!
Interrogeons les faits.
AlI début de 1345, le comte de Montfort s'échappe de
Paris (11. Le 20 ma,i, il rend à Londres hommage au roi
d'Angleterre: il revient en Bretagne avec une armée
anglaise; le 17 juin, sur la lande de Cadoret, au bord de
l'Oust, non loin de Josselin, les Anglais sont vainqueurs;
et Montfort vient assiéger Quimper.
La ville est encore en deuil. Les survivants du carnage de
l'année précédente pleurent leurs pères, leur~ femmes, leurs
enfants et leurs frères. Sans doute ils vont accueillir le
comte de Montfort comme un libérateur et un vengeur de
leur sang répandu? Non! les portes 'restent closes
devant lui. .
On lit dans les deux chroniques Bretonne et de Saint­
Brieuc si dévouées aux Montfort:
(1) Non de la Tour du Louvre, comme on l'a dit souvent. Montfort
avait rendu Nantes (noveml.Jre 1311) à la cundition d'avoir la liberté.
le mit en prison au Louvre. Une des conditions de la trève cie
Philippe
Malestroit (19 janvier 13B) fut « l'exécution des conditions de Nantes. »
Le 1 septembre 134·3, Montfort fut enfin mis ' en liberté en vertu d'arrêt
du parl'ement i mais il la condition cie ne pas quitter Paris. A Pâques 13~5,
apprenant la folie de sa femme, il passe en A ngleterre et en revient avec
une armée. La Borderie Hist. T. III, p. 440 et 496.

(~ La ville de Quimper fut, en 1345, assiégée par le sei­
gneur, Jean comte de Montfort; mais elle ne fut pas prise. (1).
La chronique Les Annaulx fournit quelques détails. Je
traduis mot à mot:
(1 Les Anglais (du comte de Montfort) assiégeaient. Quim­
per ; ils s'efforçaiellt rageuse ment · d'assaillir, d'escalader
les murailles et d'entre!' en ville; ils attaquèrent du côté de
l'orient, vers la colline dite. 'l'l'uquy. cette partie des murs
semblant d'un plus facile accès. Mais Alain (Le CalI) alors
évêque le clergé et le peuple (se mirent en prières) (2).
La rivière d'Odet, qui coule le long des murs s'enfla (à
l'heure du flux) devant les Anglais plus que de coutume;
et miraculeusement mit obstacle à l'entrée des assaillants. »
Ce qu'il faut ~urtout remarquer dans ce récit du chroni-
queur c'est l'unanimité de l'évêque, du clergé et des habitants
eonfondus dans Ul1C même pensée, une même affection et
une même prière, et faisant des veeuxpour Charles de Blois?
Hemarquez le, Alain Le Gall est le mêmB prél8t auquel, lé .
23 décembre 1342, Edouard III écrivait pour le féliciter du
qu'il apportait à son service et lui donner des ins­
zèle
tructions (3). Est-ce en faisant ou laissant égorger 1400
habitants de Quimpe~' que Charles de Blois a converti
à sa cause?
l'évêque
Dira-t:"'on : « L'évêque et le clergé 'ont vu, il y quelques
mois, Charles défendre les personnes et les biens de l'Eglise;
et ils se montrent reconnaissants. J) Soit ! mais les
« gens d'Eglise» ne prient pas seuls pour l'insuccès de
Lé peuple se joint à eux, Comment comprendre
Montfort.

(1) « Anno 134·;). Eadem civil as corisopitensis fuit obsessa per D.
Joannem comitem Montisforlis, sed non fnit ëapta, »
('2) Ici un blanc que je remplis par ces mots. Le sens ne peut être dou­
teux. Le mont TruquY ' est dit aujourd'hui Frugy. Les derniers mots
sont une légen1e faisant la contre· partie de la légende du siège de 1314.
- L'assaut est du 11 aoùt 1J!15. Morice. P1·. I, p.l 13.
(3) Morice P1'. I. '1130-1440.

qu'une population décimée, qui porte encore le deuil de ses
proches massacrés, ait déjà pardonné, disons mieux oublié
carnage ordonné par Charles de Blois? Un historien a
verrons· que Charles donna l'ordre
écrit nous le
d'égorger sans pitié tous les habitants laïques. Comment
explique-t-il qu'un an après Charles soit si populaire pour
les restes de ces habitants? Mais l'historien ne se pose pas
cette question.
massacre exécuté, ordonné ou toléré
Dans l'hypothèse du
par lui, le dévoûment des Quimpérois pour Charles de Blois
semble, on peut le dire, un sentiment contre nature.
Dira-t-on que, en 1345: les Quimpérois se soumettaient à
rangeaient au parti de Charles de Blois
la nécessité et se

parce que, à ce moment, il était le pluf' fort? Non. Le retour
du comte de Montfort avec l'appui du roi d'Angleterre, et
Cadoret ont rétabli les affaires de Montfort.
la victoire de
Mais celui-ci meurt, sa veuve est folle en Angleterre: sa
. cause semble perdue. Aussi, trois ans après le siège de
« la plupart des Bretons te­
Quimper, dans l'été de 1347,
naient pour Charles de Blois (1)l). (( Au même temps, Charles
s'appelait duc de Bretagne et bien le pouvait faire, car la
plupart du pays noble et populaire, soit par amour ou par
crainte tenait sa partie (2)) .
QUl parle ainsi? Le Baud; et son témoignage est d'autant
plus significatif que son histoire est écrite sur l'ordre d'Anne
de Bretagne, arrière petite-fille et héritière du comte de
Montfort.
Le Baud va continuer à nous renseign~r.
Le 20 juin 1347, Charles subit à la Hoche-Derrien une
. défaite complète. Il est blessé et prisonnier. Son armée
est dispersée; mais le pays lui reste fidèle.
taillée en pièces
(1) Froissard. Liv. III, ch. 45.
('2) Le Baud, p. 206 et 303.

(J. Les populaires des environs s'arment de frondes et de
" )), donnent l'assaut à la Roche-Derrien et s'en em­
bâtons
parent. Les Anglais de la garnison sont prisonniers. La vie
sauve leur a été promise; ils partent escortés par des gens
de guerre. Ceux-ci ne peuvent défendre leurs prisonniers
lapident ( ~es gens de labou"r », et les survivants de ces
que
arrivant à Quintin sont massacrés sans pitié
malheureux en

« par des bouchers, charpentiers et gens de métiers (1) J). "
Ainsi, trois années après le siège et le massacre de
prisonnier, Charles de Blois n'a
Quimper, même défait et
pas perdu le dévoùment des Bretons: ils ne lui gardent pas

rancune du massacre de femmes, d'enfants, de paisibles
habitants à Quimper. "

. Treize années passent; le? Quimpérois sont encore fidèles

à Charles de Blois absent; cette fidélité persistera malgré
de graves démêlés avec lui, et même elle survivra à sa
défaite et à sa mort. ·
En 1360, Charles vient en Bretagne chercher" de l'argent "
pour le paiement de son énorme rançon de 100.000 florins
(1) Le Baud, p. 307. Lobineau p. 341.
A près la prise cie Charles à la Roche- Derrien, Sismondi écrit : Ci Les
deux parUs continuant la guerre, n'eurent plus en tête que la femme de
" Charles de Blois et la veuve de Montfort». (Hist. X, p. 324). c'est"à-dire
de Penthièvre et Jeanne de Flandre. De là le. mots devenu15 popu­
Jeanne
laires : Guerre des deux Jeanne. C'est une erreur: après la trêve de
Malestroit, 19 janvIer 1343, Jeanne de Montfort partit pour l'Angleterre
(20 février suivant). Presque aussitôt elle tombait en démence et elle n'était
pas guérie en 1370, qui semble l'année de sa mort. Elle n'est pas rentrée
en Bretagne du moins vivante, car elle y est peut être revenue dans son
cercueil POil!' être liéposée aux Dowinicains de Quimperlé dans le tombeau
de Jean de Montfort. V. ' Bull. de la Soc. Arch. du Finistér~, 1884.
t. XI, p. Z81 et 1885, t. XII, p. 340'.
Sismondi ni Henri Martin n'on"t parlé de la guerre des deux Jeanne. Ils
nomment Jeanne de Flandre 'Ma1'guerite. (Sismondi X, p. 194 et Martin

L'histoire et la légende l'ont célébrée sous le nom de Jeanne, et elle
de ce nom. V. Moriee, Pl'. 1. 1333, 14,31, etc., des actes signés
signait
Jeanne; et au Bar%a% -Brei%, Jeanne la Flamme .

d'or. Il prétend battre monMaie dans la ville close de Quim-
pel'. L'évêque, Geffroy Le Marhec, seigneur de la ville close
et défenseUl' naturel des droits de son fief, est absent, ' Le
chapitre s'oppose à l'exécution des ordres du prince que
pourtant il nomme ( le duc de Bretagne )). Charles arrive le
11 essaie en vain d'obtenir l'autorisation du chapitre
16 août.
et.part après neuf jours_ Les vicaires capitulaires convoquent
le peuple, font afficher la défense aux officiers de Charles de
battre monnaie et de lever aucun impôt, enfin ils excommu­
nient les officiers qui se préparent à exécuter les ordres que
leur a laissés. Ces officiers chassent les vicaires,
le prince
qui mettent l'interdit sur la ville. Enfin après une assemblée
générale des nobles et bourgeois une transaction intervient.
à , battre monnaie en ville, mais il percevra
Le duc renonce
les aides qu' lui sont dues pour le paiement de sa rançon. (1)
Quatre ans plus tard, Charles de Blois est vaincu et tué à
Auray (29 septembre 1364). Ses chevaliers sont morts ou
prisonniers. Le roi de France acçepte comme le jugement de
l'issue malheureuse du combat. La Bl'etagne est lasse'
Dieu
guerre. Les places se rendent au vainqueur. Le château
de la
d'Auray, Malestroit, Hedon s'ouvrent sans résistance. Jugon
soutient deux assauts et se rend après trois jours; Dinan
résiste un peu plus longtemps Le comte de Montfort ramène
vers la Basse-Bretagne son armée victorieuse que grossit
chaque reddition de place. Aux premiers jours de novembre,
Bommer Quimper. Les portes restent closes; nobles
il vient
et bourgeois se montrent rangés en armes sur les murai1les.
11 faut un siège. De violents ass~uts sont repoussés; et le

(1) Pour plus de détails, Le Men, Monographie de la Cathédrale de
Quimper , p, \J3-95.
Cette imposition réputée dort et nommée aide était due ,notamment
quand le seignpur était prisonnier. On ne comprend pas l'obstination
du duc à battre monnaie dans la ,ville close, quand ,il pouvait le fail'e dans
la Te1're au Duc qui lui appartenait.

comte est contraint de faire {( amener et acharier ses grands
engins de Vannes et de Dinan », pour battre les murs de
jour et de nuit. Pendant ce temps, ses troupes ravagent les
campagnes restées fidèles au parti de Blois.
Enfin, le comte obtient la médiation de l'évêque; il promet
pardon et amnistie pour tous; et, le 17 novembre, la ville
est ouverte.
lui
Mais il commence par frapper le diocèse de Cornouaille
lourde imposition, se vengeant ainsi du constant atta-
d'une
chement du clergé et des habitants à son adversaire (1).
Ainsi, Quimper, la seule ville de Br8tagne où Charles de
aurait ordonné ou au moins toléré un horrible massacre
Blois
d'habitants inoffensifs, est aussi la seule place qui lui reste
obstinément fidèle, après sa défaite et sa mort! ·
. Mais voici un bien autre sujet d'étonnement; et ici nous ne
parlons plus de la ville de Quimper; mais de la Bretagne
tou te en tière.
Charles de Blois est à peine enseveli chez les frères
mineurs de Guingamp; le bruit ·court qu'il fait des mira­
cles (2). Le soldat anglais qui, soulevant sa visière sur le
champ de bataille d'Auray, lui a porté le coup mortel, a,
perdu l'esprit; on l'amène à Guingamp; et la santé
dit-on,
lui est rendue au moment où il baise la pierre tombale.
tombeau de Charle" devient le but d'un
A peine scellé, le
( 1) Lobineau. Hist. p. 377. - Le Men, p. 94-95. Chap. 194 de Frois-
sard: « Comment ceux d'Auray, Jugon, Dinan se rendirent et comment
le comte assiégea Quimper ... »
V. les procès-verbaux des assembl ées des bourgeois Morice. Pro I.
1585-86, et Mélanges d'Histoù'e et (l'AI·ch. bl·etonne. I. p. 79 et suiv. -
(2) Clwonographia. II. p. 311. .. « Ad cujus tumulum multa miracula
fiunt, quœ ejus meritum contestantur apud Deum. »
(( Lequel corps de lui sanctifia « par la grâce de Dieu ... car il f(lisait et
au pays de Bretagne plusieurs miracles tous les jours. » -
fait encore
Liv. 1. C. 192 in fine.

pèlerinage~ comme la tombe de saint Yves à Tréguier. Dans
la roùte, les pèlerins chantent en même temps saint Yves et
saint Charles de Blois (1). Trois ans après la bataille d'Au­
ray, sa réputation de sainteté a passé la frontière bretonne.
A Noël de 1367, un chevalier angevin vient prier auprès du
tombeau; il déposera sous la foi du serment que la pierre
tombale disparaît sous les images en cire de bras, de jambes,
d'yeux, d'animaux, symboles et témoignages de guérisons
obtenues. Le témoin estime qu'i-I a vu plus de mille de ces
images (2).
Enfin~ il se trouve des Anglais, même dévoués à Jean IV
et ayant reçu de lui des faveurs, qui visitent pieusement le
tombeau de Guingamp et tiennent Charles de Blois pour

saint (3). .
Et ce massacre de Quimper, qui a causé et si justement
« tant de scandale en toute la Bretagne et surtout en Cor­
nouaille », personne n'y songe plus en Bretagne.
Dès 1368, la duchesse d'Anjou, fille de Charles de Blois,

(t) Comme les compagnies bretonnes qui, en 1377, se mirent au service
du pape Grégoire XII.
«' Bretons criaient: Vive l'Eglise !
En appelant tour à tour à voix vive
A vous merci Charles et Yve ...
Ce sont deux saints de paradis
Qu'aux dits Bretons furent amis ...
Gestes des Bretons en Italie sous Grégoire XIl, roman du chevalier
Guillaume de la Perène .. - Morice. Pro II. p. 148., p. t 72.
(2) Déposition n" XXI (de rniraculis) de Jean d'Ingrandes, chevalier,
à Azé, près de Châteaugontier.
demeurant
Pl'. p. 568, donne l'entête de cette déposition, mais non le
Lobineau.
. texte. De même, Moriee (Pl'. II. p. 30) J'ai trouvé ce texte ailleurs. Je
ne puis aujourd'hui indiquer où.
(3) Exemple. Adam Hoult, capitaine dela forteresse de Cesson et maître
de Jean IV. En remerciement d'une guérison, il dépose une jambe
d'hôtel
de cire" avec ses armes » ; et, aux reproches de quelques compatriotes, il
répond: « Sur ma parole, je le. tiens pour saint.» Dép. de Guillaume
homme d'armes de Laz (diocèse de Cornouaille), connétable de
Anseau,
Guingamp. N° 89 (de rniraculis). Lobineau. P1'. p. 569 .

obtient du pape une information canonique à fin de canoni­
sation. Personne ne l'appelle l'odieux souvenir du carnage
de Quimper Deux papes ordonnent successivement cette
information en 1368 et 1370.
Voilà le duc Jean IV pris de peur! Il est trop avisé pour
ne pas pressentir le raisonnement que feront ses sujets si la
canonisation suit: « Charles ne peut être saint qu'à la con­
dition d'avoir été juste ; or, pendant vingt-quatre ans,
il -a soutenu les prétentions de sa femme au duché; n'étaient­
elles pas fondées?» - La canonisation allait jeter des doutes
sur la légitime possession de J ea n IV. .
. Que fait-il? Il interùit l'information dans le duché. Elle .
se fera ' ailleur s; et les témoins bretons seront entendus à
Angers.

Quel maladroit que le duc Jean IV! Il a un moyen de
couper court à . ce projet de canonisation. C'est d'appeler .
non des témoins, mais la ville de Quimper, bien plus la
Bretagne entière à certifier le massacre des bourgeois de
Quimper ordonné par Charles de Blois, vingt-sept ans
auparavant. Si ce massacre de 1 400 personnes .. s'est exécuté,
selon la chronique, sur l'ordre de Charles, la cause de la
canonisation est perdue 1 Jamais enquête populaire, ou
comme on disait alors, enquête par tourbe, n'aura été plus
facile à faire et n'aura obtenu un résultat plus décisif.
Rien de semblable n'a été fait. Que concfure du silence
gardé par le duc et ses amis sur ce point? Que la fable
sinistre du massacre ordonné par Charles de Blois n'avait
pas encore été imaginée en 1371.· C'était trop tôt.
Voilà, ou je me trompe, le chroniqueur convaincu de
mensonge quand il a écrit : (( La cruauté de Charles de
Blois fit grand scandale en Bretagne. » -
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ' TOME XXXI (Mémoires) 17

IV. R.EVUE DES HISTOR.IENS

Il nous faut maintenant suivre le récit de la Chronique
Bretonne du XIVe siècle à nos jours, et reconnaître les
variations disons mieux les métamorphoses que ce récit a
subies. C'est un spectacle assez curieux et qui encouragera
peut-être à faire un travail analogue à propos d'autres évé-
nements.
Le chroniqueur a eu une singulière fortune. Seul, il a im­
puté un fait d'horrible cruauté à un homme reconnu doux et
humain; et ce fait a été admis de nos jours sans autre
preuve. Et pourtant, pendant des siècles, pas un his-
torien n'a osé accepter le récit tel quel. Pris au pied de la
lettre, ce récit a par,u une absurdité.
Le chroniqueur a dit en latin: (c Quatorze cents personnes
furent tuées par Charles de Blois lui-même (per ipsum); ~
et, insistant, il ajoute: « Sa cruauté et son carnage ne ces­
sère.nt ... : etc. » C'est le langage de la haine en démence; mais
le chroniqueur a bien voulu dire ce qu'il a dit, et il espère
bien être cru sur parolt;.
Son espoir a été déçu. L'absurdité a paru trop forte: on a
traduit: (c Quatorze cents personnes furen t tuées par ordre
de Charles. » C'est 1111e interprétation, plutôt qu'une traduc-
tion littérale.
Mais cette interprétation, imputant à Charles de Blois un
ordre barbare, n'a pas été admise par la plupart; nombreux
sont ceux qui, sur le témoignage unanime des contempo­
rains, ont cru à la douceur et à la pitié du prince
La plupart ont dit que Charles ne sut ou ne put pas empê­
cher le massacre de quatorze cents personnes. Nous voilà,
comme vous voyez, bien loin de la phrase du chroniqueur. Une
faiblesse plus ou moins répréhensible, ce n'est pas l'ordre
de la tuerie donné et longtemps maintenu?
Sur quoi je fais cette remarque: les historiens repol!ssent,

comme un mensonge du chroniqueur, l'ordre du massacre
imputé à Charles de Blois: mais ils admettent comme une
vérité démontrée le massacre de 1 400 personnes, appris
seulement par le chroniqueur qui ment en un point de son
Est-ce une logique sérieuse?
récit.
Cela dit, passons en revue nos historiens.
{O LES HISTORIENS BRETONS

Commençons par nos historiens bretons.
1 Le premier en date est PIERRE LE BAUD.
Il écrit (chap. XXXVI, p. 296) :
«( Au dit an (1344) fut la cité de Cornouaille prinse par le
dit Monsieur Charles, en laquelle furent occises quatorze
cents personnes et plus: et ne cessait point le dit Monsieur
Charles en cette occision, jusqu'à ce qu'il lui fut annoncé
qu'un petit enfant allaictait les mammelles de sa mère
morte. Pour laquelle cruauté nacquit très grand scandale
contre luy par toute la Bretagne et princip-alement · en
Cornouaille. »
Le text.e de Le Baud est la traduction de la phrase citée '
haut. Mais le nombre de victimes donné par les chro'­•
plus
pas à l'historien; et de son chef il ajoute au
niques ne suffit
texte des chroniques les mots et plus, dont les autres histo­
riens vont s'emparer.
Lobineau vante les recherches et le discernement de
Baud (préface, p. 1 l, et il a bien raison. Mais, sans
lui faire tort, il est permis de croire que l'aumô!1ier d'A nne
Bretagne a été aussi facile à persllader des méfaits de
Charles de Blois que de l'inanité des droits de Jeanne de
Penthièvre (1) . Il est tout naturellement du parti de
(1') Il déclare que Jeanne de Penthièvre n'avait aucun droit au duché;
mais il ne donne pas les motifs de cette décision (p.'274). La Borderie porte
sur Le Baud le même jugement que Lobineau.

Montfort, comme sa protectrice la duchesse, qui lui a recom_
mandé son travail, qui l'a encouragé, facilité et qui en
recevra l'hommage (1).
2 ALLAIN BOUCHARD, avocat au parlement, a publié ses
Grandes chronzques de BretagnfJ, en 1532.
Il ne mentionne pas le siège de Quimper, ni par consé-
quent le massacre des habitants. Constatons ce silence .

30 BERTR4-ND-D'ARGENTRÉ, sénéchal de Rennes, a publié
son histoire en 1582.
Il écrit (Liv. V, chap. XXl, fo 308, r Ed. de 1588).
« Sur ce commencement, Charles de Bloys alla assiéger la
ville de Kimper Corentin laquelle il prit et y furent tuez bien
quatorze cens personnes hommes et femmes des habitants
et ne cessa la tuerie, jusques à ce qu'il fut raporté audit
Charles, qUIl 's'estait trouvé un enfant à la mamelle d'une
femme meurdrie, qui tétoit eucores ceste pauvre mèl'e
morte: par laquelle cruauté il fut delà en avant très mal
voulu et scandalizé au pays, et son party défavorisé en ce
quartier là, combien qu'à la vérité il estoit seigneur be­
ning, courtois et de bonne vie; mais il semble que Dieu le
punit de n'avoil' remédié ni sitosi arresté la furie du soldat
. François. »
L'auteur n'indique pas ses sources; mais son texte n'est
que la traduction de la chronique avec quelques variantes.
Il se tient prudemment au chiffre de 1400 morts donné par
la chronique. Mais illa corrige sur un point .
POUl;' le fidèle breton, le massacre n'a été ni ordonné par
Charles de' Blois ni exécuté par' les bretons de son armée;
(1) Commandement par vous a moy faict de compiller, concorder et
assembler les généalogies, les noms, les faists notables de vos très
nobles progéniteurs ... « Prologue de l'auteur à la Reine.

il a été l'œuvre des Français venus à son secours. Selon lui,
Charles n'a encouru d'autre reproche qùe sa lenteur à ré­
primer leurs cruautés.
L 'historien condamne cette lenteur qui l'étonne de la part
d'un prince dont il sait la bénignité, la courtoisie et la sainte
. vie. Il faut remarquer ce trait.
40 ALBERT LE GRAND, dominicain de Morlaix, n'a pas écrit
l'histoire de Bretagne, mais ses Vies des Saints de la Bretagne
fournissent plus d'un utile renseignement. Elles
A rmorique,
ont été publiées de 163 .l: à 1636 pour la première fois. Dans
la Vie du B. Charles de Blois, l'auteur ne mentionne pas le
siège de Quimper; mais on lit dans la Vie du S. Jean sur­
cordelier à Quimper lors du siège de
nommé Discalcéat,
1344 (1) : « Après Pâques, sur le commencement de l'an
1344, la guerre se ralluma en Bretagne; et, pour premier
exploit, Charles de Blois, se portant duc de Bretagne,
mena toute s.on armée devant Kemper - Corentin, qu'il
assiégea étroitement et battit si furieusement d'engins et
machines, qu'on fit bresche en six endl~oits de la muraille:
enfin, la ville fut prise d'assaut, et plus de quatorze cents per­
sonnéS furent tuées, tant hommes que femmes et enfants» .
Plus de 1400 personnes. Le P. Albert n'a pas ici pour
auteur la Chronique, mais peut être le chanoine Moreau qui
dit plus de 1400 ..
Les Vies du P. Le Grand, bien plus IUès en Bretagne que
l'Histoire de d'Argentl'é et celle de Le Baud, ont dû popu­
lariser Je massacre de plus de 1400 personnes à Quimper.
Il est bien surprenant que l'hagiographe, qui avait célébré
douceur de Charles de Blois, n'ait pHS ici un mot de doute
sinon de justification. Mais celle cOlltl'adiction n'étonnel'a que
qui accordent à l'aimable conteur le titre d'historie n.
ceux

(1). Vie du B. Jean Discalcéat, § VIII, p. 818. Ed. de 1837.

50 D. LOBINEA u a publié son Histoire de Bretagne,. en 1707
Son récit mérite une attention particulière, car il contient
un détail que nous n'avons pas trouvé ·dans la chronique ni
dans les histoires ci-dessus étudiées.
récit de Lobineau contient quatre parties distinctes :

1 (p. 335) les opérations du siège, le passage des assail­
lants à travers la rivière, sans que le fluxde la mer leur soit
un obstacle, enfin 'l'assaut donné aux murailles.
En marge, une note renvoie à l'Tn{ormation pour la cano­
nisation de Cha['les de Blois, témoins 41 et 46 (1).
2<.. (p. 336) les violencds commises contre les habitants .
L'historien s'exprime ainsi: « Les troupes (de Charles) exer­
cèrent d'horribles cruautés dans la ville et y tuèrent plus
de 1400 personnes de tout sexe et de tout âge. Le carna ge
aurait été plus loin, si Charles ne l'avait fait cesser pénétré
d'horreur au récit qu'on lui fit d\lll enfant que l'on avait
suçant la mamelle de sa mère qui avait été tuée l).
trouvé
A cet endroit {p. 336).l'auteul' met en marge-cr. ms ., (chro­
il renvoie ainsi aux chroniques citées
nique manuscrite);
plus haut. Toutefois 1 en les traduisant, il y apporte deux
corrections: il dit plus de 1400 personnes; et il n'attribue
pas le massacre à un ordre donné p3.r Charles de Blois.
3° (même page). L'auteur mentionne les précautions prises
par Charles ponr sauvegarder de toutes violences l'évêque et
les gens d'église. '
Ici encore il renvoie à l'Information témoins 38 et 49· (2)
4° enfin·(même page) l'auteur nous montre Charles « pre-

nant le chemin de Paris après cette conquête, menant avec
ses prisonniers» qui vont être mis à mort.
lui
(1) Voi r aux Preuves, p. 358, 359. 3ôO, où ne se trouve pas la dépo-
. silion du 46 témoin, mais la déposition du ne, étrangèt e au siège de
Ouimper. .
(2) Preuves. p. 561. Le témoin 49 ne pÇlrll~ pas du siège de Quimper.

Je reviendrai tout à l'heure sur l'exécution à Paris des « pri-
Charles de Blois. » .
sonniers de
6 En 1750, DOM Mon (CE a publié le premier volume de
Histoire de Bretagne. Selon son usage, il emprunte à D.
son
Lobineau le récit du siège de Quimper, se contentant d'en .
un peu la forme; mais le sens reste le même. Le
modifier
en quatre parties, comme_celui de Lobineau.
récit se divise
Morice admet aussi la mort de plus de 1400 personnes; et
rejette l'ordre imputé à Charles de Blois (p. 270-271).­
Après quoi, comme Lobineau, il montre Charles de Blois traÎ-
nant ses prisonniers à Paris.
En marge il cite les mêmes autorités que Lobineau en

regard des alinéas 1. 2 et lJ:; mais à l'alinéa 3, relatif au
massacre il omet le renvoi à la chronique: en quoi il a grand
tort puisqu'il semble ainsi attribuer, aux témoins de l'infor­
mation le récit du massacre ... dont ces témoins ne parlent
pas (1).
Je relève cette omission SUl' laquelle j'aurai à revenir. On
verra l'abus que l'auteur d'une histoire de fi'rance a fait de
cette citation incomplète.
Outre cette omission,' nous signalerons la méprise con-
tenue dans une phrase de Lobineau èt de Morice à la­
quelle ils nous faut revenir, mépr'ise que d'Argentl'é et
Le Baud avaient évitée et dont Le Baud, qu'ils citent tous les
aurait dû les sauver.
deux,
récit de Lobineau dont j'ai donné plus haut
Voici le

quelques mots (4 partie): ,
« Il (Charles) prit le chemin de Paris, après cette conquête,
menant ses prisonniers dont les principaux La Rochetes-
. (1 ) Monce copie de confiance les citations de Lobineau: témoins 41 et
46. Or ils ont l'un et l'autre imprimé dans leurs Preuves la déposition
41, non lu déposition 116, mais la déposition -'l7 où il n'est pas que~lion du
siège de Quimper. V. Morice. Pl' Il.-23.

son, Bacon, Hichard de Pressy, Henri de Malestroit, qui
avait été maître des requêtes du roi et dans le parti de
Charles, mais s'était depuis déclaré ponr Montfort, et Jean,
de Hardeshille. Les trois premiers furent décapités, et leurs
corps attachés au gibet Il' propre jour du samedi saint.
Le quatrième qui était diacre, fut mené à l'évêque de
Paris, qui le réclamait; mais il y fut mené dans un tom­
bereau, sans chaperon, lié de cha-înes de fer et assis sur une
pièce de bois mise en travers. « Depuis, le roi ayant obtenu
du pape qu'il fût dégradé le fit élever sur une échelle et
montrer au peuple de Paris qui le _ lapida dont il mourut
trOIS Jours apres. »
Et l'auteur cite en marge K nygton et Cran. de Flandre,
et Le Baud et Cran. de Flandre.
Le Baud et d'Argentré rapportent trois exécutions suc-
cessives ordonnées sans jugement par le roi Philippe à
Paris (1). La première est celle d'Olivier de Clisson arrêté
traîtreusement à Paris même, et décapité le 3 août 1343.­
La s8conde est celle de chevaliers bretons entr'autres
Geoffroy de Malestroit, arrêtés sur l'ordre du roi en Bre­
tagne, décapités le 29 novembre 1343. La troisième est
celle de trois gentilshommes Normands, La Roche-Tesson,
Bacon et Pressy, complices supposés de Geoffroy de Har­
court, nommés par Lobineau et Morice, arrêtés par ordre
du roi en Normandie et décapités le samedi saint, qui cette
année, tombait le 3 a vl'il (1344).
Or Quimper n'a été pris que le 1 mai au plus lot; donc
Charles de Blois n'a pu amener-ces gentilshommes, ses pré­
tendus prisonniers, pour être suppliciés à Paris, le 3 avriL
un -mois au moins avant la prise de Quimper (2)
(1) V. d'Argentré, fo 306, ro et V", et fo 307, ro, ed. de 1588. Et Le
Baud, p. 293 et 294.
(2) Loblneau a emprunté la date du 3 avril aux Grandes Clu'oniques de
Fmnce, qui parlent ainsi de Henri de Malestroit: .... Il était clerc, dia-

Autre erreur. Aux noms de Rochetesson, Bacon et Pre~sy,
Lobineau ajoute ceux de Henri de Malestroit et Jean de
H:.lrdeshill; et il les dit tous cinq prisonniers de Charles de
Blois. Nous avons dit que lès trois premiers, chevaliers
normands, avaient été arrêtés par le roi en Normandie. En
même temps, le roi faisait anêter à Vannes Henri de Males­
après le supplice de son frère, le 29 novembre,
troit, qui
était rentré d'Angleterre en Bretagne et s'était fait capitaine
de Vannes.
L'anglais Jean de Hardeswill, seul des cinq, était pri­
sonnier de Charles de Blois. Celui· ci l'avait vaincu et pris
au combat qui marqua le début du siège de Quimper, vrai­
semblablement après l'exécution du 3 avril (1). C'est lui
Charles de Blois, maître de Quimper a pu conduire
seul que
prisonnier à Paris ... Quel fut son sort? C'est ce
comme son
que nous ne savons pas.
qui est bien certain, c'est que les préliminaires de
Mais ce
du 3 avril 1344 ne sont aucunement imputables
l'exécution
cre, maître des requêtes de l'hôtel; mais après la mort de son frère
('29 novembre) il passa au roi d'Angleterre et devint son adhérent. (Il en
revint) et à Vannes se portait comme capitaine d'Edouard. C'est là qu'il fut
prins pal' les Français. Emmené à Paris ... il fut exécuté le samedi (( veille
de Pâques» 3 avril. Le Baud (p. 294) et d'Argentré (p. 306 vOl nient la
décapitation. Lobineau les a suivis. (V. p.336).
(1) Knigthon, le chroniqueur anglais cité par nos historiens écrit:
" Carolus de Blois venit cum fortitudine magnâ in Brilanniam et cepit
.loannem de Hardesvilla ; et duxit eum Parisiis, et occisus est ibi filius
ejus Joannes, et multi de sagitlariis noslris ibidem perierunt ».
D. Plaine (p. 30) reproche à Knyghton « un langage obscur et indécis ».
Il croit pouvoir traduire I-Ja1'desvilla par d'llm'court, et voit dans Jean
d'Harcourt le frère de Geoffroy; et. dans cette hypothèse. signale plusieurs
erreurs de Knygthon. La vérité est que le chroniqueur est très clair. Il
parle Iode l'anglais Hardesvill qui combattit Charles de ' Blois, au début
du siège de Quimper fut fait prisonnier, puis conduit à Paris; 2 du fils
de Hardesvill et de nombreux archers anglais qui périrent au même lieu,
c'e::it à dire au combat où Jean Hardesvill fut pris, et non à Paris. - On
ne voit pas que Hardesvill venu à Paris (lit été mis à mort.
Voir. ci dessus Chronog1'aphia.

à Charles de Blois, et qu'il n'y a aucune relation entre cette
exécution et le siège de Quimper.

Il y avait, du moins je l'ai cru, nécessité d'insister sur ce
point. En effet, vous allez voir accueillie et reproduite l'im­
putation si légèrement portée par Lobineau et Morice .

Dans ]a première moitié du XIX siècle, la Bretagne a eu
trois historiens: le comte DARU, RouJOUX et PITRE CHE­
VALIER.
7° Le premier, dans l'ordre des dates, est le comte DARU,
ministre plénipotentiaire et secrétaire d'Etat sous le premier
Empire, devenu pair de France sous. la Restauration, mem­
bre de l'Académie française, connu surtout par son Histoire
de Venise (1819). L'Histoire de Bretagne a paru en 1826.
On peut voir le récit du siège de 1344 au tome II, p. 104
et 105. Je suis obligé d'omettre quelques détails.
L'auteur raconte le siège de Quimper et montre les troupes
passant la rivière sous la menace du flux qui semble sus­
pendu: « Elles forcèrent la place; et depuis, ce succès fut
regardé comme un miracle, Pourtant les assiégeants ne
. méritaient pas que Dieu le fit en leur faveur, car ils égor­
$èrent quatorze cents habitants; et Charles de Blois, qui
d'ailleurs se donna beaucoup de soins pour empêcher le
pillage des églises, fit décapiter ses principaux prisonniers.
Il y en avait un qui était diacre. On le fit dégrader, après
quoi on le livra à la fureur du peuple qui le lapida)),
Voilà un récit, reconnaissons-le, absolument inexact. On
ne voit pas Charles de Blois faisant cesser le carnage; on
ne le voit même pas se préoccuper d'assUl'er le salut des
clercs, mais seulement de sauvegarder des églises; mais Je
voilà faisant de sang froid décapiter ses principaux prison­
niers après la prise de la ville; après le pr mai. L'auteur
veut parler de la Roeltelesson, Bacon, Pressy et Hardesville
nommés pal' Lobineau. Erreur, avons-nous dit: Les trois

premiers prisonniers du 'roi avaient été décapités le 3 avril,
Pout'quoi faut-il que l'auteur n'ait pas repro-
samedi saint.
duit cette date? Elle suffit à démentir ses dernières phr.ases.
Effaçons-les pour rester dans la vérité! (1).

8 En 1839, ROUJOUX publie son Histoire des Rois et Ducs
de Bretagne. Le récit du siège de Quimper est au tome Ill,
p. 127. C'est une lon'gue paraphrase de la phrase de Morice
par l'auteur. (2)
citée
L "auteur dit le passage heureux de l'Odet à l'heure ordi­
naire du flux et continue: ( C8 succès fut attribué aux
prières ferventes de Charles de Blois et passa pour un mi­
racle dù à la sainteté de sa vie; mais ce qui le rabaissa au
triomphe de la prévoyance humaine et de
dessous du simple
la bl'avoure, ce fut le terrible massacre que ce prince n'eut
la puissance, nz peut-être la volonté d'arrêter. Deux mille
de tout âge et de tout sexe, tombèrent sous le
personnes
ses égorgeurs soldés Ils ne reçurent l'ordre de
coup de
suspendre Iturs coups qu'au moment où l'aumônier de
Charles lui fit reli1al'quer avec horreur, un enfant à la
mamelle, nourri du sang qu i coulait encore du sein de sa
mère expirée! Toutefois, apant l'assaut, le comte de Blois,
mort honteuse, avait défendu de toucher aux
sous peine de
vases sâcrés et de faire aucun tort aux religieux, soit dans
leurs biens, soit dans leurs personnes. L'opinion publique
n'admit pas cette compensation; et le maSRacre des paisibles
habitants de Quimper resta comme une tâche ineffaçable sur
(1) Mais l'auteUl' les avait d'avance c~émenties lui-même. Pages 100 et
101, il mentionne l'exécution de Clisson (3 août 1343). celle des chevaliers
(~9 novembre) il ajoute: « Les supplices S6 multiplièrent », et il
bretons
donne en nole le passage de Le Baud, expliquant l: ès clairement comment
le roi s'empara de La Rochetes~on. Bacon pt Pressy et les fit décapiter à
Paris. L'inadvertance, je ne veux pas dire la contradICtion, est cer­
taine.
('2) Je souligne quelques mots.

la mémoire dB Charles de Blois et rie contribua pas médio­
crement à augmenter le parti de ses ennemis li.
L'auteur cite D. Morice. Puisqu'il l'avait sous les yeux
il aurait bien fait de le 00pier exactement. De quel droit
porter à 2.000 le nombre des Quimpérois égorgés? Pourquoi
faire intervenir l'aumônier de Charles dont personne
jusqu'ici n'a parlé. Où l'historien a-t-il trouvé ce détail ?
- Nulle part (1).
9° En 1844, PITRE CHEVALIER publia sa Bretagne ancienne,
ouvrage très intéressant auquel, dans ma première jeunesse
j'ai pris grand plaisir.
A propos du siège de Quimper, il écrit: p. 359.
(( Au lieu de braver follement (2) les flots, Charles eut
mieux fait d'arrêter la fureur de ses soldats. Ils mas­
sacrèrent dans Quimper 1400 personnes de tout âge et de
tout sexe. Enfin l'aumônier de Charles lui montra un enfant
qui suçait la mamelle sanglante de sa mère égorgée ... et le
carnage fut suspendu. »
L'auteur, comme on le voit, ne se met pas en frais
d'imagination. Il copie son prédécesseur; mais il garde (et
il faut lui en savoir gré) le chiffre de 1400 personnes, donné
par D. Morice qu'il suit d'ordinaire (3) .

(1) Roujoux ajoute une foi entière au récit de Guillaume de Saint­
André, secrétaire de Jean IV, que nous avons apprécié plus haut. Pour
inspirer sa coufiance à ses lecteurs il dit t. Ill, p. 478 note B. Sa chronique
a servi à modifier l'opinion des historiens de la même époque dans les­
on lit que Montfort avait succombé dans sa captivité. « Froisséll'd
quels
te dit, en efIet chap. 73; mais il est seul à le dire: lq, Chronique rie
Bretagne, celle de Saint-Bl'ieuc, les Annaltts, plus tard la Chl'onique de
Flandre, nous apprennent le retour de Montfort en Bretagne, sa mort et
son inhumation. Nous n'avions pas besoin du témoignage de Saint-André;
pour lui attribuer le mérite de cette rectification, il faut que l'auleul'
n'ait lu aucune des chrOnIques citées plus haut.
(2) Follement est inexact puisque les sans dommage.
(3) Au même temps Jules Janin, le critique, publiait La Bretagne
mais il est encore moins critique que Pitre Chevalier .

2° LES HISTORIENS DE FRANCE ·

Je passe n~ historiens antérieurs au XIX siècle. Ou bien
ils ne mentionnent pas le siège de 1344, comme Mézeray
et ,Anquetil (1805), ou bien ils suivent d'Argentré ou

Lobineau en les abrégeant, comme le P. Daniel (1713) .
veux interroger que les historiens presque contem­
Je ne
porains, qui ont eu la prétention d'inaugurer une méthode
nouvelle: ne pas copier leurs devanciers et remonter aux
sourc~s.
Le premier en date est SIMON DE DE SIMONDI (éd. de 1828)
Histoire des Français. T. 10, p. 239 (1).
«( L'armistice était si mal observé en Bretagne que les
occasions de combattre ne pouvaient manquer à ceux qui
avaient été si mortellement offensés; cependant, le seul fait
d'armes dont on nous ait conservé la connaissance fut une
attaque, non pas de la comtesse (2), mais de Charles de
Blois: ce dernier a été depuis inscrit au rôle des saints, et ce
sont les témoins assermentés, sur la déposition desquels sa
canonisation lut prononcée, qui nous apprennent comment il
surprit Quimper, pendant la trève, au commencement de
l'année 1344. Il vint débarquer avant le jour ses soldats au
pied du mur sur une plage que le flux devait couvrir dès
six heures du matin. Il avait compté pouvoir entrer par là
sans résistance; mais les bourgeois éveillés le repous­
sèrent du mur; il fut obligé de livrer un assaut qui se pro­
longea six heures entièr·es. Si le flux avait coulé à son heure
accoutumée, Charles aurait été noyé avec toute son armée;
mais il ordonna à la mer de s'arrêter, la mer obéit, assure-t-on :
il ordonna ensuite à. ses soldats, dès que les murailles furent
(1) Je souligne quelques mots du récit de l'historien.
(2) La comtesse de Montfort était folle en Angleterre: ce que l'auteur ne
savait pa~.

em portées. d'égorger sans pitié tous les habitants laïques; (1)
mais il leur défendit ·en même temps de toucher aux ecclé­
siastiques, sous peine de la corde, et ils obéirent mieux
encore. Il se mit ensuite en prières dans la cathédrale
tandis que ses soldats violaient les femmes et les massa-
craient ensuite. Quatorze cents habitants de Quimper étaient
. déjà baignés dans leur sang, lorsqu'un de ces soldats féroces
en voyant un enfant s'attacher à la
fut ému de corppassion
sa mère qu'on avait égorgée; il interrompit les
mamelle de
prières de Charles pour venir le lui conter; et celui-ci fit
cesser le carnage ... » (2)
Et l'auteur cite Lobineau ! Quoi, tout cela se trouve
dans le texte de Lobineau l Oui, comme nos amplifications
de rhétorique trop longues d'ordinaire étaient dans la matière
écourtée que le professeur nous dictait! Le malheur de cette
amplication, c'est que chaque détail ' surajouté est une
erreur.
L 'historien nous montre Charles de Blois violant la tl'ève
conclue à Malestroit en janvier 1343. Non; c'est le roi de
France qui a violé la trève, dès juillet 1343, et, en octobre,
d'Angleterre armait en Bretagne.
le roi
Charles a-t-il surpris traÎtreu:-;ement Quimper? Non;
après une victoire sur l'armée anglaise qui l'attaque, il a
siège en règle qui durera un mois .
commencé un
A-t il débarqué au pied du mur de ville? Non, il est arrivé
par terre à Quimper que l'auteur prend pour une ville mari­
time comme Cherbourg ou Saint-Malo; ses troupes passent
la rivière à gué pour donner l'assaut. Charles a-t-il ordonné
à la mer de s'arrêter? Affirmation ridicule!
(l) JI semble qu'il manque ici les mots : « et ils obéirent », opposés
aux mêmes mots que nous trouvons plus loin.
('2) En note: Lobineau. Hist. de fh'etagne. Liv. X, ch. 70, p. 335. -
Inrorm. pour la canonisation de Chat'! ~s de Blois, tèmoins 41 et 46. -
Preuves de Lobineau. T. II, p. 560. .

A-t-il ordonné « le massacre sans pitié de tous les habi­
tants laïques », car il ne s'agit plus de 1.400 personnes? -
Lobineau dit le contraire.
Sismondi nous apprend aussi que Charles de Blois a été
linscrit au rôle des saints. Ce n'est assurément pas un com-
pliment qu'il entend fail'e ni à Charles ni à l'Eglise. C'est
une erreur; mais l'auteur a son but. C'est de représenter
comme violateur de la trève et couvert d'un sang innocent un
saint de l'Eglise de Rome .
Autre inexactitude: Sismondi a Lobineau sous les yeux.
Lobineau a pris soin d'indiquer, comme nous l'avons fait
voir~ qu'il emprunte le récit du massacre à une chronique
manuscrite: Le c'fonicon britannicum ou cronicon briocense.
Cette citation suffit pour nous ,mettre en garde, les deux
chroniques étant manifestement contraires à Charles de
Blois. Or, Sismondi supprime cette indication indispensable
et cite seulement l'information à fin de canonisation. Les
témoins doivent inspirer une entière confiance, puisque c'est
« sur leurs dépositions que la canonisation a été prononcée»,
dit Sismondi. Qui donc oserait douter de leur parole quand
ils affirment l'ordre donné par Charles de Blois « d'égorger
sans pitié tous les habitants laïques? »
Le curieux, c'est que ces dépositions qu'il ·cite, Sismondi
n'a pas pris la peine de les lire ... Voulez-vous la preuve de
cette légèreté? L'auteur nous la donne lui-même. Il nous
renvoie à la page 560 des P1'euves de Lobineau pour la
déposition nO 46, Comme je l'ai déjà dit, la déposition n° 46
n'y est pas, et Sismondi n'a pas pu l'y voir .
. Qu'a donc fait Sismondi? Il a lu D. Lobineau, puis, ins­
piré par sa haine religieuse, il a fait un récit qui lui appar­
tient en entier, Mais ce récit, il n'en prend pas la responsa­
bilité; il l'attribue aux témoins de la canonisation ! ... Les .
simples devront croire que les odieux détails accumulés par
l'historien sont puisés par lui dans l'enquête faite par

l'Eglise, et que l'Eglise a canonisé (s~lon l'affirmation de
Sismondi), l'auteur du massacre de Quimper. Le tour est
joué! Qui donc s':otviserait d'aller, cotnmej'ai fait, confronter
les citations de Sismondi avec celles de Lobineau et qui peut
se douter qu'on ose ainsi tronquer une citation?
Cette prière faite par un saint, pendant que s'exécute
(c l'ordre donné par lui d'égorger tous les habitants laïques »,
a obtenu un plein succès; et nous allons voir d'autres his­
toriens reproduire comme des faits avérés les lugubres
imaginations de Sismondi. .

Lisons MICHELET (2 éd. 1845) t. III, p. 307-308 :
Comme Sismondi, il devance la décision de l'Eglise; et de
sa propre autorité il canonise Charles de Blois.
(c L'adversaire de Montfort Chàrles de Blois n'était pas
moins qu'un saint, le second qu'ait eu la maison de France.
« La ville (de Quimper) en effet fut emportée: une foule
d'habitants égorgés. Charles de Blois avait d'abord couru
à la cathédrale remercier Dieu. Puis il arrêta le massacre.
cc Ce terrible saint n'avait pitié ni qe lui, ni des autres,

etc. » (1).

HENR 1 MARTIN (4 édition 1857, t. V, p. 73) écrit:
(c Jean de Montfort ... descendit devant Kemper ou Quimper
Corentin, capitale de la Cornouaille, qui avait été sur-
prise par Charles de Blois pendant la trève, au printemps
de 13'14. Quatorze cents des habitants avaient été égorgés
par les soldats de Charles, tandis que celui-ci rendait dévo­
tement grâce de sa victoire à tous les saints dans la cathé­
drale (2). Il voulut bien quitter ses oraisons pOUI' faire
cesser le massacre. »

(1) Nous retrouverons la phrase entière plus .loin.
(2) Il n'l'st même pas question du salut des gens d'église .

Comme on le voit, Henri Martin ne se met pas en frais
bon? Il est plus simple de copier
d'imagination. A quoi
en l'abrégeant; mais ce qui importe est reproduit:
Sismondi
la surprise de Quimper pendant ta trève, la prière sacrilège
dans l'église pendant qu'on égorge aux portes.
est chose si facile à croire de la part
Et ce massacre, il
de Charles de Blois que l'auteur se dispense d'indiquer ses
sources! N'est-il pas d'ailleurs dans le caractère de Charles
pages plus haut l'auteur a peint d'un
de Blois que,. quelques
mot: « Bigot sanguinaire dont on a fait un saint à cause de
ses macérations extravagantes: p. 59 (~) ».
V. EXPLICATIONS DU' MASSACR.E
Revenons un peu en arrière.
Nous avons vu que, depuis le chroniqueur du XlVe siècle,
. personne avant Sism'ondi n'avait osé dire en propres termes
que Charles de Blois, entrant à Quimper, avait donné
barbare « d'égorger tous les habitants laïques. »
l'ordre
J'ai dit l'ordre ba?'bare; il faut ajouter déraisonnable et
contraire à son intérêt. C'est une nécessité pour lui que de
ménager les habitants,
Il prévoit que l'ennemi menacera bientôt Quimper. Il ne
y laisser qu'une garnison insuffisante à la défense de
peut
la place. Pour que Quimper reste en son pouvoir, il lui faut
le concours dévoufl, c'est-à-dire l'affection des habitants .
(1) Pour le dire en passant, Henri Martin semble peu informé des
affaires de Bretagne à cette époque. Exemple: il réfonne l'arrêt de Con­
flans en disant: li( Une nièce pouvait-elle avoir des droits qu'une sœur
n'auraiL pas eus? ». Parler ainsi c'est ignorer le premier mot de la ques­
tion. Il est clair qu'une sœur de Jean III décédé n'eût pas hérité avantûn
frère même plus jeune. Mais la question n'éLait pas là. JI s'agissait de
sélvoir si la nièce (Jeanne de Penthièvre) ne devait pas venir à la succession
de Jeéln III par rep1'ésenlalion de son père Guy né le second, et qui vivant
élurait sans conteste primé Jean de Montfort, troisième frère. Or la repré·
sentation était admise en Bretagne.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXXI (Mémoires) 18

Est-ce le moment de les faire égorger ou même de les aban­
donner à la fureur du soldat sans les défendre?
. Il est surprenant que pas un historien n'ait fait cette ré­
flexion (1).
Quelle explication nos historiens donnent-ils des ordres
sanguinaires de Charles de Blois ou de sa cruelle indiffé­
rence?
Mieux qu'aucun historien, Daru a connu et dépeint
Charles de Blois, parce qu'il a, mieux que tout autre, étudié
l'enquête à fin de canonisation (2). Or, voici l'explication
qu'il donne de sa lenteur à réprimer le massacre à Quimper
(t. Il, p. 144-145).
« Sa douceur était inaltérable, sa charité sans bOJ·nes. sa
constance exemplaire; et il faut mettre sur le compte de Son
fanatisme les cruélutés qu'il laissa exercer sous ses yeux au
siège de Quimper. Telles sont le.s contradictions que l'on
peut observer tous' les jours dans l'humanité. »
J'en demande pardon à l'auteur, n~ais le fanatisme ne pent
ici rien expliquer. Quelle fureur religieuse pouvait animer
Charles de Blois contre des malheureux ayant la même foi
catholique que lui? Et le fanatisme aurait-il égaré à ce
(1) Deux cent cinquante ans plus tard, en 1595, un grand homme de
guerre, le maréchal d'Aumont, commandant l'armée royale, arrive devant
Il s'attend à y entrer sans coup férir. Il somme la ville qui ré-
Quimper.
pond par une arquebusade. .
C'est le 9 octobre; la mauvaise saison vient, le maréchal n'a pas un jour
à perdre peur aller assiéger le fort espagnol de Crozon. Les Anglais, ses
auxiliaires nécessaires. lui o ~rrent de « forcer la yi Ile d'un coup de main,
moyennant le pillage. » Le maréchal s'indigne et répond: « Le roi n'a que
« faire de villes désertes. Sa volon té est de conserver ses . sujets, non de
« les détruirt'. » (Chan. Moreau, p. nO ).
En 1341, Charles de Blois avai t encore pl us de raison de ménager les
Quimpérois.
('<.) Lisez (II, p. 145-146) le portrait de Charles de Blois. Chacun des
traits qui le composent est appuyé d'une citation empruntée à l'enquête. On
s'étonnera des recherches qu'ont coùtées ces vingt-cinq lignes. L'auteur
renvoie à 176 pages (je crois avoir bien compté) des deux volumes de l'en~
quête.

point « un prince digne d'admiration pour sa valeur et de
respect par sa douceur et sa charité?) (p. 143).
Pour Sismondi, Michelet et Henri Martin, le massaçre des
habitants de Quimper a une explication toute naturelle et
bien plus simple: la cruauté ordinaire de Charles de Blois!
. Sans doute ces trois auteurs n'ont pas étudié, comme
leur prédécesseur, l'enquête de canonisation. Pourtant ils
n'ont pu s'empêcher de lire, au moins dans Froissard,
d'Argentré et Lobineau, l'éloge de la patience et de la dou­
ceur de Charles. Mais ce jugement, on peut le dire unanime,
ils le réforment sans motif. Pour Sismondi, Charles a un tel
mépris de la vie des hommes qu'il « ordonne l'égorgement
de tous }es Quimpérois laïques.» Pour · Michelet, Charles
est « un dévot consciencieusement cruel.» Pour Henri Martin,
il est li un bigot sanguinaire . 1) (1).
Michelet et Henri Martin prétendent donner une preuve
de la cruauté habituelle de Charles de Blols... Ils citent un
fait unique (2). Les affirmations relatives à ce fait seront­
elles admises sans preuve? Sismondi y compte puisqu'il ne
met pas en peine de prouver son dire .

Il s'agit du combat livré auprès du château de VaJgar­
nier pendant le siège de Nantes, en 1341. Trente chevaliers
bretons sont faits prisonniers; ils sont décapités et leurs
têtes sont lancées par des balistes dans la ville de Nantes.
n'est pas mentionné pal' nos chroniqueurs ni par
Ce fait
Froissard. Il a été , inconnu de nos premiers historiens. Le
et Bouchal'd n'en parlent pas. D'Argentré l'a rejeté;
Baud
Lobineau le premier l'a admis; et c'est à lui que les
historiens modernes l'ont emprunté. Lobineau ra pris dans

"( 1) Michelet, (2 éd.) III. p. 308 - Henri Martin, v. p. 59.
(2) Je demande la permission d'insister puisque ce fait est opposé aux
témoignages unanimes des contemporains, comme la preuve de la cruauté
de Charles.

la Chronique FLamande de Meyer el dans la Chronique
Normande du XIve siècle, qui elle-même l'a emprunté à la
Chronographia Regum (rancorum, imprimée seulement

Voici le récit de la Chronographia traduit mot à mot. (2) .
« Cependant le duc d'Athènes et Robert Bertrand, avec
cinq cents hommes d'armes (3), quittèrent l'armée et assié­
gèrent le château de Valgarnier. Ferrand~ seigneur du lieu,
vint leur présenter le comb!lt, en tua un grand nombre et fit
prisonnier Sauvage d'A tigni (4). Le duc d'Athènes en fut très
chagrin. Il envoya demander secours au duc de Normandie;
et celui-ci lui dépêcha le roi de Navarre avec douze cents
hommes (5).
» Le comte de Montfort voyant l'armée ainsi diminuée
. sortit contre le duo; mais il fut battu, perdit du monde et
rentra en ville :6). .
« Peu après, le siège durant encore, Ferrand de Valgarnier
offrit au duc de Normandie un combat de deux cents bretons
contre autant de français. La proposition agréée. le duc lui­
même, selon quelques uns, fut du nombre des deux cents
avec le roi de Navarre, les ducs de Lorraine et d'Athènes,
Robert Bertrand et autres.

.. « Que le duc (de Normandie) ait été ou non de la partie,
tous les Bretons furent t.ués moins trente qui furent faits
prisonniers. Le château pris fHt donné à Sauvage d'Atigni,
(1) Lobineau (p. 319) ne cile pas la ChI'. fLam ... à cet alinéa, mais à
l'alinéa précédent. De la Chl'onographia le fait a passé aussi à la Chl'oni­
que NOI'mande du XIVe siècle, p. 52. La BOl'derie. Hist. III, p. 435,
note 3.
('2) T. II, p. 193-191.
(3) Chronique Normande dit 6.000. Lobineau 5.000.
(4) Traduction donnée par Lobineau du nom de Antheni, Anthenio,
Chronog1'aphia.
Antheneio.
(5 ) Chronique Normande, 12.000.
(6) Selon d'autres, il fut vainqueur. Ci-dessous Lobineau, p. 278.

qui avait vaillamment combattu. Le duc (de Normandie)
revenant au siège fit décoller les trente prisonniers et fit
lancer leurs têtes par des machines dans la ville. »
La Chronique Normande du XIVe siècle, traduit exacte­
ment le texte latin de la Chronographia, seulement, au lieu
de 500 hommes partant pour Valgarnier, elle dit 6,000; et
au lieu qe 1,200 combattants confiés au roi de Navarre, elle
dit 12,000! (1)
Mais corrigeant ou copia nt inexactement la Chmnographia,
la Chronique Normande écrit: « Après ce fait (le combat de
Valgarnier) le roy repaira (reparut) au siège devant Nantes
et fit les trente prisonniers décoler et jeter leur:; chefs en la
cité de Nantes par les engins de l'ost. »
Il n'y a pas à s'arr'êter à ce seconJ récit; il est certain que
le roi Philippe VI n'a pas paru au siège de Nantes.
Selon la Chronographia, c'est le duc de Normandie qui a
ordonné le massacre des chevaliers.
Voici le récit de Meyer (2). Je traduis:
rs. On aurait peine à dire combien la guerre de Bretagne
fut cruelle et calamiteuse. Avec quelle cruauté les Français
se comportèrent, un fait le montrera. Près d'un château
nommé Valgranier, deux cents Bretons provoquaient à un
combat deux cents Français aux conditions que voici: Si les
Bretons étaient vainqueurs, les Français lèveraient le siège;
s'ils étaient vaincus, ils seraient prisonniers. Les conditions
furent acceptées: les Français tuèrent tous les Bretons
moins trente qu'ils firent prisonniers. Mais le duc de Nor-
(1) Chronique, imprimée par M. Molinier (1882) (p. 51 à 53). - Soc. de
l'histoire de France. On a peine' à comprendre que l'on ait accepté de tels
C'est de ce chiffre de 6,000 qu'on peut inférer que Lobineau a
chifIres.
copié la Cltr'onique . .. plutôt que la Ch1'onogmphia. Il réduit 6,000 à 5000;
et, sans doute effrayé du chitIre de 1'2,000, il dit « un gros détachement. •
(2) Chronique de {!'landre, Liv. XII, fa 14.4, va. Telle est l'indication
résu ltant de la cop ie qui m'a été adressée. La Ch1'onique de Meyer a été
de nos jours. Ce fait se trouve au t. II, p. 4.. La Borderie, His!.
imprimée
de Bref., HI, p. 438, nole 3 .

mandie, eù cruel bourreau, les fit décoller jusqu'au dernier
devant la ville de Nantes et fit lancer leurs têtes par dessus
les murailles. »
Encore et toujours le duc de Normandie.
Voilà maintenant le récit de Lobineau que je résume très
exactement: (page 319).
Le duc de Normandie et Charles de Blois assiègent
Montfort dans Nantes. Le siège se prolonge. Le duc d'Athè­
nes Gauthier de Brienne, s'en va, avec cinq mille hom­
mes (1) assiéger Valgarniel', un château des environs. Dans
une sortie heureuse, le capitaine du château bat les Fran-
çais et fait prisonnier notamment Sauvag'e d'Atigni (2).
Gauthier demande du renfort. Le duc de Normandie lui envoie
roi de Navarre avec un gros détachement de cavalerie (3).
Ce que voyant Montfort SOl't de Nantes et met le duc de
Normandie en très grand danger. Pourtant les cinq mille
hommes et la troupe du roi de Navarre si utiles à Nantes
restent à Valga l'nier. Le capitaine du château propose un
combat de 200 chevaliers français contre 200 bretons (de
Montfort). Le duc de Normandie non seulement autorise
cette partie; mais il veut en être avec le roi de Navarre ...
et d'autres .. et à son tour, il quitte le camp devant Nantes .
Les bretons sont vaincus, 170 sont tués; et « le duc de
Normandie fait décapiter les trente survivants et jeter leurs
têtes dans la ville an moyen de machines. ))
Voilà un acte odieux, mais à qui l'historien l'impute-t-il?
Au duc de Normandie et à lui seul; et il ne peut être imputé
un autre. Poul'quoi ? Parce que les prisonniers appar­
tiennent au duc de Normandie que le Roi a fait le chef de
cette expédition.
Ce n'est Das difficile.
Faudrait-il démontrer ce point?

(1) DhronOfj1'aphia, 500.
(2) Traduction donnée par Lobineau. Ci-dessus, p. '216 .
(3)I~WO. Clu·onofjraphia. 12.000. Chl'onique Normande .

L'armée dans laquelle marchent l'héritier de la couronne,
le connétable et un maréchal de France, le Roi de Navarre et
d'autres princes français n'est pas commandée par Charles
de Blois et a pour chefle duc de Normandie, lieutenant du
Roi son p~re (1).
Or quand un lieutenant du Roi et le connétable sont à
l'armée, chacun d'eux a ses attributions nettement définies.
Le lieutenant de Roi remplace le Roi absent. C'est lui qui,
au nom du Roi, somme les places, accorde les capitulations,
reçoit leurs soumissions. C'est ainsi que le duc de Norman-
die traite avec le comte de Montfort de la reddition de
Nantes, qu'il reçoit la place an nom du Roi et la remet aux
mains de Charles de Blois; 0'est de lui et non de Charles,
que Montfort est prisonnier.
Au con nétablë le commandement militaire qu'il exerce
même le Roi présent (2).
Le ' duc est donc le chef~ mais sauf la prérogative du
connétable.
Que va devenir le récit de Lobineau, en passant d'un his­
torien à l'autre?
D. Morice (1. p. 252-253) suit exaètement Lobineau,
Daru (II. p 175) accuse « l'armée française » ; c'est-à-dire
apparemment le chef, le duc de Normandie, « d'avoir fait lan­
cer dans la ville les têtes de trente chevaliers. »
Pitre Chevalier et Roujoux accusent le duc de Nor­
mandie (3).
(1) Chronographia (II. r. 18G) : « Le Roi enjoignit à Jean, duc de Nor­
mandie, son fils aîné, d'assembler une armée pour secourir Charles son
neveu. »
('2) (1 Il est au -dessus de tous à l'ost (l'armée) excepté la personne du
Roi, il ordonne toutes les batailles, les chevauchées .. , Le Roi (même) ne
doit chevaucher que par l'ordonnanee du connétable. »
On!. nommant le connétable de Clisson (jdnvier 1381, v. sL) dans
l'i/isloù'e de !!iclU'rt1on/, par M, Cosneau ct Appendice XX!., p. 501-50.'>.
(3) Seulelllcntau lieu de trente chevaliers, Roujoux dira trente deux,
comme (ci-dessus p. c 2li7) il compte à Quimper 2.000 morts au lieu de 1.400 •

Passons à nos historiens de France contemporains.
Sismondi (X, p. 192) copie Lobineau, et signale l'acte de
« férocité du duc de Normandie (1). »
. Mais Henri Martin démentant (v. p. 59) le chroniqueur:
Lobineau et Sismondi, associe Charles de Blois à «l'acte de
férodté» du duc.
« .•. Trente chevaliers bretons du parti de Montfort ayant
été pris dans le château de V algarnier, les chefs des assié­
geants firent lancer par des balistes leurs têtes sanglantes
dans les murs de Nantes. Tel fut le début du «bon duc II
Jean de Normandie (2), et du prétendant Charles de Blois,
bigot sanguinaire: dont on a fait un saint à cause de ses
macérations extravagantes. » (3)
Nous reviendrons sur le sens du mot bon.
Enfin, Michelet (III. p. 308), dément tous les auteurs cités
plus haut, et par avance Henri Martin. Pour lui , le duc de
Normandie ne fut pas l'auteur de cette cruauté; elle appar­
tient en propre à Charles de Blois. C'est dire que Charles
était le chef de l'armée française.
« Ce terrible saint n'avait pitié de lui ni des autres. Il se
croyait obligé de punir ses adversaires comme rebelles . .
Lorsqu'il commença la guerre en assiégeant la ville de
Nantes (1342), (lire -1341): il fit jeter dans la ville les têtes
de trente chevaliers. »
Voilà Charles de Blois chargé seul de cet acte odieux!
Les lecteurs de Lobineau vont dire: Mais Charles de Blois
(1) L'auteur cite Lobineau, mais à la citation de celui-ci: Chrono flam .. il
ajoute L. XII fo 144. Il semble qu'il ait vu la C/wonique.
(2) Et en note: « Les historiens ont qualifié de bon Jean, l'héritier de
Philippe VI. »
Pitre Chevalier (p. 339), dit aussi: « Le duc de Normandie fit déca­
piter les prisonniers et jeter leurs têtes dans la ville de Nantes ... Ainsi
débutait en hout'reau le prince qui devait être le bon roi Jean II. »
(3) Et en note, il ajouLe: Le massacre des trente chevaliers est rapporté
par Lobineau, 1. X, ch. 9. » Oui; mais Lobineau ne l'impute pas à
Ctwrles de Bloi;;.

n'était pas le chef de l'armée devant Nantes; il n'était · pas
de l'expédition de Valgarnier; les chevaliers pris devant ce
château n'étaient pas ses prisonniers; il ne pouvait en dis­
poser.
- Soit! mais il fallait imputer à Charles de Blois au moins
(J. acte de férocité ») antérieur au siège de Quimper.. Ce
admis, le carnage de Quimper semblera conforme à son
fait
caractère de cruauté.
Pour les deux historiens, voilà apparemment Ulle raison
plausible de modifier, de corriger l'historien cité par eux !
- Dans la vie civile, la copie d'un acte corrigé de cette fa­
serait un faux et tomberait sous la loi pénale.
çon
la « férocité» imputée à Charles de Blois , soit
. Mais
comme complice du duc de Normandie, ou seul, est devenue
preuve de sa cruauté à Quimper! C'est donc une
la seule
nécessité d'insister sur ce point.
U ne question que pas un des historiens français cités
plus haut n'a posée, et qui pourtant .se présente tout natu-
rellement : Y a-t-il eu un siège de Valgarnier ? -
. Quand on lit l'histoire, il n'est pas permis de tout
révoqller en doute; mais, quand un fait invraisemblable et
entouré de circonstances invraisemblables e"t affirmé par
un seul, le doute naît naturellement; et un examen attentif
s'impose comme un devoir de conscience. Or, si jamais le
doute fut légitime et l'examen nécessaire, c'est ici.
chroniques, Froissard (chap. 156-157);
Nos vieilles
Guillaume de Saint-André, hostile à Charles de Blois, nos
premiers historiens, Bouchard W 100, 2°), Le Baud (p. 275 -
content le siège de Nantes. Pas un ne parle ni du .siège
de Valgarnier, ni du combat des deux cents chevaliers, ni de
. la cruauté exercée sur les prisonniers Pourq uoi? Pour
une raison bien simple: C'est que le fait n'a été publié que
VIc siècle.
vers le milieu du X

D'Argentré a pu le lire dans la chronique de Meyer; et il
unique et tardive autorité pour qu'il
lui suffit de cette
siège de Valgarnier et les faits de cruauté qui
rejette le
suivent. (1)
« Le Meyer, qui a fait la chronique de Flandre et un
autre chroniqueur du même pays sans nom ... se trompent
de dire qu'il fut faict un combat de deux cents Bretons à
deux cents Français au château de VaIgre nier et que le duc
étant devant Nantes, fit exécuter trente des
de Normandie
combatants vaincus; et en fit jecter les testes dans la
dits
par des engins: ce qui est faux, n'estant écrit par
ville
aucun des nôtres qui ne l'auraient oublié, s'il eust été véri­
table; ny nul des François n'en parle. »
Ce n'est pas absolument exact, puisque la Chronographia
inconnue de d'Argentré mentionne le fait; mais que de rai- •
sons de douter! '
La première objection c'est le silence de Froissard. Il est
informé très exactement des chefs de l'armée et des détails
n'a pas parlé du siège de Valgar­
du siège de Nantes (2). Il
nier, du combat des deux cents chevaliers, c'est qu'il n'en a
rien su. Comment de tels faits ne lui auraient-ils pas été rap­
portés, s'ils étaient vrais ? '
Mais attachons-nous au récit de Lobineau, seule autorité de
historiens modernes. Voici d'ûutres invraiEemblances.
nos
sans peine, que les bourgeois
Montfort avait obtenu, non
(1) P. 378 de l'éd. de 1618, publiée par son fils. Rien de ce fait dans les
éditions précédentes.
(2) Froissard nomme les chefs de l'armée. A sa liste la Chronographia
et ceux qui la copient notamment Lobineau, ajoutent plusieurs noms, et
parmi eux, celui de Gautier de Brienne, duc d'Athènes. De tous c'est le plus
Comm~nt Froissard l'aurait-il omis? - Il Y a toute apparence
illustre.
qu'il n'était pas là. Il devait être alors en Italie, où il devint en 134'Z
chef du gouvernement à Florence.Meyer le dit connétable en 1341,Lobineau
ce titre qu'à son retour en France, en
a corrigé cette erreur. Gautier n'eut
'1356, et il périt la même année à Poitiers. (P. Anselme t. 85, p. !ZG et suiv. )

se tiendraient en armes un mois; mais la ville se rendit
avant ce terme. Elle n'avait donc pas soutenu un de ces
longs sièges où les assiégeants ont besoin, pour se distraire,
d'aller guerroyer aux environs. D'ailleurf) devant une place
de grande étendue et bien murée comme Nantes, ils trou-
vaient assez de besogne pOUl' n'aller pas en chercher ailleurs .
D'autre part, le commandement militaire appartient nor1
au duc; mais au connétable. Raoul de Brienne est investi
sa dignité depuis quatorze ans ; il sait la guerre bien
mieux que le jeune duc de Normandie. D'après Lobineau, il
a une armée de dix mille hommes d'armes, sans compter
des Gênois,
en détache 5.000 pour aller assiéger Valgarniel·. Or ce
château a une garnison de 5.000 hommes ou plus: elle sort
hardiment, bat les Français et enlève un de leurs chefs.
Pour venger cet outrage, le connétable envoie un secDnd
détachement de 12.000 hommes, 17.000 hommes ~ont ainsi
distraits du siège de Nantes: c'est impossible ...
Montfort est ainsi invité à faire une sortie, il n'y manque
pas; il met le duc de Normandie en grand danger; et le
détachement u'est pas rappelé devant Nanles; et le duc de
Normandie s'en va à Valgarnier pour prendre part au com­
bat des deux cents clfevaliers .. Car le château de Valgar­
nier, seul sans doute en Bretagne, compte dans sa garnison
deux cents chevaliers.
Qu'est donc cette forteresse renfermant une armée? Elle
est tout près de Nantes; mais personne n'en retrouve et n'en
indique la situation: elle est inconnue du breton Lobineau.
C'est assez pour que le siège, le combat de Valgarnier et
la cruelle exécution qui en aurait été la suite soien~ rélégués .
au rang des fables .
Supposons pourtant le siège de Valgarnier et Je combat
des chev!lliers démontrés (ce qui n'est pas ), voici une autl'e
invraisemblance: c'est le massacre des prisonniers .

, Mais, avant Henri 'Martin et Michelet, tous en 'ont laissé
la honte au duc de Normandie, depuis le roi Jean,le-Bon.
S'emparant de ce surnom Henri Martin écrit, .. " nous avons
phrase ironique: « Tel fut le début du « bon
vu, cette
duc Jean de Normandie. l)
Avant que l'historien écrivit, on nous enseignait au collège
que le surnom du Roi Jean ne se référait pas à la douceur de
caractère mais à sa brillante valeur. Quand nous disons
son
un bon soldat, nous n'entendons pas un soldat de mœurs
douces. Jean-le-Bon mérita son SUI'nom au sens de brave et
vaillant. Il ne fut ni un grand roi ni un grand chef d'armée ,
mais il fut un preux chevalier Comment admettl'e que ce
preux ait fait massacrer fr'oidement trente chevaliers dont il
d'éprouver la valeur, et il faut ajouter qui peuvent
vient
lui payer une rançon? ' Voilà l~s mœurs de l'époque, Les
énormes de certaines rançons démoritrent bien que
chiffres
temps la question d'argent n'était pas indifférente.
dès ce
une autre considération. Le chevalier vainqueur
- Mais voici
aujourd'hui peut-être prisonnier demain; s'il s'est fait le
bourreau de ses prisonniers ne va-t-il pas attirer SUI' lui de
cruelles représailles? Enfin, il y a la question d'honneur,
Le massacre d'adversaires ayant comme lui le titre de che­
valiers est absolument ant'ipathique aux lois et aux' usages
de la chevalerie.
Donc, même à supposer (ce qui serait à démontrer), que
le duc de Normandie pût, sans l'aveu du Roi son père,
disposer de ses prisonniers, le massacre des trente chevaliers
est absolumen t invraisemblable.
Il nous faut donc, si , possible, ulle autre explication du
massacre de Quimper.
En voici une: Guizot instruit par nos derniers historiens a
eu le malheur d'écrire; « Charles de Blois, trouvant dans
un château trente chevaliers partisans de Montfort faisait

lancer leurs têtes par des balistes dans la ville de Nantes
qu'il assiégeait; . et tout en empêchant le pillage des
églises de Quimper qu'il venait de prendre, laissait égorger
par ses troupes quatorze cents habitants, et faisait décapiter
ses principaux prisonniers: l'un d'eux était diacre, il le fit
dégrader et le livra à la populace qui le lapida (1). »
Mais l'illustre historien n'accusera pas le « bigotisme)) de
ce {( terrible saint» montant à l'assaut ( chargé de reliques. ))(2)
Dans ces actes de cruauté il voit la faute du temps:
l( C'est le caractère du moyen âge que la férocité des
temps barbares y persista à côté des sentime..nts chevale­
resques et de la ferveur chrétienne... La guerre était alors
la passion et la vie habituelle des hommes .. et en la faisant
ils se livraient · sans scrupule à tous les actes de violence, de

vengeance, de colère brutale ... »
Mais, à supposer que le caractère des hommes dè guerre
fût trop souvent tel, combien Charles de Blois était diffé­
rent! Homme de paix ,il détestait la guerre et illa faisait
malgré lui pour soutenir les droits' de sa femme.
à laquelle répugnent Bt les faits et le
Encore une explication
caractère de Charles de Blois et que nous ne pouvons admettre.
Enfin voici une autre explication c'est la dernière, -
fourn ie par M. de la Borderie:
L!historien rappelle les faits « d'après la chronique bre­
tonne ou celle de Saint-Brieuc, » et il ajoute:
« Au moyen âge, quand une ville était prise de vive force,
les vainqueurs se croyaient autorisés à massacrer, à la
volonté, la garnison et les habitants . A Quimper, selon une
chronique hostile à Charles de Blois, le massacre eût immolé
(1) Celte dernière phrase est empruntée à Daru (ci~des~us, p. 266-267.
dont nous avons démontré l'erreul'. Guizot, Histoire de Fl'ance (II, 81-82))
(2) CettE imagination appartient à l'auteur (dont je ne sais plus le nom)
d'une Hisloin de PJ'ance illustrée et donnée en prix (?).

1.400 personnes, et les égorgeurs ne se seraiènt arrêtés qu'à
la vue d'un enfant pressant le sein de sa fi.1ère morte ... Il ya
probablemenfun peu de légende, c'est-à-dire d'exagération,
en tout cela. Il serait injuste d'ailleurs de rejeter sur Charles
de Blois la responsabilité de ce massacre; s il eùt voulu
l'empêcher, il n'aurait pas été obéi. Tout ce qu'il put fair~
fut de rassembler dans la cathédrale les hommes d'église et
prescrire sévèrement le respect de leurs biens et de leurs
personnes: .. »
Ainsi le massacre des habitants d'une ville prise d'assaut
était de coutume au XIVe siècle. Cette affirmation trouverait
elle des incrédules? Voici un fait contemporain du siège de
Quimper.
Trois ans après, en juillet 1347, les partisans de Charles,
assistés d'un secours de Français et de Gênois envoyés par
le Roi, assiègent la Roche-Derrien. Après trois jours, la
brèche est ouverte. Les assaillants n'ont pas été comme à
Quimper irrités par une résistance longue et opiniâtre; et
pourtant entrant dans la place, ils ( tuent sans différence
hommes et femmes de la ville de
( (indistinctement) les
qu'ils fussent, et mesmement les enfants
( quelque âg'e
« qui allaitaient (1) . »
II nous faut donc nous résigner à croire à ces atrocités.
Et, sans se justifier, elles s'expliquent. Au moyen âge,
dans une ville assiégee les bourgeois se faisaient soldats
et se joignaient à la garnison souvent peu nombreuse (2) .

(1) G1'andes Ch1'oniques de Fl'anee citées par la Borderie. flist. III,
Prés de deux cent cinquante ans plu3 tard, juillet 1590, le même mas­
sacre se fait au siège de Locpéran (et non Locrenan) ou Blavet. « On ne
peut exprimer jusqu'ou alla la rage des Ligueurs. Hommes, femmes, vieil­
lards, enfants, tout fut passé au fil de l'épée.» D. Taillandier, Hist. II,

(2). Les femmes même se mettaient de la pal'tie. Jeanne Hachette et ses
compagnes (Beauvais, 1472) n'ont pas été les seules héroïnes de ce genre .

Les assaillants entrant par la brèche traitaient en ennemis
seulement les bourgeois qui avaient pu combattre, mais
non
leurs pères, leurs femmes et leurs enfants!
chose affreuse!
Il faut donc s'en tenir à l'explication historique donnée
par notre dernier historien. Toutefois retenons un mot qui,
je le crois, rend mal sa pensée. Il a écrit: « Charles de Blois ...
eût voulu empêcher le massacre, n'aurait pas été obéi. ))
s'il
L'auteur veut dire assurément: « S'il eut essayé, tenté, dès
premier moment , d'empêcher le massacre, il n'eût pas été

obéi.
Cette supposition semble non seulement vraisemblable,
mais certaine. Après les fatigues d'un siège qui a duré un
exaspérés par un dernier assaut de six 10rlgues
mois:
heures, les assaillants entrent dans Quimper: par' six
brèches; Charles ne peut être partout en personne pour
s'opposer aux violences des soldats. D'autre part, obtient-il
de ses auxiliaires Français qui ont des cJlefs Français la
Bretons? Ce n'est pas croyable. (1) -
même obéissance que des
Dans ces conditions, il n'y eut aucune faute à lui
reprocher; aussi les Bretons et les Quimpérois du Xl Ve
siècle ont-ils innocenté Charles de Blois des accusations
contre lui : nous l'avons vu plus
calomniatrices portées
haut (1).
VI. CONCLUSION
Concluons. Des violences ont été exercées à Quimper
après un assaut, comme ailleurs en pareil cas; mais il n'est
aucunement démontré qu'il y ait été massacré 1,400 per­
sonnes ((;hronique de Saint-Brieuc) ; à plus forte raison plus
de 1,400 personnes (Le Baud, Albert le Grand, Lobi-

(1) Je l'appelle ici ce que dit d'Argentré. Ci-dessus, p. 260·261.
(1) Ci-dessus § III.

neau, etc.) : encore moins 2,000 (Roujoux); ni que le mas­
sacre ait duré trois jours (Moreàu).
En tout cas, le massacre de Quimper n'a pas été l'horrible
tuerie de la Roche-Derrien et de Blavet, où les enfants .
mêmes n'ont pas échappé. Pourquol donc tant de bruit fait
autour des violences du siège de Quimper? Pour une raison
bien simple. Parce que, au X Ve siècle. unchroniqueur plein
de haine pour l'adversaire de Montfort, a saisi l'occasion de
signaler Charles de Blois, comme l'auteur personnel du
massacre, qu'il a exagéré. Et parce que, au XIXe siècle, des
historiens accueillant sans examen, bien plus, avec empres-
sement, le récit ancien, et poussés par leur antipathie contre
le saint canonisé par eux-mêmes, contre ( le bigot sangui­
naire,» le complice (Henri Martin), l'auteur un~que (Mi­
massacre imaginaire des chevaliers de Val­
chelet) du
garnier, ont réédité la calomnie en prétendant la démontrer.
La haine politique· au XVe siècle, l'antipathie religieuse
au XIXe, ont concouru a.u même but; et, il faut le reconnaître ,
leur succès a été complet. C'est un fait admis; et des diction­
naires prétendus historiques qui consacrent quelques lignes
à Quimper, ont une place pour cette phrase calomnieuse.
Cl. Charles de Blois y exerça, en 1345, les plus affreuses
cruautés. »
Ainsi énoncée l'accusation est plus grave, plus atroce,
comme on disait autrefois, que celle portée par le chroni­
queur ennemi de Charltls de Blois. En effet, il n'est plus
question de siège, de guerre, d'une émotion populaire,
toutes ocoasions ordinaires de violences. En sorte que le
massacre apparaît sans cause appréciable, comme un jeu,
une fantaisie d'un homme, disons mieux d'un monstre de
Qu'un lycéen avisé et de sens hésite à admettre ce
cruauté.

tait et demande des explications; imbu de Henri Martin et
de Michelet, et prenant leurs dires pour la vérité, celui
auquel il pourra recourir .ne répondra-t-il pas ; « Oui,

Charles de Blois fut complice ou unique auteur du massacre
des trenle chevaliers de Valgarnier, et massacra des gens
inofTensifs à. Quimper.. A cela quoi d'étonnant? . Ces
cruautés lui étaient naturelles, c'était un « bigot sangui~laire,
un dévot consciencieusement cruel il : ce qui n'empêcha pas
l'Eglise de le canoniser non pour des vertus qu'il n'eut pas,
mais «( pour des macérations extravagantes. »)
J. TREVEDY,
ancien président du Tribunal ciVIL
de Quimper .

ERRATA
Page 244. Trois noles chiffrées 1, 1, 1.
Dans le texte, marquer le chiffre 1 (omis) après la date
1538 (2 aliéna) et à la noLe 1 au lieu de Flandicœrum lire
Flandicarum. Mettre le chiffre 2 à la place du chiffee 1, au

4 alinéa. Marquer le chiffre 3 au lieu de 1 à la dernière
ligne.
Page 249. Note 2, au lieu de (ci-dessus p.
) ecrlre
(ci-dessous p. 263-64). .
Page 269. Au 3 alinéa: au lieu de SIMONDl, lire SISMONDI
comme il est écrit plus loin.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. . TOME XXXI (Mémoires) 19