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Bulletin SAF 1904


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Le calvaire de Plougastel-Daoulas

J.-M. Abgrall

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XIII
LE CALVAIRE DE PLOl'GASTEL-DAOULAS

Ce c~lvaire si renommé, si souvent dessiné et photographié,
des milliers de touristes, n'a jamais
visité chaque année par
été décrit d'une façon méthodique et détaillée. Il mérite
une étude spécia le, afin d'être mieux compris et
cependant
mIeux appreCIe,
C'est la représentation en statues et groupes, en pierre fine
de Kersanton, des principaux épisodes de l'Enfance, de la Vie
et de l.a Passion de Notre-Seigneur, scènes qui se déroulent
en deux zones superposés autour d'un massif de maçonnerie
de granit. .
Ce massif, dans sa disposilion générale, affecte la forme
d'un carré accosté à ses angles de contreforts qui s'en déta­
à leur base par de petites arcades évidées, ce qui amène
chent
aussi la base du massif à la forme octogonale et lui donne
plus de légèreté et d'élégance. A la hauteur de Om60 court,
autour de cet octogone et des quatre contreforts, une tablette
saillante faisant office de banc, .
la hauteur de 2 mètres, une corniche moulurée con­
tourne l'ensemble pour servir de support à la première zon~
de personnages, et à un mètre plus hau t, une seconde corniche
le tout et reçoit les scènes de la seconde zone .
couronne
De la plate-forme émergent trois croix, dont celle du milieu,

surchargée de personnages et de cavaliers, donne à l'ensemble
une silhouette étrange et offre aux yeux un problème d'équi­
qui vous saisit et vous étonne.
libre
Les différentes scènes, malheureusement, ont été boule­
versées par des restaurations et des arrangements où l'on n'a

pas ten,u compte de l'ordre logique et historique. Dans cette
étude, il convient de les rétablir d'après cet ordre.
On ne sera pas éton né de voir des anachronIsmes dans le
costume de plusieurs des personnages; les sculpteurs bretons
'du XVIe et du XVIIe siécle, au lieu de se conformer à la
vérité historique, ont, le plus souvent, reproduit les costumes
et armures en usage à leur époque. . ,
Sur les faces de chacun des contreforts, on a représenté les
quatre évangél~stes. Ils sont assis, dans des fauteuils, coiffés
de la barrette ou bonnet de docteur et écrivent leur évangile
sur un pupitre; lis sont accompagnés de leurs attributs:
,de l'Ange; saint Marc, du Lion; saint Luc, du
saint Mathieu,
Bœuf et saint Jean, de l'Aigle.
Rétablissons les scènes d'après leur ordre véritable; pour
cela nous serons obligés de faire un certain nombre de trans­
positions et de passer au delà de quelques-uns des sujets
pour revenir ensuite en arrière et les reprendre à leur
tour.
Le départ doit se faire , à la face Est, où se trouvent les
premiers sujets.
10 Mariage de la Sainte - Vierge. Le Grand-Prêtre, en
surplis, camail et mître, trent les mains droites de la Sainte­
Vierge et de saint Joseph pendant qu'ils se donnent leur
consentement mutuel. Saint Joseph tient de la main gauche
sa verge qui a fleuri miraculeusement.
2° Annonciation. ' La Sainte-Vierge est agenouillée sur
un prie-dieu et tient un livre ouvert; à son côté est un vase
dans lequel pousse un lis. En face d'elle, adossé au contrefort
opposé, est l'ange Gabriel, tenant d'une main un sceptre

fleuri, signe de sa mission céleste, et de l'autre :une bande-
role, sur laquelle devaient autrefois être inscrites en peinture
es paroles dè sa salutation .: A'pc gra.f'ia. lJlrma..

3° Visitation. La Sainte-Vierge et sa cousine Elisabeth
sont en face l'une de l'a utre et se tiennent par les deux mains,

pour se saluer et se dire les merveilles que Dieu a opérées
en elles.
4° Nativité de l'Enfant-Jésus. Le divin Enfant est étendu
sur des langes, entre la Sainte - Vierge et saint Joseph,
, agenouillés pour l'adorer. Un petit ange est aussi en adoralion
à côté de lui. Le bœuf et l'âne avancent la tête pour le chauffer
de leur haleine. .
5° Circoncision. - L'Enfant-Jésus est placé sur une table
couverte d'un tapis ou d'une draperie. Le Grand-Prêtre est
debout, vêtu d'une cbape et coiffé d'une mître. La Sainte­
Vierge est agenouillée. Saint Joseph et un autre personnage
à la cérémonie légale.
debout assistent
6° Adoration des Mages. - La Sainte-Vierge assise lient
ses genoux. Saint Joseph est der­
l'Enfant-Jésus debout sur
rière ell e. Le premier roi, agenouillé et ayant déposé sa cour­
ronne à terre, offre son présent dans une sorte de calice
de forme carrée . Les deux autrrs sont debout, couronne
en tête, et tiennent en mains les vases qui renfermen t leurs
une petite croix sur l'espèce de camail
présents. L'un d'eux a
qui complète son costume; l'autre a autour des épaules une
cordelière à laquelle est aussi suspendue une croix . Le bœuf
et l'âne sont encore là, à côté de saint Joseph .
70 Fuite en Egypte -- La Sainte-Vierge est assise sur un
âne, les pieds posés sur une sorte de planchette suspendue,
Elle porte sur ses genoux l'Enfant· Jésus
formant large étrier.
Saint Joseph, coiffé d'un chapeau et 1enanl. un
emmaillotté
bâton, conduit par la bride la modeste monture .
8° Baptême de Notre-Seigneur'. Saint Jean, vêtu d'une
peau de bête, reconnaissable à la tête d'animal qui pend à ses
pieds, verse l'eau du Jourdain sur la tête de Notre-Seigneur,
Un ange debout lient dans ses mains la
agenouillé devant lui.
sainte Robe du Sauveur .

9 Tentation au désert. - Cette scène est bouleversée et
confondue dans une autre: N.-S. devant Pilate, sur la face

Ouest. Le Sauveur est debout, en robe longue sans ceinture
Dans la représentation du démon, il faut admirer l'imagina­
tion et l'ingéniosité de nos vieux sculpteurs: le diable. pour
mieux se dissimuler, S'tst affublé d'un froc de moine, mais il
. se trahit par sa face grimaçante, ainsi que par ses mains et
ses pieds armés de doigts monstrueux terminés par des griffes.
De plus, ses deux cornes percent à travers le capuchon qui
lui couvre la tête.
iOn Entrée à Jérusalem. Notre-Seigneur, monté sur un
âne, est accompagné de cinq de ses disciples, dont un tient
Uf} livre Un pelit personnage étend un lapis sur le passage
du S8uveur. Un autre, les mains jointes, est debout clans une
des portes des remparts de Jérusalem, représen tés par une
peti te tourelle crénelée. .
11 Dernière Cène. -- Notre-Seigneur est assis à lable ()"ec
ses douze apôtres. Saint Jean est représenté d'une manière
tùute naïve reposant sa tète sur la 'poitrine de son mallre.
à l'un des bouts, tenant en main la bours8 dont
Judas est assis
il est dépositaire. Un des apôtres tient une coupe, un autre un
couteau. Trois apôtres font un geste que le sculpleur ::lffec-
tionne beaucoup et que nous verrons reproduits dans d'autres
pour montrer qu'ils se parlent et qu'ils se communi­
scènes;
quent leurs impressions, ils posent l'index de la main droite
le pouce de la main gauche. Ce geste est du reste familier
sur
à nos Bretons, et nous le voyons encore employé pour indi­
les statues de saint Yves et de
quer l'argumentatiou dans
saint Thomas-d'Aquin
12 Lavement des pieds. Notre-Seigneur, agenouillé,
lave dans un bassin les pieds à saint Pierre assis sur un escabeau
et tenant les mains jointes, pour exprimer son indignité. Les
dix autres apôtres sont debout, indiquant par leurs gesles et
leur maintien leur admiration et leur étonnement.
13° PI~ière au jardin. -- Notre-Seigneur est agenouillé, les
mains jointes, les yeux levés au Giel; à côté de lui es t saint

Jean, assis et endormi; derrière, saint Pierre et saint Jacques,
dans la même position.
14" Baiser de Judas. -- Judas, tenant sa bourse, embrasse
Notre-Seigneur. Saint Pierre a en main l'épée dont il vient
de couper l'oreille de Malchus. Celui-ci est tombé à la ren-
verS8, avec la lanterue qu'il portait en main. Trois soldats,
armés d'épées et de piques, entourent Notre - Seigneur; un
quatrième tient une corde pour le lier.
15 Notl'e-Seigneur, fait prisonnier', est conduit · devant
Anne Le beau-père du Grand Prêtre est assis dans un
fauteuil, coiffé d'une mître et tenant en mains un sceptre ou
la verge, signe de son ancienne autorité. Notre-Seigneur, les
mains liées, est maintenu par trois soldats, dont un tient une
lance.
16° Notre-Seigneur devant Caïphe. Le Grand-Pi'être,
coiffé d'une mitre, est assis dans un fauteuil. Notre-Seigneur
est. gardé par deux soldats; l'un tient le bout de la corde dont
Le serviteur du Grand-Prêtre lui pose
ses mains sont liées.
une main sur l'épaule et lève l'autre pour le frapper. Un troi­
coiffé d'un turban, semble commander les
sième soldat,
deux premiers.
17° Notr'e-Seigneur moqué et souffleté. Il est assis sur
lin escabeau, les mains liées et les yeux bandés. Un soldat se
prosterne avec dérision devant lui; d'aütres le soufflettent en

lui disant: devine qui t'a frappè ? . .
18° Notre-Seigneur' devant Pilate Notre-Seigneur, les
mains liées, est tenu par un soldat. Le gouverneur, assis et
coiffé d'un turban, argumente des doigts et discute avec les
princes des prêtres, pour faire valoir l'innocence du Sauveur .
Ceux-ci maintiennent leurs accusations; ils sont coiffés de
barrettes et tiennent en main les roulellux de la loi.
19° Flagellation. . Notre-Seigoeur est attaché à la co-.
lonne; quatresoJdaLs armés de fouets et de verges, se relèvent
le flage!ler.
pour

20° Couronnement d'épines. Des soldats, armés de
bâtons enfoncent la couronne sur sa tête sacrée.
21 Ecce Homo. Notre-Seigneur, portant le ros.eau et la
couronne n'épines, est présenté au peuple .
22° Pilate se lave les mains. Un jeune serviteur se pré-
sente devant lui, tenant en mains un bassin et une aiguière,
et une serviette sur ses épaules.
23" Notre-Seigneur portant sa croix et marchant au cal-
vaire. Un officier à cheval conduit le cortège. Un soldat
bat du tambour et sonne de la trompe Notre-Seigneur chargé
de sa croix, est conçiuit par des soldats, dont l'un est armé
d'une pique et l'autre d'une épée. Un bourreau, tenant un
bâton et une corde, pèse sur la croix pour la rendre plus
lourde. Simon le Cyrénéen aide le Sauveur à portel' son far­
deau. A la suite vient la Sainte-Vierge, soule,1ue par saint
la Véronique tenant le voile de léJ Sainte-Face.
Jean, puis
24° Notre-Seigneur en croix. . C. tte·scène forme le cou­
ronnement de tout le monument et sa figuration comprend la
croix du Sauveur et celle des deux larrons. Au sommet de la
cl'oix du mifieu Notre-Seigneur est fixé par (les clous qui lui
transpercent les mains el les pieds. Des deux côtés, sur une
- première traverse au croisillon, se tiennent le centurion et un
pharisien à cheval. Au dessous du Sauveur, deux anges
un ' calice le Précieux Sang qui coule des
recueillent dans
plaies de ses pieds. Aux côtés de la croix sont de petites
consnles, sur lesquelles posaient au trefois des anges recueillan t
le sang des plaies des mains et dll côté. Sur un croisillo'1
inférieur se tiennent debout la Sainte-Verge et Saint·Jean.
Des deux cô:és sont les croix des larrons Ceux-ci font des
contorsions qui indiquent leurs tourments. Au des~us du
larron de droite est un ange qui emporte son â'me au ciel,
sous la forme d'un petit corps nu ; tandis rJuecelle du mau­
vais larron est emportée par un diable.
25° Notre-Seigneur est déposé de la croix et remis à sa

Mère. Cette scène à la Pieta est à la hauteur du croi­
sillon inférieur, sur la face de la croix, entre la Sainte-Vierge
et saint Jean. La Mère de douleurs est assise. tenant Sur ses
genoux le corps inanimé de son fils et contemple les plaies de
sa Passion. .
26 Mise au tombeau. Le corps du Sauveur est dépOSé
dans un sépulcre, taill~ et sculpté dans le genre des sarco­
phages antiques. Aux deux extrémités sont Joseph d'Arimathie
et Nicodème, accompagnés d'un troisième personnage, proba-
blement Abibon ou Gamaliel. La Sainte-Viel~ge, accompagnée
de saint Jean, de Marie-Madeleine et d'une autre Sainte­
Femme, est plongée dans la douleur et ne peut détacher les
yeux du corps de son fils.
24° Notre-Seigneur descend aux enfers. L'enfer est
représenté par une gueule monstrueuse d'où sortent des
flammes et dans laquelle des démons entraînent des damnés .
Un diable, autrefois armé d'une fourche qui maintenant est
brisée, est à cheval au haut de cette tête et semble v trôner
en roi. C'est pour plus de mise en scène que le sculpteur a
figuré ici l'enfer avec des flammes et des démons. Pour être
plus exact, il aurait dû indiquer les limbes, comme au cal­
vaire plus ancien .de Tronoën en Saint-Jean-Trolimon. A
Plougastel, comme à Tronoën, Adam et Eve, représentant les
justes de l'ancien ne loi, viennent au-devant de Notre-Seigneur
qui les prend par la main et leur annonce leur délivrance.
28" Résurrection .. - Notre-Seigneur sort glorieux du tom­
beau. Il tient d'une main un étendard triomphal dont le
sommet est maintenant brisé. Deux des gardes sont assis et
endormis; deux autres sont debout, l'un d'eux élève la main
pour se préserver les yeux de l'éclat qui accompagne le Christ
ressucité.
Sur la pierre même du tombeau est gravée une inscription
qui est en partie coupée par le pied du Christ et par la hampe
de son é~endard, et qu'il faut lire ainsi:

1604 : 1 : KGVERN : THOMAS: FAB
o : VIGOVROVX : CVRE
Cette inscription est complétée par une autre qui est gra­
vée pl us bas sur la frise même du massif:
CE : MACE: FVT: ACHEVE: A : LA: '1602: FABRIQVES :
LORS: M : A : CORR : F : PERIOV : 1 : BAOD : CVRÉ
Une date intermédiaire est consignée au dos de la croix de
N.-S., dans une inscription ainsi conçue:
H. ROLLANT : 1 : LE : MOAL : '1603
La façade Ouest du massif, sur laquelle se trouve la Résur­
plus monumentale que les trois autres et présente
rection, est
une ordonnance architecturale formée par deux colonnes
un entablement et encadrant
doriques cannelées, supportant
une arcade creuse qui abrite un petit autel en pierre, avec
gradin mouluré et petite piscine latérale.
Sur le gradin sont les trois statues de saint Pierre, saint
et saint Roch . Élai~nt-elles là primitivement ou
Sébastien
bien y ont-elles été placées postérieuremen t à la construction
du monument?
Au revers de la croix du milieu sont les statues suivantes:
-Notre-Seigneur vêtu d'un manteau, couronné d'épines et
les mains liées.
Notre-Seigneur. couvert d'un manteau, la main gauche
posée sur la poitrine et la main droite tenant autrefois l'élen- .
dard de la Résurrection.
Sur le croisillon inférieur, saint Pierre et une Sainte­
Femme.
Au contrefort Nord-Ouest, comme au calvaire de Guimiliau,
est pratiqué un escalier qui permet d'accéder à la plate-forme.
le sermon de la Passion,
y montait-on autrefois pour prêcher
au milieu de cette représentation si vivante des souffrances

du Sauveur. et aussi le sermon de la Fêtf- des Morts, dtwant
toute la population assemblée dans le cimetière?

JI est ton de comparer ce cahraire aux autres monuments
du mème genre qui existent dans le pays: Tronoën, L500 ;
Plougonven,H):51; Guimiliau, 1581; Saint-Thégonnec, '16'10;
Pleybe" n, '16:50. Ils ont été exécutés dans une période de '1:50
ans, mais ils ont entre eux tant de rapports et tant de points
de ressemblance, qu'on serait tenté de les croire tous sortis
du même atelier. Celui de Pleyben porte la signature
d'Ozan ne, architecte à Brest; quelle est la provenance de
celui de Plougastel? .
10 juin 190L
J.-M. ABGRALL, .
Cha.noine honOl'a.ire .