Bulletin SAF 1904

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La statuette votive gallo-romaine de Kervénénec en Pont-Croix

M. Le Carguet

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VIII
LA STATUETTE VOTIVE, GALLO-ROMAINE
De KERVENENEC, en Pon~CrOlx •

Les pluies abondantes de l'hiver dernier ont déterminé,
au camp Gallo-Romain de ~vénénec (1), en Pont-Croix, un
phénomène curieux qui a donné lieu à une importante décou-
·verte. Sous l'abondance des eaux, la couche al'able s'est
tassée, diminuant d'épaisseur; les eaux, filtrant à tl'avers
cette couche, ont fait nappe baignant et désagrégeant les
substructions qui ont leur base dans un sous-sol argileux .
Par suite de cette action, les menus objets: poteries,
pierres, etc., so sont rapprochés de IR surface du sol. C'est
ainsi que, dans la partie du camp appelée TOlll-Tan (le trou
ou l'emplacement du feu, du bùcher), laquelle était livrée
aux cultures depuis nombre d'ann ées sans qu'on y ait rien
. découvert, les derniers labours~ à la profondeur d'un fer de
bêche, ont mis à jour une statuette.
Cette statuette n'était entourée d'aucun objet servant à la
protéger; elle était à mêmo la terre qui s'était durcie, en
autour d'elle. A deux. mètr'es au nord de l'endroit où
couche,
gisait la statue, on a seulement déterré une pierre plate, de
. om 90 en tous sens, fruste sur ses faces, mais portant, sur
l'une des tranches, une moulure en forme de colonne fusel ée
en son milieu. Cette pierre portait des traces de feu. Etait-ce
une cippe destinée à recevoir une inscription? Nous n'avons

pu déterminer les relations qui ont pu exister entre la sta-
tuette et cette pIerre, ,
Cette statuette, en terre cuite, de 185 millimètres dè hau-
(1) Cf. Bulletin de la Société archéologique, 188~ .

teur, représente une déesse sexuée, les seins entourés d'un
bandage. Au sommet du front les tresses de cheveux semblent
porter l'inscription: ( DIV A ». Sur le front, les jambages
de ces quatre lettres sont terminés par quatre petites étoiles .
chaque côté de la face, à la naissànce des cheveux, cinq
grandes, complètent le diadèmn.
étoiles plus
A la base du cou, la diva porte un collier de sept étoiles;
sous ses pieds se trouve un socle orné de neuf petites étoiles
à cinq branches, entourées de demi-cercles.
La déesse se tient debout, les pieds joints; le bras droit
est repli.é ; la main, posée entre les deux seins, tient un objet
qu'on ne peut déterminer. Le bras ganche est étendu le long
du corps.
L'envers de la stat.uette donne la composition de la coif­
fure; les cheveux, divisés en trois tresses: s'arrêtent aux
épaules.
A part le bandage des seins, qui ne figure vas de dos, la '
nudité est complète. '
De chaque côté: à droite, à partir du coude; à gauche, à
partir des doigts, la statuette est munie de deux rebords
plats · s'étendant jusqu'au socle. Ces planchettes, sur les­
quelles l'empreinte de la déesse fait saillie, de face et de dos,
par une inscription en caractères romains
sont couvertes
et par des signes hiéroglyphiques. Lettres et signes sont
en relief. '
InscFiptions de face: à droite, à partir du coude replié est
l'inscription votive:
REX. KVN . DEA VVOT .
trois mots de l'inscription sont. séparés par des points.
Les
traduisons, sous la plus grande réserve, le second
Nous
mot KVN (élevé), dont la première et la dernière lettre
nous sont inconnues.
A la suite de l'inscription votive, se trouve un groupe de
quatre étoiles, chacune entourée d'un cercle; l'intervalle

de ces signes disposés en carré, contient deux petiles circon­
férences et trois points.
gauche: entre le bras allongé et le corps, pend un
Du côté
chapelet de sept disques ou globules, dont le premier se
trouve à la hauteur du sein.
A partir des doigts de la main gauche jusqu'au socle:
d'abord, un gl'Oupe de quatre points, chacun entouré d'un
cercle; cette figure est aussi disposée en carré; au centre
du carré, un point isolé.
un autre groupe de deux étoiles, chacune for­
A la suite,
mant le centre de trois cercles concentriques; dans l'inter­
valle, deux petits cercles séparés par trois points en ligne
droite; le petit cercle aJjacent à la jambe est accosté de deux
peints. Entl'e la dernièl'e étoile et. le socle, autre groupe de
quatre étoiles, chacune entourée d'un cercle, et formant aussi
cané; cette figure est. symétrique au dernier groupe du
droit; mais, au centre Ju carré se trouve un seul point
côté
entouré d'un cercle.
les bras descendent le long du corps; mais les
De dos,
mains ne sont pas reproduites. Le corps de 'la statuette ne
porte aucun ornement.
Inscription da revers: sur le rebord de droite, à partir du
poignet jusqu'au socle, se voient les signes suivants: une
série de cinq étoiles, dont 'les deux premières sont entourées
d\m cercle; les deux autres, de deux cercles. Cette série
se termine 1 )ar deux cercles concentriques; dans le cercle
-du milieu, 1.10 point; entre les deux cercles, des ra)TOnS au
nombre de quinze. A partir de la deuxième étoile. toutes les
figures sont séparées par des lignes composées de deux
petits cercles aux extrémités, entre lesquels trois points, ]e
tout formant une ligne droite. '
gauche est orné de trois étoiles entourées d'un
Le côté
cercle; un point entouré de deux; cercles; deux étoiles, cha­
cune entourée de deux cercles; un point formant le centre

de deux cercles concentriques, l'intervalle entre ces deux
garni de rayons. A partir de la quatrième, ces figures
cercles,
séparées, comme celles de droite, par dés lignes for­
sont
mées de deux petits cercles extrêmes et trois points intermé­
diaires. Les deux dernières étoiles et les cercles rayonnés
sont symétriques à ceux du côté droit.
Les signes sont au nombre de :
010s180es ............................... · 30
points entourés d'un cercle unique ........... . 12

points entourés de deux cercles ............. .
Points entourés de deux cercles ùont l'un rayon-
nant .. " . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
Etoiles entourées d'un cercle ............... . 12
cercles.~ .......... . 4
Etoiles entourées de deux
Etoiles entourées de trois cercles. . . . . . . . . . . . . 2
Çercles n'ayant pas de figure inscrite au centre. 19
'fOTAL .•••••••••.....• 84
Ces nombres ne sont qu'approximat.ifs, le moulage d~s
rebords de la statuette étant un peu fruste, du côté droit.
Quelle interprétation donner à ces hiéroglyphes? (1)
Le seul ornement de la statuette est l'Etoile. Celle-ci est
donc l'attribut ou la personnification de la Di1)a.
Cet attribut se reproduit, de diverses manières, dans les
signes hiéroglyphiques; il est entouré d'un,
groupements des
de deux ou de trois cercles. Or, les trois cercles sont l'indi­
cation des croyances druidiques de l'existence.
D'après les Triades, résumées au tome 1 de l'Histoire de
d'Henri Martin, p. 76, ·les trois cercles de l'exis-
France
tence 'sont:

('1) Nous n'avons trouvé aucune assimilation possible à faire, de ces
signes, avec les broderies bretonnes, dites bigoudennes ; du reste, ces bro­
deries n'ont aucun caractère archaique .

« 1° Le cercle de la Région vide (on de l'infini), Kylkh Y
Keugant, où: excepté Dieu, il n'y a rien de vivant ni de mort,
et nul être que Dieu ne peut le traverser;
« 2° Le cercle de M igratio,n, Kylkh y Ab-red; où tout être
animé procède de la mort, et l'homme le traverse;
« 3° Le cercle de la Félicité, Kylkh y Gwynfyd, où tout
être animé procède de ]a vie, et l'homme le traversera dans
le ciel.
«( Au fond d'Ab-red se trouve l'abîme ténébreux, annwln,
où l'être est créé au moilldre degré de toute vie; l'être monte
obscUl'ément les 'degrés successifs de la mat.ière inorganique,
puis organique, Devenu homme, il commence le grand com­
hat de la liberté contre la nécessité: du bien contre le mal,
qui, là, sont en équilibre; l'homme peut, à sa volonté, s'at­
tacher à l'un ou à l'autre.
( La mort le délivre du mal" mais non de l'effet du
mal. Le mal est une diminution d'êtTC. Qui a diminué
son êtTC retombe, après ]a mort, dans une vie moindre;
il renaît homme inférieur ou même animal irraisonnable.
et est obligé de recommencer le cours de la tl'ansmi­
gration,
« Si, au con lraire, l'homme, dans la vie présente, a fait
des progrès vers, la connaissance (la science) et vers le bien,
il a augmenté son êtTe, à la mort; il monte les degrés supé­
rieurs d'Ab -red. Lorsqu'enfin, par l'impassibilité (la fermeté
, dans ]a douleur), par l'effort vers la connaissance et pal' l'at-
tachement au bien, il est parvenu au plus haut point de la
.~ciencc et de jonc dont la condition humaine soit suscep­
tible, il quitte le cercle de la transmigration et du mal;
il atteillt Gwynfyd, le cercle du bonheur, le monde
lumineux ».
Cet exposé des croyances druidiques permet-il d'inter­
préter les signes qui entourent la statuette? Si oui, on trou­
verait, dans les caractères latins, une dédicace; dans les

autres signes, une invocation symbolique. On pourrait peut­
être alol'S supposer:
Queles points isolés représenteraient l'êtl'e dans l'attente de
nouvelles tl'ansmigrations ;
cercles simples, Kylkh y Keugant, qui accompagnent
Les
ces points, seraient Dieu qui crée;
Le point entouré d'Ull cercle, Kylkh y ab-red (la cellule
nucleus), indiqu8l'ait la migl'ation faite, la
vivante avec son
commencée; le point entouré de deux cercles,
nouvelle vie
ces cercles grandissant dans la séri.e des signes, les perfec-
tionnements obtenus dans la suite des teansmigrations; en-
touré de trois cercles, l'homme ayant atteint la perfection qui
l'a mis au sommet d'Ab-red~ près du cercle de la Félicité;
Les globules, en série moniliforme, gouttes de lait tom- .
bant de la mamelle gauche de la statuette au-dessus des
quatre points cerclés qui indiq uent de nouvelles existences,
seraient l'emblème de l'assistance de la Diva;
Les étoiles, entourées de cercles, comme le Kylkh y ab­
red, et accompagnant les points cerclés, indiqueraient que
la déesse assiste l'homme sur la terre dans ses diverses
transmigrations;
Les points entourés de deux cercles, dont l'un rayonné,
qui termiQent la série des signes, indiqueraient que l'homme,
élyant atteint le sommet d'Ab-red, va entrer dans le cercle
lumineux du bonheur, qu'il a en vue.
Cela admis,' l'inscription et les signes pourraient se tra­
duire ainsi:
« Le roi Kun a fait cette invocation:
» O ' Diva! Faites couler sur moi le lait de votre
sem,
toutes fois que je reprendrai vie. Soyez, sur terre, mon
et ma protectrice dans les migrations par lesquelles je
guide
devrai passer pour atteindre le sommet d'Ab-red et entrer
dans le cercle lumineux de l'existence ». .

Cette statuette, pal' sa plastique qui repl'ésente la Vénus
impudique, par son inscl'iption en letLl'es latines et par ses
signes symboliques, procède du polythéisme romain et de la
religion mystique des Gaulois .

H. LE CARGUE'L
Audierne, 21 avril 1904.