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Bulletin SAF 1904


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Analyse d’un compte de l’abbaye du Relecq (1542-1546)

M. Bourde la la Rogerie

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ANALYSE D'UN COMPTE DE L'ABBAYE DU RELEC

Le compte des recettes et dépenses de l'abbaye du Helec (1) 1
du 15 mars 1542 (N. S.l au 15 juillet 1546, présenté par le
receveur et procureur Me Piel're Chouart à Me Jacques '1'01'-
salis, abbé du Relec: se rapporte à une période intéressante
de l'histoire de cette abbaye. En effet, Jacques Torsolis,
. conseiller du . Roy et premier aumônier de la Dauphine
Catherine de Médicis, fut, sinon le premier abbé commen-
d?tai~e, du · moins le premier étranger auquel la faveur
procura la dignité d'abbé sans l 'ass~ntiment, au moins
royale
apparent, des moines qu'il était appelé à diriger. Ce n'est

pas à dire qu'avant cette époque le vieux monastère cister­
cien ait toujours été gouverné par des abbés régulièrement
ou librement élus : dès le X Ve siècle, au Relec comme dans
plusieurs autres abbayes de Basse-BJ'etagne, les abbés
étaient nommés par le Pape ou désignés: 1'ecommandés aux
suffrages des moines par le Duc ou le Roi. Le monastère eut
ainsi pour abbés, de 1487 à 15~6, Guillaume Lespervier et
Pierre de I~leau, qui furent en même temps abbés de Béga,'.
L'un ct l'autre, et surtout P. de ~leau, semblent avoir habité
de préférence Bégal', abbaye plus riche et d'accès plus facilo
âpres solitudes des montagnes
que le Relec bâti au milieu des
(1) L'abbaye de Notre-Dame du Relec. ordre de Citeaux, était située dans
la paroisse de Plonéoul'-Ménez, en l'ancien diocèse de Léon; il n'est pas, '
de Basse-Bl'dagne dont l'histo il'e ai tété
croyons nous, d'ancienne abbaye
moins étudiée. Le compte que nous analysons fOl'me un registœ de 42-
feuillets in-folio, consel'vé aux al'chives du Finistèl'é, sél'ie H, carton 53
(coté ci-devant registre H. 192).

d'Arrées. En 1526, la crosse abbatiale fut donnée à IJoys
d'Aeig , maître des requêtes à la chancellerie erau .conseil
ùe Beetagne et protonotaire apostolique. Il devint plusJard
doyen de Notee-Dame de Lamballe, prieur de Combour.et
de Léhon et (en 1532) évêque de Nantes. Les historiens de
cette église disent qu'il , vint rarement dans son diocèse: il
vint plus rarement encore dans son abbaye" où il avait
un représentant attitré. Il mourut le:13 février 1542
d'ailleurs
à son châtea u de Fontenay, dans la paroisse de Chartl'es,
près de Rennes. ' ,
A la nouvelle de sa moet, les moines du Rel~c s'empres-
sèrent d'élire pour abbé l'un d'entre e~x, frère Guillaume
appartenait à une famille notable des environs
Le Roux, qui
de MorJaix; d'autre part, le Roi, sans se souciet' derélection
des moines., donna l'abbaye à l'aumônier de sa bru, nommé
Torsulis (1). , i -.
Jacques Torsolis ou
Nous savons peu de chose de ce personnage : c'était :un

de ces Italiens venu,s à la suite de Catherine de. Méd,icis

chercher fortune en France (2), mais qui conservai~nt des
(1) Nous mentionnerons pour mémoù'e Sébastien Thomé que le Gallia
Clwistiana, dom Morice, Potier de Courcy, G. de Corson, etc., .font figmer
sur la liste des abbés 'du Relec. S. Thomé, chanoine de Rennes en 1536,
trésorier de cette église en 1540, prieur de Saint-Etienne-en- Coglt's, Noyal­
Saint-CYl' et Saint-Sauveur des Landes, abbé de Rillé, proto­
sur-Vilaine,
notaire apostolique, comte palatin, etc., mourut à Rennes le 9 ja'nvier 1569.
(G. de Corson). MOrIce écrit qu'il. devint abbé en 154Ï et , mouruloù ,se
démit en 1543; mais le compte de P. Chouart et les documents . contem­
P01'ains ne faisant nulle mention de ce prétendu abbé, nous supposons que
D. Morice et les écrivains qui l'ont suivi ont confondu les noms de Rillé et
de Relec. Les mêmes historiens n'ont-ils pas confondu les noms, il est vrai
plus semblables, de Bonport et de Bea'ltport? On lrouve sur certaines, Iist~s
des abbés de Beauport un personnage dont l'histoire est cependant ,bien
connue. le cardinal d'Annelanlt, qui fut abbé commendataire de Beaùport
et non de Bonport.

(1) Plusieurs bénéfices de Basse-Bretagne furent · donnés à des Italiens.
Nous trouvons dans les listes du Gallia Chl'istiana: Nicolas Caietano Ser-
monetta, évêque de Quimper, H. d'Este, évêque de Tréguier, C. Ruggieri,
abbé de Saint-Mathieu, François, Laurent et Paul de, Buonacorci, abbés ·de

relations et des intérêts dans leur pays d'origine: le 12 sep-
tembre 1546, la Reine écrivit au duc de Florence pour lui
demander de faire exempter de décimes les bénéfices que
possédait dans le duché Jacques de ~( Torsulis », premier
aumQnier, qui avait été obligé de faire faire de grandes ré-
parations à des édifices · ébranlés par les tremblements de
terre. L'abbé avait un neveu, André Torsolis, qui l'accom­
pagna dans un voyage au Relec; à cette époque, l'oncle et
étaient dans les meilleurs termes et se faisaient de
le neveu
petits cadeaux; trois ans plus tard, la Reine écrivit encore
au· duc de Florence pour le prier d'empêcher cet A ndré de
Torsolis de faire en Toscane un mariage peu avantageux .
La famille de Torsulis, probablement noble, portait pour
armes un chevron accompagné en chef de deux molettes et
d'un besant (ou tourteau) placé entre les deux molettes et en
pointe d'une tour (1) .

Les démarches de Catherine de Médicis en faveur de son
aumônier prouvent que lorsque celui-ci entreprit d'imposer
SOIl autorité aux religieux du Relec et d'évincer son compé­
titeur, ·il pouvait compter sur l'appui du Roi. En outre, il
était riche: son procureur P. Chouart arriva en Bretagne
suffisamment ( garny ,1) d'écus d'or et trouva plus. tard des

Langonnet, le cardinal Farnèse, abbé de Beauport. Quelques-uns de ces étran­
gers n'étaient pas prêtres et se souciaient peu des intérêts des abbayes dont
ils percevaient les revenus; tel fut le cas de François et Laurent de Buona­
officiers de cavalerie et abbés de Langonnet; mais Paul de Buonacorci
corci,
fut le restaurateur du monastère « homme dont on ne peut assez louer le
courage », écrivait un contemporain. (Sicamois, Notice sur l'abbaye de
Langonnet, pub. dans le Bull. archéol. de l'Assac. b1'etonne, 1850, in-8°
(1) Letires de Catherine dc Médicis, pub. par H. de la Ferrière (collect.
des Docum. inéd.), Paris, 1880, tome l , p. 15 et 19. Les armes de J.
Torsolis se voient sur un sceau très bien conservé appendu à un acte inté­
ressant du 20 décembre 1547, par lequel l'abbé et le couvent du Relec
concèdent une quevaise à Charles Nicolas, de Plonéour-Ménez. L'écu, de
forme italienne, est surmonté d'une crosse; la légende porte: S : DACT:
D: LA: COVRT : D : OVTRELLE.

subsides chez les compatriotes de son maître établis en
Bretagne: les marchands ou banquiers Thomas Strozzi, de
Rennes; Nicolas Pérusi, et Barthélémy Venlorini ~de '
Nantes (1). Son adversaire, G, Le Roux, était moins fortuné; .
il avait pour lui le sutfrage de ses confrères et la sympathie de
compatriotes,c'est-à-dire très peu ·de chose en compa­
ses
raison des chances de succès que possédait le protégé de la
Dauphine. .
innombrables pièces du
Nous n'avons trouvé aucune des .
s'engagea entre Torsulis et Le Roux; le compte­
procès qui
rendu par ~ierre Chouart reste le seul document sur le litige.
Les actes décisifs qui inte['vinrent aIL cours de l'ins­
tance commissions de la chambre des comptes, bulles du
,.~ __ Pape, enquêtes n'y sont mentionnés qu'incidemment, ilen
. résulte que nous sommes sans renseignements précis sur la
procès; mais ce compte nous initie aux dessous
marche du
de l'affaire: pr.ése,nts aux juges, précautions contre les en tre-
prises violentes de l'adversaire, etc.; à ce titre, il mérite.
d'être étudié, Les renseignements qu'il foul'­
croyons-nous,
nit sur l'état matériel de l'abbaye ne sont pas non plus sans '
intérêt.

Etabli comme tous les documents analogues, le compte
énumère les recettes de l'abbaye, puis, non san.s désordre,
les différents chapitres de la dépense. Nous avons cru préfé-.
l'able de suivre un ordre différent et d'étudier les frais du
comptable ' pour mettre Jacques Torsulis en possession de
pour les réparations (litt l'entretien
l'abbaye les dépenses
du couvent enfin, les recettes qu'il réussit à encaisser.

(i) Pérusi lui prêta une fois 531 livres, Venlurini 798 livres; quant à
Strozzi, Chouart s'adressait à ltii toutes les fois qu'il avait besoin d'argent.

, Lorsque, eri juin 1542, P. Chouart (1) arriva en Basse­
B['etagne, Guillaume Le Houx, qu'il appelle toujoul's l'Elu,
occupait l'abbaye, mais ne jouissait pas des revenus qui, en
vertu d'une commission du Roi, étaient versés à Gilles
Kemper de Lanascol, abbé de Beauport, afin d'assurer le
recouvrement des décimes non payés par le del'nier abbé du
L'abbaye elle-mê~e avait été mise
Relec, Loys d'Ac igné.
«en la main du Roy )), représenté par les magistrats de la
barre royale de Carhaix; ceux --ci, peu préoccupés de l'ac­
complissement de leur mission, avaient laissé dérober une
partiedl1 mobilier et des objets les plus précieux. .
'. Chouart entreprit de se faire attribuer tous les pouvoirs d-e
l'abbé de Beauport et des magistrats de Carhaix. Il. y réussit
très facilement et très rapidement. Le 10 juillet, il paya 12 s.
« pour une substitution de M. l'abbé de Beauport pour le dit
comptable pour faire les fruiclz de la dite abbaye du Relec»
et fit aussitôt· publier cet acte dans les environs du R6lec, à
Lannion et à Plestin. Mais cinq jours plus tard, l'Eln réussit
à lui taire voler la commission; il fallut en demander une
autre à la chambre des comptes de Nantes: les opérations
fureill par suite interrompues jusqu'au 28 aoùt.
. Pour se concilier les officiers de la juridict ion de Carhaix

et obtenir l'abandon de leurs droits, P. Chouart employa un
moyen qui devait souvent encore lui réussir: « pour la

(1) D'après 'une pièce jointe au compte, Pierre Chouart était originaire
.. de Levuy (1) en Picardie. Il se désigne toujours sous le nom de il le Comp­
table. et nomme son maître il Mons' l'Abbé)) et G. Le Roux « L'Elu JI,
Il ne donne presque jamais le nom de famille des magistrats ou fonction­
il a occasion de parlel'. L'abbé de Beauport était d'après Geslin
naires dont
de Bourgogne et Barthelemy (Anciens Evêchés de firetagne). Gilles Quemper
de Lanascol, chanoine de Tréguier, coadjuteur de l'abbé de Beauport en
1532, abbé en février 1.)12, mort le 4 mars 1546. Uu de ses parents,
Charles Quemper de Kerscau était, en 1537-1538, procureur de Louis
d'Aèigné à l'àbbaye du Relec.

Il. 50uppée à I):ahès des officiers qui avoint la charge de
l'abbaye 50ubz la première saesye faite par les gentz des
chancellerie et conseiL ... et ausquels le plus honnestem'2nt
qu'il fut possit'le on voulait hoster la charge de l'abbaye et
la l;emettre du tout entre les mains de Mons l'abbé .. .. 45 s. )
Le lendp,main, un nouveau dîner fut offert au Huelgoat à
F. de I}pél'erll1ès, bailli de Carhaix et procureur du Huelgoat
et auX officiers de la cour, ci 45 sols (1); les con vi ves de
Chounrt accédèrent à tous ses dpsirs.
Muni dès lors de pouvoirs très étendus, il commença à
agir en maîtr-e dans toutes les possessions de l'abbaye; il fit
publier l'interdiction de rien payer à l'Elu dans les pal'Oisses
de (( Ploeryn, Beryen, Plœneour-Menez, Comanha, Plœgonllerl,
-----S-cr·uygnyac, Plœmyliau, Locquemeau )), etc.

Ces publications n'a llaient pas sans entraîne!' ce!'ta i ilS fl'a is;
il semblerait que ' Chouart, muni de commissions royales,
n'aurait eu qu'à les faire enregistrer dans les diverses juri­
dictions sur le territoire desquelles s'étendaient les domaines
de l'abbaye: à cette époque il en était autrement, des \ aca­
tians étaient payées à tous les magistrats des divers ressorts
et surtout des dîners leur étaient offerts: dine!' à Mo!'laix,
]e 9 8eptembre, auquel assistaient le sénéchal, M. du Val,
lieutenant du p!'ocureur du Roi, et M. de I):guidou, greffier;
le 11 septemb!'e, nouveau dîner à Lesneven; quelques jours
plus tard, dîner à Lannion. Le prix des repas était toujours
le même: 45 sols, somme assez élevée si l'on remarque qu'à
la même époque " à Morlaix, un chapon se vendait 2 sols,
une poule 12 deniers, un poulet 4 à 6 deniers.
Les publications, les saisies et les dîners remplirent les
mois d'aoùt. et de septembre. Le 12 octobre, le comptable
quitta le Relec pour aller chercher à Nantes des bulles qui

(1) François de Kerpérennès, seigneur de Lesneven, en Châteauneuf-du­
Faou, docteur en droit, était, en 1537-1538, sénéchal de la juridiction
d'Oultrellé, appartenant à l'abbaye, aux gages de 60 sols par an.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ' . TOME XXXI (Mémoires) 4

devaient avoir une influence décisive sur l'issue du conflit
Nous n'en connaissons pas malheureusement le texte mais
vraisemblablement elles conféraient l'abbaye à Torsulis et
désignaient des commissaires qui devaient le mettre en pos~
session. Chouart se chargea de préparer la publication des
Landeleau, (( où ils tenoient la cour», il rencontra
actes. A
magistrats royaux; les bulles furent publiées, et le len~
les
demain elles le furent de nouveau au Huelgoat; ce fut le
prétexte de deux dî~ers (ci 100 sols), puis il alla nous ne
savons trop pourquoi chercher deux notaires royaux
. jusqu'en Tréguier et ramena tout son monde à Morlaix,
compris l'abbé de Beauport. délégué par le Pape; il pasa

le 25 novembre ( à la couchée, pOUl' deux plats garnis pour
seigneurs et la compagnie, gens de justice et autres
lesdits
vinrent visiter 8t pour viande abillée et flacons de vins
qui le
pour porter le lendemain au Helee, ci. . .. 10 liv. 2 s . 6 d. »
Le lendemain, en dépit des bulles apostoliques et des man-
dements de la chambre des comptes, les commissaires délé-

gués ne purent entrer dans l'abbaye; il fallut aller coucher
à Huelgoat « purtant pour les despans de toute la bande
100 sols » et payer les vacations du bailli du Huelgoat
12 s.; de ~pérennés, procureul' au Huelgoat et bailli
9 livres
à Carhaix, 13 livres 10 s.; des notaires, 9 livres, etc. ; plus
8 livres 10 s , « pour deux plats garnis et tout extraordi-
na ires que mangèrent mondit seigneur de Beauport et son
train ). Après ce repas extraordinaire, l'abbé de Beauport,
lieutenant de Lantl'eguier, eurent la discrétion
ainsi que le
pas accepter d'argent; mais le comptable donna 41iv.
de ne
10 s. à leurs valets.
laisser entrer les commissaires délégués dans
Le refus de
l'abbaye semble avoir été de la part de G. Le Roux un ante
désespéré, qui n'empêcha pas la promulgation et l'exécution
dans les paroisses voisines; le compte entre dans
des bulles
plus menus détails sur toutes les dépenses occasionnées
les

ar les formalités. On y . trouve jour par jour l'emploi du
par exemple, le 29 novembre au soir:
« pour la repue à Callac .. ;. . . . . . . . .. 4 s. 6 d .
. « pour le giste, rien (en la' forest de Coat-an-Nos).
« pour une mensure d'avoine, du pain et du lard achetés
jour à ung paisant et pour remettre ledit
environ au poinct du
comptable sur son chemin . . . . . . . . . . .. 7 s.
« pour la dinée à Louargat. . . . . . . . . .. 9 s.
Et plus tard, à une époque qui n'est pas indiquée de façon
preCIse: . .
« pour entretenir les gens pour avoir advertissemerlts des
entreprinses de l'esleu et des choses qu'on f,!lisoit ès terres
de-l'abbaye ... , messaigiers envoyés çà et là .. '.. 45 s.
« Pour obvier à la force dudit esleu et ses complices qui
nonobstant touts mandements et publications se effor­
coient de faire aux subjets les poyer. . . . . . . . .70 s.
« •••• Le lendemain (?) ledit comptable alla avec Gui­
lesser sergent à l'abbaye pour desbaucher les gens de l'esleu
et leur faire paour et amenèrent prisonnier Alain Moricze,
et pour ce pour leur disner à Landivîsiau. . . .. 21 s. »
Suivent les .détails ;de la capture de cet Alain Moricze qui
fut fait prisonnier pendant qu'il assistait à un l( bancquet »
au presbytère de Commana. Des décrets de prise de corps
furent lancés contre plusieurs autres partisans de l'Elu.
entr'autre contre un de ses frères; mais il ne paraît pas
qu'ils aient été exécutés. P. Chouart faisait en même
temps procéder à une enquête secrète sur les menées de l'Elu
et de ses partisans. Cette enquête fut conduite par les ma­
gistrats de Lesneven, dont des libéralités quelque. peu sus­
pectes venaient de temps à autre réveiller le zèle: « à Mons

le procureur pour estre aidant et favorisant et pour ses. vaca-

tions en tout ledit faict et instancze sans aulchune mention
de l'abbé .... , •. '. . . . . • . . . . . .. 6 1. 15 s. ») _

1..e·s dépositions des témoins (dépositions qui furent payées
par le comptable) apprirent que G. Le ' Roux, dénué de
cré~lit ouvert · chez les banquiel's florentins qui subvenaient
aux besoins de son adversaire, avaien't vendu à des paysalls
quelques coupes Jes bois de l'abbaye et que des objets pl'é­
cieux aV:lient été enlevés du COLl\Tent. P. Chouart commença
aussitôt à parcourir'le pays, dûment accompagné de sergents,
pour notifier aux paysans l'inter'diction prononcée pal' la
cour de Lesneven de rien payer à G. Le Houx du prix des
bois indûment aliénés, et ( exécuter» (saisir) les bois dé­
posés chez certaills d'entre eux, Un sergent se présenta ' au
village de Lesmrnez 811 compagnie de Chou art et de trois
habitants du pays qui l'accompa'grlaient d'ol'dinaire pour le
protéger contee (, les 'manasses tant Je l'csleu et de ses gens
que des paisants animés de ce qu'on leU!' voloit ostel' leurs
bois .... . , ledit sel'gent exécuta pl'emièrernent sur Yvon
Pichon, .. , sur quoy lesdits habitans dudit villaige selevê­
rent aveeques J'Oluches et bastolJs en deffancze condt:licts des
adhBres de l'esleu et volèrent. ledit se!'gent et fut dépouillé
de son gaige et. bien battu, et ledit comptable, et 1 ou ts
aultres et ell très grand daniSer de 1I0S personnes, toutetf'ois
eschappimes pal' les marets et de là tyranmes à Lesneven
poUl' faire informatioll des excès »,
Le lendemain il obtint des décrets de pr'ise de corps contl'e
les révo1t(~s qui furent emprisonnés; des scènes analogues,
plus ou moins violentes, se produisirent sur les autres do­
maines de l'abbaye, llotamment à Locquemeau (janvier­
mal'S 15[.1:3), Le comptable alla ensuite à Lesneven, Morlaix,
Saint· Pol et Tréguier' ( pour avoir cognoissance du lieu où
estoient la myltre et la cl'oche de l'abbaye qui avoient esté
transportées tant en Tréguier que en Léon en plus de trente
maills, même le plus en main de dames et demoiselles ..... »
Il obtint des arrêts des COUl'S de ju!:'tice et sans duute aussi
des monitoires des évêques de Saint-Pol et de Tré.guier

« eomman­
clemens » furent publies dans tOI1S les envIrons du Relec et
spécialement à Comallnn « il cause de M:aclame de :rs:-guen la
vivill qui dét.enoit lesdites croche et myttre ». En Tréguier,
Charles Pommeret, cUl'é de Ploësal « estait noté d'avoir em­
porté les meubles de l'abbaye »); il était aEsez difficile de
s'en emparer, car il se tenait généralement « an rad de la
. maison de la Hoche Jagu Je la quelle esloit fils feu M. de
Nantes, abbé au Relec ... (1) n, Chollélrt., accompagné
de quelques agents, alla se l"acher dans le voisinage
de la Roch~ -Jagu, au village de :rs:-nechrion pendant quO « une
espie» (un espion ), payé par lui 5 sols, surveillait les
agissements de C. Pommeret; il apprit que le curé devait '
_____ d'ller avec d'autres prêtres au presbytère de Ploésal :
011 s'en empara facilement et on le conduisit en prison,
où il resta au moins 11 uit mois (février à septembre 1543).
Ces mesures produisirent leur effet; Madame du Bois
de la Roche vint, à Morlaix « avec grand train » rapport.er
1<\ mître et la crosse. Toutefois, deux notaires royaux envoyés
fi l'abbaye « pour avoir rejection de l'élection de l'esleu ... »
ne semblent pas avoil' réussi dans leur mission; mais Chouart
ayallt 1 eçu par l'entremise de l'abbé de Beauport de nou-
velles bulles apostoliques SUI' lesqGeIles nous ne sommes
pas mieux renseignés que sur les premières réunit ses
acolytes ordinaires, le Si' de I}nechgoarnyec, lè sI' de ~sau­
sen et autres pour assister à la prise de possession de l'ab­
ba)'e « et aussy pour estre plus fors comme, combien que
l'('sleu ne fut pour lors à l'abbaye ains à la court et que l~s
sL'culiers ses adhérés ayant veu les prinses faites pnr quoy
(1 ~ Louis d'Acigl1é étnit le second fils de Guillnume d'Acigné et de Mar­
guerite Péan, héritière du beau château· de la Roche-.Jrrgu el1 la paroisse
de Ploésal. En 1.')37-1538, L. d'Acigné avait pour procureur au Heléc
Charles Quemper. sieur de Kerscau, chanoine de Tréduier, et pour receveur
Charles Pommeret.

n:'osent plus hanter l'abbaye, si est ce que les religieux lui
tenoient bon, et de peur qu'ils n'eussent vollu faire follye
aux bulles, pour faire quelques exécutions .... ». Le surlen-
demain, P. Chouart prit possession de l'abbaye au nom de
Jacques TOI'solis, sans rencontrer cette fois aucune opposi­
tion, et fut reçu 'au chapitre ce pourquoi il paya aux
moines pour un écu de vin. (Février ou mars 1543).
. Puis le 10 mars « le sénéchal de Léon, procureur de la
Chambre, vint mettre ledit comptable en possession réelle à
l'abbaye en compagnie du procureur ~u Roy, de Penankaer,
Guerbillieau, I}ergrach et plusieurs autres gentilshommes,
le plus qu'il peut pour faire la chose plus célèbre ». Il fut
pour le banquet qui termina la cérémonie .
payé 9 livres
. Le comptable se crut définitivement maître de la situation
et commença à agir comme le représentant d'un propriétaire
ineonteslé; il fit sommer le receveùr du Huelgoat de rendre
les rentiers de l'abbaye, il fit nettoyer le jardin, enlever les
semer du chanvre pour étouffer les mauvaises herbes
ronces,
(coût 100 sols), ailleurs il sema des pois et des fèves (30 s.) :
fit changer pat' Merret « claveurier » (serrurier) de
e'nfin, il
toutes les serrures de toutes les portes de l'abbaye;
Morlaix
on en plaça soixante-dix nouvelles. Inutile précaution!-
« Le second jour de juign l'an 1543, l'esleu entra dedans
l'abbaye et de je ct a Me Xristofle de la Bouessière, sieur dudit
lieu, procureur de l'abbaye, pour Mons!' (J. Torsolis) et un
et Jehan Prat, ung garçon qui pansoit le cheval
homme,
dudit comptable ordinairement (que je avoye faict demeurer
pour servir ledit sieur de la Bouessière) ..... Ledit jour re­
tournant de Ploéfur trouvay encore ledit procul'eur et les
deux garsons au pourchet de l'église et touttes les portes
fermées; partant fut forcé aller droit à Lesnevell vers
le sénéchal de Lesneven et conseil pOUl' avoir remède ... »
Le sénéchal, qui ne semble avoir joui que d'une faible aulo-

rité uans le ressort de sa juridiction, ne put qu'envoyér à

. l'abbaye le comptable et trois sergents « pour esprouver
d'entrer dedans ». Les portes restèrent closes; uue procé­
dure en 1'éintégrande fut commencée non plus, devant la cour
de Lesneven~ mais devant les (~rands ·Jours de Bretagne. Il
n'était pas d'usage d'offrir aux membres de ce haut tribunal
des dîners comme aux juges des juridictions inférieures.
mais on leur donnait dé l'argent et du gibier (t) : les con­
seillers de Noyers et Gaudemont reçurent tout d'abord
chacun un écu, puis ~es pl'ésents furent distribués.au CI: pro­
cureur de la chambre' qui estoit cellui . seul qui prestoit

l'ol'eille de (aire justicze pour Mons l'abbé, tous les aultres
de quelque lieu, estat ou dignité qu'ilz fussent le foullant, et
supportant celluy qui estoit du pays, ... ». On lui donna tel
- jour nn double ducat, plus tard 100 sols. On offrait égale­
ment à M. de Lestang ( procureur de la cour», un double
ducat ; à M. de Hanltetouche, procureur général, 41. 16 s,;
à M, le Président « pour lui communiquer et parler de notre
fait et le prier de nous faire briefue justice, présenté du
gibier pour deux escus d'or (4 1. 10 s.) ; à son huissier « pour
avoir meilleur accès à la. maison», 45 sols. . Pour d'autres
présentz, le chiffre précis des dépenses du comptable n'est
pas indiqué, par exemple « 'au procureur du Roy pour faire
communication de nos mandements ... , et afin qu'il nous
eust tenu la main .... J) "
« Pour ung présent de gybiers à Mons!' le président Ber-
trand entre lesquels il y avait deux signars qui coustent
ung es cu la pièce que le comptable fit veni r de Montfort (2)

ri) Nous trouvons clans le Nobiliaire de B1'etar;ne, cie P. cie Courcy. les
noms de quelques-uns des magistrats des Grands-Jours à l'époque du
procès du Relec: Jean Bel'trand, premier président aux Grands·Jours,plus
lard garde des sceaux de France, archevêque de Sens et cardina'l ; iean du
Han. procureur général; Jean le Prevo . .,t seigneur de Saint-L.yr et Morsan,
avocat général; Nieolas Quélin, conseiller au'{ Grands Jours puis (en 1.)84)
fi U Parlemen t. .
(2) Montfort-sur-Meu ou Monfort-la-Cane (Ue-el-Vilaine) .

et ce après avoir baillé les lettres de faveur de la cour pour
faire appeler notre matière extraordinairement et hors le
ranc du rolle ....
« A l1lUyssier pour appeller la cause lors et la foys qu'il
eust esté de hesoign par moyen de la signature du président
et hors le ranc du l'olle.... .
« Pour le procureur général à faire son playdoyé diligen-
tement affin que la matière ne fut retardée .....
« Pour le salaire de l'advocat du Boy de son playdoyé par
escript qu'il feict en nostre faveur et de son office auquel y
avoit quatre pages de papier toutes plaines et pour le soli­
citer de le faire tost, comme il feict, que la matière n'eust
esté retardée .....
« POUl' un présent de gybier au rapporteur scavoir Me Ni­
colas Quelain .....
., Pour le pl'ocureur général pOUl' nous tenir bon; Strossy
lui bailla une foys six escus. Pour les espices douze escus
d'or ..... »)
Si nous possédions les comptes des frais que l'élu G . Le
Roux eut à supporter, nous constaterions sans doute que lui
aussi ûffrit, dans la mesure de ses moyens, de petits présents
aux magistrats et aux gens du Roi; ces libéralités qui, de
nos jours: seraient considérées comme tentatives de corrup­
tion de fonctionnaires, étaient à cette époque universelle­
ment admises; cet usage prouve qu'il existait chez les ma-
. gistrats un singulier défaut de dignité et chez les plai?eurs
une médiocre confiance en l'équité de leurs juges. Nous
n'ignorons pas qu'on a dit que les épices et les présents \
n'étaient qu'un témoignage de courtoisie donné aux ma­
gistrats. Nous en doutons; llOUS avons peine à croire que
les p1aideurs eussent consenti par courtoisie pure et dési n­
tércssée ft faire des sacrifices d'ar,::ent relativemellt. <.:onsi-
.déraLles s'ils n'avaient espéré aillsi se concilier la faveur de
leurs juges. . (A sui·IJ1'e) .