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Bulletin SAF 1904


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Les monuments mégalithiques de Tossen-Rugouec en Prat (Côtes-du-Nord)

A. Martin

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TOSSEN RUGOUEC
En PRAT (Côtes-du-Nord)

Dans SOIl répertoire archéologique des Côtes-du-Nord, à
propoS de la commune de. Prat, Gaultier du Mottay s'ex-
prime ainsi: ;( Plusieurs tumulus; celui dit Tossen-Rugué­
zec (1), cultivé et abais.sé par la culture, hauteur actuelle
mètl'es, diamètl'e à la base 52 mètres; il est entouré d'un
fossé pl'orond et domine une vaste étendue », C'est la pré­
sence de ce profond fossé qui m'avait empêché de me rendre
au village de Ruguézec pour y visiter son tumulus, au cours
de mes excursions annuelles, pendant la belle saison,le livre .
de du Mottay à la main, à la recherche des monuments pré­
historiques connus ou inédits du département. Cette grande
douve ne me disait rien qui vaille; elle est le complément
ordinaire des . mottes féodales, des buttes artificielles à des­
tination militaire: postes d'observation, ouvrag,es de dé­
fense , etc., et je ne sache pas que dans notre pays armoricain
un seul t.ertre funéraire, à quelqu'âge il appartienne, ait été
comme beaucoup de tumulus de la Grande-
entouré de douves
. ,Bretagne. . .
abbé Prigent, recteur de Prat, l'heùreux et habile

fouill eur des riches sépultures de Porz-ar-Saoz, en Trémel,
de ~gourognon, en Prat, et de plusieurs autres tumulus de
la région, se trouvant sur les lieux et ayant vu de ses propres
(1) La carte de l'Etat-Major porte en effet Ruguézec comme nom du petit
village où s'élève la butte. Les gens du pays prononcent Rugouec qui vient
de Run-Gouec, avec chûte de l'N de run devant la consonne G. . C'est le
tertre, la butte de Gouec .

yeux la butte de Hugouec sans l'ombre de douve à sa base,
n'a pas hésité à en tenter l'exploration et, comme toujours,
la fortune a couronné son zèle archéologique.
Sous le grand tertre dont G. du Mottay avait assez bien
il a rencontré une de ces superbes
indiqué les proportions,
sépultures de bronze à belles pointes de flèche en silex dont
il est décidément] 'inventeur coutumier. Mais, cette fois, sa '
découverte revêt un caractère d'intérêt tout spécial du fait
avant de la sépulture centrale, d'un
de la mise au jour, en
curieux ensemble de rochers naturels, de mégalithes et de
pierres diverses de plus petite dimension, au milieu desquels
existent d'indiscutables témoins de cérémonies funéraires
accomplies en, ce lieu au moment des funérailles principales.
M. l'abbé Prigent exécuta sa fouille au mois d'octobre 1900
et, au printemps suivant, j'eus l'occasion de passer à Prat
où l'aimable recteur me fit voir ses trouvailles .
Enjuillet 1903, au retour d'un voyage à Lannion oùj'étais
venu arrêter les dernières dispositions pour l'exploration
retournai à Prat où
prochaine d'un tumulus des environs, je
m'attendaient, au presbytère, un amical accueil, une cordiale
hospitalité et une surprise dont je sens vivement tout le prix.
l'abbé Prigent, auquel les multiples obligations de son
pour des
ministère n'avaient pas laissé les loisirs nécessaires
travaux d'archéologie, voulait bien me confier le soin de faire
connaître les résultats de sa belle découverte . .Je lui suis
très reconnaissant de cette preuve de bonne confraternité.
Il me donna de vive·voix tous les renseignements qui pou­
vaient m'être utiles, ainsi que ses notes, plan et photogra­
phie, et c'est le récit de sa longue et souvent pénible explo­
ration, continuée pendant quinze jours sans quitter le chan·
tier, quelque temps qu'il fît, que je vais m'etforcer de repro­
duire le plus fidèlement possible.
à environ 1,500 mètres au Sud du
Le village de Rugouec,
bourg de Prat, composé seulement de trois ou quatre maisons

éparses, doit son nom à la belle butte qui s'y dresse au flanc
d'une colline à légère déclivité regardant le soleil levant.

Sa hauteur est bien de 5 mètres; mais le diamètre de sa base
ne dépasse pas 40 ou 45 mètres . Avant que la charrue ne
l'ait écrêté, ce devait être un des plus grands tumulus de la
contrée. On l'appelle Tossen-Rugouec.
U ne large tranchée de 10 mètres de plafond est ouverte à
partir du pied de la butte, dans l'est, et l'on suivra tout le
temps le sous-sol naturel, arène provenant de la décompo­
sition des roches granitiques. La compacité de l'argile de
l'enveloppe, terre de prairie à coloration très variée, sa
cohésion, permettent de faire des parois verticales sans danger
d'éboulement. A chaque coup de pioche apparaissent de nom­
breuses parcelles de charbon; on rencontre aussi des débris
de poterie et des silex recueillis et examinés avec tout le soin
possible, mais laissés en grande partie éparpillés sur le

tertre, les travaux achevés. Ils devaient être nombreux, à en
Ils
juger par tous ceux que nous avons vus à la surface des
terres de remblayage, plusieurs mois après la fouille. Ce

sont des documents d'autant plus importants que, dans ce
Ile
genre de monuments, on ne trouve jamais de vases dans la

sépulture même, et que, seuls, les tessons contenus dans

l'enveloppe peuvent donner une idée de la céramique de l'é-
poque. Leur reGherche, ainsi que celle des silex, est d'ailleurs
lre
l\mique distraction au cours des longues journées passées au
Ils
travail monotone du percement d'une tranchée dans un grand
tumulus tout fait d'argile. On avait avancé de plus de dix
mètres quand apparurent, au bas de la paroi du fond, des
grosses pierres, véritables mégalithes en granit. Etait-ce la
sépulture? Le tumulus recouvrait-il une allée couverte, une

chambre dolménique? Moment plein d'émotion pour un
archéologue! L'abbé Prigent fait dégager les pierres, une à
une, en recommandant bien de ne pas les déplacer, car il y
de plus petites, et il importe de ne pas en déranger
en a

glsent a terre et ne font pas partie
l'ordonnance. Toutes
d'une construction, d'un monument.
Le premier groupe mis à nu, les surfaces sont soigneuse-
ment balayées, et un ami du recteur en prend la photogra-
phie (1). Il se compose d'un affleurement naturel de la roche,
de om75 de relief, dirigé Nord et Sud, long de 2 mètres et
large de om75, portant, dans le sens tranversal. deux rainures .
assez profondes qui semblent dues à la main de l'homme,
tant elles sont régulières et douces an toucher, ce qui est la .
caractéristique des cupules, écuelles, 'bassins et gl'8vures
diverses sur les monuments mégalithiques et sllr les rochers .
. Elles divisent l'affleurement en trois parties sensiblement
égales (A fig. 2). A l'est de ' celui-ci, deux mégalithes de

P1180x om80 et l 75X 02. 80 sont couchés l'un pl'ès de l'autre,
un peu inclinés vers l'Ouest, leur extrémité Est reposant
sur le rocher (B et C). L'abbé Prigent y voit deux menb il'S
renversés. A côté d'eux, dans le Sud, sont troTS pierresjoin­
tives, alignées Est et Ouest; elles mesurent om 30, om 15 et
om 50 sur om 10 d'épaisseur. Entre elles et le menhir du Sud ,
et aussi de l'autre côté~ sont plusieurs petites pierres, comme
des pie,'res de calage ID). Au nord du rocher à rainures, une
grande piel'l'e, 1 60 X Om 80, peut-êtr'8 cnCOl'e un menhir
tombé, gît parallèlement aux deux autres; près d'elle, au
Nord, une pierre de ù X om 40 et une seeonde plus -p.etite
(E et F). Dans l'Ouest et à Om 20 de l'affleurement, on voit
une ligne de trois pieITes plates, orientée Nord et Sud; les

deux premières rectangulaires, om 80 X 0 50 et 0 60 X
om 50, la troisième ronde, om 40 de diamètre (a b c). SUl' la
plus grande, en son milieu, existe un évidement cupulli­
forme au fond duquel est gr~vé un signe affectant à peu pl'ès
la forme d'un B. Il Y la doute dans l'esprit de l'inventeur sllr

(J) Le peu de .pelLeté de l~reu\'e n'a pas permis d'en tire\' une photo­
Lypie. La ·figUl'e n° 1 provienL d'un dessin à la plume que j'ai faiL d'après
la photographte. . . .

l'es

l'origine naturelle ou al'~ificielle de ces gravures. Le voisi­
nage des rainures de l'affieurement pourrait venir à l'appuj
de la seconde hypothèse. .

Enfin, deux blocs de granit, l'un trÀs gros, l'autre de
moindre dimension, se montrent à l'angle Sud-Ouese du
rocher naturel. Ils font partie d"tm même mégalithe brisé,
car les deux morceaux se raccordent parfaitement. C'est tout .
ensemble que reproduit la fig. 1. Le lendemain la marche
cet
est reprise vers l'Ouest, et l'on dégage d'autres rochers,
d'autres pierres détachées. Le bloc granitique, cassé a un
présente un peu plus loin une seconde cassure et, quand
bout,
on est arrivé à son extrémité Ouest, on a sous les yeux les
trois morceaux de ce que l'inventeur appelle le grand menhir,
haut de 3 mètres, large de lm 80 à la base, terminé par une
1 du plan 2). ·Dans sa chùte, qu'il sup-
pointe conique (G H
pose avoir été voulue, il se serait brisé en torribant sur le ro­
cher. H.ienqu'enregardantla photographie, lacassure du bout,
iout au moins, paraît bien due à cette cause. Le morcea.u déta­
ché a été rejeté sur la droite en glissant sur la partit. déclive
Un peu à gauche de la tranchée apparaît un
de l'affieurement.
second affieurement, dirigé Est et Ouest, dont le relief
atteint 1 50 (K). Il est profondément excavé à sa base, du
du Nord. Plus loin, sur la droite, on découvre une pierre
côté
grossièrement cylindrique de Om 70 de hauteur et 1 mètre de
diamètre, donnant vaguement l'idée d'un autel (L).
Sur le vaste espace compris-entre le rocher K et la pierre
L, existe une couche de cendre gr-ise, noirâtre, très fine,
om 30, qui ne ren~erme que de très rares pe,tits
épaisse de
morceaux de ch.arbon. Elle pénètre dans l'excavation du
rocher et entoure complètement la base du grand menhir

brisé. A sa surface se montrent un grand nombre de frag-
ments d'ossements, hélas indéterminables. Ils abond~nt par­
ticulièrement autour du bloc G du menhir ' et autour et

dessous le second-bloc H. .

Il en a été recueilli plusieurs morceaux assez importants,

encastrés dans l'argile; ils sont tombés en poussière quand

on a essayé de les dégager.
Enfin, à om 50 à l'Ouest de la base du 'grand menhir appa­
raît subitement, au pied de la paroi du fond, une ligne noire,
légèrement ondulée, qui ne peut . tromper l'expérie!lce du
directeur de la fouille: c'est du bois pourri. La sépulture

est là, et' elle appartient au genre de celles qu'il a plusieurs

fois explorées. Tout cet ensemble de rochers et de pierres
détachées n'a malheureusement pas pu être photographié.

Un amateur photographe, sur la prière du recteur, était
bien venu avec son appareil; mais une pluie fine n'a vait cessé

dn tomber toute la journée. Ce fu t un premier déboire.
Au moment de l'apparition de la ligne noire, le jour com-

mençait à baisser et il, fallait' attendre le lendemain pour
entreprendre, avec le temps et le soin que réclame un pareil
travail, le dégagement méthodique de la sépulture entreVUE:.
Avant de quitter les lieux, quelques coups de pioche donnés
dans le mur d'argile ont bientôt formé un fort éboulis des­
tiné à cacher- et à protéger ce qu'on venait de découvrir à son
et' pied. D'ailleurs, quelques-uns des ouvriers,et le directeur des

fouilles lui-même, passèrent la nuit daris une maison voisine.
Depuis le commencement des travaux, le propriétaire du
le tumulus s'était joint aux autres journaliers, Tout en gagnant
ses journées, il pouvait satisfaire sa curiosité grandement
éveillée et surveiller son bien, car il aura droit à la. moitié
des objets d'or et d'argent, c'est-à-dire du fameux trésor
que nos paysans, en dépit de toutes les déconvenues, COIl­

.tinuent et continueront toujours à croire enfermé dans les

lr tumulus et les monuments mégalithiques, si une bonne
chance, cette fois) en avait mis un sous le Tossen-Rugouec.

Quant au fermier, ilue parut jamais sur le chantier pendant
qu'on y travaillait. En l'absence des ouvriers, il y fil seu-
lement quelques visites furtives. .

TOSSEN-BUGOUEV. Plan
la Stpulture (1/100)

Le matin, à la reprise du travail, quelle ne fut pas la stu­
.péfaction de M. l'abbé Pl'igent quand la femme du fermier
, vint, au nom d~ son mari, lui raire défense de fouiller au-delà
du point où l'on était arri\O é. L'influence très légitime dont
jouit le recteur de Prat auprès de ses paroissiens, une nou­
velle rémnnération offerte, l'intervention favorable du pro­
pl'iétai1'8, rien n'y fit. La défense était absolue. Allait-il
falloir renoncer à la fouille au moment où l'on touchait au
but? Cruel embarras!
Mais si le fermier qui a la jouissance dé la surface pouvait
défendre qu'on y touchât, le propriétaire, à qui appartient
l~ fond, pouvait pcrmettl'e qu'on y perçât une galerie son-
terraine. La solution était trouvée. Avec elle on allait pou-

voir mener à bien l'œuvre entreprise en déjouant les calculs
trop inl8l'essés du fermier. Ainsi fut fait. - ,
Sous la direction de M. l'abbé Prigent une vaste excava­
tion: en forme d'abside voûtée, ,est creusée dans la, masse
argileuse du fond de la tranchée, très compacte et ayant près
de 5 mètres d'élévation. Il suffit qu'un homme puisse s'y tenir

debout; il restera donc entre le haut de la crypte et le som-
met du tumulus, une épaisseur de plus de 3 mètres d'argile
qui doit assurer' grandement la sol~dité de la voùte que, par
mesure d'exti'ême prudence, on va soutenir encore par des
planches et quelques poteaux. Les dimensions de largeul' et
de profondeur à donner à la crypte sont comn1andées par
celles du plancher de bois pourri formant l'aire de la sépul­
ture. Elles atteindront 2 mètres dans chaque sens.
Voici le résultat de l'exploration de la sépulture centrale
de Tossen-Hugouec, faite dans des conditions certainement
moins favorables que si elle s'était opérée à ciel ouvert, mais
auxquelles a pu remédier la grandE'; expérience du fouilleur.
La couche de bois pourri, à sul'face ondulée, épaisse à peu
près également partout de om 10, de om012 exactement à
l'endroit des poignal'ds, a été entièrement dégagée (M fig.2).
stu-
Les objets du mobilier funél'aire. reposent sur ce bois pourri,
mel'
mais ils en sont aussi recouverts, ce qui indique un plancher
delà
et un couvercle, c'est-à-dire un coffre, une sorte de cercueil,

:1ont
où les cendres du mort avaient été renfermées, avec ses
lOU­
armes, et qu'on avait placé à même sur ' l'arène gl'anitique.
sans protection d'aucune sorte, car la masse d'argile enve­

loppante allait devenir plutôt une cause d'e destruction ra­
t au
pide pour cette grande caisse en bois, soumise à l'énorme
pression verticale de ses 8 on 10 mètres peut-être de hauteur.
, vait
A om 20 seulement du bord oriental du coffre et un peu SUl'
.ient
la droite du milieu, on découvl'e quatre poignards en bl'Onze
disposés dans l'ordre suivant: deux l'un à çôté de l'autre, la
DOU-
pointe dirigée vers l'Ouest; le troisième, un : peù :à leur

gauche, renversé, c'est-à-dire la pointe à l'Est, et le qua~
trième, au-dessus et en travers des trois autres, la pointe
vers le Nord. Entre le groupe des poignards 1 et 2 et le poi~
gnard 3 est un amoncellement de 46 pointes de flèche en
silex. Enfin, plus dans l'Ouest, il y a deux objets en bois
légèrement tronconiques, longs de Om 60, larges de om 10 au
plus gros bout, qui se réduisent malheureusement en pous~
sière quand on veut les enlever (6-7 fig. 2).
Sur cette grande aire de quatre mètres carrés, rien autre
chose; pas un débris de poterie.
LES POIGNARDS
N° 1. Très endommagé par l'oxydation. Lame triangu-
laire à pointe arrondie, le talon muni d'une soie à languette
d'à peine Om 01 de longueur. Longueur totale Om 26, largeur
à l'emmanchement om 07. Quelques restes du manche en
bois à base curviligne et à évidemen't central en cintre sur­
baissé comme la cloison limite dont il suit le dessin. Six rivets

ou goupilles, plus ou moins enti.ères, dont la mieux conser­
vée a om 012 de long; autour de quelques-unes on peut dis­
tinguer les gaines, en bois de om 001 d'épaisseur, qui les
enveloppaient (1). Importao.ts débris du fourreau, en bois
bien conservé, de om 002 d'épaisseur, recouvert de cuir dont
un morceau de om 06 sur om 04 paraît présenter des vestiges
d'ornementation par estampage.
N° 2. Presque entièrement oxydé. Il a dù mesurer om 13
de longueur sur Om 04 ou Om 05 de largeur. On aperçoit sa
petite languette et trois trous de goupille. L'une d'elles,
retrouvée dans le bois pourri qui entoure la lame, est cylin-
. drique et longue de om 008. Quelques rares débris de four­
reau en bois et cuir.

(1) Voir à ce sujet Je compte-rendu de l'exploration du tumulus du
Tossen-Maharit, en Trévérec. Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes­
du-Nord, année 1899.

N° 3. La conservation est moins mauvaise. C'est tou-
tnte
joUrs·une lame triangulaire, longue de Om 19 et large de om 055
à l'emmanchement. La cloison métallique, avec fer à cheval ·

central, est très nette sur une des faces, visible encore sur
)OIS
l'autre. Quatre des six goupilles sont en place, plus ou
moins détériorées. On distingue çà et là, sur la lame, des
restes de filets en creux. Le fourreau a presque complète­
ment disparu.
lItre
. No 4.· Même arme de om 19 de longueur totale sur om065
de largeur à la base du talon. Très courte languette en
langue de chat et six trous de goupilles. Le fourreau, en assez
bon état par endroits, ne montre pas de bois; on le dirait
fait en cuir seul.
ette
Des poignards si semblables à ceux des tumulus de Porz-
reur •
ar-Saoz (1), de :&gourognon (2), de Cruguel (3) et du Tossen-
Maharit (4), avaient-ils, comme eux, leurs manches ornés

de clous d'or?
vets
Nous n'en avons pas trouvé dans les poussières, mélange

de bois pourri et d'argile, tombées dans la vitrine où les
dis­
quatre poignards avaient séjourné depuis trois ans et qui
i les
ont été soigneusement examinées et lavées. Peut être, au
bois
moment de la découverte et de l'enlèvement des armes avec
lont
la truelle, n'avait-on pas recueilli une assez grande quantité
1ges
de matières accumulées à l'endroit des manches disparus.
C'est une précaution indispensable, dans les sépultures de
l'espèce, de détacher tout un bloc de la couche sous-jacente
.t sa
aux poignées . Mais, dans le cas présent, comm" e l'opération
lles,
a eté faite par un habitué de ce genre de fouilles, dont l'at-
'lin-
tention était naturellement attirée sur ce point spécial des

(1) Abbé Prigent. Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord.
Année 1880.
n) Abbé Prigent. Mêmes mémoires. Année 1881.
IS du
(3) Ct Le Pontois. Revue archéologique, 1890.
:ôtes-
(4) A. Martin. Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord.
Année 1899 .

do us d'or, et qu'il n'a vu briller aucune parcelle jaune dans
les débris 'de' bois environnants, il y a tont' lieu de croire.
. ' sans ·pouvoir l'affÎl'mer cependant, que les inanches des poi-
gnards ne portaient pas ce mode de décoration.
LES POINTES DE FLECHES EN SILEX '
Quarante-six de ces merveilleuses petites pointes de flèche
en silex, à pédoncule et à ailerons, spéciales à nos sépultures
bretonnes d'une des phases de l'âge de bronze (1) étaient
assemblées, en un tas, entre les poignards. Elles sont du
type ogival et leur longueur varie de Om038 à om028. Quel­
quos-unes seulement ont, soit le pédoncule, soit un des aile-
.. l'ons brisés. Toutes les autres sont intactes et pal~faites
Comme les poignards, elles se trouvaient entl'e ~deux
couches de bois pourri; mais, juste au-dessous de l'endroit
où on les avait entassées, un trou, en forme de cornet, avait
creusé dans le sous sol arénacé et rempli de cendre blan­
été
châtre. Y a-t-il UIle corrélation entre ce trou et la place
assignée aux pointes de flèche? Comme celles-ci en étaient
séparées par l'épaisseur du fond du coffre, il est à présumèr
que le hasard ·seul a amené leur superposition . Le tl'ouco-
nique plein de cendre n'en reste pas moins un curieux témoin
des rites fUlléraires accomplis en ce lieu avant le dépôt du
cercueil.

LES MASSUES

M. l'abbé Prigent donne ce nom aux deux instruments en
découverts dans l'Ouest de l'aire sépulcralo, JI répond
bois

bien à leur forme et à leurs dimensions. Tenus en main par
le petit bout, ils devenaient des masses d'arme redoutables.
L'heureux archéologue de Prat a cu la bonne fortui1e de

(1) A. l\1al'tin. Les sépullures armot'icaines à belles
po;nte~ de flèche en
silex. Anthropologie, 1900.

lUS
trouver enfin qe que tout le monde soupçonnait, pressentait,

devinait, mais sans parvenir à le décou,vrir : le casse~tête de

nOS populations préhistoriques bretonnes. Il est bien certain
que, chez e1les, les armes en bois: massues, lances, arcs,
flèches, etc., abondaient comme elles abondent aujourd'hui
encore chez les peuplades à peu près au même. degré de ci-
vilisation, même celles chez lesquelles ]e fer a pénétré. Leur
première constatation certaine sous un tumulus revenait, on
l'es
pourrait dire de droit, à l'infatigable pionnier de notre pré­
histoire bretonne.

Jusqu'à ce jour, les sépultures armoricaines à belles pointes
de flèche en silex nous avaient montré une infinie variété
dans la conception de leurs dispositions architecturales, dans
oit
la forme de leurs chambres sépulcrales: de leurs sarcophages,
ait
dans le choix des matél'iaux employés. Une seule condition
Ill-
paraissai~ avoir été imposée aux constructeurs: que l'aire
lce
de la sépulture fut strictement délimitée, et que dans les

limites ajnsi tl'acées, tous les actes rituels accompagnant
les funérailles d'un puissant personnage fussent rigoureuse­

ment circonscrits. On pouvait y voir une r~gle prescrite par
la coutume et les croyances.

Dans le cas du .Tossen-Rugouec, il y a eu dérogation à
cette règle. En dehors de la sépu.lture centrale, bien déli­
mitée par son plancher de quatre mètres carr~s, nous trou­
vons, sur le même plan, un ensemble de rochers-, de méga-

lithns et de pierres détachées, et: au milieu d'eux, des dépôts
)ar de cendre et d'ossements qui se relient certainement à la
cérémonie des funérailles principales, la complètent et lui

donnent un caractère nouveau du plus grand intérêt. On

peut même affirmer que ces dépôts sont postérieurs à la
mise en place du cercueil; ils constituent des actes consé-

cutifs à lp cérémonie principale. L'épaisse couche de cendre

a eté trouvée dépassant de près de Om 20 le niveau supérÎeutl
du lit de bois pourri qui représente le coffre, et sans mélange
avec lui (1). Il fallait donc qu'elle vînt s'appuyer sur sa paroi
orientale qui devait être assez élevée, et quand le couver'cle,
plus tard, s'est affaissée, la cendre compacte n'a pas suivi
le mouvement et a formé mur sur t,ou te la ligne de jonction.
Il en était de même pour les trois autres côtés; Elle faisait
donc le tour du coffr'e. .
Nous pouvons ainsi déjà assister à trois phases successives
de la cérémonie funèbre: le percement dans l'arène granitique
du trou en cornet qu'on a rempli de cendre blanche; la pose
du coffre au-dessus de ce trou; l'apport d'une quantité con­
sidérable de cendre noirâtrè, très homogène, ne renfel~mant
pour ainsi dire pas' de charbon, et à la surface de laquelle
ont été déposés ou jetés de nombreux ossements. Combien
il est à regretter qu'aucun os déterminable n'ait pu être
recueilli. Se trouve-t-on en présence d'offrandes au mort
sous la forme d'animaux, de restes de repas funéraires ou
de sépultures de ses serviteurs? I/incident du fermier n'est
pas moins déplorable puisqu'il a empêché l'abbé Prigent,
très intrigné par la présence des grosses pierres, de conti­
nuer le dégagement du tumulus qui lui ménageait probable­
ment d'autres surprises et eut éclairé bien des points restés
obscurs. .
singulier emplacement pour y mettre une . sépulture!
Quel
Sur un affleurement rocheux, au milieu de monuments mé­
galithiques préexistants, qu'ils fussent déjà renversés ou
qu'on les ait renversés au moment de l'érection du tumulus,
car il est difficile d'admettre l'apport en ce lieu, par les
hommes' du bronze, de ces énormes pierres, dont l'une a
toutes les apparences d'un menhir brisé en trois morceanx.

(1) Nous croyons que ces cendres noirâ tres. sans débris de charbon, pro­
viennènt d'herbes et de paille brûlées •

II Y a cependant un monument de la mème époque, le
.euf

tumulus de Cmguel, en Guidel (Morbihan), où le Ct Le
nge
pontois (Revue archéologique, 1800) a rencontré un dispo~
frOI
sitif de mégalithes, composé de dix menhirs accolés, formant
cle,

pyramide au-dessus de la chambre sépukrale et noyés dans
UlVl
tumulaire. l .. es constructeurs des sépultures à
l'enveloppe

belles pointes de flèches en silex étaient donc restés parfois
sait
remueurs de grosses pierres. Mais, à Cruguel,
encore des
ils les avaient dl'8ssées en bon ordre, en avaient fait un mo­
lves
Au· Hugouec, au contraire,
nument décoratif ou symbolique.
que
les mégalithes sont couchés à tene ou brisés, les autres
)ose
pierres dispersées sans plan bien apparent; le tout donnant
l'impression d'une chose ancienne détruite.
lant
Et pourtant, dans ce disposit.i.f de pierres, placé à l'Est,
elle
bien en face de la sépulture, qu'il lui soit antérieur ou con­
Olen
temporain, onserait tenté de croire qu'une pensée dirigeante
être
est intervenue pour en opérer le gl'oupement. Le rocher
nort
naturel est divisé en trois parties par des rainures faites
s ou
gl'and menhir est brisé en tl'Ois mor­
intentionnellement; le
l'es!;
ceaux; les mégalithes. BeE, qui ont pu être dressés, sont
'ent,
trois; il Y a trois pierres plates alignées,
au nombre de
lllti­
abc, dont l'une porte un signA d'origine douteuse; enfin,
ble-
le groupe D, abstraction faite des petites pierres de calage,
:stés
teois pierres en ligne dl'oite. Cette quintuple
est composé de
chiffl'e 3 n'est-elle due qu'au hasard?
répétition du
LIre!
Le Tossen-Rugouec est un sphinx aux énigmes bien em­
barrassantes (1). A l'une d'elles, le mobile ayant pu déteemi­
s ou
ner le:chnix d'un pareil endroit pour y élever une sépulture,
tlus,
ne pourrait-on risquer ceUe réponse: le désir de reposer dans
1 les
un antique lieu consacl'é dont le sOllvenir ne s'était pas effacé ·?
ne a
A. MARTIN.
aux.
Alger, décembre t 003.

(t) Jusque dans le choix de:; armes, poignards, poinles de flèche en silex
, pro·
et massues, il l'exclusion d'aulres genres rencontrés dans les sépultures du
même temps, nous sommes ramenés à la triade.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINIS'fERE. TOME XXXI (Mémoires) 2