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Bulletin SAF 1903


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Monographie de la paroisse de Lanmeur (1/4)

E. de Bergevin

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MONOGRAPHIE
DE LA

PAROISSE DE LANMEUR

. Lanmeur, située par 6°03' 16"5 de longitude N . . et par
48°38' 52"5 de latitude O., à 13 kilomètres de Morlaix
et à 9 kilomètres de Plouigneau, faisait autrefois partie de
l'évêché de Dol; cette paroisse dépend aujourd'hui de celui
de Quimper . .
Elle est bornée au nord par les paroisses de Guimaëc
et Saint-Jean-du-Doigt, à l'ouest aussi par Saint-Jean-du­
Doigt et Garlan, au sud par la paroisse de Plouignea:u
et ·enfin à l'est par celles de Plouégat-Guerrand et Guimaëc.
Lanmeur est de 3,500 habitants. Cette
La population de
paroisse est traversée par la route ·de Morlaix à Lannion,
passant par Plestin-les-(;rèves et la belle plage de Saint­
Michel dite CI. la Lieue de Grève ». On comptait autrefois
à Lanmeur les frairies de la ville de Korgalavan, Kerorcun,
Kerc'hohantguen, Kermouster, Kerroignant, Kerangoff,
Pengast et Kervern; elles sont restée!51es mêmes
Kergadiou,
sous le nom de sections.
La surface de la paroisse de Lanmeur est de 2,648 hec­
tares La culture du pays est généralement du blé, 1,455
hectares; prés., 158 hectares; bois, 115 hectares; "le reste
en landes et bruyères.
est une petite ·ville fort ancienne qui était, dit-on,
Lanmeur
le siège d'un évêché, sous le nom de KERFEUNTEU~ (VILLE DE
LA FONTAIN.). Nous lisons, en effet, dans Albert Le Grand:

u/ encore bien que Saint-Samson aye esté le prremier
fr q d Dl' , 'l . l d
f( archettêque e 0, St est-ce qu 't y auo~t ongtemps evant
(f ville de KEIlFEUNTEUN (à présent nommée Land-Meur),
f( laquelle encore à prrésent est du dit diocèse és enclaves de
({ Treguer, où ils tiennent par trradition de père en fils que
rf les Prelats qui ont siégé en ce lieu (desquels on ne troUl)e
rf les noms) s'appeloient anheuesques, et d'autant qu'ils
(f avaient leurr siège en la dite ville, elle f'ut nômée LAND-MEUR,
f( c'est-à-dirre GRAN DE EGLIS E, d'autant q'Lt' elle estoit métropole ·
(( de Bretagne, et monstrrent encore les sepulchres desdits '
f( Prelatsprrès l' Hospital des raux-bourgs anciens du dit Landt-'
f( Meur, nommé an Hospital PeU. )) . .
Nous ne savons si rée,llement · Landmeur ou Lanmeur,
dont le nom signifie, non pas grande église, mais bien grand- '
pays ou grande lande, a été le siège d'un évêché, mais ce' qui
est à peu près certain, c'est que Saint-Samson, chassé par
les Saxons du pays de Galles, dont il était métropolitain,
se réfugia en Armorique et y fonda le monastère de Lanmeur.
Quand il passa à l'évêché de Dol, il réunit à cet êvêché
et les prieurés qui en dépendaient : de .là sont:
Lanmeur
paroisses de l'évêché de Dol qui étaient enclavées
venues les
Tréguier et de Cornouailles (1).
dans les évêchés de Léon, de
La paroisse de Lanmeur s'honore d'avoir pour patron
St-Melair, Mélair ou Mélar comme on le nomme actuel-
lement. .
historiens de Bretagne, dit Albert Le Grand, nous
Les
qu'apres la mort d'Alain II surnommé Le Long,
apprennent
He Roi de Bretagne-Armorique survenue l'an 670, Daniel,
fils de Jean, comte de Cornouaille, parvint à la couronne, il
('1) Note de M. de Blois, Dictionnaire d'Ogée, T. l, page 4.48 .

eut de la fille de l'empereur Léonce ou Léon JI deux enfants
. Budic et Maxence. Budic prit pour lui le royaume de la
Domnonéè 'on de Basse-Bretagne et eut trois fils, Theodoric
Méli'au 'et Rivod. Méliau succéda à son père, il fut lui-même

père de notre St-Mélar Après avoir régné sept ans, il fut
traitreusement assassiné par son frère Rivod ; son corpsJut
enterré en l'église cathédrale de Cos-Guéaudet où Dieu, fit
de grands miracles par son intercession. Il est aussi dévote .
ment invoqué en l'église paroissiale de Plou-Miliau, diocèse
de Tréguier et Guic-Miliau, diocèse de Léon.
Rivod ne se contenta pas d'av'Oir commis ce fratricide et,
après avoir vainement essayé de s'emparer de la tutelle du
fils de sa victime, il currom pit les gouverneurs de ce prince
et leu,r persuada de l'empoisonner. Le saint déjoua leurs
tentatives par un simple signe de croix., et les conspirateurs
confus se jetèrent à s«js pieds, lui demandaut pardon et lui

jurant fidélité.
Rivod l'ayant appris, . rassembla aussitôt une compagnie
de gens déterminés auxquels il commanda d'aller assaillir
le château où demeurait le jeune prince Mélar et sa mère et
de lui rapporter sa tête.
Les soldats s'y rendirent, et, après s'être emparés du
jeune prince ils lui apprirent la commission dont les avait
chargés son oncle. llieur répondit qu'il s'attendait depuis
longtemps à un pareil traitement et les pria de lui permettre
de se confesser à son aumônier.
Pendant ce temps, la reine Henriette ~e jeta aux pieds du
capitaine de cette compagnie, et lui donnant la clef de ses
trésors, lui dit de prendre ce qu'il voudrait à la condition de
laisser la vie sauve à son fils. Il y consentit, mais il. coupa
au j~uhe prince la main droité et le pied gauche afin qu'il
ne put ni monter à cheval ni mettre l'épée à la main, ce qui
le mettait hors d'état de règner. .
Rivod voulut alors se faire donner la garde de son neveu

fi de régner à sa place. Il convoqua ses Etats à Carhaix,
oul pas consentir à sa demande, et donna pour tuteurs
a J dl" bl' , . d d
. se chargèrent e Ul et s 0 Igerent à repon re e sa
qUI .
personne. . . . .
guen de ses blessures, on fit au prmce Melar
Ayant été
ied d'airain et une main d'argent dont il se servit aussi

eussent été ses membres naturels; il resta
bien que s'ils
endant quelque temps à Quimper-Corentin, sous la pro-
et sans se mêler aucunement au monde.
Le comte Rivod, voyant qu'il allait être bientôt majeur:
. se résolut à en finir et corrompit son gardien, le comte
Keryoltan, qu'il chargea d'égorger son neveu, lui . promet­
tant une bonne récompense, et aussi tout ce qu'il découvrirait
du sommet du Mont-Frugy.
Prévenu par Rarisia, la femme de Keryoltan, saint Mélar
remercia Dieu de l'avoir préservé des embûches de ses
ennemis, et, ayant remercié Rarisia, il se retira chez ]e
comte Budicius ou Budic, qui demeurait en un château, en
Tréguier, près de la ville de Kerfeunteun (à présent dite
Landmeur). Celui·ci l'accueillit à merveille et lui fit bâtir
un petit pavillon, près de la chapelle du château, où notre
saint se retira, vivant plutôt en ermite on moine solitaire
qu'en prince mondain.
Rivod, apprenant la fuite de saint Mélar et sachant qu'il
s'était retiré chez le comte Budic, fit de nouveau appeler
Keryoltan pour le mettre en demeure de lui obéir. Celui-ci,
assisté de son fils Justin, et de deux autres affidés, se pr é-
senta un jour devant le saint, se jeta à ses pieds en lui
demandant pardon, et joua si bien son rôle qu'il lui persuada
de l'accompagner jusqu'à la ville de Kerfeunteun. Arrivés
dans l'hôtellerie de cette ville, ils dînèrent ensemble, et, au
BULLETIN ARCHÉ OL. DU FINISTÈRE •.. TOME XXX (Mémoires) 4

moment de se séparer, Rivod fit un signe à son fils Justin
Celui-ci dé.chargea par derrière un grand coup d'épée SUr
la tête du saint qui le renversa. Il eut encore la force de
prier pour ses meurtriers. Ceux-ci l'achevèrent, et, lui
ayant coupé la tête, la mirent dans un sac de cuir et se
sauvèrent par une fenêtre. Justin se tua en tombant, mais
autres assassins montèrent à cheval et arrivèrent chez
les
à qui ils présentèrent la tête de saint Mélar.
Rivod
Cet assassinat ne resta pas impuni, car Keryoltan rponta
sur le Mont-Frugy pour contempler les terres qui lui avaient
promises; mais, sitôt qu'il eut levé la tête pour les
été
regarder, les yeux lui tombèrent de la tête, et, peu après,
mourut misérablement . . Quant à Rjvod, il devint furieux

et enragé et mourut le troisième jour de sa maladie sans

avoir joui des Etats qu'il avait tant désirés.
Le comte Budie ayant été averti de ce désastre, s'en vint
à Kerfeunteun, fit lnver le saint corps, l'embaumer et porter
en la chapelle de bon château, attendant les préparatifs
pour ses funérailles.
Tous les barons et les prélats se rendirent à Kerfeunteun
pour conduire le corps en l'église cathédrale de Lexobie,
où on devait l'ensevelir, près de ses ancêtres; mais Dieu
tout autrement, car le corps ayant été mis sur
en disposa
un chariot couvert de velours noir, tiré par six chevaux
blancs, au lieu de suivre le chemin du Coz Guéaudet, les
chevaux le traînèrent en la ville de Kerfeunteun et s'arrê-
tèrent au milieu de la grande place, où le chariot se rompit,
et le corps se trouva à terre où il fut impossible de le
remuer.
Par ce miracle, on connut que Dieu voulait qu'il fut
enterré en ce lieu; aussi l'a.rchevêque de Dol le bénit-il,
et le saint corps fut-il mis dans un sépulcre par dessus
et invocation de
lequel on édifia une église, sous le nom
Saint-Mélar, par les mérites duquel Dieu a fait un grand

bre de miracles. Son chef fut mis par l'évêque de Cor­
où il
pOU , . l'
nservé comme une preCIeuse re Ique.
(ut CO
On montre encore sur la place de Lanmeur, tout auprès
l'église, une maison bâtie sur l'emplacement de l'hôtel-

erl
saint Mélar) où se trouve la statue de ce salllt, tellement
radition a conservé intact le souvenir du saint si vénéré

à Lanmeur. La place de Lanmeur a, du reste, conserve
'usqu'au siècle dernier le nom de place du Martrot ou
verbal de mesurage et arpentage des maisons de Lanmeur
(ait par François Bonyn, sr de Rains, en 1679. Ce nom
lui avait été certainement donné en souvenir du meurtre de
saint Mélar.
Depuis Albert Le Grand, plusieurs auteurs ont éCl·it la
vie de saint Mélar, s'appuyant sur Dom Morice et sur des
textes latins, font mourir le saint au château du Beuzit
(la Boëssière), habité non pas par Budic, mais bien par
Conomor, comte de Poher et régent de la Domnonée qui,
par sa femme, sœur de Méliau, était l'oncle de Mélar. Il
résidait en un château appelé Bocidus, Buxidus ou Beuzit,
à un quart de lieue de la ville. (D. Morice, Preuves, T. 225,
vita S. Melarü).
Nous ne contesterons pas cette opinion qui serait bien
difficile à vérifier, no-us dirons seulement, qu'en effet, nous
croyons que Je légendaire des légendaires, comme on appelle
souvent le P. Albert Le Grand, a fort bien pu être trompé
par la consonnance du nom breton de Beuzit, dont il a fait
le château de Budic, mais, comme nous le disons plus haut,
la tradition s'est tellement hien conservée, dans le pays de
Lanmeur, que le meurtre de saint Mélar a: eu lieu dans une
hôtellerie, située sur la place même de la ville, . que nous

inclinons à croire vraie la version d'Albert Le Grand
Le château du Beuzit ou la Boëssière n'existe plus depuis
- bien longtemps; il reste encore, à environ une demi-lieue de
Lanmeur, une motte de terre assez considérable entourée
de douves très profondes, sur le chemin qui conduit de Lan~
meur à Plouézoc'h. Cet endroit, qui 'doit être l'emplacement
du château du Beuzit, n'est plus connu que sous le nom de
Douvejou (les Douves), et une croyance assez curieuse est
que c'est de ces douves, qu'un dimanche de la Trinité, les
eaux vifmdront envahir Lanmeur et détruire l'église; aussi
est-ce à la chapelle de Kernitron que se célèbre tous les ans
la grand'messe le jour de la fête de la Sainte Trinité .
. Ce qui pourrait jusqu'à un certain point appuyer cette
croyance populaire, c'est que l'église et l'ancien cimetière,
qui se trouvait autrefois, comme partout en Bretagne, autour
de l'église, sont dans un endl'oit tellement marécageux, que
nous avons vu nous-même les tombes, nouvellement creusées
dans ce· cimetière, si remplies d'eau, que le fossoyeur était
obligé de monter sur les cercueils pour les faire parvenir
au fond des fosses, qui pourtant n'étaient pas bien profondes,
Après la légende, voyons maintenant ce que disent les
historiens . . D'après eux, le N. 0, de Breiz-lzel était divisé
en quatre petites principautés: .
Le comté de Vannes, gouverné par Wéroch, père de
sainte Trifine.
Le comté de Cornouailles, gouverné par Rivod, oncle
et tuteur de saint Mélar.
Le comté de Poher, qui avait pour seigneur Conomor.
La Domnonée qui s'étendait du cours du Couesnon à l'est,
à l'Océan à l'ouest, et des Monts d'Art'hée au sud, à la
Manche au nord.
La Domnoné.e, la plus étendue,.la plus riche, la plus peuplée
et la plus :be11e de ces principautés, avait pour seigneur le
comte Iona, fils de Déroch, si connu dans les légendes de nos

. t Iona était marié à une sœur de Rivod et de Méliau:
comte, duc ou roi de toute la petite Bretagne.
Dans ce but, il fit tuer ou tua de sa main Iona, le comte
de la Domnonée. Sous prétexte de les protéger, il s'empara
de J udual et de sa mère, le fils et la veuve de Iona, et força
cette dernière à devenir son épouse (540).
Il devenait par le fait le tuteur de Judaël et prit à ce titre
le gouvernement de la DomnoIiée.
En 544, il se trouvait au château du Beuzit, en Landmeur.
Pendant son séjour dans cette motte, y arrivèrent Mélar
et la femme de son gouverneur, cherchant à se soustraire
aux poursuites de Rivod.
Nous savons ce qui en résulta.
A la suite de cette affreuse tragédie, Conomor se hâta de
et alla se réfugier à l'autre extrémité de la
quitter le Beuzit
château de Montafilant, à 1,600 mètres au
Domnonée an
N.-O. de Corseul.
Là, la mère de J udual eut un songe qu'elle raconta ainsi:
Il J'ai cru voir mon fils Judual, dit-elle, sur un trône, . au
« haut d'une colline, et tous les Bretons venir tour à tour
(( lui rendre des hommages. »)
Je saurai bien, dit Conomor, empêcher la réalisation de
ce beau rêve.
La mère de Judual se rappela la mort de lona; elle eut
peur et envoya son fils au monastère de saint Lunaire en
le priant de le sauver de la fureur de Conomor.
tyran envoya des émissaires réclamer Judual.

Saint Lunaire leur dit: « Dites à votre maître de
vemr
ici demain à la troisième heure et je lui montrerai J udual. »)
A l'heure indiquée! Conomor arriva au monastère et
demanda à voir Judual.

Comte, lui répondit saint Lunaire, tu peux le voir, le
voilà, c'est lui qui est debout au milieu du pont de ce navire
qui s'éloigne du rivage. Quelques jours après Judual était à
la cour de Childebert, roi de France (545).
est probable que Conomor se vengea sur la mère de
Judual du départ précipité de son fils. En. 546, Conomor
se maria à sainte Trifine, la fine de W éroch, comte de
Vannes. Moins de deux ans après, il ' l'avait tuée de sa

propre maIn .
Cependant, saint Samson avait abordé depuis quatre ans
auprès des marais de Dol et y avait fondé un monastère. Il
avait parcouru une grande partie de la Domnonée: y prê­
chant l'évangile et bâtissant des églises. Il avait entendu de
tous côtés les plaintes des Domnonéens, ils étaient las de
la tyrannie de Conomor; et il résolut de se rendre à Paris
pour demander à Childebert qu'il leur donnât, leur vrai roi,
jeune Judual, et qu'il le soutint au besoin.
Après quelques difficultés, Childebel't acquiesça à la
demande de Samson.
Pendant ce temps, le clergé de Bretagne, persécuté par
Conomor, à cause de saint Lunaire et de son frère saint
Tudgdual, se réunit sur Menez-Bré et lança l'excommuni-
. cation contre le tyran.
Dès lors, Conomot' fut appelé Conomor le Maudit et perdit
l'affection et la considération de ses sujets.
Dès que Samson reparut en Bretagne avec Judual, tous
groupèrent autour de leur nouveau pri nce.
les Domnonéens se
battu dans deux premiers combats et se
Conomor fut
retira sur les confins de son comté qe Poher, en Plounéour­
Ménez, près du Relecq.
Judual le poursuivit et le tua d'un javelot de sa propre
main, dans la bataille qu'il lui livra, près du village de
Mengleuz, à 2,000 mètresN. O. du Helecq (550). Dès lors
Judual fut roi de la Domnonée.

tout
ce comté, Judùal, qui devait taut à Samson, n'agit
dans "
lus que d'après ses conseIls. '
son cousm ger-
'n le petit Mélar, si cruellement mis à mort daus cette
III a C ' . , '1 d . S '
ville de Landmeur. est pourquOl l onna à samt amson
ville de Kerfeunteun et les environs pour en faire un

lieu saint.
Saint Samson, comprenant l'importance de la mission
Ces momes durent neCeSSall'ement constrUIre un monas­
tère, et se mirent en devoir de faire à saint Mélar une tombe
digne de sa sainteté et de son rang.
C'est dans ce but que fut construite la crypte ou la cha­
pelle souterraine de Lanmeur, C'est le monument religieux
le plus ancien que Von trouve en Bretagne.
Les reliques de saint Mélar furent placées au milieu de
cette crypte dans un cercueil de pierre dont un fragment
existait encore en 1770, si l'on en croit Ogée (Dictionnaire
de Bretagne).
Les reliques de saint Mélar y restèrent jusqu'à l'invasion
no l'mande (877). A cette époque, elles furent transférées à
Paris, comme tant d'autres reliques de saints, et déposées
dans l'église de Saint-Barthélémy, qui dans la suite devint
l'église de Saint-Magloire.

Une partie dbs reliques de saint Mélar furent transférées
à Orléans et une autre partie à Meaux.
Lanmeur a encore pourtant le bonheur de posséder une
portion des reliques dé son saint patron. '
Après avoir fait la crypte, les moines de saint Samson
constl'uisirent au-dessus une église qu'ils dédièrent à saint
Mélar et à saint Samson que Dieu venait d'appeler à lui
pour le récompenser de ses travaux apostoliques. .
La crypte et l'église primitive de Lanmeur durent être

bâties avantJa mort de Judu'al, c'est-à-dire vers 580. Cette
date est donc celle de la crypte et de la partie du milieu de
l'église de Lan meuf.
Les moines élevèrent ensuite une chapelle à côté de leur
monastère, ils la dédièrent à la Trinité et à Notre-Dame.
·L'endroit où s'éleva cette chapelle prit le nom de Kerni_
troun, -le lieu de la dame ou de Notre-Dame.
C'est vers cette époque que les Normands, sous la con­
duite de Hastings, s'étaient établis dans l'île de Batz, et,
pendant quatre ans, de 878 à 882, ils ne cessèrent de ravager
toute la côte nord de la Bretagne~ de la pointe Saint-Mathieu
au mont Saint-Michel.

Tout fut pillé et incendié, le monastère, la chapelle de
Ker~itroun et l'église de LallmeUl' ne furent pas épargnés.
Pourtant, la crypte de Saint-Mélar et le chœur de l'église de
Lanmeur résistèrent à l'incendie: c'est ce qui fait que
Landmeur peut se glorifier d'avoir presque intacte la crypte
ra p.lus ancienne de cette partie de la Bretagne.
Enfin; Alain Barbetarte, après avoir battu les Normands
à Nantes (937), les défit complètement à )'rans en 939 et les
Ghassa définitivement de la Bretagne.
Les monastères, les églises et les maisons furent rétablies,
et des moines furent de nouveau -envoyés à Landmeur ; ce
furent alors des moines bénédictins de l'abbaye ducale de
Saint-J agut-de-la-Mer.
Ils se mirent aussitôt à l'œuvre. Après avoir réparé leur
couvent en ruines, ils réparèrent l'église de Kerfeunteun.
Ils la prolongèrent des deux côtés, y ajoutèrent aux quatre
arcades du milieu, trois à l'est et trois à l'ouest. Ces al'cades
sont encore dans le style de l'ancienne église, mais elles
sont plus légères et plus élevées. Elles sont du style roman
primordial et ont été faites entr~950 et l'an 1000. Mais, le
style du roman secondaire est employé dans quatre contre­
forts de l'angle N.-O. du chœur et dans le portail S. de

e de Lanmeur. Ce portail et ces contreforts son,t de

Ile de Kernitroun. .
. existe témoig'ne de deux ou trois remaniements. , .
qUl .
Le transept est du roman pur de la seconde époque de G~
style. La porte sud, si belle,. si ornementée, présente, au
milieu de son tympan, ' un personnage environné d'une
espèce de cercle ou gloire~ et tenant la main droite élevée;
du même côté, un lion accroupi et la queue recourbée appuie
ses pattes de devant sur le cercle qui encadre le personnage
principal, à la gauche duquel est sculpté un oiseau; enfin
le bœuf et l'ange représentent avec le lion et l'oiseau les
symboles des quatre évangélistes entourant le Christ,. comme
dans beaucoup d'autres monuments en France. .
Les quatre gros piliers ronds du cen_ tre, les voûtes
surélevées qu'ils soutiennent, les chapiteaux, les moulures,
Jes petites fenêtres, le beffroi, tout dans cette partie est _
de la même époque que le transept et la porte sud. Tout ne
. fut pas construit en même temps, et la première travée de
est dans le style du transept, vinrent ensuite les
la nef
sont dans le style dit de transitioIf,
trois autres travées qui
les fenêtres de la première travée sont en plein cintre, les
autres sont quelque peu ogivales.
pignon et le petit portail de l'ouest,
La dernière travée, le
sont du XVe siècle; c'est sans doute une réparation faite à
cette époque.
A l'angle S.-O. de cettre travée se trouve une inscription
en lettres gothiques 'assez difficile à lire à cause des abré~
viations et aussi d'une petite erreur du sculpteur un 1 ren­
Il semble que l'interprétation la plus rationnelle
versé.
soit la sui va nte :

P. LOCHOU Prieur AN mil cent cinquante deux
Cette église fit maître JICHIGO (Jégou)
Humble moine JULIEN de Sané cest '
Pignon: l'an mil quatre cent quarante quatre.
La pl'emière date n'est pas d'accord avec le style, et la
seconde ne serail pas d'accord avec l'histoire. Déjà en 1188
une bulle de Clément III confirme aux moines de Saint-Jagu
la possession de Sainte-Marie de Lanmeur (( et ecclesiarn
sanctœ M ariœ de Lanmeur cum pertinenciis suis )).
Les dépendances étaient entre le prieuré, la cure (paroisse) ,
de Lanmeur ct deux parties des dîmes du territoire.
Ainsi donc, le transept de l'église de Kernitroun fut cons­
truit e'n l'an 1152. La nef le fut vers l'an 1200.
, Le pignon ouest fut construit en 1444. Il est du milieu
du XVe siècle, et le style est bien de ce siècle. Ce qui prouve
, que ]e style n'était pas en retard dans les monastères.
Le chœur de l'ancienne chapelle des moînes de Saint­
Samson a-t-il été restauré et put-il servir aux moines de
Saint-J agu ? On ne saurait le dire.
La partie est de Kernitroun a dû être construite au
XIVe siècle, les contreforts et les fragments d'une rosace
placés dans une petite fenêtre latérale en sont la preuve .
. L'a grande rosace, du XIve par sa forme ' et du XV siècle
par ses meneaux, est de deux époques antérieures par ses
pieds-droits et sa voussure.
Deux autres petites fenêtres et l'enfeu qu'il renferme sont
aussi du XVe.
Toute cette partie de la chapelle a donc ,été remaniée et
modifiée plusieurs fois,
Le bras du transept qui contient aujourd'hui la statue de N.
D. de Kernitroun devait être libre du temps des moines, C'est
par là que l'église se reliait au prieuré, deu~ portes qu'on voit
i l'extérieur, l'une au rez-de-chaussée et l'aut.re à l'étage,
3ervaient aux moines pour venir de leur couvent à l'église •

rieuré était une vieille construction qui semblait avoir
Le p . C' , . d b A • l'
uvent refaite. etait un corps e ahmentp ace
été so Il Il ' l ' '1"
N de la chape e et para e e a ses murs; 1 pouvaIt aVOlr
etit retour au bout est sur le transept de la chapelle et, un
. ur était divisé en très petites pièces ne prenant jour ql:e

r des ouvertures excessivement étroites. Les parties les

Au nord de l'église de Lanmeur, les moines établirent un
hôpital pour les malades ct les vieiJlards de leur paroisse.

Plus tard, cet hôpital fut affecté à renfermer les fous agités
de la région. C'est pourquoi l'on dit encore dans toute la
partie bretonnante de la Bretagne: (1 te zo mMioc'h l'oU ' evit
ar re zo stag en LanmeMr )), TM es plus rOM qMe ceux qMi sont
attachés à Lanmeur. '

Une chapelle dédiée à saint Colomban, invoqué pour la
guérison des épileptiques, fût bâtie dans l'enceinte de
l'hôpital.
Le voisinage des épileptiques fut un grand inconvénient
pour les autres malades; les moines le comprirent et bâtirent
une succursale de leur établissement à l'endroit appelé
({ an hospital-pell ». C'est là qu'ils hébergeaient et soignaient
les malades et les vieillards de Lanmeur.
lèpre, ils ,établirent une léproserie
Enfin, du temps de la
au Lourou ou Lovrou (lépreux en breton) ' et eurent le cou­
rage et le dévouement de fournil' à tous leurs besoins.
Jusqu'à l'époque des commendes tout alla de soi, mais à
partir de cette époque tous les établissements des moines

tombèrent en décadence; fatal effet du pouvoir civil.
Ceux-ci ne quittèrent pourtant Lanmeur que lorsque les
biens de la communauté furent gaspillés par les Bréha~J etc"

èontrè lesquels les arrêts de Rennes étaient lettre morte
(Geslin de Bourgogne, évêchés de Bretagne, T. IV, P. 202),
mais ils gardèrent le droit de nommer à la cure.
En 1627, nous trouvons Yves Arrel, sieur de Coetmen -
que
doyen de Lanmeur et .prieur de Kernitroun; il était grand
tlèc
vicaire de Dol, es-enclaves des trois évêchés de Bretagne (1).
Au milieu de la crypte de l'église de Lanmeur se trouve
une fontaine que la tradition rapporte avoir servi aux
baptêmes par immersion, et plus anciennement sans doute
au culte druidique; cette crypte est dédiée à saint Mélar.
mis à mort, comme nous l'avons dit, vers 544. Elle renferme

sa statue, qui le représente avee la main droite et le pied
gauche coupés. . .
Dans cette chapelle souterraine de courtes colonnes
trapues, sur le fùt desquelles sont sculptés d'après les uns
des serpents entrel-acés, d'après les autres des branches
j'arbres, soutiennent des ~oùtes très surbaissées au-dessous
iu chœur de l'église supérieure; mais ce chœur n'a rien

~onservé de sa première construction, pas même le cercueil
le pierre dont parle Albert Le Grand, que l'on voyait
lerrière le maître autel et qui renferma le corps de saint
délar jusqu'aux invasions des Normands au Xe siècle. Il est
.onc probable, comme nous le disons plus haut, que l'église
upérieure, nommée dans une charte de 936, Lanmeur­
félar, 'fut détruite par les Normands, puisque les hagio­
'raphes rapportent que les reliques de saint Mélar furflnt .
'ansportées à Paris, afin d'empêcher qu'elles ne tombassent
llX mains des barbares; mais la crypte pourrait bien dater
9 la fo'ndation première, et sa fontaine rappelle toujours

(1) Nous devons tous ces renseignements inédits si intéressants sur
à M, le Curé dl~ **', dont la science n'a d'égale que
.nmeur et Kernitron
modestie.
Nous nous faisons un devoir de lui témoigner ici l'expression de toute
tre gratitude.

'en nom de Kerfeunieun (lieu de la fontaine), qu'elle
ait avant d'être dédiée à saint Mélar.
Saint-Mélar au XIe si8cle, il ne reste
De la réédification de
uC qnelques arcades de la nef et le portail méridional. La ' .
prieuré de Kernitron, élevé sur l'emplacement
L'église du
du monastère de Saint-Samson et réunie par ce saint à
l'évêché de Dol lorsqu'il monta sur ce siège au Vie siècle, .
dépendait. comme nous l'avons dit, l'abbaye de S8.int-Jacut.
Cette église de KernitroI). (lieu de Notre-Dame) 8st un
lieu de pèlerinage très fréquenté par les habitants du canton
de Lanmeur à chacune des fêtes de la Sainte-Vierge, et
jour de l'Assomption. Lorsque les paroisses
principalement le
voisines font les processions des Rogations ou toute autre
procession pendant lesquelles on aperçoi~ d'une hauteur
quelconque le clocher de Kernitron, la procession s'arrête, .
rie-Stella ; l'hymne finie, la procession
et l'on chante l'Ave-Ma
. se remet en route. Chacun des endroits, où l'on . s'arrête ,
Salut ar Verc'hez (Salut de la Vierge) et
ainsi, se nomme
est désigné par une croix en pierre, généralement plantée.
talus d'un champ et appelée Groas al' Salud (Croix
dans le
du salut). .
Nous avons vu que vers le milieu du VIe siècle saint
Samson fonda, avec saint Magloire pour abbé, un monastère
dans la ville de Lanmeur, monastère qu'il rattacha ensuite ·
ainsi que ses prieurés, à l'évêché de Dol, dont. il fut le
titulaire. Plus tard, lorsque se formèrent les diocèses
premier
de Tréguier, d'Aleth et de Saint-Brieuc, et que l'évêché de
Dol, qui embra.ssait primitivement toute la Domnonée, se
étroit territoire, Lanmeur ne cessa d'en
trouva réduit à un
relever, et forma jusqu'à la. Révolution, un archidiaconé rigi
par un grand vicaire de Dol et trois officiaux (1). .

(1) Louis Le Gnennec, guide du touriste, dans le canton de Lanmeur ,.1900

Au lX siècle, les envahisseurs normands détruisirent le
monastère et la ville de Lanmeur. Celle-ci, réédifiée, était
lit
vers 936 la résidence du comte de Rennes Juhaël Bérenger,
le glorieux vainqueur de Guilla'ume Longue-Epée à la bataille
de Trans; d'après un acte du carlulaire de Redon, il avait
les
reçu à « Lanmur-Miler » des envoyés du comte d'Anj:m , et
regrettait de ne pouvoir leur offrir de vin, quand on l'avertit
qu'un pêcheur venait de découvrir, sur la côte de l'Ile-grande.
un énorme vase de terre plein de cette boisson. En actions
de grâce, le comte légua l'Ile-grande à Saint-Sauveur de
Redon. Lanmeur était à cette époque un fief de la famille du
même nom: ramage probable des anciens comtes de Dom­
nonée, et dont une branche cadette, qui posséda les châteaux
voisins du Boiséon et de la Boissière, ne disparut qu'au
quatorzième siècle; mais cette ville passa bientôt dans
l'apanage ducal. Vers 1035, le duc Alain III, voulant récom­
penser le vicomte de Léon de l'appui qu'il lui a vait prêté en
ses guerres, lui donna la chatellenie de Morlaix-Lanmeur,
que le roi d'Angleterre Henri II enleva en 1179 à son indomp­
table adversaire, Guyomarc'h de Léon, et fit rentrer dans le
comté de Tréguier (1).
L'un des premiers combats de cette terrible guerre de
succession, qui pendant vingt ans, écrasa la Bretagne sous
les pieds des routiers et des hommes d'armes bardés de fer,
se livra près de Lanmeur. En 1342, Robert d'Artois, com­
mandant une armée anglaise de 5.000 hommes, assiégeait
Morlaix, que défendait vigoureusement Bizien de Keranrais,
capitaine de la vill~, pour Charles de Blois. Celui-ci réunit
à Guingamp plus de 20.000 soldats et marcha à leur tête au
secours de la place. Le 20 septembre, les Anglais, informés
de son approche, levèrent le siège pendant ~a nuit, et allèrent
s'établir entre Morlaix et Lanmeur, dans les landes au sud

(1) V. Rist. de Bretagne, par A. de la Borderie, III. 54.

ser devant son front de bataille une profonde tI~anchée
fit creu
'[!lulée sous une couche d'herbes et de branchages. Le
ISSI , • . ,
le ' . f' d G Il' d '
AnD-lais. Son premier corps, orme e la OlS, ut
les 0 , 1 d . 1 1 1 l'
. to't se replieI' sous une gre 0 e traIts; a ors es c leva 18rs
bIen .
e fracasser dans la perfide douve. Cinquante y périrent,

les Anglais étaient si inférieurs en nombre qu'ils _ durent
lier devant la masse des Franco-Bretons et se réfugier
de viv l'es, Robert d'Artois fit une 'sortie et perça: après un
rude combat, les rangs des BJaisiens, qui n'essayèrent même
pas de le poursuivre et so dirigèrent vers Hennebont (1).
En 1594 le maréchal d'Aumont campa à Lanmeur avec
royaliste et y accorda le 24 août une capitulation à
l'armée
« Messieurs les magistrats, habitants et réfugiés en la ville
de Morlaix
C'est la dernière fois qu'il est question de Lanmeur dans
l'histoire. Mal située sur son plateau aride, sans industrie,
sans mouvement, elle ne pouvait que décroître et s'éclipser
devant sa gTande voisine. Les armes, d'argent à trois hermines
de sable, deux,. une, une fasce en divise de gue'uZes, rappelaient
son ancien titre de ville ducale. C'était une barre royale et
quelques fiefs du pays, le Boiséon, Guicaznou, Saint-(~eorges,
Coatcoazer, Guerann, Penlan-Bégard (en Trébeurden),
Kerael, etc., en relevaient. .
IX, par un arrêt du 12 février 1566, ordonna la
Charles
réunion de cette barre à la sénéchaussée de Morlaix, mais
son arrêté paraît n'avoir pas été mis à exécution, car au
(i) V. Histoire de Bretagne par A. de la Borderie, III, 467.

x v [le siècle, la jurid~ction de Lanmeur était encore indé ..
pendante et ne fut définitivement rattachée à Mo~laix qll'à
la fin du XVIIIe (i).
, (( Ecuyer Guy Le Borgne, sieur du Treuscoët; conseiller
du Roy, alloué et baillif de Lanmeur »), a composé un curieux
petit nobiliaire breton, imprimé à Rennes en i667.

,Après avoir été évêché et archidiaconé, Lanmeur est
bien déchue de son ancienne splendeur, car c'est bien le
chef-lieu de canton le plus misérable et le plus dénué de
ressources que l'on trouve dans le Finistère.
A l'époque féodale, on comptait à Lanmeur les maisons
VI I
suivantes: Lanmeur, le Boiséon, la Villeneuve, le
nobles

LeHellès, Ponthuet~ Mesaudren, Penanru, Kervidou,
Botdou,
Kerandulven, Kerbourau, Keropartz, Kermouster,
Keralvy,

Kergadiou, la Boissière, Crec'h, Coat-an-frotter (ou Kerhuon-
Bois-Eon), Gliviry, Goasdannou, Lescorre, Lesquern, Tro-

bezeden. '
En 1300, vivait Pierre de Lanmeur, chevalier; sa petite­
Margelie de Lanmeur, épousa Hervé de Coëtredez, et
fille,
leUrs enfants prirent le nom de Boiséon, leur principal fief.
Cette famille a joui d'une certaine célébrité dans l'histoire
locale: Guillaume de Boiséon était chambellan à la cour de
Bretagne; ses frères commandaient le ban, l'arrière-ban et
la vicomté de Léon.
la côte de

(.1 suivre).

(1) Louis Le Guennec, déjà cité.