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Bulletin SAF 1902


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L’Ile-de-Sein au XVIIIème siècle (suite)

H. Le Carguet

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XVIII

II. ÈTATOE LA POPULATION (1)

Les ptus anciens registres de l'E~at-Givil de l'Ile-de-Sein,

aujourd'hui déposés aux archives dép_ar.~emE'ntalés, commen- .

cent à l'année 1718, pOJlr se terminer à l'année 1750 .
Les a,ètès portent la signature des prêtl'e~ qui ont desservi
la p"aroiisse pendant ~es années.' C'e 's9n~ ,: .
1718. H. Gonidec;
1. 723. Michel Le Gall ;
- Joachim-René Le Gallo (2) ;
1734 F. Le Normant ;
1737. P. Rogel;
J. Perhérin ;

17R9 . André l.Je Normant ;

P. ~saudy;
1741. - Joachim-Marie Le Gall ;
1750. J. Arhan.
De 171.9 à 1741, les actes sont tenus assez régulière­
ment. Ils nous ont fourni les chiffres, d'une statistique qui
un aperçu approximatif' de la population, à la fin de
donne
cette période. '
I. POPULATION.
A cBtte époque, 1741, l'Ile-de-Sein devait posséder 472
habitants: 253 hommes et 219 femmes.
(i) C. F. Bulletin de la Société archéologique. 1900.
(:l) C. F" ibid.

Nous avons obtenu ces chiffres en relevant tous les noms

relatés dans les actes et en retranchant du total le nombre

des décédés.

La population se divisait en 3 groupes: .

1 Les isliens pur sang, c'est-à-dire issus ~e pères et de

mères nés dans l'Ile; .
2° Les métis, dont l'un des auteurs 'étaÏtné su'rle conti-
nent, la grande terre; .

3 Les étrangers, séjournant dans l'Ile par suite de leurs
fonctions: représentants de l'Amirauté, employés au tabac,
etc.
Elle comprenait un total de 148 familles, savoir:
Du 1 groupe ................. ; . .. . . .. 77

Parmi ces 148 familles, 112 avaient leurs chefs existants:
F amiBes isliennes . . . . . . . . . . . . . .. ..... . (32

me IsSes ...... " .............. .

étrang'èrés · .. ' ................ .

Les familles dont l'un des chefs était mort comprenaient·

15 familles isliennes : .

13 ' métisses;
8 . étrangères. . . .
Toutes ces familles ne formaient pas autant de ménages
distincts. Souvent 3 générations vivaient au mêIl)e foyer.
C'était même la règle générale de voir les enfants mariés
'continuee, du moins durant nn certain temps, à vivre avec
leurs parents, jusqu'à ce qu'ils aient pu, par leur travail~
par l'assistance de leurs proches , ou par les successions
survenant à l'un des conJoints, se procurer les moyens de se
construire une habitation séparée.
Le nombre des feux était donc assez restreint. On peut
l'évaluer approximativement à 75, soit égal à la"moitié du
nombre des familles. '

, Le dictionnaire d'Ogée évalue 'à 64 le nombre des ména_
ges. Mais il faut entendre " que beaucoup de ces ménages
comprenaient, à la fois, la famille de l'aïeul, celle du fils et
celle du petit-fils. Du reste, les noms de famille l'indiquent .
trouvons: .,
. Ainsi nous

. Du nom de Guilcher ............... .
22 familles .

Millinel', ou ,Monier ..... .
Chouart. . . . . . . . . . . . . . . . 12
, Porsmoguer . . . . . . . . . . . . 10
Couillandre. . . . . . . . . . . .. . 9

lmeur . " ......... " ... .
Pi to n .... " . ... " . " ...... " .

an e .. " ............ ~ . "

Menou" ...... " .. •.. " " . " .

Coquet .... " ........... "
. FOllq,uet""".".""" •• """ .• "
S pinee " " " " " " " " " " " " " " . " " .
Le chiffre de la , population était sujet à des variations
. assez fréquentes, par suite . d'épidémies, Klenvedou, PlIfJus,
maladi-es qui crochent, sévissant surtout sur les enfants.
Mais bientôt il se relevait. La grande terre fournissait un
courant continuel d'immigration; et ces étrangers, quand
ils avaient fait souche, ne tardaient pàs' à adopter les usages,
les mœurs et le caractère des Isliens, et, au même degré
qu'eux, l'amour de leur Ile. ' .
. Le chiffre de 472 habitants est sensiblement le même que
M. A. du Chatellier, le père de notre Président, a donné
dans ses (( Recherches statistiques sur le Finistère (1) )), au
siècle suivant. En effet, d'après les documenh; qu'il a re-
cueillis, la population, en 1831, était de' 468 ' habitants. De
(.1) 3 vol. parus de 1835 à 1837. Ouvrage honoré ' d'une subvention du
• Ministre du Commerce et d'une souscription du Conseil général du Finis­
tère, à 300 exemplaires qui ont été distribués entre les mairies du dépar-
tement.

la comparaison de ces "chiffres, on peut déduire que les cOn­
ditions de l'existence, à l'Ile-de-Sein, étaient stq.tionnaires

depuis un siècle:

NATALITÉ.

De 1719 à 1741, nous avons relevé 351 naissances, dont

8 naissances doubles: 2 ayant produit des garçons, 2 des
filles, et 4, garçon et fille. ,
La moyenne annuelle des naissances a été de 14,61, soit
3,09 par 100 habitants. La table de Deparcieux donne la
proportion de 2,49 % seulement.
La natalité était donc très élevée à cette époque. Mais, au
commencement du XIXe siècle, elle subit une dépression; en
effet, d'après les données de M. A. du Chatellier., elle n'est
plus que de 2,480/0. ,
102 familles seulemeni, 'sur 148, ont eu des enfants, de
1719 à 1741, soit une moyenne de 3,44 par famille,
Les familles étrangères étaient les mieux dotées. On

troqve~ parmi elles, des familles de 9 , enfants, tand'is
que les familles Isliennes en ont, au plus, 5 ou 6; mais

ce nombre est commun.
La différence des sexes a donné:

Garçons ................ .-. . . . . . . . 189
Filles ........... .................. .

Soit: naissances. de garçons ......... . 53,85

de filles ............ .

En 1831, l'arrondissement de Quimper, d'après M. A. du
Chatellier, a la proportion suivante: ,

Naissances, de garçons ...... .

de filles ......... .
D'après une statistique générale, la moyenne serait:

Pour les garçons. . . . . . . . . . .. ,51,'52 0/0
-- les filles.. . . . . . . . . . . ... 48,48 0/0

L'excédent des naissances masculines est. d'une loi Cons­
tante , Mais la proportion qui existe à l'Ile-de-Sein paraît
anormale .
Un savant russe, le Docteur Alexandre Danilewsky, pro­
fesseur de chimie biologique à l'Académie Impériale de
Saint-Pétersbourg, à la vue du grand nombre de garçons
qui sortaient de l'école d'Audierne, nous soumit, en juiJlet
1896, cette proposition:
« Etant admis que la nourriture phosphorée a ûne action

« directe sur les organes de la génération, il serait aussi
( possible qu'elle exerçât son influence sur la procréation

« des sexes.
(, Si cela était, les pêcheurs qui se nourrissent, chaque
« jour, de poissons, aliment phosphoré par excellence,
.« devraient ep.gendrer des garçons dans une proportion plus
« forte que des filles. ,
« Des recherches statistiques feraient peut-être ressortir
«. une relation entre ces deux éléments: le genre de nourri-
« ; ture des parents et le sexe des enfant$. »
'L'lle-de-Sein, au XVIIIe siècle, se trouvait dans les.con­
ditions voulues pour l'étude de ce problème biologique. La
population était presque exclusivement ichthyophage. La
viande lui était inconnue; les veaux nés dans l'Ile étaiel1t
aussitôt sacrifiés et leur chair enfouie, considérée comme
malsaine. L'orge et les racinessuffisa-rent à l'alimentation
durant 2 ou 3 mois. La seule nourriture était, pour ainsi
dire, le produit de la mer: poissons et coquillages'. ,
La natalité de l'Ile-de-Sein semble donner raison à la
proposition de l'illustre savant russe.
Les chiffres que nous avons donnés se rapportent à l'en­
semble de la population. Mais en groupant les habitants
d'après leur origine, nous obtenons d'autres proportions:
Chez les Isliens et les métis :
Naissances de garçons. . . . . . .. 53,34 0/0

Naissances de filles.. . . . . . . . . .. 46,66 0/0
Chez les étl'angers, la proportion est encore plus élevée:
Naissancl')s de garçons...... .. 55,77 0/0
-" de filles.. . . . . . . . .. 44,23
Il semble résulter, de ces chiffres, que les étranO'ers sé-
journant dans l'Ile et soumis au régime alimentaire des
Isliens, en recevaient une incitation susceptible de modifier
. profondément leur constitution.
Mais un seul fait ne peut être probant. D'après les indi-
" cations du Dr Danilewsky, nous avons porté nos recherches
sur quarante communes du littoral, comme de l'intérieur,
là où le poisson est inconnu. Mais les graphiques que nous
avons établis, quoique basés sur une période de dix années,
résultats aussi concluants que
ne nous ont pas donné des
ceux de l'lle-de-Sein. Les causes, qui président à la natalité,
sont d'ordre trop élevé pour que nos colonnes de chiffres .
aient pu y atteindre.
III. - MORTALITÉ .

Les décès rapportés, de 1719 à 1741, au registre paroissial,
sont au nombre de 195, soit une moyenne annuelle de 8,47.
La proportion, pour 100 habitants, est de 1,79. Au siècle
suivant, d'après les données de M. A. du Châtellier, cette
proportion est de 1,69.
La balance des naissances sur les décès se solde. annuelle-
ment, de 1719 à 1741, par un excédent moyen de naissances
de 7,09, ou 1,50 % du chiffre de la population. De 1813
à 1831, la proportion est sensiblement la même" 1,51 0/0.
Le total des années vécues est de 4111; ce qui donne,
pour la vie moyenne, 21,09 années. A la fin du XVIIIe siècle,
la table de Duvillard accuse le chiffre de 28,75 années. La
vie moyenne' étàit 'donc peu élevée à l'Ile':'de-Sein. Cela tient
à la mortalité excessive qui sévissait sur les enfants, dont
58,46 % mouraient avant 10 ans révolus.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. ' TOME XXIX (Mémoires) 18

Nous résumons, en un tableau, le pourcentage des décès
à tous les âges :
PHOPORTION POUR 100 DÉCÈS
AGES
GAllÇONS FILLES
TOTAL

sans indication précise.
o à 1 an .........
là10ans .......

11 à 20 ans ......

21 à 30 ans ......

31 à 40 ans ......

41 à 50 ans ......

51 à tiO ans ......

61 à 70 ans ......

71 à 80 ans ......

à 90 ans .........

à 96 ans .........
Totaux. . . .. 16.440/0

A cette époque, diverses causes p'rédisposantes, géné'rales
ou individuelles, résultant de la situation de l'Ile, des habi­
tudes et des ressources, influaient sur la mortalité, en déter­
minant ou en aggravant les maladies. Les causes qui
exerçaient leurs effets sur tous les âges, sont:

1 L'habitation. Construites dans le sous-sol et faites de
pierres mal agencées et de débris de navires, les maisons
étaient constamment humides, mal éclairées, par . suite
malsaines. L'air y était vicié par l'encombrement des habi­
'tants et la fumée de goëmon, seul combustible connu, avec
débris d'épaves.
les
2 Les vêtements. La laine était presque inconnue, si ce
n'est après le naufrage de la Sara, dont nous avons conté

les fastes (1). Encore servait-elle, presque exclusivement,
à faire des bretelles pour soutenir les cotillons, sortes de
larges braies que portaient les hommes pOUl' travailler.
Les habits étaient faits de toile de chanvre que l'on ache­
tait, à la Saint-Michel, en même temps .que les provisions
d'hiver, à la foire de Pont· Croix; d'où le nom de Lien-Pont,
donnée à cette toile. A cette foire, les Isliens, hommes et
femmes, se tenant tous par la main ou les pans de leurs
vêtements, de peur de se perdl'e, parcouraient les rues de
Pont-Croix, s'arrêtant, extasiés. devant chaque maison,
indécis des achats à faire et où les trouver. Lorsque le boni-
ment d'un marchand avait attiré l'attention du chef de file,
tous se précipitaient dans la boutique et bientôt l'étalage
était dévalisé; ce que Pl'enait l'un, l'autre le prenait aussi,
sans se rendre compte du prix réel de la chose et de l'utilité
qu'on en pouvait tirer. On payait sans marchander; il Y
avait de l'argent, car le poisson sec de l'année avait été
livré aux marchands d'Espagne. Bonne aubaine pour Pont­
Croix, que cette foire aux Isliens /
Ces vêtements de toile étaient insuffisants pour protéger
les corps contre les intempéries de l'hiver. En été. les
Lorsqu'un habit neuf
Isliens circulaient même à moitié nus.
~tait endossé, souvent il restait sur le corps, jusqu'à usure
complète, sans subir d'autres lavages que ceux de la pluie
et des paquets de mer.
30 La nourritu're. La hase de la nourriture était le pois·
son et les coquillages. La privatiun d'aliments végétaux la
faisait insalubre. Poisson avec poisson, frais ou séché, c'était
le régime ordinaire. Souvent les vivres étaient insuffisants
et, en hiver, ils faisaient fréquemment défaut. En été, au
contraire, les poissons de toutes sortes abondaient; on en
faisait un usage immodéré et cet abus était encore plus nui­
sible que la pénurie.

(1) C. f. Bulletin de la Société archéologique, 1900.

4° L'eau potable se prenait au puits dans lequel il fallait
descendre par vingt-cinq marches. Deux sources, venant
du nord et de l'est, après avoir traversé un sable silico­
argileux, légèrement ferrugineux, et mêlé de cailloux Foulés,
y amènent les eaux pluviales imprégnées des embruns de la
mer, de la fumée et des eaux des goëmons brûlés ou .pourris.
Un autre filet d'eau, venant du sud, de la partie basse de
l'Ile, y accède aussi. C'est dans cette partie de l'Ile que l'on
séchait les poissons, dont les débris, tombés à terre, pour­
rissaient sur place. Aux grandes marées, la mer affiue dans
cet endroit, le len, l'étang, et, ne trouvant pas d'écoulement,
stagne sur ces ,détritus et pénètre dans le puits, à travers
un tuffeau sablonneux et verdâtre. Toutes ces causes rendent,
encore aujourd'hui, l'eau du puits saumâtre et souvent cor­
rompue.
Les èaux pluviales étaient aussi recueillies dans les creux
des rochers et dans des cuvettes creusées de main d'homme.
au Nith-Vran, au Gador et aux Kestel.
5° Les travaux. Ils étaient, par moments, des plus
rudes. Les hommes vivaient dans leurs bateaux, loin de
l'Ile, ne venant à terre qu'une fois par semaine. En hiver,
chômage complet. Après la vie active de l'été, c'était, sans
transition aucune, l'inaction absolue. Les hommes passaient
de longs mois, sans exercice physique et comme engourdis,
à Poul-al-Laou, devisant du temps, appelant, de tous leurs
vœux, la prochaine tempête qui leur aurait jeté un navire à
dépecer et du vin à boire. ,
La terre était abandonnée aux femmes. Elles seules labou­
raient, ensemençaient, récoltait.nt. Elles avaient, en outre,
chaque jour, à moudre l'orge au moyen des .braou (1), les
moulins à bras en usage; à recueillir le goëmon, bîn-tân,
seul combustible ·du ménage; puis le Calcouign, autre varech
(1) C. f. Bulletin de la Société archéologique, 1893.

qu'elles réduisaient en cendres pour les verreries du conti­
nent. Elles avaient aussi à amulonner du goëmon qu'elles
laissaient pourrir en tas; ensuite à le transporter dans des
paniers, sur leurs têtes, aux bateaux de Saint-Nicolas, en
Guipavas, qui venaient le quérir, à l'Ile-de-Sein, pour servir
d'engl'ais C'était là le grand commerce de l'ne , à peu, près
le selll qui se faisait argent comptant; la Fabl'ique elle-même .
en tirait un fort revenu: le compte de 1769 accuse, de ce
chef, une recette de 145 livres. .
Tous les gros ouvrages étaient dévolus aux femmes, même
le transport des pierres pOUl' la construction des maisons
et cles digues, etc . Pour eUes, point de trève ! Bien portantes,
malades, enceintes ou nourrices, il leur fallait toujours
tl'availler. .
6° Les remèdes. Les seuls connus étaient le bouillon de
poulet et le vin d'épave Tant qu'un malade prenait du vin,
espoir de le sallver. Son heure n'avait pas sonné .
on avait
Dans nos recherches, nous n'avons rencontré aucun
remède populaire, même pris parmi les plantes. Toutes les

plantes de l'Ile se divisent en deux catégories : les bonnes
et les mauvaises. Les premières sont celles que broutent
les vaches; les autres celles qu'elles délaissent. La verveine,
seule, était quelquefois employée pour guérir les contusions
et les entorses et :-mrtout contre le mauvais œil et la mal­
chance (1). Toute maladie dans laquelle le malade languit,
et c'est la règle générale, qu'elle passe, par défaut de
soins éclairés et d'hygiène, à l'état chronique,· est le
résultat d'un mauvais sort qu'il faut conjurer. L'amulette de
verveine était souveraine pour cela. On allait autrefois la
cueillir, sur1e continent., à la pointe de Le rvily, en Esquibien.
Ainsi, à tout .instant de son existence, par suite de son
(1) Voir la Revue des Traditions populaires, années 1889 à 1894, Le
Mauvais œil (superstitions et croyances du Cap-Sizun) .

habitat défectueux, de ses ressources précaires~ de ses
occupations, de ses habitudes, l'1slien était soumis à des
canses multiples, susceptibles de déterminer ou d'aggraver
les maladies.
Le tableau de la mortalité que nous avons dressé, pour
tous les âges, donne, par déduction, le ré~ultat de ces causes.
A la naissanc.e~ la mortalité est due surtout au manque
d'hygiène de la mère pendant la grossesse, à ses défol'ma­
tions corporelles, suites de travaux excebsifs, et aux manœu­
vres obstétricales des matrones.
Beancoup d'enfants mouraient en naissant. Un grand nom_
bre naissaient débiles, (les actes des baptêmes le constatent),
et un allaitement) insuffisant par suite de l'état de la mère,
ne pouvait les fortifier. Les pa rents habitués à la débilité de
leurs enfants, disaient: - « C'est le bon Dieu qui veut d'eux») ;
et souvent on ne eherchait pas à leur donner les soins voulus
par leur constitution. Aussi la mortalité est énorme, 28,72 /°.
La table de Duvillard, publiée en '1806, qui donne la morta­
lité lu plus rapide, n'accuse que 23,2'1 %,
De '1 à 1.0 ans, le manque d'une nourriture appropriée et '
vêtements chauds était la cause déterminante pl'incipaJe
des décès Il faut encore citer les épidémies, surtout celle de
i 719, qui, du mois d'août au mois de décembre, enleva 23
enfants.
L'lle-de-Sein a gardé le souvenir d'une épidémie infantile,
dans laquelle périrent tous les enfan ts à la mamelle, excepté
un. Lorsque sa mère lui donnait le sein, toutes les autres
mères accouraient, cherchant un "soulagement à leur douleur
dans la contemplation de ce spectacle .
La .proportion des décès à cet àge est de 29,74 0/ ; la

table de Duvillard donne 22,06 %'
Jusqu'à 10 ans, la mort faisait une sélection: il n'y avait
que les enfants bien constitués à résister. Ceux-ci, dès qu'i.ls
pouvaient s'échapper des bras de leurs mères, couraient, à la

grève, grimpaient dans les bateaux et s'escrimaient. à
manœuvrer les avirons comme ils le voyaient faire aux
pêcheurs. Cette vie au grand aü' et dans un exercice soutenu
continuait à les fortifier; aussi la croissance se faisait, chez
eux, sans encombre. .
De 1 t à 40 ans, chez les hommes, la mortalité est très
faible; la forte constitution qu'ils ont acquise résiste à leurs
travaux. Mais de 41 à 50 ans, elle reprend son cours, attei­
gnant même le chiffre élevé de 6,16 0/0, Il faut attribuer cela
aux maladies professionnelles. Les pêcheurs, à bord de leurs
bateaux, par tous les temps, de jour comme de nuit, par la
pluie et le soleil, la tempête . et le froid, insuffisamment
. nourris et vêtus, étaient exposés à des maladies accidentelles,
qui, faute d'être soignées à la période aigüe, portaient
atteinte à leur constitution. Beaucoup mouraient ainsi de
consomption, lorsque l'âge commençait à diminuer leur
force de résistance. Une autre cause de mortalité, vers l'âge
mûr, devait être ce passage brusque de la vie active de l'été
à l'inaction complète de l'hiver .

De 51 à 60 ans, pas de décès parmi les hommes. C'est que
la carrière du pêcheur se terminait à cet âge. II restait à
terre, occupé à confectionner ou à réparer les engins de
pêche. C'était, pour lui une occupation agréable plutôt qu'une
fatigue, et son existence se prolongeait ainsijusqu 'à l'extrême
vieillesse, pour les uns même, jusqu'à 90 et 96 ans.
Chez les femmes, les causes de mortalité sont différentes;
aussi les proportions aux divers âges sont tout autres que
parmi les hommes.
De 11 à 20 ans, elles paient un tribu élevé à la menstrua­
tion ; la propol'tion des décès est de 3,59 %, tandis que,

chez les garçons, elle n'est que de 1,54 ,
De 20 à 30 ans, les femmes en couches fournissent un
contingent presque aussi fort, 3,08 % et cela malgré le

savoir-faire de MoHa Coustance, d'illustre mémoire (1).
Mais, à leur lit de mort, les mères savaient que leurs enfants
resteraient pas sans protection. L'assistance aux orphe­
lins était touchante. Tout enfant qui perdait sa mère retrou­
vait, parmi les femmes de l'Ile, autant de mères qu'il y avait
de nourrices. Chacune d'elles avait son .iour pour l'allaiter,
le soigner et le choyer ,
31 à 40 ans, la mortalité s'élève à 6,13 % : cause de

grossesses répétées, peut-être aussi d'une ménopause hâtive
déterminée par des travaux excessifs et insalubres; la pro­
portion des décès à 40 ans, 3,08 0/0, en est l'indice.
Après l'âge critique, beaucoup de femmes atteignent 'un
âge très avancé, de 70 à 80 ans, En général, les femmes
ont une longévité moyenne supérieure à celle des hommes;
ainsi, chez elles, la proportion des décès, de 51 à 80 ans, est
de 10,25 0/0, tandis que chez les hommes, elle n'est que de
Cette longévité des Isliens a été aussi constatée, au siècle
par l~ P. Maunoir : « Malgré toutes ces pri­
précédent.
« vations, dit le P. Séjourné, et peut-être à cause
(c d'elles, le" Isliens sont d'une santé vigoureuse et vivent
« de lungues années Yl (2). Si le régime qu'ils suivaient
était susceptible d'amener ce résultat, il avait son contre­
poids dans le manque d'hygiène. Il suffit encore aujourd'hui
de voir les femmes de l'Ile-de-Sein, dans la manipulation
brillent, exposées aux fumées
des goëmons, soit qu'elles le
âcres qui s'en dégagent, gerçant leurs lèvres et asséchant
leurs gorges et leurs poumon1', soit qu'elles le transportent,
sur leurs têtes, les eaux provenant de la décomposition de
la plante, leur coulant, à tra vers les pan~ers, sur leurs vête­
ments et sur leurs corps, pour comprendre que ces travaux ,
(1) C, f. Bulletin de la Société archéologique, '1900.
(2) Vie du P. Maunoir, 1 vol., p. 150 •

peuvent être la cause déterminante d'une foule d'accidents
parmi elles et parmi les enfants
constitutionnèls faisant,
qu'elles soignent, de nombreuses victimes.

MARIAGES.

Le nombre des mariages, de 1719 à 174"1, est de 68: soit
une moyenne annuelle de 2,83, ou 1 mariage par 167 habi-
tants. M. A. du Chatellier, au siècle suivant, donne le chiffre
de 1 mariage par 104 habitants de l'arrondissement de
Quimper.
La différence entre ces données est trop forte . Nous
en trouvons l'explication dans ce fait que les registres
de rUe-de.-Sein ont seulement consigné les mariages célé-

brés dans l'Ile, sans mentionner ceux qui ont été contractés
sur le continent; pour les années 1732, 1736 et 1737, . il n'y
a même aucun rapport de mariage. Il en résulte que la
tandis que le rapport avec le
moyenne de 2,83 est atténuée,
chiffre de la population est majoré; n'ayant pas eu en main
documents nécessaires pour rectifier ces erreurs, nous
les
contentons de les signaler .
nous
nombre des mariages est réparti très inégalement
pendant les années de 1719 à 1741. Ils étaient plus nombreux
à la suite des années de pêche, les gains et les provisions
amassées pour l'hiver, donnant, aux nouveaux époux, des
ressources pour suffire à leurs ménages .
Les mois, où les mariages étaient les plus nombreux, sont
janvier, avec 20 mariages, pour cette période, et avril, avec
L'âge moyen des époux était de 26 ans. Assez fréCfuem-
ment, la femme avait 1 an ou 2 de plus que le mari. C'est
encore aujourd'hui Ja règle générale dans tout le Cap-Sizun.
Les veufs se remariaient habituellement. Mais les veuves
renonçaient à de nouvelles unions, par cette croyance que la
perdu son époux, ne doit plus avoir que ce$
femme, qui a

deux pensées: celle de la tombe où elle a conduit son mari,
celle du ciel où elle le retrouvera. Les soins de la vie maté­
rielle n'ont plus à la préoccuper. A la mOl't du mari, l'île
entière a adopté la Veuve; tous compatissent à sa douleur,
pourvoient à ses besoins. Son champ sera labouré, sa
récolte faite, son grain moulu, son goémon amulonné ; pas
d'évènement heureux dans les autres familles, sans qu"on
lui en fasse part; pas de repas de fête, sans qu'on lui en
apporte son morceau! Malheur à qui lui manquera de res­
pect, ou lui refusera quelque chose! La veuve n'appartient
plus ~ la terre que par la tombe de son époux, et chaque
jour qui l'éloigne du jour de la séparation, la rapproche de
Dieu, et Dieu saura venger le mal qu'on lui aura fait. Mais, .
aussi, sa bénédiction se répandra sur celui qui aura res­
pecté ou secouru la Veuve, la vénérable par dessus toutes
les femmes, la Tinnti (1). .
assistance, pour la
respect et cette
Cette croyance, ce

Veuve, existent toujours à l'Ile de Sein.
M. LE CAR GUET •
Audierne, le 20 décembre 1902.

(1) L'expression Tinnti est usitée dans le Cap-Sizun et .Je L~on ; elle
s'adresse, dans le Cap, surtout aux femmes, en dehors de l;;t··parenté .