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LETTRES D'ALGÉRIE (1)
Tipasa; 24 mars 1902. '
Bien cher Monsieur et Ami,
Depuis 6 jours à Tipasa, avec un temps superbe, j'ai
exploré avec le bon curé de cette loealité toutes les ruines
de l'antique cité Romaine qui s'étend sur une long'ueur de
1,800 mètres au bord de là mer et une largeur variant de
800 à 400 mètres. On peut suivre partout son enceinte forti-
fiée avec ses tour;:; et ses trois portes. Dans l'intérieur ce
sont que ruines de maisons et de monuments, thermes,
amphithéâtre, théâtl'e, nymphée, fontaines, citernes, la plu
part du temps en grand appareil, car, la pierre facile à tailler
(calcaire marnier), abondait SUt' les 3 collines ou la ville
etaIt assise.
Joignez à cela deux immenses nécropoles, à l'Est et Il
l'Ouest, snr les collines extrêmes, en dehors des murs d'en
ceinte, et la longue suite de sépultures s'étendant des deux
côtés de la grande voie allant .à Cherchel , celles là toutes
païennes et vous jugerez qu'il y a de quoi voir et étudiel'.
Et tout cela appartient, avee~'autres terres aux environs ,
à un monsieul', vrai marquis de Cabaras du pays , qui défend
toute espèce de fouilles. Combien, cependant, j'eus été heu
reux, et le curé plus encore, de pouvoir à nous deux tenter
quelqu.es explorations aux endroits que ce dernier eut jugé
lrs plus propices, il n'y faùt pas songer et se contentel' de
regarder, nous n'y avons pas failli et je connais Tipasa à
(1) Ces lettres intimes, à nous écrites par notre collègue et ami, M. le
comma:1dant A. Mat'tin, ont un tel intérPt et leur lecture est un lei l'éga 1
que, cédant au désir de quelques-uns des membres de la Société archéolo
cm pouvoit' en autoriser la publication espérant que
gique, nous avons
l\L A. Martin voudra bien nous pardonner cette indiscrétion.
\>. DU CHATELLIER .
peu près complètement, ce qui donne à cette ville son carac
tèl'e particuliérement intél'essanL c'est le très grand nombre
de souvenirs de l'époque chrétienne qu'elle renferme. On a
mis au jour, sur la colline du milieu, « dite collis templensis»
pal'ce que là s "élevaient les temples païens de la colonie
Romaine, fondée en 39 de J .-C., une superbe basilique de
53 mètres de long sur plus de 40 de large, toute pavée en
mosaïque, près de laquelle se voient toute une série de
salles, de chambres, dont la destinalio" n ne fait aucun doute·
Elles aussi sont pavées de jolies mosaïques représentant des
brebis dans des champs d'Asphodèles, des perdrix. des
cigognes, des fl'uits, Ull superbe coq et enfiri lIne inscI'iption
dans une lal'ge et très belle bOl'dure de fleurs et de colombes
qui en font lIne véritable tapisserie, un tahleau aux char,...
manleg eouleurs. Le sont la chapelle de confirmation, le
bapti!o;tère avec ~a euvc. ou l'on deseencl par ùetlx marches,
la salle de bains, lu salle ou on se dévêLi~sait. et en dehors
de magnifiques citernes pOUl' les hesoins de ces cél'émonies
du baptème.
Voici lïnscl'iptioll ùans la salle du hapt.istèl'e:
SI QYIS, l'T, VIVAT Q\'JEHIT ADDISCEHE SEMPEH, HIC, LAVETvn, '
AQVA ET VIDEAT, CAELESI. .• ,
Hélas! la mer l'ollge toujours la falaise: déjà l'abside de
la granùe église est en partie tombée dans la mer et tout cet
ensemble de constl'UctiollS et de mosaïqul~s aura peu à peu
sort. .
le même
Dans la née['opole de l'Ouest 011 a dégagé Ilne allll'e basi
ÙOllt la lIef esl aussi toute en mosalf]lle ou se lisent de
lique
longues illSCl'ipliolls nOLIS apprenant que I"édifice a été élevé
pal' l'é\~èqlle .-\ lexulld/'c pour y l'enfCl'll1el' les tombeaux de
ses préJéel1sseul's, HII llOll1l>l'e de nCIIf, flu'on voit encore
dalls l'abside. SOIIS Lwlel.
donne le nom de SANCTVS. .
Tout celà de la fin du IVe siècle ou du commencemellt
du Ve ..
Une partie de la mosaïque est fDrt belle et bien conservée:
elle repn~sente des poissons facile- s à reeonnaître comme
espèce, avec une superbe langouste et des coquillages.
Mais la perle de la Tipasa chrétienne~ c'est la découverte
sur la colline de l'Est, au centre de l'ancienne nécropole, de
la basilique de Sainte-Salsa (la patronne de la ville, qui fut
martyrisée vers 320), élevée pour renfermer le tombeau de
la Sainte qu'on a retrouvé brisé en mille morceaux, au
milieu de la nef. Là encore, grâce à une inscription en mo
saïque, toute discussion d'attribution est superflut', on y lit:
« Martyr Hic est Salsa, dulcior nectar semper quœ meruit
cœlo sem per habitare beata. )l
Et presqu'au même moment, coïncidence vraiment provi
dentielle, un père Bollandiste exhumait, de notre biblio
thèque nationale, deux manuscrits antiques, renfermant le
r'écit de la passion de la jeune vierge Salsa de Tipasa de
Afœu1'étanie. Quant on lit ce récit, comme moi, sur les lieux
mêmes, on est frappé de l'exactitude des descriptions du
vieil hagiographe, compatriote de la sainie et vivant une
cinquantaine d'années après son martyre et le dépôt de son
corps dans la basilique.
J'ai pensé bien souvent au cours de mes promenades avec
aimable et savant guide, que nos collègues ecclésiasti
mon
ques de la société et leur cher président seraient bien heu
reux d'être mes compagnons d'excursion dans Tipasa.
C'est tOLlt à fait la campagne, un très pp.tit village moderne
bâti au centre des ruines, dans la vallée, entre deux des
collines et près de l'ancien port, rongé aussi lui , comme les
t'aiaises, par la mer, Quelle tranquillité, quel silence, quelle
quiétude, auprès d'Alger, avec ses bruits assourdissants de
tramways et de voitures.
Je vivrais volontiers ici . Le paysage est séduisant. C'est
un lieu de villégiature pour les hiverneurs et les Algériens,
ct en ce moment! à l'hôtel situé près du port! en dehol's du
village, nous sommes 17 convives, dont une famille anglaise
et une autre française d'Alger venue pour passer les vacan-
ces de Pâques.
Presque chaque jour le curé est mon compagnon de table;
tous les deux! lui à cause du carême, moi par régime, nOllS
faisons maigre et nous entendons donc parfaitement au point
de vue culinaire; d'ailleurs c'est un sobre et qui mange
seulement pour vivre; il me représente un peu ses prédéces
seurs d'il Y a 1.500 ans. Dans sa petite église il est tout,
prêtre, sacristain, sonneur de cloche, balayeur, avec cela
habile à tous les métiers, ébéniste, charpentier, maçon,
sculpteur sur bois et sur pierre! c'est lui qui a fait son con
fessionnal, SOIl bénitier en marbre! qui répare et. 'fabrique
les meubles de son pauvre presbytère, qui s'occupe de tout
et trouve encore le temps de rendl'e service à ses ouailles;
car il est aussi mécanicien! électricien et on rappelle dès
que quelque chose ne va plus. Il est très musicien, a réparé
et perfectionné son haI'monium, et est parvenu à se consti
tuer pOUl' ses offices des jours de fôtes, un chœur de jeunes
filles que j'ai entendu 11iel', à la grand'messe, avec le plus
grand plaisir. Et ~etle grand'messe c'était vraiment curieux!
Il l'emplissait à la fois tous les rôles, quittait sa chasuble
pOUl' aller à son harmonium chanter et faire chanter, reve
nait à l'autel reprendl'e ses ornements puis les quittait de
nouveau pour de nouveaux chants et de nouveaux morceaux
ùe musique. Enfin, il quêtait lui-même pour revenir après
JOie l eghse etmt presque pleine. .
A partir d'aujourd"hui il ne pourra plus me consacrer ses
journées et d'ailleurs le temps se gâte gros vent l'
, .. , ' , p UJe,
quelques autres dessins; mais si cela dure' il fa d
ra y re-
noncer et reprendre le chemin d'Alger. Si ce n'était la
semaine sainte et ensuite la première communion, qui va
prendre tous les moments du brave curé, je serais resté ici
encore 8 jours. A deux, que ce serait agréable, seul on a des
moments sinon d'ennui, au mOÎlls de tristesse.
Mon bien respectueux et affectueux souvenir à Mesdames
du Chatellier et à vous de tout cœur.
A. MARTIN.
Cherchel, 28 mars 1902.
Très cher Monsieur et Ami,
Me voici depuis hier dans la Cœsarea antique, la capitale
de la Maurétanie, la résidence de Juba II qui, pendant son
long règne de 50 ans, se plut à l'embellir presque à l'instar
de Rome . La petite ville de Cherchel, avec ses murs percés
de meurtrières pour la mettre à l'abri d'une attaque des
at'abes et sa petite garnison de tirailleurs, n'occupe pa's la
dixième partie de la superfiqie comprise entre les antiques
remparts qui ont plus de 5 kilomètres de développement
Mais ici, bien plus qu'à Tipasa, le sol a été remué et recou
vert par des occupations successives et · presque tous les
monuments ont disparu sous l'apport des déblais nouveaux
et par la main de l'homme, quand ils gênaient la culture. On
a recueilli dans une coür, entourée d'un modeste préau, tous
les débris rencontrés çà et là dans les champs et dans la
ville actuelle, et ce petit musée n'est pas sans intérêt. Beau
coup de statues, quelques-unes très bonnes et originales,
d'autres étant des copies, non sans valeur, d'œuvres anté
rieures célèbres, plusieurs reproductions en plâtI'e d'origi
naux transportés à Paris ou au musée de Mustapha, à Alger,
ce qui n'aurait pas dû se faire si la municipalité avait été
meilleure gardienne de ses trésors; un · grand nombre de
stèles, d'inscriptions, de morceaux d'architecture, frises,
chapiteaux, corniches, fûts de colonnes unies ou cannelées,
pilastt'es aux riches décorations; enfin, quelques sarco
phages très inférieurs à ceux de Tipasa, et des vases,
lampes et objets divers, forment un ensemble dont la vue et
l'élnde occGpent aisément plusieurs heures agréablement
p3~sees.
.l'ai relevé sur une frise un détail de sculpture que je
n'a\'ais jamais encore relevé nulle pal't, même en Grèce.
FiO'lIrez-vous sous une moulure, un chapelet, ou mieux
un vérit.able collier de pedes rondes et de petits disques
l'éunis par un fil d'une ténuité extl'ême, perles, disques et
fils détachés dans le bloc de marbre blanc, comment a-t-on
pu cl'euser la pierre tout autour de ce fil qui a de 1 à 2 milli
mèlres de diamètre. Perles et disques ont un point de con
tact avec la surface plane du marbre; mais le fil ne tient
que par ses deux bouts aux perles, il est en l'air sur son
petit parcours de rUile à l'autre.
Il l'este pl'ès dn port et dom inant la mer d'imposantes
ruines qu'on a ('ru longtemps être celles du palais de Juba Il;
mais que les savants olTiciels ont décidé être des thermes.
Le dégagement du monument qui a près de 120 mètres de
longueur Slll' 70 de largeur, a été opéré par un des profes
seurs de la Faculté d'Alger.
J'ai vu bien des thermes romains: je sortais de voir ceux
de Tipasa et ma pI:omenade à travers toutes ces salles
pavées de mosaïques ou de dalles de marbre onyx, m'ont
laissé une impression qui me fait plutôt croire à la destina
tion que la légende avait consacrée en donn::mt à ces ruines
le nom de Palais de Juba. On y a tl'ouvé nombre de statues
colonnes et débris de riche al'cbitecture, on voit encoi'e
dans la grande salle au pavé d'onyx (24 Dl SUl' 14), trois ou
quatre débris de base et de fùts de colonnes en un beau
granit très fin et mesurant 1 mètre 15 et i mètre de diame' t,
c'est colossal. .
Aujourd'hui, j'ai passé ma journée chez un commandant
en retraite, devenu viticulteur, à 12 ou 1,500 mètres de
Chol'chel, qu'on m'avait signalé comme ayant beaucoup de
tout à fait cordial, invitation à déJ'euner
bibelots. Accueil
menu du vendredi-saint, qui convient tout à fait à mon
reglme.
Sa propriété est sur le bord de la voie Romaine
du littoral et en défonçant le sol pOUl' ses vignes, il a mis à
découvert toute .la nécropole païenne, il a de très belles
urnes cinéraires en verre, toujours rencontrées dans . des
blocs creusés recouverts d'une piel're plate comme couvercle,
aussi 80nt-elles intactes. Tout le reste est la monnaie cou
rante, des assiettes, vases, lampes, etc.: qu'on retrouve
partout.
Sa pièce principale est une mosaïque, d'une finesse
extrême, représentant un triomphe d'Amphitrite. Elle est
fortement. endommagée, si non elle aurait une valeur incal-
culable. Il y en avait trois autres, d'un travail pareil, dont il
d'insignifiants débris. Les quatre ornaient les
possède
quatre faces d'un cercueil.
La femme de ce brave commandant a le département de
la numismatique et j'ai dû passer 2 ou 3 heures à examine~'
ses médailles et à classer quelques-uaes qu'elle n'avait pu
déterminer, il y en a plusieurs d'intéressantes.
Mais le clou de cette visite, c'est l'exhumation par votre
serviteur, du coin d'une étagèl'e, ou il y avait toutes sortes
d'objets Romains en bronze, d'une vraie hache en bronze
préhistorique. Malheureusement elle a été trouvée par un
al'abe, sur le bOl'd de la mer, dans l'eau m{,me. Je la signa
lerai quand mêm8 à M. Gsell: à Alger. lei, comme sur toute
la côte, la mer a rongé, mangé de 50 à 100 mèt.res de la
terre ferme et pourquoi n'y aurait-il pas eu là, sur la falaise
a 3 ou 4,000 ans, un tumulus dont la hache serait une
d'il y
partie du mobilier.
La trouvaille reste intéressante et curieuse. .
Je voulais pal'tir demain pour Alger, mais le temps est si
merveilleux et l'accueil qu'on me fait ici, au cercle militaire,
chez le syndic de la mal;ine et partout, si aimable, que je
vais encore m 'oublier au milieu des antiquités de Cherchel
que je n'ai pu visiter toutes, non plus que les collections
parLiculièl'es qu'on m'a signalées ce soir au cercle.
Ma fenêtre est grande ouverte et la lune qui se lève éclaire
la gl'allde esplanade plantée de vigoureux Bellombras, qui
est la pl'omenade de la ville et que la bonne municipalité,
dont j'ai déjà parlé a décoré en son centre d'nne fontaine,
quasi monumentale, faite de débris architecturaux de toutes
sOltes, colonnes, ch2piteaux, pilastres et quatre figures co
les, masques qui ont dù orner la corniche ou la frise
unie ù'un monument. L'eiTet est original; mais pas plaisant
ni arti tique. A tl'avers et pal'-dessus les gros arbres encore
peu feuillés, la mer ct plus haut le ciel constellés d'étoiles.
A vous de tout cœur.
A. MARTIN.
Constantine, le 26 avril 1902.
Bien cher Monsieur et Ami,
En quittant Biskra, j'ai pu m'arrêter un instant à Ain
Yaghout pour aller visite!' le Madra'sen, mausolée des rois
de Nurnédie qui en est à 10 ou 12 kilomètres. C'est un monu
ment l'essemblant beaucoup au tombeau de la chrétienne de
mOllldre (18 metres seulement) ; cylindre aussi à 60 colonnes
engagées, sUI'monté d'un tronc de cône à gradins L '
. . a pro-
portIon entre le diamètre et la hauteur le f 't A
. . al paraItre
ecrase.
Il est bien mieux conservé que le tombeau de J b
. emOlres) 7
de trésors) 'l'ayant seul endommagé; et cela parce que ses
pierres de revêtement n'ont pas d'agrafes en métal et ont
ainsi échappé à un enlèvement méthodique, pierre par
pierre, pour en extraire le plomb, ce qui a été de la part
des indigènes, le sort du pauvre tombeau de la 'chrétienne,
. ainsi déshabillé, mis à nu pour faire des balles avec les cou
tures de son riche vêtement. Ici, pas de fausses portes, une
architecture plus simple.
L'entrée de la galerie, conduisant, en suivant simple
ment un rayon, au caveau central, était cachée sous une des
dalles du 3 gradin à partir de la corniche et tout à fait
invisible. Il fallait faire glisser cette dalle marche pour aper
cevoir la porte, fermée d'ailleurs, comme au tombeau de la
çhrétienne, par une porte dalle glissant ùans des rainures
latérale5.
La galerie, une fois la porte franchie, présente un esca-
lier de descente, puis, une fois de plein pied, une légère
pente jusqu'au caveau fait en pierres de taille, alors que les
parois de Ja galerie sont en mpëllon revêtus d'un enduit ou
sorte de stuc. . '
Le plancher aussi est en terre battue avec une mince cou
che de ciment peint en rouge. D'ailleurs tout l'intérieur du
monument est un vrai galgal en petites pierres et, pour pou
voir y appliquer, tant à la périphérie, qu'autour ' de la,
chambre sépulcrale, le revêtement en belles pierres de taille
de grand appareil, 1'architecte avait eu soin d'élever d'abord '
en ces endroits, des murs à pierres sèches de 2 mètres
d'épaisseur, qui retenaient le blocage central sans cohésion,
et offraient un point d'appui à la pose des assises de rentre
'corbellement et de la chambre.
En somme comme proportions et comme facture, le Ma
dras'en porte le cachet · d'un monument plus ancien et plus
autochtone que le tombeau de la chrétienne. Sa situation
~ur une légère éminence~ dans une vaste plaine dominée de
tous côtés de montagnes et de hautes collines, et le voisi
et en font comme le monument prlflclpal, grandIOse
tourent
il est vrai, d'un vaste cimetière, lui enlèvent ce )caractère
saisissant que donnent au tombeau de la chrétienne son
sa grande hauteUl' et sa place sur la crète d'u.ne
isolement,
l'œil embrasse un vaste panorama de terre
montagne d'où
et l'horizon infini de la mer.
Evidemment le Madras'en a servi de modèle au tombeau
du Juba II, avec la note de grandeur et de richesse que
mettre un admirateur de Rome, un ami d'Auguste,
pouvait y
un lettré et Ull artiste. Mais toutefois le Madras'en garde
pOUl' lui son cachet très particulier de monument national,
œuvre d'un peuple indépendant qui a dressé, pour ses rois,
un tombeau magnifique, tout en restant fidèle aux traditions
du dans la disposition générale de l'hypogée et de
enveloppe tumulaire.
temps m'a manqué pour m'arrêter à Batna et faire
l'excursion de Lambèse et de Timgad~ la Pompéï Algé
rienne, laquelle a déjà coûté quelques 800,000 francs pOUl' la
dégager. On n'y a trouvé aucune œuvre d'art; mais c'est
curieux comme reconstitution d'une cité Romaine provin
ciale, et Constantine est fière d'avoir à montrer aux touristes
une émule de la célèbre cité italienne.
Les nécropoles mégalithiques des environs de Kroubs,
à la bifurcation des lignes d'Alger et de Bône, m'atti
village
raient davantage. J'y ai passé 3 jours dans un bon petit
hôtel où j'ai vécu en compagnie du médecin et du juge de
paIX, un compatrIOte Breton, qui avaient été prévenus de
~on arrivée. Ce sont deux jeunes et fervents adeptes de
archéologie.
Ils m 'ont fait visiter, tout d'abord, une vieille ville hélas
la province de Constantine. Au milieu de collines, souvent
abruptes, de calcaire, pénibles à gravie, ils m'ont fait faire
le toue du peopriétaire, sans oubliee un monument. ni une
pieHe, et c'est au pied d'ulle toue carrée, le seul édifice en
core debout, que nous avons déjeuné. On ignoee le nom de
cette ville, très curieuse parce qu'elle remonte aux âges
Lybiques, avec son enceinte de mues pélasgiques et ses
caveaux funéraires, cedainement pré-romains.
Plus tard Rome est venue mettre la griffe sur la vieille
y élever une nouvelle enceinte en belles pierres de
cité,
grand appareil, qui font un cUl'ieux contraste avec les anti
ques murailles Lybiennes ·faites de blocs bruts entassés les
uns sur les autres, et couvrie les collines et la plaine, s'éten
dant à leur pied, de ses mOlluments et de ses tombeaux, aux
abords de la voie d'accès. Plus tard encore, les Bizantins ont
relevé la ville, peut-être détruite dans des guerres avec les
indigènes, et ce sont les restes de cette époque, dont deux
basiliques, qui recouvrent · presqu'entièrement les lieux où
trois occupations successives ont laissé leurs traces indubi
tables. Aux flancs de la colline , en arrière et eu dehors de
( l'antique enceinte se voient des dolmens et des sépultures
mégalithiques circulaires qui sont. peut-être, les sépul tures
des premiers h abitants, des constructeurs des murs cyclo
péens, j'ai fort engagé ces messieurs à en fouiller quelques
uns.
soirée, nous avo ns pou ssé jusqu'au village d'EI
Dans la
Aria, où sur un énorme rocher, émergeant seul du sol cul
tivé qui l'environne, se voient des sculptures en creux repré-
sentant dè ux figu.res humaines, des animaux divers, dont
quelques-uns sont très reconnaissables, chacal ou chien et
moutons ou gazelles Sur un autre point du rocher, en bas,
j'ai montré à ces Messieurs de très belles cupules . de 3 à 4
centimètres de diamètre; fort bien faites et au fond bien
polies. Six sont disposées sur deux lignes parallèles de trois
chacune . .J'ai attiré pour l'avenir leur attention sur ces signes
rocher où se tl'ouvent d'autres dessIns,.
Le lendemain, vél'il.able excursion archéologique à la né
cI'opole de Bou -Nouara, avec ouvriers et tout le matériel de
pinces, banes, leviers, masse en fer, pioches, etc., néces
saire à une fouille. Ces nécropoles mégalithiques ou mieux
algél'iennes, ou mieux Constantinoises, sont vraiment étran
ges. SUl' la gauche de la ligne du chemin de fet' et de . la
Guelma, se dressent de hautes collines devenant
routo de
montagnes en calcaiee dont les stratifications sont redres
sées à près de 45° et forment aux flancs, de ces hauteurs, des
sOl'tes de gl'adins blancs grisâtI'es, nus et glissants, ou pel'-
ent çà et. là, Jans les fissures de la roche et aux interstices
trates, fJuelqlles bouquets d·herbes, quelques plantes du
aux larges rt~lIilles VOl'tes. Aux flancs de ces montagnes
de pierre, le long de lelll's cl'ètos, et sur les plateaux inter-
médiaires les reliant à de pIns hautes montagnes, sur les
crètes de ces der:nières, pal'tout enfin et sur des kilomètres
de parcoUl's. se d,'ossellt des dolmens, des sépultures ci l'CU
lail'es, des monUlllents mégalithiques de toutes sortes. Vus
d'cn bas, ccux des el'ètes appal'aissent comme d'immenses
champignons sc pl'ofilant SUI' lE) ciel. j'ai pu en dessiner
deux 011 trois pendant que mes compagnons arpentaient les
sommets où mes jambes se l'efusaient à les suivre.
La rouille d'un de ces monuments à enceinte circulaire
n'a rien dOlln~. II l'auL dire que presque tous ont été violés
I~ l'all~'aIS depllls le g-énél'Ld Faidherbe. Le déjeuner a eu lieu
au pied du dit monumellt, dans un peti t ravin aussi sec, nu
et blanc que touf. lc reste. .
De l'autre côté de la route, les col[i nes sont arrondies
COU\'Cl·tes d·herbes on de cultures de céréales, à la mod~
petites taches, et, pendant le déjeuner, je proposais à mes
compagnons d'aller voir par là s'il n'y aurait pas quelque
On n'y a jamais rien signalé; mais mon insistance
chose.
les décide à tenter l'aventul'e.
Nous grimpons donc ces collines, autrement accessibles
leurs voisines d'en face, et quelle ne fut pas notre sur
que
prise de constater qu'elles avaient aussi leur petite nécro
pole en cercles de pierre avec coffre central, le tout au
niveau du sol, bouché cependant comme un tumulus affaissé .
Deux n'ont rien donné, elles
Nous en avons fouillé cinq.
trois autres intactes avaient des
avaient été violées. Les
ossements en fort mauvais état et près de la tête une sorte
d'assiette épaisse et grossière, faite à la main, qu'on n'a pu
retirel' que par mOl'ceaux. Dans l'une seulement l'assiette
était accompagnée d'une petite écuelle à fond plat qu'on a
retirer entière, avec deux cassures seulement; on dirait
une de nos écuelles néolithiques bretonnes. Elle est là, sur
ma table, envoyée à mon hôte], avec un mot gracieux du
juge de paix hier soir. Voilà tout ce qu'ont livré ces biens
pauvres sépultures et c'est la règle presque générale en
Algérie. Ces Messieurs retourneront certainement à cet
endroit dont ils vont signaler l'existence à la Société de
Constantine .
soir et ce matin visite de la ville et du Musée avec
Hier
le Président de la Société et son Conservateur. Mais en voilà
rentre, je vous dirai ce
assez pour une fois; d'Alger, où. je
que J y auraI remarque.
A vous de tout cœur. .
A. MARTIN .
. ~lger, 30 avril 1902.
Bion chee Monsieur et Ami,
J'ai pu, grâce à l'obligeance du Président de la Société
archéologique et du cons,ervateur du, Musée de Constantine,
pl'éhistoriques dont une grande partie est en caIsses. On a,
en efTet déménagé l'ancien Musée pour venir l'installer
dans le nouvel Hôtel-de-Ville, superbe monument tout de
marbre et d'albâtre à l'intérieur.
Beaucoup de petits silex venant des oasis du Sud et duDé
sert. Un carton étiqueté Grand-Erg( à 200 kilomètres dans le
Sud d'Aïn-Sefra, teeminus du chemin de fer Oranais), mon-
tre avec ses pointes de flèche, de beHes lames de silex fine
aux
ment retouchées en forme de feuille de saule, pointues
deux bllUts. dont l'une a 12 011 14 centimètres et de beaux
grattoirs arrondis; mais la perle de ce carton est une hache
polie, de 10 centimètres de longueur. au tranchant incurvé
en gouge et au talon très pointu, de couleur rose, probable
ment un calcaire tl'ès siliceux. D'ulle conservation parfaite,
sans une ébréchure nulle pal't, c'est un rare bijou, surtout
à eause de sa couleur inusitée.
Comme néolithique, vraiment Algérien, le Musée ne
possède que deux haches polies à section ronde et à tran
chant arrondi, longues de 16 à 18 centimètres, l'une en cal
caire siliceux, l'autre en pierre dure noire. Elles provien
nent d~ Bouïra et de Aïn-Touta.
Un administrateur a fait tout récemment des fouilles dans
une grotte de la commune d'Aïn-M'lila, la première station
sur la ligne de El Guerrah à Batna. J'ai sa brochuee pleine
de planches et de dessins. Son ignorance en archéologie es't
extraordlllaire, sa bible est ]e « préhistorique » de Mortillet
qui l'a hypnotisé et lui a fait prendre pour des outils ou des
armes tous les débl'is de calcaire trouvés dans la grotte.
conservateur a tenu à déballer toutes les caisses ren-
fermant ses trouvailles et à me les soumettre. Beaucoup de
silex taillés ou simples éclats, hons à conserver; quatre
haches polies, diorite et roche amphibolique verdâtre, l'une
moyenne, les trois autres petites et incomplètes. C'est la
partie vraiment intéressante et je les ai fRit mettee dans une
boîte à part, comme constituant le teésor de la fouille. Puis
des centaines de morceaux ùe calcaire, les uns plus on
moins ronds, carrés, petits ou gros, des rognons calcaires,
trouvés' naturellement et désignés comme ustensiles, orne
ments, armes, que sais-je, une débauche d'appellations.
toujours d'après Mortillet, données à de silIlptes cailloux
bien étonnés de tRnt d'honnenr. Enfin, un assez grand
nombre .de molettes. percuteurs, écraseurs, etc., tous pn
pierres quartzeuses et valant la peine d'être exposés. Voilà
donc le néolithique trouvé encore dans ulle caverne, comme
à Oran et près d'Alger. Heste à le découvrir dans de:; sépul
tures mégalithiques ou les tumulus.
Je viens de visiter le Musée de Mustapha où M. Gsell a
formé une salle pour le préhistrorique, tout n'est. pas encore
en place, c'est maigre. Beaucoup de pointes de flèches et. de
silex divers, toujours très pe~its, des oasis de l'Extl'ême-Sud,
trois haches en pierre dont deux grandes, au moins 20 cen
timètres et une de 12 centimètl'es. en diol'ite et en calcaire
siliceux, toujours à section ronde, provenant de la province
d'Oran.
Vous .voyez que le néolithiq ue est bien peu représenté en
Algérie. .
Il n'y a même pas à Mustapha un échantillon des poteries
des nécropoles mégalithiques. Le Musée Je Kerlluz .sera
mieux partagé, car il va recevoir par ce même coul'rier, en
colis-postal, l'écuelle trouvée dans nos fouilles à Bou-Noual'a
et gracieus8ment oŒerte par le juge de paix Breton.
Mon bien affectueux souvenir- à Mesdames du Chatellier
et à vous de tout cœur.
A. MAHTIN .
Alger, le 7 mai 1902 .
Bien cher Monsieur et Ami,
J'arrive de ma del'nière excursion de Kabylie que j'ai dù
raccourcir, chassé par la brume intense et le mauvais temps
qui se sont déclarés à mon arrivée à Fort-N ational, enlevant
tout charme à des promenades en montagne C'est dom
mage, car le pays est superbe et tl'ès différent de ce qu'on
t.rouve. partout ailleurs eu Algérie.
Ma montée, lundi, à FOI,t-Nationai (900 mètl'es d'altitude)
à travel's' une région montagneuse, où la culture la plus in-
tel1se n'a pas laissé un pouce de tel~i'ain perdu, ou les villages
Kabyles, petites maisons en pierres recouvertes de tuiles,
couronnent. tous les sommets comme les châteaux féodaux
chez IIOUS, au moyen-ùge, m'a laissé un souveni l' durable,
qui me l'ail doublemcnt l'cg'retter de n'avoit' pu poursuivre
ma visite aux autl'cs cent.res, toujours en montagne, que je
m'étais fixés dan:-; mon pl'ogl'amme. .' .
Je retournel'ai dimanche an Musée de Mustapha assister
et aidel' il la mise en place des objets préhistol'iques M. Gsell
m'a dit hier en cH-oil' reçu de nouveaLlX, mais toujours de
pl'ovenance Saharienne. .
Je n'ai pu voil' nulle part les mobiliers trouvés dans les
fouilles des nombl'euses nécropoles mégalithiques de l'Algé
rie. Je vous ai déjà dit que le Musée de Mustapha n'en
possédait pas qui fussent authentiques Celui de Constan
tine, le mieux placé pOUl' en posséder, étant en déménao'e-
ment, ne m'a rien monlré non plus. Dans les collections '
pal,ticulièl·es. absolllment l'ien de ce genre. En, somme, je
n'aurai rien vu, de provenance indiseutable, que les assiettes
e~ le vase trouvés pal' nous à Bou-Nouara, et j e regrette
paIX, pOUl' qu'Il elll!>ol'tât Russi les morceaux de l'assiette
Elles paraissent être la pièce principale, on dirait indispen_
sable, de ce genn de sépulture, ce qui leur donne une cer
taine valeur.
Mon affectueux souvenir aux vôtres et à vous très cordia
lement.
A. MARTIN .
Alger, le 22 mai 1902 (1) .
Bien cher Monsieur et Ami,
Hier nous avons fini le classement de tous les silex de la
mission Flamant dans les régions Sahariennes de notre
colonie.
M. Flamant va me donner quelques brochures sur l'ar
chéologie et la géologie des pays qu'il a parcourus. Au
milieu de milliers de silex taillés ou simples éclats, se trou
vent une dizaine de débris de haches polies; pas une n'est
entière et les cassures semblent intentionnelles. Quoiqu'il
en soit, cette rencontre de haches polies bien qu'en petit
nombre, dans de.s régions Sahariennes, au milieu des silex,
me porte à croire que toute cette civilisation antique du
Sahara est néolithique~
A. MARTIN.
(1) A la veille de rentrer en France, M. le commandant A. Martin nous
écrivait une dernière lettre qui clot la série de cette si intéressante corres
pondance qui nous a donné de précieux détails sur l'archéologie Algé
rienne et ses monuments, d'où nous extrayons ce qui suit.
P. du C •