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Bulletin SAF 1902


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L’élégance de la femme en Basse-Cornouaille

H. Le Carguet

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III

L'ÉLÉGANCE DE LA FEMME

EN BA UAILLE. '

Primitive, lourdaude, inélégante, sans goût! Tel est ]e
jugement que la citadine porte sur la fille des champs, la
, Cornouaillaise, surtout. ,

Cette appréciation est-elle juste? .
Les deux sont filles d'Eve, c'est-à-dire coquettes. Mais ·
combien ' différents les éléments de coquetterie de chacune!
La femme des villes a tout, sous la main, pour se par~r.
Les magasins de modes se chargent de lui donner le ton;
elle n'a qu'à s'y prêter, sans effort, sans travail. Souvent,
même, elle obéira à la suggestion de la marchande, plutôt qu'à ,
son goût personnel. Aussi, son élégance se vêtira de choses
exotiques, preridra les formes les plus dispar'ates, sans autre
règle qU,e le caprice de la modiste, et elle acquerra tout cela à
grand renfort d'écus: c'est là son seul mérite,
La fille des champs, au contraire, toujours en face de la
nature, s'est créé une élégance toute personnelle, prenant,
dans le cadre qui l'entoure, mer, bois, landes, les principes
de cette élégance.
/ La femme du Cap-Sizun mène son existence au milieu
d'une nature sauvage. Triste est son horizon, sombre sera
son costume. Mais elle saura l'égayer, aux pardons de Saint-

Tugen, ou de Bon-Voyage, par un liseré vert à la ceinture de
son tablier et au rebord de ses manches, de ce vert qui

s 'harmonise si bien avec le gris, du ciel et des roches.
La paysanne de Quimper, née au milieu des coteaux boisés,
des vallons fleuris, portera le costume bleu-pâle; le bleu des
fleurs printaniè1'es, quand le soleil, aux pardons de Penhars
et de Kerdévot, à la Quasimodo, mettra une teinte vaporeuse
aux cÎlues des frondaisons nouvelles. ,

Carmes de Pont-l'Abbé et de la Tréminou, quand le soleIl de
répandra, sur l'azur de la mer, tout l'or de ses rayons,
l'été
la Bigoudenne attachera, à sa coiffure, un large ruban rouge.
Aux pardons de Saint-Gily d'Elliant, de la Véronique de
Scaër, de Bonne-Nouvelle de Melgven, la fille des bruyères
et des landes portera des broderies jaune, le jaune des ge-
nMs.
Partout, la paysanne a le sentiment inné de la couleur, et,
s'harmonisera avec le cadre au milieu
toujours, son costume

duquel elle est appelée à vivre.
Outre cela, les coiffes des paysannes se mettront eh rapport
avec leur état d'âme. .
Les mentonnières, si coquettement relevées au sommet de '
la tête, seront laissées pendantes, en signe de respect, quand
les femmes entreront à l'Eglise.
L'islienne de Sein, dont la vie est une angoisse, un deuil
continuels, portera, chaque jour, la cape ·noire. .
La douleur profonde qui imprime, sur la face, une teinte
portera la même teinte sur la coiffe de la femme'
ictérique,
dans nombreuses paroisses, la coiffe de deuil est jaune.
Au Cap-Sizun, si profondément religieux, la coiffe voilera­
modestement le front et couvrira entièrement la chevelure'
elle prendra, en quelque sorte, l'aspect monacal. . . '
lIssera ses cheveux, ajoutera des paillettes éclatantes à son

costume.
dans sa coquetterie, cet orgueil de la fe
Blessée
. . . mme, par
une vengeance seIgneurIale, la Bigoudenne de Pont-l'Abbé
. (1) C.-l<'. : Etude sur les Bigoudens, (Bulletin' de 1 S 'é'
l es e a Cornouaille .

Telles sont, dans les campagnes, les principaux caractères
de l'élégance féminine.
Mais, nulle part, la coquetterie perd ses droits.
Chaque village possède sa Belle qui marque le ton de l'élé-
C'est elle qui donnera le tour le plus élégant au bour­
gance.
relet de son cotillon, épinglera le plus avantageusement son
corsage, troussera le plus gentîment ses mentonnières ; et
ses creatwns seront ImItees par ses VOlsmes.
Mais. toujours, cette Reine de la mode villageo.ise saura
rester naturelle, tout en faisant valoir son costume.

Dans le Cap-Sizun, la l?rge coiffe encadrera bien la face;
le blanc de la toile rehaussera la nacre du front, fera
ressortir le, rose des joues, atténuera les morsures du hâle
de l'Océan. L'élégante, au pardon de Pabu de Cléden, ou de
trônera, sur le mur du cimetière, au
Saint-Laurent de Goulien,
milieu de ses amies, sous le jour le plus favorable, faisant
par ses poses grâcieuses, la lourdeur de son
oublier, ,
costume.
Dans le pays des Bigoudennes, où le costume attire les
reg'à.rds, où les femmes sont si portées à se réjouir, l'élé­
au' co~tràire, baissera les yeux; elle prendra un air mo-
gante,
deste, timide même, qui lui siéra à ravir, et contrastera avec
le clinquant de sa coiffure et l'attitude de ses voisines. Mais ,
ne vous y fiez pas! N'allez pas, surtout, lui demander le nom .
la pointe qui surmonte sa coiffe!
Cette coquetterie, naturelle et de bon aloi, est bien permise
à la fille des champs. -

C'est ellé qui, autrefois, filait le lin de ses coiffes, le chanvre
de son cotHlon, la laine de . son corsage. C'est elle qui indi­
quait, au tailleur, le nombre de rides à faire à sa jupe, le tour
à donner à sa taille; Oh! en tout bien, tout honnenr ! elle le
disait avec toute sincérité, car jamais vraie paysanne n'a voulu
se donner taille de guêpe. . '

la paysanne se montrait fille d'Eve, c'est quand
Mais là où
on taillait la toile de sa coiffe neuve. .
cs. Trop large, la visière! ... Trop grand, le fond!... »
réclamait-elle, chaque fois; et, ,disant cela, elle pensaIt: -
«( Une visièl'e étroite laissera voir mon front que j'ai si blanc,
« mes yeux si bleus, mes joues si roses .... Avec un fond plus
« petit, le retroussis de ma chevelure, si blonde, si soyeuse,
u parattra mieux ..... »
Oh! n'en voulez pas, à la paysanne, de ces petites superche­
ries. C'est à ceHes-ci, répétées durant trois ou quatre siècles,
que nous devons la diversité des coiffes de la Cornouaille. Ces
aujourd'hui, procèdent d'un type unique, la
coiffes, si variées
cape du Cap-Sizun, qui a encore, pour forme de gala, la
cornette d'Anne de Bretagne.

C'est par suite de transformations successives, toutes lo-
que les coiffes ont acquis leurs dissemblances actuelles
cales,
qui leur ont fait attribuer des or'igines ethniques différentes.
Mais, quelle que soit la forme de sa coiffe, la paysanne a su, '
toujours, rester en harmonie de couleurs et de sentiments
avec la nature. Et s'il fallait, à l'une ou à l'autre, à la fille
des villes ou à celle des champs, accorder une palme de
c'est la paysanne qui l'emporterait, car elle a su, de
mérite,
rien, se créer, elle-même, toute son élégance, et la conser­
ver, jusqu'ici, naturelle.
H. LE CAR GUET .