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. N OTES SUR ~'RÉRON & SES COUSINS ROYOU
Suite et fin (1).
VIII.
Mémoire venu de Londres. - Auteur de ce mémoire.
Trois ans et demi après le mariage de Fréron, au milieu de ' .
mars 1770, Voltaire reçut à Ferney une lettre ou une sorte de
mémoire daté de Londres et . portant la signature Royou,
avocat.
Royou avait fui à Londres l'exécution d'une lettre de cachet;
il avait à demander une grâce à Voltaire: c'est apparemment
son intervention pour obLenir la faculté de rentrer en France
sans avoir à redouter l'exécution de la lettre de cachet. Pour se
rendre Voltaire favorable, Royou représentait son beau-frère
comme un très malhonnête homme, un détestable mari, un
espion de police; et même il lui imputait l'obtention de la
lettre de cachet. '
A ce mémoire était joint ce, post-scriptum:
« On peut s'informer de toutes ces particularités au sieur
Royou, père du déposant, lequel demeure à Quimper (2); à
M. du Pont, conseiller au parlement de Rennes; à M. Duparc,
professeur royal en droit français à ennes; à M. Chapelier,
doyen des avocats, à Rp,nnes. »
Ces références étaient, comme on l'a dit, « imposantes» (3):
(1) Bull. 1900, p. 178 à 196,220 à 241,307 à 327 1901, p. 121 à 144,
(2) .... « du déposant. » Il se traite comme un témoin déposant sous la foi
du serment! Royou père demeurait à Pont-l'Abbé depuis au moins dix
, années. (Bull. de 1900, p. 311). ~on fils ne savait donc pas l'adresse .de
son pere ....
(3) Pouilain du Parc est le jurisconsulte bien connu. Le Chapelier, '
doy~n des avoc?ts, conseil des Etats de Bretagne et s~bstitut des procureurs
géne.raux syndIcs des Etats, qui allait. être anobli en, 1779, est 'le père du
présIdent de l'Assemblée constituante. En 1770, if y avait .à Rennes trois
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXIX (Mémoires) l
Toutefois, à la lecture, Voltaire eut un moment d'hésitation l
Le 2-1 mars, il écrit que ce mémoire lui paraît « extraordi-
naire Il (1). Mais quand il écrivait ainsi, le 21 mars, sa haine
contre Fréron avait déjà fail taire sa raison; et, sans perdre
un moment, dès le 18 mars, il avait envoyé une copie du
mémoire apparemment intégrale à d'Argental (2) : « Si
vous voulez quelqu'un à pendre, je vous donne Fréron. Je me
flatte que "ous distribuerez des copies de ce pelit mémoire. Il
f~ut rendre justice aux gens de bien.... ,', '
Le lendemain (19 mars) il envoie lin extrait du mémoire à
d'·Alembert et à Elie de Beaumont (3 • 'Qu'ils en distribuent
dès copies comme d'Argental, que leurs correspondants les '
imHent, et voilà une première publiCité assurée.
Pourtant Voltaire, s'il s'empresse de diffamer Fréron, ne se
soucie pas de compromettre son crédit pour rendre service à
un indigne: avant de faire la démarche qui lui est demandée,
il pri!=) d'Alembert d'obtenir des renseignements par Duclos
alors en aretagne.
On lit à la suite de la lettre du 19 mars à d'Alembert:
« MémQ.Lte sur lequ~l M. Duclos est prié de dire son avis et
d'agir selon son cœur et sa prudence ».
(. Le sr Royou, avocat au parlement de Rennes, me mande ,
de Londres où il est réfugiéque le nommé Fréron ayant épousé
sa sœur depuis trois ans a dissipé sa dot en débauches et j'ait
coucher. sa lemme sur la paille, qu'il la maltraite indignement,
conseillers du nom de du Pont: Louis, sr des Loges, reçu en 1730 mort en
1771 ; - Claude, sr d'Escheilly, reçu en 1734 ; , Luc-A nne, sr des Loges,
reçu en 1759, fils du premier, père de Pierre, reçu con~eiller cn 1784,
devenu premier président de la COUl' royale, père de Paul, le très digne et
de Metz (HHJ-1886).
patriole évêque
(1) Au Mie de Florian (oncle du fabuliste) qui avait épousé une nièce de
VolLaire. 21 mars 1770. Corr. 5807. XVI. p. 214.
(2) A d'Argental, 18 mars Corr. 5803. XVI. p. 205 et 23 marS -
5810. p. 218. - La lettre de Londres est du 7 mars. Il avait fallu quelques
à Ferney.
jours pour qu'elle parvînt
(3) A d'Alembert, à 'Elie de Beaumont, t 9"mars. Corr. 5805. XVI, p. 209.
qu'étant venu à Paris pour y mettre ordre, Fréron l' a dC(Ju~~
d'un commerce secret avec M. de la Chalotais (1), et a obtenu
une lettre de cachet contre lui; que Fréron a conduit IU'i-même
les archers dans son auberge, et lu! a' fait mettre les fers' aux
pieds et aux mains. N. B. Fréron tenait lui-même le bout de
la chaîne que, par un hasard singulier, le sr Royou s'est
échappé de sa prison; que Fréron a servi lJendant six mois
d'espion à Hennes; qu'il a été depuis espion de la police et que .
c'est la seuLe chose qui l'a $outenu. 1) •
(Suit l'indication des références donnée plus haut) .
' On lira plus loin le mémoire de Londres et on reconnaîtra
que dans cet extrait du mémoire Voltaire a inséré des impu
tations nouvelles. Je les ai soulignées.
Duclos s'enquiert et reçoit partout la même réponse: « L'a
vocat Royou est un homme de beaucoup d'esprit, mais un très
)). Et d'Alembert conclut avec Duclos: (t Il
mauvais sujet
n'y a pas à s'en occuper (2\ ».
« Sur quoi, dit M. Soury (p. 108), Voltaire ne parla plus
de cette affaire n. M. Soury se trompe et voici la vérité:
Voltaire ne servira pas Royou; mais il se servira de la
lettre écrite par lui et que celui-ci a pu regarder comme
privée. Royou est un trop mauvais sujet pour que Vol
taire s'occupe de ses intérêts; mais assez bon sujet 'pour
que Voltaire croie ou fasse semblant de croire à sa parole. Il
va deux fois imprimer le mémoire de Londres: une première
fois ,qui l'eût imaginé?) d1ns le Dictionnaire philosophique,
au mot A.na; et une seconde fois, dans la troisième édition des'
A necdotes sur Fréron.
Voici l'article du Dictionnaire philosophique (3) :
cc Le folliculaire dont on parle est celui-là même qui, ayant .
(1) A ce moment le procureur général de la Chalotais était encore en exil.
('2) D'Alembert. n avril. CorTo 5821. XVI. p. 2:36 . .
(3) Tome XXVI (t· du Dictionnaire philosophique. p. 3"28) ; lettre à Demi
laville où Voltaire vient de nommer Fr~ron. Ce qui suit en note p. 3'29 •
été chassé des Jésuites, a composé des libelles pour vivre et
composé ses libelles d'anecdotes prétendues littéraires.
En voici une sur son compte:
({ Lettre du S. Royou, avocat au parlement de Bretagne,
beau-frère du nommé Fréron ».
« Mardi matin, 6 mars t 770.
« Fréron épousa ma sœur, il y a trois ans, en Bretagne.
« Mon père donna 20,000 livres de dot; il les dissipa avec des
« bateleuses et donna du mal à ma sœur. Après qu.oi il la fit
« partir pour Paris dans le panier du coche et la fit coucher
«( en chemin sur la paille. Je courus demander raison à ce
«( malheureux. Il feignit de se repentir; mais, comme il faisait
« le métier d'espion, et qu'il sut qu'en qualité d'avocat j'avais
« pris parti dans les troubles de Bretagne, il m'accusa auprès
« de M. d ... et obtint une lettre de cachet pour me faire
« enfermer: il vint lui-même avec des archers dans la rue
« des Noyers un lundi à dix heures du matin, me fit charger
« de chaînes, se mit à côté de moi dans un fiacre, et il tenait
« lui-même le bout de la chaîne.... »
(Suit l'indication des références donnée dans la lettre à
d'Alembert. )
« Nous ne jugeons pas ici entre les deux beaux-frères.
Nous avons la lettre originale. On dit que ce Fréron n'a pas
laissé de parler de religion et de vertu dans ses feuilles
Adressez-vous à son marchand de vi n » (1).
Maintenant voici le mémoire publié in e.IJtenso aux A.1U'C
dotes sur Fréron (2) .
A la suite des Anecdotes et de leur Supplément on lit:
(1) Allusion très inattendue mais très plaisante à ce procès ridicule
Hull. de 1900.
soutenu pa r Fréron contre son beau-frère Duché. (Ci-dessus
(2) Œuvres complètes. T. XL, p. H t.
(c Celui qui a daigné faire imprimer cet écrit (1) tombé entre
ses mains ~ voulu seulement faire rougir ·ceux qui ont protégé
un coquin, et ceux qui ont fait quelque attention à ses feuilles.
Si on parle da'ns l'histoire naturelle des aigles et des rossignols,
on y parle aussi des crapauds. '
(1 Il est nécessaire que ces infamies soient constatées par
le témoignage de tous ceux qui sont cités dans cet écrit; ils
ne doivent pas' Ie refusel' à la vengeance publique}) (21.
« COPIE de la lettn de ill. Royou, avocat au.. parlement de
Rennes, mardi matin, 6 mars 1770.
« Fréron, auteur de l'A.nnée littùaire, est mon cousin, et
« malheureusement pour, ma sœur, moi et toute la famille,
« mon beau-frère depuis trois ans.
« Mon père, subdélégué et sénéchal de Pont-l'Abbé, à trois
« lieues de Quimper-Corentin, en Basse-Bretagne, quoique
(\ dans une situation aisée n'étant pas riche, ne donna, à sa
« fille que vingt mille livres de dot. Trois jours après les
« noces, M. Fréron jugea à propos d'aller à Brest où il dissipa
« cet argent avec des bateleuses.
« Il revint chez son beau ~père pour donner à ma sœur, sa
« femme, u'n très mauvais présent, et demander en grâce de
« quoi se rendre à Paris. Mo père fut assez bon ou plutôt
« assez faible pour lui donner encore mille écus .... ' Il était
« alors à Lorient, et, quoi qu'il reçut cette nouvelle somme
« par lettre de change, il ne put se rendre qu'à Alençon; et fit
« le reste de la route jusqu'à Paris, comme les capucins (3); et
« ne donna pour toute voiture à sa femme qu'une place sur
(1) Il s'agit non de la lettre qui va suivre, mais des Anecdotes qui pré-
Voltaire répudiait la patèrnité. (Bulletin 1900, p. ''239 et ci-
cèdent et dont
dessous p. 19. .
('2) « Cette note est de 1770, ainsi que la lettre qui suit et dont on' a -déjà
vu un fragment dans le Dictionn'lire philosophique, art. Ana. (Note de
l'éditeur). Il
(3) C'est-à-dire à pied sinon en mendiant •
« un peu de paille dans le pànier de la voiture publique .( 1),
« Arrivé à Paris, il n'en agit pas mieux avec elle. Ma sœur,
« après deux' ans de patience, se plaignit à mon père, qui
« m'ordonna de me rendre incessamment à Paris pOUl' m'in
« former si ma sœur était aussi cruellement traitée qu'elle le
« lui marquait. Alors Fréron chercha et tenta tous les moyens
« de me perdre. Il sut que, pendant les troubles du parlement
« de Bretagne, où je militais depuis plusieurs années en .
« qualité d'avocat, j'ai montré un zèle vraiment patriotique
« et toute la fermeté d'un bon citoyen.
« Comme il faisait le métier d'espion, il ne négligea rien .
« pour obtenir par le moyen de .. , .. une lettre de cachet pour
« me faire renfermer . .
« Fréron qui voulait être à la fois ma partie, mon témoin et
« mon bourreau, vint en personne escorté d'un commissaire et
« de neuf à dix manants, m'arrêter dans mon appartement à
« Paris rue des Noyers. Il me fit traiter de la manière la plus
« barbare et conduire au petit Châtelet où je passai dans le
« fond d'un cachot la nuit du dimanche au lundi de "la Pen-
. H tecôte. Le lundi, Fréron se rendit, environ les dix heures du
« matin, avec ses affilié., au petit ChMelet. Il me fit charger de
« chaînes et conduire à ma destination. Il était à côté de moi
« dans un fiacre et tenait lui-même les chaînes, etc., etc. )) (2)
Après on lit : .
Cl On nous a communiqué l'original de cette lettre signée
Royou. Ce n'est pas à nous de discuter si le sr Royou a été
coupable ou non envers le gouvernement; mais, quand même
il eût été criminel, c'est toujours le procédé du plus lâche
(1) « Les coches et carrosses de voyage ont devant et d.errière de grands
paniers, qu'on appelle plus proprement magasin. J) Trévoux, V· Panie?', -
Voyager dans le panièr c'est prendre place parmi les baga(Jes.
(2) « Cette lettre de laquelle il y a un extrait tome xxvr, p. :\'!R, ne
pouvait, d'après sa date; être dans l'édition de t 769 des Anecdotes sU?'
Fl'éron: elle y fut ajoutée dans l'édition de 1770 '1.. (Note de l'éditeur),
et du plus détestable coquin, de faire le métier d'archer pour
arrêter et pour garrotter son beau-frère.
lt C'est pourtant ce misérable qui a contrefait l'homme de
lettres et qui a trouvé des protecteurs, quand il a fallu désho-
norer la littérature.
cc (1) On ne conçoit pas comment le sr Rémond (donné pour
(2) a pu donner son attache aux grossièretés que
examinateur)
Fréron a vomies contre l'Académie dans je ne sais quelle satire
l'Eloge de Molière, excellent ouvrage de M. Chamfort.
contre
au mépris dont il est couverts'il n'a pas
Frérondoit rendregrâces
été puni. L'Académie a ignoré ses impertinences. Si la police
l'avait su, il aurait pu faire un nouveau voyage à Bicêtre. ))
Voilà le mémoire venu ùe Londres publié par extrait et
i1l. extenso. On reconnaîtra qu'il dément quelques détails ima
le mémoire. remis à Duclos
ginés par Voltaire et inséré dans
pour l'enquête à faire en Bretagne (3).
Pas un peintre n'exposerait un tableau qui ne fût encadré.
Je ne pouvais me permettre de publier le mémoire de Royou
sans imprimer les phrases . que Voltaire lui ·a données pOUl'
cadre. .
Voilà la publicité du mémoire assurée, et Voltaire y compte
bien, pour la postérité la plus eculée! . .
Que vous semble de l'impression d'une diatribe que la ma
honnêteté de son auteur rend si suspecte? Impression faite
après réflexion, contre le conseil d'amis, et répétée non dans
une feuille éphémère, mais dans des lines destinés à vivre?
pas plus coupable que le portrait de Fréron dans le
N'est-elle
(1) Ici quelques lignes trop grossières pour être imp~imèes.
(2) Examinateur de la librairie, chargé d'approuver les articles avant la
publication.
(3) Ci-dessus p. 4 et 5.
PO'nvre Diable, ou que le chant de la . Capilotade et même
que l'Ecossaise, « la honte d'un siècle si poli? (1) ))
Et qu'on ne dise pas que Voltaire a été trompé! La vérité
pas voulu se renseigner. Nous l'avons vu, crai
est qu'il n'a
de n'être pas cru sur parole, Royou avait indiqué. des
gnant
témoins au nombre desquels son père .
Ces témoins, dit Voltaire (2), « né: doivent pas refuser leur
à la vengeance publique. ») Mais, pou r répo.ndre,
témoignage
il faut qu'ils soient interrogés. Que Voltaire les interroge,
« de constat.er les infamies ) entassées dans' le
et tous, loin
mémoire de Londres, vont confirmer les renseignements de
Duclos, et dire unanimement: (1 Ce mauvais sujet de Royou
a menti )J. .
Quelle imprudence à Royou que de les indiquer! Eh! non,
c'est habileté. En homme avisé, Royou a préjugé que la
crédulité haineuse de Voltaire accueillera sans preuve les ac
Il peuL donc en toute sécurité
cusations portées contre Fréron.
de la poudre aux yeux de Voitaire ... et même, si l'ex
jeter
pression est permise, aux yeux de la postérité.
Oui, de nos jours, dans la seconde moitié du dernier siècle,
Royou a trouvé des croyants. Je ne dis pas seulement parmi
des écrivains « emboîtant le pas de Voltaire )J, et qui sont des
de Fréron parce ·que Voltaire fut son enne
ennemis déclarés
mi ; mais parmi des littérateurs cherchant. l'impartiale vérité .
M. Charles Nisard. Dans ses EnneT[Lis de VoltaiTe,
Exemple:
livre publié en 1853 (p. 277-278 , il imprime le résumé du
mémoire de Londres publié au Dictionnaire philosophiq'ue,
et il conclut: .
« Dans ce résumé rapide et sans passion des infamies dont
Royou l'accuse, on ne peut méconnaître l'accent de la vérité,
et dans les témoignages honorables qu'il invoque la certitude
(1) Espion An(Jlais, p 1'25.
(2) Ci-dessus, p. 7.
de n'être pas démenti. Mais la meilleure preuve que Royou
disait vrai, c'est que Fréron n'osa pas parler de cette affaire
dans ses feuilles .. ce à quoi il n'aurait pas manqué s'il eût
en état de se justifier. » (P. 278 ) .
été
Combien il est facile de répondre à ces observations de
l'ingénieux, impartial, mais mal informé critique! ·
( C'est l'acc'ent de la vérité. » Mais (( ce résume rapide et
sans passion » ne reproduit pas le ton du mémoire; et le
mémoire parut à Voltaire « extraordi.naire ». Quand il accordait
tant de confiance à Royou, Nisard avait sous doute perdu
dè yue la réponse de Duclos: « Royou est un très mauvais
» Autrement . il aurait partagé l'incrédulité de Duclos
sujet
et de d'Alembert.
« Les témoignages honorables. » Ils ont été indiqués par
Royou ; mais non entendus!
)) Faute capitale! Fréron
Enfin ( Fréron n'a pas répondu
non seulement ( peut-être jeter des doutes dans
pouvait
l'esprit du public .; et du doute à la négation il n'y a que la
main (p. 279) » ; mais se justifier d'une manière éclatante, et
de son maladroit empressement à
faire repentir Voltaire
publier des calomnies. CettA fois, les rieurs auraient été du
côté de Fréron.
Pour obtenir ceUe victoire, que fallait-il '? Interroger les
témoins indiqués par l'a li tell du mémoire Eh! bien, faisons
ce que Voltaire s'est bien gardé de faire!
Les trois témoins de Rennes, le professeur en droit, le doyen
des avocats, le conseiller au parlement diront ce que Duclos
Royou
a déjà dit à d'Alembert. Ils ajouteront qu'aucun avocat,
pas plus qu'un autre, ne fut compromis et menacé d'empri
des troubles du parlement en 1765-1766. ··
sonnement à l'occasion
- Mais ce sera tout: ils n'ont pu rien savoir par eux-mêmes
et ne peuvent rien dire des relations de Fréron avec sa femme
les parents de celle-ci, ni des agissements de Fréron à Paris
relativement à son beau-frère Royou .
Mais ce que les témoins de Rennes ne savent pas, M. Royou
en dépose: il dit ce que nous avons rapporté plus haut: -
que la dot de sa fille Mme Fl'él'on a" été de 3.000, non de
20.000 li vres ( 1) ; que Fréron ne l'a pas follement dépensée,
avec sa femme pendant quinze jours
à Brest, qu'il est resté
à Quimper eL Pont-l'Abbé jusqu'à son départ pour :Paris ;
de lui et sa femme le jeune frère
qu'il a appelé auprès
de celle-ci, Jacques; qu'il se montre excellent pour Sft
femme et son jeune beau-frère; . peut être même nous
fera-t-il confidence de l'amour de Jacques pOUl' Louise Fréron,
et du projet de mariage agréé par Fréron? (2) ,
En preuve de ses dires,- il montrera les lettres que M. du
Chatellier a imprimées en 1864, nombre de lettres de Mme Fré
ron que nous n'avons plus; et des attestations de tout Quimper,
évêque, sénéchal, procureur· du 1'01 et autres qui furent les
hôtes de Fréron, au lendemain de son mariage. .
Il ajoutera qu'il n'a jamais euà enquérir sur une plainte
de sa fille contre son gendre; et comment aurait-il choisi son
fils pour se renseigner à Paris ? Dès avant le mariage de
Fréron, il n'avait plus de relations avec son fils et celui-ci
ne savait même plus, en l770, l'adl'esse de son père (3).
Et le malheureux père ajoutera que les débauches de son
fils l'ont contraint de demander contre lui une lettre de cache t,
que Fréron lui a fait obtenir.
Voilà la vérité. Fréron est il si coupable?
Suppo'sez même, ce qui est possible, que l'arrestation de
Royou se soit faite à Paris, que ,l1 él'on ail signalé Royou aux
qui ne le connaissaient pàs ; Fréron aurait agi comme
agents
mandataire de Royou père.: Comment voir en lui cet «( espion
de police)) si gmssement payé, au dire de 'Voltaire, que « les
rémunérations de ces délations expliquent les déppnses de
(1) Bu.ll. 190Ù.p. 317 P.t suivantes.
(2) Bull. 1900, p. 323.
(:3) Ci-dessus, p. 3.
Fréron et lui donnent les moyens de vivre dans la plus infime
crapule ('1) ». «( Absurdité! dit avec raison M. Nisard.
Comment aurait-il souLenu sa "ie dispendieuse avec les
appointemenLs d'un mouchard?» (P. 2ï9.)
Mais' pour que ces témoins répondent, il faut qu'ils soient
intenogés. Pourquoi Voltaire a-t-il laissé ce devoi'r à ses
lecteurs? Supposez un seul lecLeur des Anecdotes prenant au
sérieux les offres de preu ves de Royou el interrogeant seuJemen t
~L Royou père eL celui-ci répondant. Voilà Voltaire apparais
comme la dupe bénévole ou le complice d'un calomniateur:
sant
quel ridicule et quelle honte 1 Voltaire comptait apparemment
que ses lecteurs n'iraient pas s'enquérir; mais devait-il corn pter
que Fréron n'appellerait pas les témoins cités à dire la
vérité? .. Chose à peine cro~'able : c'est ce qui arriva!
Comment s'expliquer le silence de Fréron ? A-t-il craint de
livrer au mépris public le nom porté pal' le père de sa femme
et de révéler la turpitude de son beau-frère? ... Il devait songer
son honneur et à celui de ses enfants. Il a manqué à ce devoir,
il en a été puni.
Trois quesHons se posent: 1 Je mémoire publié par Voltaire
est-il authentique? 2 Quel est l'auteur de ce mémoire '?
3 A-t-il dit la vérité?
la première question que le lecteur nous fasse crédit
Sur
pages où la preuve de l'authenticité sera
jusqu'aux dernières
faite.
Sur les deux autres questions voici quelques explications:
Un seul Royou, beau-frère de Fréron, s'est fait connailre
comme avocat; c'est Jacques-Corentin (et non Corentin ',
celui que nous nommons Royou l'historien, qui fut le gendre
-de Fréron .
(1., Lett~e à Elie de Beaumont, 19 mars 1770. Corr. 5805. XVI. p.209.
Il dIt aUSSI : « On m'assure qu'il est espion de police et que c'est ce qui
le soutient dans le beau monde. »
Monselet l'accuse: « Je tombe de mon haut (et il y a ~de
quoi! ) quand je ,vois Corentin Royou déclarer une guerre
à Fréron. » Et, sans aucune information, ni hésita-
sanglante
il l'accuse du pamphlet de '1770. (P. 97. ', .
tion,
Voici une première objection : ·L'auteur du pamphlet dit
été compromis dans les troubles du parlement de
qu'il a
Rennes. Ces faits se rapportent à 176~ et 1766. Or, à cette
le .J acquic des lettrrs con nues de
époque, Jacques était encore
?vlonselet.( 1) Né le 2 mars 1749, il sortait du collège au moment
du mariage de sa sœur avec Fréron (septembre 1766;. Il avait
dix-sept ans . Fréron l'appela presque aussitôt à ' Paris. Il y
était en janvier '1767. - Monselet a vu tout cela dans les
lettres don t il donne des extraits.
Donc l'avocat Royou de 1765-'1766 n'est pas J_ acques Royou .
que Jacques fut, en 1771 ou 72, ' avocat; mais
J'ajoute
à Paris, non au parlement de Rennes
ceLLe dernière circonstance; mais ne lui
Monselet ignorait
suffisait-il pas des faits appris par les lettres de Fréron pour
éveillet' ses doutes ? Comment ne s'est-il pas demandé :
« Mais l'in~ulteur de Fréron, en '1770, n'était-il pas un frère
ainé de Jacques? li
La question était d'autant plus naturelle que Monselet a su
le mariage de Jacques avec Mlle Fréron. Ille place, il est vrai, .
en 1791. après la mort de Fréron, quand il est, nous l'avons
vu, de .1773 ; mais comment MonselBt peut-il voir, sans
une seconde fois de son haut, la fille de Fréron, même
tomber
après vingt ans, mettre sa main dans celle du calomniateur
de son père?
Cette date vraie du mariage ,juillet 1773 , postérieure de
trois ans seulement au mémoire venu de Londres, supposons-
la connue de Monselet. Aurait-il pu s'imaginer que cet amou-
(1) Il en cite de longs fragments dans son chapitre VIII, Retour en
lJrelayne, p. 8d et suiv., et il conclut: « Tous ces détails sorit d'un bon
homme. » .
teux de ' vingt et un ans eût choisi ce moment pour s'exilér
et insulter celui dont il aime la fille; et aurait-il pu admettre
que Fréron l'eût reçu en grâce?
Nous voulons croire que non, bien que -Monselet prétende
se démontrer et démontrer aux autres que son imagination
est la réalité. Lisez plutôt: « L'exaltation fut toujours un peu
le partage des Royou ; et Corentin (lisez Jacques) me paraît
avpir été dosé plus fortement que les autres. Sa vie, dont je .
mentionnerai quelques épisodes, ne fut qu'une colère
perpétuelle .... »(P. 98.)
Anticipant sur les événements, Monselet cite la scène de
l'Odéon (10 mai 182-1) ; et il ajoute: « Si le yieillard était
aussi bouillant, qu'avait dû être le jeune homme? » (P. 99).
Quel rapport, je vous prie, entre Hn accès de colère folle
contre le parterre, chez lin vieillard, . auteur . froidement
accueilli sinon sifflé, et une infamie ·préméditée par un jeune
homme de vingt et un ans, contre un cousin de son père,
devenu son beau-frère, bienfaiteur de sa famille et de lui-.
même, bien plus, don t il aime et dont il épousera la fille?
Mais cet accès de lolle colère se produit cinquante et un'arls
après la lettre adressée à VoltaiI'e. Que de scènes de violence
Monselet a dû trouver d- ans cette vie de «colère perpétuelle! ))
Il a promis d'en révéler quelques-unes. Or, nous achevons la
lecture du petit volume et· il n'est plus question de Jacques
Royou..... ' .
Et-c'est heureux pour la vérité 1 Car Monselet a créé ·un
Royou de fantaisie. La réalité (nous l'avons vu plus haut) c'est
que la _ vie de Jacques Royou, publiciste, avocat, historien,
auteur dramatique, lut un travail perpétuel. Voilà, avec' ia
constance dans . bes opinions politiques (quelque soit le
. jugement qu'on en porte), la caractéristique de sa: vie. Cet
accès de colère à soixante-douze ans, nous avons le droit de
dire à Monselet: « Il fut le premier, puisque vous n'en citez
pas un seul autre. »
Lorsque le petit "olume de· Monselet parvint à Quimper, un
propre neveu de Jacques Royou s'émut de l'imputation portée
contre son oncle, el il écrivit à l'auteur. Il démontrait très
clairement qu'e Jacques Royou n'était pas avocat à seize ans,
en ,1766. qu'il était l'hôte de Fréron en 1770, son gendre en
'l773. Monselet reconnut son erreur ; mais il remit la
correction à une seconde édition qui n'a jamais paru, et, il faut
l'espérer, ne paraîtra pas. Une rétractation publique aurait
honoré l'auteur: mais, puisqu'elle n'était pas faite, il apparte
nait aux héritiers du nom de Jacques Royou de la demander
aux tribunaux.
. Singulière et triste aventure 1 Celte affirmation étourdie de
MOflselet, démentie par des actes de l'état-civi], ' reconnue par'
. lui-même erronée, mais non publiquement rétractée, la voilà
acceptée sans examen par MM. Isambert et Soury, qui ont eu
sous les yeux les lettres de Fréron de 1766 ; et voilà M. Soury
pris d'un beau zèle et rééditant l'argument de Monselet en lui
. donnant une forme nouvelle et en l'exagérant.
If ne s'en tient pas à ]a scène de' l'Odéon, et il écrit:
« Ce mémoire, s'il est bien authentique (-1), est un de ces
coups de tête, véritables accès de délire qui ne sont pas rares
dans la vie de Corentin Royou. »
Et quels sont ces accès de délire? M. ' Soury qui les connaît
aurait dû les révéler; au moins quelques-uns, à titre d'exem
ples. C'était facile puisqu'ils ne Ci furent pas rares. »
Aussi prudent que Monselet, inventeur de (( ]a colère per-
pétuelle » de Jacqües Royou, M. Soury s'abstient: mais il
jnvo,que,. d'autres arguments. Il rappelle à son tour la seène de
l'Odéon et à ce propos il dit: ( Stanislas était une sorte de
fou ,du même genre. »
Quel rapport, je vous prie, entre un vieillard emporté dan's
un moment de colère et le froid mitrailleur de Toulon '?
(1) Nous en avons promis la preuve que nous donnerons .
Mais M. Soury va mettre tous les Royou sur la sellette aveè
Stanislas Fréron! - « On pourrait, dit-il, citer vingt actions
qui témoignent d'une dégénérescence intellectuelle et morale
fort avancée chez les Royou et le dernier des Fréron. »
pourquoi ne citez-vous pas une seule de ces actions imp~"
tables aux Royou ? .
Ainsi, tout à l'heure il n'était question que de Jacques
Royou ; et voilà que le grief porté si légèrement contre lui
frappe tous les Royou, même ceux que M. Saury ne connaît
pas 1
Eh bien 1 je vous abandonne le dernier des Fréron, Stanislas.
Non pas que je le reconnaisse atteint de dégénérescence
-intellectuelle: il avait de l'esprit; il a écrit de jolies lettres
à Camille et Lucile Desmoulins (1). Mais la dégénérescence
morale est certaine et M. Saury a raison sur ce point. Je laisse
le soin de la défense de Fréron à ceux (s'il s'en trouve) qui,
comme les Jacobins, applaudiraient aux mitraillades du Sau
vcU'r du Midi.
Je remets aux mêmes mains la défense de Claude Royou,
le digne ami de Marat, membre du comité d'exécution de
septembre, J'admirateur et l'agent de Danton.
J'admets sans pe.ine la dégénérescence morale de Guillaume
Royou, le très avisé correspondant de Voltaire; ... mais ce n'est
pas de lui que M. Saury a voulu parler puisqu'il n'a pas
meme soupçonne son eXIstence.
Mais quelle preuve trouverez-vous de la dégénérescence
intellectuelle ou morale de Thomas et Jacques Royou ? Je
renvoie à ce que, preuves en main, j'ai pu dire d'eux plus haut.
Quand on lit de pareilles choses avec quelle raison on se dit:
Que l'imagination est un don dangereux! Un homme n'ayant
qu'un simple bon sens, lisant le factum de Londres daté de
(1) Lettres publiées par Monselet. C'est dans une de ces lettres (18 octobre "
1793) qu'on lit cette phrase prophétique: • On veut nous pendre les uns
après les autres, et on garde Robespierre .pour le dernier. » p. 125.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXIX (Mémoires) 2
i 770, et apprenant que Jacques Royou est devenu le gendre
de Fréron, sans rien savoir de plus, aurait dit: « Il ri'est pas
l'auteur du mémoire de Londres 1 Cherchons un autre avocat
Royou! » et il l'eût trouvé plus facilement que MM Monselet
et Soury n'ont trouvé un argument raisonnable démontrant la
culpabilité de Jacques Royou .
Le correspondant de Voltaire disait-il la vérité ou bien est-il
un calomniateur?
Le silence gardé par Fréron « établit sa réputation de
coquin », comme dit Nisard (p. ~761 ; et, jusqu'à nos jours,
il a produit la même impres~ion.
Nisard lui~même a cru que « Royou disait vrai. » Excusez-le:
il ne connaissaitpas les lettres écrites par Fréron au temps de '
son mariage et les faits que nous avons contés (1). S'il avait
su ce que nous savons, la preuve de la calomnie eû t été faite
pour ce judicieux esprit.,
Après la publication des lettres de 1766, Monselet n'a pu
croire au mémoire venu de Londres; mais sa dénégation ne
devait-elle pas être plus accentuée quand il se portait en
défenseur de Fréron ?
Un autre défenseur de Fréron encore plus timide, c'est M .
Barthélemy. Il a lu et il publie les lettres de 1766. L'ont-elles
convaincu des mensonges de Royou ? Nous n'en savons rien!
De deux choses l'une: ou il tient Royou pour véridique ?
Alors comment a-t-il pris Fréron sous son patronage? Ou il
tient Royou pour un calomniateur? Pourquoi ne pas le réfuter?
Cette omission inexplicable sera un argument contre Fréron.
Toute défense de Fréron qui ne contient pas la preuve du
caractère calomnieux du mémoire n'est pas seulement incom
piète: elle est accusatrice pour Fréron.
Quant à M. Isambert, il lui semble « difficile de supprimer
(1) Voir ci-dessus notamment : Second mariage de Fréron (Bull. 1900, .
p. 317) et Jacques-Corentin Royou, Bull. 1901. p. 136 et suiv.
le mémoire « non démenti par Fréron et appuyé des références
les plus imposantes ». Ces références ont été indiquées,
comme nous l'avons vu, mais non interrogées: ce qui a quel
que intérêt...,. M. Isambert a dû penser que Voltaire avait
la sincérité du « très mauvais sujet » auteur du
cru à
mémoire; Voltaire ne pouvant se tromper, M. Isambert croit
à la parole de ce « très mauvais sujet. »
Seul M. Saury a eu le mérite de dire: « Le mémoire signé
de l'avocat Royou est un tissu de calomnies. »
Au XVIIIe siècle et du vivant de Voltaire, les Anecdotes sur
Fréron étaient signalées par un ami de Voltaire comme « un
tas d'ordures détestables; ») Voltaire lui-même en avait honte,
et, généreusement, il en avait attribué la paternité à Laharpe( 1).
Cent ans plus tard, d'autres pensent là-dessus autrement
que Grimm et que Voltaire lui-même. ,
En 1878, pour célébrer le centenaire de Voltaire, il a été
fait une édition dite du Centenait'e comprenant seulement les
Œuvres choisies de Voltaire. Les Anecdotes sur Frétron ont
comme une perle fine qui eût manqué à la
paru aux éditeurs
couronne de Voltaire. Elles ont eu l'honneur de la réimpression
augmentées du factum venu de Londres et agrémentées des
notes et observations dont Voltaire avait encadré ce mé
moire (2).
Les éditeurs du Centenaire ont donc, très lêgèrmnent après
la publication des lettres de t 766, édité une calomnie. Mais
ils n'étaient pas instruits, comme Voltaire, des mœurs de
l'avocat Royou. ,Quand il publiait sans autorisation de son
auteur la lettre venue de Londres ,Voltaire savait que cet auteur
, , « très mauvais sujet », ne méritait aucune croyance. ,
(1) « Les Anecdotes SU?' Fréron sont du sieur Laharpe, jadis son assorié et
« Voltaire à Le Brun 6 février 1761. Corr. 3249. IX.
friponné par lui.
p. 21:17. « Thiriot m'a envoyé ces 'AnecdQtes écrites de la main de Laharpe ... J
- ( On m'assure que tous les faits sont vrais. », '
(2) Edition du centenaire, t. IV, p. 704·70;; .
Cette défense de Jacques Royou et de Fréron lui-même
serait-elle insuffisante'? Laissons parler le correspondant
de Voltaire, qui n'est pas Jacques Royou, mais Guillaume,
son frère. Voici la lettre adressée par lui à sa sœur Mme Fréron,
lettre à laquelle j'ai fait aIl usion ('1).
« Rennes, le 1 or vendémiaire an XIII.
(23 septembre 1804).
« Madame, ma très chère sœur,
« Je viens d'apprendre par M. le Baron, ayoué, que vous
« êtes depuis quelque temps à Quimper pour la succession de
,{ notre vertueuse mère; je compte m'y rendre incessamment
« pour le même objet et avoir la satisfaction si peu méritée
« de ma part de vous y voir et de vous embrasser.
« Mais je n'osais, ma très chère sœur, me présenter devant
« vous, sans vous déclarer ce que j'ai mille fois dit et écrit à
« mon frère Jacques, à son aimable épouse héritière du nom
« et des vertus de Monsieur Fréron, à ses nombreux et illus-
« tres protecteurs et admirateurs, et en général à tous ceux
« qui savent apprécier le vrai mérite littéraire, et qui, comme
« tels, respecteront toujours la mémoire honorable qu'a laissée
« le savant et l'aristarque de son siècle sans contredit le plus
« judicieux et le plus éclairé.
« La lettre datée de Londres en 1770 écrite dans un moment
« d'ivresse et de fureur' que j'adressai à Voltaire et que celui
« ci, à mon insçu, a osé faire insérer à la suite d'une brochure
« intitulée Dieu, ou Réponse à l'auteur du système de la nature,
« était un libelle affreux et diffamatoire, un tissu énorme de
« mensonges abominables et de calomnies les plus atroces.
« J'avais d'autant moins de sujet de croire que Voltaire
« donnât jamais la publicité à cette production infâme, que lui-
(1) Bull. 1901, p._ 163.
« même, en réponse à la lettre que je lui écrivis dans le temps
« de Londres, me manda du château de Ferney qu'il avait fait
({ faire des informations relatives aux faits avancés dans ma
(1 lettre, qu'elles étaient aussi favorables à Monsieur Fréron
« qu'elles m'étaient contraires, et que la réputation dont jouis
« sait en Bretagne et surtout à Quimper et à Pont-l'Abbé
« l'éditeur de l'Année littéraire démentait tout ce que je lui
« avais écrit sur son compte, et au sujet de ma sœur qu'il
({ chérissai 1.
(C Comme une réparation bien légère du chagrin que ma
(C lettre vous aura · sans doute causé dans le temps; et pour
(C vous témoigner la part sincère que je prends à)a perte d'un
CI oncle et d'un mari qui ne mourra jamais pour VQus, je vous
(C prie, ma très chère sœur, de faire donner à cette lettre toute
({ la publicité que vous jugerez à propos.
« Je suis, avec le plus sincère repentir et le dévot1ment le
C( plus cordial et le plus affectueux,
« Votre frère très dévoué,
« ROYOU aîné ).
Voilà donc l'auteur du mémoire venu de Londres ! C'est
Guillaume Royou, l'aîné, celui que le pamphlet rimé de Quim
per flétrissait en '1789 de l'épithète « diffamateur affreux » (1),
allusion certaine au mémoire publié par Voltaire. .
Mais voilà Royou changé, avouant sa faute, repentant, espé
rant obtenir son pardon par la réparation, et, spontanément
priant sa sœur de faire publier l'aveu de ·son infamie! Com-
ment douter de sa sincérité! Mme Fréron pardonna et ne publia
pas la lettre; mais elle la garda.
Cette lettre établit en même temps l'authenticité et le carac
tèr~ calomnieu;x du mén;:lOire. Elle ne vise, il est vrai, que
l'abrégé imprimé au Dictionnaire philosophique (2), non le
(1) Bull. 1901, p. 162.
(2) Ci-dessus, p. 5- 6.
texte Mi extenso ajouté aux Anecdotes (1). Mais il n'importe:
quand même Voltaire (et rien ne le démontre) aürait quelque
peu amplifié cette seconde édition (2), la première suffit à faire
de Royou un calomniateur.
J'ai entendu cette objection à l'authenticité de la lettre:
«. Ce n'est pas de ce style qu'un frère écrit à sa sœur )).
La réponse est bien simple. La lettre est yieille de près de
cent ans: le style même en famille avait alors une solennité
aujourd'hui passée de mode. Et puis, cette lettre adressée à
Mml3 Fréron,' elle est destinée au public. Royou doit croire que
sa sœur ' écoutera la prière qu'il lui fait de livrer sa lettre
« à la publicité ».
J'ajouterai que la lettre n'a pas été envoyée par la poste.
et n'en porte pas le cachet; mais elle a été comprise à l'inven- ,
taire fait après la mort de Jacques Royou, en 1828. Mme Fréron
remit la lettre à son frère Jacqùes qui la garda, ne se doutant
pas assurément q,u'elle servirait un jour à défendre sa mémoire
Voici comment j'ai pu la publier. Lors de mes premières
études sur Fréron, en 1888, je dus une copie de cette lettre et
de plusieurs autres pièces à l'extrême obligeance d'un petit-fils
de Jacques Royon, M. Gustave de Royou, mort à Paris aux
premiers jours de janvier 1902 .
. En voilà trop ~ong ..... J'ai publié avec détail cet épisode
de la guerre de Voltaire contre Fréron. Plusieurs s'étonneront
des injures et des violences qu'on vient de lire. Leur étonne-
ment serait bien autre s'ils avaient sous les yeux tous les
passages consacrés à Fréron dans la correspondance de Vol-
taire, et en regard les pages où Fréron a parlé de Voltaire .
Que cette confrontation puisse se faire un jour! Elle sera ins-
tructive; et il faut la souhaiter pour la vérité et la justice.
J. TREVEDY,
A'ncieti President du triùunal de Quimper.
(1) Ci-dessus, p. 7-8.
('l) Comme il avait fait dans le mémoire remis à Duclos. Ci-dessus, p. 4-5 .