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Bulletin SAF 1901


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Du bruit dans Landerneau à propos de chansons (1731)

Abbé A. Favé

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V III.
« OU BRUIT DANS LANDERNEAU )l
A PROPOS DE CHANS CI 731 )
PAR L'ABBÉ ANTOINE FAVÉ
Landerneau devait à sa situation topngraphique privi­
légiéc de deveni l' un centl'c impol'lant d'affaires avec toule la
côte du Sud-Ouest: tandis que, d'autre part, la Marine
lui confiait une pal,tic notable de ses entrepôts el de sa manu­
tention. La vieille cité des Rohans, avec son site enchanteur,
sa pl'ospérité commerciale, l'aisance générale de ses habi­
tants, ses relations d'affaires ou de famille, relations de
comptoÏl's et de salons littéraires, élait une ville de leUrés.
Le gOIÎt pOUl' la poésie y élait de tradition; poésie facile,
poés ie légère, cela va de soi; s'essayant dans tous
les gel1l'es, depuis l'élégie langomeuse jusqu'à l'épi­
gl'amme melll'trière (1). Sur celle tcrre classique des chari­
val'is , la chanson devait poussel' comme les mauvaises her­
bes : agl'essive, impito)'nbl e et anonyme, pour une bonne
l'aison, celle que donne comme signature un libelle du XVIIIe
siècle, de la collection Mau'repas :
Celui qui a, rait la chanson.
N'oserait dire son nom.
CG'I' il au mit les étri'Gièl'cs .. , ..
C'est la chanson qui (( {ait (hl bmit J), grossissant déme­
surément les personnes el leurs travers: les choses, les acles
et les dvènements ; la chanson essentiellement locale qui,
(1) V cir ce qu'en di t Cambry cn -1794:. Voyaye dans le Fillislere. ,
Edit. Fréminville (p. 252 et suiv.).
même au loin, faisait dire, pour un ricn, (( il !I a. du Ul'lfil
da.lls Emulal/can Il : expl'ession p,'ove,'biale, écritlejudicicux
Littré (l) « qui se dit d'une nouvelle l'acontéc uvcc tllIC illl-
pOl'lancc exagérée ".
N'oublions pas la distinctioll qlle de bOlls espl'its, COOlme
M. F, Bl'linetièl'e, ét.ablisselll entre les raiseUl'S cl'épig,'ammes
ct les faiscurs de chansons:· « Le pl'opre d'un satil'ique c'csl:
c, en génél'al, dc ne voir les hommes ct les choses que pHI'
ct lelll's mauvais côtés, mais le propl'e des chansonniers c'cst
« de ne les VOil' que par letll'S côtés honteux. n
Vers la fin de l'an 1731, il !J cul dn bruil dallS Lawlc/'IlC(//1
à propos de chn nsons ,
1.1 y nvail en cctte villc lin groupe cie « JJt·llwi.~l'lll's
nommécs les /lcmarr.lincs n, Ce n'élait pas des moniales,
des ,'eligieuses liées pal' des vœux solenllels ct. les obligatiolls
d'une vie de communaulé, mais les membres cl'unccon{rairie
(2) ou cOllfrél'ic, s'assemblant pour fail'e en commull quelqllfls
actes de dévotion ou s'entendre pOUl' la pratique de 'Iuelqucs
bonlles œuvres,
CeLLe confrél'ie était-elle aIHliée, agl'égée Ù l'ordl'C monas,
tique de Citeaux? Avait-elle dlÎ sa fonnation il un l'digicllx
Bcrnardin, tnlssionnail'e de passage fi Lallderneall '? t\ quel-
quc personne sortie de l'ordre clc Citeaux 011 biell, passée .
de la vie séculière à la vie religieuse che? Ics Bel'nartlilles ~
Autant de suppositions gl'atuites: en tont cas, la malignité
peut-être, l'habitude à coup s(lr, avait qualiliéces demoi­
selles du nom de lfc/'Ilarclincs, comme on appelait les
ICl'tiail'es de Saint-Dominique ou du Cal'mel, les sœlll'S 11'01-

Il,'/tes,
A celte épOqlW, le Jansénisme avait étendu !'lUI' l't>glisc de
France un filet aux mailles tenues et serrées pOIl!' s'en em-
(1) Supplément au Diclio1l1wil'e cie la lall!Jlte rran!,{/i,ç~ de Lillré: V,,
I.allderneau,
m Orthographe primitil'c et usitée mème au XVJI(' siècle .

parer et l'attirel' dans son parti. Ce parti était organisé
avec une habileté l'edoutable, ayant, à toutes les avenues,
placé ses l'abatteurs. Dans chaque diocèse, la secte avait
établi des cénacles fermés, des conciliabules, recherchant
surlout les matriarchcs, femmes respectables dont le fana­
tisme pharisaïque paralysait des vertus incontestables, dont
l'orgueil révoltait les âmes droites qui se contentaient d'être
catholiques avec l'église visible de J .-C. et des Apôtres et
d'êh'e enfants soumis du Saint-Siège. Notre compatt'iote, le
savant et spil'ituel P, Bougeant, en 1730, venait de publier
ri La. Femme J)nctell /' Olt la Théologie tombée en quenouille )),
pièce pleine de verve et de bon Sens qui eut un immense
~uccès, Il frappait fort, mais il fl'appailjuste, sur les travers
de ces femmes s'él'igennt en docleurs dans l'Eglise et jugeant
el condamnant sans pitié, ce qui était tout un pour ces dog­
matisantes, le commun des humbles fidèles,
Celte publication, dont ln propagande avait été extraordi­
lIa il'e, trouva-t-elle un écho dans Landerneau? Inspira-t-elle
les auteurs d'une chanson sur ou contre les Bcmal'dines?
Peut-être bien, si les Bernardines éta ient entachées de jan-
, sénisme et se faisaient remarquer par cet esprit étroit de
cabale qui ca l'actérisaitle parti. Mais ce n'est qu'une suppo-
sition et nous n'illsistons pas. .
Du resle nous n'avons pas le tex te de celte chanson pour
en parler en connaissance de cause. Elle était anonyme, et
on s'éludia à en rechercher les compositeUl's~ On se crut en
dl'oit de soupçonner véhéme'ntement d'avoir lancé la pièce:
M. du Penhoat de Kerguvelen, le bailli, l'avocat Rosselin,
Le Vaillant Pennanrun le subdélégué, lesénéchalde Daoulas,
la femme de J'ancien entreposeut' des tabacs, l'exempt de la
maréchaussée. La réplique vint, impitoyable, promettant
mieux et promettant pis: on jUl'ait de ne pas désarmer et de
diITamer avec plus de fUI'eur, s'il en était besoin.
La guerre était déclarée: nous allons essayer d'indiquer

les différentes phases de la campagne dans lem ordre chl'o-
nologique.

En Juillet-AoLÎt. on colpol·ta sous lemanteau, dans la ville
de Landerneau, une chanson « au sujet de quelques demoi­
selles nommées les Bernardines. n
En Aoùt, il est l'épliquée à celte chanson par une autl'e
commençant pm' ces mots: • Vous devriez vous tain!, poëlC.~
insensés» et finissant pal' ceux-ci: le 1'este de la ligue n'est
pomt a mesnager,» .
En Septembre, vors l'époque de la toire dit Folgoat el vel's .
le temps ùe l'arrivée de Jl[~J, les gendarmes d'Anjou, parait,
une nouvelle pièce commençant pal' « vils faquins troupe
d'élite. et finissant pm' ces mots: Adiw, Afessiclt}'S jusqu'au
revoir», et servant les mêmes l'ancunes avec encore plus de
violence.
Le 26 Septembre, on est saisi enfin du texte de celle chan­
son dont beaucoup parlaient depuis plusieul's JOUI'S, et le 28,
Mc Jean Fi'ançois COl'mao, notail'e et pl'ocureur, « substitut
du pl'ocurem' fiscal en ses absences, dénonce à 1\'1 Joseph
Le Hoy sieul' du Parcjean, avocat à la COUI', bailli et second
juge et magistl'at civil, Cl'iminel el de police de la jUl'idiction
de la pl'incipauté de Léon à Landel'fleau, un libelle distribué
en contravention des édits et arrêts, le requérant de se
transporter en son auditoire pour appl'Ofondir et découvril'
pm' les personnes qu'il lui [ferait] administrer tant les au-
thentiques dudit libelle diffamatoire que les personnes qui
débitent les copies dudit libelle, » Il est procédé à interro­
toires, les 28 et 29 Septembre, 1 , 2, 5, -Lü et 15 Octobre.
Le 20 Octobl'e, on obtint des :Monitoil'es de Léon et de
Quimper qui fUI'ent publiées à Saint-Houal'don, Saint-Juli.eu,
et Saint-Thomas les 21, 28 Octobr.e et II Novembl'e,

Aux fins de la requête du 17 Octobre 1731, lettres mo­
lIitoriales, exploits à témoins ell conséquence signifiés à
Landerlleau, le 27 ~ovemhl'e, le lendemain, 28, l'enquête est
l'epI'ise pal' 1\1' Yves Foul'I1ier de Kel'alien, avocat et com·
missaire ell celle pal·tie, SUI' le départ de ~f. le Bailly et
allendft l'absence de lJI. le lieutenant et le décès de /rI. le Sé­
néchal (28, 29 \fovembre, 3 et [1 Décembl'e).
Le [1 Décembre, le substitut du Procureur, voyant le peu
d'elTet pl'oduit par les monitoil'es, sollicitait et obtenait du
vicaire génél'al de MgI' Louis de la BOUl'donnaye, la publi­
cation ùes Aggmves, et le 13 Décembre de Mgr Fr. Hy, de
Plœuc. Les informations furent continuées les 24, 28 Décem·
l)1'e, et les 7, 8, 10, 17, 18, 22 et 26 hnviel' 1732.
Nous ne possédons pas la sentence qui dut intel'veuil' à la
suite: nous n'avons que deux cahiers d'infOl'mations qui
fournirent en grande partie au juge les éléments de sa con­
viction et la règle de sa conduite, et dictèl'ent son alTêt.
Nous ùevrons nous y bOI'ner pour trouver quelques éclaircis­
semeUtS SUI' ce bruyant épisode d'histoire locale,
Il nous semble que les faits et cil'constances mentionnées
dans la requête pOUl' publication des Aggraves sont propl'es
à édifier le lecteur et à lui exposer, mieux que tout autre
document, ce dont il est cas. Le substitut se poul'voit donc de
nouveau devant l'évêque et le reguier't ainsi:
( Quil vous plaise, Mgr, esgard a ce que desus siucèrement
Illy accorder des ré~ggraves avec cominission du sieur
exposé
ret:teur de Saint-Houardon ou tel autre prestre en son abseuce autre
que le s'ieur Cloaree son Cl/ré suspect an 1'elllOntrant. et au sieul'
curé de la Trève de Saint-Julien aud. Landerneau de le3 lire et
les publicl' à la Illannière accoutumée, en conséquence nggraver ct
réaggraver les rebelles à vos ordolln311ces les déclarer excomllniez
incapables. de participer aux sai lits mistajres de l'Eglise et des
fidelles par les formalités prescrites et requises suivant le droit
el les constitl1tiolJs r.t statuts de llosll'e mère la sainte
canonique

Eglise sy dans tiers joUl's il compter du jour de la publication des
, présantes ils oe sc présentent pour donner leurs uoms afin de
parvenir il la revélation des faits cy après, Sç:lVoir : ,
Qu'il est vray que Slll' la fin .dn mois de septembre dernier il
aparù en celte ville des vers ou chansons en forme de Libelles
difamatoires contenant traize strophes ou couplets dont chaque
strophes cOlltieut six vers commençant aillsy : Les vils faquin!;
troupes délites ' et le deI nier finissant Adieu M" jusqllatt revoir',
aUacquant la probité, l'honneur et la réputation de plusieurs
personnes carr:1ctérisées il celte vi Ile ; .
Que plusieurs sçavellt ceux qui ont sont les auttcllI's et complices
pal' les avoir: fait ou fait fair~ eu filvcurs d'argents présens personnes
ou autrement,
Qu'il est aussy il la cognoissallcc de quelqueHlIls que syto~t que
ce Libelle fut fait on le dOllna il .quelques persones pour y mettre
l'air par des lignes et clelTs de musique et eusuite remis il un escrivill
pour la mettre au net et par qu y,
Qu'il est' pareillement il leur cognoissance fille des pal'tiwliers
d'en estre les au tteur,ç se sont assemblés en di flërenl S
soupçonnés
endroits de cette lJitte tant pou'/' la chanle1' que palU' con /;ewir des ,
moyens de la Tcndre 7Jublique et quelle {ut donnée à celte fin ci
cM'taines persanes quy lont {ait wi?' en différents end1'oits et en
onl distribnécs plu,sieu1's coppies, qu'il est pareillement il la
cognoissance de plusieurs que cc Libelle a été chauté, divulgué et
continué de lestl'C ct des coppies distribuées par des persones de
hm et de l'autre sexe par quy tout cella s'est fnit.
Qu'il est encore il leur cognoissance que les autteurs et complices
duclit Libelle l'ont envoyé il Brest ct autres villes voisines il leurs
p1.lrents ct amis,
Qu'il est pm'eillement ci la cognoissance de quelques-uns que
lorsque Ion p1'océdœit ci une infonnation pour en lleSC01LJ;1'ir les
auteurs, on aurait vii, les mesmes attlteztr~ et complic~s embat'assés
et s'assembler dans [es COÙts de nœs pOUT en con{érer ensemble et
se donner de grands mouvements auprès de ceux IJ'u'ils croyaient
reche1'chés 1101/1' lapl'o{ondissement en f'ecommandant le
estre
secret et de ne le,ç point dcsscrt'i1',
Qu'il est encore vray que les mèmes parti\luliers aultClII's ont

tlem:wdé le mesme secret à quelques personnes de cette ville qu'ils
a1:01'r cognaissance de pllt.~ieul's 1JartiCltlarités de ce
sçllwient
Libelle leurs faisant entendre que leur conscience ne 1W'lIwit
est re engagee pOIL1' de pareilles .bagatelles et les ont 'instTuits de
qllelle manière ils de!Jront s'expliquel' en cas quils se trouvassent
ci,tté.~ 01/ recherr.hés.
Qu'il est pareillement il la cognoisS3nce de pilisieul's que quelques
uns se sont veuttés de cognoistre les autheurs et complices de ce
libelle diffamatoire mais qu'ils ll'estoient point obligés de les reveler
et qu'ils ne le Ceroient jamais par respect humain et par considéra­
tion pOlir eux,
Qu'il est aussi à la cognoissance de quelques uns que les autheurs
on distributeurs dudit libelle en le ch antant ou le faisllllt voir au
particulier lell?' des'ignoient les pe".çonne.~ comprises en chaque
strophe Olt conplet ..
Qu'il est esgallement à la cognoissance de plusieurs que cc u'est
pas le seul libelle quy ayt esté fait contre les mes mes pet'sones ct
qnau mois daoust dernier il en avoit paru un autre avec le mesme
génie de dilTamation, contenant huit couplets de huit vers chaque.
Le premier commençant ainsy toitS der1'iez VOLIS tail'e, poëles
insensés et llnissant par ces mots: I.e reste de la ligue n'est point à
meslIager, Oontles autheurs (~t complices ct adhérez ct distributeurs
sont :es mesmes que ceux de ce demier libelle, qu'ils les ont esgal­
lement chantés et distribués par leurs émissè"es.
Et enfin que quelques uns doivent avoir cogn:>issance des antneurs
complices, adhérés et distributellrs desdits libelles diffamatoires,
soit par conseil, assistance, suggestion, par avoir vù ony dire ou
autrement, Lesquels retenus par respect humain ou intimidés par
le~ autheurs d'iceux n'osent se présenter pour déclarer ce qui est 11
leur cognoissance ; pourquoy les censures de l'église deviennent
nécessaires pour les obliger à venir il révélation. »
Haremenl on vit procès aussi sensationnel en matière de
diffamation que celui qui fut introduit à Paris, au Chtltelet, .
dans les premières années du XVHle siècle et qui finit par

le hannissement il pe.l'pélllité de J .-B. Housseau, non tant
comme alltelll" des couplets difTamatoil'es qui .portent son nom
et qu'ill'écusa cQ.mrne son œuvre jusqu'au lit de mOl"t, mais
comme dénonciatelll' calomnieux de Saurin. C'est un épisode
saisissant de l'histoire liLLél'ail'e sUl'lequel planent des doutes,
doutes qui, en pl"ésence des animosités entassées de part
et d'autre, Ollt dicté aux juges du Châtelet certaines résel'ves
qlle l'histoire n'a pas démenties.
Que Lous les couplets de J .-B. Housseau soient on ne
soient pas de lui, ils SOllt l'estés comme un monument du
ge IlI'e , et que les p"ofc:,siollnels de la difT.lInation sc sont
cOllleut.és de pasticher, désespél'ant de pouvoir le dépasser.
C'est ce fIue ,'auteul' est-il un ou multiple? de la
chanson lr Vils faquins ... )) proteste faire pOUl' défendre en
la personne des Bemal'dines « le sexe le plus beau ».
De vils faquins ll'oupe d'élite
f)1/C la soi/f de 1'imel' agiue
Contl'e le sc; rc lc plus beau
l"l'cmblez SOls, ma verGe s'a'unme
Le démon vengcul' de Rousscau
Vcrsc s'on fiel dans ma plume .

Tel est le pl'emier couplet. Le derniel' (le 13 ) est un pas­
tiehe l'éussi de Housseau, comme on le verra en compal"ant.
strophe que !lOtiS fournissons à la suit.e ..

Itc/iel/, MessiCttl's, j/lsques an 'l'evoir
J'atlcns "Wl/'e réponse
Si mon stile 'Gous IlGl'oit 1/Oil'
C'est le v/'ay qu.'il annonce.
La, {al'idondainl', la {al'idondon,
J'a,i (t' anl l'es couplets .....
A la Faron de Hal'bu/'y.
BULLETIN ARCHÉOL, DU FINISTËRE - TOME XXYlIl (Mémoires). 7

Voici maintenant les vel's de .J.-B. llousseall :

il Însi finit l'autcur secret,
Ennemis irréconciliables,
l'ilissie;-vous cre lier de '/'Cg/'el !
PuÎssie:-rolls êtl'e ct tons les (liable.ç !
f'l/isse le démon COllpletgol'
S'il .w; pent cmbra.~er encol'c
I,e lIoil' .~allg qlti bout dans mes tcines,
pl'lfcicu.c ql/cfor
Bien pour moi plus
Si je puis augmenter ms IJeines,
il Il Uel:nir .
Dans la chanson incriminée ici, le libelliste rait une
allusion per'fidement généralisée.à lei accident ou incident
obscur, mal défini par la médisance, el qui stigmatise l'indi­
vidualité visée: on senl fi lr'aver's chaque couplet le désÏl'
sauvage de tuer' et d'achever' la victime D'après les témoi­
gnages l'elcvés da I\S ri nst l'ucLion, voici les pel'sonlwges
attaqués; or tOtlS les témoignages concordent à ce sujet..
« Dans le ::l e.couplet on padoit de la darne Depinelll clc c:eUc
ville cy devant ayallt l'entrepos du tabac: »
Je dois en bonne a.rimélique
Femelle critique.
Joindre nne
(l'1/n répl'Ollré.
Esprit dignc
Laissons en 1'CjJnS w Fa.mille,
La paurretle n'a pas Il'Oltr,:
1> pP/'e dout elle l'sI [a. IUle.
Dans le llC du sieul' Feuvrier' Dalnret, mal'chand de vin en
cclie "ille :
Fral/dcl/rlc sYl/dic des lI'audeu/'s
rŒUI', salis génie et sans mŒI//'
Salis
,"la /i'1mlll' IJOil COm7)l(' 111/1' tanrhc

Ses !lcux liont ceux d'un basilic
le fiel que ,ça langue épanche
"'a.il-il/a uw'gue (tIt venin magic.

Dans le 5 couplet, M. le hailly de la Juridiction est
entrepris:
..... (}rand Jocl'iste
J[em!J/,c 1I0u/'/'!I de la justice,
1'/1. gel'as licndn {Ost Olt tanl.
Les couplets G et 7 visent M. de Tréodet, sénéchal de
Daoulas: dans le 7 on lui rappelle que
Les neuf sœlti'S n'ont jamais esté
Les JJfuses de Polichinelle.
Dans la ü" strophe on lui dit, comme principal pel'sonnage
sou pçon né cl 'a voit, pet'pétré la chanson des Bema./'rlinIJs :
Petit avocat llagotin
Qui ne sçoisny gl'ec ny latin,
Tit cl'ois to njo Il /'.5 estl'e en e.rta:;c,
Tes l'imes sont dig nes dit l'orcet (i)
...... tu n'es qu'un vieu..r pelage
Rl ton Pégase est. nn bodet,
Dans les 8 eL go couplets, il est padé du sieut' de Guet'meut',
avocat à Lanucl'IIeuu, et il y e"t tl'aité en termes gaulois:
(j IL voit l'ol't bien que sa cl'i tiq ue
Est ln ?'age d'un fanatique,
D'un maniaque mal soigné,
Songc au SOl't que l1.t dois a,trend/'/!,
Si l!t n'es trantc l'ois saigné
A va.ut le 1:'5 de décemb l'e.
(l) Forceps.

Dans le 10u couplet, il est question du sieul' Mor'eall,
exempt de la Mal'échaussée de 13I'etagae, demeul'ant en cetle
ville:
Laisscrons-nous ce lém'Îer
f)!Û ne pense qu'à son gibicr,
PourlJlloi le cha.rger (['-une liste
Des ama,teul's dn bien d' aut'/'uy :
LI!.~ 'Wleul's dont -il suit la, piste
Ne sont pas sy fripons que luy.
Le 11' couplet est dressé cont!'e le sieur Rosselin, avocat,
avec une ll1'utalité outragcallte pOUl' sa l'éplltation, sa bonne
vie et mœUl'S :
Dignc sang d'une cabal'etièl'e
f)ue ]Jfercure a purgé 2 (ois,
Vis mieu:l.' et change de sistème
lié{léchis qlle suirant les 10Î.l·
Tu dois crevel' à la troisième.
Enfin le 12" couplet s'attaque à Pennanrull I.e Vaillanl,
subdélégué de l'intendant de Bl'etagne ; il Y est dit. :
Toy qui cO/'l'ige les CllOpin'es
l' rends ga.rde de rompre les titrcs .....
Sy (1) [ .... . ]1l0US (aisoit droit.. ...
Sw' le champ illlo!ls pllI'geroit
D'li IL rit l'xl ra il d' apoliquai J'·C.
~ouscon!laisson:; sulllsammenllc corps dndélit, poursuiVl'e
désol'mais l'enquête de la justice dans la recllC'rche et ln
puursuite des délinquants ; et \'oil'e même des autelll'S du
Libelle.
(1) Illisible. Le père du subdélégué était sans doute pharmacien 011
droguiste.

Les premières assignations devaient atteindre Gilles-René
Lnvcaut et la demoiselle Rodellec.
Laveaut, praticien , demelll'antchez son cousin Mo Anlhoine
Laveaut, notaire, près des Halles, n'est pas l'aulem de la
hanson: il proteste « qu' il ne s'est jamais mell é de faire des
vel'S, et quand il en sel'ait capa ble, il ne s'at'etel'oit point,à
fail'e dp. pareils libelles diffamatoires .), Il ne connaît ni
les auteurs ni les distributelll's de copies, si ce n'est la
demoiselle Hodellec qui, le 26, cher. M, de Clamorgall lui
a fourni celle su'r laquelle il a fait la sienne, dont l'exemplaire
esl SUI' la table du Conseil.
Comment s'y trouvait-elle? Me Lafonta ine de Tréodet,
avocat, demeurant en celle ville, sénéchal, celui - même
désigné dans les couplets G et 7, lui demanda celle copie,
consignée sur la lable, la première pièce matérielle
celle
acquise à l'instruction,
Hestait à entendre Mlle Hodellec, mais comme elle est
cousine germaine du bailli, celui-ci se déporle el se fait
remplacer par Me J, F, Le Vaillant de Pennarun appelé à
titre de doyen des avocalS postulants att bal'o,
Convoquée sur le champ par deux sergents, elle se refuse
de comparaître, et elle est assignée pour le lendemain, oil
elle sc décide à venir.
Marie-Anne Le Rodellec dame de Quermeur, demeurant
rue et paroisse de Ploudiry, est àgée de 27 à 28 ans,
mercredi précédent, à onze heures du
. Elle déclare que le
matin, passant sur le quai de Léon, elle trouva un papiel'
la maison du feu Sr de Tl'évéret : elle le l'amassa et
devant
constata que c'étaient des vel's Comme elle ne savait pas
l'air, elle alla chez 1\'1. de Clamorgan, et lù il s cherchèrent
l'air qu'on pounait lui donnel', C. H Laveaul, qui ll'avnillnit
chez le même M. de Clamorgan, prit la chanson et en fit une

copie. Mlle Hodellec voulut s'en emparel', mais Laveautl'efusa
il personne. Le soir même elle
pl'omettant de ne la fail'e voir
montra la copie à M. du Penhoat et refusa de la lui laisscl'.
Celui-ci répondit qu'il n'en avait pas bes0in el qu'ill'(t/joif
déjà vell au jw de bmtlles entre les maills de (;. La,;eallf.
Elle reconnaît avoir entendu parlcr de cette chanson che",
Mlle Mahé. femme du conlrôleul'. Elle consent à l'emettre la
copie qu'elle a trouvée et qui porte en the lIlie clcffqlli dénote
l'ail' de la chanson.
Elle dit que le Sr de Labbaye, mUl'chand de cetle ville, et la
demoiselle Goubin, femme du bUI'alisle des Devoirs, avoient
vu des copies, il y avoit plus de quinze JOUl'S, et ledit Lab-
baye a déclaré à la déposanto en uvoir déchil'é.
Gabl'iel François de Labbayo, négociant rue de Ploudiry
explique les propos que lui pl'êle la demoiselle Hodellec : Le
samedi précédent, vel's midi, la demoiselle passait devant sa
porte et il lui dema'nda si elle était détachée parce qu'ondisoit
l'étoit le jOl/J' précédent, à quoi ladite Hodellec l'épondit
qn'elle
qu'elle l'étoit, sans doute parce qu'on lui :woit envoyé des
sergents à cause d'une chanson qui pal'aissait dans celle
ville, et en l'instant, elle la montm au déposant qui ayant lu
le premier couplet la prévint bien que ce ne pouvait êll'o
qu'une libelle dilTant,atoil'e, et sur le champ, le lui rendîLl1ty
disant que cella eSloit rieux' pou/' il/y, et cdia pOl/ /' empêche/'
ladite Rodellec de l'engager à l'écol/te/' phls longtemps.
En signant sa déposition, la demoiselle Rodellec pl'otesta
« réservel'ce que faitesté ct se poulToit faire à son préjudice. 1)
Le 23 Novembre, seulement, elle se décida à adressel' ulle
protestation aux juges de la principauté de Lnnderne,IIl,
contre le substitut du procureur fiscal.
« Et comme il parait que ledit M' Cormaux a voulu attaquer la
« SUppl' come partie, que même par Ics iuterrogatoires quelle a ~lIlJy
« il luy a paru que l'on vouloit l'inquielter directemcnt pOUl' des
« faits
(1 ct vexntioll qui out précédé ledit exploit, ou :l sellsihlemeut fait
« connaître à tout le public p~r des façons que Ion aUl'Oit à peiue
« pOUl' des (l'ocheteUl's et autres gens de bas :lIlois, sans avoir
« aucun égnl'd pour ln qunlité ct la l13issnllCC de la supplinnte ct
« même nu mépris des loi x les plus étroitement étnblies.
« Elle ne peut gnrder le silew.:e sauf il se pourvoir pn!' les voys de
«( droit, vers qui elle verra coutre ce qui a été fnit il sou préjudice
« ct qui pourroit l'être par la suite ....
« En conséquence elle se voit obligée de requerir quilvous plaise,
«( W' faire le commandant au greffier de votre juridiction de
« délivrer il -In suppl:aute, copie du prétendu procès·verbal ct
« ordonnance mentionnés et aussy copie de l'interrogatoire.
Sa l'equête fut repoussée" estant donné qu'il était ques­
" tion d'une procédure criminelle poul'suivie d'omce dont il
u est dérendu de divulguer le secret.. n
La noble demoiselle dut l'épl'imer son dépit et savourel' le
plaisir des l'ancunes :\ assouvil'. Quelle fut au juste l'étendue
de son rôle dans cette cabale, la pal't de son intervention dans
celte vendetta poursuivie sans mel'ci ?
Etait-elle une des Bcrnardincs, et avait-elle été froissée,
comme d'autres demoiselles de Landerneau, par' les attaques
quelconques de quelques libellistes en -verve? En tous cas,
il y avait, 'chez elle, une vieille haine de famille à l'égard de
son consin germain Joseph Le Roy de Parcjean, le bailli. On
s'en rendl'a compte s'il faut en croire le témoignage suivant.
La demoiselle Mnrie Frnnçoise Le Dourguy, 45 3ns, habittlilt la
l'ue de Ploudiry, il y n trois mois, se rendant sur le pont. remarqua
la demoiselle Rodellcc dans l'entrée de la I1lnison où elle demeure,
où sc trouv:lil l'épouse de le GOllez avec Il Ile autre femme inconuue.
La demoiselle Rodellec chantait la chauson «( l'ils Iaqnins. " )) et
surtout le couplet dans lequel il y a: « Tu sems pendu tôt Ott
tard. )) Ce quy fit quelle s'arrèta ;'1 la porte d'entrée ct SUl' ce que
la llclIlO'iscllc llodellec do it hautement q- ue ce couplet regardait M.
de Parcjan Lé Roy bailly la déposante dit q'U'elie estoit indigne
de chanier ainsy des parenl,~ qlly IlLy awienl rClldn serüicc,
mais laditte Rodellec ne luy ,'épandit rien mais cependant en­
suile elle dit qlle la chanson arait été composée 7Jar ql/olns ]lfr­
~onnes qlly esloùnt ensemble sans qll'elle les nomma,
elle dit que 1/lOndit S' le bf[illy Cl ,'on pPl'e 1Ilfriloirnt
En.mile
bien 100/S cella, p'uisqll'ils estoinit des ralcun et des fripons el
qll'il,~ ne cherchaient qu'à nl1ner les r.nn;r,~ rI le,~ 1I!inellt',~, Ce
qn'flle dit en propTes termes sans aut'rem""l s'expliquer
Elle déclare de plus qlle lad. /lodellec dIt allssy qn'elle owit
enr:oyé une copie de lad, chanson ci IJresl. une olltre à LUlldiri-
ziatt et deux autres copies à Morlaix.
(néposit. du 28 Déccmbre.)
Avant que la Justice Ile fut mise cn mouvement., avallt la
première publication des Monitoires, la délictueuse chanson
se lisait à ln dérobée, se colportait dans l'ombre: on savait
bien qu'il y avait quelque chose, qu'il y avait des confidences
et des confidents, mais tout restait. mystérieux, clandestin.
Quand yint l'instruction, la chanson fut semée plus que
jamais sur les mes et dans les caITefol1rs. et la Dllc Chapelain,
direcll'ice de la poste, n'était plus la seule fi la trouyel' dans la
boite aux lettres, sans indication de provenance et d'adresse,
Les premiers détenteul's et propagatems du libelle, ce sont
précisément ceux que ce libelle attaque si grossièl'ement:
ils mettent eux-mêmes les noms SOIIS la cal'icature qui les
difTame, afin que nul n'en ignol'e, _
C'est le t:as de 1\10 Rosselin de Rosengroas, avocatà la cour,
auquel est consacré le l1 couplet, ct sa femme de chal'ge
nous le montre, à bonne enseigne, sans doute,
Jeanne Kervella femme de Louis Qllilien, l'lle tle Ploudiry, gou­
alors de M' Malo Joseph de Rosselin S' de Rosengron s,
vernante
avocat en la cour, chez lequel se trouvallt, tost après ln Saiut­
~Iichel, ln demoi se lle Marie-Frnl1çoise Ederll épouse du S' Pierre
Gonez, près des hnlles, dit au S' Rosse lill eu préspuce de la dépo­
s3nte « que l:a1Llwl' de la chanson « Vils ('aquins » éloit ceilly qui

(lvoit compose une alL/re chan.çon fOl/chant une autre demoiselle
de I.csneOfn ql~'elle nomma mais du lIom de laquelle la dérJOsnnlc
ne se souvient plus.
Sur quoi le S' Ro~gelin voulut se faire dire le nom de l';llIlC'ur
qu'elle paraissait .~aDOir pa,!' seg t1is onr.ç. Elle se retira S:111" le
vouloil' dire. Et peu de temfls apl'ès étant rl:'tournée ayant vu sortir
lecl. sr de Rosellgro3s, la dépo~allie luy dit en ces It.'rmrs: pOllr
qnoy 3vé~-VOlIS fail entendre à M' Ros~elill que VOliS saviés le 110m
de l'allieur de la ch 3 Il SC: Il , excité son ellvie il Cil ~3voir le Il a III ,
vous deviés hien vons t:lire lil dessus, ;\ quoy lad. Le Gonez
répondit que 13d. sr Rosse/in etoit tl'OP ind.iscret pour qu'elle luy
eut révélé le 710m de l'altle1l1' de lad. chanson, n'y aucun (luIre
.Ieaet. - et qlL'au sur plus elle ne nouloit pa.ç fain de peine à.
une si (J1'ande famille. )l
Ce ne sont pas des gens de Landel'neau qui soutles mieux
au COlll'allt: N. H. Bonaventure du Thoya, négociant en gros,
rue Saint-Houal'don, ne dissimule pas qu'il a entendu chan­
ter (( VUs laqnins JJ pat' plusieul's pel'sonnes, dout le nom
lui échappe excepté celui du sieur HOl/joll à, présent entrepo­
seul' dcs tabac.5 à Landerneau: un nouvel arl'i\'é a!ors, qui ftt .
souche d'illustrations Landernéennes. (Consulter le~ diction-
naires de biographie.)
. Demoiselle !Ilarie Gonsmonl dame de Tréonrr.t, 41 :ms, salis pro-
fession, " vivnlll de ses rentes )1, il v nvnit 5 011 G gemnille~ nvnit
entendu cll:lllter « VÎ1.~ faqllins ...• , pnr le sieul' de GonsalJl11 de
Kerop:lrs ct CC en la mnÎson de JI. dIt Penhoat, gO/ttie1'nCltr de
celte ville (28 Novembre).
Or M. du Penhoat de Kerguvelen, s'il raut en croil'e cc qlle
rapporte messire J. F. Clonl'ec, curé de Saint-Houfll'ùon,
était désigné dans lu chanson: il est vrai qu'il est le seul fi \e
dire el à y tI'ouver UI1f~ allusion le concernant.
Toutefois si Ecuyel' Hierome ùe Goazahal en a \llle copie,
. c'est qu'il la lient d'ull éll'angel' : « du Sr Allé!Ji( gcndamw
d'Anjou, en 'ltw:/'{Ù' /. dans cefl!'. ville JJ.

Autre Ecuyer J. F. Louis Léon, Sr de Trévéret, après la
publication des Monitoires, entendit chanter la pièce en
question (( wr les - rues de Brest )J. Du reste, il est établi que
des copies en étaient expédiées directement de Rennes à
Brest et qu'elles étaient connues dans le COI'pS des officiel's
royale. Mlle Hodellec se vante d'en avoir expédié
de la Marine
des exemplail'es à Brest, Landivisiau et Morlaix. On n'avait
pu oublier Lesneven, sans doute, où résidait, ou dont était
ol'igillail'e, la Dlle d'Epineul, femme de l'ancien enlt'cposeUl'
des tabacs, et visée dans un couplet d'une cruauté sanglante
(3 couplet).
l\Ie Pierre-Auguste Dumoulin, notaire et procureur, délivre
une copie de ce pamphlet à la Dile Pohon, du Conquet,
paroisse de PIOUgOIl velin _ Louis-Guillaume Barthélémy,
notaire et procureur au Faou, paroisse de Roslochan, soupant
sieUI' Feuvriel' Lassaigne, pl:it une copie de la chanson
chez le
(( WliS dcvl'iés vous taire poètes insensés, SOllS Le dictamen de
la ])Ile Feuvl'iel' )).
Le centre de la propagande scmble chez Mahé le
contrôleur, et chez l'orfè.vre Feu nier Lassaigne, où on
retrouve cab~lant avec beaucoup d'exaltation sa belle-sœur,
la Dlle Even, Laveau, marchand, son pensionnail'e, et le sieur
Bernal'd, cy dewnt /'ccevclI r des dewi1's à Landerneau.
Les Sel'yantes domestiques sont envoyées de l'une en l'autre
maison cherchel' ou demander des copies du libelle, si bien
que ces braves filles surpl'ises se demandent mutuellement
(( de quelle chm/son 'il y aroit tant de ?'echerche ! ))
Jcauuc Le Sium, dévideusc daus la rue Pcnnauycru, uue huitaine
de jours avaut la Saint-Michel étant allé daus la maisou où cst
décédé le {eu S' Duclos Legl'is, elle cUleudit la 0'" Tan[J1'é de
Ke'reba1'S, nièce de la 0'" vcuv/! dlldit sr Duclos, chautcr les
couplets: « l'ils (l1qllill.~ ... », saus qu'ellc
snchc autrc chose.
(28 nov.)

Si la O"e Tangrède Kerebal's était la même que Dlle Bonne \
I.ouise Tancl'ct, Jeanne Le Stum reçut un démellti qui t.émoi­
gnait que tout au moins sa religion avait dé sUl'pl'ise et sa
mémoil'e défaillante et que celle discl'èle demoiselle n'avait
jamais mis le nez hOl's de sa 10lll' dïvoil'e
D"' Bonne-Louise Taucret.,23 ans, R, de Saillt-Hollill'dou, d 'alll'(~S
sa dépositiou, «( u'a aucune conuaissance des f;liIS, des :llItenrs, des
clIansons: qI/elle n'a)(l'/)wis rtÎ" ltî, clutnlé, ny OU!) chanter, nu
lJersonne q1ti eut tn'i, Lü, clwnté on (J/ly cltl/,nte1' crUe chanson,
Oéclnre Il':l\'oil' rien il ajonler ou il dilllillllel', (Déposil. du
10 janvier L732),
Tout le monde n'en pouvait dire autant fi Landel'Oeau, cal'
si tout le monde n'appl'ouvait pas celle pièce difTamatoil'e,
toull e illollde cOllntlissa it quelque personne qui, du moills,
l'etH elllendu chanter,
La 0"" Even, belle-sœur du contl'ûleul' Mahé, el les Las­
saigne Feu\'I'ier ont lt'empé dans le complut: tout le monde
le pensait, quelques-uns le disaient: toutefois, ils Il e furent pas
assignés, pas plus que la dil'ectl'ice de la poste allx 10Lll'('s,
pas plus que le sieul' Mahé, Voici li Ile déposilion du 2D Il)VOI\1-
bre qui semble assez explicite sur le l'ôle que la lJU. Even,
la Bernardine, avait joué:
sr des P:lrts, IrInrclwltd-
La 0"' Eliznheth Pépin, épouse du
négociant, près de la Pompe (33 ans), vers ln filt de sûptCIlI hrc,
entendit la bl'lIe-sœlll' du sieur Mnhé le contrôleur, c'est-il-dire ln
0"' Er;en luy dire qu'elle arait. une copie de la chanson '11/'elle
chantero'il et. donnerait d'au,tres copies ci lontes lJe1'sonnes qui le
souhaiterait lout comme l'on aw"it. (ait 1Jour le,~ chansons (/a'/l'
laquelle on l'ar;oit COmlJ1'ise,
On convoqua, en l'evanche, les jeunes C!e I,(;S de pl'OCU­
rems: Sébastien Pi)'ioll, Afichel ftfiorscc: Jean-Marie Le Miré,
DnpC1'/'é-Fara1/(l {lIs: songeant qu'avec un peu d'habileté on

aurait réussi à en obtenir des déclarations compromettantes
, et probantes contre les auteurs et propagateUl's de la fameuse
chanson,
On s'acharna surtout il presser d'interrogatoires répétés
1"10 Félix Thérin, maître de musique, l'Ue de Saint-Houardon,
âgé de 22 ans, ainsi que' sa femme Catherine Souben, Ils
étaient jeunes, répandus dans le public, les chansons étaient
de leur métier et il était de leur compétence de meltt'e des
cantilènes sur leurs pieds, en leur adaptant sur commande
des airs faciles autant qu'agréables: donc suspectés,
Une excellente amie, la Dilo Goubin, voyant une copie du
libelle entre les mains de Catherine Souben, l'avait bien
avertie charitablement, lui recommandant ff de ne la montrer
à. personne de 1Je1t'l' qu'il ne lu'Ï arrive quelque fl1chellx événe­
ment )), Thérin avait dù apporter quelque prudence dans
celle occasion: il protesta obstinément que sa mémoire était
excellente et qu'en deux lectures des treize couplets ils les
avait retenus excellemment, sans qu'il eut besoin d'en avoir
une copie, Sa déposition, en tou t cas, n'apportait pas un
concout'S appréciable à l'enquête de la justice,

La question des auteut's, ou de l'auteur de cette chanson
fameuse, dans tous les sens que les anciens donnaient au
motlamoS11s, n'est pas un problême d'histoire littét'aire qui
puisse préoccupet' un liUét'ateur, étant donné le peu
de valeut' intrinsèque de cette production. La même
question, d'autre pat't, ne prête pas il passion ou passion­
nantes investigations pour l'historien: contentons-nous de
comptet'les coups et de relever les déclarations et supposi­
tions judiciairement déclarées sur les auteurs possibles,
probables ou soupçonnés dE: ce document qui suscita tant de
troubles et de tempêtes,

Claude Le Roy, M' vitrier, 23 ailS, dem' près des I:alles, vit, le 29
septembre, beaucoup de monde il la porte de l'Auùitoire : étouné il
demanda au sieur ùe Coatglas Hr,cuec la raison de cette affiuence,
il lui répondit qu'on allait iuterroger la DI" Rodellec au sujet de
quelque nouvelle chanson faite contre dilTérents habitants de la
ville mais qu'on ne pourroit sans peine en décolwrir les aUlheurs,
(Déposit. 28 décembre).
On verra que quelques semaines plus tal'd Coatgllls­
Hacbec avait changé d'avis et que, gl'âce à lui surtout, on
attribua la chanson au sieur de Kel'savet, avocat au pal·lement.
Gilles Gardin, commis au contrôle, a entendu la demoiselle de
Lassaigne l'euvrier dire par (orme de 1'aillerie que le sieur Canéüet,
reCletlr de La Forest, avoit dit que le sieur Cor(n, prètre-wré de la
trève de Trémaotlézan, et le sieur de Kerjean, Ctlré de Bwzit-
Cimogan, étoient les auteurs de ladite chanson
(Déposit. du 28 novembre).

C'était une grosse et mauvaise plaisanterie à la femme
Lassaigne Feuvriel' de faire endosser au recteur de La Forêt
un propos qu'il n'avait pas songé à teniI'o 0 : il cette époque !'on
mari travaillait pour l'église de La Forêt en qualité d'orfèv/'e :
le tl"avail était médioc!'e ou le prix trop élevé, le recteu!' s'en
plaignit, Feuvrier s'emporta, insulta Mr. Canévet dans le
cimetière, ct en 1732, l'affaire était pendante devant la juri­
diction de Landerneau. La D"e Feuvrier usait de raillerie et
voulait faire un comble, soit que les deux curés Kerjean et
Corfa fussent, de notoriété générale, des brebis du ûon Dieu
incapables de chercher noise à qui que ce soit; ou des
par dessus tout les affaires, ou
timides el des cloaintifs évitant
bien des gens prosaïques au vu et au su de tout le monde,
incapables de taquiner la muse et de rimer quoi que ce fut.
Nous trouvons, à la date du 28 décembre.' une déposition
ou disons mieux une accusatiou très grave conh'e la personne
la plus compromise dans l'affaire : Mlle Rodellec.

0'" Marie-Mntl.lIl'ine OU(llessix face, 21 nns, (emme de cha1llb,'e
chez M. du Penhoat, dépose :
Quelques jours :JV(lOt ln [lublication des Monitoires, le S' Goas:lbat
él:1II1 chez M, du l'enhoat de Kergllvelen, gouvernenr de cette ville,
Ilit hautement eu sa présence et celle de ~I'" Tréyéret de Goasmoal
la chanson « Vils (aquin,~ » t't dit que c'était une nouvelle chanson
qui awit été laite pm' le nommé Bardin et qu'ainsy on le Illy
al'Ilil dit ,.
Aussy quelques jours avant la publication des Monitoires le S'
Cou/gIn;:; Hacbee Illy dit que l'on racontnit que la D'" Roclellee et le
S' Cm'clin, frère de la 0'" l'Clive Prigent, avaient composé ladite
ehanlion. et que, jusques ee qu'elle (ut finie, ladite D'" Rodellec,
quy e,~t de cetle l'ille, cOl/chait /OIIS les soirs chez ladilte 0'" l'l'i-
gent où, {ed, S' Cardin demeure . (Déposil. du 28 décembr~).
C'était désigner clairement la complicité de Gal'din dans
la perpétration du complot.
Or, Georges-lIIarie Hachee, 27 nns, aide· pilote, dit qu'nu jour
férié avant les Monitoires, son frère M' Jean Urbain manda an sr
Gardin en (orme de raillerie dans ces termes: (( C'est donc YOllS
qui avez fait la chanson dont on parle tant, cOlllme tont le monde '
le dit )), A quoy le sr Gardin répondit: (1 Je n'ay point assez d'es­
prit pOlir avoir fail cette chamon. Je ne suis point poële .,
Si le sieur Gal'din, du moins, y était pOUl' quelque part,
il dut être gêné par cette interpellation el dut tl'ouvel' la
l'aillerie amère en dépit de ses dénégations.
Messire Pierre Fily, 32 ans, prêtre de S:lÎnt-Hou:lrdou, dépose que,
quinze jours avant les Monitoires, le S· Tréverel Léon lui fit :lvoir
ulle copie de la chanson ct lui désigna leg personnages qui y était
visés Il luy dit que l'on disait que le 'flammé Bardon (?), origi­
naire de Quimper, demwrant d llennes, estait l'autwr de celle
chanson De plus, il tient des sieurs Hacbec ct Kerarel Cabon, Il',
qlt'i{~ aroient entendu à B1'est que le sie111' de Ke1'saret Bernard,
adtOcat de la ville cle Rennes, estait lhoteur de lad. chanson
(Déposil. du 24 décembre),

M' Jean-Urbain Hacbec, notaire ct procureur, 28 ans, d:ms le
mois de sepembre, avait entendu parlCl' de ln chnnson « vils
(aquins ", mnis il ne s'embnrra~sn pa~ de pnreilles choses,
mais un lundi, vers ln Illy octobre, étant il Brest chez le S' de
Kerdriioret-Sénéchal, marchand de celle ville, le sr de Pennangller
Le Sénéchal advocat à Brest luy dit en présence de M' de ChelTdeville,
advocat, et les S· et DU, de I\erdréoret, les I)U" ses nièces, la DU'
cpouze du déposant et la DU. Lanuzel de ln ville de Landerneau,
luy dit qu'on ne devoit point s'embarasser à l.andernealL de sawir
qny etoit l'hotent' de la chanson «( Vils faquins)) qu'elle alJOit été
(aite par le sr de Kersavet advocat qui ne s' embarassoit pa ,~ cella,
- et quy avoit chansonné tout le Parlement sur quoy le déposant
ay3Dt dit qu'il n'y aT'oit pas daparance qu'elle elU été (aite à
llennes, led. sr de Pennang'ller lny assura qu'il n'y avoit rien
de plus cM'tain puisqn'il avoit V'lt la lettre qui marquoit l'envoy
de la chanson de Rennes en ce pa'is, et que cette let/re portoit que
le même autheur {croit nOlLvelles chansons si celle là n'etait pas
, suffisante,
Le lendemain le S' de Pennangller Illy fit voir copie de l3d,
chanson qu'il chanta en deux airs différents et luy désign3 les
personnes qu'ou disoit qu'on y paI'loit; .... que dans le 3' couplet
S' de Penu:lDguer luy dit qu'on y pnrloi t de ln DU' Oalnvet
led.
Feuvrier, dans le 4', elc., (Oéposit. du 3 décembre). La déposition de
D'" Claude Le Bris, femme d'Hacbec, confirme cc qui précède et
atteste la fidélité de ses souvenirs, (Oépogit. du 24 décembre),
Au diner chez le sr de Kerdréoret, il Brest, 0'" Marie-l rançoise
Le Bris, épouse de M, G. René Lannuzel, négociant, rue de la
Rive, nvec sa sœur, la 0'" Hncbec ct son mari, se rappelle que le
sr de Pennanguer se mit il dire que les chansons en question
estoient (ailes pa']' un AJonsieur de Rennes dont elle se souvient
]Jas d1t nom, qu'i (ut prononcé, que ce Afonsiw1' de Rennes awit
dit que si on n'était pas content il en {et"oit d'autres,
Vincent Le Sénéchal, sr de Kerdréoret, O1nrchand de soye,
parOisse Snint-Louis à Brest, 64 ans, ne dément pas le rnpport
d'Hncbec, déclare que c'est probable, mnis qu'il n'n souvennnce de
cc qui est arrivé , (Oéposit. du 22 janvier 1732). Sa femme u'a pns
eutendu le S· de pennanguer nommer l'ameur. Le sr Jenn-Jacques

Le Sénéchal, S' de penuanguer, 32 ans, a entendu il y a tl'ois il
f111:l1I"e mois ch:luter par plusieurs personnes la chanson de « Vils
faquins», rt notamment par dtUX officiers du Iloy au Port de
IJrest, .II" de Coat,çailtant et M1trinwll,
Quelque;; temps après, il din:l chez le Sieur Sénéchal avec Gillart,
:lvocat et autres, et M' Hacbec ; et celui-ci ayant amené la convet'­
sation sur la chanson qui faisait gralul bruit d Landerneau, le
déposant répondit qu'il n'y avait pas très longtemps qu'étant dans
l'auditoire de Brest en compagnie de plusieurs autres, un certain
de 13 comp3gnie dont il ne se rapl)elle pas le nom dit qn'il avait
vu une lettre écrite de Rennes dans laQnelle on marquoit que l'ou
le S' de Kers3vet, avocat au Parlement, avoit été l'auteur
croyoit que
de la chnnsou, ce qui donna lieu nud, déposant de dire au sieur
Hacbec qu'il alJoit ti'l'l et en/endû chanter lacl. chanson et qtl,'elle
l"elisembloit pour le stile satirique d une autre chanson qIL'il
atioit entendtl chanter lor'sqn'il étoit à Rennes et que l'on disait
acoi1' été composée par le sr Kersaüel, Qu'au cas même où le sr
Ket'savet serait l'auteur de lad. chanson « Vils faquins.)), il falloit
néce.siai1'ement q1te qu'mL se fut chargé du soin de luy donnet'
des mémoires, (Déposit. du 22 janvier 1732),
M' Hervé-Gabriel Gillart, avocat à la Cour ct procureur du Roy
de la prévosté de la marine, à Brest, 60 am, déclare qu'en septem1Jre
ou octohre, mangeant chez le S' de Kcrdréoret, on parla de quclques
chansons contre M" les juges de Landerneau. II se sOllvicnt que
la pièce était du S' de Kersa­
pennauguér disait avoir entendu que
yet, avocat ou procureur, 1l c1'oit se 1'appe:er q1t'il s'agissoit du
(ils qu.i éloit un faisettr de chansons.
Le dimallche dernier (donc avant le 26 janvier), à une assemblée
paroissiale and. Brest, côté de Recouvrnnce, 3yant été dîner chez
M, le rccteur ou estoit M, le sénéchnl du Chastel et les deux M" Car­
quel frères et avocats, qltelqt~'tm qui savait que le déposant awit
été assiyné et que c'étoit pour une chamon dit qu'elle pouvoit
être du :;tile du sieur Dtt Val Ecrioain au, l"rézo1' d B1'est, 11arce
qu'il (ait souoent des chamons, Qui tint ce propos? Il ne s'eu
SOUvlCnt pas.
Hacbec le déclare, le 29 septembl'e, u on
Hésumons, -

ne pourroit sans peine découvrir les auteurs de la chanson ».
, Ce pendant, on accuse un sieu1' Gm'din, frère de la veuve
Prigent, de l'avoir faite en composition avec la Olle RodelIec,
On soupçonne Bardin. On accuse un nommé Bat'don, origi­
nail'e de Quimper et demeurant à Hennes. Puis, la piste
semble changer: la pièce vient bien de Hennes, mais elle est
de Kersavet Bernard, avocat au parlement. On a vu la lettre .
d'envoi de la ville de Hennes: Pennanguer, sénéchal à Brest,
connaissait Kel'savet qui avait chansonné t01tt le parleme:nt:
Hacbec met en avant, Pennanguer Sénéchal: sa déposition
n'est pas si affirmat.ive : la cha,nson ressemblait pour le stile
sati'l'iq1w à une a1~t,,.e chanson qu'il avait entendtAt chante?'
lO'rsq1t'il était à Rennes ..... (( Olle l'on disait avoir été com­
posé pm' le siew' Kel'savet ?)i (1)
Puis, le procureur du Hoi à la prévÔté de la Marine à Brest
intervient: il a bien entendu Pennanguer rapporter par ouï
dil'e que· la pièce était de Kersavet, avocat ou procureur,
mais rr 'il c1'oit se 1'appelel' q1t'il 5' agissoit d1t fils qtÛ était un
faisCtl1' de chansons ? )i •
Mais rien n'est moins prouvé: • On disait que la chanson
« pouvait être du stile du sieur Du Val Ecrivain au Trézor à
« Brest parcequ'il rait sou.vent des chansons )i.
Bardin, Bardon, Gardin, Km'savet, père 011 fils, Duval:
voilà les suspects. Rien ne pl'ouve, semble-t-il, qu'aucun de
ces personnages ne fut le coupable.

Cambry, d'après les uns, Alexandl'e Duval par sa comédie
des Héritiers, d'après les autres, aurait Cait la fortune de cette
proverbiale: (( Il Y au1'a du In'uit dans Lande'/'­
expl'ession
neau ii. Ils n'auraient, toutefois, fait que pousser dans le
(1) Faisant, sans doute, son cours de droit.
BULLETIN ARCIlÉOL. DU FINISTÈRE . - TOME XXVIII (MémOires). 8

monde cette expression qlli avait déjà un certain âge et
devait justifier de longues années de tradition.
Il nous semble que cette affaire des chansons, en 1731, n'a
pas dù nuire à la divulgation de ce proverbe, si même il ne
l'a pas fixé et consacré.
Le lecteur est à même d'appl'écier : on avait remué assez
de passions, de réquisitions et de procédures, pour que l'on
put dire, vers 1731, qu'il y avait (( dit bntit dans Lande1'1uan }),
et ce n"etalt pas sans raIson.
Quimper, 25 Mars 190t.