Responsive image
 

Bulletin SAF 1900


Télécharger le bulletin 1900

Notes sur Fréron (fin). La famille Royou

J. Trévédy

Avertissement : ce texte provient d'une reconnaissance optique de caractères (OCR). Il n'y a pas de mise en page et les erreurs de reconnaissance sont fréquentes


XVIII.
NOTES SUR FRÉRON

La Famille Hoyon.
Il y 'avait à Quimper, dans le proche voisinage des Fréron
et dans la paroisse de la Chandeleur, une famille Royou dont
il nous faut parler. Elle était unie d'amitié avec la famille
Fréron; elle allait contracter avec elle une double alliance et
aujourd'hui des descendants de Fréron sont en .même temps ·
descendants des Royou.
Guillaume Royou, SI' dePenquelen, n'était pas né à Quim­
per. Si je suis bien informé, il était originaire de Pont-l'Abbé.
Il était très jeune, lorsque, le 12 septembre 1707 (la Chande­
leur), il épousa Marie Legendre, veuve de Louis Ozanne,maitre­
maréchal. Son acte de mariage le signale comme praticien;
un peu après, iJ devint procureur et notaire de la juridiction
des regaires (1708-'1710) ('1), plus tard greffier des regaires
·et de l'officialité de Cornouaille (t7'13-1737). Enfin, en 17aO, il
figure à la capitation roturière~ avec le titre d'expert. (2) .
Dès son début, Guillaume Royou avait d'honorables sym-
pathies. Mrs de Gouandour, de Coëtlosquet, de Moëllien, Le
Saulx, sgl' du Loch, des premiers dans l'aristocratie de Quim­
per, ne dédaignèrent pas de signer au pied de l'acte de mariage
du jeune praticien. .
Mme Roy6u avait quarante ans bien sonnés. Mariée une
première fois, vingt ans auparavant, elle avait eu plusieurs
enfants: elle allait en donner quatre 'à son second mari.
Cette union, qui semblait un peu disproportionnée, fuf
cependant heureuse. Les meilleures relations s'établirent
entre les enfants des deux mariages de Marie Legendre ;
et cette bonne entente persista après la mott de la mère: ·la ·

(1) Actes de baptêmes de ses enfants. . . -' ""::;>; ;":
(2) Ce qui ne veut pas dire qu'il n'exerçât pas encore les autres-fonè'tioflS'- '·

preuve c'est que les enfants de M. Royou mariés à leur tour
appelèrent souvent leurs frères utérins comme parrains de leurs
enfants.
La dame Royou mourut le 29 mai 1744, à quatre-vingts ans;
et, moins de deux ans après, Royou se remaria avec Jeanne
Favennec, veuve Poher ; il n'en eut pas d'enfants, et elle
mourut, âgée de cinquante ans, le 22 décembre n52 (la Chan­
deleur). Son mari paraît avoir survécu longtemps. ('1)
Les quatre fils de Guillaume RQYou ont été baptisés à la
Chandeleur; ce son t : .

1 Louis-Michel, né le 6 août '1708. Il eut pour lJarrain
Louis Tanniou,conseiller au présidial, et pour marraine ( Dlle
Marie Le Saulx, fille de M. du Loch, )) c'est-à-dire de M, Le
Saulx, sgr du Loch, colonel de Quimper (2). Nous ne trouvons
plus trace de Louis-Michel et nous présumons qu'il est mort
jeune. (3)
2 Charles-Alain, né le 6 mars 1710. Il eut pour parrain
Louis Lozach, sr de Grandpré, procureur a u présidial, et pour
marraine Marie Le Cardinal, « compagne du sr Quénéhervé,
marchand)).!l entra dans les Ordres; en 1737,il était bachelier
. de Sorbonne et recteur de la paroisse de Trébrivan, près de
Carhaix (,le). Cinquante ans après, il tenait encore sa cure: en
J7;)7, lors de la fondation de la Société d'agt'icttlture de
Bretagne, il fut des premiers associés choisis par les États;
,il eut pour collègue M. de Silguy fils, bientôt sénéchal ,de
Cornouaille, dont nous parlerons. Nous le -retrouverons plus
(1) On trouve sa signature au pied de plusieurs actes paroissiaux; mais
je n'ai pu retrouver sou acte de sépulture.
(2) Colonel de la milice bourgeoise. Il mourut à Quimper (la Chandeleur,
28 mars 1714). Le Loch, manoir en la paroisse_de Kedeunteun .

(3) Du moins n'a-t-il pas laissé de descendance: il n'est pas l'eprésent6 au
padnge de la succession de son frère qui suit ( IG aVl'il 1788).
('1) Trébl'ivan, aujoul'd'hui commune .du canton de Maël-Carhaix, unon­
dissement de Guingamp (Côtes-du-Nord). Olivier Correl, père de La Toul'­
, d'Auvergne-Conet, était sénéchal de Tl'ébrivan.

tard mariant ses frères et baptisant leurs enfants. C'était
un homme aimable et bon, si l'on en juge par Fréron qui ]e
nommait (c le charmant recteur,· notre bien cher et très
aimable recteur» et q4i voulait être marié par lui (1). Il mourut
à Trébrivan le 'JO février 1788 (2).
3 Jacques-Corentin-Guillaume,baptisé le 2t) novembre 17H~,
qui, en épousant Catherine-Louise Campion, allait devenir ]e
cousin de Fréron. Nous reviendrons à lui tout à l'heure.
4 Yves-Marie-Guillaume, né le 29 novembre 1713. Il eut
pour parrain Yves Royou, clerc tonsuré, frère de son père, et
pour marraine Marie Ozanne, née du premier mariage ~e sa
mère. Il fut reçu avocat au parlement. Après 1740, "il devint
procureur du roi de la maréchaussée à Quimper ;en même
temps il exerçait la plaidoirie. Il avait épousé Marie-Jeanne
Croze, d'une honnête famille de Quimper, « charmante )) pèr­
sonne, au dire de Fréron (3). Yves Royou moins âgé.de quatre
ans que Fréron, était son intime ami. (4)
Nous verrons Fréron s'occuper activerrien t du placement de
ses fils (1)). Dans la même lettre, Fréron, essayant d'obtenir de
son ami l'obéissance que son médecin n'obtient pas, le gronde
doucement de trop ·travailler; et seize jours plus tard (le 28
juillet), Yves Royou mourait à Quimper.
C'était à cette époque un usage d'ajouter un nom de terre
au nom patronymique pour se distinguer enJre frères (6).
C'est ainsi que Yves Royou, ayant hérité une métairie nommée ·
(1) Lettres des 12 juillet et 20 août 1766 (p. '24 et 69).
(2) Partage du 16 avril 1788 .
(3) IlIa nomme « la charmante Kerliezec ». Lettre du 13 septembre 1766,
p. 70. Nous allons expliquer ce nom de Kerliezec.
(4) Sans doute camarade de collège, bien que Fréron en lui écrivant ne
le tutoie pas. .

(5) Lettre du 12 juillet 1766 (p. 21-27).
(6) Et aussi comme aujourd'hui pour se donner l'apparence de la noblesse
et essayer de s'en rapprocher; mais les Royou n'eurent pas ce travers .

Kerliezec (1), s'empressa d'en prendre ]e nom; de même que
son frère Jacques prenait celui de Penanreun d'une métairie
noble touchant le bourg de Kerfeunteun, près de Quimper. (2)
Ce nom dè · Kerliezec, employé seul par Fréron dans sa
correspondance de 1766, a c~usé plus d'une méprise. C'est
ainsi que M. du Chatellier prend « M. de Kerliezec )) pour le
beau-=frère de M. Royou-Penanreun (3). Le même auteur,
à propos de Kerliezec, a commis une autre méprise. Il le croit
cousin de Fréron. La vérité "est qu'il n'y avait aucune parenté
entre eux; mais Une extrême intimité datant de l'enfance.
C'est ce qu'exprime plusieurs fois Fréron et de ]a façon la
plus claire. (4) .
Je reviens à Jacques-Corentin Royou de Penanreun.
Né en 1712, il avait vingt-cinq ans en 1737. Le 21 jan­
vier de cette année, il épousa Catherine-Louise Campion,
nièce propre de la mère de Fréron et cousine germaine de
celui-ci. Le mariage fut célébré par Charles-Alain, frère aîné
du marié, bachelier de Sorbonne et recteur de Trébrivan. Les

deux époux étaient ' assez proches parents puisqu'il leur fallût
une dispense (0).
Née; comme nous l'avons vu, le 21 septembre 1721 (6),
, (1) Kerliezec, (commune de perguet, canton de Fouesnan t). Yves Royou
avait acquis (paroisse de Saint-Evarzec, même~ canton), le IR mai 1756,
le lieurtoble de Kerhuel, sous la seigneurie du Mu!', appartenant à messire
de Montbourcher, marquis du Bordage. Il soutint cl propos d'un droit sei­
gneurial un procès dont nous ne voyons pas la suite. Kerhuel appartient
encore à la descendance d'Yves Royou.
(2) Bail de 1760. Registre de l'enregistrement.
(3) Coll. p. 2.7. Cette erreur aétérépétée notamment pal' M. SOUl'Y, p.107 .
(4·) Lettre à Kerliezec, 12 juillet 1766. Dans une leUre à Jacques Royou,
du 9 aoùt, il dit (p. 27) : « Je partage bien virement, mon cher cousin
« (cousin .par son mariage avec Louise Campion), la douleur que vous res­
« sentez de la perte de votre pauvre frère, mon bon et excellent ami. ... »,
etc., etc. ' .
(5) L'absence d'actes ne me permet pas de sayoir comment s'établissait
cette parenté.

(6) Ci-dessus, page 195 ..

MmeRoyou avaitseizeans à peine. Deux ans après son mariage,
à son mari un fils qu'allaient suivre douze autres
elle donna
Il en restera huit en -1788 lors du partage fait après
enfants.
la mort de l'oncle curé de Trébrivan.
Bien que continuant à résider à Quimper (la Chandeleur) •

Jacques Royou devint( de 1745 à 1748) «( greffier des sièges royaux
de Carhaix » (J). En 1750, il était adjudicataire des deniers
pour la somme. de 12,300 livres (2). En 17tj2, il prend
d'octroi
la première fois le titre de greffier du présidial; après
pour
1756, il devint procureur fiscal de la baronnie de Pont-l'Abbé;
et, en cette qualité il alla prendl'e résidence au château de
Pont-l'Abbé que 1\<1re d'Ernothon, fils puîné de } "acquéreur du
marquis de Richelieu, venait de faire réparer (3). C'est là que
sont nés les deux derniers enfants de M. et Mme Royou.
Avant 1766, M. Royou avait ajouté au . titre de procureur
de « subdélégué de Mgr l'Intendant». Il se démit des
tiscalcelui
fonctions de procureur fiscal, vers 1775, en faveur de son fils
Jacques-Corentin. Celui-ci prit sa place au château, pe~dant
que son père se retirait en ville. Enfin, probablement après
il s'occupa de négoce (4).
avoir quitté ses fonctions judiciaires,
(1) C'est à dire, je crois, du siège royal (sénéch,ausséel de Carhaix, auquel
uni le siège royal de Duault (aujourd'hui commune du canton de
était
Callac, arrondissement de Guingamp, (Côtes-du-Nord) .
de quatre seigneuries et justices royales, nommées
. Carhaix était entouré
dans l'édit des présidiaux (mars i5:i'2 n. s.), savoir: Duault, Le Huelgoat,
de Châteaubriant (octob. 1565),
Landeleau et Châteauneuf-du-Faou .. L'édit
unit ees quatre sièges à celui cie Carhaix. - Mais, au siècle suivant,
avec Landeleau et Le Huelgoat: en sorte que
Châteauneuf fut rétabli
Duault resta seul uni à Carhaix .
(2) Compte du miseur Antoine Oenier (1750-1751).
(3) On peut encore voir aux archives du Finistère les plans de restaura­
du château que M. d'Ernothon habitait en 1732.
tion
Il s'agit ici de J ean-Théoph ile qui rendit aveu au Roi en 1 i32 : il prend
les titres de mestre de camp d'infanterie, chevalier de Saint-Louis, baron
de Pont-l'Abbé, vicomte de Coëtmeur et héritier de son père Fl'ançois-Joseph,
du Roi en tous ses conseils, maître des requêtes de son hôtel, et •
conseiller
de son frère aîné François-Joseph, conseiller au parlement de Bretagne.
(1) Acte de partage de 1789 « subdélégué ... et négociant à Pont-\' Abbé »

Il mourut à Pont-l'Abbé, le 30 janvier 178a, à 73 ans. Le
lendemain, il fut inhumé dans l'église des Carmes, aujourd'hui
église paroissiale.
Quelque temps après, un voyageur passant à Quimper écri­
vait à sa femme : « Je' t'apprends que M. Penanreun est
mort et a laissé une assez bonne fortune; aussi était-il très
appliqué à ses affaires et très économe ('1) ».
Nous verrons Catherine Campion survivre longtemps à son
mari (2).
Des treize enfants de M. et Mme Royou cinq allaient mourir
sans postérité avant le mois d'avril 1788 ; et même, selon
toute apparence, il ne restait vivants, dès l'année 176a, que les
huit autres: quatre fils et quatre filles.
. Les fils étaient :
'1 Guillaume, l'aîné de toute la famille, né le 22 février 1739;
dont le nom est, je crois, signalé pour la première fois.
2 Thomas-Marie (3 enfant), né le 1a juin '1743 (3) connu
s~s le nom de l'abbé Royou, que Fréron appela jeune à Paris,
et qui fut son collaborateur puis son continuateur à l'Ânnee
littéraire. .

3 Jacques-Corentin (7 enfant), né le 2 mars 1749, qui a .
. laissé un nom comme historien. Il allait devenir gendre de
Fréron et perpétuer sa descendance (4).
(1) Voyage de Cherbourg à Quimper. 1785. Lettre du 5 mai. Ces lettres
publiées sous le nom de Marlin sont l'œuvre de Milrand, auteur de Jeanne
Royez, ou la Bonne mère, imprimé en 1814. Barbier. Diet. des pseudonymes
et anonymes.
J'ai publié des extraits des lettres de Marlin sous le titre de Voyage à
Quimper et aux envÎ1'ons en \775 et 1785. (18UO et 18fH).

(2) Elle mourut seulement le 29 prairial au XI (18 juin 1803) à Quimper.
(3) Et non Thomas-Maurice, Biographie Firmin Didot. Cette biographie,
. celle de Michaud, et M. Barthélemy, qui les copie, font naître Thomas,
ve1'S 1741. Le dictionnaire de Bouillet précise c( enl711 ». La Biographie
bretonne dit le 25 janvier 1743. Autant d'erreurs.
(4) M. du Chatellier et après lui MM. Monselct, Isambert et Soury, le
nomment Corentin: c'est son second nom.

4 Claude (12 enfant), né le 2 octobre 1758 ('i), qui aban-
le nom respecté de son père, deviendra terroriste sous
donnant
le nom de Guc1'meur. '
Les filles étaient: '

'1 Marie-Michelle (2e enfant), née le 27 mars '1740, mariée
le' 9 juin '1761, à Michel Calvez, avocat en Parlement et
bientôt sénéchal de la baronnie Pont-l'Abbé.
2 Catherine-Yvonne (De enfant, dite d'ordinaire Yvonne),
née le 14 octobre 1744, 'qui devint femme de M. Orieux de la
Porte, notaire (2). '

3 Anne-Françoise (6 enfant), née le 3\ janvier 1748, qui
deviendra femme de Fréron. '
4° Marie-Josèphe (13 enfant), née en 1760 (3), femme de
Louis-Nicolas Le Moyne, procureur au siège présidial de
Quimper.
Nous donnerons plus loin des renseignements sur les quatre
les lettres de Fréron nom­
frères et sur Anne-Françoise, que
ment du diminutif breton Annetie, c'est-à-dire petite Anne~
Annette (4).

Ces diminutifs étaient, à ce qui semble, de mode dans la
famille. Nous voyons les trois plus jeunes enfants survivants,
Claude et Marie-Josèphe nommés Jaeqtl-ie, Cla.udie
Jacques,
et Jéphie. '
Lorsque Fréron, après quatre années de veuvage (0), songea
se remarier, eut-il besoin d'un effort de mémoire, comme on

(1) Levot dit qu'il a cherché son acte de baptême pendant plusieurs an­
nées (!). Il fallait le chercner à Loctudy, parois~e du château de Pont-l'Abbbé.
('2) Il èst dit cc ancien notaire », sans autre indication, dans un partage
du 20 février 1789.
(3) Décédée veuve le '28 juillet 1821, cl Quimpel', âgée de 64 ans.
('i) Au lieu de copier le nom Annetie, vingt fois répété dans les leUres
de Frél'on, un biographe a cru bien faire en corrigeant; et, sans y rien '
il a ,substitué à ce mot bas-breton, le nom plus harmonieux,
comprendre,
mais grec, d'Amélie.
(5) ... Et non « à peine veuf. » M. du Chatellier (p. 20).

l'a dit (1) « pour se rappeler qu'il avait en Basse-Bretagne
une jeune et jolie cousine pouvant servir de mère à ses jeunes
enfants? » . .
C'est supposer qu'il était devenu ' comme étranger ou du
moins bien insouciant à sa famille de Basse-Bretagne. C'est
le contraire de ce qui est vrai. La 'vérité est qu'il ent1'e­
juste
tenai t une correspondance active avec Quimper, qu'il restait
dévoué et toujo~rs prêt à rendre service à ses parents et
tout
a ses amrs qUlmperOIs.
Nous le voyons surtout excellent parent pour M. et Mme
Royou et excellent ami pour Royou-Kerliezec,
Quelle que fut son application au travail, en dépit de son
ordre et de son économie, M. Royou, avec ses 'nombreux
enfants, n'était pas riche. Ses minces revenus, les honoraires
de procureur fiscal de Pont-l'Abbé, même augmentés de ceux
de subdélégué de l'fntendance, lui auraient difficilement permis
de ·subv~nir à l'éducation complète cIe ses fils heureusement
doués, et d'assurer une dot modeste à ses filles. Fréron lui
vinL en aide. Dès que Thomas, né en tï43, eût:achevé ses étu­
des avant 1763, Fréron l'attira auprès de lui (2) : il le traitait
en fils: il le recevait journellement à sa table fue de Seine et
à sa maison de Fantaisie (3). En 1766, auiendemain de son '
mariage, nous verrons Fréron agir de même pour Jacques­
puiné d'Annetic; et c'est des deux frères qu'il
Corentin, frère
à M. Royou, le 2 février L 767 : « Je vous envoie une
écrira

charretée cIe lettres de vos enfants et des miens ».
Plus tard, quand M. Royou sera devenu son beau-père,

(1) l\L du Chatelier et après lui Monselet (p 89) ct ,\1. Sou l'y. (p. 106),

("2) Il n'est donc pas exact de dire que dans sa « correspondance de 1766,
F,'é,'on se chal'geait de le placer · ». M. du Chatellie,', p. 167,
(.1) Ce qui suit est extrait de la correspondance publiée par M. du .
'Chatellier; Le malheur est que le Collectionne m' bl'elon, en reproduisant
correspondanr.e, ait estropié tant de noms bretons: d'Araden pour
cette
d'Arradon, du I,ech pour du Loch, Mathieu pour Mahieu, Mal'lidl pour
:lfareschal, elc.

Fréron se tiendra à son entière disposition. Un jour, il s'offre
à solliciter (c'était encore l'usage) un procès que M. Royou sou­
tient devant le parlement. Un autre jour, il rendra à son beau­
un bon office qu'il paiera bien cher, comme nous verrons.
père
Son ami Kerliezec est traité par Fréron comme son cousin.
Kerliezec a trois fils dont un sera avocat, Fréron va s'employer
à placer les deux autres. Il a commencé par faire
efficacement
entrer dans la Compagni8 des Indes l'aîné qu'il nomme fami-
l' Hommic (sans doute le pel it homme). Ar.ec quelle
lièrement
en 1766, il annonce à Kerliezec, déjà malade, qu'il a
joie,
la nomination de l'Hommic comme lieutenant surnu­
obtenu
méraire sur les vaisseaux du roi; el que son frère plus jeune
sa place à la Compagnie des Indes!
prendra
que d'autres quimpérois furent les obligés de Fréron! Un
jour il écrit à M. de Silguy, le sénéchal de Cornouaille:
« J'irai cette semaine à Versailles; je saurai tout ce qui a éte
écrit à votre sujet à M.le vice-chancelier, et je vous en rendl'ai
bon COll1pte (1) ». Une autre fois, il obtiendra, pour le sr Blot,
à Quimper, après combien de démarches el avec quelle peine,
un brevet d'imprimeur vivement disputé (2).
Et ces menus services, réclamés par des amis sous le nom
de commissions! Il faut avoir passé, comme moi, soixante-dix
se figurer cette sujétion dont les communications
ans pour
et plus multipliées ont libéré la jeune génération!
plus faciles
Fréron n'aurait pas compris mes doléances rétrospectives,
tant il y mettait de complaisance! Ses amis ne l'épargnaient
M. de Keriner, homme de loi, le charge d'acheter un
pas:
livre à Paris, d'en faire relier un autre, etc (3).
(1) Letlre du 14 juillet t 7fîü. Cette lettre inédite. qui se place entre les
leUres publiées par :VI. du Chatellier. m'est aimablement communiquée par
M. Laporte, ancien ayoué ù Quimper, -au moment olt j'écris ces pages. Je
la donnerai in fine. .
(:!) Lettt'e du 17 janvier 1771. publiée en 1 RR3 par les Bibliophiles Bre­
tons, Mélanues hislm'iques littéraires, etc. T. II . p. 165.
(3) Lettre du 14 juillet 176G fi M. de Silguy. Il y élvait pourtant un re- '
lieut' à Quimper, dès 1750 (capitation roturière). M. de Keriner, de son
nom Guillaume Audouin. était le père de Mm. de Pompery, femme d'un
aimable esprit. dont des lettres ont été publiées en t 88!l.

M. Royou chargeait Fréron, non seulement de ses commis­
sions, mais de celles de ses amis (1). Kerliezec ne faisait pas
. autrement. On pourra trouver qu'il abusait quelque peu de la
complaisance de son ami, ~e sachant sût' de ne pas la fatiguer.
Un jour Fréron annoncera qu'il a un paquet pour M. Croze,
beau-frère de Kerliezec. Un autr e jour il annonce qu'il rap­
porte à KerIiezec un de ces instruments passés de mode qui
causaient de si vives alarmes à M. de Pourceaugnac.
Voilà les parents et les amis que Fréron gardait en Basse-
Bretagne. .

(1) Lettre du 1'2 juillet à KerHezec, p. 27 .

Second
'tna J'Lage
de F1'é J·on.
En septembre '176;5, Fréron partit pour la Bretagne. Voilà
les cancaniers de Paris aux champs! Grimm annonce ce
départ comme un événement. Pour ll,li, 'comme pour Voltaire,
ce qui touche à Fréron doit être souillé. Il écrit que
tout
Fréron est allé recueillir l'héritage d'une nièce, « héritage
assez considérable, vu le trafic lucratif que la défunte faisait.
de ses charmes dans les ports les plus fréqueptés de la
province l). « Comment croire à une fortune acquise par
cette Laïs cosmopolite vendant ses faveurs à de pauvres mate-
lots» ? ('i)
Fréron, prenant quelques jours de repos, allait tout simple­
ment revoir Quimper et rendre visite à ses cousins Royou.
ce voyage.
Ainsi s'explique très naturellement
Fréron l'OllIe en chaise de poste avec son domestique « son
laquais » qui porte un nom breton, Bris. Ils peuvent s'attendre
à un joyeux accueil; mais leur attente, surtout celle de Bris,
sera dépassée.
Royou n'est pas au complet: Guillaume, l'aîné,
La famille
avocat, est à Rennes; Thomas est resté à Paris: mais Yvonne,
Anne, Jacques quïest en vacances, Claudie et Jéphic sont là.
M. et Mme Calvez demeurent dans le voisinage. Enfin, Fréron
la maison « la tante Campion », sœurde sa mère,
trouvera dans
de Mme Royou, et qui le tint souvent sur ses genoux.
marraine
« la cousine pengoïen » qui semble sœur de
Il y verra aussi
Mme Royou .

(1) La remarque pleine de justesse est de Nisard, repoussant cette calomnie.
(p. 2i5). M. Soury semble accepter l'historiette (p. 107). Elle est pourtant
bien mal imnginée. De quelle nièce de Fréron peut-il s'agir? Pour qu'il
il faut une fille d'nn frère ou d'une sœur sans père, mèr.e,
soit héritier,
frère ni sœur; et il partagera la dépouille avec la dame Duché, sa sœur
les enfants de sa première femme. .
Marie et

La maladie prolongea le séjour de Fréron pendant un mois
dans la maison Royou. De quel soins il fut entouré, c'est
inutile à dire. Enfin il put se remettre en route. En pas-
sant à Quimper il s'arrêta chez son ami Kerliezec. Au moment
des adieux il y eut force embrassades; et voilà que la cousine
pengoïen, après avoir embrassé Fréron, embrasse aussi
l'honnête Bris quelque peu surpris d'un tel honneur.
Frél'on roula vers Paris emportant un aimable souvenir de
tôus et surtout de sa nièce Annetic ('l).
La tradition représente Annetic comme une aimable personne
pleine de grâce, d'esprit et de douce gaîté. Fréron avait pu
apprécier par lui-même son intelligence et la bonté de son
cœur. Il put se dire qu'elle serait pour lui une compagne dé-
vouée et pour ses enfants une seconde mère ... Mais Annetic
avait dix-sept ans, et lui quarante-sept (2). Annetic n'aura-
t-elle pas peur de cette différence d'âge de trente années?
Fréron n'a-t-il pas hésité à demander sa main? On dirait
qu'il a craint d'être quelque peu ridicule d'épouser une si
jeune fille. A l'entendre, il faisait « un mariage de raison. })
,Il écrit à M. de Silguy: « Vous le savez bien , je vous l'ai dit
plus d'une fois; ce n'e5t point par amourette que je me
marie; cela n'est plus de mon âge. C'est par goût, par raison,
par convenance, par amour de la société. Il est triste d'être
seul chez soi et de n'avoir personne avec qui causer (3) ».
Nous le verrons bientôt écrire d'un autre style. .
Quoiqu'il en soit, dès le printemps de t 766, la demande de
. Fréron était agréée. La preuve; c'est que les publications du
prochain mariage étaient faites à Saint-Sulpice les 6, 13 et 27
(!) Nièce à la mode de Bretagne, fille d'une cousine germaine .
(2) En 5eptembre 1765, Annetic, née le 31 janvier 1748, avait 17 ans et
huil mois: au ·jour de son mariage. 4 septembl'e 17G6, elle avait 18 ans,
mois et 4 jours, et non seize ans comme on le répèle. Il est inutile
les époux.
d'exagérer la différence d'âge entre
(3) Lettre du 14 juillet 1766 .

juillet; et elles avaient été précédées de l'obtention des dis-
penses de parenté toujours lentes à venir de Rome. '
Fréron allait partir dès les premiers jours de juillet, lorsque
le duc de Choiseul lui envoie Il un important mémoire pour
y mettre de l'ordre et du style." (1). Libre de ce travail, il va
se mettre en route aux derniers jours de juillet pour se
marier la semaine suivante, lorsé[ue la mort de Kerliezec
(28 juillet) fait ajourner le mariage.
Enfin, le 20 août, il annonce son départ le 23 et son arrivée
pour le 28 « entre quatre et cinq heures du soir »; il. donne
ses dernières instructions; et, n'oubliant rien, il recommande
à Mme Royou de dir~ « tout doucement à la cousine pengoïen
de ne plus embrasser Bris quand elle le verra (2) ».
En chaise de poste, il ·fallait cinq jours pour aller de Paris
à Pont-l'Abbé. Fréron en prend six. Quelle que soit son impa­
tience de retrouver Annétic, il s'arrêtera un jour enlier en
route. « La reconnaissance m'oblige, dit-il, ' d'aller passer un
jour avec Mme la marquise d'Agoult, à son château d'A~radon
(.près de Vannes); je lui dois la vie; il est bien juste que je
lui en marque toute ma sensibilité (3) )).
Il veut dire sans doute que Mme d'Agoult a quelque jour
sauvé l'Année -l'Ïttérai're, sinon par son crédit, du moins par
l'influence de ses proches (4).
(1) Leltre à Kerliezec, 12 juillet.
(2) Lettre à M. Royou, '20 août. Du Chatellier, p. 68-6\:1.
(3) Lettre du 12 juillet à I{erliezec, p. 22.
(/!) La marquise cl' Agoult était Marie-Anne de Lannion, fille unique de
Jean-Baptiste, comte de Lannion, maréchal de camp mort en 17 );3, et de
Marthe de Kersulguen. Née en 1730 et mariée au marquis Joseph-Gaspard
d'Agoult (maison de Provence), elle devint veuve sans enfants, le 19 juin
1754.· LOl'sque, en 17üo, Fréron la qualifie marquise d'Agoult, c'est par
réminiseence, puisqu'elle étail remariée depuis le 4- novembre 176;) à Luc­
Edmond de Stapleton, dont elle euL plusieurs enfants à l'un desquels
passa la terre d' Art'adon.
Son cousin Hyacin the,marquis cie Lannion,lieutenant-général mort en 176'2,
avait laissé deux filles: l'une mariée au duc de La Rochefoucault-Lian­
court, très bien en cour. Son père, le duc d'Estissac, avait la charge de
maître de la garde-robe; son fils allait obtenirla sUl'vivance (1768). Mm. d'Ar-
goult pouvait pal' là avoir quelque influence. .
Sa sœur cadette était mariée au vicomte de Pons .

Au jour dit, 23 août, Fréron s'assied joyeusement dans
une chaise de poste que tirent trois chevaux; il occupe un coin,
Bris l'autre, la petite Thérèse est entre les deux. Après six
jours, le 28 août, Fréron arrive à Pont-l'Abbé ('1). :Ces fiançailles
devant l'Eglise se font le 3 septembre. Me Mahieu, notaire
royal, son ami (:2), et son·confrère Me Le Gorgeu, dressent le
contrat de mariage par lequel M. et Mme Royou constituent à
leur fille une dot de 3,000 livres (3).
Enfin, le 4 septembre, le mariage est célébré dans la cha·
pelle du château, e" n présence et par permission du recteur de
Loctudy, dont Annetic était paroissienne (4).
La bénédiction nuptiale fut donnée, non par cc le charmant
recteUl' de Trébrivan J); mais par Mre Alexandre·Hya­
cinthe du Laurent de La Barre, doctem' de Sorbonne, an­
cien recteur de l'Université de Paris, archidiacre de Poher,
chanoine de l'église de Quîmper l et vicaire général. Etaie'lt
présents : Mre Jean-Hervé de Silguy, chevalier, seigneur
de Coatirbescond, grand-bailli d'épée, sénéchal et premier
magistrat de Cornouailte au siège présidial de Quimper (a), -

( 1) Fréron s'est arrêté un jour à" Vannes. Il a donc fait en cinq journées
(on ne voyageait pas la nuit) les 148 lieues kilométriques qui séparent Paris
de Pont-l'Abbé (route de Dreux, Mortagne, Alençon, Laval et Hennes). -
De Paris à Rennes (86 lieues), il a fait '29 lieues par jour, de Rennes à Vannes,
28 lieues, et la cinquième journée, de Vannes à Pont-l'Abbé, 34 lieues.
18iO (il Y a 60 ans), la diligence marchant de nuit,
C'est aller vite. " En
',2 heures de Rennes à Paris, Fréron, marchant de jour seulement,
mettait
mis 60 heures à ce trajet. En 1766, la poste marchait donc plùs vite
avait
le grossier cailloutis que les diligences roulant, en "[8iO, sur les routes
sur
macadamisées" ,
(2) ..... auquel il apportait cr Le Parfait notaire en 2 volumes, quoique,
dit·il gaîment, je le sache très parfait lui-même. t
l or
(3) Enreg l septembre 1766. Quimper,

(Il) Voir à la date résultant de l'acte de mariage. Nisard dit, 1767,p. 277,
Il est bien mal inslruit des mariages de Fréron. Il doute même du premier,
sUl'·lequel, dit-il, il est difficile de déméler la vérité.» Les registres
à Jal d'une manière
paroissiaux, aujourd'hui détruits, l'ont révélée
certaine. "
(5) Avocat général au Parlement, en 1771.

Ml'C Jean-Allain Léon, seigneur de Tréverret, procureur du
Roi aù même siège (1) ; Michel Le Calvez, seul juge de la
baronnie de Pont-l'Abbé, et sa femme, Michelle Royou, sœur
de la mariée; -Jacques-Corentin Royou, son frère; les
aînée
notaires rapporteurs du contrat de mariage, ( et plusieurs
qui signent avec les dits mariés ». Parmi ces « plusieurs
autres
voyons Catherine-Louise Campion, tante des
autres)), nous
deux mariés, le recteur de Loctudy, etc. La signature Royou
fils est assl.uément celle de Jacques-Corentin.
Les deux frères aînés de la mariée ne sont pas présents:
Guillaume, avocat à Rennes, et Thomas, l'abbé Royou, resté '
à Paris pour suppléer Fréron à l'A.nnée UttùaiTe.
Le 4 septembre était jeudi. Les époux passent cinq jours à
Pont-l'Abbé; et, le 10 septembre, (mercredi suivant) ils
partent pour Quimper. Le samedi 13, par 'une longue lettre à
sa belle-mère, Fréron rend compte, presque heure par heure,
des trois journées qui viennent de passer. Il raconte comment
Annetie et lui sont fêtés, traités par l'évêque, le sénéchal, le
procureur du roi~ le maire, leurs parents de Malherbe et toute
la ville. Huit jours passent en dîners, soupers, visites à faire
et a receVOIr .
La lettre respire la joie, la belle humeur et témoigne de la
plus vive tendresse pour sa femme: ( Ce qui me fait beaucoup
de plaisir, c'est que ma chère femme réussit très bien; elle
n'est point du tout embarrassée: elle a le maintien le plus
hon nête et le plus aimable ...... Elle est charmante en tous
points, je l'aime de tout mon cœur: c'est trop peu dire: je
l'adore: j'en suis fou. » (2)
(1) Sénéchal de Cornouaille après M. de Silguy, puis sénéchal de Rennes .
. (-l) Lettre du la septembl'e 1766, p. G9 et suivantes.
Fréron ajoute: " Je suis encore content d'elle par rapport au manger:
elle s'cst modérée dans tous ces grands repas; elle n'a pas eu jusqu'à pré­
sent la plus légère incommodité .... On a ri de cette phrase. (M. Soury,
p. 1 OU.) Elle répond comme la première à u ne préoccupation de Mme Royou.
En voyant sa fille allant à Quimper ("aire son enl1"ée dans le rnonde et af­
frontel' deux repas de Gamache pal' joUt', Mme Royou doublement inquiète
avait be~oin d'être rassurée sur les deux points.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINI M'ÈRE . ,TOME XXVII (Mémoires) 21

Un amoureux de vingt ans ne parlerait pas autrement.
« n'ya pasmoyendesedépétrerdeQuim­
Fréron ajoute qu'il
pel' avant mercredi (17) au soir. )) Il aurait désobligé trop ue
monde en n'acceptant pas toutes les invitations. Or, il a encore
en perspective cinq dîners et quatre soupers. Le n au soir, les
époux souperont en famille à Pont-l'Abbé.
En effet, le 17, ils reviennent à Pont-l'Abbé, pour prendre
congé des parents et aussi se reposer de tant de festins; et,
quelques jours après, ils reparliront pour Paris avec la petite
Thérèse. . .
Voilà la vie de Fréron pendan t les quinze premiers jours de
son union, et voilà réfutée par avance la calomnie accueillie
et publiée par Voltaire qui nous montre Fréron quittant sa
femme trois jours après le mariage (le 7 ou le 8 septembre, a van t
le départ pour Quimper); et ( allant à Brest dépenser en quel­
ques jours avec des bateleuses, les 20,OUO livres de la dot
d'Annetic qui, nous l'avons vu, n'en reçut que 3,000 !
Et après la publication de la lettre de Fréron qu'il a sous
les yeux un écrivain croit encore à la véracité du correspon­
de Voltaire!
dant

Mme Fréron quittaiL l'existence modeste et tranqui.lle d'une .

petite ville pour une vie qui allait être pleine d'émotions el
Elle allait montrer beducoup de courage et de
d'alarmes.
dévouement. En échange de l'abnégation qu'il espérait trou ver
. dans sa femme,Fréron lui devait une aflectueuse gratilude : il .
ce devoir .
comprit
de partir pour Paris, Mme Fréron savait que
Ainsi, avant
son frère Jacques viendrait bientôt la rejoindre. Une année à
de là entre eux une ten­
peine avait séparé leurs naissances;
comme celle qui unit souventles jumeaux ( 1).
dresse extrême,
(:) Ajoutons que Annelic aYllit lrois ans et demi de moins que sa sœur
Yvonne; qualre enfants nés après Jacques étaient morts, et Jacques élail
de dix ans plus àgé que son frère Clauue: eIl sorle que Annelic et Jllcques
se lrouvaienl seuls rapproclté!s pur l'âge.

Jacques avait dix-sept ans et dem" i : il achevait ses huma­
nités : il allait commencer son droit. Son père allait-il l'en­
voyer à Rennes? Il redoutait la funeste influence de son fils
Guillaume, son aîné de dix ans. Fréron proposa de prendre
sa maison. Jacques alla faire son droit à Paris,
Jaeques dans
il sera reçu avocat en '1772 (1).

Ayant de rentrer à Paris, Fréron est converti. Les soupers
qu'il aima tanL, il y renonce « parce qu'ils nuisent également

à son tmvail et à sa santé (2) l). Il passera ses soirées auprès
d'Anneticqui,« ilenestbiensüf,sera heureuse avec lui(3) »).
Et il se remet à un travail assidu, et avec d'aulant plus d'ar-
deur que « je dois, disait-il, penser à la forLune afin de faire
un sort des plus heureux à ma chère Annetic si je venais à
lui manquer (4) »).
Très louable ambition que la sagesse et l'ordre de Mme
Fréron allaient sans doute favoriser. Tout ce qu'on raconte de
la folle prodigalité de Fréron semqle se rapporter à l'époque
de sa yie antérieure à son second mariage. Il est croyable en
effet que Mlle Royou, élevée à l'école de son père et de sa mère:
aura introduit l'ordre dans la maison de son mari.
Mais l'occasion de faire sa fortune était perdue pour Fréron.
Un jour vint bientôt où }' Année littéraire " ne rapporta plus,
comme à ses débuts, trente ou quarante mille livres par ctl1née.
Les principaux protecteurs de Fréron étaient morts. Le
dauphin avait disparu le premier (22 décembre 176Q), suivi
de près par son aïeul le roi Stanislas (23 février '1766) ; moins
de deux ans après son mariage, Fréron avait vu mourir la
dauphine Marie-Josèphe de Saxe (t3 mars 1767) ; puis la
reine Marie Leczinska (24 juin 1768) (Q).
(1) Leftre du 17 Iévriel' "17G7, ci-dessus, p. .
(2.) (3) Lettre du 'l4 juillet 176;j à M. de SilgLly.
(i ) Lettre à Kerliezec (12juillet 17(5). M. du Chatellier, p. 23.

(j) Qu'on me permette un renseignement inédit .. du moins pOUl' moi.
Le dauphin et la dauphine fment inhumés dans la cathédrale de Sens.
Le 'Zl janYier 179J, le citoyen Benoit Lecluc(un homme courageux) demand.l

tes encyclopédistes bmvement réunis contre un seul se
promirent alors de faire supprimer les feuilles de Fréron;
ils résoluren t de les faire tomber et, pour
n'y réussissant pas,
ce but, lous les moyens leur furent bon s.
atteindre
les articles de Fréron étaient soumis à
Avant l'impression,
la censure. On fit en sorte que le censeur rendît tardivement
à corriger ou même à remplacer. De là des correc­
les articles
tions ou même des substitutions hâtives, des relards dans la
publication, les plaintes et la retraite des abonnés.
Les adversaires de Fréron firent mieux. Pour prévenir toute
sollicitation de Fréron ou des auteurs critiqués par lui, Uil
nouveau censeur avait demandé ,à rester inconnu de tous.
de rapports avec lui que par l'intermédiaire
Fréron n'avait
« facteur» qui portait les articles au censeur et l'ap-
d'un
portait à Fréron la décision du censeur. Le facteur fut acheté:
homme rapportait à Fréron, sans les avoir
et cet honnête
au censeur, ·les articles un peu saillants, en disant
montrés
que le censeur les avait refusés. Force était de les remplacer
en hâte,souvent avec des l'etards,par des pages de remplissage!
Ce manègeduraquatreans ('l). Est-ce croyable? dira-t-on.
Oui. Les révélations de Fréron 'à cet égard ont passé sous
les yeux du censeur et ont été approuvées par lui avant d'être
imprimées

il la Convention le corps de Louis XVI pour l'inhumer auprès d'eux.
(Moniteu.l' 1793, n' '24., p. no). La Convenlion rejeta la demande. : ~l1e
(avait décrélé la veilJe que le roi serait inhumé au cimetière commun.
Dé(~ret. Duve'rgier T. V p. 14.\)). Or, le 15 prairial an II (3 juin 1704) la
commune de Sens fit annoncer à la Con ven lion que « le père et la mère
de Capet avaienl élé exhumés du temple et rappelés après leur mort à
l'('g L"lIité qu'ils n'avaient pu connailre pendant leu!' vie» (:Jfonilell1' an lI,
liB 1, 17 pra i rial (5 juin) n" '2:57 p. 10 Hi) . La CODven tion a ppluud i t et ordonna
l'inserLion au bulletin.
à Sens, Louis XVI aurait eu le même sort. C'est donc la Con­
Inhumé
,'enlion qui, prétendant appliquer au mi une règle d'égalit é, H, sans le

vouloir, assuré la conservalion cie ses l'estes .
(1) Fréron le signale en janvier 1/72. Année littél'aÎI'c. T. Ir, p. :)-10 .
. (t) C'est la !'cmarque de M. SOlll'y, p. 11 0 .

Il existait d'ailleurs, et par la faute de Fréron : une
autre cause de décadence pour l'Année littéraire. En 1770,'
Voltaire avait reçu de Londres une lettre signée Royon, at oca(.
beau-frère de Fréron. Celui-ci sollicitait Voltaire, et, pout
se le rendre favorable, accumulait contre Fréron les plus
odieuses imputations (J). Voltaire s'empressa de publier la
lettre. Fréron ne répondit pas ..... Mépriser la calomnie c'est
la réfuter c'est plus sûr; et rien n'était plus facile à Fré­
bien:
son silence ses ennemis virent et surtoutfirent voir au
run.Dans
public un aveu de culpabilité. Beaucoup le crurent déshonoré
2) Juste châtiment! Pour
et cessèrent leurs abonnements ... (

Fréron démontrer son innocence était un devoir puisqu'il
des enfants et qu'il allait marier sa fille aînée Louise­
avait
Philippine.
du second mariage de son père, Louise avait neuf
Lors
Depuis lors, chaque année avait ajouté à ses charmes.
ans.
Royou et elle s'aimaient. En '1773, Jacques
Jacques-Corentin
en allait avoir seize. Le mariage
avait vingt-quatre ans, Louise
au mois de juillet (3). Le contrat dressé le 1'1 de ce
fut célébré
mois, par Me Lachaise, pi'omettait à Louise une dot de mille
écus comptant. Hélas! Fréron ne put verser à son gendre que
800 livres; et, le 30 octobre, il reconnaissait devoir encore la
somme cie 2.100 livres. Rien ne montre mieux la détresse de
la maison.
(1) Nous avons fait allusion à cette afIaire. Nous y reviendrons .
(2) Nisard, p. 279.
(3) Levot (VO Royou, Jacques) II p. 78U, a imprimé que le mariage
s'était fait en 1791 ; et quelques pages plus loin (p. 794 Vo Royon Fré­
dél'ic) il dit que ce second fils cIe .Jacques Royou est né le 2. février 1781
(ce qui est conforme à ,'acte de baptême. M. du Chatelier (p. 209) im­
prime aussi la date 1i91, en disant (p. :?17) que Frédéric, sorti de l'école
Polytechnique, partit pOUl' Saint-Domingue en 1.802 (date exacte). La date
erronée nu 1 a èté répétée, par Monselet (p. 10'1) par M. Soury (p. 109).
M. Barthélemy (p. 155) écrit vej's 1790, correction hasardeuse et inexacte.
La date 1 i7 3 révélée à Monsclet l'aurait peut-être sauvé de l'accusation (IU'iI
Cl portée contre Corentin (Jacques) Hoyou.

Au mois de janvier 177a, Mme Jacques Hoyou allai t être
mère. M. Royou père vint au secours du jeune ménage. Jacques
âge requis pour exercer la charge de
avait vingt-cinq ans,
procureur fiscal. Son père se démit en sa faveur. Jacques et
sa femme s'établirent au château de Pont-l'Abbé' et c'est là
que, le 2a mai 177ti, Louise mit au monde un premier enfant,
une fille, qui eut pour parnlin son grand-père maternel,
M. Royou père .
. représenté par
Au commencement de 1773, le bruit avait couru de la mort
de Fréron. Ce bruit était prématuré; mais Fréron, accablé de
tant d'obstacles, se sentant moins apte au travail, était grave-
Il avait perdu son embonpoint, signe souvent
ment atteint.
funeste. Pourtant, en t77ti, il publia le C01nrncntail 'C de la
Henriade par la Beaumelle, mort en novembre 1773.
Sur quoi d'Alembert appela cette édition de la Ilenl'iade
« une infamie de l'ombre de ia Beaumelle menée par le sque-
lette de Fréron )) (1).
La nouvelle de la mort de Fréron allait être vraie en 'l7iG.
Malesherbes n'avait pas cru à la calomnie; et, résistant aux
efforts des ennemis de Fréron, il avait maintenu le privilège
de l'Année littéraire; mais, en '1776, il n'était plus à la
Librairie. Vaincu par les obsessions des encyclopédistes,
le garde des sceaux Miroménil se résolut à supprimer
l'Année littéraire (2), Le 10 mars 1776, la terrible nou­
velle fut brusquement annoncée à Fréron, qui était à
(i) i8 auguste l'i7;). Corr. T. XIX,n" 6950, p. 34·'[. "Ce mauvais
ton, dit Nisard, n'était pas dans la nature délicate et distinguée de d'Alem­
bert: il l'empruntait à son insu à la correspondance de Voltaire)). P. 20::;.
Et d'Alembert continue: " M. François (da Neufchâteau) m'écl'Ît qu1il
vous ft écrit pour vous demander de l'autorisel' Ù pouI'suivre cette canaille
morte et vivante.» Arrêtons lù cette citation ....
. Voltaire repoussa la l'equête malgré la recommandation de d'Alembert.
(2) Nisarct (p. 293), dit M. de !\lalesherbes. Non. Il avait quitté la
direction de la librairie, depuis 1ï71 ; et rentré aux arfaires avec Turgot,
(juillet 1775), il était ministre de la maison du roi, qu'il a!.Ji1odonnn en
mai 1776.

ce moment pris rI'un accès de goutte. A la menace de ce
malheur, Mme Fréron courut ù Versailles: ses pleurs obtinrent
le retrait de la décision ministérielle; mais, quand elle revint
Fréron était mort.
apportant l'heureuse nouvelle.
de ce drame, on a dit que Fréron
Pour augmenter l'intérêt

à la Comédie Française. comme une sentinelle
avait été frappé
à son poste d'obser\:ation. Mais la nouveHe donnée par la
(;a:ette de France dément ce fait: elle dit, en effet, que Fréron
à Montrouge, c'est-à dire à sa maison de Fantaisie.
mourut
Comment croire que frappé à la Comédie Français'e. il eût été
porté agonisant à Fantaisie plulôt qu'à sa maison, rue de Seine?
Le lendemain un journal imprimait: (c L'aristarque qui
vient de mourir est regreLlé à juste titre par les partisans
du bon goût et de la saine littérature, et surtout par les malins
- qui aiment à rire )) ('1)
C'est, à ce qu'il paraît, la seule oraison funèbre que la censure
Voltaire s'en permit une autre. Il écrit le 30 mars(2) :
autorisa.

(c Savez-vous, mon cher ange, que j'ai reçu une invitation
à l'inhumation de Catherin 'Fréron, et de plus une
d'assister
lettre anonyme d'une femme qui pourraît bien être la veuve?
me propose de prendre chez moi la fille de Fréron et de
Elle
' la marier, puisque,. dit-elle, j'ai marié la petite-nièce de
Corneille. J'ai répondu que si Fréron a fait le Oicl, Cinna.,
Polyeucte, je marierai sa fille incontestablement)) (3).
. , Ou Voltaire a cru que l'anonyme était Mme Fréron: auquel
cas il a été le jouet très bénévole d'un mystificateur de mauvais
ou il a fait semblant de le croire pour se donner un
goùt ;
prétexte d'outrager la veuve de Fréron .... On peut choisir.
J. TRÉVÉDY,
11 ncien Président d'Il tribunal de Q1limpe1'.
(1) Espion anglais p. 1'27.
(2) A d'Argental (et non cl'Argenteuil, faute d'impression dans le Iivl'e
de Nisard) p. 314. COlT XIX, n' 7118, p. J/3 57-1-. C'est la dernière lettre
imprimée.
lle
(3) Voltaire avait en effet marié (en 17V)) 1\l Corneille qu'il dit à tort
petite-fille du grand poète; bonne action dont il fit trop de bruit.