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Bulletin SAF 1900


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Note relative à deux statues de la chapelle de Berven

M. de Villiers du Terrage

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XVII.
flELATIVE A
DEUX STATUES DE LA CHAPELLE DE BERVEN

La Bretagne est de toutes les provinces de France peut-
être la plus riche en traditions populaires. Aussi archéologues
et littérateurs à l'envi se sont-ils empressés à recueillir les
souvenirs du passé pour augmenter le fonds commun de ces
traditions. Mais quelquefois, doués d'une imagination plus
ardente qu'éclairée, n'ont-ils pas, sous l'influence de quelque
idée préconçue, trop légèrement cru à une prétendue tradi­
tion, qu'après eux d'autres sont venus a dopter de confiance,
et qui finit ainsi par acquérir un brevet d'authenticité?
Il est important de réagir contre ces erreurs, toutes les
fois que cela est possible, c'est ce que j'essaierai de faire
. au sujet des deux statues de la chapelle de Notre-Dame
de Berven.
. Une publication parisienne très répandue a posé à ses
lecteurs la question suivante (1) :
« Berven, en Plouzévédé. Ce lieu était jadis consacré au
« culte du P ...... ; on y voit, dit-on, des statues antiques
« qui ... que ... (sic). Existe-t-il encore des ouvrages où il
« soit question de ce culte, en BaSSy-Bretagne, et où soient

« décrites et mieux dessinées les dites statues? ))
Cette tradition existerait-elle réellement? Aucun de mes
collègues de la Société archéologique n'en a connaissance .

(1) L'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux. Vol. XL. p. 98.

Il en est de même de M. le recteur de Plouzévédé, d'après
lequel il n'y aurait aucune trace de paganisme à Berven et
dan.s les environs.
Quant aux statues en question, je ne les avais pas remar­
quées dans une visite faite il y a quelques années à la chapelle
de Berven, et elles ne· sont signalées pal' aucun des auteul'S
qui ont ré(~emment étudié avec le plus de compétence les
antiquités du Finistère.
Il n'en est pas question da ns le grand dictionnaire d'Ogée
publié au 18 siècle, ni dans les notes ajoutées en 1843 par
le commentateur de la 2e édition.
Par contre, j'ai trouvé, da ns le premier volume de l'ouvrage
de M. de Fréminville sur les anti,quités du Finistère. publié
en 1832, le passage suivant, qui est, sans aucun doute, le
point de dépal't de la question posée dans l'Intel'médiaire.
Je crois donc nécessaire de le reproduire. textuellement.
« ' ..• ... Berven J'étais curieux de visiter ce village que
« de vagues traditions désig nent comme ayant été jadis un
" lieu consacré au culte du Phallus: culte dont on trouve
« des traces nombreuses dans la religion des anciens Gaulois.
;( comme dans celles de tous les anciens peuples. J'espérais
« y trouver quelques mo'numents, quelques vestiges qui
« confirmâssent ces traditions obscures. Je vis d'abord que
« l'église était tout-à-fait moderne, ayant été bâtie dans le
« 17 siècle. Je remarquais son clocher très élevé, d'un
« style d'architecture fort particulier et qui, pour la hardiesse
« et la légèI'eté, le dispute peut-être au gothique. Mais, en
« faisant en dehors le tour de ce temple moderne, je vis au
« pignon de l'abside deux vieilles statues placées en cornière
« et qui proviennent évidemment d'un édifice bien plus
« ancien. On voit à leU!' style barbare qu'elles datent des
« temps de l'enfance de l'art, et on s'aperçoit bien qu'elles ont
« été rapportées et placées après coup dans l'édifice aetuel.
« Ces deux statues representent, l'une une femme, l'autre un

« homme absolument nus et occupés d'une action des plus
(( indécentes. Les parties sexuelles de l'une et de l'autre sont
« 'exprimées de la manièl'e la: plus prononcée: surtout celles
« de l'homme auxquelles on a donné la dimension la plus
« pl'odigieuse. Il n'y a pas de doute que ces deux statues ne
cc proviennent d'un monument payen existant jadis en ce
« lieu même. Nul doute non plus que le monument n'ait été
(c co.nsacré au culte priapique, ainsi que l'indique la tradition
« qui s'est transmise jusqu'à nos jours relativement au
« village de Berven )).
Les livres de M. de Fréminville sont · certainement très
précieux par les renseignements qu'ils contiennent sur de
nombreux monuments qui existaient encore au commence­
ment du Ige siècle, et que, sans lui, nous ne connaîtrions
pas. Ainsi, quelques lignes après avoir parlé de la chapelle
de Bel'ven, l'auteur donne une description complète du
château de Ke~milin, ou Quermelin, en Treffiaouenan, dont
les ruines ont maintenant disparu. C'était pourtant un édifice
considêrable dont les propriétaires au 16e siècle, héritiers
des Tournemine, possédaient de grandes richesses, d'après
l'inventaire publié par M. Join-Lambert dans sa notice sur
le château de Quermelin . .
Par contre, M. de Fréminville ne donne presque aucun
détail sur la chapelle très intéressante de Berven (1). Il ne
signale pas l'arc de triomphe Renaissance situé à l'entrée
d'un enclos rectangulaire formé d'un mur de 1 m. 50 de hau­
teur servant de dossier à un banc continu à l'usage des
nombreux pèlerins qui visitaient la chapelle : le tout en
pierre de taille bien travaillée. A l'inlérieur de la chapelle
il n'a pas mentionné les colonnettes de pierre du chancel,

ni les sculptures très soignées qui décorent le jubé et la

(I) Elle portait quelquefois le nom de N.-D. de Derven, c'est-à-d ire N.-D.
du Chêne. .

chapelle de Notre-Dame. Préoccupé des traditions qu'n
. reconnaît lui-même vagues et obscures, il porte toute son
attention sur deux statùes, dont l'existence lui paraît fournir
une preuve à l'appui de ces traditions. Il n'hésite' pas à leur
attribuer une grande antiquité en les faisant remonter aux
temps du paganisme .
Si M. de Fréminville a rendu à l'archéologie de véritables
services par la description des monum'ents qu'il a vus, il est
généralement reconnu que les conclusions qu'il déduit de '
ses observations et par suite les opinions qu'il formule .' ne
peuvent plus aujourd'hui être admises qu'avec la plus
gr ande réserve.
En ce qui concerne la chapelle de Berven, sa note ne
m'avait pas convaincu; aussi, ayant appris que les deux
statues existaient encore, je me suis décidé à retourner à
Berven. Après avoir revu avec un grand intérêt l'intérieur
de la chap-elle, j'en ai fait le tour à l'extérieur. J'ai ainsi

reconnu qu'eUe se terminait à l'est, derrière le maître-autel, '
par un mur droit, percé d'une grande fenêtre ogivale et sur­
monté d'un pignon triangulaire . De chaque côté de ce pignon
la . première chevronnièl'e repose sur une pierre de taille
engagée pour moitié dans les murs, et faisant, 'en forme de
cornière ou gargouille, une saillie d'environ 80 centimètres.
Sur ces deux pierees sont représAntés un homme et une
femme nus, sculptés en bas-relief dans la partie eIigagée
dans le mur du pignon, et en ronde-bosse dans la partie
saillante Cette disposition est bien caractéristique de l'archi­
tecture du moyen-âge et de l'époque 1567, où a été construite
la chapelle de Berven. Elle exclut absolument l'hypothèse qui
ferait remonler ces sculptures à l'époque romaine ou gallo­

romaine. 11 Il 'est pas impossible que ces 'pierres proviennent
d'un édifice plus ancien, mais il faudrait pour cela que les
architectes, ou maçons, qui ont construit la chapelle actuelle
se soient assujettis à reproduire exactement les dimensions
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE . ' TOME XXVII (Mémoires) 20

de l'ancien pignon. En tous cas, cela n'augmenterait qùe
de deux ou trois siècles au plus l'ancienneté des sculptures,
ce qui est absolument insuffisant pour justifier leur atb'ibll­
tion aux cultes payens.
Les deux statues sont en gl'anit grossièrement taillées et
mal conservées. A la hauteur où elles sont placées elles
n'attirent pas l"attention, et ce n'est pas sans peine qu'un
observateur, même prévenu à l'avance, peut en distinguel'
les détails. Dans ma pensée les deux figures ne sont autres
que celles d'Adam et d'Eve, et les gestes, qui ont paru indé­
cents à M. de Fréminville, peuvent, au . contraire, recevoir
une explication toute différente si on se rappelle de nom­
breuses représentations de nos premiers parents au moment
où ils sortent du Paradis terrest.re, honteux de leUl' nudité.
Je reconnais d'ailleurs que le sujet a été traité par le sculpteur
avec une très grande naïveté, pOUl' ne pas dire plus, mais
que ne voit-on pas dans les monuments du moyen-'âge, même
dans les ég'lises ? . •
Quoiqu'il en soit, ces deux statues sont loin d'avoir l'anti­
quité que leur attl'ibue M. de Fréminville Elles ne peuvent
pas venir à l'appui des tl'aditions qu'îl évoque. Aussi
donc
j~ concluerais en disant que ces tl'aditions va.gues et obscU'l'es
ne reposent sur aucun fondement et. qu'elles doivent êtl'e
écartées dans toute étude sél'ieuse sur les traces du paganisme
en Bretagne.

VILLIERS DU TEHRAGE,

Rerminihy, Septembre. 1900.