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Bulletin SAF 1900


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Galets et pierres à cupules des sépultures préhistoriques du Finistère

P. du Chatellier

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XII.
GALETS ET PIERRES A CUPULES
DES
sépultur{~s pl-ébjstoriques du I~illlstère
Nous avons signalé dans nolre département, et décrit dans
nos publications antérieures, la découverte de cupules sculp­
tées sur les parois de divers monuments préhistoriques,
deux allées couvertes, celles de Renongat, en Plovan, et du
moulin du Goël, en Melgven; un dolmen, celui de Norohou,
en Loqueffret; un menhir, celui de Saint-Urnel, en Plomeur;
un coffre en pierres sous tumulus, celui du Minven, en
Tréogat, et une sépulture de l'époque du bronze, celle de
Saint-Prêtre, en Leuhan.
Des gravures de ce genre sculptées sur des monuments
analogues ont été rencontrées dans plusieurs autres dépar­
.tements de France, le Morbihan,lJ. Loire-Inférieure, l'Ille­
et-Vilaine, l'Ain, les Pyrénées, etc., et aussi en Portugal, en
Grande-Bretagne, en Allemagne, en Scandinavie et jusque
dans l'Inde. Ces sculptures indiquent incontestablement une
pensee commune.
Toutefois, dans le Finistère, il n'a jamais été rencontré,
jusqu'à présent, de gravures de ce genre sur des rochers
en place ou sur des blocs erratiques. .
Mais outre les cupules geavées sur les parois de quelques­
uns des monuments mégalithiques de notre dépàrtement nous
avons recueilli, au cours de nos explorations, une série de
pierres déposées dans les cryptes funéraires de nos monu­
ments préhistoriques, lors des inhumations qui y ont été
faites, sur lesquelles sont geavées des cupnles. C'est sur ces

petits monuments, dont il n'a jamais été parlé, que nous
voulons attirer l'attention.
Ce sont la plupart du temps des galets pris à la grève la
plus voisine. Ils sont nombreux dans nos sépultures préhis­
puisque nous en avons deux cent dix-sept dans
toriques,
nos collections. Quelquefois aussi ce sont des morceaux de
gneiss ou de grès, très rarement cependant, car je n'en ai
rencontré que cinq sur lesquels, la nature de la roche s'y
prêtant mieux, les cupules gravées sont plus larges et plus
profondes.
sont gravées que sur une des
Quelquefois ces cupules ne
d'autre5 fois elles le sont sur les deux 0
faces du galet,
A maintes reprises j'avais montré ces pierres à des archéo­
notamment à M. Gabriel de Mortillet, lorsqu'en 1884
logues,
il vint visiter mes collections avec les élèves de son cours de
l'école d'anthropologie, il me répondit que c'étaient des per­
cuteurs et que les trous ou cupules, que je lui montrais à leur
surface, étaient faits pour mieux saisir le percuteur en y
introduisant le pouce et l'index. Cette expl ication ne me
satisfai~ait pas. Je continuai à recueillir de ces galets dans
mes explorations, et le jour où j'en eus un certain nombre
ayant des dimensions telles que ceux du tumulus de Kersaux
et de l'allée couverte de Kerandrèze, je ne pus douter
que les galets en question n'étaient pas des porcuteul's. Il eut
en eff~t fallu que l'homme préhistorique eut dans le bras ulle
fOl'ce musclliaire exceptionnelle et une main d'une dimension
extraordinaire pour pouvoir manier, eomme per-
non moins
cuteur, un galet comme edui du tumulus de Kersaux pesant
8 kilos, et pour cet usage de quelle util ité auraient bien pu
être les neuf cupules creusées sur ses deux faces, cinq sur une
et quatre sur l'autre.
Il y a deux ou trois ans j'eus la visite de MM. Salmon,
Capitan et Dumesnil, je leur monll'ai mes galets. Tb furent
de mon avis et ne doutèrent pas un instanL que les petites

excavations creusées à la surface de ces pierres, recueillies
dans nos monuments funéraires du Finistère, étaient des
cupules et que c'étaient là des petits monuments à cupules
et non des percuteurs (1).
Evidemment l'homme préhistorique s'est servi de pierres
comme percuteurs et les galets, quand ils en avaient à
leur clisposition, faisaient admirablement leur affaire pour
cet usage. Mais alors c'est avec l'extrémité ou le côté du
galet qu'ils frappaient ct, dans ce cas, c'est sur les bouls et
sur l'épaisseur qu'on voit les traces de percussion. Si, pal'
hasard, ils en ont fait usage en ft'appant avec le plat, les
traces de la percussion' sont supel'ficielles et on ne saurait
les prendre pour des cupules. . .
Les galets et pierres à cupules de mes collections pI'ovien­
nent de monuments des époques de la pierre polie, du
bronze et du fer. En effet, par exemple, les galets du dolmen
Kervadel et des tumulus de Quilien et de Kersaux appar­

tiennent à l'époque de la pierre polie; ainsi que la pierre en
gneiss du tumulus de Crugou, en ~lovan: lequel recouvt~D.it
une belle allée couverte, dans laquelle nons l'avons recueillie
appuyée contre une des pat'ois, et celle que nous avons ren­
contrée dans la sépultul'e de Parc-ar-Hastel, e-n Trégaennec;
de même que celle en grès rose qui provient d'une des cham­
bres à ciel ouvert du vuste monument de la pointe de Ker-

Jean.
galet du dolmen de Kervndel a deux cupules sur une
de ses faces, celui du tumulus de Quilien n'en a qu'une, celui

du tumulus de Kersaux en a cinq sur une face et quatt'e sur
la face opposée. La pierre en gneiss du tumulus de Crugou
en a cinq sur une de ses faces, celle de Parc-ar-Hastel n'en a

(1) Je fis don de quelques-uns d'entre eux à M. Capitan qui m'a de­
mandé l'autorisation de les faire figurer à l'Exposition universelle parmi
les séries cie l'école d'anthropologie, où ils doivent être.

qu'une sur une face, celle de grès rose de Kerjean on a trois
sur une face. .
Les galets de l'allée couverte de Kerandrèze, qui a deux
cupules sur une seule de ses faces, du dolmen des trois
pierres qui en a également deux sur une seule face, et du
tumulus de Kervern qui n'en a qu'une sur une face, ont été
recueillis clans des monun1onts où il y avait du bronze .
la pierre en gneiss du tumulus de Coat-Plin-Coat,
Enfin
sur laquelle il y a tt>ois cupules et qui était posée sous un vase

plein de restes incinérés, et celle du monument cir(~ulaire de
Kerbascat, qui a sept cupules, sortent de monuments funé-
rail'esremontarit à l'époque du fer. .
Les deux cent douze alltl'eS galets que nous avons re­
cueillis au cours de nos explorations et qui sont dans nos
collections, proviennent, aussi de monuments des âges de
la pierre polie, du bronze et d~l. dél:?,;ut du fer (1).
A insi nous avons rëncontré la cupule à toutes les
époques préhistoriques; nOliS sommes à même d'ajouter
qu'elle est restée en honneur pOUl' ainsi dire jusqu'à nos

jours. Nous la trouvons, effectivement, comme ornement sym-
boUque sur les poteries gauloises et romaines et pour ainsi
dil'e sur le seuil des habitations du moyen âge. Elle est en
'effet sculptée sur la tablett.e de deux grandes croisées moulurées
du rez-de-chaussée de notre habitation. ancien édifice du XVe
siècle, sur une des croisées duquel il y en a une et sur une
autre cinq. J'en ai aussi remarqué SUl' les tablettes de

croisées de deux autres constructions du XVe siècle des
communes de Plomeur et de Penmarc'h, sur les tablettes
de croisées des châteaux de Penquellénec, de Kerouzéré, de
Hustéphan, etc., des XIVe et XVe siècles. Enfin M. le pasteur
. Lee, de Guernesey, m'a affirmé en avoir vu sur les tablettes

(1) En Seeland, à Borreby ai nsi que. dans le Slesvig, on a trouvé des
pierres portant des cupules dans des tertres de l'époque du bronze .

de croisées d'un .grand nombre de constructions des XIIIe,
XI Vc et Xye siècles.
Il est de toute évidence que les cupules sculptées sur les
galets dans nos sépultures et jusque sur les tablettes des
croisées de nos édifices des XIIIe, XIVe et Xye siècles ne
sont pag de simples ornements, elles ont un rôle symbolique.
Lequel?
Toutes les populations des époques préhistoriques ont
cru à une vie nouvelle, pour elles la moet n'était que le pas­
sage d'une vie dalJs l'autre, les mobiliers relevés dClns leues
sépultures le prouvent surabondamment; on a placé dans ]a
tombe aupeès du défunt les objets auxquels il tenait le plus
monde pour qu'il les retrouve dans l'autre.
en ce
Les pierres à cupules, galets ou morceaux de gneiss, que
trouvons dans nos monuments funéraires, y jouent le
nous
.. rôle de talisman et de fétiche d\want protéger le mort dans
le nouveau monde où il va entrer et si, dans nos dolmens et
dans nos tumulus, on les trouve quelquefois à plusieues exem- .
plaires, c'est que les parents du défunt, en dernier adieu, les
lui ont laissés comme un souhait 'de bonheur en l'autre vie .
De même la cupule sur la tablette do-s croisées des habi­
tations des xIIIe, XIVe et XY~ siècles, continuant à teavers
les siècles son rôle de talisman, doit protéger contre tous les
ceux qui les habiteront. '
maléfices

P. DU CHATELLIEH
Mai 1900.