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Bulletin SAF 1900


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Les épidémies du Cap-Sizun. Le repeuplement de la Pointe du Raz après la peste de Lescoff

H. Le Carguet

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. LES EPIDEMl~S DU CAP·SIZUN, (1) (Suite .

111.· Le pl t Ile la Pointe clu z
allrès la PESTE DE LESUOFF .

Dans notr'e étude sur la peste de Lescoff (2), épidémie
toute locale, qui a sévi, dans les dernières années du X Vie
siècle, là seulement où elle a pris contact, sans s'êtrp commu­
niquée à l'extérieur, nous avons laissé cette partie dela région,
presque sans habitants, dianezet, suivallt l'expression du
chant populaire qui en a transmis le souvenir.
En CDnsultant les registres paroissiaux de Plogoff, nous
avons pu déterminer comment la Pointe du Raz s'est
repeuplée.
Le fléau, par sa contagion et sa violence, avait été, au
. dire de tous, une punition du ciel. Cette croyance se trouva
confirmée, l'année fuivante, par le retour du mal
- ( A l'époque de l'année où l'on sarclait les panais »,-
c'est-à-dire en juin on juillet, ( des nuées de mouches, sortant
( du Trez, des sables de la baie des Trépassés, s'abattaient
« sur les travailleurs et déterminaient, par leur contact ou
(( leurs piqûres, des maux semblables à ceux de la peste
Il précédente, hossou du a goJ'. Personne ne pouvait rester
« aux champs La récolte approchait; si on ne pouvait la
« faire, c'était la famine qui 'fiendrait s'ajouter à la calamité. »

. (1) Cf. - Le Bu lleLin de la Société , archéologique ct u Finistère. (1~9.3,
t. XX, mémoiJ·e;p. 3. - 1 Hl9. t. XXVI, mémoire, p. 15). .
('2) Bulletin de 189~, p. 15 .

Les esprits, terrifiés par le nouveau fléau, lui attribuèrent
aussi une cause surnaturelle:
, « La colère de Dieu n'était pas satisfaite; ces essaims
« de mouches é'taient des légions de démons envoyés pour
« compléter sa vengeance. »
Ici, du moins, la cause dû mal était connue et le remède,
tout indiqué, à la portée de tout le monde. '
( On dit des prières et l'on fit des processions pour
(! conjurer les mouches, et, aussitôt, le fléau disparut. »
Telle est la tradition.
Déjà, 'depuis la peste, toutes relations avaient cessé entre
la Pointe du Raz et le reste de la contrée. Le retour de la
maladie, que des êtres 1Jîystérieux propageaient par la voie
de l'air et contre lesquels on ne pouvait se garantir, acheva
de la mettre en discrédit
En ce temps là, l'Ile-de-Sein était occupée par une popula·
tion issue de naufragés et d'aventuriers réfugiés sur cette
terre, hors de tout contact avec la civilisation de l'époque.
Ces premiers occupants avaient fait souche; mais leurs
descendants ne formaient qu'une seule parenté: les mêmes
noms de famille qui se répètent en sont la preuve. '
, Leurs mœurs à moitié sauvages, leur manière de vivre,
leur barbarie (1) envers les marins qui navigUaient dans les
eaux dé l'île, leur avaient fait donner un blason, que l'on re­
trouve dans leurs imprécations actuelles, « Ha! diaol-te! »
- On les avait appelés les démons, les diables de la mer.
C'est parmi eux cependant que les survivants de la peste
de Lescoff trouvèrent l'accueil qui leur était refusé sur la
Grande- Terre.
(1) Histoire du vénérable Julien Maunoir, par le Père Séjourné: T. t p.
151, avec références au Journallalin des missions du Père Maunoir; la Vie
de M. Le Noùlelz" par le Père Verjus; la vie du P. Julien Maunoir, pal' le
Père Boschet, et la vie manu~c1"üe de Dom Michel par l~ Père Maunoir.

Des alliances s'ensuivirent.
Au contact des Capistes si éprouvés et résignés, attribuant
à une cau/se supérieure les maux qui les avaient frappés, les
mœurs des Iliens s'adoucirent. A partir de 1602, ils com-
mencèrent même à transporter leurs enfants, à Plogoff, pour
recevoir le baptême. Si bien qu'en 1613, lorsque le Vénérable
Michel Le Nobletz se rendit à l'Ile-de-Sein, il trouva ses
habitants préparés à bien accueillir sa parole . .
Ill.

Le mouvement de population qui s'est fait, entre la Pointe
du Raz et l'Ile-de-Sein, dans la première partie dl!" XVIIe
siècle est relativement important.
Dans une première période, de 1602 à 1616, qui est
celle de la reconstitution de la population de la Pointe du Raz,
par la peste de Lescoff, nous avo.rls relevé 24 unions
décimée
entre Capistes de Plogoff et Iliennet:\. 32 enfants, nés de ces
ont été baptisés à Plogoff. Les parrains et les marraines
unions,
étaient choisis aussi bien à., l'Ile-de-Sein qu'à la Grande- Terre.
Les relations ainsi établies, un double échange de
population se fit par delà le Raz de Sein. Ainsi, pendant
cette même période de 1602 à 1616,011 constate que 20 Iliens ont
pris femme à la Pointe du Raz. Le nombre d'enfants pro:­
venant de ces unions et baptisés à Plogoff est de 34
De 1617 à 1623, les registres mentionnent seulement 2
baptême::; d'enrants de Capistes et d'Iliennes, et 4 d'enfants
d'Iliens et de femmes de Plogoff.
partir de 1624 jusqn 'en 1635, on constate encore 20 bap­
têmes d'enfants dont le père est de la Pointe du Raz et la
. mère de r De-de-Sein ; 24 dont le père seul est llien .
. Les familles mentionnées pendant ces années sont, pour
. celles dont le père est originaire de la Pointe du f!.az, au
nombre de 39, savoir: Bourdon, 1 ; Cam, 1 ; Choariel, 1 ;
Chouart, 1 i Couillandre, 1 ; Droin, 1 ; Fichoux, 1 : Gall, 2 ;

Gallo, 1 ; Gouzarc'h, 2 ; Guillou, 2 ; Hervichon, 1 ; Kloc'h, 1 ;
Kermarec, 1 ; Ladan, 1 ; Maréchal, 3 ; Marzin, 1 ; Misard, 1 ;
Normant, 2 ; Perhérin, 1 ; Philip, 2 ; Priol, 1 ; Quoquet, 3 ;
Rosen, 1 ; Sider, 4; Sinquin, 1 ; Tanguy, 1.
Celles dont le chef est Ilien, comprennent: 18 familles
Meliner ou Monier; 9 Guilcher; 3 Timeur ; 2 Spinec;
1 Petton ; 1 Venou, Gouesnou, Ven ou Guen; 1 Portzmoder ;
1 Sinquin ; 1 Chouart ; 2 Droin ; soit aussi 39 familles.
Ainsi, dans le repeuplement de la Pointe du Raz, 78 per­
sonnes de l'Ile-de-Sein ont contracté des unions avec des
gens de la Grande-Terre, et y ont, par suite de leurs mariages,
acquis droit de propriété.
Ce droit, pour les familles qui résidaient à l'Ile-de-Sein,
ne pouvait s'exercer utilement. Les terres, le plus souvent,
étaient laissées en friche, décloses et banales sous le parcours .
de tous, mais surtout des moutons qui, seuls, pouvaient
trouver leur pâture sur ces terres arides. Les lliens, proprié­
taires, se contentaient, une fois l'an, de venir y couper des
mottes. C'est cet usage qui a donné lieu à la croyance que
les habitants de l'Ile-de-Sein avaient un droit de suzeraineté
sur la Pointe du Raz.
Aujourd'hui, quelques parcelles, seulement, de l'extrême
pointe, entre le sémaphore et la mer, au lieu dit A r-Staon, ou
Etrave de la terre, sont possédées indivisément par des Iliens.
Mais les droits de ceux-ci, déterminés d'après le Code civil,
consistent en fractions infinitésimales: quelques millièmes

parties de landes.et de rocailles valant, au plus, 5 fr. l'are.

Au point de vue ethnologique, la peste de Lescoff a déter-
miné un mélange des deux populations du Cap et de l'lle-
de-Sein, puis des relations sur lesquelles il importe d'insister.
J llsqll'alors les Iliens ne sOI'taient pas de leur île ou des
eaux qui l'entourent. Ils se mariaient 8ntr'eux. Leurs seules

relations avec les étrangers se passaient sur mer; fréquem­
ment ce n'étaient que des actes de violence.
La Grande-Terre, aux aspects changeants, que, de leur île,
ils apercevaient le matin sortir de la brume, comme si elle
émergeait des flots, et le soir, après que le soleil s'était
plongé dans la mer, disparaître sous l'ombre qui montait
pour l'englober, était, pour eux, la terre mystérieuse sur
laquelle ( il ne leur. était pas plus possible de vivre qu'au
« poisson hors de l'eau. Yi
Leurs nouveaux liens de parenté leu!' rendirent hospita­
lière, cette terre mystérieuse. Ils s'habituèrent à fl'anchir
le Raz de Sein pour y aborder, et la barbarie, conséquence
de leur isolement et des nécessités de lel1r existence, com-
mença à s'atténuer.

H. LE CARGUET.

Audierne, le 5 mai t 900.