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Bulletin SAF 1899


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Au retour d'une excursion (Landerneau-Châteaulin) 17-18 juillet 1899

Abbé A. Favé

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XIX .

AU RETOUR D'UNE EXCURSION Landerneau-Châteaulin

17-t8 juillet 1899

Par l'abbé Antoine FAVÉ .

I.e 16 juillet 1899, répondant à une invitation de la

Société archéologique du Finistère, nous nous trouvions en
gare de Quimper pour prendre part à une ' excursion orga-
nisée, préparée, conduite par M. le chanoine Abgrall.
Il nous avait dit qu'il y avait un intérêt de premier ordre à

faire une connaissance approfondie avec les richesses monu­
mentales, avec les sites ravissants, avec les traditions, qui
caractérisent notre petite patrie de Basse-Bretagne. Notre
Finistère est un champ d'expériences assez riche pour ne pas
tromper la curiosité; assez riche même pour la surprendre
et nous amener à nous demander, une bonne fois, dans notre
for interne, pourquoi nous nous résignons, par un snobisme
ridicule, à nous confier comme d~s colis à telle agence
Cook, ou autre; et aller à grands frais, suant, harassés,
énervés, nous faire trimballer dans des expéditions où nous
pas à voir,
ne voyons pas, disons mieux, où nous n'avons
la moitié de ce que nous pouvons découvrir dans notre pays,
sans fatigue et sans grands frais. .
Au resle, laquelle de nos églises qui n'ait pas un détail, du
péné-
moins un, qui récompense le touriste d'avoir daigné y
trer : vitraux, sablier$, chapiteaux, mobilier, etc. ?
Si cela est vrai, il suffit pour le démontrer, de passer.
une après-midi à La Roche-Maurice et à La Martyre: vrais
~ retrouve pas l'encombrement qui paralyse
musées où l'on

les tentatives d'analys~ et d'obserTation du visiteur, dans nos

grands musées comme celui de Cluny; richesses étalées dans
leur cadre naturel; complétées par l'ambiance du lieu et
ce quelque chose du passé qui semble rester en suspension
dans l'air qu'on y respire, évoquant le souvenir de temps bien
et oubliés. "
lointains
L'organisateur de notre pacifique campagne était donc "
M. le chanoine Abgrall ; nous ne pouvions faire fausse route
avec l'architecte, archéologue, photographe amateur aussi
patient qu'habile, qui depuis deux ans avec M. Ch. Géniaux,
publie le livre d'or des églises de Bretagne, et nous fait mieux
cqnnaître Le Folgoët, Pont-Croix, Lambader, Saint- Thégonnec,
Pleyhen, Locronan, RU1nengol Ce beau matin d'une journée
qui promet d'être chaude, à 6 h. 40, nous nous rencontrons,
nous nous saluons, nous nous qumérotons : nous sommes
sept. Mme Cormier accompagne son mari, notre confrère,
" juge de paix du canton de Fouesnant. Elle apporte à l'ex­
cursion beaucoup de bonne grâce et des observations fort
judicieuses, lors nos échanges de vues et de nos présomptions
sur ce que nous voyons et entendons. M. le chanoine Peyron,
M. Alb. Le Guay ,ancien magistrat, M. A bgrall, déjà nommé,
et notre trésorier, M. Le Maigre, qui ne manque pas d'assu-
"rances à en juger par sa serviette gonflée de papiers ii),
sont présents. " ~ "
Tout à l'heure, à Dirinon, nous retrouverons le sympa­
thique et vénérable vicomte " ~e Villiers du Terrage, qui
revient de " Paris par Tréguier et Saint-Pol-de-Léon, et va

. ainsi compléter n Toutefois; grande était notre déception de ne voir là notre

président, que son expér'iepce des excursions et sod affabilité
habituelle indiquaient pour être à notre tête; son absence était
un "sacrifice qu'il faisait, et qu'il nous imposait, par
(1) Notre confrère M. Le M aigre est directeur de la compagnie Le
Finistère.

contre-coup, pour maintenir et défendre les intérêts de
notre œuvre, ·la raison d'être de notre association. .
M. P. du Chatellier attendait à Pont-l'Abbé la visite de
M. Vincent, architecte des monuments historiques qui venait
aviser à la conservation d'un édifice remarquable et classé,

de notre région, aujo'Urd'hui compromise par la fantaisie de
gens venus, sa'ns doute, du fin fond de la Béotie. Enfin nous

regrettions de ne pas voir avec nous tels et tels de nos fi-

dèles confrères., retenus eux aussi, soit par la maladie, ou le
tourbillon des affaires courantes et pressantes.
Le train part, et après quelques quarts d'heures de trajet
nous dépose en gare de Dirinon, notre première étape.
Deux voitures venus de Landerneau nous attendaient selon
l'arrangement prévu et établi par notre fourrier, M. ,Abgrall.
. M. le vicaire nous souhaite la bienvenue au nom de M. le
recteur qui a dû s'absenter pour un service religieux, et
très .obligeamment nous fait les honneurs. Le coup d'œil
est 'splendide; le ciel bleu tranche sur la rivière de
, Daoulas qui se déroule en ruban argenté et que nous
ap'ercevons pÇlfUne échancrure du paysage. Le cimetière se pré-
. sente embelli par deux entrées d'un grand caractère,de beaux
arbres qui l'ombragent,comme un champ du repos, et unbeau
. spécimen de croix à dai : d'un côté\ on y voit sainte Barbe

avec sa tour fortifiée et saint Pierre avec les clefs .
La croix est timbrée d'un écusson portant trois poissons:
sont-ce ces chabots (1l que nous retrouverons sur notre route,
'tout le reste dujour; de l'autre côté, on voit au pied de la croix
saint Jean et la Sainte-Vierge On remarque de plus, au-
dessus d-e la porte, la représentation de la Trinité; dans le
porche, le Çhrist présidant le collège apostolique; ce porche

est recouvert d'une peinture de la fin du siècle dernier .

. (1) Se rappeler que nous sommes dans la principauté des Rohan-Chabot •

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CN:J

M. le vicaire nous fait voir une vieille bannière por­
tant sur une face le Christ en croix, et sur l'autre la Vierge
du Saint-Rosaire. C'est un travail de restauration très soigné

et bien traité. M. le chanoine Peyron attire notre attention
sur une de ces croix commémoratives que le grand serviteur
de Dieu, le vénérable P. Maunoir, laissait dans les paroisses 0
où il avait travaillé à l'édification du peuple; on sait que
Dirinon à été un des premiers points où le saint missionnaire
de Basse-Bretagne a prêché, et a remué l'indifférence popu-
o laire. Nous voyons une seconde bannière, belle aussi, mais, au
juO gement de quelqu'un de l'excursion, un peu trop res­
taurée. Vautel principal est de bon style et orné de la statue
de saint Divy en évêque. Nous voyons aussi un autel con­
il la Sainte-Trinité.
sacré
Dans la sacristie, on a eu la complais'ance de préparer,
pour nous, l'exhibition du trésor: nous admirons des orne­
ments complets de damas blanc broché de fleurettes, dons
très riches des opulents ducs de Montmorency; le beau reli-
quaire, offrant la forme d'une basilique surmonté d"une sta­
tuette de saint Divy; mais l'étui de cuir qui le renferme ,
aussi notre attention: il est façonné, couvert de fleurs
appelle
cuir; c'est un
de lys et de dessins déliés, estampés dans le
beau spécimen de l'art du gaînier. '
Signalons encore le calice de vermeil dont la patène est

relevée en bosse par une Assomption de la Sainte-Vierge:
ce serait la plus belle photographie d'orfèvrerie que l'on puisse
et qui fournirait tout le fini
obtenir, au dire de M. Abgrall,
d'une belle eau-forte.

La croix processionnelle est du dernier siècle. Nous
voyons, de plus, des orceaux pour les saintes huiles, affectant
la forme de trois tours accolées et fort massives. Dans l'église,
il Y a une belle statue de saint Antoine L'Ermite, tenant un
chapelet et son bâton terminé en Tau grec.

BULLETIN .ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI (Mémoires). 23

L'église a été repiquée et présente un grand aspect de '
propreté et de bon entretien. A la porte, deux anges, comme
à l'entrée de l'Eden, brandissent une épée flamboyante.
La chapelle Sainte-Nonne renferme le tombeau de la douce
mère de saint Divy. Elle est représentée couchée, la tête
couronnée d'un dais repose sur un coussin supporté par
par deux anges; ses mains tiennent un livre à fermoir, et
ses pieds foulent un dragon vomissant des flammes. (1)
Les statues des apôtres séparées par un ange tenant un

,écusson, sont sculptées sur les deux grandes faces du sar-
cophage. \
. Quelle est la date du monument? il ' a tous les caractères
du commencement du XVIe siècle: la chapelle nouvelle ou
la date de 1577. On y voit encore un écusson
restaurée porte
martelé; par ce qu'on peut deviner des contours,
principal
il est à croire qu'il portait un lion héraldique. '
Y a à remarquer, dans la chapelle, les colonnes torses
de l'autel, et une gracieuse statue de sainte Catherine ayant .
et les débris d'une roue brisée; de
comme attributs une épée
Ouest porte
même une statue de sainte Anne. Le pignon
la date de 1583. ' ,
Au-dessus de la porte, il y a un beau saint Fiacre muni •
d'une houe. Le clocher de l'église paroissiale est de 1687 : les
frises de la tour sont certainement l'œuvre des mêmes ou-
vriers que l'édifice.
France (Morlaix-Brest)
Lors du Congrès archéologique de
en 1896,undistinguéjugedu tribunal de Tournai,en Belgique,
M. Eug. Soil,-fut frappé de la beauté de la flèche. Il en faisait
et portait l'appréciation suivante, que nous
la description
enregistrons à titre de simple document. Le digne magistrat
parle ainsi (2) :

(1) Cf. L'ltiné1:aire de M. Pol de Courcy (De Nantes à Brest). p. 331.
(2) Bulletin et compte-rendus (LXIII" session, page 99.)

SiS

Il C'est la tour carrée, avec deux ou trois étages de balcons
• CL à balustrade, faisant saillie sur les quatre faces, surmontée
• d'une flèche en pierre, plus ou moins svelte, plus ou moins
CL aJouree, accompagnée souvent de pinacles aux quatre
« angles. Les fenêtres sont carrées, les pilastres qui les

CL séparent droits et sans ornemen" ts. Ces clochers semblent.
« avoir été bâtis avec les cubes de formes géométriques
« variées qui composent les boîtes d'architecture dont s'est
CL "amusée notre enfance. Celui qui nous occupe, reconstruit
1( en 1588~ vaut cer.tainement mieux que cela, mais bien
« d'autres," moins ornés que lui, 'l'épondent fort bien à" ce
Cl mode de bâtir. »
Il semble ressortir de cette impression que M. Soil fut
par " la régularité et la , simplicité des lignes géo­
frappé
métriques qui caractérisent le charmant clocher de Dirinon,
si bien qu'on en ferait une excellente étude de dessin élémen-
à l'usage des écoles.
taire
Du cimetière, on nous indique du doigt la fontaine qui
jaillit, claire et limpide, lors de la naissance de saint Divy, et
dont l'eau servit à le baptiser et, s'il faut croire la tradition
à guérir par la s,uite nombre d'aveugles qui " y
populaire,
venaient pour se laver les yeux. La fontaine de sainte Nonne" ,

située à environ dix minutes du bourg, à promiiité de la voie
ferrée forme un r~ctangle de 8 à 9 mètres de long sur 5 de

"large et est abritée par un édicule voûté portant au pignon
A 500 mètres plus loin, il y a une autre
la date de 1623.
fontaine, plus ancienne, mais aussi plus négligée, dédiée à
saint Divy dont la statue est renfermée dans une niche.
à Dirinon et nous remontons
Nous avons fini notre visite
pour prendre la direct~on de Pencran.
en voiture

PENCRAN n'a été g,Hé, d'aucune façon, par le!) (c Guides.,
et ces Christophe ColoJIlb n'ont pris nul souci de découvrir
ce bourg qui vaut la peine d'être visité et étudié.

Son clocher s'aperçoit de très loin, émergeant des hauteurs
boisées qui encadrent Landerneau du côté du midi.
« L'abside de l'église, le clocher, le calvaire dominant l'entrée
nord du cimetière forment un admirable tableau lorsqu'on
les voit à travers les grands arbres du placitre, et la jolie
rosace flamboyante de la fenêtre absidale ne contribue pas
peu à donner du charme à cet ensemble plein de style 1> (1).
En effet, de la belle entrée du cimetière, nous nous arrêtons
pour admirer par l'extérieur les lignes de cette rosace -;
- ce qui est, comme on le sait, la bonne manière pour
apprécier les détails de ce genre de sculpture. La tour
ajourée sert de logis à une cloche, la plus ancienne

du pays, comme l'indique l'inscription dont elle est
ornee:
Ma1"ia Damel et Roterus frater ejus de Curtraco fecerunt
nos anno dni MCCCL V (1355).
Deux belles croix, au midi et au nord, se dressent à l'entrée
du cimetière: l'une représente les anges recueillant dans
des coupes le sang du Divin crucifié, au pied - de la croix, ·
une Magdeleine agenouillée, à ses côtés les parfums de
l'ensevelissement, puis une Sainte-Face. Dans la partie
nord, on peut voir un autre calvaire; sur deux piles latérales
les croix des la:rrons~ sur la croix du milieu: recoupée par
un double croisillon, les statues de la Sainte-Vierge et de
saint Jean adossés à deux autres (saint Pierre et saint Yves),
puis deux cavaliers postés de chaque côté du Christ: le
Centenier, et Longin, se couvrant les yeux~ guéri par
l'application du sang du Juste.
Le porche de Pencran est tout un poëme lapidaire qui,
par l'élégance de ses contreforts d'angle et de ses niches,
ne peut être comparé qu'aux merveilles du Folgoët: « C'est
le s.tyle flamboyant dans toute sa richesse et sa finesse ».
(1) Livre d'or des églises de Bretagne; octobre 1897, p. 3.

Dans les niches, nous voyons la Vierge-Mère, N.-D de
Pitié, sainte Anne et une statue dont nous déchiffrons le
d'hésitation: Sancta Sussanna: sainte
vocable avec assez
Suzanne. Du côté gauche de l'entrée, une inscription
gothique tenue par un ange nous indique la date de la
construction: .

Le 15 jour de mars 1553 fut fondé cette chapelle au nom
de Dieu et de sa Mère et de sainte Apolline par Hervé Kerantiés
et Guillemette Bras fabriques de ladite chapelle. '
Nous trouvons à l'entree, des ébrasements, des colonnettes
art prodigieux.
prismatiques tordues en spirales avec un
Entre le's nervures dégagées qui les accompagnent sont
représentées les scènes bibliques qui furent tant en usage
dans la suite. (Huit épiosdes, du péché d'Adam au péché de
Cham). Ensuite .sont les quatre Evangélistes, puis des anges
thl1riféraires et musiciens.

Dans le tympan, au-dessus d'une corniche feuillagée, est
sculptée la scène de la Nativité. A l'intérieur, les images
des douze apôtres n'ont rien de remarquable, mais en
revanche les culs-de-lampe. et les dais qui ornent les niches
qui les abritent ont été, au jugement de M. Abgrall, sculptés
et découpés avec plus de finesse encore qu'au porche du
Folgoët; n'oublions pas d'examiner un penditif; vrai tour de
force, d'adresse et de science sculpturaire. L'un des dais
est de style Renaissance, comme aussi le bénitier central,
au-dessus duquel est une statue du Sauveur en robe longue,
à plis tombants, sans ceinture, de même qu'au porche de
Pleyben, etc. .
Guimiliau,

Dans l'église, la pièce artistiq,ue la plus remarquable,
. c'est un group'e de N .-D. de Pitié, abrité dans une niche à
dais mouvementé et à bordures feuillagées, placé près du
La Sainte-Vierge, rem-
maître-autel au coin de l'Evangile.
plie de douleur tient sur ses genoux le corps inanimé de son

. fils; à ses côtés, sont agenouillés saint Jean et la Magde­

leine, puis, au second plan, les saintes Femmes, Joseph
d'Arimathie et Nicodème avec deux serviteurs dont un porte
la couronne d'épines. Nulle part, cette scène émouvante n'a

été reproduite avec cette intensité . d'expression et de
Quant à l'histoire de ce chef-d'œuvre, nous .
souffrance.
pour toute information . nous contenter d'une inscrip­
devons
la date:
tion en lettres gothiques qui en donne
En lan mil Vcc XVII cest histoire fust complet ': L .
L'église possède des statues vénérées et curieuses .:
N.-D. de Pencran, restauration déjà bien ancienne; un saint
Yves à la fine moustache et armé d'un sac de procédures,
sainte Apolline, patronne de la paroisse; saint" Modé, saint
Pol de Léon, saint Corentin, dont le diocèse de Cornouaille
mètres du bourg; sainte Véronique,
comme.nçait à quelques
saint Joseph, N.-D. de Pitié; une belle statue en bois, du
XVIIe siècle, représentant saint Hyacinthe, conformément à
la légende, portant entre ses bras un ciboire et une statue
de la Madone qu'il avait miraculeusement sauvés dans une
invasion. Citons encore, urie belle et ancienne Annonciation,
dorée et polychromée dans des tons . qui révèlent UFle habile
exécution des pro cédés ' du temps. Nous avions aussi remar-

qué, fi l'entrée du porche, les débris d'une vierge d'un galbe
grande
admirable avec des restes de polychromie d'une
finesse. .
M. l'Abbé Guéguen, recteur de la paroisse, qui s'est ~is à
notre disposition avec une grande amabilité, nous 'montre les
• Pencran: une d'elles, restauration fort
belles bannières de
réussie, représente 'le Christ en croix, et sur l'autre face une

N.-D. de Pencran admirable d'expression. Les vieux spécia-
listes qui l'ont brodée y ont appliqué le vocable . dans une
orthographe que nous relevons: « Intron Varia penehran » •

Nous visitons le Trésor et nous y remarquons une couronne
fermée, très riche, ornée de pierres précieuses qui était des­
tinée à être vissée au-dessus de l'Ostensoir. Ce bijou est
conservé ,dans un écrin très soigné et exécuté chez Poulin, à
Brest, en 1774, et portant cette mention: (( Fait faire par
Monsieur Scouarnec, curé de Pencran, POW" être mis sur Z ,e
Saint-Sacrement ».
Au côté ouest du cimetière, nous visitons l'ancien ossuaire,
et M Le Guay nous raconte qu'il a vu, tour-à-tour ou en
même t~mps, cet édifice converti en mairie, maison d'école
et bureau de tabac : non pas en débit de boissons, car le
bourg de Pencran n'a jamais possédé ce genre d'établisse­
ment, de mémoire d'homme vivant.
La façade de cet ossuaire tournée à l'Orient est décorée de
sept baies en pleins cintres séparées par des colonnes coniques
et de sept niches supérieures. A la frise de la porte, marquée
de la date de 1694, on lit : ,
CHAPEL DA. SA. ITROP : HA. KARNEL: DA: LAKAT;
ESKERN : AN : POBL :
(Chapelle à saint Eutrope pour mettre les os du peuple).
Si on pénètre dans cet édifice et qu'on monte au premier
étage, on trouve deux sablières ou corniches couvertes de
sculptures qui étonnent dans un pareil réd~it : sur l'une est
représenté un convoi funèbre, le cercueil porté sur un chariot
attelé de chevaux et de bœufs, précédé par les prêtres qui
chantent et deux hommes dont l'un porte la croix et
l'autre agite une clochette pour alterner avec les chants;
derrière vient.le cortège des parents en deuil, des amis .
et des voisins, sur la secon4e est figurée une sorte de
triomphe de Neptune et d'Arpphitrite : les deux divinités
couchées nonchalamment sur deux chars affrontés que traέ
nent des' griffons ailés à quatre pieds et que suivent d'autres
monstres à deux pattes terminés en queue de serpent. Si la
première représentation est un peu rustique et incorrecte,

la seconde est d'une correction et d'un classique presque
parfait.
Nous remarquons de plus une belle charpente et des clefs­
mais
de-voûte d'une exécution qui frappe le visiteur,
peut-être, pas autant que le ménage du sacristain qui fait
son habitation dans cet édifice si curieux à tous les points de
souhaitof,ls qu'à ce digne serviteur on batisse un
vue. Nous
qu'il voudra ;
châlet, ou un cottage, ou une bastide, tout ce
à la condition qu'il transporte ailleurs ses pénates et qu'il
aille plus loin soigner l'élevage de ces utiles congénères du
compagnon de saint Antoine, qui lors de notre visite, trahis­
saient leur présence par des grognements fort indiscrets.
L'ossuaire de Pencran vaut la peine que l'on s'occupe de
cette désaffectation, qui serait applaudie par tous les gens de
goût.

Nous remercions le bon recteur de Pencran de sa cordiale
réception, et nos véhicules engagés sur une pente rapide,

vertigineuse, arrivent à Landerneau nons laissant à peine le
temps de regarder le beau panorama qui se déroule sous nos

yeux.

On se met à table et on fait honneur à la cuisine de
l'Hôtel de Bretagne; l'appétit est aussi bon que général dans
notr~ escouade, sans recours aux apéritifs fallacieux et
au Pernod homicide. On est satisfait de la matinée

et on augure bien de l'après-midi. Notre programme
a été si exactement rempli qu'avant de partir pour LA
ROCHE il est concédé à tout excursionniste un crédit de
45 minutes pour ses affaires ou visites personnelles. A
-l'heure fixée, tout le monde est là : on monte en voiture et
on prend la route de paris, on passe .à côté de la filature,
cette ruche aujourd'hui désertée et silencieuse, et on éprouve
un sentiment pénible de cet abandon. Voilà la flèche de
11) Livre d'or des église~ de Bretagne. Octobre 1897, p. 5.

La Roche et son vieux château se profilant sur le ciel bleu,
les moulins. la petite station du chemin de fer, la plus co­
quette qui se puisse voir à 10 lieues à la ronde. Saluons le
(1) à. double galerie et à double chambre des cloches
clocher
le type ~e plus parfait et le plus orné des clochers de second
Il est du même modèle que celui de
ordre dans le Léon.
la base se trouve une porte ionique datée
Saint-Servais. A
·et surmontée de jolies niches renaissance,
de 1589, accostée
abritent les statues de saint Yves le patron et de deux
qui
saints dont l'un est dominicain et l'autre franciscain. Saint
Yves est revêtu d'un camail fourré d'hermine.
M Abgrall appelle en passant notre attention ' sur les
pierres noires et schisteuses entrées dans la
dimensions des
const~uction de ces murs; nous en relevons deux spécimens

« Dans la façade sud s'ouvre un portail qui est antérieur
du clocher, il ne porte pas de date, mais il faut lui assigner
la même époqu~ qu'au porche de Landivisiau ou au portail
1530-1540. Deux portes géminées à anse
ouest de Rumengol,
guirlandes évidées de feuilles de
, de. pa nier, encadrées de
chardon, sont surmontées de deux accolades Renaissance». '
« Tout autour règne une large arcade de la fin de la pé­
gothiques, ,à nervures
riode flamboyante, colonnettes formes
prismatiques, première guirlande de feuilles de vigne,
deuxième de feuilles de chardon et entre les deux un
rang de personnages dans des niches minuscules: les
deux anges priants. » ,
douze apôtres et
En entrant dans l'édifice, ce qui ,frappe d'abord la vue,
c'est le jubé en chêne sculpté du XVIe siècle, un morceau
de sculpture très compliqué. Nous empruntons, à qui de
droit, la meilleure description qui en ait étéfaite: « un sou-
bassement plein est surmonté d'une claire-voie qui porte

(1) Cf. Le Livre d'or des Eglises de Bretagne: c La R,oche-Maur'ice »,

sur des cariatides formées de lions et de monstres bizarres
comme un grand pont transversal reliant les deux grosses
pile& formant l'entrée du chœur. Dans U:lB de ces piles est
pratiqué l'escalier qui monte sur la plate-fol'me. Les
panneaux du soubassement sont orflés, de feuillages, de
cartouches, de masques et de chimères d'un dessin et d'un
art absolument classique. Dans la claire-voie, des mont~nts
sculptés, des colonnettes tournées avec cannelures, godrons,
fuseaux et feuillages, unefrise de bonshommes, d'arabesques
et d'animaux. Plus haut viennent les montants historiés et
les gaines formant corbelets pour soutenir la galerie haute;
sous cette gàlerie un plafond à caissons et à penditifs (1) ~ J)
Nous remarquons dans les niches de la galerié de cet
Paul
admirable travail les statùes en bas-relief de saint
Aurélien, saint Christophe, saint Michel, sainte Marie
Magdeleine, sainte Apolline: sainte Barbe, saint Antoine,

sainte Marguerite, etc .
La maîtresse vitre, que l'on dit avec raison ( une des plus
belle~ pages de la peinture sur verre dans notre pays»,est d'au­
tant plus précieuse qu'elle est absolument complète et qu'elle
Passion, de la Mise
. est datée, Elle représente les scènes de la
au tombeau et de la Résurrection. Elle porte cette inscrip-
tion : « En lan mil VC XXXIX fut (et cestre IJitre et estoet de
fabricque par lors Allen lace L. S. ». Les initiales qui
verrier?
terminent l'inscription sont-elles celles du nom du
Le tympan de cette fenêtre comprend une quinzaine de .
compartiments ou soufflets dans' lesquels sont peintes les
Rohan avec leurs innombrables alliances.
armes du
A l'un des angles du sanctuaire, jetons les yeux sur un
joli groupe de saint Yves, le glorieux patron de l'église,
entre le riche et le pauvre; et sur' les statu~s de N.-D. de
Bon-Secours et de saint Pierre, et enfin, sur le joli rétable
maître-autel.

(1) Livre d'or •

Il ne faut pas omettre les sculptures des corniches ou
représentant une foule de personnages grotesques
sablières
et de scènes empruntées à la vie courante de l'homme des
champs: chariots traînés par des bœufs et chargés de
gerbes; charrues et autres instruments agricoles: éléments
renseignement sur l'outillage dans la vie rurale il y a trois

siècles et plus,
Dans le chœur se trouve un magnifique lutrin composé
d'un aigle, terrifiant de force, entre le bec et les griffes
se débat un serpent qui certes ne trouverait pas de
duquel
parieur de son côté; c'est un beau travail.
La sacristie nous est ouverte et on nous y fait
dont un semble de la fin du
voir deux calices anciens,

XVe siècle: la coupe et le nœud offrent des découpures et
des arcatures flamboyantes rehaussées d'émaux; le pied, plus
récent, a été rapporté; il est à cinq lobes, du style du
XVIIe siècle et porte l'inscription: « P. LA CHA PELLE DE
SAINT-YVES DE LA ROCHE MORIZ. 1610 ». Le second
est en bon -style Louis XIII et orné de fins médaillons
calice
représentant le Jardin des Oliviers, le Portement de la croix
reliquaire
et le Crucifiement. L'église possède un joli petit
en argent, ayant la forme d'une chapelle gothique flam­
boyante avec fenêtres à meneaux, contreforts,- et un joli
clocher découpé à huit pans.

Dans le cimetière, nous admirons l'ossuaire ou reliquaire,
un des plus vastes que l'on, connaisse en Basse-Bretagne, et
dans l'architecture duquel on a fait emploi d'une richesse
extraordinaire d'architecture', Sur l'attique de la porte prin­
cipale, orné d'un fronton et d'une corniche, on lit cette
épitaphe: ' .
. MEMOR: ESTO: IVDICn: MEL: SIC: ERIT: ET:
TVVM : MI HI : HODIE : TIBI : CRAS: 1639 ;
et au-dessus de la petite porte: ,Memento homo quia pulvis es

(1640). Le petit bénitier de l'angle sud-est supporte un sque
d'un dard et qui dit: JE : VOVS : TVE : TOVS :
lette armé
soubassement de l'édifice composé de cai~song
Dans le
on a sculpté une série macabre de sept personnages indi- ,
quant les diverses catégories sociales qui sont tributaires
de la mort: le laboureur, l'avocat, même le pape.
rentrée du cim.etière, à la place d'un arc de triomphe,
sont m,ontés trois piliers qui soutiennent la croix de N.-S. et
celles des deux larrons. '
Nous nous allons ensuite visiter les ruines pittoresques
du château, assises sur des rochers abrupts qui s'élèvent à
environ 70 mètres au-dessus de la route.
Fréminvile, qui a 'visité LA ROCHE, vers 1830 (1), n'a pas
remarqué l'église, mais en retour il fait du château une
d'autant plus précieuse qu'elle nous donne un
description
état des lieux, il y a 70 ans, alors que le délabrement
n'était pas au point où il se trouve aujourd'hui.
« Rien n'offre un aspect plus romantique que ce vieux ,
« château, .le rocher sur lequel il est bâti domine une vallée
({ sur laquelle serpente la rivière d'Elorn. Les escarpements,
« les pointes de ce rocher, les tours ruinées et couvertes de
« lierre qui les couronnent ont une âpreté sauvage qui con­
« traste justement avec le riant aspect du paysage envi-
Il ronnant Il est assez difficile d'après ce qui en reste de juger
« l'ense~ble ,du . plan de LA ROCHE-MAURICE; des pans de
« murs à demi écroulés, des ma'ssifs de maçonnerie qui se
« voient çà et là sur le flanc du rocher du côté de l'est
a semblent indiquer qu'il y avait une enceinte extérieure et
u: que toute la bâtisse placée au sommet n'était que le donjon
({ ou réduit principal du château. L'enceinte était triangulaire
<,( formée de larges quartiers de granit et de schiste de huit
« pi~d~ d'épaisseur. Du côté du sud-est une grosse tour

(1) Antiquités dt(, Finistère. T. 1 p. 261 et suivantes.

Cl carrée dans laquelle on remarque les restes d'une salle
« avec sa cheminée.
« On voit encore dans les angles de cette salle, la partie
« inférieure de la retombée des voûtes qui soutenait la plate­
e forme, etc. »
Rien de plus suggestif, en ces lieux, que de s'y rémé­
morer la légende d'Elorn, le père infortuné; de Bristocus,
roi de Brest et tributaire du Dragon cruel; des deux cheva­
et Dérien (1), du doux saint Rioc, devenu
liers Néventer
tard évêque de Trégarantec, le chef d'un évêché de 50
plus
ménages, à ce que l'on dit.
propre à inspirer un mystère breton!
Quel thème
Je me rappelais, pour ma part, ma prime jeunèsse à
Landerneau, vers 18'65, lorsque j'entendais raconter que
Charlemagne avait assiégé le château de LA ROCHE du temps
du grand roi Morvan, et qu'il eut à s'en repentir: données
tout comme
historiques que nous acceptions de confia.nce,
cette autre tradition qui nous faisai t s~voir, en visitant les
la belle tombe que
ruines de l'église de Béuzit-Conogan, que
. nous avions sous les yeux renfermait les restes du noble et
(1)La vie des saints, de Garaby, p. 69, résumé d'une façon fort concise
et toutefois complète la vie de saint Derien et de saint Néventer.: ({ 7 février.
« Dans le quatrième siècle, ces deux bretons insulaires, après un pèle­
u rinage à Jérusalem où sainte Hélène leur fit un accueil charitable, vinrent
c à ,Nantes visiter les reliques de saint Donatien et de saint Rogatien.
c L'évêque les reçut avec bonté et leur fournit des chevaux pour les porter
c à Brest, d'où ils devaient repasser dans leur île. .
c Quand ils arrivèrent au territoire de Landerneau, à la demeure du roi
c Elorn, ils s'engagèrent à délivrer Ie pays d'un reptile redouté, à candi­
e tian que le monarque bâtirait une église. Le prince promit de plus de
c laisser son jeune fils Rioc et les autres membres de sa famille s'instruire
c dans la religion chrétienne. Les deux amis d,u Tout-Puissant triompbèrent

c du fléau. Ensuite ils visitèrent le roi Ingon,père de Jubal,et dont la capitale
c s'appelait Tolente. Elle était à l'entrée de la baie des Anges, à l'opposite
c du fort Cézon. Ayant contribué à chasser le paganisme de la Basse­
e Bretagne, Névénter et Dérien rentrèrent dans leur patrie et finirent •
c saintement leur carrière.. .

puissant seigneur de Troïluz de Mondragon tué en dueL ....
par Henri IV en personne !
Nos compagnons d'excursion examinent attentivement les
revêtements des murailles, J'appareil et la composition du

ciment qui a maintenu à travers les siècles ces ruines impo-
santes.
Nous descendons pour prendre la route de La Martyrè
tout en constatant le caractère curieux et la noble tournure

des maisons du bourg de LA ROCHE-MAURICE .

LA MARTYRE! On n'y voit pas encore de gare, avec une
sur bleu de prusse ou d'outre~
inscription en lettres blanches '
mer: « La MaTtyTe - La FaiTe » ; mais cela viendra avec le
temps et le progrès. . .
La Martyre ravive nos souvenirs, évoque les grandes
foires de France, de Beaucaire, de Saint-Denis, 4

Saint-Germain: foires se greffant sur un pèlerinage; tran-
sactions et trafics commerciaux s'établissant à l'occasion des
visites de dévotion. On y trouvait deux choses: affluence de
mond~, et ce qui plus est, ce qui était rare au temps jadis,
la sécurité pour les voyageurs et toutes gara:Qties pour les

marchands et les marchandises.
A l'intérieur du porche de l'église de La Martyre, entre
les deux portes polylo.bées, adossée contre un trumeau très
fin, se trouve une gracieuse madone dans le style des
statues du Folgoat portant le vocable de NotTe-Dame de'
Bonne-RencontTe. C'était bien le lieu pour l'invoquer afin
d'obtenir par elle bonne TencontTe entre ac~eteurs et ve.n­
deurs et être préservé de toute mauvaise TencontTe !
Dans le bourg, les· maisons ont grand aspect avec leurs
façades de pierres de taille, leurs écussons marqués aux
{lU au Lion de Rohan: l'importance de la foire exigeait
mâcles

des logis amples et bien aménagés et répondànt aux besoins
, de toute les catégories de visiteurs venus de loin et bien
d'argent.
pourvus
, M. le chanoine Peyron, dans un mémoire fort intéressant
inséré ~u bulletin de la Société archéologique du Finistère

(T. XVIII. p. 129-139 (1)), a dépouillé et analysé les liasses
conservées aux archives du Finistère et concernant la pa­
roisse de La Martyre; ce travail porte pour titre 1/: LaMartyre
et sa Foire (2) ». ,
Laissant hors de litige le point de savoir si le Salomon tué
, au lieu de Itron Mari ar Merzer est Salomon III (lX siècle)
Salomon fer (Va siècle), nous constatons que les habitants

de La Martyre, dans un mémoire dressé en 1683 (3) se dé­
sintéressent de la question du Salomon et qu'ils cherchent
ailieurs l'origine de leur paroisse: « Déclarent les fabriques
« que l'église de Notre-Damea été bâtie des plus anciens temps,
« c'est-à-dire de celui des invasions et ravages que les anciens

« Danois et Normands ont exercés, dans les 6 7 et 8 siècles,

« , en plusieurs endroits de cette province. Ils firent un si grand
« massacre des habitants du pays, dans la lande ou fut, tôt
« après, construite ladite chapelle sous l'invocation .de la
« Sainte-Vierge, mais appelé du nom de La Martyre, Marzer
c en breton, par ce que ce fut dans le même endroit où arriva
« le carnage ou martyr des chrétiens qui s'étaient mis en
« aImes pour se défendre ;' et cette chapelle fut bâtie pour y
u prier Dieu pour l'âme de ces pauvres martyrs. Il y a
(t) On y lit le récit d'une altercation entre le recteur et ses fabriques
de la réception d'une chaire à prêcher, épisode , pittoresque qui
a u sujet
auraient tenté la verve de Boileau et lui ,aurait fourni un sujet aussi comi-
Le Lutrin. , '
que que

('2) Ces liasses ont chang~ de numéros d'ordre depuis qU,e M. Peyron
un remaniement de la ,série G : c'est ainsi que
faisait son travail, après
G. 244, 245, 246, 247, 2.t8, sont aujourd'hui cotées
les liasses qu'il cite
sous les numéros 307, 308, 309, 310, 311.

(3) Archives départementales

• plusi~urs autres exemples aux environs, comme au Relecq,
II. à Daoulas, à Callot.» .
Une requê'e des fabriques adressée au Roi, 5 août 1667, (1)
nous fournit des détails dignes d'intérêt sur l'origine de
la foire et son importance. Ct Dès lors de l'établissement de
Cl cette église en succursale qui fut fait, il y a plus de trois
« ou quatre siècles (au XIIre ou XIVe siècle) il s'y fit
II. quantité de miracles qui appelèrent une si grande affiuence
II. de peuples que peu à peu il s'y établit une assemblée solen­
« nelle du temps de la fête de la Magdeleine qui depuis fut
« convertie en l'une des plus célèbres foires du royaume, qui
« s'appelait la foire franche, d'autant qu'il ne s'y levait
« aucun péage ni subside. ))
Les fabriques font ressortir dans la req\lête qu'il est no­
toire que le lieu de La Martyre est tout à fait commode pour
tenir la foire, qu'il y a des galeries très commodes pour les
marchands et les marchandises; les marchands ne sont pas
obligés de se retirer dans des villages éloignés d'autant plus
qu'a' y a plusieurs hôtelleries dans le bourg capables de recevoir
tous les marchands forains qui viennent y débiter; ils sont
à couvert des voleurs d'autant que tous les habitants d·u

canton font le guet toutes les nuits et depuis 'l'ancien éta-
blissement de cette foire il n'ajamais été dit que les marchands
y aient été volés. » Cela avait déjà été relevé et retenu lors
d'une enquête en 1618, enquête où tous les temoins affirmèrent
La Martyre est très commode pour la foire, se
que le lieu de
trouvant sur le passage des routes de Léon, de Cornouaille
et de Tréguier et que rien n'y a · jamais été volé, et que
pendant la foire c'est le Sr de Brézal .(2) qui en a la garde
pour empêcher tout trouble. _
(1) Archives départementales S. G. 307 .

. (2) Il était de même au Folgoët, où s'il survenait quelque désordre on
s'adressait aux seigneurs de Coatjonvalqui s'intitulaient les archers du
Folgoët.

D'où proven;:tit cette nécessité, ce luxe même de protes­
tations e~ d'arguments? Landerneau, la ville voisine, voulait
détourner le courant à son profit et l'amener à son moulin:
la foire était productive, Landerneau briguait, s'acharnait
pour la translation de la foire dans la ville: en 1665, les
d'arriver à leur fin j"
bourgeois de Landerneau semblent près
la duchesse de Rohan, usufruitière de la principauté de Léon,
la foire, mais
s'interposait elle-même pour la translation de
les fabriques, aVt)c une ténacité de vrais bretons, épuisè­
rent tous l~s moyens de défense et maintinrent si bien
pour ses frais et sa
leurs intérêts que Landerneau en fut
courte honte.
« Avarit la Révolutiori la foire de La Martyre était le ren­
de~-vous de toute la noblesse du pays que ses plaisirs, ses
affaires et parfois la politique y amenaient chaque année.
Lors de la conspiration de Cellamare, dit M. Pol de Courcy,
les conjurés bretons se réunirent à La Martyre, et
espa-
y reçurent les ouvertures que leur fit faire le ministre

gnol, cardinal Albéroni, mais le complot ayant été découvert,
la plupart des gentilshommes bretons compromis dans cette
affaire passèrent la mer pour ne pas être arrêtés (1). )}

L'arc de triomphe de La Martyre est surmonté d'une
accèd~ par un
galerie ou chemin de ronde où l'on
et dont les deux extrémités communiquent par des
escalier
portes avec deux maisons anciennes qui dépendent de
l'église: une d'elles renfermait le poste ou maison du Guet
. et était reliée à l'église par une .galerie dont on voit
encore les amorces j quant à ces deux locaux, ils servaient
grand coup de {eu des foires,
au personnel de service lors du
par. exemple aux fabriques, qui s'y installaient et y logeaient,
vraisemblablel!lent, la barrique de vin que le procureur fiscal

de .Landerneau, en 1736, leur reprochait d'acheter, pendant
(1) Pol de Courcy. De Rennes à Brest. p. 295 . .
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI (Mémoires). 24

• la foire des deniers de la ' fàbrique, et qu'ils consommaient
en~re 'eux contre les défenses à eux faites par l'évêque (1).
De plus ces deux maisons n'étaient que suffisantes pour
recevoir et loger les bois, bordages, étalages, que le fermier
la fabrique louait aux marchands et commerçants venus

pourle temps de la foire.
Le mémoire de 1667, cité plus haut, nous fait savoir que
la fabrique avait obtenu du Parlement un arrêt
de 1643, date où
faisant défense de la troubler dans 'ses droits, jusqu'à cette
année 1667, elle avait fait pour plus de 20,000 livres de
bâtiments au profit de la chapelle 'et pour la commodité des
marchands! D'autre part, Le Roy Duparc, procureur fiscal
, de Landerneau, mais plus tard, nous informe que les
revenus de l'église étaient considérables et rapportaient près
2.000 livres en biens fonds sans parler de près de 800
livres que l'on retirait des boutiques et autres logements
pendant la foire, et des offrandes qui y tombaient pendant le
cours.de l'année. Sur l'état de ces revenus, l'examen' d'up. bail
des Tinelles (2) de La Martyre nous édifiera,et nous en prenons
un exemple au hasard dans les . actes des fermes que nous
aux Archives du Finistère. (S. C. Cour de Lan­
trouvons
derneau : police), par exemple, celui du 11 juillet 1766, le

, « Bail des Tinelles de La Martyre fait devant MM. les Juges et
consent y par les marguillers au profit de madame de Ker­
menguy Caroff portant cy 660 l. timbre et cout 9 l. 2 s. ».
Jean-François Maingant, sénéchal entre dans la chambre

des délibérations de l'église tréviale de La Martyre pour
procéder à l'adjudication des tinelles ; devant les fabriques
charge assistés de Me Laveaut, leur procureur. Toutes

le~ formalités de publications ont été remplies: bannies
à.La Martyre par le
faites à trois ,dimanches consécutifs
bedeau; et aux trois derniers jours de marché à Landerneau

(1) La Martyre et sa foire. p. 138. l. c.
, (2} Le mot est bien breton et" signifie tente.

Lesneven, Landivisiau, Morlaix, par les tambours de ville
desdites villes. Voici les conditions du bail :
.'r La ferme est pour six ans. 2' L'adjudicataire paie d'avance et
fournit caution; 3° dans le bail sont comprises les tinelles et boutiques
déjà affermées ou à affermer,et les autres emplacements servant pen­
dant ladite foire ainsi que les futailles vuides des tinelles suivant les
Beœux. 4' L'adjudicataire demeure chargé de fournir tout ce qui
sera nécessaire pour entretien, mais 5° elle ne sera pas tenue aux
en ardoises. . .•.•... 8° elle ne pourra prétendre
réparations
à aucune diminution sur le prix de son bail pour quelque cause
ou imprévue. go Dans le bail sera compris les endroIts qui ·
prévue
servent actuellement de magazins à la fabrique pour y serrer les
planches, pèrches et autres matériaux pour mettre les bouticques et
tineUes en état de jouissance. la· Aucun marchana ne pourra
le Cimetiére que les Marchands purement Libraires
Etaller dans
et autres .instruments de dévotion. » .•.
marchands d'Images
13' Que la tinelle d'attache à la maison au bourg .de La Roche

appartenant à cette fabrique ne sera point de la présente ferme •
- 14° L'adjudica~aire pourra jouir des planches qui servent de ·
doublure dans qUf)lques maisons du Bourg daprès l'Etat qui en
sera fait par ce qu'après la foire Il sera tenu les Rendre au mar­
guillier pour le même uzage.·
Le bel arc de triomphe formant l'entrée du cimetière est
le plus ancien du pays, avec ceux de Saint-Jean-du-Doigt
de N .-D, de Châteaulin (1). Il comporte trois · arcades, mais
celle du centre est beaucoup plus soignée que les collaté-
rales, elle est accostée de colonnettes prismatiques qui se
continuent en voussures profondes encadrées par une acco-
lade g~rnie de. feuilles de chardons, le tout surmonté d'une

frise feuillagée qui porte une balustrade à compartiments
flamboyants dans · les contreforts des côtés, d~s culs-de­
lampe portent les statues agenouillées de la Sainte-Vierge
(1) Livre d'or des Eglises de Bretagne, P,. 4. La Martyre.

et de l'ange Gabriel figurant l'Annonciation. L'arcade
principale est de plus surmontée d'un b~au calvaire. Au haut,
Notre-Seigneur crucifié; plus bas il est dans l'attitude
Jugement dernier, assis sur un arc dans les nuages avec
deux anges embouchant la trompette. Au revers de la croix
on voit la Résurrection du Sauveur, plus bas deux anges à
. banderolles, et deux sauvages velu.s formant cariatides.
Le clocher, qui offre les caractères du XIIIe siècle, est la
partie la plus ancienne de l'église: porte basse en ogive
à la naissance des
avec têtes plates en guise de chapiteaux
voussùres, contreforts peu saillants, baies étroites, encadrées
gorges et de tores bien arrondis, galerie à arcatures trilo­

bées. flèche octogonale dépourvue de clochetons d'angle et de
crossettes su'r les arêtes. Deux des contreforts de la face
, du clocher portent, gravées à environ deux mètres de hauteur,
deux croix de Malte inscrites dans un cercle ; et ces mêmes
croix se retrouvent sur les contreforts du porche qui est du
XVe siècle. Ogée, dans son dictionnaire de Brètagrie, au vu
de ces insignes, peut-être, n'hésite pas à déclarer que« les
chevaliers du Temple ont possédé longtemps l'église de La
Martyre J). Aucun document n'indique que cette possession
ait été exercée par les Templiers et, plus tard, par les
chevaliers ' de Saint-Jean : M. le chimoine Guillotin de

Corson, si , exact dans ses études, après de patientes
recherches dans les archives de Bretagne et du Poitou, a
et de leurs
dressé un état très complet des ' commanderies
pays; or s'il n'y fait pas mention
dépendances dans notre
de La Martyre, c'est qu'il n'a trouvé nulle part. que cette
. - église fut du Temple ou de Saint-Jean de Jérusalem. (1)
M. Abgrall nous remontre la finesse, la richesse des
dater de' la seconde moitié du
sculptures du porche qui doit
XV, siècle. Les deux contreforts d'angle sont pm:cés d'une
(1) Cf. Bulletin de l'Association bretonne. Quimper 1893 .

série de petites niches ogivales qui ne renferment aucune
deux côtés de l'entrée sont reprétentées les
,statue. Des
scènes de la naissance et de l'enfance de Jésus. Dans le

tympan, autre scène de la Nativité: la Sainte-Vierge cou ..
chée dans un lit bien drapé. saint Joseph assis à ses pieds,
vers le milieu 'les têtes de l'âne et du bœuf. La statuette qui
représentait le divin Enfant a disparu.
, Au côté ouest du por'che est accolé un ossuaire; il porte la '
date de 1619, et est donc postérieur d'un siècle au porche
lui-même. Au-dessus de la porte deux anges tiennent cette
inscription que notre guide, et confrère, interprète avec la
compétence à lui acqu)se par sa science du langage breton:
AN: MARO : AN: BARN: AN : IFERN : IEN
PA: HO: SOING: DEN: E: TLE : CRENA
FOL:EO:NA:PREDER:ESPERET
GVELET:EZ:EO:RET:DECEDI

« La mort, le jugement, l'enfer froid,'

« Quand l'homme y songe il doit trembler;
« Il est insensé et imprévoyant d'espérer (viDre.)
« Voyant qu'il est nécessaire de mourir ».
Le se11-s du 3,e vers serait différent si par une erreur qu'on
comprendrait faeilement: le tailleur de pierre avait fait un
seul mot de ce qui , aurait pu s'écrire en deux et mis
ESPERET pour E : SPERET; alors 'il , faudrait traduire:
« Insensé et imprévoyant est son esprit ». La lecture de
M. Pol de Courcy n'est pa's tout à fait la même que celle de
M. l'abbé Abgrall : c'est ainsi qu'il écrit aveC ' la lettre H,
l'article an, et qu'il a transcrit esperout.
En 1675, Louis ' Bodilis fut chargé de faire un secon'd étage
à cet ossuaire ou reliquaire pour y mettre les offrandes des
morts (1). « Au milieu du pignon, une belle niche monumen-
(1) Cf. La Martyre et sa foire, p.136.

tale accostée de deux cariatides abrite la statue de saint Paul­
Aurélien. La disposition des bâiiments voisins de l'églisè gê­
nant la circulation autour de cet ossuaire, le constructeur a fait

disparaître l'angle en faisant un pan coupé; ~t pour suppor-
ter la saillie supérieure il a adossé à ce pan une · cariatide
féminine dont les jambes et la partie inférieure du torse sont
enveloppées de bandelettes à la façon des momies égyp-
tiennes. n
M. Abgrall échange quelques observations à ce sujet
avec le vicomte de Villiers du Terrage et M. Cormier, qui
admirent l'industrie qu'employèrent les ouvriers pour
corriger ce défaut ·du plan primitif. . .
sur l'extérieur de la sacristie,
Nous jetons un coup d'œil
construite dans de fort belles proportions et nous entrons
dans l'église.
est difficile de spécifier le style de la nef? Est-elle

du XIIIe siècle comme le clocher? mais la forme des
feuillages des chapiteaux est du XIve siècle. Les arcades
du chœur doivent être de la seconde moitié du XVe siècle et
ce style est franchement indiqué par des détails que le cha­
noine Abgrall signale.
Dans le bas côté, près du porche, nous voyons deux
Sous le premier est agenouillé un
bénitiers fort distingués.
ange tenant deux goupillons. Sur le second, est posté saint
Michel terrassant le dragon, et sur la vasque est gravée
(c Hœc aqua benedicta sit nobis salus et
cette inscription:
vita: . F. Quentrie: F., l : K: Raoul: 1681.
Le baldaquin des fonts baptismaux portent la date de 1635.
Nous passons en revue les différentes statues de l'église:
des deux côtés du maître-autel, Notre-Dame de La Martyre
et saint Salomon roi, avec une épée plongée dans le côté,
sainte Catherine et un saint archevêque, Au bas des colonnes
Salomon et du saint prélat
qui forment les niches de saint
qui lui fait pendant, sont sculptés ell qns bas-reliefs les effi-

gies des douze Sibylles avec leurs attributs; au-dessus, en
médaillons~ sont les quatre grands docteurs de l'occident.
De ·belles statues en pierres attirent notre attention, c'est
saint Jean-Baptiste (1667), saint Laurent, sainte Marguerite,
saint Pascal-Baylon tenant un ciboire, deux autres sans
attribut, et enfin une belle statue d'évêque que l'on suppose
être saint Avertin ou Evertin. Il y avait sur le bord de la route
de La Martyre à Ploudiry une chapelle dépendant de ce
prieuré, et dédiée à ce saint guérisseur des migraines et des
névralgies. Sa statue de pièrre, d'un grain si fin qu'on la
croirait coulée en ciment, ne porte toutefois pas la caracté­
ristique qui désigne ce bon saint: (la tête séparée du corps ·
où les mains portées à la tête comme pour réprimer une vio-
douleur,) . .' .
lente '
Signalons encore les statues en bois des saints Côme et

Damien, patrons des médecins, un groupe de sainte Anne, un
saint Marc, ou bien un saint Jérôme, assis, revêtu des insignes
du cardinalat, ayant à ses pieds le lion du désert, etc. ;

Dans le petit retable de l'autel du bas-côté sud, a-t-on
voulu rappeler le nom de Merzer donnée à l'église tréviale ?
on a représenté différents supplices de martyrs : saint
Sébastien percé de flèches, un martyr tenaillé, saint Jean
dans la chaudière d'huile bouillante, un confesseur de la foi
sur 1Jn chevalet: on lui ouvre les entrailles et on lui arraché
les ongles; puis vient le roi David jouant de la harpe et la
Sainte-Vierge tenant l'Enfant Jésus avec le petit saint Jean
à ses côtés.
n'oublions pas d'examiner les poutres et sablières
Nous
de la nef du côté nord ; œuvres curieuses, autrefois nom-
breuses, disparaissant peu à . peu, par les réparations
. successives qui y sont faites. '
L'église de La Martyre a eu la borine chance de conserver
quatre de ses anciens vitraux, 'mais malheureusement
plusieurs des panneaux ont été intervertis, quelques-uns

même retournés sens dessus dessous. La grande fenêtre du
Cond du collatéral nord est datée de 1567 : on y voit repré­
senté un arbre de Jessé, le trépassement de la Sainte-Vierge,
son couronnement. Vitraux de l'abside, côté de l'Evangile
1 une châtelaine assise à une table avec deùx autres person­
nages, 2 un duc de Rohan à g'enoux présenté par un saint
personnage tenant la couronne d'épines, puis .quatre scènes
de la Passion.
Vitre du Cond : N.-S. en croix, la Vierge, la Magdeleine,
les soldats .
Côté de l'épître: les scènes du mystère de Jésus, de la
à l'Ascension, en six panneaux.
descente de croix
Nous pénétrons dans la sacristie qui est fort belle: on nous
mont~r à l'étage supérieur pour y voir la charpente, un
fait
fort bel ouvrag{3 qui montre' que nos charpentiers étaient
à faire de leur métier un véritable art, et à se
entendus
montrer aussi artistes que bons ouvriers. M, le recteur nous
. fait examiner les 'richesses d'orfèvrerie du trésor, mais notre
sur le reliquaire, une des plus belles
admiration se concentre
œuvres d'orfèvrerie de la Renaissance que possède notre
pays. cc Cette châsse. a la forme d'une petite chapelle, dont
etles quatre contreforts
la façade principale, les deux pignons
d'angle sont ornés de niches contenant les statuettes des douze
apôtres. Les niches de la façade et des pignons sont consti­
tuées par des , culs-de-lampe, puis des cariatides qui sou-
tiennent une arcade surbaissée ornée de feuillages en ara-
f?rmant clef centrale. Au­
besques et d'un ruban en volutes
dessus règne une frise de feuillages et de rubans enroulés .
Sur le coté du toit sont deux lucarnes sur lesquelles se
détachent les images de la Sainte-Vierge et d'un saint évêque .
. Ce toit est surmonté d'un lanternon à six pans orné de six
guerrier alterne
niches dans lesquelles la même figurine de
avec une cariatide trois fois répétée.

Il serait impossible d'étudier l'histoire deTorfèvrerie dans .
et d'être complet, si l'on n'a pas examiné ces
notre région,
beaux spécimens que nous rencontrons si nombreux dans
un rayon SI restremt.
La foire de La Martyre était le rendez.-vous des spécialistes
précieux: les seigl~eurs s'y rendaient
travaillant les métaux
pour faire achat de vases sacrés oU: de reliquaires pour en
Caire des dens précieux _ à nos sanctuaires; les fabriques y
. venaient échanger, par .commission, les deniers levés sur la
comglUnauté contre des merveilles d'art, la gloire future de
la paroisse: et nos maîtres ouvriers de Landerneau, Morlaix,
pour l'honneur du pays, la
Lesneven savaient soutenir,
concurrence de leurs confrères les orfèvres venus de Rennes,
de Nantes et de bien plus loin. .
Au moment de quitter le cimetière, l'abbé Favé propose
de vérifier sur les lieux une pièce qu'~l a trouvée aux
archives départementales: il y est question de la chambre
du guet et 7 may 1720, Jacques Caouce, sieur de Keriven, sénéchal de
Landerneau, reçoit la visite de Me Mathurin Mazéas, pro­
cureur de Messire François-Joseph de Brézal, chevalier
marquis dudit lieu, deffendeur contre le général de La
d'une affaire pen­
Martyre. Le bailli de Lesneven, au sujet
dante entre ces deux parties, pardevant la Cour royale
de Lesneven, avait décerné une commission rogatoire
pour entendre un témoin valétudinaire, âgé de quatre-vingts
ans: c'était Mre Gabriel-Yves de Coran, escuier sieur dudit
lieu, capita,tne-gouverneur des villes de Landerneau, La Roche-
Maurice, Joyeuse-Garde, Daoulas, Coatmel, demeurant en la
ville de . LandernealJ" rue Tout Rond.
V oici .la déclaration faite par le vénérable témoin : elle
nous mettra au courant de l'état des choses et de cette
affaire, lopgtemps pendante, et même il semble qu'en hau.t

lieu on se désintéressait passablement des droits et préten-
tions du marquis de BrézaI, en l'occurence.
Dépose. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
qu'an mois de juillet dernier il descendit le jour de l'ouverture de
la foire au bourg de La Martyre à la requête du sr de Kersaint
le S' marquis de Brézal, suivant instructions de la part
faisant pour
de M.onsieur le comte de Marbeuf commandant en Basse-Bretagne
son pr.ocès-verbal de la situation et de L'estat des
pour ra porter
portes et fenestres dune petite chambre qui donne S1tr o le corps
de garde aud. bourg de La Martyre sur ce que led. S' de Kersaint
aud. nom se st plaint par sa requette devant led. sr comte de
Marbeuf que certains particulliers malfaicteurs avoient de leur
de fait enlevé quelques jours avant
authorité privée et par voye
de la foire les portes et les fenestres de cette chambre
.l'ouverture
et massonné leur place contre la possession immé­
et avoir bouché
où el-toit led. sr de Brézal d'en jouir pour le logement du
morialle
commandant du guet pendant lado foire et pour y mettre ses
prOl,isions et, en effet, ayant fait estat desd. portes et fenestres, il
les trouva touttes masson.p.ées, le mortier encore tout frais tant du
costé du corps de garde que du costé du cemitière, et l'escallier
qui joignoit la porte du costé dud. cemitière démoly et enlevé
comme all,Ssy le vestibule qui le couvrait suivant les indices qui
la muraille, ny ayant ° quun mullon daltraits
paroissoient encore dans
la place dud 0 escallier; de plus dépose qu'en conséquence
dans
du même ordre il auroit interrogé plusieurs te3molns tant sur lestat
et fenestres et sur la situation de lad chambre que
desd portes
sur la pocession où se di~ait led. Sr de Kersaint and. nom d'en

jouir desquelles informations il auroit fait dellivrer des grosses
S' comte de Marbeuf et ayant quelque temps
pour remettre aud.
S' de Kersaint qui le rencoutra en cette ville
après demandé aud.
sy led S' comte de arbeuf avoit statué sur lesd. charges, Il lui
.répondit que non et que M. de Marbeuf n'avait pas jugé à propos
de juger ayant esté informé que led. Sr de Brézal et les habitans de
lad. trève de La Martyre avoient esté l'envoyés pleder à Lesneven
au sujet dud droit de guet et de lad chambre par arrest de l'année

Dépose de plus. . . . . . • (1) que deft'unt son ,père
disposf.r de lad, chambre pour y mettre ses provisions et pour y
loger le commandant du guet. Quil ya meme veu lever une table d
Laquelle mangeoient les dames et que l'on servoit de la meme
chambre Messieurs que lesd. Sn de Brézal pére et fils régaloient
à une longue table qui estoit dans un retranchement au bout
corps de garde lequel est d'attache à la mesme chambre, au
dud.
bout de laq. il a aussi veu une porte quy donnoit sur led. cemitière
le degré couvert d'ardoises et est la
avec un vestibule joignant
déposition de laq. pareillement lecture fut faite par nostre dit
adjoint en son vulgaire langage françois.

Nous avons visité la chambre dont il est cause plus haut
et nous livrant à quelques commentaires sur cette pièce, il
en ressort, ce que l'on constate par les archives de La Mar­
tyre déposées du département, que l'on était fatigué du guet
qui ressemblait à une cinquième roue à une charrette: que
c'était une charge que ne justifiait plus de services signalés
et appréciables. Bref, on en était fatigué, et en lisant la dépo­
sition du Gouverneur de Landerneau, on voit bien que l'on ne
donnait pas tort aux fabriques et habitants de La Martyre.
Nous saluons M. l'abbé Celton, M. du Rusquec, trésorier
. de la fabrique, et M. le vicaire, en les assurant de notre
gratitude; et en route pour Ploudiry!
De chaque côté du chemin qui y conduit, nolis traversons
le champ-de-foire, il y a quelques années encore planté d'ar­
bres séculaires, aujourd'hui d'autres arbres qui, espéron~­
le, le deviendront un jour. Nous remarquons recueillis en
plusieurs tas soigneusement amoncelés des souvenirs
de la grande foire qui s'y tenait, il y a huit jours à peine.
Ce sont tessons de bouteilles, d'amphores et 'de lagènes,
flûtes et litres de toutes les couleurs, bris~s, rom pus: vic­
times de batailles, où elles n'ont pas été seules à montrer
leur fragilité! Il Y a bien là de quoi à rehausser d'un étage

(1) Mots disparus par suite de la détérioration du papier.
ARCHEO
DU FJNISTI

le Monte Testaccio, la montagne des Tessons de bouteilles
qui se trouve sur le bord de la voie 'd'Ostie, à Rome, et ei
connue des voyageurs.

En dix minutes, nous nous trouvons transportés à PLOUDIRY:
il est 4 heures 30. Pénétrant dans le cimetière, nous nous
arrêtons devant l'ossuaire: antfii'ieur de 4 ans à celui de
La Roche (1639), il est moins riche mais il offre avec ce

dernier une certaine ressemblance .. Au lieu de' colonnes pour
séparer les fenêtres, il n'y a que des pilastres ou gaines, et .

les petits personnages qui se trouvent dans les soubassements
à La Roche, sOnt sculptés ici dans des caissons plus haut
que la rangée des baies, avec la reproduction des mêmes
types représentant les diverses classes de l'ordre social.

Au-dessus du bénitier d'angle, un ange tient une banderolle
avec ce texte:
Bonnés: gentz: qui: par: icy : passez:
priez: Dieu: pour: les: trépassez ': 1665.
Sur le fronton, on voit saint Pierre, patron de la paroisse,
avec la tiare et les clefs.
Le porche est fort beau; il porte la date de 1665 et il est
une copie presqu'identique de celui de Saint-Houardon, à
. Landerneau, qui est de 1604, mais avec des détails différents
et plus riches, surtout dans les piédestaux et la partie mfé­
rieure des colonnes et de la façade comme aussi dans la frise .
qui au lieu d'avoir une inscription est ornée d'arabesques très
fines. Dans les piédestaux des colonnes sont les images de
saint Pierre et de saint Paul, dans le bas des colonnes, des
ornements composés de draperies tombantes et d'oiseaux
becqu,etant des grappes de raisin, Mais si le fronton n'a pas
de couronnement complet, il l'aura sans trop tarder, comme
nous l'assure le curé-doyèn de Ploudiry, et nous pouvons
sahler l'aurore du jour prochain oi! le beau porche

de l'église aura ce complément qui lui donnera toute sa
perfection. '
reconstruite en 1855, mais on a heureuse-
L'église a été
ment conservé , avec le vieux porche,l'ancienne abside, etdans
le mobHier deux grands rétables d'autel à colonnes torses
ainsiquela maîtresse vitre du chevet représentant la Passion.
Le rétable actuel du maître-autel, provenant de N. D. des
Portes à Châteauneuf-du-Faou cadre parfaitement par ses
tourelles, ses niches et ses colonnettes avec les boiseries du
XVIIe siècle; dans le soubassement de l'autel, on voit un
de sculpture contemporaine représentant
gracieux travail
deQ.x scènes de la Nativité, l'adoration des bergers et l'a-
doration des mages. .
Un bénitier porte l'inscription: « LABARVM : PARO­
CHlJE : AQV JE : L VSTRALIS ; un autre bénitier en pierre

sur lequel est sculpté une croix plantée sur une tête de mort
porte deux inscriptions: çeste piscine a esté laict faire par
M. Y.Pape. p. en sa vie: l'an 1675, et sur le rebord supé-
rieur .: Ci Hic jacet. M. Yvo Pape. p : mortuus ano: 1715. »
C'est avec une satisfaction très légitime que l'excellent
curé nous montre ce qu'il a fait: actif, bien entendu
et persévérant, il a mis son église paroissiale e~ bon, '
, rang pour les améliorations et embellissements prati-
qués en ces derniers temps dans les édifices du cuIte.
Dans la sacristie, il nous montre une boîte aux saintes huiles
argent ciselé et repoussé, style Louis XIII, servant main­
tenant de reliquaire, ainsi qu'un calice en vermeil du même
style 'avec cette inscription: S: Ian,' 1648: M : Cessou, p :
Novel: Omnès : F: en Ploudiry. Nous examinons une riche
collection d'ornements complets: rouge, vert, violet, d\m fOIt
bel état conservation, ornements sacrés taillés dans les robes de
gala des noble8 dames du temps jadis, offrandes précieuses
d6nt les papiers de la fabrique, au dire de M. l'abbé Abjean,
ont consigné et conservé le souvenir. M. le curé nous

exhibe une belle bannière de velours rouge : le Christ en

croix et saint Pierre; mais sa prédilection est visiblement pour
une gracieuse bannière dont il a enrichi son église: elle r~pré­
sente la sainte Vierge et sainte' Anne, et est décorée de seize

d'un fini extraordinaire: c'est un travail remar­
médaillons
quable et d'un coloris qu'on ne peut se lasser d'admirer.
L'excellent pasteur poussé à bout par nos questions, nous
avoue qu'il a déniché ce trésor ..... dans les Côtes-du-Nord:
nous l'en félicitons chaleureusement; les étrangers ont assez
pour que nous applaudissions il quelques
pillé chez nous
heureuses représailles de ce genre de notre côté!
Nous admirons une belle balustl'ade de communion, d'un
caractère qui par son archaïsme rappelle le faire de la vieille
école de nos sculpteurs : c'est une copie de la
balustrade' de Loc-Eguiner mais traitée sous la direction
du curé, et qui tromperait si on n'y regardait à deux
fois. Quelques statues attirent l'attention: un beau saint
Pierre dans toute la majesté du pontificat suprême; une
. vierge-mère, un franciscain tenant en main une tête de
mort, uri saint Louis portant la'couronne d'épines enveloppé
dans un voile, et la statue d'un saint prélat, dont les
vêtements richement drapés et la noblesse d'attitude rappellent
le beau portrait de Bossuet par Rigaud. Nous allons au pres­
bytère examiner de belles pièces de mobilier antique, et une
superbe pierre où se trouvent gravés les armes de Rohan­
Chabot, une véritable gravure pour la finesse du travail, qui
, sera encastrée dans le couronnement en projet pour l'achè-
vement du porche , '
C'est encore une bonne fortune de . le curé-doyen qui a
découvert 'cette pièce, dans les substructions d'un caniveau.
Nous saluons M. l'abbé Abjean et nous regagnons nos

VOItures.

se déroule
Il est 5
heures 30 ; un pano~am~ féérique

devant nous, et sous nos yeux émerveillés nous voyons se
profiler seize lieues d'horizon.
Je subissais, à part moi, la mélancoli.e du souvenir. Ce
prèsbytère m'avait été si hospitalier, lorsque le curé de
Ploudiry était M. Vincent Roudaut, mon oncle à la mode de
Bretagne, ,,et que j'y venais passer, chaque année, quelques
jours de vacances. '
C'était une figure qui mériterait bien une place da~s une
galerie bretonne: jamais, au reste, il ne fut la copie de quel­
qu'un: d'une érudition qui étonnait: c'était un autodidac­
tique d'une puissance rare: c'était une encyclopédie, où il
pouvait se rencontrer quelques passages faibles, défec-
représentant dans
. tueux, des solutions de continuité, mais
La . Bre-
l'ensemble une force de travail incalculable.

tagne lui doit des ouvrages bretons qui font autorité
(Kenta mis Mah, Baie an Env); et l'église de Quimper
ne peut oublier ce petit curé de campagne qui entretint une
Laserre, Granier de Cassagnac père,
correspondance avec H.
Léon Gautier, Dom Plaine ; qui conserva fidèlement de pré~
cieuses amitiés à la Faculté des lettres de Rennes, avec MM. H .

Martin, Dupuy: etc., et notamment des relations d'affection
et de collaboration suivie avec le vénéré M. Morin.
spéciale
Ploudiry nous revenons à Landerneau sans désemparer
retrouvant sous une autre face le merveilleux panorama que
présente la vallée de l'Elorn. La route descend en pente douce
à travers les flancs abrupts des rochers; et nous avons sous
aspect nouveau du gracieux bourg de La Roche­
les yeux un
Maurice, de ses moulins et de son vieux château féodal.

. A six heures nous sommes de retour dans la cité des prin­
ces de Léon; sur la place des Quatres Pompes ornée d'une
belle fontaine pyramidale nOIS descendons de voiture et
nous allons visiter Saint-Thomas, sur la rive gauche de la
rivière, en Cornouaille.

Pourquoi ce vocable a-t-il été choisi de sitôt après la mort
de saint Thomas Becket, à Landerneau, comme à Bénodet ? ..
M. de La Borderie (1) trouve que le motif en est assez facile
à saisir. Saint Thomas opprimé par Henri II, finalement
. victime de ce prince, devait être naturellement cher aux
eI!nemis des Anglais oppresseurs de la liberté
Bretons,
.... » Admettons l'explica'tion sur l'autorité de '
de tous .
celui qui l'a proposée, toutefois il nous semble qu'il . y
autre raison que le malin plaisir de faire pièce à
eut
l'Anglais, étant donné que saint Thomas de Cantorbéry était
tout aussi bon anglais que ses persécuteurs. .
La façade de l'édifice, dit M. Abgrall (2) ,est sobre; le clo-
cher d'une certaine lourdeur, mais de noble allure avec ses
et de chambre de cloches, puis son
trois rangées de galeries
dômé terminal.
Si l'édifice dans son ensemble est du XVIe siècle,]a tour'
est de 1607. A la base on voit les statues de N.-D. de Vitré,
de saint François et de saint Eloi. Des deux côtés de la
Sainte Vierge on lit cette inscription: CESTE: TOVR :
FVST : FONDÉ: LE : DIMANCHE: DE : LA: TRINITÉ:
LAN: 1607 .
. A l'intérieur du porche, dans une arcade creusée au-des-

sus de la porte est une statue couchée qu'il est difficile de

déterminer. M. le chanoine Abgrall propose d'y voir une
Marie-Magdeleine, la pénitente de la sainte Baume?
Outre la fenêtre de chevet à vitraux anciens l'église possède
sur bois: deux panneaux représentant, à
des sculptures
chaque côté du maître-autel, le martyr de saint Thomas
et la facture rappellent les panneaux
Becket, dont le style
rapportant à La Martyre, le supplice du roi saint Salomon.
On connaît la curieuse corniche représentant un cochon qui

• (t) (P. 34) du Bulletin de l'Association bretonne, 1879.
(2) Livre d'or des églises de Bretagne •

boit à la clef du tonneau, la femme qui tire sur la queue du
cochon, et le mari qui tire sa femme par les cheveux, et
celle du renard prêchant à des po~les.
A dix mètres de la façade, se trouve ' l'ancien ossuaire
transformé en maison d'habitation pour le sacristain. Il porte
la date de 1635 et se distingue par une porte accostée de
colonnes ioniques et quatre baies cintrées séparées par des
pilastres de même ordre. Dans l'ancien cimetière, une croï'x
porte un écusson où le croissant est uni aux mâcles des
Rohan. Les mêmes croissants se retrouvent aux pinacles des
contI'eforts.
En passant sur le pont féodal nous voyons l'emplace­
ment où fut le moulin seigneurial, monument de style ogival
bâti par les Rohan: récemment démolie, il n'en reste qu'un
,escalier noyé dans un mûr d'arrière façad'e, l'inscription de
la fondation encastrée au-dessus du linteau de porte d'un

débit, et l'ensemble de dessins de ce curieux édifice qui a été
exposé en 1898 au salon de la Société des Artistes Français .
L'inscription a été mal donné par le chevalier de Fré-
minville et à sa suite par M. Pol de Courcy, et après lui, par
tous les guides qui les ont copiés.
Voici la lecture fautive de l\L de Fréminville: « L'an 1518
puissant Jacques vicomte de Rohan, comte de Porhoët, seigneur
de Léon, de la Garnache, de Beauvoir-sur-Mer et de Blain fit
Il.lire ces ponts au-dessus de la riDière : Saget procureur et
. Jeha' 'U Le Guiriec, Rec~ de cette 'ville.
Voici ,d'autre part la ,seule lecture possible et bien

fixée, ce nous semble ':

Lan mil Vcc X Hault et p'uissant Jehan viconte de Rohein,
conte de Porhoet, se.igneur de Léon, de La Garnache, de
Beauvoir sur Mer et de Blin, fist {aire ces pont et moulin au
devis de maistre Saget pr et Jehan Le Guirriec Reer de ceste

'vilk
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE.:.. TOME XXVI (Mémoires). 25

Un~ bordure qui encadre ce remarquable spécimen de
notre épigraphie est composée de mâcles alternant avec
l'initiale A, commémorative .des A Zains, les fondateurs de
la dynastie. Puisque le vieux moulin a disparu et qu'il
reste désormais que le souvenir consacré par des
n'en
rares, il faut y ajouter
collections de dessins devenues

l'apport de renseignements r~trospectifs que nous livrent
l'es archives. . .

Nous avons trouvé une pièce donnant une description
sinon artistique du moins exacte et judiciaire même de ce

qu'était le moulin du Pont de Landerneau en l'an de grâce
1724. C'est un procès-verbal de prise de possession des
moulins de la principauté de Léon afféagés aux Talhouet.
Le 6 juin de cette armée, à 8 heures du matin, Me Mathurin
Mazéas, maire de la ville et communauté, 'muni de procu·
ration en règle, requiert des notaires, de la juridiction pour .
. se transporter en compagnie de Me Pierre Quéré, sr de
no et pr à Landerneau, et procuTeur in rem 'pour
Trévoas
mettre et induire led. Me Mazéas en possession réelle et corpo-
Pont de cette ville, geolle et pescherie et
relle des moulins du

dépendances, du moulin de La Roche-Maurice, -de ceux de
1 'l'romatiou, de ROchcleguer, du Quistinit et du Pont-Neuf,
situés en la paroisse de Sizun, aux termes de la licitation

Talhouët et son fils le sr du Hénan,
passé entre le sieur du
avril dernier.
en date du 1
« A quoi inclinants les notaires se transportent en compagnie
desd requérants jusques dudit moulin de cette ville de Landerneau,
et apprès y avoir entré, et parlant au sieur Michel Gourvezan
f3rmier dud. moulin, geolle et pescherie, auquel ayant déclaré le
sujet de nostre comjoD, il nous auroit répondu quil ny avoit moyens
emp'eschants, non plus de payer à quj devra le prix de sa ferme
quj est de deux mUle six cents livres par an apprès que nous
avons mis et induit led. sieur Mazéas aud. nonl en présance dud.
~ieur Trévoas en laquelle qualité, dans lambas dud. moulin où il y

a deux tournants et moulans garnis de leurs ustensilles, au premier
de cuisinne au
estage est une cliambr e servante présantement
plain pied de la mes me c,hambre, une autre servante présantement
de chambre criminelle, au second étage une petitte chapelle dédiée
à saint Louis, au bas de lad: chapelle, une chambre dans laq. il y
de planches pour y renfermer le sexe,
a un petit réduit garny
consignés dans lesd. prisons, et à plain pied de cette chambre une
de chambre civille, comme aussy dans la peschefie
autre servante
dessous et adjasante .les deux roux dud. moulin, led. moulin
le pont dud. Landerneau ayant ses pignons et murailles
ouvrant sur
costiere en pierre de taille et couverte d'ardoisses, . dans lequel
geolle et pescherie, vasseaux et détreignibles, apprès
rnoulin
fait moudre lesd. deux tournants, entré dans lesd. apparte­
avoir
fenestrAs, fait feü et fumée et observez
ments, ouverts portes ét
les autres formalitez nécessaires pour bonne et valable pocession,
· nous avons laissez led. s' Mazéas en la paisible pocession sans
trouble ny opposition, à l'exception néantmoins de celle de noble'
homme Joseph Le Roy, sieur dn Parc p' fiscal de cette principauté
lequel présant en personne a déclaré opposer formellement pour et
3U nOIll de monseigneur le duc de Roban seigneur de cette ditte
geoUe et
principauté quon ne presne pocession dans lesdits
pescherie, comme luy appartenant privativement et non employés
le féage lequel pour cet effect n'entend en aucune manière
dans
à l'Instance pendante à ce sujet ny aux autres droits et
dérogé
de mondit seigneur le duc de Rohan •..••• ' •••••
prétentions

« Sig. Le Roy, p' fiscal. »

A 2 heures 1/2 de l'après-midi, on se trouve au moulin de
La Roche-Maurice, affermé 480 livres par an ; le lendemain,
on se rend à Tromatiou (165 livres), au Pont-Neuf (280'
livres), à Quistinit (210 livresj. Partout led. sieur Tré-

· voas met et induit led. Sr Mazéas en possession réelle et cor­
porelle (J. pour avoir fermé et ouvert portes et fenestres, fait
· (( leu et fumée, bue et mangé, .arraché motte et rompue bran-
ct ches. ·»

Nous nous rendons directement à l'autre extrémité de la
ville pour visiter Saint-Houardon .
L'église de Saint-Houardon, transportée par suite des né­
c6ssités du temps et de la population croissante en 1861 plus
d'intéressant que ses parties an-
• au centre de la ville, 'n'a
ciennes conservées avec soin, rétablies pierre à pierre, c'est-
à-dire le clocher, le porche et une porte.
En bonne et nombreuse compagnie, M. de La Borderie
déclare que Cl le porche est un bijou daté de 1604 et que l'on
croirait plus ancien». M. Abgrall affirme que peut se glorifier d'avoir conservé et accolé à son église mo-
derne de Saint-Houardon le plus beau, le plus parfait des
, porches de l'école de la Renaissance, genre de construction
et d'ornementation qui s'est perpétué chez nous avec quel­
ques variantes jusqu'à la seconde moitié du XVIIe siècle. Ce
porche a un aspect très saisissant de parenté avec ceux de
Bodilis:1570; Pleyben, 1588; Goulven, 1593; St~Thégonnec,
1599 ; Guimiliau, 1606 ; Trémaouézan, 1610-1623; Goues­
Ploudiry, 1665. . Trémaoué­
nou, 1642; Commana, 1645 ;
zan et Ploudiry semblent tout spécialement inspirés par ce .
modèle, et le dernier, resté inachevé comme couronnement,
le reproduit exactement sauf quelques modifications de
détail. .
Laissons encore, puisque nul ne s'y entend si bien que lui,
docte confrère nous expliquer les détails dela grande
notre
arcade qui forme l'entrée du porche :eomposée de quatre
. tamboul's cannelés séparés par des bagues feuillagées, mo-
dèle commun à presque tous' nos porches de cette époque,
et inventé par Philibert Delorme dans la construction duPalais
des Tuileries. Après avoit' décritles·ébrasements del'intérieur,
il nous montre au sommet de l'arcade une belle volute avec
grande feuille d'acanthe formant une clef très décorative. De

chaque côté de l'entrée deux colonnes cannelé<':)s couronnées

de chapiteaux corinthiens supporte une frise ornée de cette

inscription: DOMVM. TUAM. DOMINE. DECET. SANCTI-
TVDOIN. LONGITVDINE. LIERVM.1604.
Au-dessus de la corniche de cette frise se voit une bell9
. niche encadrée de cariatides à gaines dans le genre de celle
que nous veno-ns d'admirer à La Martyre, abritapt autrefois
la statue du saint patron, car au bas on lit: S. HOARDONE.
Un très puissant clocheton couronne cet ensemble: au '
premier étage il est carré et passe ensuite à la forme cylin­
drique pou'r former le lanteI;'non qui se compos~ de deux
petits dômes superposés. .
Sur la façade on remarque des figures saillantes qui pour­
raient bien être des portraits.
Un point que M. 'le chanoine Abgrall engage à noter, c'est
la présence de croissants qui couronnent deux petits pina­
cles au bas du fronton supérieur. On peut y voir, croit-il,
comme dans les nombreux croissants de Gouesnou, une
réminiscence de l'ornementation en vogue sous Henri II .
A l'intérieur, les parois latérales sont rccouvertes par
douze niches gothiques dans le bas des dais, mais absolument
dans le style de la Henaissance, avec ses pilastres, dômes,
petites urnes et croissants du cour0l1:nement. A ~dmirer la
belle clef pendante à la Yoût~ avec rosace sculptée. Les deux
portes du fond, que M. Abgrall croit antérieure, au reste,
d'un demi-siècle, offrent le même caractère que celles de
Landivisiau: moulures prismatiques et gorges profondes
tapissées de feuillages découpés; au milieu unbeau trumeau
avec beau bénitier avec une colonnette ornée de losanges
qui rappellent les mâcles' des Rohan, au-dessus un ange
tenant .deux goupillons: dans les moulures du grand enca­
drement, il y a toute une série de, statuettes parmi lesquelles
on reconnaît saint Côme et saint Damien patt'on des médecins
Avec son porche majestueux, l'église de Saint-Houardon
a conservé l'ancien clocher datant de la même époque et
. dont la silhouette ,fait si bon effet dans le large vallon de

Landerneau se combinant avec celle de la tour plus lourde
de Saint-Thomas située sur l'autre rive de l'Elorn. Au
sommet d'une base élevée, accostée d'une tourelle d'escalier
se dresse une chambre des cloches divisée en deux étages,
et par-dessus une troisième galerie, quatre clochetons d'an~

gle, une àutre chambre octogonale, un dÔfI)e principal et
un lanternon à deux étages, c'est approximativement le
la même disposition savante et gracieuse qu'à
même tracé,
Roscoff, · à Berrien, au Ménez-Hom. ]) .
Congrès de l'Association Bretonne à Landerneau
Lors du
M. de La Borderie trouvait que ce clocher était
plus sec que le porche et semblait plus ancien. Cependant,

• il avait rencontré, aux archives de la ville, un dessin de la

partie supérieure avec un devis de reconstruction, le tout
daté de 1723; en tout cas, la base de la lanterne est évi-

demment bien plus ancienne .
Le souper nous attend; on y fait honneur, et après s'être
mutuellement félicité des débuts de la campagne, on se dit:
Au Revoir! et on va se coucher en sougeant comme Titus:
Je n'ai pas perdu ma journée!

17 Juillet. No.tre plan a été modifié, hier soir: en
conseil: nous verrons, en rentrant, Daoulas et Château-
lin; . l'emploi du temps dont nous disposons nous force
à abréger notre séjour à Landerneau. Je le regrette,
donc
pour ma part, car la charmante petite ville est à visiter en
Puis j'auraïs été bien heureux cl'examiner~ à l'Hôtel­
détail.
M. le chanoine Peyron, les
de-Ville, en compag'nie de
cl Il Congrès
Archives de l'ancienne communauté, que lors
de l'Association Bretonne, en 1878: un juge bien autorisé:
M. de La Borderie, avait apprécié~s avec beaucoup d'éloges .
Les documents qui avaient frappé son . attention étaient

particulièrement, dans les Délibérations de ville, les mesures'
d'hygiène et de police prises lors de la peste de 1629 ; une
quittance du vénérable P. Maunoir, d'une somme de 200 1.
à lui allouée pour avoir prêché le carême, à Saint-Houardon,
en 1649 ; l'affaire du papier timbré et la correspondance
du duc de Chaulnes avec le syndic de Landerneau; Le
titre relatif aux corporations ouvrières qui donne une haute
idée de ce que devait être la population de Landerneau, au
XVIIe siècle, puisqu'on y relève trente et quelques corpo­
rations différentes ». (1)
Depuis j'ai parcouru les Rôles de la capitation se
suivant dans un ordre chronologique complet: · quelle
source féconde d'informations! Les annotations mises en

marge de ces Rôles sont particulièrement intéressants.
En 1879, notre éminent historien, M. de La Borderie,

disait ce qui suit,et ce que personne ne devait connaître mieux

que lui: cs. L'importance de Landerneau remonte loin, car les
vieilles maisons y sont nombreuses et disséminées .
.. On peut les diviser en trois classes:

« 1 Les plus anèiennes en pierres antérieures au XVlI
siècle, caractérisées par des fenêtres de toitures grandes, à
pignons triangulaires fleuronnés, avec croisées en gra~it.
Elles appartiennent au XVe siècle pour la pl.upart. Comme
spécimen on peut citer la maison n° 6 de la rue des Bouchers.
(( 2° Les maisons en charpentes et en ardoises, avec rez­
de-chaussée seulement en pierre et pignon sur rue. Elles
sont ordinairement à trois étages, tout surplombant les uns
sur les autres: les éncorhellements sont soutenus par des
poutres sculptées. Ces maisons sont communes dans la rue
de Ploudiry et sur la place du Marché.
« 3° Les plus nombreuses enfin, les moins anciennes rela­
tivement, sont en pierres daté du X VIlle siècle. Les fenêtres

(1) Association bretonne. Landerneau 1879, p .. 32 .

de toitures ont des frontons arrondis, avec coquilles et pots.- '
à-feu aux angles. Sur la pla~e du Marché par exemple on
trouve la maison dite de la Sénéchaussée; elle présente une
tourelle engagée, avec toit en .poivrière, d'une disposition 1
Iort rare et d'un pavillon avancé en ' guérite, soutenu par des
corbelets.D .

J'ai relevé quelques h<:lbitations qui entrent dans ces caté-
gories posées avec tant de clarté par M; de La Borderie (1) .
Nous eussions été heureux de retrouver remplacement de
ces vieilles hôtelleries,où pendaient les enseignes du Pavillon
royal, du Croissant, du Bon Conseil, des Trois Rois,mais il

faut savoir borner ses désirs et passer outre.
Les halles étaient à Landerneau, comme ailleurs, le centre
• de la vie commerciale et civile; elles avaient une chambr~
désignée spécialement pour les réceptions et ventes des toiles;
mais si défectueuses, que Landerneau perdait de son impor­
tance et voyait Morlaix gagner habilement ce que sa rivale
perdait Gomme commerce et chiffre d'affaires . . . . .
Une plainte de Marie-Anne Badart, marchande authorisée
du sieur Guillaume Angelin, son mari, nous montre l'a ce
qu'était l'étalage d'une épicière en l'an 1718, à Landerneau .

« Le 28 mai elle remontre qu'elle tient une boutique de mnr­
chandises d'épiceries près les halles de cette ville, et que vendredy
dernier environ les midi, elle fut des plus surprises de voir quantitté
de ces marchandises qu'elle avoit etallées, renversé et jeté par terre
de telle manière quelles ont este réduit en nulle valleur pnr les
chevaux dOllivier Paugam fournier du four situé en la rue de Penan-
vern de cette ditte ville de Landerne~u, lesquelles luarchandises
consistoient en une livre de poivre moulu, valant vingt et cinq sul:;,
une douzaine de pip pes finnes, neu f so Is, un pichet de terre grise,

(1) Sur le quai Saint-Houardon, l'an'Cienne maison ' Keroullain (16~G) ; le

n° 4 de la rue de la Fontaine-Blanche: les nos '2 1, '2G, 34 (109'1), 38 et 40
de la rue de Ploudiry: place des Quatre-Pompes, dèux maisons an-
ciennes, etc,

,. trois sols, six livres dalùdon, vingt et quatre Bols, deux livres de
prunes, cinq sols, trois livres de raisins, quinze sols, deux plats de
terre et une assiette, quatre sols six deniers, quatre douzaines d'œufs,
'neuf sols, lesquelles sommes jointes ensemble se trouvent monter
à einq livres 2 sols cy, etc »).
Landernean était le ceritre de transactio~s importantes de
suif et chandelles, de tanneries et surtout de toiles; son com­
merce était vivifié et entretenu, d'autr'e côté, par les dépôts
pour la manutention et le ravitaillement du port de Brest;
il avait notamment la mouture des grains, les salai-sons. la
préparation des fèves et pois, et le dépôt de racines d'ajoncs
comme combustible des vaisseaux. Cambry n'hésite pas fi. dire
« qu'autrefois le cominerce de Lander~eau égalait celui de
" Morlaix, les armateurs de cette ville achetaient des vins à
« Bordeaux, des résines et des planches à Bayonne, cepen-
(c dant fbien qu'J il n'existe en cette ville aucun établissement
« en grand pour le commerce. Or on ne peut pas donner ce
« titre aux greniers placés sous les halles, où les jours de
« marché les fabricans déposoient leurs toiles' ). "

. Nous arrivons sur le qU51i de Léon, jadis lieu de prome-
select jusqu'au manoir de la Palue. Cambry en parle en
nade
fort bons termes. .

« J'ai trouvé, dit-il (1), peu de quais plus vastes, plus
espacés, pl~s commodes que ceux de Landerneau; on y jouit
d'une fort jolie vue sur la ville qui s'élève en amphithéâtre sur'
des montagnes rapprochées de votre œil, dont vous saisissez
sut' les sinuÇ)sités de la :rivière, La promenade,
les détails,
établie presqUl~ en face de l'église gothique et singulière de
est garnie de rangées d'arbres, entourée
Saint-Houardon,
d'une halustrade ; elle est fréquentée dans l'été, on y respire
(1) Voyages dans le Finistère ou état de ce département en 1794. Ed.
Fréminvile 183G, p. '260.

la fraîcheur du soir dans un air renouvelé par le mouvement
des marées et de la rivière, on connaît l'effet agréable de ces
bâtiments à la voile qui glissent sur les eaux du milieu des
. terres, et des rivages boisés, soit à la fin du jour soit à la
clarté de la lune)). .
Ce quai de Landerneau vit bien des contestations au sujet
de pots de vin et de redevances sur les breuvages consommés
dans la principauté de Léon. Voici ce qu'il en était au com­
mencement du XVIIIe siède,' d'après un procès-verbal du 17
avril 1738 :

« Jean Renan, Louis Oourven, général et darrnes, résidant à Lan­
derneau, rue de la Fontaine-Blanche, P'" de Saint-Houardon, le 17
avril, se transporta à bord de la barque le Saint-Charles-Marie,
arrivée au port le 14, chargé de trente et sept thonneaux de vin,
commandé par Yves Cadour Brenterch, de Laberildut, p'" de Pors­
poder. Il faisait cette visite à réquisition de nobles gens Claude Feu-
vrier s' Dalaret fond. dans les droits de vin et ports et havres et
autres droits de Monseigneur le prince de Léon à Landerneau,
Claude Maigre sr dudit nom fondé en procuration de dame Char­
lotte Prigent authorisé de justice sauf refus de n. h.: Yves Four-
nier sr de Kerallien son mary estante dans les droits de M. de Ker-
jean Barbier,
et Laurent Le Duff sr de Kerlizien fondé aux droits du sieur de
Kermadee Lizac et Alain Traon fondé aux droits de M' de Kerlo-

ree de Kersulguen. .

Dourven déclare au capitaine du Sa~nt-Charle.~-J.Jfarit que les
vins de son chargement sont sujets aux droits et devoirs 'de vins
dus aux précités- conformément- aux aveux d'inféodations dud. sei­
gneur de Léon et aux jugemnnts et sentences rendües à ce stfjet,

Sçavoir payer:

Aud Feuvrier : 40 pots et pinte.
A ttd. Marqué: 25 pots et chopine (<;ie).
Âud. Ledreff: 25 pots et chopine,
Et aud. Le Traon: 3 pots. '

Brentec'h répond au général et darmes qu'il n'a qu'à choisir, ou faire
la barrique par led. Feuvrier, mais « que nous nous trompions
choisir
si nous croyons lenlever et transporter ». Surpro­
bien l'un et lautre
les droits contre lui sont trop certains, « émeü de colère
testation que
et jurant le saint nom de Dieu», il saisit une grosse barre de bois
de la grosseur de la jambe, pendant que Dourven Stl mAt en défense
son pistolet; Dourven, accompagné des records François Tho­
avec
mas et Jean Le Roux, en présence de trente témoins présent,s, re-
nouvelle sa sommation: un de.s records le rappelle « le respect quil
les exploits de justice ". Br~mterc'h furieux re­
devoit avoir pour
prend la terrible barre de bois, pendant que le général et d'armes
en compagnie de fes aides remonte sur·le quai où il requiert témoins
la rébellion et signer son procès-verbal ou le f::lire
pour attester
signer: « ils ont tO'l.tS esté de ce refusant ».
Au bout du quai de Léon, nous voyons .1'emplacement où
fut l'ancienne église, transportée en 1861 plus au centre de
la ville. Les descriptions de l'ancien Saint-Houardon doivent
êtrè bien rares aujourd'hui, toutefois, on peut s'en faire une
idée par certains documents.

« Dans le cabinet du bibliothécaire de la ville de Quimper, on
conserve un manuscrit de' plus de deux cents pages, renfermant des
consultations d'av.ocats au Parlement de Bretagne et de Paris au sn je t
des prééminences existant en l'églisè de Saint-Houardon, de pré-

tentions et de contestations qui éclatèrent, en 1750, lors d'un, nou-
de refection du pavé de cet édifice.
. veau travail
« La première, '. délibérée à .Paris le 10" mars 1752», est signé
des noms célèbres de d'Héricourt, Bivière et Baudebel't. Une autre

à Rennes, le 11 août 1750, par nos illustrations a.u
avait été donnée
barreaù breton: A •. Arot, du Parc-Poulain et de Martigné-Pépin .
« Ce document nous fournit quelques données sur' les chapelles
existant dans l'église du quai de Léon Il débute en rappelant qu'en
1718 l'église de Saint-Houardon fut pavée de neuf et lors le
l'année
si~ur Pennanrun Le Vaillant, trésorier en exercice, se pourvut à la ·
Cour et obtint un arrêt conforme, qui n'était que la confirmation
d'un autre arrêt antérieur de -1710.

.« Nous apprenons qu'une de ces trois chapelles portait le nom de
Sainte-Catherine o'u; de la petite Pallue. Elle formait une aile de
l'église du côté du nord, et était bornée au midi par un tombeau
de la nef du côté
élevé qui régnait entre les deux premiers piliers
de l'Evangile. Ce tomheau, sur lequel il y avait toujours un drap
mortuaire, était orné d'un catafalque au-dessus duquel il y avait un
dai funèbre, un procès-verbal de 1546 qualifiait cette cha pelle de
chapelle close «,sans cependant parler de barricades ny de portes ».
Cette chapelle avait toujours été regardée C(Jmme prohibitive et
dépendant de la terre de la Palue. Le plus ancien titre est le testa-
ment de François de la Pallue par lequel il fonda la chapellenie en
150: 2. 01'., comme le remarque le document dont il est cas, il est cons­
tant que l'église a été rebâtie originairement en 1524.
c( Dan~ la chapelle dite du Rosaire, les seigneurs du Lech , pré-
tendilient aux premiers honneurs immédiatement après le Peince
de Léon entre autres « à la lizière funèbre »). En 1706 on rehlanchit
l'église de Saint-Houardon et sous les couches de badigeon, les
lizières on lettres disp,arurent : en 1713 le seigneur du Lech
réclama, protesta et accumula ses revendications « dans decopieuses
procédures .
cc LI.!- chapfllle nommée Chapelle de la Couronne, « cy devant de
Saint-Jérôme formait l'aile du midi et appartenait aux sieurs Ker­
raoul Le Gac, et pour cette cause ils devaient à la fabrice une rente
ale de 2 s. 6 d. »). On cite à l'appui un titre du 26 juin 1474,
ann,
dont on ne retrouve plus l'original ni de copie authentiql;le. cc Il y
avoit une grande cloison à jalousie et une claire-voye dans les deux
arcades depuis la muraille costière jusquaux deux premiers piliers
du' midi de la nef que les paroissiens avoient fait supprimer. mais le
sieur de Km'raoul Le Gac, en .1719, se pourvut au Présidial pour la
faire rétablir» Il tirait conséquence de ce que la charpente et lad.
armoryés de ses armes d'un bout à l'autre et de
chapelle étaient
chaque costé. »
A Landerneau, on nous avait parlé d'une auge de pierre que
l'on pouvait découvrir sans difficulté: c'était celle même dans
laquelle saint Houardon avait opéré sa traversée pour venir
atterrir sur les l;'ive$ de l'Elorn, traversée illustrée par le

célèbre tableau de Yan Dargent. On se met à la ~recherche
de l'auge légendaire, que l'on dit oubliée dans la cour de
quelque maison particulière .

Il fallait trouver une auge: ce n'était pas là la difficulté,
mai.s bien rencontrer une auge qui, par une tradition se per­
dant dans la nuit des temps, était désignée pour avoir servi au
saint patron de Landerneau. Notre confrère M . . Le Guay,
qui connaît la ville, se dépense à interroger, à provoquer les
mémoires assoupies ou défaillantes ;. on ne relève a,ucune
mention de l'auge de pierre·. Enfin, à l'extrémité du dépôt de
bois de M. Le Gall, derrière une maison plus décrépite que
vétuste, l'obligeant M. Modeste nous conduit à une fontaine
de saint Houardon. Notre petite caravane s'y rend, et nous
trouvons ladite fontaine à l'ouverture relativement étroite,
surmonté d'une statue de · pierre d'un saint évêque, à la •
figure ~mpreinte de placidité et de dignité, tenant de sa dextre
une étole, qui ligotte un dragon de dimension médiocre
mais d'un asp.ect rageur et féroce. Il n'y a pas, semble-t-il, à
s'y tromper .; l'image du saint pontife représente le patron
du diocèse de Léon et non celui de Landerneau. On nous ex-
plique que vers 1860, lorsqu'on démolit l'ancienne église,
on enterra pieusement en ce lieu beaucoup de statues mises

en réforme. '

On nous raconte encore que depuis longtemps on venait
à la nuit sombre prendre le saint dont nous venons de parler,·
qu'on le plongeait dans la fontaine et qu'on l'y laissait. Les
habitants de la maison voisine ennuyés de cette pratique y
mirent bon ordre, en maintenant la stéltue de granit, au bord
de la fontaine sacrée., au moyen d'un solide cercle de fer scellé
dans le mur.
Nous retournons sur nos pas, on nous montre l'ancien
manoir presbytéral de Saint-Houardon : haute construction
tapissée de lierre et entourée de fort beaux arbres .

Puis la compagnie des chemins de fer d'Orléans nous im-
posant son horaire sans nulle concession, il faut presser le
pas, rentrer à l'hôtel et prendre le train qui nous conduira à
Daoulas.

Le thème de nos manœuvres est pour ainsi dire épur-sé ;
no,tre programme comportait la visite de points ignorés, ou
du moins mal connus,de notre Finistère; l'inscription à l'ordre
du jour de notre excursion de Dirinon, Pencran, La Roche,
La Martyre, Ploudiry s'imposait à ce titre: tandis que le
Folgoët et Daoulas, de longtemps bien étud~és, bien décrits,
ne sont plus à découvrir; or nous !1e tenions pas à défoncer
des portes ouvertes. Nous avons visité la belle église romane
de Daoulas, son cloître merveilleux" la chapelle Sai te-Anne :

mais Daoulas est trop connu des tü'uri8tes et des archéologues
pour qu'il soit besoin de refaire' le relevé de détails si perti- '
nemment analysés et rapportés 'par des maîtres incontestés.
Nous rappellerons la belle excursion qu'y fit le Congrès
archéologique de France le 10 juin 1896: en visitant ce monu­
ment le plus riche d'architecture romane que possède le Finis-
tère,les congressistes furent émerveillés du paysage et du site
qui encadrent l'église et le cloître, mai~ de plus emportèrent
un souvenir embaumé de l'accueil des hôtes de l'abbaye, '
qui les reçurent avec une noble et grande affabilité, et le
concours de leur ,parent, notre confrère, M. le chanoine
Peyron,l'historien bien exact de « L'Abbaye de Daoulas ».(1)
Quittant Landerneau, nous traversons l'Elorn, nous fran­
chissons le vallon étranglé du ' Stangson, nous laissons d'un '
côté de notre route le bois du Rouazle, et de l'autre le bel
étang du même nom, dominé et encadré par de gigantesques
rochers. Voici de nouveau Dirinon, Trévarn, le viaduc, enfin
, DAOULAS.
(1) Bulletin de la Société archéologique du Finistère. T. XXIV. 1897 •

Les maisons ont un grave et solennel aspect avec leurs inter-
calations de petites assises, leurs écussons de Kersantor'l,
leur massive et solide construction: ville végétant autrefois
à l'ombre du Moustier et abritant bonne quantité d'hommes
de loi. '

Nous visitons immédiatement l'église,grand spécimen d'art
roman: le porche sculpté, la pierre tombale de Charles
Jégou, et nous nous rendons à l'abbaye après avoir visité la
chapelle dédiée à Sainte-Anne et ornée d'un beau portail de

En revoyant le cloître avec ses arcades si intéressantes, ce
n'était que justice de rappeler que c'est à M. Bigot père que
l'on doit la conservation de ce monument; le vénérable M.
Bigot était le doyen d'âge de notre Société et un de ses

travailleurs infatigables.

Nous déjeunons, à midi passé nous reprenons lè train qui
nous descend à Châteaulin.
Pendant le trajet, sur interpellation, le chanoine Pey­
ron nOtlS désigne la direction du château du Bot et
ravive en nous avec son expériep.ce consommée d'archi­
viste et d'historien, ]a mémoire, touchant!3 de la famille des
Saint-Luc, si bons, si charitables, poursuivis par 'tant de
haines jusqu'au tribunal de Fouquier-Tinville. Nous nous
l'appelons ausbila sainte et héroïque Victoire de Saint-Luc.
Nous arrivons au Pont-de-Buis; là encore on met à contri-"
, bution l'érudition de M. Peyron, qui nous raconte de l'inédit
authentique sur l'extraordinaire expédition de Leissègues et
de Lantivy, au Pont-de-Buis, en juin 1795.
A ,Châteaulin, nous contemplons le beau site que présente
la campagne, l'aspect coquet de cette cité que l'on appelle
. une jolie petite ville suisst. '
Nous gravissons le monticule qui formait déjà, sous les
Romains, la citadelle de Castel-Nihn, et dont il reste de
beaux vestiges et nous pénétrons dans la vénérable église

de Notre-Dame surmontée d'un clocher à dômes; nous exa­
minons rarc de triomphe gothique, une croix historiée, un
ossuaire à moitié emmuré, et un porche ajouté en 1720 .
Nous regrettons de n'avoir rencontré un de nos jeunes
de la Sociéte arhéolugique, M. l'abbé Jézégou vicaire à Châ­
teaulin, qui connaît, étudie et sCrute avec amour les annales
de la paroisse de Saint-Idunet.

Enfin, la chaleur augmente, on visite l'hospice, et à son
abri on ' s'assied quelques instant pour contempler le paysage
fort suggestif qui nous entoqre.
Nous aurons eu l'honneur de prendre part à la 1 excurswn
de la Société archéologique du Finistère; nous y étions huit,
huit éclaireurs qui,. espérons-le, seront suivis; ils peuvent
rassurer les timides et les hésitants, et leur dire: A la pro­
chaine fois! Partout i~s ont trouvé beau et ravissant pays aux
sites les plus variés, comme nous savons les avoir en Basse­
Bretagrie ; partout ils ont trouvé des richesses artis­
tiques insoupçonnées et des témoignages de la foi indomptée
de nos pères; partout ils ont trouvé bon et affable visage,
et nulle part rien qui pût, 'un instant,. leur faire prendre en
grippe l'espèce humaine et leur prochain! Finistériens,
pourquoi aller si loin chercher ce que nous trouvons si
près? Résumons toutes nos impressions dans ces mots de
Châteaubriand (1) :
( Vieux voyageur lassé, j'arrive à mon dernier gîte.. Je
«. suis allé bien loin admirer. les scènes de la nature; je rn'au-
« rais pu contenter de celles que m'offrait mon pays )) .
Quimper, ô septembre, en la fête de Saint-Egonec, 1899.

. ANTOINE FAVE,
Prêt,'e,
Secrétaire de la Sociét é archéologique
du Finistère .

(1) (Cités par Pol de 'Courcy, à la dernière page de son Guide (de Nantes
Brest) •