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X.IV.
LES Iî\VASlONS DES NORMANDS EN ARMOR! tE
Et la Translation générale des Saints bretons.
L'Armorique ou Petite-Bretagne doit être comptée au
nombre des provinces de France qui eurent le plus à 'souffrir
des invasions normandes dans les IXe et Xe siècles. 0
Certains auteurs ont cependant prétendu que les Bretons
avec les Normands dans
avaient parfois fait cause commune
les jours de Nominoé ('1). Mais ils n'ont jamais proùvé soli-
dement la certitude de leur assertion. Peut-être mémè n'ont-
ils rien compris au vrai caractère des événements sur lesquels
ils s'appuyaient pour fournir un semblant de preuves (2). Ce
qu'il y a de vrai, c'est que les Bretons h'eurent pas au Xe
siècle d'ennemis plus actJarnés à leur extermination que les
Norrüands. Ce qu'il y a de vrai, c'est que la Bretagne subit
de la part de ces ennemis des pertes qu'elle n'a jamais
alors
pu réparer dans la suite.
y perdit en premier lieu à peu près tous les monuments
Elle
la domination romaine l'avait
architecturaux et autres, dont
enrichie. Elle y perdit en second lieu la plupart des corps
que le ciel lui avait départis avec abondance. En troi
saints
la langue celtique que les Bretons insulaires
sième lieu,
(1) Abbé Pletteau, Revue d'Anjou et du lI1aine, t. Il (1868), p.i5-tiO.
(2) On mettait en avant par exemple les dévastations réalisées par
Nominoé en Anjou, sans faire attention que ces dévastations étaient le
châtiment d'outrages commis vis-à-vis d'un vainqueul'. Car il est prouvé
que Nominoé avait conquis et annexé à son royaume breton une pal'tie
de l'Anjou et du Maine, témoin Letald de Micy, auteur du X· siècle et
manceau d'origine. De miracuz.is s. iJ1axitnini, 18; item Ve1'sus de Evé1'sione
s. Florencii, édition Marchegay, p: 201, 204.
BULLETIN AI\GHÉ9L. DU FItoflSTÈRE. " TOME XXVI ( émoires). 14.
avaient implantée en Armorique quatre siècles plus tôt, y
perdit de son côté un terrain considérable, et cela au grand
de l'influence et de la puissance politique, dont
détriment
joui jusque-là sur le continen t.
l'élément breton avait
Je reyiendrai plus loin sur la seconde et la troisième de ces
pertes. Mais l'histoire des ruines amoncelées par les Normands
le sol armoricain n'a ras' élé assez éclaircie jusqu'à pré
sur
sen t pour que je puisse enlrer à cet égard dans aucun déve
·Ioppement. Mon intention n'est pas non plus de retracer
-l'histoire intégrale des iilYasions normaTldes en Bretagne. Je
me conten terai d'em'isager ces invasions du côté par lequel
se rattachent à l'hagiographie. En d'autres termes, je
elles
me contenterai à peu près de signaler celles d'entre plIes qui
ont amené la translation des corps de nos saints bretons, afin
de grouper en un seul faisceau tous les renseignements qui
concernent ces lranslations. Il y a là, à mon avis, un chapitre
des plus intéressants, et un chapilre bien peu connu non-
seulement de l'hagiographie particulière de la Bretagne, mais
encore de l'hagiographie gépérale de la France.
§ 1. .. Les premières invasions des Normands en
Bretagne, celles de 843 à 878.
La première apparition des Normands en Brelagne qui soit
certaine, appartient à l'année 843. Les pirates du , Nord y
de fond en comble l'abbaye d'Aindre, fondée par
détruisirent
s. Hermeland un siècle auparavant. Ils s'y emparèrent de
.Nan(es et livrèrent ceLLe ville au pillage et à la dévastation (1).
Saint Gohard, qui en était évêque,fut massacré par eux· pendant
les saints mystères, et son corps fut transporté
. qu'il célébrait
à Angers avec celui de Saint Hermeland, dont il vient d'être
(1) Preuves rie Br'eta{jne, t. l, p. '279 et suiv.
question, pendant que celui de Saint Martin de Vertou nous
était également ravi et allait enrichir le Poitou.
Dans les années qui suivirent, jusqu'en 874, les NMmands
reparuren t à diverses reprises sur les côtes de Bretagne, mais
on ne voit pas qu'aucune de ces apparitions ait amené le
transfert hors de Bretagne de quelque nouveau corps saint.
C'est pourquoi je ne crois pas à propos d'en traiter ici; ce
qui sera.it d'ailleurs assez difficile, les documents contempo
rains faisant défaut.
La double translation de Saint Brieuc à Angers et de Saint
Clair de Réguiny à Nantes, appartient cependant, selon toute
pro babilité, à l'année 851 ; mais elles n'eurent, ni l'une ni l'au
tre pour mobile la crainte des Normands. Le roi Erispoé les
effectua plutôt dans un but politique, je veux dire dans lïn-
tention de se concilier par là l'estime et la sympathie des
deux villes d'Angers et de Nantes, que Nominoé venait d'an
nexer à son royaume breton par droit de conquête.
Les choses se passèrent tout autrement en 87D et dans··les
années suivantes, lors de la guerre intestine qùe se firent ·
Guryan'd, comte de Rennes, et Pasquiten, comte de Vannes,
après le martyre du roi Salomon (2D juin 87.1). Les Normands
firent alors de nouvea u irruption dans le pays, non à la vé
rité comme ennemis, mais bien à titre d'alliés d'un des rivaux.
Seulement, au bouLde quelques mois, ces prétendus alliés dé-
clarèrent la guerre à' celui qui les avait appelés et prome-
nèl'ent-ayec tant de rage le fer et le feu à travers les terri
toires qui lui étaient soumis, que ceux qui y avaient la garde
des corps des Saints durent songer à trouver pour ces trésors
un lieu de sûreté, partie hors de Bretagne, partie à Saint-
Magloire de Léhon. Ce sujet, on le devine, a besoin d'être
éclairci.
Je vais d'abord rechercher si Pasquiten, qui appela les
Normands en Bretagne pour se soutenir dans sa lutte contre
Gunand, ne serait pas devenu peu après leur prisonnier, ce
qui expliquerait pourquoi il fut ensuite loisible à ces terribles
ennemis de promener le fer et le feu à travers les territoires
qui étaient sous l'autorité immédiate de ce chr.f breton. Or,
un premier point nous est acquis, grâce à la chronique con
temporaine de Reginon : c'est que ce fut bel et bien Pasquiten
qui, non content de faire appel aux Normands, les conduisit
encore jusque sous les murs de Rennes (1). Les pirates
du Nord y furent vaincus par Gurvand, mais ils se
cantonnèren t après leur défaite dans l'abbaye de Sa,int-Me-
'laine de Rennes et remontèrent ensuite sur leurs bateaux
sans être inquiétés (2). '
La chronique contemporaine s'arrête là. Seulement, l'his
toire locale nous apprend en outre que l'abbaye de Saint-
Melaine fut détruite de fond en comble par les Normands dans
cette circonstance (3), ce qui força les moines à s'enfuir en
emportant avec eux, jusqu'à Preuilly en Touraine, le corps
de leur patron.
Il y a lieu de croire aussi que les Normands, en remontant
sur leurs bateaux, ne le firent qu'avec l'assentiment du
vainqueur et sous promesse de tourner leurs armes contre
Pasquiten qui les avait appelés en Bretagne, comme il vient
d'être dit. De fait, le second biographe de s. Gildas, qui était
moine de Rhuys et viv~it au XIIe siècle, ne nous laisse pas
ignorer que les Normands entrèrent en lqtte contre ce comte
de Vannes dans l'intervalle de tenips qui s'écoula entre leur
défaite de Rennes et la mort de Gurvand en 878 (4). Il affirme
même que Pasquiten tomba entre leurs mains et fut mis par
eux à rançon avant de recouvrer sa liberté ~Iour recommencer .
(1) Reginon. Cl21'onique, année 874. Patrolor;ie latine, t. ex XXII,
'n Ibidem. .
(3) Ogée-Marteville. Dictionnah'e géographique de B1'eta(Jne, Rennes, 1853,
t. Il, p. 449, 5W et ailleurs.
. '4) Preuves de Breta(Jne, t. l, p. 353 .
contre Gurvand une guerre intestine, qui fut fatale a Pun et
à l'autre (1). il re'3Sort donc indirectement d'assertions aussi
que les Normands ne durent quitter Rennes que
catégoriques,
pour se jeter sur les t.erres du comte de Vannes et les livrer
au pillage et à la dévastation. Il en ressort semblablement que
PasquiLen · fut impuissant à leur tenir têle et devint leur
capLif : ce qui explique pourquoi les deux comLés de Vannes
et de Quimper, qui formaient son lot, se trouvèrent :'Ilors
comme une proie sans défense à la merci des pirates du Nord,
tandis que les villes et les châteaux sou!llis à son rival con
tinuàient à offrir un asile assez ·sCtr, puisque Gurvand était
là pour en défendre. l'entrée à des ennemis qu'il avait déjà
vaincus et qui s'étaient peut-être engagés vis-à -vis de lui par
des promesses. Par suite, on comprend assez facilement
les clercs de Quimper, à l'approche des bandes nor
pourquoi
mandes qui promenaient partout la dévastation, prirent le
parti non de transférer hors de Bretagne le GOrps de Saint Co-
ren tin (il n'en était pas encore question pour eux à cette date),
de le mettre temporairement en dépôt da-ns
mais simplement
le monastère de Saint-Magloire de Léhon (2) à l'abri des forles
du château de ce nom, qui était comme le boulevard (3)
tours
de l'autorité de Gurvand dans ces parages.
ce qui prouve que ce transfert temporaire eut lieu à
Enfin,
cette date et non à une autre, c'est que l'a" nonyme quimpérois .
du XIe siècle, auquel on doit la Vie de Sa.int /lona·n, l'affirme
d'une manière explicite et n'a pu le faire sans pi'euves, puis-
qu'il n'avait aucun besoin de mettre en avant une telle asser-
au leur, en effet, la Cornouaille perdit son
tion. D'après cet
(1) Reginon, lieu cité. "
(2) Je rétracte ici comme mal fond é un prétendu parl8ge du corps de
s. Corenlïn, qui remonterait à celte date. Voir Vie de Saint Corentin, Quimper,
. 18Sô, et · Mémoires de la Société archéologique du Finistère, t. XIII.
(3) Sur la forterrsse de Léhon, v. Foueré-Macé: Le Prieuré royal cie
Saint-Magloire de LéhoD (RenDes, 18D2), p. 60 et suivantes .
trésor le plus précieux, le corps de Saint Corentin, à l'époque
des invasions normandes et beaucoup d'années av'ant que le
corps de Saint Gwénolé ne lui fut semblablement ravi (-1). Car
ce second événement, je vais le montrer dans un moment,
, appartient aux années B13 ou 914. Le même auteur détermine
ensuite, d'une manière suffisamment précise, la date de la
pel'te du corps de s. Corentin, en déclarant qu'elle fut le châ
timent providentiel du parricide commis sur la personne du
roi Salomon (2t> juin 874) par son gendre Pasquiten, comte
de Vannes et de Quimper (2). Car on déduit avec certitude de
cette affirmation que ce tl'ansfert eut lieu de 8ï4 à 8ï8, c'est
à-dire avant la mort du coupable. Le biographe, il est vrni,
se contente d'affirmer vaguement que le corps du saint fut
emporté hors de la Cornouaille, sans nous dire quel asile lui
fut alors procuré. Mais ce secret nous a été révélé par un ,
autre document presque aussi ancien et lui aussi capable, en '
substance, de faire autoritè, c'est celui qui porte le nom de
Trcmslatio S. Maglorii. Il y a plus ; ce nouveau document,
sur lequel je reviendrai plus loin, nous donne semblablement
à entendre que six autres corps ou parties cie corps de saints
bretons furent également retirés de leurs tombeaux à la
même date que celui de Saint Corentin, et pOl'tés dans la même
abbaye de Saint-Magloire de Léhon. Je vais moi-même entrer
à leur sujet dans quelques nouveaux éclaircissements .
(1) Voie celle Vie tl';1duite en français par celui qui signe ces lignes dans
le t. XVI des J1émoires cie la Société archéologique du Finistère. Le lexte
l,llin a été publié en 1880 par le n. P de Smedt. Bollandiste, dans son
Catalo(Jus codicwn hagio[J1"aphicorum Par'isiensiwn, t l, p. 438- 158.
(-2) Vie de Saint nonan, lien ciL6. Mémoires de la Société archéologique
du Finistère, t. XVI, p, 313 ct 311. '
.,. Translation temporaire à Léhon des saints Gué ..
naël, Trémeur, Brieuc, Meloir, Lévian et Guin
ganton
Le document conn u sous le nom de Translatio S. lIfug{(wii
nous apprend donc indirectement que ·six corps de saints
bretons durent être transférés à Léhon en même temps que
celui de Saint Coren tin. , ,
Ce sont; 1 le corps de Saint Guen8ël, second abbé de Lan-
Il était mort à Vannes yers 590 et son corps s'y
dévennec.
était conservé jusque-là, entouré d'une grande yénération.
20 Celui de Saint Trémeur, qui reposait à Carhaix, dans la
Cornouaille;
3 Celui de Saint Meloir ou Mélor, qui se conservait à Lan
meur;
4 Celui de Saint Levian, ancien évêque de Lexobie, qui
reposait, croit-on, à Plumieux (1).
50 Celui de Saint Guinganton ou Hinguelen, évêque (Je Van-
nes. Ce saint avait abdiqué pOUf se faire anachorète el fonder
un monastère, autour duquel s'est fondée la paroisse actuelle
. de Saint-Ganton (Ille-et-Vilaine, canton de Pipriac) (2).
6 La partie du corps .de Saint Brieuc, qui était restée en
Bretagne lors du transfert à Angers de la meilleure partie de
ce corps (3).
(I) Ce qui fait penser que Saint Levian ou L6au était enterré à Plu
mieux, c'est qu'il y avait dans cette localité, avant t780, un prieuré de
Saint-Léau .
. C~) Guillotin de Corson: Pouillé de Rennes, t. Il , p. 158 et ailleurs
(3, D. Plaine: Vie latine de Sai!1t Brieuc cirrus les Ana'ecla Bollandiana,
t. H, p, 18<,)"; item saint Brieuc, H184 (tirage à part), p. 2H. Je regarde au
jourd'hui comme erronée l'opinion, que je mis alors en l1\"anl, rclatiycmcnt
à la translation en 8jl à Léhon cI'une moitié ou enyiron du saint corps.
Cette translation doit êtl't~ postérieure. Erispoé n'avait aucun motif pour
la rénliser en 8,)1. Il clut laisser cette partie dans le tombeau primilif cle la
Vallée-Double,
, 7 246 f aiT
Aucun auteur avant moi n'avait encore affirmé que ces six Plu
de leurs tombeaux et" portés à Léhon pro
corps avaient été retirés
déll
à l'époque des troubles p~litiques, qui suivirent le martyre de .
Vla
notre roi Salomon, mais le biographe de Saint Ronan ne nous
des
a vait pas appris non plus,je viens de ledire,que le corps de Saint.
pOL
Corentin y fut transféré à celte même date. Il s'était contenté
de déclarer que ce corps fut alors ravi à la Cornouaille. ·C'est
cet
l'histoire subséquente des migrations de ce corps vénéré, qui
nous met à même d'affirmer qu'il se trouvait à Léhon en 913
ent
en même temps que les six autres, dont je viens de parler.
Ces sept corps y avaient donc été portés antérieurement, à une
où les localités, qui en avaient eu jusques là le dépôt,
époque
étaient livrées comme une proie aux ravages des Normands (1)
sans que la forteresse de Léhon et le pays environnant fussent
même danger. Car si , le danger eut été le
exposés alors au
même pour tout le pays breton, il eut donné lieu à une émi
gration en masse et les fugitifs se fussent empressés de gagner
immédiatement la terre étrangère au lieu de porter leurs pas
vers Léhon. C'est le spectacle douloureux qu'on eut en 913,
comme on va le voir .dans un moment. La panique fut alors
universelle, l'émigration générale, et de tous les points de la
Eretagne, voire même de Léhon, les évêques, les clercs et les
la route de l'exil en emportant avec eux pres
moines prirent
que tous leurs corps saints. En 87~, les Normands, après leur
défaite de Rennes, n'avaient en vue, ce me semble, que de
porter le carnage et la dévastation sur les territoires soumis
au comte Pasquiten. C'est pourquoi ils durent remonter la
Vilaine Jusqu'au port de Guipry et commencer leurs ravages
par le monastère de Saint-Ganton. De là ils gagnèrent succes-
sivernent Vannes, Quimper, Carhaix, Lanmeur et Tréguier,
ni Saint-Brieuc, ni
sans atteindre, selon toute apparence,
(1) Saint-Brieuc ne fut probablement qu'exposé à subir ce sort et ne le
subit pas en fait. Mais la crainLe dont il s'agit sufIit à expliqner la fuite à
Léhon des gardiens du saint corps.
Plumieux; mais le bruit de leur présence dans le pays et des
profanations dont ils se rendaient coupables put suffire à
déterminer-les gardiens des reliques dès saints Brieuc et Le
vian ,à imiter l'exemple de ceux qui veillaient sur les corps
des sa llts Hingueten, Guénael, Corentin, Trémeur et Meloir,
pour les mettre en dépôt à Léhon.
Ce qui donne à penser que les Normands s'avancèrent dans
cette circ02stance jusqu'à Tréguier et qu'ils avaient Hastings
chef, c'est qu'une tradition immémoriale du pays donne
pour
encore le nom de Tow' de Hastings à quelques vieux pans de
murailles qu'on y montre; c'est que le corps de Saint Tugdual
fut emporté hors de Bretagne à l'occasion de cette présence des
Normands dans le Trécor. Car, si ce transfert n'avait eu lieu
qu'à l'occasion des invasions normandes qui furent la consé-
quence du traité de Saint-Clair~sur-Epte, le nom de Hastings
ne pourraît y être mêlé puisqu'il mourut en 893. De plus il
est moralement certain que la translation des reliques de Saint
Tugdual appartient aux années 876-878. En effet, ceux qui
les porlaient firent une double halte à Laval et à Chartres, ,
en laissant dans l'une et l'autre de ces deux "illes une portion
de leur trésor avant d'atteindre, vers9lO,Château
considérable
Landon, dans le Gâtinais, qui fut leur dernière étape.Or il est
que si cet exode avait eu lieu après)e traité de
vraisemblable
Saint-Clair-sur-Epte les choses se seraient passées autrement.
On se seraitarrêlé définitivement soit à Laval soit à Chartres (1)
puisqu'à cette date ces deux villes n'avaient plus rien à redou
des Normands tandis que, deux années avant ledit traité,
ter
Chartres fut assiégé par les pirates du Nord et souffrit consi
ce siège (2) ; ce qui nous explique pour
dérablement pendant
quoi les porteurs du corps de Saint Tugdual se décidèrent
(I) D. PioIin : Histoire de l'église du Mans, t. Il, p, 425 et 4.26.
(2) Flodoard, écrivain contemporain, mentionne en pas?ant ce siège de
911. (Annales anno 923). Dudon de Saint-Quentin et \les imitaleur~ le
racon tep t en détail. '
Le duc j
alors à reprendre leur course
et portèrent leurs
pas Jusque
et de pe
le Gâtinais.
dans
toute la
éclairci, dans la mesure du possible la
Après avoir ainsi
appréci(
question si obscure des ravages causés par les Normands
maIs a
le pays de Vannes et dans la Cornouaille, en 875 et dans
dans
success
les années suivantes, ainsi que celle du transfert temporaire
JamaIS.
Saint-Magloire~de-Léhon de sept corps saints, il y a lieu
belle :
d'afIirmer aussi que le pays breton dut recouvrer un peu de
Charle:
tranquillité au commencement de l'année 878. Pasquilen et
Norma
Gurvand unirent-ils pour cela leurs efforts? Nous l'ignorons.
France
ne nous apprend rien à cet égard.
L'histoire contemporaine
guerre
Ce qu'elle nous apprend, c'est que ce bon accord, si bon
terrib!'
accord il y eut, ne fut pas de longue durée: tout au contraire,
fassen
les deux rivaux rentrèrent en guerre dans le cours de cette .
quand
Or, il paraît peu probable ({u'ils eussent osé en venir
année.
minaV
là., si les Normands avaient continué à dévaster le pays.
na lion
Quoiqu'il en soit cependantdece point, ce qui est moins douteux,
indisp
que la guerre fut fatale aux deux adversaires. Pasquiten
c'est
Clair-
fut défait dans la bataille. Gurvand, le yainqueur, mourut
quelqlles jours après des blessures qu'il avait reçues, et la
mort ne tarda guère non plus à atteindre son rival (1). .
La Bretagne eut pu alors se relever de son ét:Ü de prostra tion
si les rivalités qui la déchiraient eussent pris fin en ce moment.
Il n'en fut rien par malheur. La chose 'ne se réalisa que dix
années plus tard, lorsqu'Alain, frère et successeur
conte
. Pasquiten, réussit à la mort de Juèicaël, fils et successeur de .
d'éto
Gurvant, réussit, dis-je, à grouper tout le pays sous son
de Si
autorité et se trouva par là assez fort pour infliger succes
nues
qui avaient profité
sivement diverses défaites aux Normands
n'est
de cet état de choses pour envahir de nouveau la Bretagne et
des (
s'emparer · de diverses cités, en particulier de Nantes (2).
affin
ou h
(1) neginon. Chronique. Lieu cité,
lauo
(2) Chroniqne de Nantes, édition Merlet p. 67,83.
duc Alain combattit les pirates du Nord avec tant d'habileté
de persévérance qu'il finit par les chasser de Nantes et de
.lte la Bretagne, et ce service qu'il rendit au pays fut si
précié que le nom de Grand est resté attaché à son nom,
ais à sa mort, survenue en 907, les compétitions pour sa
ccession devinrent plus nombreuses et plus ardentes que
mais. La guerre intestine recommença comme cie plus
~l1e En outre un traité de paix fut signé en 912 entre
harles le Simple au nom des Francs, et Rollon au nom des •
ormands. Or si ce traité fut grandement profitable à la
rance, en retour il déchaîna sur la Bretagne le fléau d'une
uerre d'extermination , qui est, à mon jugement, la plus
~rrible de toutes les guerres dont nos Annales particulières
Le lecteur le comprendra mieux, je l'espère,
lssent menti0n.
ce que fut cette guerre d'ex ter-
uand j'aurai fait connaître
nination et comment elle mit en péril jusqu'au 'nom et à la
13 tionalité des Bretons. Mais avant d'en venir là, il est
de dire quelque chose du traité mêine de Saint
ndispensable
~Iair-sur-Epte et des claüses quiy furent stipulées.
§ 3. Le traité de Saint-Clair-sur-Epte et ses clauses
princi pales.
Le xe siècle, on le sait, n'est pas riche, soit en chroniques
en- d9cuments originaux. Rien donc
contemporaines, soit
d'étonnant que nous soyions assez mal renseignés sur le traité
de Saint-Clair et sur le texte des clauses qui y furent conve-
nues. Il y aurait cependant erreur à prétendre que ce trailé
pas authentique, eL que nous n'en connaissons aucune
n'est
des clauses avec certitude. Ce qui permet d'être absolumen t
affirmatif à cet égard c'est que les plus anciens chroniqueurs
ou historiens normands, Dudon de SainfQuenlin (1015), Guil
laume de Jumièges ('1087), ()rderic Vital (H40), et leurs émules
sont unanimes a proclamer l'exÎstênce de ce traité et en par
« été cédÉ
lent presque dans les mêmes termes. En outre ce qui donne
« Jésus-C
une autorité irrécusable à leurs assertions, c'est qu'ils ne sont
«( et qu'il:
en cela que les échos d'un auteur absolument contemporain et
, De tell!
tout à fait désintéressé dans la question. J'ai nommé Flodoard,
dou te' SUl
chanoine de Reims, la principale gloire littéraire du Xe siècle.
suite, les
Cet historien n'est pas entré,il est vrai,dans beaucoup de détails
du traité
_ sur le traité en question, il n'en a même pas traité e.IJ professa.
clause er
L'occasion lui a manqué pour cela dans son Histoire ecclé
dois ajoll
siastique de Reims comme dans ses Annales contemporaines.
compnsE
Celles-ci en effet ne commencent qu'à l'année 919 tandis que
Normanl
le traité appartient à l'année 912, et d'autre part ce fut l'ar-
Elle y Il
. chevêque de Rouen non celui de Reims qui joua le rôle de
séparenl
média teur de paix dans cette circonstance. On ne peut nier
. memes '
toutefois que Flodoard n'ait pa.rlé explicitement en deux
d'une m
circonstances d'un accord, qui fut conclu entre Charles ]e
veut ét
Simple et Rollon, le chef des Normands, à l'occasion de la
formeU,
conversion de ce Rollon à la foi chrétienne .. On ne saurait
Guilt
prétendre non plus que cet accord soit différent de celui
XIIe si
qu'on appelle communément traité de Saint-Clair-Sur-Epte .
gage qu
Ainsi d'abord dans son Histoire . ecclésiastique de Reims
Francs
Flodoard mentionne avec soin la part que prit son archevêque
Charle:
Héi'ivée à la cunversion des Normands après leur échec de
Rouen
Chartres. Il a soin d'ajouter qu'à cette occasion on leur
accorda la propriété de la ville de Rouen et de plusieurs autres
eux d'
pag'us maritimes (1). Or c'est précisément cette conversion
Bretag
de terres à titre de propriété, qui fait la partie essentielle du
traité de Saint-Clair-sur-Epte. .
Le même historien revient sur ce traité dans ses Annales.
Normal
« Il y affirme que l'Epte faisait la limite du pays qui avait
haberel
(1) De Normannorum mitigalione aLql1e conver:îione ml1lLum laboravit
donec tandem post bellum, quod Robertus cornes contra eos Carnolenus
gessit, fidem Cht'Ïsti suscipere receperunt, concessis sibi quibllsdam ma
de regl
ritimis pagis cum Rotomagensi, quam pene deleverant urbe, et aliis eid em
su,bjeclis. Historia Itemensis, IV, 14. Patrolog ie la tine t. cxxxv p. 293.
ma gUI
~ cédé aux Normands quand ils eri1brassèrent la foi de
sus-Christ., sous condition qu'ils seraient fidèles à cette foi
qu'ils vivraient en paix avec les Francs)) ('1 j.
e telles paroles sont claires, et ne laissent planer aucun
L e' sur l'authenticité de la clause qui nous occupe. Par
e, les auteurs qui ont révoqué en doute soit l'authenticilé
xaité même de Saint-Clair, soit simplement celle de la
Ise en question, sont certainement dans l'erreur. Mais je
, ajouter, pour en venir à la Bretagne, qu'elle ne fut point
lprise dans cette concession, dont furent gratifiés les
:mands, et qu'elle ne pouvait à aucun titre y être comprise.
y fu t si peu comprise que le Bessin et le Cotentin, qui
Jarent la Bretagne du pays de Rouen, se trouvaient ellX
:mes en dehors de cette concession. Flodoard le déclare
me manière explicite dans ses Annales (2), et si la Bretagne
~ut été englobée, cet auteur n'eut pu !nanquer de le déclarer
'mellem en 1. .
Malmesbury, historien anglo-normand du
Guillaume de
[le siècle, ordinairement bien informé, tient le même lan-
Ige que Flodoard. D'après lui la paix fut conclue entre les
rancs et les Normands, et Rollon se reconnaissait vassal de .
le Simple pour cette terre, c'est-à-dire simplement pour
harles
. ouen et ses environs (3).
Ce son t les anciens historiens norma nds qui on t pris sur
ux d'amplifier la donalion et de l'étendre nommément à la
~retagne.
(1) Ita nuvio transito ingrcsslls est (rex Rodulfus), te\'\'am. quœ dudum
~ol'mannis ad !idem christi venientibus, ut ha ne fidem colerent, et pncem
laberent, fuerat data. Annales, année 923. Vol. cité p. 430. .
(2) Flodoard. AnnalE's, année 924. .
(3) Ita fœdus ictum est ut baptisma susci.peret (B,ollo), et terram ilIam
de rege sicut de domino suo, cognosceret. De Gestis regum Anglorum,
~ 127. JI avait dit dIX lignes plus haut: « Bollo armis oblinuit Roto
magum et confines ejus. Ibidem; Palrologie laUne, t. CLXXIX p. 1091,
Dudon de Saint-Quentin, le plus anCÎ'en de ces historiens
qui soit arrivé jusqu'à nous (1015 environ), prétend que
Charles le Simple, non content de la concession du pays, dont
il yient d'être question, y ajouta la Bretagne au moins à litre
temporaire (l). A l'entendre cependant, le roi franc ne le fit qu'a
son corps défendant, car quand Rollon et ses Normands lui
firent remarquer, nous dit-il, q,ue le pays concédé était trop
pillé et saccagé pour nourrir tou t un peuple, Charles le
.. Simple leur offrit alors la. Flandre; mais les Normands la
refusèrent, à cause des marais qui y abondent, et réclamèrent
la Bretagne afin de vivre à ses dépens jusqu'à ce que leur
propre sol eut été rendu à la culture et à la fertilité (2).
Guillaume de Jumièges, continuateur de Dudon (v. 1080),
enchérissant.encore sur son devancier, en vient à affirmer sans
broncher que les comtes bretons Alain et Berenger étaient
présents à cette convention et y donnèrent leur· consente-
ment (3).
Celte dernière assertion est absolument erronée: ce qui le
prouve sans"réplique, c'est qu'à cette date dû 912 la Bretagne
n'avait à sa tête aucun comte du nom d'Alain (4) ..
C'était Gurmaélon, qui régnait en Cornouaille, Rudalt à
Vannes, Matuédoi dans le Poher, Juhel à Rennes (!:S) •
En. ce qui concerne l'autre assertion, celle d'une cession
temporaire de la Bretagne, ou plutôt la simple autorisation
d'y exercer momentanément le pillage, en attendant que le
pays cédé en propriété aux Normands eut pu être.rendu à la
(1) Dudon de Saint-Quentin: De l110ribus NormnnnOr1ll11 Edition La i r,
Caen 1H65 p. 71. Patrologie latine t. CXLI p. ô18. .
('2) Dudon de Saint-Quentin, lieux cité:>.
(3) De geslis Normnnnorum, p. 117. Patrologie latine t. CXLIX, p, 800.
('1) Voir le cartulaire de Redon, p. 224, 227 et ailleurs.
(5) Il est possible cependant que ce dernier fut connu sous le double nom cie
Juhel Berenger ou cie Bérenger, fils de Juhel (Judicael). Il est possible
sa soumission devant les Normands vainquems. J'en dirai
qu'il ait fait
mol plus tard en parlant d'Alain Barbetorte.
culture et à la fertilité, elle ci bien l'air d'une fable, puisque
Flodoard n'y fait aucune allusion (1).
Dans tous les cas, cet acte, s'il y eut un acle de ce genre,
de plein droit, YU que Charles le Simple n'avait
était nul
une cession de ce genre. La Bretagne, .
aucune autorité pour
en effet, relevait bien du roi franc à titre de fief depuis les
traités conclus entre Charles le Chaure et les rois Erispoé et
Salomon, mais elle n'était pas sa propriété; elle jouissait de
son indépendance. Si Charles le Simple poussa la folie aussi
loin que Dudon de Saint-Quentin et Guillaume de Jumièges '
le. prétendent, il ne commit qu'une injustice de plus, et sa
cession n'avait aucune valeur légale. Ma conviclion, c'est
qu'il n'y eut qu'une autorisation yerbale, non écriLe ou signée.
On peut donc rameneraux trois points suivants ce que l'on sait
du traité de Saint-Clair-sur-Epte. En premier lieu, un
accord fut réellement conclu entre Charles.le Simple èt Rollon,
à l'occasion du baptême de celui-ci.
En second lieu cet accord eut pour objet principal la cession
au chef des Normands du pays ou plus exactement d'une
faite
du .pays que nous appelons aujourd'hui Normandie. .
moitié
En troisième lieu la Bretagne n'était pas comprise d'une
il est possible,
manière explicite dans cette concession, mais
même, que leToi franc en vint réellement par fai-
probable
blesse à alltoriser verbalement les Normands à faire · tempo-
en Bretagne pour y trouver
rairement quelques excursions
Charles le Simple, je le répète,
leur subsistance. Seulement
pour ·permettre une telle iniquité. Il aurait
n'avait aucun titre
dû prévoir que les Normands, toujours avides de butin et d'an- 0
nexions, iraient bien au-delà de ce qui leur était concédé et
per (as et nefas à conquérir la Breta
chercheraient peut-être
gne pour agrandir d'autant leur propre territoire. Il aurait dû
(1) La question de la mouvance de Bretagne, qui a rai t verser des flots
d'encre au XVlIl siècle, n'avait d'autre fondement que ces textes de Iludon
ct de Guillaume de Jumiège, qui sont dépourvus de toute autorité.
prêvoir que son autorisation, s'il y en eut réellement une, ren~
drait singulièrement critique la situation des Bretons puis-
qu'elle le meltrait lui et les autres seigneurs du royaume dans .
l'impossibilité de 'porter secours aux Bretons dans leur lutte
contre les Normands.
§ 4. Rollon et les Normands ont-ils tenté réelleinent
d'annexer la Bretagne à leu~s autres possessions?
Avant d'aller plus loin, il ne sera pas inutile de faire remar
quer qu'au moment où Rollon s'établissait avec le gros de la
nation normande sur les rives de la basse Seine', un autre corps
de Normands, moins nombreux assuré.ment mais néanmoins
puissant et redoutable, occupait déja Nantes avec Ragenold
pou r chef. .Je reviendrai pl us loin sur les Normands. de la
Loire et sur leurs dévastations, mais il importait de savoir dès
maintenant que la Bretagne se trouva de la sorte étroitement
serrée par deux partis d'ennemis également acharnés à sa
perte et cela, dans un moment où d'un côté elle n'avait à sa
tête que des comtes divisés d'intérêts et en guerre les uns
con tre' les autres, nullement un chef unique capable de tenir
. tête aux envahisseurs, tandis que de l'autre elle n'avait aucun
espoir de trouver alliance soit auprès du roi franc, soit auprès
des seigneurs du royaume . .
Ceci posé, voici maintenant quels sont les témoignages his
toriques, d'où il ressort bel et bien, si je ne me fais illusion,
que les Normands tentèrent réellemll1ent à la suite du traité
de Saint-Clair-sur-Epte de conquérir la Bretagne pour l'an
nexer aux autres possessions que Charles le Simple leur avait
octroyees.
Et d'abord Dudon de Sainr·Quentin et Guillaume de Jumiè
ges le déclarent sans détour. D'après eux Rollon au lendemain
de son baptême entra en campagne contre les Bretons, sous
prétexte qu'ils ne youlaient pas reconnaitre son autorité, et
de son expédition un si riche bulin que tous ses
rapporta
sujets en furent pourvus de vivres (1). Ainsi à leurs yeux les
des rebelles. Rollon et ses Normands avaient
Bretons étaient
tou t droit contre eux .
Flodoard ne nous laisse pas ignorer non plus que les Nor-
mands traitèrent la Bretagne en pays conquis, en pays au
quel il ne fallait faire aucun quartier. Il dit avec autant d'auto
ri té que de com pétence :
« Les Normands ravagent toute la Bretagne, située à l'ex
cc trémité de la Gaule, sur le littoral de la mer. Ils foulent
cc tout ce pays aux pieds, et le détruisent en quelque sorte.
' (c Aussi ceux qui l'habitaient sont-ils entraînés comme captifs
(c et vendus comme esclaves ou réduits à fuir sur une terre
« étrangère )) (2).
L'annaliste , contemporain fixe tous ces événements à la
seule année 919 sans doute parce que sa chronique commençe
en cette .année. Mais il suffit d'y réfléchir pour être amené à
penser que cette dévasta1ion et cette dépopulation de toute la
Bretagne furent l'œuvre commune des Normands de la Loire
de ceux de la Seine, et ne s'accomplirent pas en une seule
mais dans l'intenralle qui s'écoula entre le traité de
année,
Saint-Claü:-sur-Epte et l'année 919. Celte dévastation et cette
eQ masse furent donc le résultat d'attaques répé
émigration
qui se continuèrent, c'est ma' conviction, de 913 à 919 et
tées,
à Quimper et à Saint-Pol-de-Léon,
s'étendirent successivement
à Vannes, et au centre de la Bretagne, enfin en dernier lieu à
Dol, Aleth, Léhon. Dans tous les cas elles eurent pour résul-
(1) Rollo 8ritannos sibi rebelles ,subjugavit, atque de cibariis Britonum
pavit totum regnum sibi concessum.
Patrologie latine t. CXLI p. G52' et t. CXLIX p. 801.
(2) Normanni omnem Britanniam in Cornu Galliae,in orâ maritimâ sitam
de populantUt', proterunt atquedelent abductis, venditis, eœterisque cunclis
ejectis Britonibus. Flodoard, Annales année
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI (Mémoires). 15.
tat final de laisser, pendant plusieurs années, le pays à la
merci des envahisseurs .
Le cartulaire de Redon revient semblablement à diverses
reprises sur la cruauté normande pour affirmer qu'elle eut
pour résultat de dlfpeupler toute la Bretagne, et de la réduire
en solttude. ('1)
La Chronique de Nantes détermine avec assez de précision la
da te de la dépopulation de la Bretagneetdel'émigration en masse
de ceux qui l'habitaient. Elle affirme d'abord que ce double fait
suivit de près la mort d'Alain le Grand (907). Puis elle ajoute
aussitôt qu'ils furent la· conséquence immédiate de la conver
sion des Normands et de leur entrée en possession de la pro
vince de Rouen.
« Les Normands, nous dit-elle, devenus comme en.diablés,
(r après avoir enlevé à Charles le Fou la province de Rouen,
« montèrent sur leurs navires, naviguètent à travers l'Océan
« et mirent toute la Bretagne à feu et à sang. Pour les Bretons,
« comtes, vicomtes, mactyerns, tous en 'un mot, remplis de
« terreur devant une pareille rage, ils prirent la fuite et se
« disper'sèrent partie en France, partie en Bourgogne, partie
(c en Aquitaine. » (2) .
« Il . ne resta plus dans le pays
de Bretons », affi l'me en
finIssant notre anony:me, « que les
pauvres, ceux qUI
« travaillaient la terre » (3).
Je ne veux plus reproduire ici que le
temOIgnage
du moine André) l'un des Bretons qui s'enfuirent
(1) Cartulaire de Redon, p. 307. J2G, etc.
('2) Alano, piissimo, duce ab hac Ince dcfuncto ... ipsi Normanni, viri
diabolici ... total11 provinciam Rotomagensium..... Carolo stulto abstu
cum ingenti navium classe pel' mare Oceanum navigantes,
lerunt. Deinde
que inde prœ pavore Norman
totam Britanniam devastarunt, fugientes
ac mathiberni omnes dispersi sunt per
norum territi comites, vicecomites,
Franciam, Burgundiam et Aquitaniam. Chronique de Nantes, p. 80, 81
(3) Ibidem p. 83.
jusqu'en Bourgogne. Son t.émoignage à la vérité n'est qu'in
Car ce n'est pas lui qui va prendre la parole, c'est Jean,
direct.
abbé de Saint-Al'nouf de Metz, le biographe de Saint-Jean-de
Gorze. Seulement il va de soi que ce moine bourguignon
connu les faits dont il s'agit s'il n'en avait ·
n'aurait jamais
appris le récit de J'a bouche d'un des réfugiés bretons, à
où ils devinrent ses confrères en religion à Gorze
l'époque
meme.
Voici toujours le passage saillant de sa narration: . .
« Le moine André, nous dit-il, était Breton de naissance et
« fort instruit. Il fut obligé de fuif sa patrie avec son frère '
« Maginfrecl, et beaucoup d'autres de ses compatriotes, à
« l'époque de l'invasion normande, parce que tous les .habi-
. «( tants furent passés au fil de l'épée par les envahisseurs à
« l'exception de ceux qui échappèrent à la mort par la fuite ».
C'est dire assez qu'à cette date les Normands faisaient aux
Bretons une guerre sans merci. Mais d'autre part il est indu
qu'il s'agit là d'événements 'appartenant aux années
bitable
913-920, non aux années 875-878, ' encore moins aux années
960-970. Inu tile même de songer à ces dernières années puis
que, d'après le même récit, le moine André et ses compagnons
la Bretagne avant l'année 920, et avaient
d'exil avaient quitté
eu pour premier hôte sur la terre -de Lorraine le vénél'able
Dadon, évêque de'Verdun (2), dont l'épiscopat va de 880 à 920.
Mais ce qui ne permet pas davantage de mettre en ava,nt les
années 875-878, c'est que d'un côté Dadon n'était pas encore
évêque en 878, c'est que de l'autre le moine André et
encore
ses compagnons d'exil prolongèrent lel1l~ existence jusque
la seconde moitié du xe siècle.
dans
(1) Quidam vir, natione Britto, Andreas nomine liberalibus appt'irne
Hic de patriâ insulâ, l:nfestatione N01'mannorum, cllnclis
studiis deditus ...
ejusdem incolis aut occisis aut fugatis.Vita sancti Joannis,n. 23. Patrologie
latine, t. CXXXVII, p. 254 .
(2) Ibidem.
André, en particulier, était encore si plein de force et de
vigueur vers 950 que le pape Agapet II (946-9;5;5) venait le
chercher à Gorze pour lui confier la difficile mission de réta-'
blir la discipline monastique à Saint-Paul de Rome (1). Or, la
chose paraîtrait peu vraisemblable s'il s'agissait d'un vieillard
plus qu'octogénaire, comme il faudrait en convenir si son
émigration et son exil remontaient aux années 87:5-878.
Tels sont les témoignages qui me paraissent établir avec
clarté que les Normands firent réellement aux Bretons une
guerre d'extermination dans les premières années du Xe siècle,
et purent un moment se flatter d'avoir conquis la Bretagne et
comme anéanti le nom et la nationalité bretonne. Il n'y a donc
aucune exagération à penser que leurs prétentions allèrent
jusque là. '
Quant à la résistance qu'opposèrent les Bretons aux enva:
hisseur:s, Flodoard et les historiens normands n'en disent mot.
Mais il est permis de croire que cette rési5tance fut opiniâtre,
bien qu'elle n'ait pas été couronnée de succès. Ma conviction,
est qu'on eut aJors le specta'cle douloureux d'une ' nouvelle
guerre de race analogue à celle que les 'Anglais et les Saxons '
avaient faite quatre siècles plus tôt aux Bretons insulaires .
Ceux-ci avaient lutté avec acharnement, et préféré la mort ou
l'exil au joug étranger. Les Bretons continentaux imitèrent
cet exemple. Seuls et sans appui, ils ne purent tenir tête à des
ennemis contre lesquels les rois francs et la plupart des sei-
gneurs du royaume luttaient précédemmen t presque toujours
de concert. Mais eux aussi ils périrent dans ]e combat ou ai
mèrent mieux gagner la terre étrangère plutôt que de courber
le front sous ]e joug des Normands. Il me sera naturellement
impossible de retracer dans le détailles péripéties de cette
lutte puisque les chroniqueurs contimporains ne la mention
nent que d'une manière très vague. Je vais cependant essayer
(1) Mabillon: Annales O. S. B., t. m, p. ' 481.
d'en dire quelque chose à l'aide de la tradition et des vraisem
blances.
§ 5. - Attaques successives de Rollon contre la Cor
nouaille et le pays de Vannes (913 et 914).
Emigration en masse des Bretons .
On vient de voir que Rollon et les Normands de la Seine
prirent réellement prétexte en 913 d'une autorisation vraie
ou prétendue de Charles le Simple pour déclarer aux Bretons
une véritable guerre d'extermination. Tout porte à croire
que les premières attaques de l'ennemi furent . dirigées
aussi
la Cornouaille.
contre Quimper et
La chose se comprend d'autant mieux: que . le comte de
Cornouaille Gurmaélon exerçait alors ou prétendait exercer une
certaine autorité sur toute la Bretagne ('1 ). Par suite, le frapper
le vaincre, c'était frapper et vaincre la Bretagne d.ans son
chef. D'ailleurs, un calendrier de .Landévennec nous offre cette
note, qui ne laisse planer aucun · doute sur la date que nous
cherchons : .
« Année 913 ou 914, le monastère de Saint-Gwennolé a
« été détruit par les Normands (2\ ». Car il va sans dire que
s! Landévennec eut ce sort, toute la Cornouaille dut être éga-
lement livrée dans le même temps au pillage et à la dévasta-
C'estce qu'affirme aussi, au moins implicitement, l'auteur
tion,
déjà cité de la Vie de Saint Ronan, Parlant en effet d'une
de quelques années à celle
invasion normande, postérieure
qui fut le châtiment providentiel du meurtre du roi Salomon,
. il ne nous laisse pas ignorer que.la malheureuse Cornouaille
perdit le corps de Saint Guennolé lors d~ cette seconde inva- .
(1) Cartulaire de Redon, p. '2H, 225,226.
('2) Eodem anno (91:;1 ou \J1!J) destructum est à Normannis cernobium
Winwaloei, (édité par M. Léopold Delisle dans ses Mélanges d'Histoi1'e
et de Littératnre (Paris, 1891), p. '19).
Certain
sion, tandis que la Bretagne en fu t comme dépeuplée et
et de
changée en solitude (1). .
ncenst
Ces deux témoignages se prêtent donc un mutuel appui et
transIe
nous rendent moralement certain que la flotte de Rollon
mande
s'a ttaqua à la Cornouaille dans les mois qui suivirent le traité
. trouve
de Saint-Clair-sur-Epte.
n'ont
Le comte Gurmaélon dut sans doute périr dans quelque
celle (
combat, car son nom disparaît pour toujours en ce moment de
fait, à
l'histoire.
Norm
Quant aux vainqueurs ils montrèrent tant d'acharnement
ni à F
à tuer, à profaner et à détruire, que les Bretons qui survécu
couvr
rent.à la lutte et n'étaient pas absolument sans fortune prirent
le tra
le parti d'abandonner le sol natal et d'aller attendre des jours
Méen
meilleurs sur la terre étrangère, en emportant avec eux les
leme
corps de leurs saints et tout ce qu'ils avaient de précieux.
Rhu~
Ainsi parle l'anonyme cité (2). Pàrmi ceux qui tinrent cette ·
ce co
conduite il faut compter les moines de Landévennec qui,
ans;
guidés ~ar leur abbé Clément et par Benoit, le propre évêque de
qu'e
Quimper, emportèrent jusqu'en Picardie Je corps de saint
. babl
Guennolé (3). .' .. ' .
troi~
Les comtes, vicom tes, mactyerns en firent de . même, et
Vlll~
gagnèrent aussi la terre étrangère. (4') .
non
Vannes et son territoire ne tardèrent guère à éprouver le
même sort que la Cornouaille et Quimper. Nous en avons pour (1
tagr
garants les faits qui sont relatifs à la translation de saint Gildas.
t, Il
(1) Cum intcrnus Arbiler permitteret depopulari minoris Britannire
tellurem et prürsus redigi in solitudinem. IlIo in tempore Cornugallia
infelix, pretiosum Christi confessorem sancLissimum amisisti Guingalo
eum. Vie latine, lieu cité, item vie française, 1. XVI, p. 313 et 314 des
Mémoires de la Société archéologique du Finistère.
che
('2 l Tunc Britannire gens accola a supervenientibus (Normannis) oppressa
pel' diversa orbis climata dispersa est. Exeuntes au
relictis sedibus ayitis
rer
tem, sacra sanctorum pignora mundo obrizo pretiosiora secum asportave·
runt. Vie de saint Ronan, lieux cités.
(3) Gamia Christiana, t. x, p. 28:l (instrumenta). la
(4.) Chronique de Nantes, édition citée p. 8'L
~rtains passages de l'auteur anonyme de cet écrit (1),
: de l'auteur également anonyme du PatriM"chiurn Bitu
icense (2), donneraient, il est vrai, à entendre que cette
~anslation eut pour cause occasionnelle l'invasion nor-
lande des années 875-878. Mais l'assertion me paraît con-
rouvée , et doit provenir de ce que les anciens hagiographes
l'ont pas su établir de distinction entre cette invasion et
;e1le qui est postérieure au traité de Saint-Clair-sur-Epte. De
:ait'/ en juger par le Cartulaire de Redon, l'apparition des
~ol~mands à Vannes en 870,-878 fut localisée et ne s'étendit
ni à Redon' ni à Plélan (3), tandis que celle des années 913-920
couvrit toute cette contrée de sang et de ruines (4) et amena
le transfert hors de Bretagne des corps des saints Salomon,
Méen, Judicael, Léry, etc. Joignez à cela qu'il paraît mora
que la fuite des moines de
lement impossible d'admettre
Rhuys et de Locminé appartienne aux années 870-878. Car à
ce compte les fugitifs auraient erré plus de trente ou quarante
'de rencontrer l'asile de Déols, qui ne leur fut offert
ans avant
916 ou 917 (5). Or la chose paraît d'autant plus impro-
qu'en
bable que dans l'intervalle,en 886-890,Alain le Grand infligea
et les repoussa pàur
trois défaites successives aux Normands,
du territoire breton, car en apprenant cette
vingt années
les moines de Rhuys et de Locmenech se seraient
nouvelle,
(1) Acta sanctorum, t. Il de janvier, p. 964. ' Moriee, Preuves de Bre-
tagne t. I, p. 3j~. ' .
(2) Patriarchium Bituricense, 52. Je cite d'après le Gallia Christiania,
t, II, p. 153 et 154. .
(3) Cartulaire de Redon, p. 195.
(~) Cartulaire de Redon, p. 307.
(5) Gallia Christiana, t. JI p. 153. Si on "m'objectait queccux qui avaient
un refuge à Léhon auraient dCl semblablement regagner alorsQ'lÏmper,
cherché
les autres localités qui avaient été leur point de départ, je
Vannes et
les uns et les
repondrais sans hésiter qu'il n'y a aucune parité entre
autres. Léhon était terre bretonne et refuge assuré, tandis que lesVannetais
les corps de saint Gi,ldas et de saint Paterne erraient sur
qui emportaient
la terre étrangère en quête d'un asile ..
empressés de rentrer sur le sol natal, au lieu de continuer à
pay
errer sur la terre étrang~re.
ren
Enfin, dernière remarque non moins digne d'être prise en
êtr(
considération. Daoc, abbé de Rhuys, qui présidait en personne
à l'exode des corps des saints Gildas et Paterne, devint, en
treJ
917, le premier abbé dû Saint-Gildas-de-Deols, qui fut fondé
pour servir d'asile aux fugitifs et à leurs trésors (1). Mais
aVé
il Y eut plus, trente ans plus tard, en 94 ï, le même person-
nage fut également instituè premier abbé du monastère de
sor
Notre-Dame-d'Issoudun que l'on fonda alors pour servir
au corps de saint Paterne (2). Or, si
momentanément d'asile
l'exode des corps saints dont il s'agit remontait réellement
aux années 876-880, J'abbé de Rhuys, qui ne pouvait avoir d'ê
moins de 3d ans à cette date, aurait atteint à peu près sa
rél
c è ntième année Jors de la fo'ndation de Notre-Dame-d'Issoudun:
ce qui ne permet pas de supposer qu'on ait pu songer à lui
pour le charger de cette fondation nom'elle. Supposons al!'
contraire qu~ l'exode en question ait eu lieu en 913 ou 914, .
. la difficulté disparaît et rien ne s'oppose à ce que Daoc ait été
successivement chargé de la fondation de Saint-Gildas-de-
Deols et de celle de Notre-Dame-d'Issoudun.
Ce qui nous fixe également sur la date précise des dévas
le pays de Vannes fut le théâtre au Xe siècle, de
tations, dont
la part des Normands, et qui amenèrent une émigration en
masse, c'est que ce pays avait alors à sa tête Matuedoi, qui
était à la fois comte de Poher par droit de naissance, et comte
de Vannes par son mariage avec une fille d'Alain le Gr·and.
Car de fait le nom de ce seigneur figure dans les actes publics
des années 9-10-913 (3), mais il en disparaît ensuite pour '
toujours.Or, si la chose se comprend sans peine dès lors qu'on
avec moi que Rollon et ses Normands envahirent le
admet
(1) Ibidem, p. 155,
(2.) Ibidem, p. 157.
(3) Carlulaire de Hedon, p. 223 et 22{
pays sur ces entrefaites et que Matuedoi, vaincu en plusieurs
le parti d'aller demander un asile au roi
rencontres, prit
d'Angleterre (1) ; je ne vois pas quelle explication pourrait
proposée s'il s'agissait d'une émigration en masse réalisée
être
trente ans auparavant.
Plusieurs religieux de Landévennec(2) ,de Lanmodez, (3;etc.,
la mer avant Ma tuedoi etI'engagèren t
avaient d'ailleurs franchi
a SUIvre leur exemple, comme ils devaient exhorter plus tard
son fils, Alain Barbetorte, à repasser l'Oèéan pour entre-
prendre d'expulser les Normands de toute la Bretagne et
tâche glorieuse (4).
l'aider efficacement dans cette
A vrai dire même, le comte Matuedoi n'avait guère besoin
d'être exhorté par des compatriotes à prendre ce parti, puisque
le roi d'Angleterre, Edouard l'Ancien, à la cour duquel il se
réfugia selon toute apparence (5), l'y avait engagé lui-même
en entrant le premier en relation avec notre
indirectement,
à l'époque des triomphes
Bretagne continentale, probablement
le Grand sur les Normands. De fait il avaft écrit à l'éd'Alain
vêque de Dol, Lowenan, pour demander qu'on lui envayât des
reliques de saint Samson et qu'on lui accordât une union de
prières avec l'évêque et le chapitre de Dol (6). Dès lors on ne
(1) Chronique de Nan tes, édition citée p. 8'L
(2) Carlulaire de Landévennec, édition La Borderie, p. 156.
(;1) Ce qui m'amène à mentionne!' ici leil 'moines de Lanrriodez, c'est qu'on
a transplanté au-delà de l'Océan, non seulement le culte de Saint-Maudet,
mais aussi sa chaire en pierre et d'autres souvenirs, qu i appartiennent en·
propre à Lanmodez. Or, une pal'eille manière d'agir doit êlre le fait d'un
religieux du pays. '.
(4) Cartulai!'e de Landévennec, p. 156.
(5) La chronique de Nantes met en avant ;'année 931 el le nom du roi
Athelstan (9l4-941. Ed ition Merlet, p. S'l, note 3.) Mais l'a~sertion
parait con lrouvée à cet égard. J'en redirai quelque chose pl us bas, en
parlant d'Alain Barbetorte. .
(6) Cette lettre ne nous a pas été conservée, mais elle est analysée dans
une autre lettre d'un prévot de Dol adressée au roi Alhelstan, fils et suc-
cesseur d'Edouard. Patrologie latine, t. CLXXIX, p. 1106, note 2.
s'étonne plus de voir les Bretons du continent s'adresser à lui
dans leur malheur et lui demander un asile temporaire contre
des ennemis acharnés à leur perte.
Je dois ajouter cependant que les Bretons qui se fixèrent
dans le Cornwall, le Devon et le pays de Galles n'eurent pas
besoin pour cela de l'a utorisation du roi d'Angleterre: car les
Gallois avaient alors pour roi Hoelle Grand, qui maintint 'son
indépendance jusques vers l'année ,926. Or, ce qui donne à
'penser que les Bretons, qui y cherchèrent son refuge, venaient
à la fois de Vannes, de Quimper, de Tréguier et de Saint
Brieuc, c'est qu'ils y implantèrent le culte des saints Mériadec,
Corentin, Maudet, Brieuc, Méen, Austqle, etc., qui ::,'y .est
maintenu jusqu'à nous (1).
J'aurais voulu entrer dans plus Qétail sur la résistance que ,'
Gurmaélon et Matuédoi opposèrent aux en vahisseurs de leur
pays, sur le nombre et la qualité des victimes qui y tombèrent
sous les coups ' des Normands. Mais l'histoire ne s'invente
pas, et, puisque l'antiquité ne nous a rien appris à cet égard,
je dois moi-même garder le silence. Il y a lieu cependant, si
je ne me fais illusion, de conipter au nombre je ces victimes
un évêque de Vannes, le pieux Bili, l'ancien diacre d'Alet,
auquel on doit la vie latine de saint Malo (2). Ce personnage
occupait le siège de Saint-Paterne depuis 892,et son nom figure
à diverses reprises sur le Cartulaire de Redon (3). La der-
nière mention qu'on lui accorde est du z;5 octobre 913 (4), et
comme il est honoré à titre de martyr le 23 juin de chaque
(1) 'Un de mes correspondànts, auquel je dois les renseignemenls que je
consigne ici, M. Baring-Gould, président de l'Institut royal dB Cornwall,
un ouvrage sur les saints du Cornwall dans lequel la question,
prépare
je parle. se trouvera heureusement éclaircie.
dont
(2) Voir le3 prolégomènes de cette vie que l'auteur du présent travail a
à Rennes (1884). '
éditée
(;-1) Cartulaire de Redon, p. 216, 2'20, 'l23, 225, 377 .
(4) Ibidem p. 223.
année, il Y a lieu de croire qu'il tomba saLIs les coups des Nor
mands, le 23 juin 914 ou 915.
Dol, Alet et Léhon paraissent avoir subi de la part des N 01'
mands le même sort que Vannes et Quimper, mais seulement
en 917-919. Je vais eS3ayer d'en
trois années plus tard, savoir
dire quelque chose .
- Les Normands et leurs dévastations à Do],
à Alet, à Léhon.
Ce qui porte à penser que les pirates du Nord, après avoir
pillé et mis à sac le double pays de Vannes et de Quimper et
le Léon et le Trécol'. (1), remontèrent sur
sans doute aussi
que
leurs navires pour aller chercher fortune ailleurs, c'est
Florent de Worcester et uù anonyme de Cambrie (2) signalent
leur présence, en 91:5 et 9'16, sur les côtes d'Angleterre . . Mais
une fois ces exploits accomplis, Rollon et ses Normands
de nouveau, en 917, leurs armes contre les Bretons,
tournèrent
en commençant cette fois leurs attaques par la partie du
Cotentin, qui continuait à relever de nos ducs (3). De là, la .
se trouvèrent les clercs d'Avranches
nécessité, dans laquelle
de s'enfuir vers le pays franc en emportant avec eux les trois
corps des saints Paterne, Sinier (Sénateur) et Scubilion (4).
Le bruit des dévastations de tout genre qui accompagnaient •
la marche en avant-des Normands ne tarda guère d'ailleurs
Dol, Alet, etc., .... et décida l'évêque de Dol,
à arriver juqu'à
(l) Le Léon dut perdre alors le corps de saint Hervé, qui fut porté à
Brest, et le Trécor celui de saint Maudet, qui, séparé en pluseurs portions,
en particulier Paris. .
alla enrichir diverses localités et
(2) Petrie: Monumenta Historica Britannica, t J , p. 570 et 833 .
(3) Voir un acte de l'année 889 reproduit dans la Chronique de Nantes,
édition Merlet,
(~) Texte de la T1'anslatio Sancti Maglorii. Dans le mémoire de M •
Merlet, sur .les origines de saint Magloire de Paris, p. 8.
Aganon, à imiter l'exemple des clercs d'Avranches, et à cher
glet
un refuge ch3z les Francs avec le corps de saint Samson '
cher
pOU
pendant que Salvator, évêque d'Alet, et les gardiens du corps
cell
de Saint Lunaire se contentaient au premier moment d'aller
Cor
le diocèse à l'abbaye de Saint-Ma gloire
demander asile dans
de Léhon avec les corps de Saint Malo et de Saint Ciférien ou
, GeUroy, évêques d'Alet, et celui de saint Lunaire, évêque
régionaire
Nous touchons au chapitre le plus é~l1ouvant de l'exode de
nos saints bretons. Mais comme on pourrait me chercher
la date que je propose, je vais préalablement en
chicane sur
établii' la certi tu de.
" Il a été longtemps de mode de renvoyer à la seconde moitié
du Xe siècle, soit aux années 960-980 la translation à Paris
de Saint Magloire et de ses compagnons (2.). On se fondait pour
cela sur un passage obscur ou peut-être trompeur de la Trans-
l:1tio Saiwti Maglorii et le dernier éditeur de cedocumen t
, vient tout récemment d'embrasser la même opinion (3).
Pour moi, j'ai cru devoir protester, dès '188l, contre cette opi-
nion (4).Peu après le R. P. de Smedt, BoIJandiste, en a fait de
même (5), ainsi que M. de la Borderie (6).Aujourd'hui je con-
serve la même convietion et j'y demeure plus attaché que
jamais, appuyé sur la lettre déjà citée du prévot de Dol, Roh-
bode. Ce document ne nous laisse pas ignorer, en effet, j'en ai
(1) Aucun document ne nous apprend que le corps de Saint Lunaire fut
à cette date cl Léhon. Mais comme le tombeau de ce saint se trou
porté
il. mi-chemin entre Alet et Léhon il est probable que son corps suivit
vait
, la même fortune que celui de Saint Malo.
(~) Telle est l'opinion d'André Duchesne, de Mabillon, des Bollandistes,
etc., etc.
(3) Merlet: Notice sur les origines du monastère Saint-Magloire, p. 15
etsuiv.
('1) Vie latine de Saint-Malo, p. 17 et 18 .
(5) Acta sanctorum, t. 1 (novembre), p. 6n et suiv.
(6) Miracles de saint Magloire (1891), p. lOG et plus récemment dans le
t. II de son histoire de Bretagne (appendice). .
déjà dit un mot, qu'Edouard l'Ancien, qui a régné sur l'An
gleterre de 901 à 9'23, ecrivit à l'évêque de Dol, Lowen3n,
pour en obtenir des reliques de saint Samson. Or à la date de
cette leUre (90l-912 au plus tard), le pays de Dol n'avait en
core rien perdu de ses richesses et de ses corps saints, ma
nente (ut/wc stabilitate nostne l'Pgionis (1), déclare explicite
Rohbode dans sa propre lettre, qu'il adresse au roi
ment
Athelstan (924-941), fils et successeur d'Edouard, de son exil
de France, dum commoramur in Francw. (2). Par conséquent
impossible de s'y tromper: la face des choses avait totalement
. changé à Dol dans l'intervalle de temps qui s'écoula entre ces
deux lettres. A l'époque de la première, celle du roi Edouard,
910 ou environ, l'évêque de Dol, Lowenan, avait encore
année
sous la main le corps de saint Samson, et pouvait à son gré en
détacher une partie pour l'envoyer au roi d'Angleterre (3).
A l'époque de la seconde, 937 au plus tard, le même corps
Orléans par l'évêque Aganon. Une collégiale
avait été porté à
• y avait été fondée en son honneur (4), et Rohbode en était
la mort de ce prélat. Cette lettre de Rohbode
prévot depuis
constitue donc un document historique d'une haute valeur. (5),
elle convainc d'erreur M. Merlet et tous ceux qui avant
une opinion analogue à la sienne. Il
lui avaient embrassé
suffit de ' remarquer pour cela que la translation de saint
Samson à Orléans et à Paris fait corps avec celle de saint
Magloire et des autres saints, qui composaient le dépôt de
(1) Patrologie latine, t. CLXXIX, p. 1106, note 2.
(2) Ibidem.
(3) Lettre citée du prévot Rohbode.·
(1) Gallia Christiana, t. VIII, p. 48~ (instrumenta) .
(5) M. de la Borderie y fait appel daus le t. II de son histoire de Bre
j'y avais fait appel avant lui, et le premier, je crois, en Bre·
tagne, mais
tagne. (Voir mes prolégomènes sur la très ~ncienne vie latine de saint
Samson. Paris, 1887, p. 30, note 2). .
Léhon, ainsi qu'avec celle des saints Paterne , Sin~r et
Scubilion, qui venaient d'Avranches (1).
Car les corps saints, qu'on avait mis en dépôt à Léhon
comme il a été dit plus haut, ne tombèrent point aux mains
des envahisseurs. Un ange du Seigneur vint en effet, avertir
. l'évêque Salvator et l'abbé Junanus du malheur qui les me
naçait (2). Bien plus, ce messager leur intima au nom du ciel -
l'ordre de fuir pendant qu'il en était encore temps afin
d'arracher à la destruction ces trésors d'un prix incompa-
rable (3). En conséquence l'un et l'autre prirent de concert la
route du pays franc, et y mirent tant de diligence que peu de
temps après avoir quitté la Bretagne, ils firent la rencontre
des clercs de Dol et d'Avranches, dont j'ai déjà parlé (4).
Depuis lors ils partagèrent la même infortune et continuèrent
ensemble leurs pérégrinations à travers le Maine, l'Anjou,
la Touraine, l'Orléanais et jusqu'à Paris. Quant aux Normands .
envahisseurs, ils paraissent s'être montrés plus cruels et plus
inhumains qne jamais. C'est ici princi palernen tqu 'ils l'éalisèren t
ce que Flodoard disait-plus haut dans un texte que j'ai repro-
duit. Ils paraissent avoir multiplié à plaisir. les dévastations
et les violences de tout genre autour de Dol et d'Alet, sans
doute dans le dessein de rendre l'émigration de ceux qui
survivaient plus nombreuse et de s'annexer ensuite plus
facilemen.t cette partie de la Bretagne, qui était limitrophe du
pays qu'ils occupaient eux-mêmes. Les Normands de la Loire '
ne se proposèrent rien moins, de leur côté,à la mêmedate, que
d'occuper d'une manière fixe Nantes et ses environs avec la
presqu'île de Guérande. Le moment est venu de le montrer
brièvement.
(1) Voir la Translatio Sancti MaglO1'ii dans la notice de M. Merlet SUl'
les origines du monastère de Sain t-Magloire.
Cl) Voir la Translatio sancti Maglo1'ii, déjà cit~e.
(3) Ibidem. ,
(4) Ibidem.
(A sui'l:re.)