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Bulletin SAF 1899


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Les chapelles du Cap-Sizun (suite)

H. Le Carguet

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. XII.
LES CHAPELLE,S DU CAP-SIZUN suite. rt)

III. La légende de sainte Evette,
la vierge aux trois couronnes, patronne des pêcheurs
de la baie d'Audierne .

Sainte Evette fait partie de la pléiade des saints person­
nages bretons inconnus dont toute la biographie consiste en
quelques traditions lointaines, par suite bien obscures, aux­
quelles la dévotion populaire a ajouté ses légendes merveil-

leuses.
Une grande incertitude entoure même le nom de notre
sainte. Les registres latins paroissiaux d'Esquibien, de
1552 à 1626, l'appellent Dezl1wta, puis Dernata. En 1599 et
1600, ce nom s'écrit Dwnetta (2). Plus tard: il se transforme
en Denwte, DeJ1'wt, puis Demet et Devet. Un tableau de sa
chapelle désigne la sainte sous le nom de Edwet Actuelle­
ment on l'appelle Erette. Nous adopterons cette forme
seulement à cause de son euphonie. .
Pas plus que le nom, l'histoire de la sainte n'est connue.
M. Quéinec, recteur d'Esquibien, de 1840 à 1847, l'iden­
tifie, par suite d'une certaine similitude des noms, avec
sainte E-vé, ou A né, en latin A'via, dont il est fait mention au
premier volume de la Vie des Saints de l'abbé Tresvaux,
(catalogue des saints dont la vie n'est pas connue).
(1) Cf. Bulletin de la Société archéololjiqve du Finistère. (Juillet 1891 et
février 1899).
(2) A comparer :e nom avec celui de sainte Thumette,en breton,
Teunvez, aussi l'une des compagnes de sainte Ursule et patronne de
l'ancienne é~lise de Kerity-Penmarc'h.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI (Mémoires). 13.

Une inscription entourant l'un des tableaux de sa chapelle,
« sainte Edwet, vierge
(Herbault pinxit, 1718), indique que
« et martyre: morte en 383, était l'une des compagnes de
« sainte Ursule. »
Tels sont les renseignements que l'on possède sur sainte
Evette.

La légende vient compléter ces renseignements.
est muette
Elle fait naître la sainte en Angleterre, ' mais
sur so"n départ avec sainte Ursule et sur le martyre des onze
, mUle vierges 'près de Cologne,
D'après elle, la sainte aborde en Bretagne-Armorique,
avec saint Démet, son frère ,

Le .navire qui portait nos deux saints, désemparé par la
tempête, heurte un écueil et s'entr'ouvre. Tout l'équipage
trouve la mort daus les flots. Mais Dieu qui réservait
saint Démet et sa sœur pour de hautes destinées, les recueille

dans sa main et les dépose sur le rivage.
La côte où ils avaient abordé était celle de Penhors ou de
Plozévet dans la baie d'Audierne '/ '
Sitôt après avoir touché terre, nos deux saints se jettent
à genoux pour rendre grâces à Dieu et, comme le pays etaIt

désert, ils décide'nt d'y demeurer. ,
- « En nous recueillant tous les deux, seuls: dans sa
« main, » dit 'saint Démet à sa sœur, {( Dieu nous ' a
cs. manifesté sa volonté : il nous a réunis pour que nous ne
(( nous séparions jamais, Ici, bâtissons un ermitage: afin
.. qu'un même toit nous abrite, une même pénitence nous
CI sanctifie! ))
Ces paroles dites, ils se mettent tous les deux à construire
une cabane. ' , ,
Elle était presque achevée quand saint Démet reçoit une
révélation:

- L '1 dl' . 'un saint et
• (f. a reg e e a samtete ne permet pas ~u . .
« une sainte restel1t 1 A t't pour faIre pemtence . »)
,sous e meme 01 , .
A cette révélation, notre saint est bien embarrassé:
- « Comment concilier ces deux points: la volonté de
« la sainteté ordonnant de l'éloig~er? »
Mais Dieu n'a jamais abandonné ses fidèles serviteurs
dans leurs tourments.
Bientôt, saint Démet, inspiré, appelle sa sœur et lui dit:
_ « Dieu veut que ma vie soit ta vie, mais défend qrie
« mon toit soit ton toit.

« Va~ pars et demeure en un lieu où le soleil, se levant
cc au-dessus de mon ermitage, te verra, chaque jour, en
« prières; et, se couchant au-dessus de ton ermitage, aper-

« cevra le seuil de ma cabane. )

«( An heol, 0 sevel di var treujou va zi,

«( Da velo, berndez, e pidi ;
«( A pa guzo a zivar treujou da di,

«( A velo treujou va uni. »
Après ces paroles, sainte Evette s'incline devant son frère,
monte dans une auge en pierre, joint les m<;l.ins et lè'Xe les
yeux au ciel.
Aussitôt l'auge se met en mouvement, vogue' sur la mer,
comme l'aurait fait une barque, traverse la baie et s'échoue à
l'endroit où se trouve aujourd'hui la chapelle de la sainte.
La sainte débarque, et l'auge, d'elle-même, s'éloigne de la
côte et s'enfonce dans la mer. On l'aperçoit quelquefois, aux
grands déchals, près d'une basse appelée le Sillon . .
L'espace de mer qui sépare le Sillon de la terre fut appelé,
dans la suite, le POTt de Sainte-Evette.
III
Cependant la sainte avait construit sa cabane au bord de
la mer, au lieu où elle avait débarqué.

Elle se retirait, à quelque distance de là, dans les terres,
pour prIer.
Les habitants de la contrée étaient païens. Ceux du rivage,
hommes tranquilles, n'inquiétèrent la sainte en aucune façon.
Il n'en fut pas de même de ceux de l'intérieur. Déjà
prévenus contre elle à cause de son arrivée miraculeuse,
ceux·ci, la voyant tous les jours agenouillée au même endroit
et faire. le signe de la croix, chose qU:'ils ne pouvaient com­
prendre, l'accusèrent dè maléfices:
« C'était une. femme de désordres, une sorcière qu'il

« fallait renvoyer ! »
Et ils la poursuivaient et la frappaient avec les fourches de
fer qui servaient à jeter la lande dans les fours à cuire le pain .
La sainte, ainsi pourchassée et martyrisée chaque jour,
n'avait pas un instant de repos pour accomplir sa pénitence.
Mais le Seigneur qui avait destiné cet endroit pour être
témoin des mérites de sainteEvette,opéra un nouveau miracle:
Une nuit, toutes les fourches de fer du village dispa-
rurent ..... et, depuis cette époque jusqu'en ces derniers
temps, cela se renouvela, toutes les fois qu'on voulut chauf­
fer les fours au moyen d'instruments en fer. On n'a jamais
su par qui, ni comment, les fourches étaient enlevées. Mais.
pendant de 'longues années, on ne put se servir que de four­
ches de bois.
Le nom même en est resté aux habitants. On les appelle
Potred-Esquevien (1), ou l!..'squevienis, c'est-à-dire les gens

(1) Le nom breton de la paroisse est Esquevien, Esqueien, et non Esquibien,
comme on l'écrit habituellement.
En 165'2, H. II. Daniel Canévet, sieur de Kerioc'h, écrivait, a.u registre
des baptêmes, .d'après la prononciation de l'époque, Esqueian.
Un livre breton: An exerciçou spi1'ituel eus ar vue:!> chrïsten, imprimé
à Q1,limper en 1715, l'écrit: Esquebien .

. Au registre de la paroisse, M. l'abbé Quéinee a consigné cette note en
184\ : • Esquibien signifie évêques. Mais pOlwquoi a-t-on ainsi appelé la
(c paroisse ? C'est ce qu'on ignon ».
C'est aussi à remarquer 'que l'église paroissiale et les chapelles n'ont
aucun vocable, aucune statue se rapportant à' un évêque.

aux outils de bois, du mot escop (1), esqeb, pelle, fourche ou
instrument de bois.
gens méchants, privés de leurs armes. peut-être aussi
Les
frappés du mystère qui entourait leur disparition, laissèrent
enfin la sainte se livrer à ses exercices de dévotion.
Elle .passait ses journées en prières sur une roche qui
porte encore la trace de ses genoux, celle de son chapelet
qui pendait- à sa ceinture et celle de sa main droite sur
laquelle elle s'appuyait quand elle était fatiguée.
pierre se trouve dans un champ appelé Leur-Zié, nO
Cette
922, section D du cadastre, près du village de Leuguériou.
La sainte, en prière, avait la face tournée vers l'Orient .
Elle apercevait le soleil se lever au-dessus de la côte de
Plozévet où était son frère; et saint Démet le voyait se cou-
cher par delà le cap de Lervily et l'ermitage de sa sœur . .
Ainsi nos saints, réunis et séparés à la fois, accomplirent
la volonté de Dieu et la règle de la sainteté. .
Après une vie longue de pénitence, sainte Evette alla au
ciel recevoir la récompense de ses mérites.
Elle est représentée, dans sa chapelle, le front ceint
de la couronne des princesses; sa main gauche presse, sur
son cϝr, ]a 'couronne des vierges; sa main droite tient
. celle des martyrs. Un ange lui apporte une quatrième cou­
ronne faite de roses, rouges et blanches, emblêmes de sa
persévérance et des vertus qu'elle a pratiquées dans son
ermitage. Mais la sainte, si chargée d'honneurs, ne sait com­
ment la prendre .
Saint Démet, aussi, mourut plein de grâces (ft devint le
patron de Plozévet.
Telle est la légende.
(1) Dictionnaire français-preton du père Grégoire de Rostrenen, p. 155-

Un blason populaire a, aussi, marqué la conduite des
idolâtres de la contrée: "

- « Da Leugueriou, mil malloz,
« Da Landrevet, mil bennoz ! »

« A Leuguériou, mille malédictions,

« A Landrevet, mille bénédictions! »

Sainte Evette est la protectrice des pêcheurs de la baie
d'Audierne. Elle a reçu cette mission de Dieu, en mémoire
de son naufrage à Plozévet et de sa traversée de la baie dans
son auge de pierre.
Son pouvoir, qui égale çelui des plus grandes saiut~s du
Paradis, a été révélé par sainte Anne d'Auray elle-même.
Un vieux pêcheur de Plouhinec faisait son tl'oisième pèle­
rinage à la basilique de Sainte-Anne.
S'adressant à la sainte:

- a Adieu, sainte Anne, pour toujours! Je suis trop vieux
a. pour revoir, une autre fois, votre église, ».
La sainte lui répondit:
« Consolez-vous! vous avez, près de chez vous, une"
{C sainte aussi puissante que moi. Si l'on connaissait toute

« l'étendue de son pouvoir, ce n'est pas un pavé de galets de
« la mer qu'il faudrait autour de sa chapelle, mais un pavé
<1 d'acier, encore il serait bientôt usé sous les pas des
« pèlerins. »
Autrefois la chapelle de Sainte-Evette était un lieu de .
pèlerinage très fréquenté.
Après une tempête, les matelots sauvés du naufrage, nu­
pieds, un cierge à la main ~ vêtus des habits qu'ils avaient
au moment du danger, après être entrés dans la merjusqu'à
la ceinture, faisaient, tout mouillés, neuf fois le tour de la
chapelle, pour remercier la sainte de leur avoir accordé sa
protection.

ActuelJement, on y dit la m,esse des noyés pour ceux qu'on
l'on fait la neuvaine des disparus, pour que les
a retrouvés et
atterrir et reçoivent la sépulture en terre
cadavres viennent
bénite.
jour de son pardon, sainte Evette apparaît sur la mer.
d'or et de soie, elle fait, montée sur
Toute resplendissante
son auge, le tour de la baie, pendant la procession.
Son pouvoir s'exerce sur toute la baie. '
Son auge de pierre défend son port de la tempête. Là, par
aucun vent, la mer ne brise. Quand, parfois, une légère
houle s'y montre, c'est pour porter au rivage les bâteaux en
danger. Ils viennent aborder doucement devant la chapelle
et les pêcheurs, comme autrefois ' la sainte, débarquent à
. pieds secs.
Jamais on n'a vu périr les marIns qui l'ont invoquée en
faisant route sur sa chapelle.
était remplie d'ex-voto: témoignages
Autrefois sa chapelle
reconnaissants des miracles opérés par la sainte, pieux sou­
venirs des lointains voyages faits par les marins de la haie
d'Audierne

La chapelle de sainte Evette est située au fond d'une
crique, appelée Pors-Landrel ette. La mer vient presque
baigner les pieds de ses murs.
On voulut d'abord la construire sur la hauteur, près de sa
fontaine. Mais les travaux, exécutés le jour, étaient détruits
et les pierres transportées au bord de la mer.
chaque nuit,

On reconnut par là que la sainte voulait être honorée là où
elle avait débarqué de son auge de pierre.
(1) On y voit encore quatre œufs d'autruche.
(2) Malgré toutes nos recherches, nous n'avons trouvé ' aucunes traces
gwe1'% de sainte Evette.
d'un

, Actuellement, cette chapelle n'a rien de remarquable: Mais
elle a reçu de nombreuses transformations: le culte de notre
sainte est si vieux (2). " ' "
Le 26 avril. 1631, Guillaume Jupy " dict Fibaner, du village
de Lézongar, y fut inhumé;
En 1656, baptême d'un enfant du village de Kerandraon ;
En 1743, la chapelle menaçait ruines. On fut obligé de
refaire presque en entier les murs. Pendant ces travaux, on
boucha une porte qui donnait sur le sanctuaire, et l'on dé':'

molit l'arcade qui le séparait de la nef.

En 17'10, le clocher fut restauré.

L'autel porte la date de 1775 ; le calice qui sert à célébrer

la messe des noyés, celle de 1651.
La chapelle possède deux tableaux, anciens: l'un, signé '
, Herbault, représente la sainte en prières, à genoux sur son
rocher. '
Il a été découvert par M. Thalamot, recteur, au presbytère
de 'Tréméven. « où il était mis au rebut et oublié )}.
Ce tableau fut placé, dans la chapelle, le 16 juillet 1847,

avant-veille du pardon, après avoir été retouché par les soins
de M. Thalamot, qui était originaire de Lervily, près de Lan-
drévette. '-

L'autre tableau, qui forme le rétable de l'autel, représente
le couronnement de la sainte. Il dénonce la pieuse bonne

volonté plutôt que le talent de l'artiste.
Comme composition il rappelle l'ancienne imagerie popu­

laire espagnole (1).
Mais ce qui le rend surtout digne d'attention, ce sont les
détails qu'il renferme. •
Aux pieds de l'image de la sainte se trouvent reproduits
un château-fort, une vue de la chapelle avec la por'te murée

(1) Voir les deux images reproduiles, pages 514 et 515 de la Revue des

tradl~tions popu.laires. (N° d'octohre 1898).

en 1743, puis un .. paysage comprenant le 'vieil A tLdierne à-vec
le clocher d'Esquibien dorninant les collines de Ker"réac'h.
Cette image du passé mérite d'être conservée,

Aujourd'hui, les pêcheurs en danger oublient de faire
cap sur la chapelle de Sainte-Evette.
C'est que la route leur est barrée .
Le port qui offrait, autrefois, un abri et un mouillage sùrs,
un accostage facile, est encombré par les débris des roches
que l'on a fait éclater pour construire le môle d'Audierne.
Peu de choses suffirait pour le mettre en état, tel qu'il
était autrefois: une dépense de 4.000 à 5,000 francs pour
relever les galets et arnonceler les roches en forrne de jetée !
Alors les pêcheurs, au lieu de tenter l'entrée du port,
quand la barre brise, et de périr au bout du môle, sous les
yeux de la population impuissante, pourraient aborder à
Landreveite en laissant leurs barques au mouillage.
C'est là le seul moyen d'éviter les brisants de la barre d'en­
tré'e, au milieu desquels, chaque année sans exception,
s'engloutisse,nt plusieurs barques, disparaissent plusieurs
marms .

C'est aussi le vœu que forment, depuis plusieurs années,
tous les pêcheurs qui fréquentent la baie d'Audierne.

H. LE CARGUET.

Audierne, 8 avril 1899 .