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Bulletin SAF 1899


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Roturiers seigneurs hauts-justiciers. La famille Gazon

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ROTURIERS SElGNEURS HAUTS-JUSTICIERS
LA. FAMILLE G.tl.Z

(c Honorable homme » Mathurin Gazon et Jeanne Le

Breton, sa femme, étaient pâtissiers à Rennes, paroisse
Saint-Sauveur, en 1661. Le 2 mars de cette année, ils firent

baptiser un fils qui fut nommé Sébastien. . .
Trente-trois ans plus tard, le 10 janvier 1694, Sébastien
éponsait (Saint-Germain de Rennes) Marguerite Galpin, dont

les parents habitant Vannes étaient marchands de draps et
de soie; nous disons aujourd'hui mai'chands de nouveautés.
Mathurin Gazon avait-il /été, comme on disait autrefois,
pâtissier-oubliettr (2), ou, comme nous disons, pâtissier-con-
fiseur? Je croirais plutôt qu'il était pâtissier et rôtisseur;
c'est-à-dire traiteur, ou d'un néologisme du dernier ' siècle,
restaurateur. .
Quoi qu'il en soit, les pâtissiers de l'une ou l'autre espèce
avaient une situation moindre que celle des marchands de
draps et de soie. Ceux-ci tenaient le pre.miel' rang dans « la
marchandise ». Leur commerce qui les mettait en relation

(1) Les trois notes qui suivent (V, VI, VII.) complètent l'étude sur Une
Mœison de la 1"ue Saint-Fl'ançois, de Quimper, publiée au Bulletin de
(2) Le mot pâtissier a un double sens: il s'est dit (comme aujourd'hui)
des « lai~eurs de gâteaux, biscuits, etc. Il En ce sens on disait pâtissie1"s­
oublie urs (faiseurs d'oublies). Mais pâtissie1" s'est dit aussi des (( cuisiniers
publics )l dits aussi (1 rôtisseurs Il ; que nous appelons traiteurs ou d'un
nom plus moderne (né au dernier siècle) restaurateurs. Il semble qu'au
XVIIe siècle, en Bretagne, le mot pâtissier s'entendait des pâtissiers
rôtisseurs. Cf. sur ce point le plaidoyer (cause grasse) prononcé en parle-
ment le mardi gTaS 1621 ou [fin par Sébastien Frain, célèbre avocat de
Rennes, pour les pâtissiers et 1'ôtisseU1"s de Nantes contre les cabm"etiers
et taverniers.

avec la noblesse et 'la bourgeoisie était lucratif : la preuve
que nous voyons nombre d'entre eux s'enrichir et pous­
c'est
ser leurs fils dans le clergé, la j Llstice, les ca l'ri ères libérales,
et marier leurs filles à des nobles.
Est-ce son mariage, est-ce une ambition légitime pour lui­
même et ses enfants qui porta Sébastien à quitter l'industrie
paternelle'? Toujours est-il qu'il tint avec sa femme, près de .
la place RO~Tale à Rennes, une (c boutique 'de draps et de soie ».
Leur commerce prospéra; si bien que, un quart de siècle
le 17 octobre 1720, Sébastien se rendit
après son mariage,
devant les Etals adjudicataire de la recette des fouages,
vingtièmes et capitation de Cornouaille. Le prix était de
60.000 livres que l'adjudicataire s'engageait à verser et qu'il
Q novembre et Q décembre suivants (1).
versa par moitié aux
Sébastien continua son lucratif commerce à Rennes; et,
confia la gestion de Quimper à ' un
pendant quelques années,
p~éposé. .
Les époux Gaz.on eurent entr'autres enfants un fils nommé
Joseph-Jacques-Sébastien, né vers 1703. Très jeune, celui-ci
avait été directeur de la Monnaie ·à Rennes. Après quelques .
années, son père l'envoya gérer la recette de Quimper. A peine
Je '17 juin 1735, Marie-Julienne Mavic
installé, Joseph épousa,
(ou Mauic), d'une vieille famille bourgeoise L'année suivante,
il faisait baptiser un fils qui fut nommé Joseph-Guillaume-
Marie-Ani!e-Corentin. (Saint-Sauveur, 25 décembre 1736).
Sébastien Gazon mourut après 1738 :2) laissant Marguerite
Galpin, sa veuve, donataire; et celle-ci, par acte du 23 février
1740, céda à son fils l'office de receveur des fouages, etc (3! .

. (1) Sébastien avait enchéri pour son frère Mathmin ; mais, deux jours
le désistement de son frère, il fut admis et prêta
après l'adjudication et sur
le 20 octobre.
sermen t
(2) La veuve Gazon mourut à Rennes, le 27 novembre 1741. 'Inhumation.
29 novembre).
Saint-Germain,
(J) Le 21 février 1738, les cieux époux se faisaient donation mutuelle dé
tous acquêts et meubles cie communauté. :Enreg. au greffe clu 22 février) .

Au lieu des 60.000 livres que Sébastien avait payées, le
prix fut fixé à 40.000 livres seulement, «, prix évalué, est-il
dit à l'acte, sur les dernières ventes de pareils offices. »
A cette époque, Joseph Gazon n'avait pas encore « pignon
sur rue» à Quimper. Nous avons dit qu'il habitait place
, Terre-au-Duc une maison qu'il affermait (1). .' '
Mais la recette était fruGtueuse ; et un jour vint où,' comme
nous l'avons vu (2 ), Gazon, alors pourvu du titre de conseiller

du roi, put acquérir, le 15 mai 1759, la maison Cardé, rue "
Saint-François; et, ce qui importait davantage, le 24 juin
1761, il acquit la seigneurie du Plessix-Ergué, paroisse d'Er-
gué-Armel (3). ,

Cette antique seigneurie était, en 1292, aux mains de Jeanne
de Plœuc, fille et héritière de Guillaume de Plœuc et de Cons-
tance de Léon. Jeanne donna sa main à Tanguy, puîné de la
maison de I{ergorlay, seigneur du Tymeur (Poullaouën), à la
la condition que les enfants qui naitraientde leur mariage
prendl'aient les armes et le nom de Plœuc ,
Depuis cette époque, la seigneurie passa de proche en pro­
che aux aînés de la maison jusqu}à leur onzième descendante,

'(1) Bull. de 1898, p. 371, note 2.
(2) Ibid., p. 370-7'1,
(3) Ibid., p. 371. On trouve aux pièces du Plessix les deux dates 14 mars
1 ~ 61 et 24. juin. La seconde da te est donnée dans l'aveu au roi que les acqué­
renden t le t7 février t 764. La première résu !tan t d'autre aveu du 10
reurs
décembre 17i)3 est' erronée. C'est la date de la procuration donnée à fin
, de vente à Guillemette Le Coq (fermière générale du Plessix en '1780),
veuve du sr AmeHe, procureur fiscal des regaires, qui, en t7!rI, s'était
opposé il. la perception des œufs de Coatfao, et s'était ainsi attiré le dan­
gereux honneur d'un 'procès avec haut et puissant seigneur Louis Engel­
de la Marck, maréchal des camps et armées du roi, tuteur
bert, comte
de sa fille Louise Marguerite, dame de Pralamas et Coatfao, depuis
cett~ ridicule aventure dans Promenade
duchesse d'Arenberg. J'ai conté
à eratanras et Coatfao. (Bull. de 1883.)

la dernière de sa branche, cette infortunée Mauricette de
Plœue, héritière de Guillaume, premier marquis du Tymeur,
veuve tle deux maris, le premier, marquis de Maillé-Car­
man :tllé en duel en 16n2, et le second, marquIs de Mont­
gaillard, assassiné dans la rue de Carhaix par un gentil­

homme du voisinage, en 1673 (1).
Mauricette de Plœuc mourut en 1685 après avoir pleuré
de ses enfants et vu saisir et vendre son marquisat du
trois

Tymeur.
La seigneurie du Plessix passa à sa fille du premier mariage
Marie-Anne de Maillé, mariée, en 1673, à Charles Tiercelin,
de la Roche-du-Maine (Anjou). .
seigneur
En 1761, le Plessix était aux mains de deux sœurs « demeu­

au château de la Jumelière, paroisse du même
rant ensemble
nom, pro.vince d'Anjou )). Elles se nomm!lient Marie-Anne et
Charlotte Barjot d'Appelvoisin de la Roqhe-du-Mayne. La pre- ·
mière était dame de Roncee, la seconde de l'Islette. C'est d'elles '
que les époux Gazon devinrent acquéreurs. .
Le contratfut passé pour la somme de 64.400 liv., « y compris
les gants (2) »; 42.000 Iiv. furent payés comptant, le reste étant
de l'appropriement.
payable dans l'année
de faire publier son acquêt aux plaids
L'acheteur-s'empressa
d'août; et,dès le 5 septembre, il prenait possession.
généraux
Je me propose de faire un jour l'histoire du Plessix-Ergué (3).
(1) On peut voir cette 1 ugubre histoire et le déni de justice auquel elle
l'Histoire généalogique dè la maison de Plœuc, par M. de
donna . lieu dans
Thézan, p. 325 et suiv. et mieux encore dans l'Assassinat du Mis de Mont-
gaillard, étude faite SUl' les pièces du procès, par notre confrère, M. du
Crest de Villeneuve . Bull. de l'Association BTetonne. Saint-Brieuc 1896.
(2) On a dit aussi II. les épingles 1) au sens de « présent qu'on fait aux
filles ou aux femmes lorqu'on achNe quelque chose où elles ont part, pour
leur tenir lieu de ce qu'on appelle entre les hommes pot de vin •. Trévoux.
Vi> Epingles et gants. .
(3) Ceci était écrit en 1886. Il faut renoncer à ce projet, comme à beau-
coup d'autres..... .

Je ne puis aujourd'hui décrire cette seigneurie. Il suffira de
~il'e ici que le Plessix-Ergué comprenait une soixantaine de
mouvances, et que le seigneur avait, ' aux pardons d"Ergué-
Armel, le droit de pas et trépas et le droit de coutume, droits
que nous appellerïons aujourd'hui d'entrée et d'étalage.
Voilà pour les droits utiles; mais les droits honorifiques
les bourgeois du dernier siècle n'étaient pas indifIé­
auxquels
la seigneurie en était abondamment pourvue.
l'ents.".
Le seigneur avait la haute justice qu'il exerçait chaque
la salle basse des Cordeliers de· Quimper. Il
samedi dans
avait des fourches patibulaires, « à quatre poteaux )), au lieu
. de Kervao, sur lagrande route de Concarneau (1 ) . .
Les seigneurs du Plessix' avaient anciennement fondé et ils
entretenaient un hôpital au lieu dit Le Guelen, à quatre kilo- .
mèlres de Quimper, sur la. route de cette ville à Rosporden. "

(i) Les fourches patibulaiees, dites en Bretagne justices (justiciouJ - (de
là tant de champs portant ce nom) - étaient (1 le signe public du droit de
glaive i). Toutefois les hautes justices n'en avaient pas toujours. Elles
que par une concession du prince, qui fixait le nombre
n'étaient établies
des poteaux. L'évêque de Cornouaille haut justicier n'obtint de patibulaires
de Jean V du 18 février 1424. (Hevin. Consult. Ill, p. -10.)
que par lettres
De même, en lUt et 14'24, le même duc permit à Jean de Plœuc d'élever
des patibulaires" à trois pôls (poteaux) li ; eette concession paya le dévoû­
ment marqué par Jean de Plœuc au duc prisonnier des Penthièvre. -
Note d'une très ancienne écritul'e SUl' un titre du Plessix-Ergué. - En
1505, la l'eine Anne autorisa Vincent de Plœuc, petit-fils de Jean, « à
ajouter un quatrièm~ pôt à toutes ses justices ». Cette concession fut « con­
firmée pat' Louis XII, le 7 aOlît 1508. Arch _ des Côtes-du-Nord. S,e E .
88- L Cil. de M. de Thézan, Généal. de Plœuc, p. 1.=,0. - Quatl'e pôts,
liasse
c'était le nombre de poteaux rëclamés par les possesseurs de gl'andes sei­
Ex. le seigneur de Pont-Croix pour son fief de Ouéménet (Aveu du
gneuries.
30 octobre 1730.) Le seigneur de Pratanras et Coatfao. (Acte du 8 mars
1478. Invèntaire aux pièces de Pratanras. Arch. du Finistère). Le Vte
de Rohan n'avait que quatn p6ts quand Charles VIII ['autorisa à en ajouter
ses "jusUces. Septembre 1490. (Moriee. Pi. Ifi. 785). Les
deux à toutes
s.ix pôts (maximumJ étaient, dit-on, réservés aux barons. Ainsi le baron
de Pont-l'Abbé réclame six poteaux 1/ six piliers de pierre de taille au
de la montagne de Bringal ». (Aveu du '29 septembre 173-2, fo 11 vo.
haut
Arch. du Finistère.) Sur les patibulaires de Pratanras et de Quéménet,
v. Pl'omenade à la montagne de la Justice (1882), à Pratanras (1883) et les
fourches ... de Quéménet (1883).

Ils. y avaient construit, au XIVe siècle, une chapelle, dont la
belle porte, seul débris ' qui en reste, ne déparerait pas la
façade d'une cathédrale. L'hôpital, privé de ses revenus pour
diverses causes, étai t depuis longtem ps ce qu'il est aujourd'h ui,
l'habitation d'un ·fermier (1) ; mais la chapelle subsistait au
dernier siècle; et, le 5 juillet 176'1, M. Gazon, devenu à la
place de ses prédécesseurs fondateur et patron de la chapelle,
en prit « solennelle possession, faisant sonner la cloche, et se .
faisant représenter les vases sacrés et les ornements servant
au chapelain », dont il avait la présentation. . '
Le même jour, M. Gazon prit solennellement possession du .
ban seigneurial armorié et des écussons dù Plessix, PIœuc,
Kergorlay et Tymeur semés sur les ml~rs et aux vitres de
l'église paroissiale d'Ergué-Armel.
[Jans la cathédrale de Saint-Corentin, il lui fut montré une
tombe élevée, dans laquelle (il le croyait du moins) il pourrait
prendre place un jour, des écùssomi, bien 'plus une vitre toute
de Plœuc, Kergorlay et Tymeur, et même
entière, aux armes
aux armes de Léon gardant après cinq siècles mémoire de
l'union de Guillaume de Plœuc avec Constance de Léon.
Enfin, dans son aveu au roi, le nouveau seigneur (2 copiant .

les aveux de ses prédécesseurs, réclame un droit que je ne
vois concédé à aucun des seigneurs du voisinage, c'est celui
de « faire porter par un gentilhomme une bann~èJ;e à la pro­
cession du Sacre, immédiatement avant toutes les croix, c'est­
de Saint-Corentin (3), qui est la plus proche
à-dire après celle
du Sacre (du Saint-Sacrement). » .
(1) Aveu de 1612. - De nos jours, le fermier porte le nom du fermier '

(2) Je veux parler du fils de l'acquéreur qui rendit aveu en 1783, comme
nous verrons. .
(3) Il faut lire, semble-t~il, « c'est-à-dire après la banniàe de Saint­
Corentin ". A la procession, la place d'honneur est la plus proche du dais
sous lequel est porté le Saint-Sacrement.

Remarquez que la bannière doit être portée par un gentil­
homme; et « noble homme» Gazon, bien que seigneur haut
. justicier, n'est pas gentilhomm.e et ne la portera pas.
Tels sont les droits réclamés par le nouveau seigneur dans
son ayeu au roi, conforme aux aveux de ses prédécesseurs;
mais, remarquons-le, le plus ancien des aveux conservés aux
archives du Finistère est bien jeune de date: 1672. Nul

doute que, si nous avions des a veux plus anciens, nous ver-
rions les seigneurs du Plessix réclamer le droit de porter un
des « piliers») du siège sur lequAI était monté l'évêque de
Cornouaille faisant son entrée dans sa ville épiscopale.
, Ce cérémonial' n'avait pas été observé depuis j'entrée de
Raoul Le Moël, a,:!mônier de eharles VIH, où figura Vincent
de Plœuc, le 16 octobre 1496 (1). Mais le souvenir de l'ancien
usage persistait; et l'aveu de Nevet réclamait ce droit au
dernier siècle (2). , .
Voilà les droits phncipaux qu'avaient acquis M. et Mme
Gazon; ils étaient, eux bourgeois, seigneurs hauts justiciers.
Au dire de notre vieux d'Argentré, c'était la suprême ambi-
tion des bourgeois dès le XVIe siècle .

Aussi Mt. Gazon ne perdra pas un jour pour se mettre en
po~ession ; mais il n'attendra même pas la pri, se entière de

possession pour signer de son nouveau titre. Le 11 juillet: est
dressé le contrat du mariage de son fils avec Marie Catherine
Bersolle, fille de Augustin Bersolle, directeur des postes à
(1) Lobineau. Pro 1617-19. Le Men. Monog. de la cathéd1'ale, p. 1118.

('.» Aveu du 5 juin 1722. Marie de Gouzillon, veuve de Malo, dernier
de Névet, réclame au nom de sa fille, 'depuis marquise de Coigny,
marquis

le droit de porter le second coing du poèle, lorsque les seigneurs évêques
font leur entrée Il. {Nous trouverons la Mis. de Coigny, (Note sur le Hilguy) .
Ce n'est pas loutà fait exact : les seigneUl's du Plessix, de Nevet, du
Faou et de Guengat ne portaient pas un clais ou poèle au-dessus de l'évêque,
mais le siège même de l'évêque,.
Dans son Histoire jointe à l'aveu du 6 juin 1644, Jean de Nevel men­
aussi à tort « le dais sous lequel Saint-Corentin avait fait son en-
tionne
trée. J'ai publié cette curieuse histoire dans le Bulletin de 1888.

Brest. (1). Celui-ci se qualifie « sieur du dit lieu de Bersolle l)'
Mais qu'est-ce que ce titre bOltrqeo-is auprès de celui de
seigneur et dame du Plessix-Ergué, dont M. et Mme Gazon se
parent si hâtivement et. .. hélas! un peu imprudemment.
Sous l'ancienne jurisprudence, l'acquéreur d'un immeuble
qui avait fait un bon marché (c'était le cas de M. Gazon)
n'avait pas une possession bien assurée pendant dix ans .
Durant ce long délai, le vendeur pouvait demander des
lettres de restitution « pour lésion d'outre moitié du juste
prix (2) ». .
Les venderesses n'attendirent pas ce terme. Dès qu'elles
eurent reçu les 42.400 livres payées comptant, elles se ravi­
sèrent; jugeant que leurs acheteurs avaient fait une t.rop
tonn'e affaire, elles recoururent à la chancellerie ; et, dès le
26 novembre 1761, elles obtenaient des lettres de restitution.
La terre fut mise sous séquestre; et un procès commença qui,

selon la mode du temps, allait durer longtemps.
M Gazon n'en verra pas la fin; quand il va mourir,
le 6 octobre 1766, il ne pourra pas ordonner son inhumation
dans la tombe de la cathédrale; et, ce qui est plus grave,
quoique l'acte d'inhumation lui donne le titre de seigneur du
Plessix-Ergué, il ne laissera pas son fits · seigneur haut
justicier incommutable.
Le procès s'instruisit. La famille Gazon habitant sa maison
de la rue Saint-François au fief épiscopal était justiciable des
regaires; les juges se hâtant lentement rendirent enfin
se.ntence, le 7 mars 1772. La sentence fut favorable à la veuve
Gazon et à son fils.
(1) Veut-on savoir les conditions pécuniaires de ce mariage? La fiancée
apporte 4.000 liv. de mobilier et '26.000 liv. d'immeubles M. et Mm. Gazon
donnent à leur fils « la pension et 1.300 liv. par an. ' })
(2) C'est la disposition de l'art. 297 Nouv. coutume. L'art, 1675 de notl'e
code civil exige pour la rescision de vente une lésion de sept douzièmes •
et limite l'action à deux années.
BULLETIN ARCHÉOL. DU FINISTÈRE. TOME XXVI. (Mémoires). 6

Vers cette époque, avant ou après la sentence, Mlles Barjot
étaient décédées laissant pour légataire universel Charles­
René-Gabriel d' Appelvoisin. chevalier, marquis de la Roche-du­
Maine, sous-lieutenant des chevau-légers de la garde ordinaire
du roi,héritier avec son frère Palll-Jean-Baptiste-Alexis Barjot,
comte de Roncée, interdit, lequel avait pour curateurs (nous
. dirions aujourd'hui tuteurs) « Ml'13 Antoine-Guillaume de Laga­
dec, chevalier de Saint-Louis, gouverneur des villes et château
dB Concarneau et du duché de Penthièvre (1) », et un avocat
au parlement de Paris.
OI} a quelque peine à comprendre que les héritiers des ven-
deI'esses se soient flattés de prouver que la seigneurie vendue
en 1761 valait plus du double du prix stipulé.
Quoiqu'il' en soit, l'instancè fu t reprise au nom des héritiers
d'Appelvoisin, qui relevèrent appel; mais le parlement, par
arrêt du 21 août 1780, déclara que « sans s'arrêter aux lettres

de restitution dont les sieUl'$ appelants étaient déboutés, le
contrat du 24 juin 1761 sortirait sa pleine et entière exécu-
tion, le sieur Gazon payant la somme de 26.000 livres restant
due» (2).

De ce jour, après plus de dix-neuf ans révolus depuis le con-
trat d'acquêt, Mme Gazon et son fils furent enfin propriétaires
incommutables de la seigneurie, et Mme Gazon put mourir
tranquille.
Elle ne mourait pas dans la maison de la rue Saint-François;
. (1) Il faut lire assurément du fort de Penthièvre. Il n'y eut jamais un
du duché de Penthièvre.
gouverneur
(2) Nous n'avons que Je dispositif de l'arrêt, il condamne l~ veuve
Amelte (fermière générale du Plessix) à remettre aux défendeurs intimés
Gezon, la somme de 10.000 livres qui sont apparemment les revenus
échus depuis le séquestre de 1761. ... Condamne les d'Appelvoisin à
payer au sr de Lagadec, 42.200 livres qu'il a envoyées aux dames de
Roncée ) .

en 1773, elle avait vendu cette maison (1), et elle était
la Terre-au-Duc dans une maison qui lui apparte­
retournée à
nait, rue Rossignol (aujourd'hui rue Saint-Mathieu).
là que Mme Gazon mourut septuagénaire, le 6 février
C'est
1782. Le lendemain, après l'office funèbre célébré à Saint­
son corps fut porté à la limite de la paroisse, au
Mathieu,
Pont-Médard, et remis « au recteur de Saint-Julien pour être ·
inhumé dans l'enfeu appartenant au sieur Gazon, son fi,W:;,
comme seigneur du Plessix-Ergué » (2).
Au même temps Joseph Gazon habitait une maison sur le
Quai ou rue du Quai, paroisse de St-Mathieu (3). Il avait suc­
cédé au titre de conseiller du roi et de receveur des fouages
dans l'évêché de Cornouaille. Il rendit aveu au roi le 10
décembre 1783 pour le Plessix-Ergué, et cet aveu m'a fourni
des renseignements qui précèdent. (4)
plusieurs

L'exemple de la famille Gazon nous montre comment des

familles d'humble bourgeoisie s'élevaient par l'ordre, le travail

et l'économie.
Gazon est pâtissier; son fils Sébastien,marchand
Mathurin
de drap et soie, devint receveur des fouages et autres imposi­
tions de l'évêché de Cornouaille; son petit-fils Joseph renonce
« la marchandise », continue la gestion de la recette de Cor-

(1) Bull. de 1898, p. 372.
(2) Sépult Saint-Mathieu. La déclaration royale du 10 mars 1776,
sollicitée par l'assemblée du clergé, avait interdit les inhumations dans
les églises sauf exception pour les patrons et fondateurs. Le seigneur du
Plessix n'avait pas ces titres à Saint-Corentin.
(3) Nous ne pouvons signaler autrement cette maison. C'indication sur
le quai est donnée dans.. un aveu rendu à Gazon (1732), el l'indication rue
du Quai dans un aveu rendu au roi par lui-même (1783), et dans l'acte
de sépulture de Marie Bersolle (dame Gazon). .
(4) Les 12 juillet et 16 décembre i78'?, des aveux lui sont rendus où il
est appelé mal à propos Joseph-Hyacinthe et Joseph-Hyacinthe-Corentin.
(V. ses vrais prénoms ci·dessus p. 75.) .

nouaille, a le titre de conseiller du roi, devient seigneur haut
justicier du Plessix-Ergué, et transmet ses titres à son fils. ' '
L'ascension ' de la famille va-t-elle s'arrêter? L'arrière­
petit-fils du pâtissier de Rennes, conseiller du roi et haut
justicier après son père, ne va-t-il pas, comme tant d'autres

autour de lui, convoiter la noblesse, sinon pour lui-même,
au moins pour ses descendants?
Chose qui pourra surprendre et qui pourtant est certaine,
le titre de seigneur d'une terre noble leur sera un obstacle
insurmontable ... ~a moins qu'ils ne déboursent une grosse
somme d'argent... Je m'explique:
Le bourgeois abandonnait « la marchandise )) qui l'avait
enrichi. Ses filles épousaient des nobles; ses fils exerçaient des
professions libérales, ou bien vivant oisifs, étaient les com-
pagnons de chasse et de plaisirs des jeunes gentilshommes;
ils partageaient noblement; parvenaient à se faire admettre
comme cavaliers aux revues de l'arrière-ban; se faufilaient
, au 'rôle de la capitation noble (1). Après cent ans de ce « gou-
vernement noble », il,s pouvaient, en Bretagne au moins,
invoquer la présomption de noblesse ... ,.
A une condition pourtant: c'est qu'il n'y ait pas d'actes
contraires qui ruinent la présomption. ,. Or le bourgeois
possesseur d'un fief noble aura toujours contre lui de ces actes
contraires!
Quelle maladresse aux bourgeois que d'acquérir une terre
noble! et pas un bourgeois enrichi qui ne la 'commette ! Il veut
s'e donner l'apparence de la noblesse; et il en ferme l'accès à
ses descendants! Pourquoi? Parce que en acquérant le fief

( 1) On espérait que l'inscription de son nom à la capitation noble et son
absence à la capitation roturière donneraient apparence de noblesse. Cette
à la capitation roturière,
fraude commune, très préjudiciable aux inscrits
fit l'objet de nombreuses réclamations. En 177'1, la communauté de Quim­
per réclama trente-neuf personnes pour le rôle roturier de 177'2. Cf. Le
1-ôle de la capitation, (roturière) de 1750 par J. Trévédy. (1887).

noble il s'est soumis, etses fils seront soumis après lui au paie­
ment du droit de franc-fief.
Tous les vingt ans, les possesseurs roturiers de biens nobles
sont appelés à payer ce droit; et les quittances qu'ils reçoivent
la preuve authentique de leur roture! Qu'ils fassent des
sont
partages nobles, qu'ils vivent noblement; après cent ans de
gouvernement noble, qu'ils invoquent la présomption de
noblesse, l'intendance leur opposera victorieusement les quit­
tances du franc-fief comme actes contraires ruinant la pré­
somption !
Toutefois une ressource leur reste: l'acquisition d'une de
ces sinécures qui sont un appât offert aux bourgeois riches,
par exemple la charge de secrétaire du roi qui peut pro­
la noblesse. Cette sinécure coûte plus de cent mille
curer
livres vers l'époque où. nous nous reportons ('1). Mais est-ce
de la noblesse transmissible à ses
payer trop cher l'espérance
descendants?... · -
Mais avant que le seigneur du Plessix-Ergué eût acquis la
charge de secrétaire du roi, cette charge avait disparu avec
ses prérogatives (2) ; il .avait perdu son titre de con-
seiller du roi (3 )" ; les fouages étaient supprimés et le dernier
des fouages de Cornouaille allait rendre son dernier
receveur
compte (4).

Nous trouvons la famille Gazon à Quimper jusqu'en 1793.
Les signatures de M., de Mme Gazon et celle de leur fils,

(1) 12.0.000. d'après M. Chéruel, Dict. hist. p. 1145.
(2) Suppression. Décret du '1.7 avril 1791, art 6.
(3) Le titre de conseiller du roi était purement honorifique, aUaché à cer­
taines. charges ou donné même sur la fin prodigué à certaines personnes
étrangères à l'administration de la justice.
(4) Supppression des fouages. Décret du 15 mars t790. Comptes à rendre
par les receveu rs. Déeret du li mai 17lJ8.

Joseph.-François-Auguste, apparaissent souvent aux registres
de baptêmes et de mariages. (1) ,
Le 30 mai 1792, Marie-Catherine BertoUe, dame Gazon,
mourut «( en sa maison sur le Quai ». Il ne pouvait être
elle d'inhumation dans la tombe du Plessix­
question pour
Le lendemain, la dame Gazon fut déposée au
Ergué. (2)

cimetière Saint-Marc, heureusement pour son repos. (3)

A la fin de l'année 1793, M. Gazon mit en vente « ses biens
en Ergué-Armel », c'~t-à-dire les terres qui avaient formé
du Plessix-Ergué. Ces biens furent
l'ancienne seigneurie
en plusieurs lots, dont l'un comprit les restes du
distribués
château chef-lieu de l'ancienne seigneurie et la ferme voisine.
Ce lot fut adjugé le 8 octobre '1793. l4)
. Il est probable que la famille Gazon quitta Quimper à cette
époCJ,.ue. Fuir loin de Quimper pouvait être prudence de la part

de M. Gazon. Le ci-devant conseiller du roi, ci·delJant seigneur
du Plessix-Ergué, pouvait s'attendre à être
haut justicier
la municipalité de Quimper sur la liste des nobles,
inscrit par
comme tant d'autres, par le comité révolution­
et incarcéré,
« pour cause de noblesse», ..... bien que seigneur
naire
. rotw'ier.

(1) Le 27 juillet 1785, Joseph-François-Auguste (le fils) est parrain de
Marie-Josèphe Le Borgne de Kermorvan. Le père et le fils signent l'acte
de baptême.
(2) Ci-dessus p. 83 nole·2. ' - Le droit féodal d'enfeu était supprimé.

Décrets des 4 août 1789 et des 15-~8 mars 179(). - Titre 1 " ar t. 1
(3) La tombe du Plessix-Ergué n'a sans doute pas été épa rgn ée plus que
les autres dans le sac de la cathédrale, le 1'2 décembre 1793.
(ft) Contrat passé devant Me Lharidon, notaire. (M inutes étude de Me
Cottin, CO'ncarneau.)' L'acquéreur (Jean Le Déan) s'engage à payer 36000
francs; c'est la preuve qu'il acquiert sel\lemeut UlW part de la seigneurie
acquise en Ill) 1 .pour 04,.000 livres. (Ci-dessus, p. G.). Depuis. la
. métairie du Plessix-Ergué ri passé aux familles I{erancuf"f puis Ambla rd, et
appartient aujourd'hui à 1\1. Branl, armurier à Quimper .

J'ai insisté sur l'acquisition par un roturier d'une terre
noble ayant haute justice.Voici pourquoi: c'est qu'on enseigne
écoles que « tous les seigneurs
aujourd'hui dans certaines
étaient nobles )) (1 ).
. Cette opinion singulière et absol ument nouvelle est démentie
les raits au n'loins depuis le commencement du XIIIe siècle, .
par
et même auparavant, si l'on s'en rapporte à l'ordonnance des
francs-fiefs de 16:56 qui fait remonter aux croisades les
acquisitions de terres nobles par des roturiers.
est démentie de proche en proche par des documents
Elle
législatifs: par l'ordonnance de Philippe le Hardy qui, en
1275 reconnaît ces acquisitions quand elle établit un impôt
nouveau frappant les fiefs nobles possédés roturièrement .; -
la T. A. Coutume de Bretagne (1330-1340) qui introduit
par
un impôt analogue en Bretagne; par la constitution du duc
Pierre II de 14;)3; par notre Ancienne coutume, 1;)30; par ·
l'ordonnance de Blois, 1;)79; -- par notre Nouvelle coutume,
1;)80; par la déclaration du roi Louis XIII, 1641, déchar-

les fiefs nobles possédés roturière ment du ban et de
geant
l'arrière-ban « parce que, dit le préambule, la plus grande
des fiefs nobles sont aux mains des ecclésiastiques,
partie
qui ne sont bons à rien au fait de
communautés et roturiers
la guerre )) ; par l'ordonnance de 16;)6, qui réglemente de
nouveau le ~roit dit de franc-fief; -- par l'ordonnance des
Eaux et Forêts (1669) qui, au titre des chasses, suppose
nombre de roturiers hauts-justiciers
Et, depuis cette ordonnance, ces acquisitions se sont
que de six seigneuries prises au
multipliées: c'est au point
hasard dans un rayon d'une lieue autour de Quimper, savez­
vous combien avaient passé en mains roturières avant 1789 ? ..

(1) .VI. Lavisse, Premièr'e année de l'histoire de France. Ile édition p.

cinq; et la sixième allait être acquise par un bourgeois quand
le roi l'anoblit (1).
Mais qu'importe-t-il? La proposition est posée comme un
axiôme; eUe restera axiôme pour les instituteurs. Est-ce qu'ils
se soucient de lire nos vieilles coutumes, les constitutions de
nos ducs et les ordonnances des rois de France? Est-ce qu'ils

iront perdre leur temps à compulser les pièces échappées aux
destructions des titres féodaux?
A quoi bon? S'ils lisaient ces actes et ces titres ils croiraient
modestement mal comprendre. « Comment, se diraient-ils, de
savants livres ayant des douzaines d'éditions, tirés à des cen­
taines de milliers d'exemplaires, donnés gratuitement aux
écoles par la ville de Paris, approuvés par le ministre de
l'Instruction publique pour les bibliothèques scolaires, dont
l'auteur est membre de l'Académie française, pourraient-ils
contenir une si lourde erreur? » .
Et ils enseigneront l'axiome. C'est un privilège des axiômes
d'être admis sans démonstration ...

( 1) Ci-a près, note sur ces di verses acqu isitions .